B - La faiblesse des ressources humaines
La faiblesse des ressources humaines de l'administration
pénitentiaire et de l'Administration judiciaire se manifeste par leur
insuffisance quantitative et leur insuffisance qualitative.
1 - L'insuffisance quantitative des ressources
humaines
L'appareil judiciaire souffre d'un manque chronique de
personnel. En effet, le déficit de magistrat est une
réalité que personne ne peut nier au Sénégal,
malgré le programme spécial de recrutement de ces
dernières années.
Selon nos propres informations, un magistrat affecté
à Dakar doit traiter 250 dossiers par an. Cela n'est pas pour nous
étonnant car, au total 318 magistrats ont tété
recensés en 2003 au Sénégal dont une trentaine est
actuellement en détachement dans les différents
départements ministériels. Entre 1998 et 2003, les tribunaux
régionaux ont enregistré l'arrivée de 56 magistrats et 16
greffiers, précise le journal « Le populaire » du 3
et 4 avril 2004, qui évalue à 185 le nombre de greffiers
exerçant au Sénégal. Si l'on prend les 288 magistrats
disponibles pour une population de plus de 9 millions d'habitants on aura une
moyenne d'un magistrat pour 31 250 habitants. Dans de pareilles conditions, il
est difficile de prétendre à une justice performante et
respectueuse des droits fondamentaux de l'homme. C'est ce qui explique la
lenteur des procédures judiciaires. Les conséquences qui en
découlent sont la longue détention provisoire et les dénis
de justice. Les détenus provisoires se plaignent
énormément de ces lenteurs et insistent beaucoup sur la
nécessité d'accélérer la procédure au niveau
des cabinets d'instruction. C'est également le point de vue de beaucoup
de membres du barreau de Dakar. Aussi, des cas comme celui de Ibrahima Diallo,
ce détenu de Thiès qui a passé 13 ans en prison sans
jugement, seront-ils fréquents.
Il en est de même du personnel pénitentiaire qui
se trouve dans l'impossibilité d'accomplir correctement la mission qui
lui est confiée. En effet, le personnel pénitentiaire reste
insuffisant en quantité par le nombre de gardiens disponibles dans une
prison. L'engorgement carcérale pose un problème de surveillance
et par voie de conséquence de sécurité. L'insuffisance des
effectifs disponibles favorise à la fois la violence et les
évasions dans les établissements pénitentiaires. La
faiblesse des ressources humains révèle aussi une insuffisance
qualitative des magistrats et des agents pénitentiaires.
2 - L'insuffisance qualitative des ressources
humaines
L'insuffisance qualitative se manifeste par l'absence de
formation du personnel pénitentiaire en droits de l'homme et par la
méconnaissance des textes par les magistrats.
Le personnel pénitentiaire est formé à
l'Ecole Nationale de Police pendant une durée de 9 mois. Le programme de
la formation comprend : le droit pénal général, le
droit pénale spécial, la criminologie, les sciences
pénitentiaires, l'armement, le secourisme, la dactylographie. Comme on
peut le constater, les droits de l'homme ne sont pas pris en compte dans la
formation du personnel pénitentiaire. Dans la mesure où le
respect des droits de l'homme est, sans aucun doute, au-delà du concept,
un levier efficace pour l'amélioration des conditions de vie des
détenus et du respect de leurs droits, il s'agit de les promouvoir et de
les valoriser dans la formation des agents pénitentiaires. L'absence de
formation du personnel pénitentiaires en droit de l'homme est
peut-être à l'origine de la déconsidération et du
dédain dont sont paradoxalement victimes les détenus de la part
des agents du service pénitentiaire.
Au niveau des magistrats, il n'y a aussi une
méconnaissance des textes qui tire leur origine dans la formation de ces
dernières. En effet, la découverte au camp pénale de
liberté VI des filles mineures condamnées ou poursuivies de
prostitution de mineurs alors que de tels faits ne sont pas susceptibles de
sanction pénale selon notre législation pénale a conduit
l'Inspection générale de l'Administration de la Justice à
saisir le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Une circulaire du Procureur
Général près de la Cour d'Appel à l'adresse des
chefs de parquet ordonnant que cesse pareille pratique a alors
été édictée.
Ce constat est révélateur d'une
méconnaissance grave des textes de la part des praticiens du droit. Il
convient de noter que l'absence de spécialisation des magistrats
concernés est à l'origine de la marginalisation de la Justice des
mineurs et par voie de conséquence de la méconnaissance des
textes applicables en la matière. Cette méconnaissance applicable
est d'autant plus inquiétante qu'elle conduise presque
systématiquement à la délivrance de mandats de
dépôts à l'égard d'un mineur de 13 ans. Mieux, la
combinaison des articles 52 et 53 du code pénal avec l'article 567 du
code de procédure pénale révèle que le mineur de
moins de 13 ans ne peut faire l'objet d'une condamnation pénale.
Malgré ces dispositions, l'Inspecteur général de
l'Administration de la Justice avait noté dans un certain nombre de
juridictions visitées au Sénégal que des mineurs de moins
de 13 ans avaient fait l'objet d'un mandat de dépôt ou d'une
ordonnance de garde provisoire au régisseur de la maison d'arrêt.
Pourquoi décerner alors un mandat de dépôt contre un mineur
de 13 ans d'autant que l'article 576 du CPP pose comme condition à la
délivrance d'un tel mandat de dépôt une prévention
de crime et la motivation de l'ordonnance le plaçant sous mandat de
dépôt ? Ce qui dénoté une méconnaissance
des textes sinon leur violation de la part de ceux-là même qui,
professionnels du droit, devraient les appliquer et les promouvoir
auprès de leur partenaires. Peut-être, l'incohérence des
textes serait-elle à l'origine de leur mauvaise application ?
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