L'enseignement de la lecture en Afrique noire. Cas de quelques collèges de Brazzaville( Télécharger le fichier original )par Martin GUIMFAC Université Marien Ngouabi - Diplôme d'études approfondies 1999 |
CHAPITRE IV
Le chapitre précédent nous a permis de présenter notre méthodologie de collecte des données. Il s'est agi en effet de proposer un questionnaire et des tests aux sujets expérimentaux. Les réponses au questionnaire nous ont permis de collecter des informations relatives à leur identité, à leur milieu socioculturel de résidence, à leurs pratiques et à leurs supports d'apprentissage de la lecture. Ces données sont constituées de facteurs qualitatifs. Pour rendre la lecture de l'étude aisée, nous avons préféré ne présenter que les résultats et non les données brutes, comme nous l'avons précédemment noté. Le présent chapitre vise donc l'exposition des modalités de traitement des données d'une part, et celle des résultats d'autre part, et enfin la vérification méthodique des hypothèses de recherche. 1. Traitement des donnéesLe traitement des données est une étape centrale du travail de recherche. Elle est indispensable pour toute étude qui se veut scientifique. C'est sur elle que repose la vérification de l'hypothèse générale. Nous rappelons que notre hypothèse générale génère trois hypothèses secondaires, en fonction desquelles nous avons élaboré nos instruments de collecte des données. Les données que nous avons recueillies sont de deux ordres : les données qualitatives et les données quantitatives. Les premières font référence aux renseignements relatifs au milieu de résidence des apprenants sur lesquels nous avons enquêté et leur pratique de la lecture. Elles concernent nos deux premières hypothèses secondaires. Les secondes désignent les innovations que nous avons introduites dans les pratiques pédagogiques actuelles dans les classes expérimentales. Elles sont en relation avec notre troisième hypothèse secondaire. Ainsi, nous distinguons deux types de traitement des données : le traitement des données qualitatives et celui des données quantitatives. A. Le traitement des données qualitativesLe traitement des données qualitatives implique deux étapes principales : la classification de l'information d'une part, l'analyse proprement dite des données d'autre part. En ce qui nous concerne, la classification consiste à ranger les faits recueillis à l'intérieur des deux catégories que nous avons prédéterminées en fonction de notre cadre opératoire et des instruments d'analyse que nous avons mis au point. En effet, nous avons déterminé d'avance deux catégories de renseignements : les renseignements relatifs au milieu de résidence des apprenants de la classe de 3ème d'une part, et ceux relatifs à leur pratique de la lecture d'autre part. En vue de l'analyse proprement dite des données qualitatives, nous recourons à l'analyse qualitative. Nous partageons la définition de l'analyse qualitative que propose Gordon Mace (1988) : L'analyse qualitative est un exercice structuré de mise en relation logique de variables et, par voie de conséquence, de catégories de données. C'est le type d'exercice par lequel on tente de reproduire logiquement un schéma mental d'une interrelation entre phénomènes, en essayant de vérifier, par l'observation, le degré de correspondance entre cette construction de l'esprit et la situation réelle65(*). Le traitement des données relatives au milieu de résidence Des informations que nous avons recueillies sur le milieu de résidence des apprenants sur lesquels nous avons enquêté, nous avons sélectionné les éléments qui favorisent l'enseignement-apprentissage de la lecture. Ils sont constitués de douze (12) caractéristiques individuelles et contextuelles : le caractère adolescent des apprenants, la sous-scolarisation des filles, le niveau d'études des mères, leur origine socioprofessionnelle, le niveau d'études des pères, leur origine socioprofessionnelle, leur statut matrimonial, la disponibilité d'un cadre d'études, la disponibilité d'une table d'études, le moyen d'éclairage utilisé, le moyen d'information choisi, la répartition par arrondissement des apprenants. Ces éléments du milieu socioculturel de résidence jouent un rôle important dans l'enseignement-apprentissage de la lecture tout comme dans celui de toutes les disciplines scolaires. Il s'agit des facteurs suivants : Le caractère adolescent des apprenants Les apprenants sur lesquels nous avons enquêté sont âgés de 12 à 19 ans. Or, les adolescents sont les individus dont l'âge varie entre 10 et 20 ans. Donc, nos sujets expérimentaux sont des adolescents et des adolescentes. Au cours de la période d'adolescence, il est établi que : - l'individu progresse du stade de l'apparition initiale des caractères sexuels secondaires à celui de la maturité sexuelle ; - les processus psychologiques et les modes d'identification de l'individu évoluent de ceux qui sont propres à un enfant à ceux qui caractérisent un adulte ; - l'individu passe de l'état de dépendance sociale et économique totale à celui d'indépendance relative. A la suite de cette description de l'adolescence, nous nous demandons si un individu agité par toutes ces pulsions sexuelles, psychologiques, identitaires et économiques peut véritablement se concentrer sur l'apprentissage de la lecture. La lecture étant un acte éminemment individuel qui exige un minimum d'isolement, de tranquillité et une attention soutenue. Les adolescents sont partagés entre le désir d'établir leur propre personnalité et le puissant besoin d'appartenance à leur classe sociale. Il en résulte qu'ils peuvent être influencés par leurs camarades, peut-être d'une façon qui va à l'encontre des aspirations de leur famille qui aimerait les voir savoir lire. Les adolescents sont également écartelés entre le désir d'assouvir pleinement leur besoin sexuel et disposer des moyens financiers pour paraître au milieu de leurs camarades surtout de la classe de 3ème. Ainsi, l'apprentissage et la pratique de la lecture deviennent des préoccupations de second plan. Un adolescent préfère s'offrir un produit à la mode plutôt qu'un livre de lecture. Nous constatons que ce sont les dispositions mentales qui commandent les attitudes de certaines adolescentes et de certains adolescents. L'une des conséquences immédiates de ce comportement est leur choix de la télévision comme moyen d'information et de distraction au détriment de la lecture. La sous-scolarisation des filles La sous-scolarisation des filles que nous avons relevée au cours de l'enquête semble cacher un autre phénomène : leur déperdition scolaire. En effet, dans les classes de 6ème des collèges d'enseignement général où nous avons réalisé l'enquête, le nombre de filles est sensiblement équivalent à celui des garçons. Mais, au fur et à mesure que les cohortes progressent d'un niveau à un autre, la régression du nombre de filles s'accroît. L'abandon scolaire des filles semble être dû principalement aux grossesses précoces. Les adolescentes enceintes abandonnent les classes sans avoir aucune chance de pouvoir y retourner par la suite. Le retour d'une adolescente mère dans sa classe d'origine peut s'avérer impossible car elle peut être considérée comme un mauvais exemple pour les autres camarades. Une grossesse précoce est souvent perçue comme une source de déshonneur pour l'adolescente et sa famille toute entière. Les fortes pressions sociales qui s'exercent sur l'adolescente enceinte la contraignent à abandonner les études. Dans certains cas, les conséquences sont plus graves. L'adolescente peut s'installer dans un état de vieille fille. Souvent, elle est contrainte soit à se marier, soit à commettre un avortement illicite et parfois à se suicider, dans les cas extrêmes. Ainsi, les effets d'une grossesse précoce peuvent être dévastateurs aux points de vue éducatif, social, et économique pour une adolescente de la classe de 3ème dont la réussite au Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC) aurait pu ouvrir les perspectives nouvelles pour la vie. Le niveau d'études des mères des apprenants Nous avons constaté lors de l'enquête que 78% des mères des apprenants sont du niveau d'études secondaire. Les adolescents et les adolescentes d'aujourd'hui étant les adultes de demain, le faible niveau d'études des mères peut être l'une des conséquences de la déperdition scolaire que nous venons d'exposer. Par ailleurs, les conflits entre les parents et les adolescentes à propos de la sexualité par exemple peuvent être aussi à l'origine des abandons scolaires. Une adolescente qui abandonne les études, finit par devenir mère. Les adolescentes mères, qu'elles soient mariées ou célibataires, s'exposent à de nombreuses difficultés financières. Les filles mises au monde par les adolescentes ont de forts risques de devenir elles aussi mères adolescentes. Le cycle de pauvreté s'en trouve perpétué. Les apprenants issus de cette catégorie de mères ont besoin d'un soutien scolaire. Leurs mères ne disposent pas souvent de moyens intellectuels requis pour le leur apporter. Elles ont un niveau scolaire proche de celui des enfants car elles peuvent avoir abandonné les études quelques années plus tôt en classe de 3ème, niveau auquel fréquentent leurs enfants. Le niveau d'études des mères a par ailleurs une implication sur leur catégorie socioprofessionnelle. La profession des mères des apprenants Au cours de l'enquête, nous avons observé que 41% des mères des apprenants sont des ménagères. Lorsque les chances d'éducation des adolescentes ont été compromises à la suite des abandons scolaires, leurs perspectives d'emploi sont réduites de sorte qu'il est vraisemblable qu'elles continueront à dépendre des autres personnes pour leurs moyens d'existence. Cela peut contribuer à perpétuer la condition inférieure de nombreuses femmes dans la société congolaise d'une génération à une autre. Le niveau d'études des pères des apprenants Lors de l'enquête que nous avons menée, nous avons noté que 48% des pères des apprenants ont le niveau de l'enseignement secondaire et 47,5%, celui de l'enseignement supérieur. Donc 95,5% des pères des apprenants ont au moins le niveau d'études secondaire. Une telle configuration aurait pu constituer un privilège culturel important pour l'apprentissage de la lecture par les enfants. Mais ces parents eux-mêmes ne lisent pas ou lisent peu. Si les enfants les voyaient se servir de la lecture pour résoudre leurs problèmes quotidiens, ils prendraient conscience de l'importance de la lecture et seraient probablement plus motivés pour l'apprentissage et la pratique de cette discipline fondamentale. Nous pouvons penser qu'une société dans laquelle les citoyens ne lisent pas ou lisent peu, reproduit des enfants peu lecteurs car ces derniers voient rarement les livres chez eux. Nous partageons l'analyse selon laquelle le livre se voit presque condamné à la clandestinité, à tel point que de l'avis de nombreux observateurs culturels les Africains ne lisent pas ou lisent très peu. Ainsi, il est peu probable que les enfants soient des lecteurs lorsque leurs parents ne le sont pas, dans une société où la lecture n'est pas un fait culturel. Cependant, un bon niveau d'études peut prédisposer un individu à une bonne catégorie socioprofessionnelle et, partant, à une réelle ascension sociale. La catégorie socioprofessionnelle des pères des apprenants Nos résultats d'enquête révèlent que 51% des apprenants sont issus des parents des professions scientifiques, techniques, libérales et assimilées ; 11%, des personnels administratifs et travailleurs assimilés ou du personnel commercial et vendeur et 6%, d'ouvriers et manoeuvres. Une telle configuration socioprofessionnelle des parents devrait garantir aux enfants une aisance matérielle certaine. Elle peut être un facteur important dans l'apprentissage de la lecture, comme dans celui de toutes les autres disciplines scolaires. La qualité de l'alimentation, le temps de sommeil et celui des études sont importants pour la nature des apprentissages scolaires. Ordinairement, la catégorie socioprofessionnelle du père apparaît comme un facteur important dans la réussite scolaire des enfants. La profession du père souvent en congruence avec son niveau d'études lui permet d'acquérir une relative aisance matérielle et un certain confort culturel qui ont, dans la plupart des cas, une incidence sur le travail scolaire des enfants. Au regard des résultats de notre étude, nous avons le sentiment que les apprenants ne tirent pas toujours autant de profit espéré du privilège économique et culturel que leur confère la profession de leur père ou tuteur. Bien d'autres facteurs comme l'établissement, la classe, la compétence du professeur et l'environnement semblent déterminer la réussite ou l'échec scolaire des adolescents. Il est probable que cela tienne de deux facteurs : Premièrement, il y a comme une véritable démission parentale des tâches d'éducation scolaire des enfants en Afrique noire en général. Les pères se déchargent très souvent sur les mères. Les occupations professionnelles de celles-ci ainsi que leurs tâches ménagères ne leur laissent guère le temps de jouer leur rôle d'éducatrice et d'accompagnatrice du travail scolaire des enfants qui en ont le plus besoin. Deuxièmement, les adolescents passent le plus clair du temps journalier en compagnie des pairs du même groupe d'âge, et en dehors de la famille. Nous avons indiqué qu'ils peuvent être influencés par leurs camarades de façon qui va à l'encontre des aspirations de leurs parents. Un tel constat conduit à souhaiter que la famille s'engage à prendre en charge le suivi et l'accompagnement du travail scolaire des enfants. Ainsi, la qualité des apprentissages d'un enfant n'est pas uniquement tributaire de la catégorie socioprofessionnelle de son père. D'autres paramètres semblent influencer positivement ou négativement le travail scolaire des adolescents et des adolescentes. Son résultat peut dépendre de l'aisance matérielle du ménage. Celle-ci à son tour peut dépendre du statut matrimonial du chef de famille et de la taille de celle-ci. Le statut matrimonial du père Nos résultats d'enquête montrent que 81% des apprenants sont issus des parents monogames. La monogamie désigne un régime juridique dans lequel une personne ne peut avoir légalement qu'un seul conjoint. Dans cette définition, nous insistons sur l'adverbe légalement parce qu'il arrive parfois qu'au moment où un Brazzavillois se prononce pour la monogamie devant un officier d'état civil, une amante l'attend dans un « ganda » (buvette populaire). Un tel comportement est assez fréquent en Afrique noire en général. Dans ces conditions, l'apparente aisance matérielle supposée pour les couples monogames peut se transformer en difficultés de toutes sortes au point où certains apprenants issus de tels ménages ne disposent ni de manuels de lecture, ni des oeuvres au programme. Il leur arrive de ne même pas avoir des moyens financiers pour s'abonner à une bibliothèque. La disponibilité d'un cadre ou s'une salle d'études à domicile A partir des résultats de notre enquête, nous avons remarqué que 83% des apprenants disposent d'un cadre d'études à domicile. Nous avons indiqué que cela tient de ce que la majorité des apprenants de notre échantillon sont issus des personnes des professions scientifiques, techniques, libérales et assimilées. Le bon niveau de vie d'un ménage peut garantir des conditions matérielles d'apprentissage des enfants. Avec Michèle Bedoucette et Frédérique Cuisiniez (1997), nous affirmons que : Les bonnes conditions dans lesquelles la lecture s'effectue jouent un rôle non négligeable dans l'efficacité et le plaisir de la lecture66(*). Ainsi, les parents ayant un niveau de vie intéressant, disposent des structures favorisant les apprentissages extrascolaires des enfants. La disponibilité d'une table d'études Les résultats de l'enquête que nous avons menée auprès de notre échantillon, révèlent que 61,7% d'apprenants disposent d'une table à la maison. Mais, elle n'est pas spécialement destinée à leurs études. Ce mobilier a une autre fonction. Il sert de table à manger et participe du confort matériel du ménage. Le moyen d'éclairage utilisé Le dépouillement de l'enquête que nous avons réalisée, établit que 72% d'apprenants vivent dans des maisons électrifiées. Nous notons que cela est un indicateur du niveau de vie et du privilège économique de leurs parents. Le niveau de vie d'un citoyen peut être tributaire pour l'essentiel de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il appartient. La catégorie socioprofessionnelle du chef de famille détermine habituellement le privilège économique dont jouissent ses enfants. Ainsi, ce privilège est par ailleurs un facteur important dans les apprentissages scolaires, étant donné qu'il favorise l'acquisition des moyens matériels requis pour une vie décente et, partant, pour une bonne scolarité supposée des enfants. Le moyen d'information choisi Le dépouillement des données nous révèle qu'une importante majorité des apprenants choisissent la télévision comme moyen d'information au détriment de la lecture et de la radio. Ce constat pourrait s'expliquer par le faible taux de couverture de Brazzaville en milieux de lecture et un environnement enclin à la facilité. En effet, la télévision exerce sur l'esprit des enfants une grande séduction parce qu'elle diffuse à longueur de journées une successivité d'images aiguisant ainsi leur agilité visuelle et mentale. Nous remarquons qu'en ce début du XXIe siècle, la lecture est concurrencée par la télévision et les médias en Afrique noire en général. Certes, ils invitent à la facilité mais ils nourrissent et entretiennent en même temps la culture des apprenants par les spectacles qu'ils présentent et les informations qu'ils véhiculent. La télévision devient pour les apprenants le principal moyen d'information et leur bonne mémoire les prédispose à la rétention de nouveaux éléments contribuant à la consolidation de leur culture. C'est pourquoi, cette catégorie d'apprentis lecteurs paraît plus performante en ce qui concerne la variable « oeil et esprit exercés ». Par ailleurs, la lecture étant un acte éminemment individuel et nécessitant une attention soutenue, nous nous demandons avec le Professeur Mukala Kadima-Nzuji (2004) : Si elle peut raisonnablement s'exercer pleinement dans une société qui fonctionne assez largement sur la base de l'esprit communautaire plutôt qu'individualiste et sur le mode de l'oralité plutôt que de l'écrit67(*). L'arrondissement de résidence des apprenants La répartition des apprenants par arrondissement se révèle disproportionnée. Cette disproportion est due à des raisons de proximité des apprenants par rapport aux établissements que nous avons retenus pour les besoins de l'enquête. Tous les arrondissements de Brazzaville présentent un environnement semblable. Il est caractérisé par l'insuffisance des lieux de lecture (bibliothèques, librairies, kiosques à journaux, cybercafés, centres de lecture, centres de documentation et d'information) et la présence des médias comme la télévision et la radio. Un tel environnement invite plus à la facilité qu'à l'effort d'isolement, de tranquillité et d'attention soutenue qu'implique la lecture. Marc Talansi a pu écrire que le Congolais ne lit pas assez et Brazzaville ne constitue pas un environnement propice pour la lecture. Nous convenons par ailleurs que le livre ne bénéficie pas du même réseau de distribution que la chanson de variété à tel point qu'il s'agisse de sa production ou de sa réception, il demeure l'affaire d'une minorité. En Afrique noire et singulièrement dans les deux Congo, les maisons d'édition et les librairies sont quasi inexistantes, le nombre de centres de lecture insignifiant et la politique du livre inefficace. En somme, le milieu de résidence des apprenants sur lesquels nous avons enquêté, tel qu'il fonctionne actuellement, offre toutes les conditions matérielles pour une vie confortable. En revanche, il n'assure pas toujours des conditions intellectuelles pour les études et il y a constat d'échec de l'enseignement-apprentissage de la lecture. Cela confirme la justesse de notre hypothèse selon laquelle certains éléments du milieu favorisent mieux l'enseignement-apprentissage de la lecture et, quand ils ne la favorisent pas, ils demeurent non défavorables. Après avoir montré le caractère non propice pour la lecture du milieu de résidence des apprenants qui ont constitué nos sujets de l'enquête, nous abordons l'analyse des données qualitatives relatives à leur pratique de la lecture. Le traitement des données relatives à la pratique de la lecture Des renseignements que nous avons collectés à propos de la pratique de la lecture des apprenants qui ont constitué nos sujets de l'enquête, quatre caractéristiques individuelles permettent de décrire leur pratique de la lecture. Ce sont le manque de manuel de lecture, le choix des bandes dessinées comme support de lecture, l'abonnement à une bibliothèque, la pratique effective de la lecture à travers l'établissement, le type de classe et la classe. La pratique régulière de la lecture est importante pour l'amélioration de la qualité de la lecture individuelle et de l'enseignement-apprentissage de la lecture en général. Cette pratique est caractérisée par les facteurs suivants : Le manque de manuels de lecture Nous avons relevé qu'aucun apprenant de notre échantillon expérimental ne dispose ni du manuel de lecture ni des oeuvres indiquées au programme scolaire. Certains vont jusqu'à ignorer totalement les noms des titres des manuels et des oeuvres inscrits au programme scolaire. D'autres confondent le titre de l'oeuvre de Jean-Marie Adiafi, La Carte d'identité à leur carte d'identité personnelle. Les plus brillants font plutôt référence au Mandat, oeuvre de Sembène Ousmane dans laquelle il est question de la carte d'identité d'Ibrahima Dieng, personnage principal, pour pouvoir toucher le mandat que son fils lui a envoyé d'Europe. Un tel phénomène peut être dû à plusieurs facteurs : Premièrement, nous avons relevé précédemment que le refus des adolescents et des adolescentes d'acheter les livres est un choix délibéré tributaire sans doute de leurs dispositions personnelles et non d'une quelconque pauvreté, comme on a souvent tendance à le croire. En Afrique noire, l'achat des manuels scolaires ou des livres parascolaires relève beaucoup plus des contraintes imposées par l'école que d'une simple volonté personnelle. Deuxièmement, la pauvreté qui ne permet pas aux parents d'élèves de disposer des moyens financiers suffisants pour acheter les fournitures scolaires de leurs enfants. Les politiques d'ajustement structurel sont à la base du rabattement des salaires des agents de l'Etat congolais depuis près de deux décennies. L'Etat étant le principal employeur, comme dans bon nombre de pays africains, la pauvreté s'est installée réduisant de nombreuses familles à la mendicité. Les derniers événements sociaux, élégamment appelés bêtise humaine, n'ont fait que ruiner les espoirs de prospérité qui pointaient à l'horizon pour quelques familles. Troisièmement, des décennies du socialisme ont habitué les apprenants des écoles congolaises à ne pas acheter les fournitures scolaires. La culture de l'effort a fait place au militantisme. L'agitation a été pendant longtemps le gage de la réussite sociale et la culture de la médiocrité a pris corps dans de nombreux secteurs de la vie nationale. Quatrièmement, l'indisponibilité des manuels et oeuvres inscrits au programme scolaire est chronique dans le pays. La dislocation de l'Office National des Librairies Populaires (ONLP) a mis fin à l'embryon de circuit de distribution des livres qui existait dans ce pays. La politique du livre étant inefficace, celle du manuel scolaire est défaillante. La Société Congolaise de Distribution et de Recouvrement (SCDR) des manuels scolaires est une excellente initiative qui ne se limite malheureusement qu'à l'enseignement primaire. Nous avons l'impression que cette initiative reste insuffisante dans la mesure où elle n'opère que sur les ouvrages financés par l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie (AIF). En effet, à la suite de la Convention de Diffusion - Distribution des manuels scolaires n°AG/DLE/BK/1999 1241-041 entre l'Agence et la Société Congolaise de Distribution et de Recouvrement (SCDR), société congolaise de droit privé, les manuels de français et ceux de mathématiques sont désormais disponibles sur toute l'étendue du territoire national. Ainsi, l'environnement de Brazzaville reste pauvre en manuels scolaires du second cycle. Une telle pauvreté en supports écrits est un handicap qui ne saurait favoriser l'apprentissage et la pratique de la lecture, même si par ailleurs le manque de manuel de lecture n'est plus un handicap incontournable pour l'enseignement-apprentissage de cette discipline fondamentale. Nous pensons que le recours à une dynamique partenariale peut être l'une des solutions pour espérer parvenir à un ratio d'un livre par apprenant en Afrique noire. Et plus généralement que ce soit pour l'acquisition des manuels scolaires, la construction des infrastructures ou même le renforcement des capacités des personnels, l'Afrique noire a besoin d'une forte dynamique partenariale. Le contexte politique et socio-économique actuel de l'Afrique noire conduit à repenser les modes de gestion des systèmes éducatifs dans leur ensemble. Une bonne dynamique partenariale permet d'identifier et de reconnaître dans les faits le rôle et la compétence des différents partenaires afin de favoriser la qualité et l'équité de l'éducation et de répondre aux contraintes internes et externes des systèmes éducatifs africains d'aujourd'hui. Ce nouveau mode de gestion repose sur une vision partagée et réaliste de l'éducation. Elle implique une démarche d'ouverture à l'autre, le partage des pouvoirs, des compétences et des responsabilités. Elle conduit à la valorisation et à la complémentarité de tous les acteurs concernés ainsi qu'à la reconnaissance des apports et des gains mutuels. Par ailleurs, plusieurs Etats en Afrique noire pourraient s'organiser pour utiliser les mêmes livres, ne serait-ce que dans des disciplines fondamentales comme la lecture, les mathématiques et les sciences. Il s'agit d'harmoniser d'abord les programmes d'enseignement à l'échelle régionale ou sous-régionale. Les projets éditoriaux plus étendus deviendraient plus attrayants tandis que les économies d'échelle seraient à l'avantage des utilisateurs. Une telle politique contribuerait à réduire sensiblement le coût des manuels scolaires. Cela pourrait être avantageux pour les pouvoirs politiques. Une telle initiative renforcerait le sentiment d'appartenance des citoyens à une même zone comme la communauté économique et monétaire des états de l'Afrique centrale ou l'union monétaire de l'Afrique de l'ouest. Le support de lecture utilisé Plus de la moitié des sujets de notre échantillon portent leur choix sur les bandes dessinées. Ce choix semble contraster avec l'insuffisance de ce support dans les lieux de lecture de notre ville comme nous l'avons précédemment noté. La lecture de la bande dessinée paraissant facile fascine de nombreux apprenants. En réalité, certains apprenants qui ont prétendu qu'ils lisent les bandes dessinées voulaient plutôt dire qu'ils préfèreraient les bandes dessinées à la place des journaux et des livres des parents car ils n'ont pu nous citer le titre d'une seule bande dessinée connue d'eux, au cours de l'enquête complémentaire que nous avons réalisée. Nous rappelons que nous avons été obligés d'organiser cette enquête complémentaire afin de mieux élucider le contraste que nous avons constaté au cours du dépouillement des données que nous avons eu à collecter. La répartition des apprenants par établissement, classe et type de classe. Cette répartition des apprenants de notre échantillon selon les facteurs scolaires est équitable pour des besoins d'expérimentation. C'est au cours de l'enseignement-apprentissage de la lecture que les apprenants la pratiquent effectivement. Une telle pratique est limitée par trois facteurs : - La fréquence des cours de lecture (deux heures par semaine) nous paraît insuffisante. - La méthodologie qui consacre la lecture de deux ou trois bons élèves est un handicap pour la pratique effective de la lecture pour tous les apprenants. Pendant que les trois élèves supposés bons lecteurs se produisent les autres sont réduits au rôle de spectateurs passifs. Et nous nous demandons à partir de quels critères sont-ils jugés bons lecteurs alors que dans la pratique, bon nombre d'entre eux demeurent au stade de l'exploration syllabique. - La leçon de lecture ne produit pas les résultats escomptés parce que les supports d'enseignement-apprentissage de cette discipline fondamentale font défaut. Alors certains professeurs, comme nous l'avons noté précédemment, recopient le texte au tableau. Cette pratique réduit le nombre de textes que les apprenants peuvent lire au cours d'une année scolaire. Dans certains cas, la formation des professeurs ne leur permet pas de procéder autrement, quand bien même ce prétendu handicap peut, de nos jours, être tout à fait contourné. En somme, nos deux premières hypothèses secondaires se vérifient. Le manque de support d'apprentissage ne favorise pas actuellement la bonne qualité de l'enseignement-apprentissage de la lecture et, partant, sa pratique dans les classes de 3ème. Les résultats des apprenants en lecture sont décriés au point que l'échec en lecture est souvent perçu comme celui de toute la scolarité. Au neuvième chapitre intitulé perspectives, des propositions d'amélioration de la contribution du milieu et du minimum de support pluriel d'apprentissage requis en vue de l'enseignement-apprentissage de la lecture seront mises en évidence. C'est pourquoi ce chapitre-là constitue le point d'orgue de notre étude. * 65. Gordon, MACE (1988), Guide de l'élaboration d'un projet de recherche, Québec, Les Presses de l'Université de Laval, p.93. * 66. Michèle, BEDOUET et Frédérique, CUISINIEZ (1974), op.cit. * 67. Mukala, KADIMA-NZUJI (2004), «Paroles et musique : pérennité du lien», Notre librairie, n° 154, avril-juin, p.17. |
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