L'enseignement de la lecture en Afrique noire. Cas de quelques collèges de Brazzaville( Télécharger le fichier original )par Martin GUIMFAC Université Marien Ngouabi - Diplôme d'études approfondies 1999 |
2. Définition des conceptsDans l'intitulé du sujet, les concepts d'enseignement, de lecture et d'enseignement-apprentissage de la lecture méritent d'être expliqués. En effet, chaque concept est compris sous plusieurs acceptions, mais nous avons préféré celles qui conviennent au contexte de l'étude. Le terme enseignement fait référence à l'action de transmettre des connaissances. Il désigne la manière de traduire en éléments simples, cohérents et transmissibles le savoir scolaire à partir duquel l'apprenant doit construire son propre savoir aux différents stades de sa progression. L'enseignement consiste aussi à préparer les conditions pour que l'apprentissage se réalise selon le mode transmissif ou en fonction du profil d'apprentissage de l'apprenant selon le mode constructiviste. Les études de neuroscience montrent que les apprenants réussissent mieux lorsque le style d'enseignement est adapté à leur style de pensée. Les chercheurs ont identifié depuis longtemps des styles d'apprentissage différents selon que l'hémisphère cérébral dominant du sujet est gauche ou droit. Si l'hémisphère cérébral du sujet est gauche, il apprend mieux de façon analytique en allant du détail à l'ensemble et grâce à une représentation séquentielle. S'il est droit, il apprend mieux de façon globale en allant du tout à la partie et en appréhendant simultanément les objets d'apprentissage à acquérir. Ce type d'apprenant apprécie les représentations visuelles avec des croquis et des schémas. Il recourt souvent à des analogies. En situation d'enseignement-apprentissage, le professeur a intérêt à utiliser successivement les deux modes de présentation (global et analytique) des données à dispenser. Faute de quoi, il risquerait de conduire inéluctablement à l'échec les apprenants globaux soumis à un enseignement analytique et vice versa. C'est probablement ce qui semble expliquer le fort taux d'échec scolaire que l'on rencontre fréquemment dans de nombreux pays d'Afrique noire. Cela implique de la part du professeur une bonne formation psychopédagogique et une information suffisante sur les programmes, les supports didactiques et pédagogiques ainsi que sur le niveau de langue des apprenants auxquels il doit faire face. L'apprentissage désigne le processus d'acquisition des connaissances, des habiletés (savoir-faire) ou des attitudes (savoir être) par un apprenant. Il peut également faire référence aux connaissances, aux habilités ou aux attitudes qu'un apprenant peut développer. Le processus d'apprentissage se réalise soit à partir du mode transmissif soit à partir du mode constructiviste. Le mode constructiviste intéresse, selon Philippe Jonnaert (2002) : - la dimension constructiviste du processus d'appropriation et de construction des connaissances par un sujet ; - la dimension interactive de ce même processus, puisque les connaissances du sujet y sont mises en interaction avec l'objet à apprendre ; - la dimension socio puisqu'il s'intéresse aux apprentissages en contexte scolaire à propos des savoirs codifiés6(*). En bref, l'apprentissage scolaire est un processus dynamique par lequel un apprenant, à travers une série d'échanges avec ses camarades et l'enseignant, met en interaction ses connaissances avec des savoirs. Il le fait généralement dans le but de construire de nouvelles connaissances adaptées aux contraintes et aux ressources de la situation à laquelle il est confronté dans l'objectif d'utiliser ses nouvelles connaissances dans des situations non didactiques. La lecture s'inscrit en effet dans le schéma du fonctionnement général de la communication dans la mesure où elle apparaît dans une situation de communication écrite. En effet, lire c'est tenir dans une situation de communication le rôle du récepteur c'est-à-dire celui de s'approprier la quintessence du message que le texte est censé véhiculer. A propos de l'enseignement de la lecture, il nous paraît utile d'esquisser un bref aperçu historique des méthodes. La littérature sur les méthodes d'enseignement de la lecture fait successivement état des méthodes épellative, syllabique, phonétiques, globale, semi-globale et phonologiques7(*). La méthode épellative Elle part de ce qui paraît simple (la lettre) vers ce qui est complexe (le mot puis la phrase). L'apprentissage se fait du particulier au général et du simple au complexe. La méthode syllabique ou synthétique Elle a remplacé la méthode épellative. La combinatoire devient au centre de l'apprentissage. Le travail sur des associations consonnes/voyelles tente d'établir une correspondance entre le son et la (les) lettre(s), ce qui doit permettre à l'apprenant de passer du son à la lettre et vice versa (association son/signe). Les méthodes phonétiques Ce sont les méthodes syllabiques qui, au lieu de partir des lettres, partent des sons pour aboutir à leur écriture. Le terme « lettre » est remplacé par celui de « son » ou « lettre-son ». La méthode globale Contrairement à la méthode syllabique axée sur une technique d'apprentissage : déchiffrer ou décoder, la méthode globale est centrée sur l'apprenant. Cette méthode a l'avantage de tenir compte du développement psychologique, des pré-requis, de l'expérience et des intérêts de l'apprenant. Elle prend en compte ce qu'il est et ce qu'il sait. Nous signalons que malgré cet avantage supposé, le ministre français de l'Education Nationale (2005) a décidé de supprimer la méthode globale parce qu'il la juge responsable des difficultés d'apprentissage de la lecture des élèves8(*). Parmi les variantes de la méthode globale, nous citerons celle idéo-visuelle du Docteur Ovide Decroly (1976) et celle naturelle de Célestin Freinet (1964). S'appuyant sur les bases théoriques de la méthode globale, le Docteur Ovide Decroly (1976) a mis au point une méthode pour apprendre à lire à des élèves handicapés mentaux. Cette méthode met en relation une situation vécue et l'écrit qui la raconte ou la provoque. On passe de l'idée à l'écrit, et lire devient une activité idéo-visuelle. Lire et déchiffrer sont deux activités différentes : lire, c'est construire du sens ; déchiffrer c'est utiliser des symboles (lettres). La méthode idéo-visuelle est en fait une méthode globale qui supprime le déchiffrement. La méthode naturelle de Célestin Freinet (1964) est basée sur le besoin naturel des enfants de s'exprimer par le langage, le dessin, l'écriture et la danse. La lecture et l'écriture sont étroitement liées. Dans l'apprentissage, l'enseignant développe parallèlement chez l'apprenant tant le besoin de lire que celui d'écrire dans un souci de communication vraie. Les méthodes semi-globales Elles tirent de la méthode globale le principe suivant lequel lire n'est pas déchiffrer les mots mais appréhender globalement le sens d'un texte. Elles empruntent à la méthode syllabique le principe selon lequel ce savoir-faire suppose la maîtrise de la combinatoire ; cette maîtrise du code n'étant pas une fin en soi mais un moyen pour bien lire des textes. Les méthodes phonologiques Elles font référence aux méthodes mixtes qui ont le souci de traiter de façon plus scientifique la correspondance son/signe graphique. Les sons sont transcrits grâce à l'alphabet phonétique international (API) évitant les égalités telles que in = ain = ein, par exemple, que l'on trouve dans les méthodes phonétiques. A l'heure actuelle, l'enseignement de la lecture se caractérise en France par deux courants. Pour le premier, enseigner à lire c'est donner les moyens de reconnaître et de mémoriser des mots pour pouvoir comprendre ensuite des textes. Pour le second enseigner à lire, c'est effectuer les opérations mentales par lesquelles on comprend les écrits sociaux9(*). Le premier courant s'appuie sur les méthodes synthétique, globale, mixte et celle naturelle de Célestin Freinet (1964) ainsi que sur l'approche « Ecrit-livre » de Fijalkow (1994). Le second est animé par Jean Foucambert (1980) et l'Alliance Française pour la Lecture (AFL) ainsi que par l'équipe Charmeux (1998)10(*). Après cet inventaire des méthodes d'enseignement de la lecture, nous nous inspirons des orientations énoncées par IPAM (1993)11(*) pour mettre au point une approche de l'enseignement de la lecture. Au nom de cette dernière, l'enseignant n'a plus pour objectif d'enseigner la lecture mais d'aider l'élève à apprendre à lire, bref de former un lecteur. Pour cela, il a le devoir de : - faire découvrir à l'apprenant le plaisir et les profits qu'il pourra tirer du « savoir-faire » ; - susciter chez l'apprenant le goût de pratiquer la lecture pour que ce savoir-faire ne se détériore pas. Parce que s'il arrivait à se détériorer, l'illettrisme prendrait place. L'illettrisme désigne l'état de celui ou celle qui, bien qu'ayant été scolarisé(e), a perdu l'usage habituel de la lecture et de l'écriture. Ainsi, l'enseignement de la lecture consiste à former des lecteurs compétents, capables de comprendre tout type d'écrit et de savoir s'en servir. Nous convenons avec Jean Foucambert (2001) que : Etre lecteur, c'est vouloir rencontrer ce qui se passe dans la tête d'un autre pour mieux comprendre ce qui se passe dans la sienne12(*). A notre avis, enseigner consiste à créer les conditions matérielles et psychologiques nécessaires pour que l'apprentissage ait lieu, puisqu'il est un processus qui ne se réalise que dans le cerveau de celui qui apprend. Tout élève de la classe de 3ème est déjà lecteur, si peu que ce soit. Il est donc question de prendre en compte ses compétences de lecteur et de les développer. * 6.Philippe, JONNAERT (2002), Compétences et socioconstructivisme, Bruxelles, Editions de Boeck Université. * 7. IPAM (1993), Guide pratique du maître, Paris, EDICEF, pp. 191-211. * 8. « Lecture : La méthode globale, c'est fini », Le Parisien, N° 19051, du jeudi 8/12/05, p. 1O. * 9. Eveline, CHARMEUX (1998), Apprendre à lire, Echec à l'échec, Paris, Editions Milan, p.28. * 10. Ibid. * 11. IPAM (1993), op.cit, p.205. * 12. Jean, FOUCAMBERT cité par M. WAMBAC (2001), Méthodologie des langues. La pédagogie de convergence à l'école fondamentale, Bruxelles, Claver, p.4. |
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