Justice politique et prévention des conflits dans les sociétés pluriethniques: cas de la politique de l'équilibre régional au Cameroun.( Télécharger le fichier original )par Alain Patrick YODOU SIBEUDEU Université catholique d'Afrique centrale - Master II en sciences sociales, option: gouvernance et actions publiques 2011 |
V. LA REVUE DE LITTÉRATUREPour avoir quelques chances d'avancer dans notre recherche, il est certainement indispensable de commencer par réexaminer les positions dominantes dans le champ de la pensée au sujet de la société pluriculturelle. Aujourd'hui, des communautés ou des groupes se distinguant par des convictions philosophiques, religieuses ou morales, ainsi que par des spécificités culturelles, des modes de vie, vivent sur le même territoire. Suscitant de ce fait la préoccupation qui est celle de savoir quels principes politiques vont régir leur coexistence tout en reconnaissant leurs différentes identités ? Plusieurs courants de pensée vont se développer autour de cette question dont la théorie du multiculturalisme,», la pensée communautarienne et la théorie de l'égalité différenciée. V. 1- Le courant multiculturalisteC'est sur la base de la reconnaissance identitaire que les revendications de reconnaissance se font de plus en plus présentes sur la scène publique dans les sociétés contemporaines. Répondre aux demandes de reconnaissance qui émanent des groupes minoritaires des sociétés multiculturelles impose dans ces espaces que l'on trouve des réponses aux revendications identitaires. D'où la nécessité d'inventer des « politiques de reconnaissance » adaptées à cet effet. C'est ce qui amène le philosophe canadien Will Kymlicka à faire appel à la notion de « justice ethnoculturelle » pour défendre l'idée de la nécessité de faire droit aux revendications identitaires qui s'expriment dans les espaces publics nationaux. Ces revendications identitaires exigent en effet en plus du dispositif des droits individuels, un ensemble de droits spécifiques dus à des groupes minoritaires dans un État. « Dans une société qui reconnaît des droits spécifiques aux groupes, les membres de ceux-ci participent à la communauté politique non seulement en tant qu'individus, mais également par l'entremise de leur groupe ; leurs droits dépendent donc en partie de leur appartenance à un groupe7(*). » Ils ont, à titre indicatif, besoin que leur soient garantis entre autres droits, le droit à une certaine autonomie politique, des droits de représentation politique, des droits linguistiques, un droit de veto sur des questions concernant leur culture etc. Ce qui rend nécessaire la redéfinition du paradigme traditionnel de la citoyenneté pour y intégrer la notion de la différence, des droits culturels et collectifs, et assurer ainsi, la reconnaissance des droits spécifiques aux minorités afin de préserver l'identité de celles-ci face à la culture majoritaire. Ces dispositions permettent par la même occasion de lutter contre les inégalités. Étant entendu que certains handicaps représentent en effet de véritables atteintes à la liberté et à l'autonomie de soi. L'égalité de droit des êtres humains étant, en allant dans le sens de Dworkin, en fait la condition implicite de toutes les théories modernes de la justice. Les droits collectifs dont il s'agit ici, pour aller dans le sens de Kymlicka, font référence aux droits spéciaux de représentation politique, aux droits linguistiques et aux droits territoriaux particuliers à un groupe pour des besoins de protection contre toute contrainte extérieure. Ils ne sont par ailleurs nullement antinomiques aux droits individuels. Car faire droit à ceux-ci n'entre pas pour autant en contradiction avec les droits des individus appartenant à ces groupes. Les droits collectifs excluent d'office la violation des droits des individus par le groupe dont ils font partie mais protège à contrario ceux-ci contre toute contraintes interne et favorisent en outre, l'équité dans les rapports entre groupes8(*). Le fait d'accorder des droits spécifiques à un groupe ne vise donc pas à affirmer la primauté de la communauté sur l'individu, mais plutôt à répondre à un besoin de justice. Par ailleurs, la création du lien social dans le cas d'espèce n'émane pas de la référence à des institutions politiques communes, mais plutôt de la reconnaissance, par l'État des droits culturels spécifiques. Les individus sont portés par cette reconnaissance, à cultiver une double identité. L'identité par laquelle ils sont membres de leurs communautés culturelles, et celle par laquelle ils sont citoyens d'un État qui leur offre la possibilité de cultiver leurs particularités. Ce qui facilite l'intégration et l'inclusion de ceux-ci dans la communauté étatique. Cette reconnaissance des particularités culturelles est fondée sur l'idée selon laquelle le sujet humain est définit non pas seulement par son identité individuelle distincte des autres, mais bien aussi par son appartenance à une communauté qui donne en fait un contenu à cette identité. Bien que cette théorie corresponde à la réalité des sociétés contemporaines, il faut noter que son application pose quelques difficultés. C'est ce qui amène Sylvie Mesure et Alain Renaut, dans leur analyse, à souligné les difficultés pratiques que pourrait rencontrer la mise en oeuvre du programme d'intégration des droits collectifs dans le patrimoine libéral tel qu'il est élaboré par Will Kymlicka. Entre autres difficultés, il s'arrête sur celle qui concerne la nature du lien social que pourrait déterminer la prise en compte des droits collectifs. Selon Kymlicka, les individus sont portés à cultiver, en réalité, une double identité. Celle par laquelle ils sont citoyens d'un État qui leur offre la possibilité d'inclusion. Aux yeux de Mesure et de Renaut, cette position est grosse de difficultés sérieuses. « Il est en effet permis de se demander s'il y a véritablement place pour un schéma où l'accès à une culture commune ne supposerait pas le sacrifice des valeurs de la culture d'origine9(*). » Ils relèvent également la difficulté qui concerne le problème de l'articulation entre le principe de la reconnaissance des droits collectifs et l'exigence de respect des libertés individuelles à l'intérieur de chaque groupe. Les crans d'arrêt imposés par Kymlicka aux droits collectifs soulignent-ils, ne seraient pas suffisants sans un « accord explicite et formel entre la société globale et les groupes (...) »10(*), accord dans lequel chaque groupe s'engagerait à combattre toute pratique discriminatoire, à défaut de quoi tous ses droits spéciaux seraient supprimés. Impliquer la reconnaissance des droits collectifs. Dans cet exemple, On voit en effet que les droits collectifs ont primauté sur les droits individuels, ce qui en rend le principe plutôt redoutable. C'est ce qui les amène à la conclusion selon laquelle la solution préconisée par Kymlicka, notamment en termes de droits collectifs, serait plutôt « suicidaire » pour le libéralisme. La reconnaissance des identités culturelles doit, soutiennent-ils, servir des intérêts individuels et non collectifs C'est parce que les données culturelles font partie des réalités par lesquelles les individus souhaitent se définir, se constituer et se déterminer qu'ils peuvent être admis comme droits. * 7 (Cf.) Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle, Une théorie libérale du droit des minorités, éditions La découverte, 2001, p. 148. * 8 (Cf.) Kymlicka, Idem, p. 61. * 9 (Cf.) Mesure et Renaut, Alter ego : Les paradoxes de l'identité démocratique, Paris, Aubier, 1999, p. 246. * 10 (Cf.) Mesure et Renaut, Idem, p. 248. |
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