2.2.2. Théories sur l'adoption et la diffusion de
technologies
2.2.2.1. Théories relatives à la
réticence des paysans à l'adoption des innovations
Les tentatives visant à trouver les solutions
nouvelles, faciles et rapides en Afrique subsaharienne, se sont souvent
heurtées à la réticence des communautés paysannes
à adopter les nouvelles techniques (Quenum, 1983). Dans la
littérature, la réticence des paysans africains à
l'adoption des paquets technologiques a été différemment
appréhendée par les acteurs. A cet effet, Daane et al.,
(1992) ont regroupé les différentes théories sous
quatre grandes tendances ou théories majeures. Ces théories sont
assez distinctes bien que certaines se complètent ou se chevauchent.
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Léonie KOUMASSA : Thèse d'Ingénieur
Agronome, Décembre 2007
Contribution de la micro-finance à l'adoption de nouveaux
paquets technologiques de production de riz dans le département des
Collines
Premièrement, nous avons les théories concernant
la diffusion des innovations dont l'auteur le plus
connu est Everett Rogers. Selon cette théorie, la réticence
à adopter des innovations est due à la prédominance, dans
les sociétés paysannes, d'attitudes et de valeurs
traditionnelles, une préférence pour les habitudes et anciennes
façons de faire, une résistance au changement. Cette
théorie simplifie trop l'échec de la diffusion des innovations
parce qu'elle l'attribue aux seuls facteurs liés aux paysans. Elle
soutient que les producteurs, taxés de « traditionnels »
restent accrochés aux méthodes et aux manières de faire
héritées de leurs parents et préfèrent les
conserver. Développée à l'origine pour expliquer
l'adoption d'une innovation à l'intérieur d'un groupe social,
cette théorie peut également s'appliquer au comportement
d'adoption au niveau individuel (Moore et Benbasat, 1991). Or, bien qu'il
prenne en compte des éléments relatifs à la perception des
individus concernant les attributs d'une innovation, ce modèle demeure
toutefois limité car il ne permet pas d'expliciter clairement les
relations entre ces caractéristiques et les comportements d'adoption
(Chau et Tam, 1997). En outre, des analyses menées sur les
systèmes « traditionnels » de production nous
révèlent de nos jours que cette théorie du paysan
conservateur est insuffisante et dépassée. Son utilisation pour
notre étude limiterait donc nos analyses.
La deuxième catégorie met un accent particulier
sur les mauvaises expériences que les paysans ont eues par le
passé avec les organismes d'intervention de l'Etat (non pas uniquement
avec les services de vulgarisation) dont les interventions ont souvent
été très défavorables aux paysans. Quelques auteurs
de ces théories sont : Hart, Jacquemot, Belloncle, Godin et Fieldhouse.
Pour ces auteurs, seuls les organismes d'intervention sont à remettre en
cause à cause de leur passé et de leurs méthodologies
d'intervention. Ils ne font pas la relation entre la réticence des
paysans et leur milieu. Or, le milieu paysan est diversifié selon la
disponibilité des ressources, le mode de gestion des produits et
l'organisation du travail, ce qui est important de prendre en compte dans une
analyse sur la réticence des paysans à l'adoption d'une
innovation.
Toujours, Daane et al., (1992) distinguent à
la suite de cette deuxième catégorie de théories, les
théories qui attribuent la résistance des paysans aux innovations
techniques à la crainte qu'ils ont d'intégrer le marché et
d'en devenir dépendant au point où les anciennes relations de
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distribution et les anciennes relations sociales ne soient
affectées, les exposant à la dure réalité des
forces du marché capitaliste sous l'impact desquelles nombre d'entre eux
périraient. On trouve ces théories dites de
l'économie morale chez les auteurs comme Wolf,
Scott et Hyden. L'insuffisance de ces théories réside dans le
fait qu'elles enlèvent au paysan, la capacité de faire un choix
objectif par rapport à ses ressources et aux possibilités que lui
offre son environnement. Généralement, avant d'opérer son
choix sur une innovation, le paysan fait la balance entre les avantages et les
inconvénients que lui offre cette innovation. Nous ne pourrons donc pas
l'utiliser dans le cadre de notre étude.
Quant à la dernière catégorie de
théories regroupées sous le nom de l'économie
politique dont les quelques acteurs sont Schultz, Wharton, Ortiz,
Popkin..., elle voit le paysan comme essentiellement rationnel quant à
ses actions économiques et politiques. Confronté à un
problème, l'individu essaye de comparer les avantages et les
inconvénients de l'adoption et de la non adoption de l'innovation
à court et à long terme pour lui-même et pour ses proches ;
évidemment dans cette comparaison, il ne tient pas seulement compte de
critères économiques, mais aussi de critères sociaux et
politiques. Comme l'adoption d'une innovation signifie la plupart du temps une
ré-allocation de ressources productives de l'unité domestique de
production, ceci implique souvent que la balance des intérêts des
diverses personnes au sein et en dehors de l'unité change. Dans cette
optique, si le paysan n'adopte pas une innovation, c'est soit parce qu'il ne
veut pas, soit parce qu'il ne peut pas l'adopter. Dans le cas où le
paysan ne veut pas l'adopter, cela serait dû au fait que d'autres
allocations de ses ressources productives rares lui donnent plus d'avantages ou
qu'il y a trop de risques à adopter l'innovation. S'il ne peut pas
adopter l'innovation, c'est parce qu'il lui manque de ressources essentielles
ou parce qu'il craint que les ennuis que peuvent lui causer les personnes
dupées soient plus importants que les avantages qu'il peut en tirer.
En somme, le paysan traditionnel a sa logique et ses
décisions sont hautement rationnelles.
Les théories de l'économie politique
contrairement aux autres théories prennent en compte pour
les causes de non adoption d'innovations, aussi bien les facteurs liés
à l'environnement socio-économique du paysan que ceux liés
à son environnement externe (marché et
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Contribution de la micro-finance à l'adoption de nouveaux
paquets technologiques de production de riz dans le département des
Collines
interventions des organismes de vulgarisation par exemple).
C'est pourquoi, cette approche théorique de réticence des paysans
à l'innovation semble être la mieux adaptée dans le cadre
de cette étude. Pour ce faire, un certain nombre de facteurs relatifs
aussi bien à l'environnement socio-économique du producteur
qu'à son environnement externe et pouvant influencer l'adoption ou la
non adoption seront testés.
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