L'enseignement de la lecture en Afrique noire. Cas de quelques collèges de Brazzaville( Télécharger le fichier original )par Martin GUIMFAC Université Marien Ngouabi - Diplôme d'études approfondies 1999 |
CHAPITRE III
Pour la collecte des données, sur les trois principales techniques nous en avons essentiellement retenu deux : l'enquête et l'expérimentation. L'enquête est une technique de sondage qui s'appuie sur les informations et les témoignages. Nous avons choisi de proposer un questionnaire d'enquête à l'échantillon afin de collecter les informations nécessaires à la vérification de nos hypothèses de recherche. L'expérimentation consiste à administrer un test de pré-apprentissage aussi bien aux groupes expérimentaux qu'aux groupes témoins. Par la suite, une intervention pédagogique a lieu uniquement dans les groupes expérimentaux. Enfin, le test de post-apprentissage intéressera aussi bien les groupes expérimentaux que les groupes témoins. 1. Administration du questionnaireAu cours de l'enquête, trois cents (300) apprenants âgés de 12 à 20 ans répartis en cent trente neuf (139) filles et cent soixante-un (161) garçons appartenant à trois établissements différents ont été soumis à un questionnaire. Des réponses collectées, nous avons prélevé les caractéristiques individuelles et contextuelles relatives au milieu de résidence et à la pratique de la lecture des apprenants susmentionnés. Ces caractéristiques constituent nos variables indépendantes. Elles sont vingt (20). Il s'agit en effet des variables sexe, âge, arrondissement de résidence, disponibilité d'une salle d'études, table d'études, autres lectures (journaux, livres des parents ou tuteurs, bandes dessinées), possession du manuel de lecture inscrit au programme, possession du roman recommandé au programme, possession de la pièce de théâtre indiquée au programme, abonnement à une bibliothèque, moyen d'information utilisé (télévision, radio, lecture), moyen d'éclairage utilisé (électricité, lampe à pétrole), profession du père (ou tuteur), son niveau d'études, son statut matrimonial, profession de la mère (ou tutrice), son niveau d'études, catégorie d'établissement, type de classe, et classe. La distribution des enquêtés en fonction de ces variables se présente ainsi : Premièrement par sexe, elle montre la disproportion entre les filles (46%) et les garçons (53%). Ce qui signifie que sur 100 apprenants, 46 seulement sont des filles. Nous relevons une sous-scolarisation des filles ainsi que l'indique le tableau ci-après63(*). Tableau n° 3 : Taux de scolarisation des filles par cycle
Une récente communication de la section Education de l'Organisation des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) à Brazzaville confirme les données statistiques que nous venons de présenter64(*). Ces statistiques s'expliquent aisément dans la mesure où dans la société congolaise comme dans la plupart des sociétés d'Afrique noire, la pauvreté, la puberté, les pesanteurs psychologiques, les grossesses non désirées, les accouchements précoces et l'environnement social sont souvent à l'origine des abandons scolaires des filles. Tableau n° 4 : Répartition des apprenants selon le sexe
Deuxièmement par groupes d'âge de 12 à 16 ans d'une part, de 17 à 20 ans d'autre part, elle révèle que ceux du premier groupe sont plus nombreux (61%) que ceux du deuxième (38%). L'âge modal en classe de 3ème est de 16 ans en moyenne en République du Congo, comme dans de nombreux Etats d'Afrique noire. Mais en ville, cet âge est de 14 ans. Cela provient probablement de la scolarité précoce des enfants et de la proximité des apprenants de leur établissement. Tableau n°5 : Répartition des apprenants selon l'âge
Troisièmement par arrondissement de résidence, elle est disproportionnée. Les arrondissements de résidence de la majorité des apprenants sont : l'arrondissement 3 (37%), l'arrondissement 5 (23%). Les arrondissements 2 (4%) et 4 (6%) sont habités par peu d'apprenants de notre échantillon. Une telle disproportion pourrait s'expliquer par des raisons de proximité des apprenants par rapport aux établissements que nous avons retenus pour l'enquête. Tableau n°6 : Répartition des apprenants selon l'arrondissement
Quatrièmement selon la disponibilité d'une salle ou d'un cadre d'études, elle montre que 83% des apprenants en disposent d'une, chacun. Seulement 17% n'en disposent pas. Cela tient probablement de ce que la majorité des apprenants de l'échantillon sont issus des personnes des professions scientifiques, techniques, libérales et assimilées. Les parents ayant un niveau de vie intéressant, disposent des structures qui devraient favoriser, en principe, une existence confortable et, partant les apprentissages extrascolaires de leurs enfants. Tableau n°7 : Distribution des apprenants selon la disponibilité d'un cadre d'études
Cinquièmement selon la disponibilité d'une table d'études, elle révèle que 61,7% des apprenants en disposent d'une. Cela participe du confort matériel du ménage. Les parents ayant un niveau de vie satisfaisant possèdent du mobilier nécessaire pour mener une vie décente avec l'ensemble de toute leur famille. Tableau n°8 : Distribution des apprenants selon la disponibilité d'une table d'études
Sixièmement selon le type de lecture, elle met en évidence que plus de la moitié (56%) d'entre eux portent leur choix sur les bandes dessinées et les 44% restant sont partagés entre les journaux (23%) et les livres des parents ou tuteurs (21%). Cette volonté des apprenants à lire les bandes dessinées contraste fort malheureusement avec l'insuffisance dudit support dans les lieux de lecture de la ville et particulièrement leur rareté dans les librairies. Tableau n° 9 : Distribution des apprenants selon le type de lecture
Septièmement selon la possession du manuel de lecture inscrit au programme scolaire, elle révèle qu'aucun apprenant ne le possède. Cela montre que la pratique de la lecture n'est qu'une activité scolaire pour ces apprenants car après l'école, ils ne sauraient pratiquer la lecture sans livres. C'est probablement pourquoi ils ne pratiquent aucune activité d'exploitation ultérieure du texte étudié en classe. Cette situation est vraisemblablement la même dans la plupart des Etats africains. Tableau n°10 : Distribution des apprenants selon la possession du manuel de lecture
Huitièmement selon la possession du roman recommandé au programme scolaire, elle indique qu'aucun apprenant ne le possède. Cela explique en partie la confusion que les apprenants de la classe de 3ème font entre leur propre carte d'identité et La Carte d'identité, roman de Jean Marie Adiafi. Cette triste réalité est partagée par les apprenants de nombreux pays d'Afrique noire. Le niveau de revenu des parents d'élèves est devenu tellement faible qu'ils se battent au quotidien pour survivre. En effet, on se demande comment les parents d'élèves africains pourraient agir autrement lorsque les prix des matières premières produites en Afrique ne sont pas fixés par les producteurs eux-mêmes. Tableau n°11 : Distribution des apprenants selon la possession du roman au programme
Neuvièmement selon la possession de la pièce de théâtre indiquée au programme scolaire, elle met en évidence qu'aucun apprenant ne la possède. Cela montre que la lecture suivie et dirigée ne peut être préparée à la maison. Dans la plupart des cas, elle n'est pas faite du tout car certains apprenants de la classe de 3ème ignorent les titres des oeuvres inscrites au programme scolaire. Si la lecture suivie et dirigée était régulièrement pratiquée, il aurait été difficile pour les apprenants de la classe de 3ème d'ignorer non seulement les titres des oeuvres inscrites au programme mais l'existence-même de la discipline. Tableau n° 12 : Distribution des apprenants selon la possession de la pièce de théâtre au programme
En somme, le manque de manuel de lecture et des oeuvres inscrits au programme scolaire implique deux conséquences : le texte de lecture est régulièrement recopié au tableau et la lecture des oeuvres n'est pas du tout effective. La première hypothèse déforme la physionomie du texte, complique la lisibilité et réduit le nombre de textes à étudier par an. La deuxième hypothèse prive les apprenants de la classe de 3ème de la pratique effective de la lecture alors que la lecture est un comportement en devenir. Ce savoir-faire nécessite une pratique régulière. Dixièmement selon l'abonnement à une bibliothèque, elle établit qu'une infime minorité d'apprenants concernés par l'enquête (12%) fréquente une bibliothèque. Sur 100 apprenants, seulement 13 sont abonnés à une bibliothèque alors que la majorité (87%) n'en fréquentent aucune. Les raisons suivantes peuvent justifier un tel phénomène : - Le taux de couverture de Brazzaville en bibliothèques reste faible. - Les mouvements sociopolitiques que Brazzaville a connus n'ont pas épargné les bibliothèques et les centres de documentation et d'information du pillage et de la destruction gratuite. - Les dispositions mentales et la pauvreté qui ne permettent pas à certains apprenants de disposer des moyens financiers suffisants pour s'abonner à une bibliothèque. En somme, Brazzaville dans les années de la réalisation de cette étude ne constituait pas un environnement propice à la lecture. En effet, on y trouvait peu de lieux et de supports de lecture. Et les bibliothèques familiales, quand elles existaient, étaient soit insuffisamment équipées, soit trop spécialisées. Chacun possédant des récentes publications de sa spécialité et ne disposant pas souvent des ouvrages de base traitant des autres domaines de spécialité. Des efforts ont certainement étaient fournis entre temps, mais la situation ne peut être guère excellente car l'apprentissage de la lecture est aussi un problème de culture et de mentalité. Personne ne saurait devenir lecteur par simple volonté de le devenir. Il y a des efforts à fournir, l'apprentissage de la lecture comme tout apprentissage d'ailleurs n'est pas aussi simple. De nombreux facteurs internes et externes interviennent dans tout processus d'apprentissage. Tableau n° 13 : Distribution des apprenants selon l'abonnement à une bibliothèque
Onzièmement selon le moyen d'information utilisé, elle indique leur préférence pour la télévision (79%). Seulement 10% des apprenants enquêtés se servent de la lecture et 10% de la radio, comme moyen d'information. Nous constatons qu'un tel phénomène est probablement tributaire de l'environnement enclin à la facilité. En effet, les apprenants suivent passivement la foule d'informations que déversent les médias au point de négliger la lecture comme moyen d'information. C'est l'occasion de noter simplement que les médias concurrencent la lecture comme moyen d'information et même de distraction. Il ne s'agit pas en effet de contester le rôle que jouent les médias, à savoir éduquer, cultiver et distraire les populations. Tableau n° 14 : Distribution des apprenants selon le moyen d'information utilisé
Douzièmement selon le moyen d'éclairage utilisé, elle montre que la majorité d'entre eux (72%) vivent dans les maisons électrifiées. Seulement 27% des apprenants vivent dans les ménages qui utilisent la lampe à pétrole comme moyen d'éclairage. Cela est un indicateur du niveau de vie et du privilège économique des parents ou (tuteurs) des enquêtés. Tableau n° 15 : Répartition des apprenants selon le moyen d'éclairage utilisé
Treizièmement selon la catégorie socioprofessionnelle du père, elle met en évidence que 51% ont des parents issus des professions scientifiques, techniques, libérales et assimilées ; 11%, des personnels administratifs et travailleurs assimilés ou du personnel commercial et vendeur. Seulement 6% d'apprenants sont issus d'ouvriers et manoeuvres. La configuration socioprofessionnelle des parents indique que les apprenants sur lesquels nous avons enquêté sont pour la plupart issus des familles aisées. En effet, l'aisance matérielle des parents peut être un facteur important dans la nature de la scolarité d'un apprenant. Autant elle peut être un facteur de réussite, autant elle peut s'avérer un frein car une excessive abondance de bien matériel peut bien conduire l'enfant à sa perte surtout lorsque ce dernier ne sait pas faire la différence entre ses siens propres et ceux de son père ou de sa famille. Tableau n°16 : Répartition des pères selon leur catégorie professionnelle
Quatorzièmement selon le niveau d'études du père, elle indique que la majorité d'entre eux ont au moins celui de l'enseignement secondaire, soit 48% au cycle secondaire et 47,5% au cycle supérieur. Une telle configuration constitue un privilège culturel qui peut être un atout considérable pour les enfants à condition qu'ils sachent tirer tout le profit qu'un tel avantage présumé est censé leur réserver. Nous reconnaissons que l'avantage est une chose et savoir en jouir est une autre. Cette réalité crève l'oeil dans de nombreux pays d'Afrique noire. Les enfants des plus nantis ne sont pas forcément les plus brillants à l'école. Tableau n° 17 : Répartition des pères selon le niveau d'études
Quinzièmement selon la situation matrimoniale du père, elle montre que la monogamie est plus répandue puisqu'elle concerne 81% d'hommes en union. La polygamie n'intéresse que 19% d'hommes en union. Une telle répartition constitue un facteur de stabilité susceptible de garantir un meilleur encadrement scolaire des enfants en âge scolaire, à condition que la délinquance sénile ne s'accapare des parents en situation de monogamie comme c'est parfois le cas dans les grandes métropoles africaines. Tableau n° 18 : Répartition des pères selon la situation matrimoniale
Seizièmement selon la profession de la mère, elle révèle que 41% d'entre elles sont des ménagères ; 26% font partie du personnel commercial et vendeur ; 14% exercent des professions techniques, scientifiques, libérales et assimilées ; et 7% sont des personnes spécialisées dans leur service. Cette répartition est le reflet de la configuration sociale de la société congolaise et, partant, celui de la quasi-totalité des pays d'Afrique noire. Tableau n° 19 : Répartition des mères selon la profession
Dix-septièmement selon le niveau d'études de la mère, elle met en évidence que la majorité d'entre elles (78 %) sont du cycle secondaire, 14% du cycle supérieur et seulement 8% du cycle primaire. Nous remarquons que les 14% des mères qui appartiennent au cycle supérieur sont des personnes des professions techniques, scientifiques, libérales et assimilées. Cette coïncidence entre le niveau d'études des mères et leur catégorie socioprofessionnelle pourrait contribuer au succès scolaire de leurs enfants. Disposer à la fois d'un niveau d'études requis et des moyens financiers suffisants pour assurer l'accompagnement et le suivi scolaire des enfants, est un privilège qui n'est pas réservé à tous les citoyens. Tableau n° 20 : Répartition des mères selon le niveau d'études.
Dix-huitièmement selon l'établissement d'appartenance, elle indique 100 apprenants par établissement. Cette répartition obéit au besoin d'enquête parce qu'il est nécessaire de disposer d'un même effectif par établissement. Tableau n° 21 : Répartition des apprenants selon l'établissement
Dix-neuvièmement selon le type de classe, elle montre une répartition équitable entre classes expérimentales et classes témoins. En effet, il existe une classe expérimentale de cinquante (50) apprenants et une classe témoin de cinquante (50) apprenants, par établissement d'expérimentation. Nous avons en fin de compte trois classes expérimentales de cent cinquante (150) apprenants et trois classes témoins ayant le même effectif de cent cinquante (150) apprenants. Tableau n° 22 : Répartition des apprenants selon le type de classe
Vingtièmement selon la classe, elle indique une répartition équitable des apprenants par classe. Pour les besoins de l'étude, chaque classe expérimentale ou témoin compte un effectif de cinquante (50) apprenants qui ont effectivement pris part à toutes les séances de l'enquête. Il est utile de rappeler que l'effectif de chaque classe est mixte dans la mesure où il comporte à la fois des filles et des garçons. Il n'est pas superflu de noter qu'il y a des classes où l'effectif des filles est légèrement supérieur à celui des garçons, le pourcentage de femmes étant légèrement supérieur à celui des hommes dans toute la société congolaise (51% de femmes contre 49% d'hommes) selon le denier recensement général de la population de l'année 2000. La situation semble être la même dans de nombreux pays d'Afrique noire situés au sud du Sahara. Il y a deux classes par établissement et six pour l'ensemble de l'univers de l'enquête, soit 300 apprenants. Nous rappelons que les trois cents apprenants sont tous de niveau de la classe de 3ème et ont un âge variant entre soit 12 et 16 ans, soit 17 et 20 ans. Tableau n° 23 : Répartition des apprenants selon la classe
* 63. Source : Annuaire statistique 2001 - 2002 du Service des études et de la planification scolaires d'avril 2003 de la République du Congo. * 64. Antoine, MAKONDA (2004), « Point sur la scolarisation des filles au Congo », Colloque sur la scolarisation des filles, Pointe-Noire, le 16 février. |
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