L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
§2 : LE PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE D'AVRIL 2008Plus de dix ans après l'adoption de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, le président de la République renoue avec les projets de révision constitutionnelle. Au regard de la pratique camerounaise des révisions constitutionnelles, cette durée peut être considérée comme très longue. En effet, jamais auparavant une telle durée n'a séparé deux révisions constitutionnelles successives. C'est dire que cette reprise de l'initiative présidentielle en matière de révision constitutionnelle suscite la curiosité. A cet égard, il est nécessaire d'examiner tous les éléments ayant favorisé voire provoqué la révision constitutionnelle de 2008. Cette investigation révèle l'existence des conditions juridiques et politiques favorables tant au projet présidentiel de révision (A) qu'à son adoption par l'Assemblée nationale (B). A - Les conditions juridiques et politiques de la révision constitutionnelleLa Constitution camerounaise est rigide. Elle impose en effet au pouvoir constituant dérivé le respect d'une procédure particulière plus solennelle et plus difficile à mettre en oeuvre que la procédure législative ordinaire à travers ses articles 63 et 64. Mais, la rigidité de la Constitution n'est pas absolue ; elle ne fait pas obstacle à l'adaptation du statut de l'Etat à l'évolution de la société et des aspirations de ses membres. Il en résulte que la moindre révision doit s'y inscrire. Force est cependant de constater qu'au Cameroun, la rigidité du texte constitutionnel est battue en brèche par la volonté d'un homme et dans la pratique, la Constitution devient souple car au Cameroun « plus que partout ailleurs, la Constitution est liée à la personne du Chef de l'Etat qui donne vie aux institutions qui sont son outil, les instruments de sa stratégie politique »388(*). Cette emprise du président de la République sur la Constitution n'aurait pas été rendue possible sans un contexte politique (2) et surtout juridique caractérisé pour le premier par la prégnance du clientélisme et pour le second par des pouvoirs constitutionnels extrêmement étendus reconnus au Chef de l'Etat corrélativement à la faiblesse des contre pouvoirs constitutionnels (1). 1 - Les conditions juridiquesSur le plan du droit, une lecture même cursive de la Loi fondamentale camerounaise de 1972 amplement révisée en 1996 révèle que le constituant, probablement pour limiter le risque de cohabitation conflictuelle, a donné au Chef de l'Etat, le droit de recourir au référendum ainsi que des pouvoirs importants dans le domaine législatif, plus précisément le droit d'initiative des lois ordinaires (article 25) et surtout de révision de la Constitution (article 63) contrairement aux démocraties occidentales à l'exemple des Etats-Unis d'Amérique. Pris dans certains de ses aspects comme le modérateur ou comme une instance de réflexion législative, le Sénat est apparu dès son institution comme un instrument de la hiérarchie des pouvoirs et de la suprématie de l'Exécutif et beaucoup moins comme un contre-pouvoir, étant donné ses prérogatives et ses modes d'organisation. Au Cameroun en effet, le président de la République a la charge de nommer un nombre non négligeable de sénateurs amenés à siéger au sein d'une institution qui par définition concoure à l'expression de la souveraineté nationale. Dans cette perspective, la marge de manoeuvre du président de la République est variable selon les contextes, mais réelle. Devant lui s'ouvre en effet une alternative : le président de la République peut choisir la voie parlementaire en cas de présidentialisme majoritaire ou de l'existence d'une majorité présidentielle même de circonstance mais cohérente et/ou monocolore389(*). Son choix, en 1996, de l'option parlementaire de révision au détriment de celle référendaire pourtant prescrite par la Tripartite constitue de ce point de vue un exemple éclatant. Il peut également choisir la voie référendaire de révision. Cependant, bien que constamment consacrée par les constituants camerounais, la voie référendaire de révision n'a jamais été utilisée au Cameroun depuis 1972. Même lorsqu'elle est privilégiée par le président de la République, l'option référendaire de révision est souvent analysée non comme destinée à conférer plus d'autorité à la réforme entreprise, ce qui est en droit et politiquement son objectif originelle ou véritable, mais plus comme une procédure de contournement du Parlement ou de détournement du suffrage universel. Contournement du Parlement en ce qu'il s'agit de surmonter une opposition parlementaire forte nourrissant une hostilité au projet de révision390(*). Détournement du suffrage universel en ce que l'élection est dévoyée, transformant ainsi la consultation en plébiscite. * 388 LEKENE DONFACK cité par WANDJI K. (J. F.), « Les zones d'ombre du constitutionnalisme en Afrique », op. cit., p. 92. * 389 C'est d'ailleurs l'option privilégiée par les présidents de la République pour les révisions constitutionnelles opérées de 1975 à 1991. * 390 C'est notamment le cas de la révision constitutionnelle du 10 novembre 1969 instituant la procédure référendaire en matière de révision. Cette loi est souvent considérée comme une reprise, par le président Ahmadou AHIDJO, des techniques de révision dont avait fait usage le général de GAULLE. Voir à ce propos NJOYA (J.), « La constitutionnalisation des droits des minorités au Cameroun : usages politiques du droit et phobie du séparatisme », Juridis Périodique, n° 37, janvier-février-mars 1999, pp. 37-49, notamment p. 41. |
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