2.2.4 Le déni de grossesse, altération de la
représentation
Pour la psychanalyste Sophie Marinopoulos et le Professeur
Israël Nisand, qui multiplient les écrits et les conférences
sur le sujet depuis quelques années, le déni de grossesse est par
cette non-prise de conscience de la réalité le signe d'un trouble
grave de la représentation [23] [29].
Usuellement la vie psychique et affective se construit
à partir d'émotions corporelles, de sensations et de perception
du monde extérieur : dans le cas du déni, tout affect ou
représentation ne correspondant pas à ce que le sujet peut
accepter de la réalité, est exclu de sa conscience. Si le
phénomène source d'angoisse et donc de souffrance massive est la
grossesse, alors le déni efface toute pensée de ce que est
vécu dans le corps : sans ces perceptions la femme enceinte est
privée de tout accès à une représentation psychique
de sa grossesse. Recluse dans un simulacre de bien-être, elle ne se sait
pas et ne peut pas se sentir enceinte. « Le déni de grossesse est
impensable, un état d'être enceinte qui ne se pense pas. »
[25]
Comme il l'a été dit plus tôt, il ne peut
y avoir de grossesse psychique et donc plus tard de représentation
d'enfant sans cette formulation et cette intégration de l'idée de
grossesse [24]. Les spécialistes tendraient actuellement à
regrouper ces troubles ou absence de la représentation sous le terme
général de « grossesse blanche » [25][26]. Les
phénomènes de déni, de dénégation et de
clivage conduisent à une même manifestation pathologique, soit une
grossesse physique qui se développe dans l'inexistence de grossesse
psychique. Ce « décalage » peut donc s'observer de
manière discontinue dans le cas de la dénégation («
il y a des signes mais non, ce n'est pas possible, je ne suis pas enceinte
»), de manière continue concernant le déni (« je suis
enceinte puisque vous me le dites »), et de manière isolée
pour le clivage.[25]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 30/89
La conséquence de cette absence de
représentation, si elle persiste jusqu'à la naissance comme dans
le cas du déni massif, serait un risque accru d'infanticide, la
mère ne pouvant considérer le nouveau-né comme un
être vivant et individualisé. [11] [25]
Cette notion d'infanticide sera plus amplement
développée dans un chapitre
ultérieur.
2.2.5 Conclusion
Si sa définition peut paraître encore vague et
sujet à controverse, on peut cependant retenir dès maintenant la
notion de déni de grossesse comme un signe de souffrance psychique
intense. Le Pr. Nisand le compare à la fièvre : le déni de
grossesse serait un symptôme, « un indice sur l'état
psychique de la femme ». Il n'est pas caractéristique d'une seule
pathologie mais implique plusieurs diagnostics différentiels de
pathologies psychiques, avec des causes et des modalités
différentes [30].
C'est avant tout un mécanisme de protection,
inconscient et donc irrationnel, déployé par le psychisme
maternel pour faire barrage à la souffrance intense qu'entraîne
l'idée de la grossesse. A la différence d'autres manifestations
de déni - déni de la maladie, déni de l'addiction - le
déni de grossesse prend un nouveau tour tragique dans son ignorance
irrationnelle du terme de la grossesse. Dans les cas les plus graves,
l'accouchement constituera un lever du déni brutal et
profondément traumatisant pour la mère jusque-là
inconsciente de son état.
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