La notion de fonds libéral en droit camerounais( Télécharger le fichier original )par Sébastien AGBELE NTSENGUE Université de Yaoundé 2 - Diplôme d'études approfondies en droit des affaires 2008 |
CONCLUSION DU CHAPITRE I105 En conclusion, nous pouvons dire que la notion de fonds libéral, malgré les mutations observées dans la pratique, n'a pas encore été consacrée par le droit camerounais. D'ailleurs, ni les textes, ni la jurisprudence, ni même la doctrine n'évoquent cette notion. Ce mutisme s'assimile à une hostilité du droit camerounais à l'égard de toute idée de patrimonialisation des activités libérales. Cette hostilité se traduit dans les actes par l'interdiction des opérations de transmission de clientèles civiles ; celle-ci est en grande partie due au rôle quelque peu excessif qu'on accorde à l'intuitus personnae et au fait que la clientèle civile n'est pas une chose pour être objet de convention. 106. Mais aujourd'hui, cette hostilité du droit à l'égard du mouvement de patrimonialisation des activités libérales baisse en intensité parce que le fonds libéral pourrait présenter une grande utilité tant pour le praticien lui-même que pour les tiers. A l'analyse, si cette hostilité demeure, ce n'est point tant par rigueur scientifique, c'est davantage par souci de conformité à une certaine orthodoxie des professions libérales.C'est sans nul doute les nombreux avantages que regorge potentiellement la notion de fonds libéral qui amènent aujourd'hui le droit à se démarquer de cette conception rustique et à marquer son hospitalité à l'égard d'un mouvement dont on dit irréversible.
Chapitre II :L'HOSPITALITE DU DROIT CAMEROUNAIS A L'EGARD D'UNENOTION DE FONDS LIBERAL 107. Malgré la pression des faits sociaux271(*), le droit, à travers toutes ses sources, n'a pas encore consacré la notion de fonds libéral. Et pourtant, des raisons sérieuses l'y invitent272(*). Ainsi, pour justifier sa farouche hostilité à l'égard d'une notion à laquelle la doctrine attache beaucoup d'intérêt en raison de ses vertus possibles, le droit se fonde sur moult arguments, notamment celui de l'incessibilité des clientèles civiles. Mais aujourd'hui, ces arguments ont perdu à la fois en prestige, en épaisseur et en solidité puisque le droit se montre de plus en plus hospitalier sinon à l'égard de la notion de fonds libéral, du moins à l'égard du mouvement de patrimonialisation des activités libérales. Toutefois, cette hospitalité ne se fait pas toujours de la même façon selon qu'il s'agit du législateur ou du juge. En effet, alors que la contribution du législateur se fait surtout à travers l'extension des règles de droit commercial aux activités libérales273(*) (Section I), celle de la jurisprudence se fait davantage par le biais de la validation des opérations de cession de clientèle civile (Section II). Section I : La Contribution législative à la patrimonialisation des activités libérales108. Le législateur n'a pas encore accédé à la volonté des praticiens qui revendiquent que leur soit reconnu un fonds de caractère libéral. A défaut d'être, à l'instar de la doctrine ou du juge manifestement hostile à l'égard de la notion de fonds libéral, le Législateur se montre plutôt indifférent, puisqu'il n'est dans aucun texte fait allusion à cette notion. Mais à l'analyse, il est à souligner que, malgré le mutisme des textes de droit interne camerounais ou de ceux communautaires, la contribution législative à la patrimonialisation des activités libérales n'en est pas moins perceptible. Ceci est particulièrement vrai non seulement lorsque le législateur camerounais ou africain étend certaines règles de droit commercial aux activités libérales (paragraphe I), mais également lorsqu'il oblige les praticiens à s'équiper afin de percevoir une rémunération juste et qui ne puisse faire l'objet de contestation (paragraphe II). Paragraphe I : La contribution législative à l'extension des règles de droit commercial aux activités libérales109. Le droit commercial est conquérant comme le commerce lui-même, il se développe parallèlement au commerce. Comme ce dernier, il est aussi victime de ses conquêtes et de ses invasions274(*), en ce sens qu'il étend son empire même à des matières traditionnellement civiles275(*). Deux mécanismes permettent ainsi de réaliser cette extension : la multiplication des actes de commerce et celle du nombre de commerçants276(*). Par ce second mécanisme, le droit commercial devient applicable même à des non commerçants comme les praticiens libéraux, les agriculteurs, les artisans. C'est ce mécanisme qui est abondamment utilisé dans la plupart des législations où le droit privé refait son unité277(*). Pour nombre d'auteurs, si la législation commerciale est aujourd'hui préférée par rapport à celle civile, si les habitudes de commerce tendent à devenir des habitudes générales, c'est parce que la législation commerciale est plus équitable, plus simple et moins formaliste278(*). 110. Ainsi, l'Acte Uniforme OHADA a objectivement et subjectivement étendu la commercialité à des actes civils ou à des non commerçants, sans doute parce que le législateur africain a voulu élargir les frontières du droit commercial qui devient de la sorte Droit des affaires du moins si l'on s'en tient à la dénomination retenue par le Traité OHADA. Pour le professeur MAMADOU KONE, la dénomination officielle du traité OHADA ne reflète pas les options profondes du législateur africain qui a certainement voulu parler d'uniformisation plutôt que d'harmonisation du droit279(*). La commercialisation des activités libérales est importante au point qu'elle a alimenté de véritables joutes doctrinales au siècle passé. Pour cette raison, nous ne saurions revenir sur l'ensemble des questions qui avaient opposé des auteurs à une certaine époque. Afin de saisir la contribution législative à l'émergence de la notion de fonds libéral, il suffira dans cette partie de présenter quelques manifestations du mouvement de commercialisation des activités civiles d'une part (A) et les effets de ce mouvement d'autre part (B). A/ Les manifestations du mouvement de commercialisation des activités libérales111. La commercialisation des activités civiles n'est pas un phénomène nouveau, il est apparu très longtemps à Rome, notamment avec les règles du droit des gens. celles-ci, initialement destinées à régir les relations commerciales avec les étrangers, ont par la suite été étendues aux romains280(*). Aujourd'hui, ce phénomène innerve même les législations du système juridique romano- germanique, caractérisées autrefois par le dualisme du droit privé281(*). L'Afrique noire, à travers l'OHADA, n'est pas restée en marge de cette évolution ; quantité de règles d'essence commerciale ont ainsi été étendues même aux non commerçants. Toutefois, nous ne saurions examiner dans le cadre de ce travail toutes les matières où il y a eu extension du droit commercial. Une telle entreprise est d'ailleurs fastidieuse quand elle n'est pas simplement impossible. Nous ne retiendrons pour ce faire que les matières où l'extension présente les allures d'une révolution - juridique. Il s'agit entre autres du statut des baux commerciaux (1) et l'extension de certaines procédures d'essence commerciale à des non commerçants (2). * 271 ATIAS (C) et LINOTTE (D), op. cit. , pp 251-258. * 272 Voir supra. * 273 Sur la question de la commercialisation des activités civiles, notamment libérales, voir HAMEL (J), Les rapports du droit civil et du droit commercial dans la législation contemporaine, Rapport du congrès de la Haye , Annales de Droit commercial français, étranger et international, T.142, 1932, pp.183-196 ; TALLON (D), Réflexions comparatives sur la distinction du droit civil et du droit commercial, Mélanges JAUFFRET, 1974 pp. 649-660; CABRILLAC (M), Vers la disparition du droit commercial ?. Mélanges Jean FOYER, Paris, PUF, 1997 pp. 329-339; JAUFFRET (A), L'extension du droit commercial à des activités traditionnellement civiles, Mélanges KAYSER, 1979 pp. 59-76. * 274 CABRILLAC (M), Vers la disparition du droit commercial ? Mélanges Jean Foyer, p. 331 et S. * 275 JAUFFRET (A), L'extension du droit commercial à des activités traditionnellement civiles, Mélanges Kayser, T2, 1978, pp. 59-76. * 276 JAUFFRET (A), Ibid. 59 - 60. * 277 TALLON (D), op. cit , p. 656. * 278 LYON-CAEN (C), De l'influence du droit commercial sur le droit civil depuis 1804, Le code civil 1804-1904, Livre du Centenaire, Dalloz, 2004 pp. 207-221 * 279 KONE (M), Le Nouveau droit commercial des pays de la zone OHADA (comparaison avec le droit français), LGDJ, Biblio. de droit privé,, T. 406, 2003, P. 4. * 280 LYON-CAEN (C), op. cit., p. 207. * 281 TALLON (D), op. cit., p. 650 et s ; L'auteur souligne que seuls les pays du système romano germanique connaissent la distinction droit commercial - droit civil. Les pays situés en dehors de ce système comme l'Angleterre adhèrent à une conception unitaire du droit privé, la common law est ainsi applicable à toutes les transactions, qu'elles soient commerciales ou non. |
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