5.2. CONCLUSION
Le bassin versant de la rivière N'Djili est un
système complexe comprenant deux parties distinctes : la partie
rurale ou provinciale située dans la province du Bas-Congo
possèdant encore une certaine couverture végétale
naturelle et le sous -système urbain à Kinshasa presque
totalement déboisé qui continue à subir une pression
anthropique très forte due à l'occupation systématique de
tous les espaces disponibles. On observe dans cette zone une situation
caractérisée par la promiscuité l'enclavement les
logements précaires l'absence déquipements collectifs et
d'infrastructures de base essentiels et la dégradation contine de
lenvironnement que rien ne semble freiner. L'ensemble de ces facteurs
associés à la pauvreté extrême et aux contraintes
éco-climatiques créent un environnement extrêmement
vunérables vis-à-vis des aléas naturels.
L'approche systémique s'est
révélée indispensable pour l'étude d un systeme
aussi complexe. Pour une meilleure efficacité elle a été
enrichie par l'emploi des méthodes spécifiques appropriées
notamment l'étude documentaire l'analyse des échantillons d'eau
au laboratoire au point de vue physico-chimique bactériologique et
parasitologique les observations directes sur le terrain soutenus par de
nombreuses visites de prospection sur l'ensemble de la partie urbaine du
bassin versant et enfin l'élaboration de la cartographie
numérique participative qui est l'expression graphique du zonage et de
l'application de la méthode systémique.
L'analyse des échantillons d'eau de la rivière
N'Djili a été effectuée conformément aux
méthodes utilisées au laboratoire de l'Ecole de Santé
Publique de l'Université de Kinshasa (Kiyombo 1996) telles que
préconisées par divers auteurs (Rodier 1982; HACH, 1983 et
Bontoux, 1984). Les résultats obtenus indiquent une pollution de nature
biologique, organique et fécale. Ils confirment les résultats des
recherches menées antérieurement par Luboya (1997 et 1999), et
Golama et Lohaka (1999). D'autres chercheurs travaillant sur la rivière
Lukaya, un affluent important de la rivière N'Djili, ont abouti aux
mêmes conclusions (Konde, 1993 et Kiyombo et al., 1996).
Les observations directes réalisées sur le
terrain au cours de nombreuses visites de prospection portant sur l'ensemble du
bassin versant ont permis de recueillir beaucoup de données de terrain
à partir des quelles des cartes géographiques spécifiques
ont été réalisées grâce aux méthodes
et tecniques de cartographie classique et de cartographie numérique
participative. La carte numérique numérique donne les indications
suivantes:
1. L'ensemble des éléments appartenant au
sous-système urbain du bassin versant de la rivière N'Djili
notamment les nombreux cours d'eau et l'habitat (communes et quartiers);
2. Les diverses dégradations de l'environnement et
leurs localisations précises;
3. Les zonesq à risques des catastrophes naturelles.
La représentation graphique des données a permis
d'établir de façon indubitable les liens existant entre les
divers types de dégradations du site, les mauvaises conditions de
l'environnement et la pollution des eaux et de mettre en évidence
l'extrême complexité de la situation.
A la lumière des résultats obtenus, on peut dire
que la partie urbaine du bassin versant de la rivière N'Djili est
confrontée à une crise écologique et environnementale
d'origine anthropique particulièrement aiguë qui s'est
installée de manière permanente. Il en est de même de
Kinshasa, citée par Giacoutino (1977) parmi les villes tropicales
« champignons ». Le bassin de la N'Djili
subit la loi inexorable de l'entropie et se trouve en dégradation
préoccupante et constante par suite des actions humaines. Dans les zones
d'extension appelées également ZAC ou Zones d'auto construction
par Pain (1975), la population, très pauvre, vit dans des conditions
humainement inacceptables. Elle est victime d'une violation massive des droits
humains fondamentaux dans les domaines social, environnemental et du
développement. C'est donc un site à haut risque qui met en
péril la santé et la vie et ne permet pas l'épanouissement
complet et le bien-être des hommes. Les effets des actions humaines sur
le bassin versant de la rivière N'Djili sont extrêmement
graves.
Ainsi, l'audit environnemental dans le bassin versant de la
rivière N'Djili présente un tableau dramatique et très
sombre caractérisé par :
1. Une pollution excessive des eaux de surface de nature
biologique, organique et fécale associée dans la partie
terminale de la rivière N'Djili à une pollution industrielle
localisée surtout au niveau des quartiers Ndanu et Kingabwa dans la
commune de Limete;
2. Un approvisionnement en eau potable très
déficient qui conduit la population à s'approvisionner dans les
rivières et les sources non ou mal aménagées ;
3. L'absence de gestion rationnelle des déchets :
d'où l'émergence de nombreux dépotoirs sauvages dans des
lieux non appropriés notamment les rues, les marchés, les
écoles, les croisements des rues et avenues et transformation des
rivières en poubelles publiques et égouts à ciel
ouvert .
4. La recrudescence et exacerbation des maladies vectorielles
(malaria et trypanosomiase) et celles d'origine hydrique et réveil des
maladies jadis éradiquées ou en sommeil ;
5. La détérioration de la qualité de la
vie due à la pauvreté absolue des populations provoque une grave
polarisation sociale : concentration des pauvres et des autres couches
sociales défavorisées, exclus de la vie de la cité,
dans les zones marginales. La pauvreté extrême dans laquelle vit
la grande majorité de la population dans le bassin versant de la
rivière N'Djili constitue un facteur important de
vulnérabilité. Comme l'indique Wilches - chaux (1985), la
vulnérabilité aux catastrophes est liée à la
pauvreté et le pauvre est à la fois agent et victime des
dégradations de l'environnement (Banque Mondiale, 1992)
6. Une crise aiguë de logement due à de grandes
distorsions entre d'une part une croissance démographique explosive,
l'extension incontrôlée de l'espace bâti et d'autre part, la
pauvreté absolue dans laquelle se débat la majorité de la
population, le taux exorbitant du loyer, le coût important de la
construction ;
7. L'occupation systématique de tout espace disponible
par des constructions pour les logements ;
8. La destruction systématique de la forêt et de
toute végétation ;
9. L'Intensification de la consommation de l'espace, sans
planification préalable, et de l'utilisation des terres aux fins de
construction entraînant l'occupation anarchique des zones marginales et
à risque (zones inondables et zones collinaires à forte pente)
sur un terrain sablo - argileux et fragile;
10. Des érosions spectaculaires dans les zones
collinaires à forte pente : à cet égard, la commune
de Kisenso, siège d'une activité érosive intense,
présente près de 39 érosions majeures dont vingt-et-un,
spécialement étudiée, ont entraîné la perte
d'environ 9 097 635,3 tonnes des matériaux du sol arrachés aux
collines et emportées vers le bas-fonds par les eaux de ruissellement.
Les érosions constituent le plus grave problème
mésologique de l'Afrique et spécialement pour ce site (Kabala,
1994);
11. De graves inondations observées
régulièrement dans les zones basses en saison des pluies. Les
quartiers suivants sont chaque année affligés par cette
calamité : Nzadi, Kingabwa et Ndanu (commune de Limete), Malemba et
Maziba (commune de Matete), Dingi-Dingi, Nsola et Kisenso-Gare (commune de
Kisenso), Lemba-Imbu (commune de Mont-Ngafula) et quartier Abattoir (commune de
Masina) ;
12. L'ensablement et inondations dans les quartiers
situés à l'interface Kisenso-Matete notamment les quartiers
Totaka, Lubefu, Vivi, Dondo et Général Basuki dans la commune de
Matete : près de 1 684 278,5 tonnes de sables provenant des
quartiers Révolution, Gomba et Regideso (commune de Kisenso) s'y sont
déjà déversés entraînant d'importants
dégâts matériels, l'ensevelissement des maisons et des
pertes en vies humaines ;
13. La diminution de débit, envasement, exhaussement
et étalement des lits des rivières par suite d'une charge solide
importante provenant des matériaux arrachés aux collines par les
érosions et des divers déchets déversés dans les
cours d'eau ou amenés par le ruissellement entraînant
l'augmentation des pointes de crues et l'accroissement des risques
d'inondations.
14. Sur le plan juridique, comme l'ont constaté
Caponera (1985) et Conac et al (1985) dans le domaine de la gestion des eaux,
les lois et règlements sont promulgués pour répondre
à des situations de fait sans préoccupation pour les
intérêts globaux et les besoins futurs du pays. Il s'agit d'un
ensemble des décisions hétérogènes dans divers
domaines, agricoles, industriel, domestique, et énergétique
prises de manière ponctuelle. Il n'y a pas d'harmonisation entre les
projets à finalités différentes ni une bonne coordination
entre les autorités différentes chargées de les
préparer et les exécuter. Les observations de ces auteurs
demeurent valables en matière d'environnement en général
et d'aménagement dans notre pays. L'absence d'un plan
d'aménagement opérationnel complique davantage la situation et ne
permet pas une gestion rationnelle et durable du bassin versant de la
rivière N'Djili.
Cette situation trouve son origine dans l'absence de gestion
rationnelle de l'espace aggravé par la pauvreté absolue de la
population et l'inexistence d'un plan d'aménagement
intégré, le non-respect et la violation systématique de la
législation et des textes réglementaires en matières
foncières et urbanistiques. Dans ces conditions, on peut donc dire que
ce n'est pas seulement « la qualité de la vie » mais
c'est « la vie » elle - même qui est compromise
En fait, comme le constatent Barre et Theys (1985), ce sont
les titulaires des bas revenus qui sont affectés par la mauvaise
qualité de l'environnement. En effet, les catégories sociales les
plus défavorisées cumulent des conditions pénibles de
travail, des logements exigus, bruyants et sans confort, la proximité
des voies rapides et des zones industrielles, des distances habitat - travail
importantes, un manque total d'équipements collectifs notamment
l'absence de terrains de jeux, d'espaces verts...Au niveau du bassin versant de
la rivière N'Djili, la demande sociale en environnement de
qualité se traduit par la recherche des logements salubres,
spacieux, calmes et sûrs ; la sécurisation de l'habitat
contre les catastrophes naturelles, la création des espaces verts de
proximité, des sites et des plans d'eau de loisirs,
l'amélioration des conditions de travail et la création d'emplois
rémunérés pour lutter contre le chômage, la
sécurité alimentaire pour tous et un approvisionnement suffisant
en eau potable ainsi que la lutte contre la pauvreté.
Sur le terrain, de nombreuses organisations non
gouvernementales (ONG) nationales et internationales s'efforcent
d'atténuer et de combattre les effets néfastes des catastrophes
naturelles par des interventions humanitaires sous forme de secours d'urgence
chaque fois qu'une catastrophe se produit (assistance en nourriture,
médicaments, eau potable et en divers non vivres). Cependant, ces
interventions tout en étant utiles et louables demeurent
néanmoins inefficaces et sans impacts réels sur le terrain en
raison de leur caractère purement sectoriel ne prenant en
considération que les dimensions relatives à l'alimentation et
à la santé sans tenir compte des questions liées à
l'aménagement du territoire et au bien-être complet des
populations victimes. Elles se caractérisent, en outre, par la
dispersion des efforts, le manque de coordination et de planification et
l'absence d'une vision globale à moyen et long terme.
La population prend progressivement conscience de la
dangerosité de la situation et se mobilise pour lutter contre ces
dégradations de l'environnement et les calamités qui en
résultent en créant des associations, des syndicats d'initiatives
et parfois des regroupements momentanés. Mais sans moyens
conséquents ni expertise éprouvée dans un domaine aussi
complexe, leurs actions revêtent un caractère dérisoire.
L'Etat doit créer des conditions pour la jouissance pleine et
entière de tous les droits humains fondamentaux: seul l'Etat peut
mobiliser des ressources matérielles, financières et humaines
suffisantes pour assurer l'amélioration des conditions de vie, la
réhabilitation et l'amélioration de la qualité de
l'environnement global ainsi que l'assainissement du milieu. Des efforts
énergiques et planifiés sur le court, moyen et long terme avec la
participation consciente et active de la population sont indispensables pour
l'édification d'un environnement de qualité pouvant
répondre aux besoins essentiels des hommes et capables de favoriser
l'épanouissement des individus et des collectivités ainsi que
l'harmonie entre les groupes sociaux (Maldague et al, 1997).
Pour assurer à tous une meilleure qualité de
la vie, les droits à jouir d'une meilleure prise en charge des
catastrophes par la collectivité avec l'aide de la communauté
internationale, les droits à un environnement sain et au
développement doivent être garantis pour tous sans discrimination.
Selon la Commission des droits de l'Homme des Nations - Unies citée par
Vichninc (1981), le droit au développement comprend « le droit
à la vie, le droit à un niveau minimal d'alimentation,
d'habillement, de logement et des soins médicaux, le droit à un
minimum de sécurité et à l'inviolabilité de la
personne, le droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion et le droit à la participation, condition
essentielle à la jouissance de tous les autres droits. Il faut un
développement qui respecte l'Homme et sa culture et qui vise la
satisfaction de ses besoins essentiels. De plus, le droit à un
environnement sain est un élément important de la qualité
de la vie. En effet, comme le disent Kabala et Maldague (1993), il n'y a pas de
développement humain et durable sans environnement de qualité. En
République Démocratique du Congo, on croit à tort que les
Droits de l'Homme sont liés uniquement aux libertés civiles et
politiques ; on ne pense généralement pas aux autres Droits
notamment au Droit à un environnement sain et au droit au
développement.
En effet, le développement est un processus par lequel
les individus et les sociétés se dotent de la capacité de
satisfaire leurs propres besoins et d'améliorer leur qualité de
vie (Durning, 1989); d'autres estiment que c'est la modification de la
biosphère et l'emploi des ressources humaines, financières,
vivantes et non vivantes, pour satisfaire aux besoins des hommes et
améliorer la qualité de leur vie (UICN, 1980). Pour la Banque
mondiale (1992), « qui dit développement, dit forcément
amélioration des conditions de vie des populations ». Dans
tous les cas, deux éléments principaux doivent être
retenus : la satisfaction des besoins essentiels des hommes et
l'amélioration de la qualité de la vie. Un tel
développement doit être compatible et en équilibre avec les
exigences d'un environnement écologiquement sain pour être durable
et être réellement bénéfique pour l'homme. La
République Démocratique du Congo doit s'orienter vers une
société plus humaine où l'homme, jouissant de tous ses
droits fondamentaux, trouve toutes les conditions propices à son
développement et à son bien - être ainsi qu'à ceux
de sa famille. Tels sont les défis à relever pour un
aménagement rationnel et l'amélioration de la qualité de
vie des populations dans le bassin versant de la rivière N'Djili.
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