La problématique de l'humanisme dans " qu'est ce qu'une vie réussie? " de Luc Ferry( Télécharger le fichier original )par Ericbert TAMBOU Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Licence en philosophie 2011 |
II. Implications de l'humanisme de l'homme-dieuL'humanisme de l'homme-dieu tel que élaboré par Luc Ferry, n'exclut pas la transcendance mais, il assume le problème de la transcendance, lui donnant un autre sens ainsi que d'autres visages, lieux de sa manifestation. 1. La transcendance dans l'immanenceSelon Luc Ferry, l'éthique humaniste et le souci de l'autre supposent une certaine forme de transcendance. La seule solution est donc de repenser la transcendance, non plus comme une transcendance verticale et extérieure, mais comme une transcendance intérieure, inscrite au coeur même de l'immanence et relevant de l'ordre du sens plutôt que de l'ordre de la loi28(*). Reprenant certains éléments de la phénoménologie de Husserl à Levinas, Luc Ferry s'efforce de penser cette nouvelle forme de transcendance appelée « transcendance dans l'immanence »29(*), comme un nouveau rapport non traditionnel de la transcendance à l'individu, rapport inscrit dans son expérience vécue. « La transcendance se dévoile ainsi au coeur de l'être humain. »30(*) C'est dans ma pensée, en moi, dans ma sensibilité que se manifeste la transcendance des valeurs car « quoique situées en moi (immanence), tout se passe comme si elles s'imposaient (transcendance) malgré tout à ma subjectivité, comme si elles venaient d'ailleurs. »31(*) La notion d'horizon et de refus de la clôture (rejet de l'absolu) permet à Luc Ferry de mieux exposer sa pensée. La notion d'horizon permet de comprendre que je ne peux saisir l'univers dans sa totalité, la réalité du monde ne m'est jamais donnée dans sa maîtrise parfaite ; « et c'est en cela qu'il y a de la transcendance, quelque chose qui nous échappe au sein même de ce qui nous est donné, que nous voyons et touchons, donc au coeur de l'immanence. »32(*) Par le refus de la clôture c'est-à-dire par le rejet de toutes formes de «savoir absolu'', la transcendance dans l'immanence va apparaître comme « seule susceptible de conférer une signification rigoureuse à l'expérience humaine que tente de décrire et de prendre en compte l'humanisme de l'homme-dieu. »33(*) Il faut toutefois rappeler que la transcendance dont parle Luc Ferry est un horizon de sens34(*) et non pas un être ou un fondement. Mais alors, quelles formes prendra cette transcendance dans l'immanence ? 2. Les nouveaux visages de la transcendanceLuc Ferry a, contrairement à Nietzsche, la conviction qu'apparaissent aujourd'hui de nouvelles formes ou nouveaux visages de la transcendance grâce auxquelles nous allons accéder à de nouvelles définitions du bonheur. Comme nous l'avons montré plus haut, ce sont des transcendances que nous découvrons à l'intérieur de nous-mêmes et des expériences humaines comme ce qui nous est donné ! Ces transcendances sont « la vérité, la beauté, la justice et l'amour. »35(*) L'amour par exemple dit Luc Ferry, est totalement immanent en nous et en même temps il porte toujours sur un être qui est radicalement autre que soi. Il a toujours un rapport à l'altérité. On peut ainsi comprendre ce qu'est une transcendance dans l'immanence. L'expérience de quelque chose qui nous dépasse, mais qui n'est pourtant enraciné nulle part ailleurs que dans le coeur humain. Pour Luc Ferry, ces nouvelles formes de transcendances qui ne sont plus imposées du dehors, mais bien enfouies en nous-mêmes « comme des horizons de sens de notre vie », constituent une spiritualité laïque qui nous aidera sans doute à nous sauver nous-mêmes de la peur et de la mort. « Je n'invente ni les vérités mathématiques, ni la beauté d'une oeuvre, ni les impératifs éthiques et, comme on le dit si bien, on «tombe amoureux'' plus qu'on ne le décide par choix délibéré. L'altérité ou la transcendance des valeurs en ce sens est bien réelle. »36(*) Comment donc vivre en rapport à ces nouvelles formes de transcendances ? C'est très simple répond Luc Ferry. Quand vous êtes amoureux, quand vous aimez vos enfants, vous sortez de vous-mêmes pour aller vers l'autre. Le dépassement de soi est dans l'expérience de l'amour, mais aussi de l'art, quelque chose que l'on constate en soi sans l'avoir fait exprès. « Je n'invente pas la beauté d'une suite de Bach, ni celle d'un paysage, je me contente humblement de les découvrir comme si malgré les sentiments en effets subjectifs qu'elles suscitent en moi, elles n'étaient pas pour autant créées par ma subjectivité. »37(*) Quand on tombe amoureux, quand on est saisi par la beauté du paysage, on éprouve quelque chose qui nous dépasse infiniment, on fait l'expérience du «plus que soi''. La beauté, l'amour, la justice et la vérité demeurent transcendants pour tout individu singulier. Ce sont ces nouveaux visages de la transcendance qui, pour Luc Ferry ouvrent la voie à l'humanisme de l'homme-dieu. C'est cette aventure que ce nouvel humanisme veut assumer, non par impuissance comme il le dit si bien, mais parce que « il lui faut par principe et, pour tout dire, par lucidité, accepter, sous peine de retomber dans le discours de la métaphysique classique, de renoncer à chercher dans les gènes ou dans la divinité, dans la nature ou dans l'Être suprême l'explication de notre rapport à des valeurs communes, voire universelles... »38(*) C'est la raison pour laquelle l'humanisme de l'homme-dieu se doit de penser la problématique de la question du bonheur dans le contexte qui est le sien. * 28 Ibid., p. 43. * 29 Luc FERRY, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes générations, op. cit., p. 270. * 30 Luc FERRY, Qu'est ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 450. * 31 Luc FERRY, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes générations, op. cit., p. 273. * 32 Ibid., 272. * 33 Luc FERRY, Qu'est ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 452. * 34 Ibid., p. 443. * 35 Luc FERRY, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes générations, op. cit., p. 273. * 36 Luc FERRY, Qu'est ce qu'une vie réussie ?, op. cit., p. 453. * 37 Ibid., p. 450. * 38 Ibid., p. 453. |
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