CONCLUSION
En somme, le caractère multiculturel des
sociétés contemporaines pose de nos jours, le problème de
la pacification des relations intercommunautaires entre les différents
groupes ethniques qui constituent ces sociétés. En Afrique, tout
comme sur d'autres continents, la pluralité ethnico culturelle reste
l'une des principales sources des tensions intra étatiques. Bien
qu'elles constituent de par leur environnement multiculturel des espaces
riches, les sociétés pluriethniques sont cependant sur le plan
social très tumultueuses et surtout porteuses de conflits. En effet, la
redistribution des ressources sociales entre ces différents groupes
ethniques revêt une grande délicatesse : en ce sens qu'une
mauvaise répartition peut entraîner des tensions interethniques
susceptibles d'aboutir à une implosion sociale. L'accession à une
société pacifiée reposerait alors sur l'attention qu'a
l'autorité politique pour chacune des communautés ethniques qui
constituent le pays. Et ce, En reconnaissant d'une part les identités
communautaires qui favorisent la citoyenneté participative et la
recherche de biens communs, et en appliquant d'autre part l'autonomie et la
liberté des individus en reconnaissant à leur communauté
ethnique, des droits « différentiels ». C'est cette
quête de la pacification des relations interethniques au sein de la
société pluriethnique qui a motivé cette recherche qui
visait à analyser l'intégration de la dimension identitaire dans
l'organisation sociopolitique de l'état du Cameroun, notamment la
politique de l'« équilibre régional », qui
est un ensemble de règles juridiques et de mesures politiques
érigés en vue d'assurer entre autres la représentation et
la participation des groupes ethniques dans les sphères
politico-administratives de l'État du Cameroun pour comprendre si la
construction des mécanismes de péréquation des biens, des
charges et des avantages sociaux entre les groupes ethniques telle que
réalisée par la PER est à même d'éviter que
les clivages identitaires observés au sein de cette
société se transforment en affrontements meurtrières.
L'accomplissement de cette tâche nous a amené
à faire parallèlement (Première partie) une analyse de
l'interpénétration des phénomènes sociologiques
sous-jacents à la justice politique au Cameroun, et de la théorie
politique développée au sujet de la société
multiculturelle et des dispositions normatives qui en découlent. Avant
de procéder en dernier ressort (Deuxième partie) d'une part
à une analyse des enjeux sociaux de cette politique publique, et d'autre
part des conséquences de celle-ci dans la société
Camerounaise en ce qui concerne les escalades de violences sociales. En effet, l'un des phénomènes marquant de
la société camerounaise à l'ère de la
démocratisation est la constitution des communautés ethniques en
groupes de revendications sociales. C'est ce phénomène qui
contribue à la mise sur pied d'une politique publique
érigée en vue d'assurer la représentation et la
participation des groupes ethniques au Cameroun et par ricochet des conflits
interethniques au sein de cette société. Elle fait suite aux
revendications ethniques et les risques de conflits que ces revendications
entrainent. Cette politique tient ses éléments fondationnels
à la fois de la pensée multiculturaliste et des normes issues des
textes juridiques internationaux et nationaux. De ce fait, elle fonctionne
selon le modèle du traitement différentiel des groupes ethniques
auxquels elle reconnaît des droits collectifs, et se conforme
également aux normes internationales au sujet de la protection des
minorités en constitutionnalisant l'ethnicité. La
pluriethnicité de la société camerounaise est
concrètement exprimée à l'aube de la
démocratisation de cette société. L'instauration du
multipartisme contribue en effet à la montée des revendications
identitaires qui aboutissent à la configuration ethno-régionale
de la société camerounaise. La gestion harmonieuse de celle-ci
revient nécessairement à faire une reconnaissance publique des
différentes tendances ethniques qui y existent. Et ce, en
procédant à une juste répartition des biens et des charges
sociaux entre ces différentes tendances ethniques. La sous
représentation ou la non représentation de certains groupes
ethniques dans les sphères politico-administratifs de l'état est
en effet, en grande partie la cause des tensions interethniques. Parvenir au
but de la PER qui consiste à prévenir les affrontements
interethniques dans la société camerounaise, nécessite un
arbitrage des revendications concurrentes entre ces groupes à même
de permettre à chacun d'eux d'avoir accès au même titre,
aux biens, aux charges et aux avantages sollicités. La distribution
égalitaire de ces ressources sociales entre ces différents
groupes ethniques étant a priori impossible vu leur grand nombre.
Suite à cette analyse, on peut envisager une
synthèse des éléments qui peuvent permettre d'enrichir le
débat et l'expérience des sociétés pluriethniques.
Ces éléments reposent entre autres, sur des pratiques relatives
à la régulation démocratique des sociétés
plurielles, l'administration publique dans les sociétés
plurielles et le droit à la différence. Il s'agit
concrètement, de la considération de la PER comme règle de
recrutement aussi bien dans l'administration publique que dans les principales
institutions du pouvoir de l'État : ce qui permet à la
plupart des composantes ethniques d'être représentées au
sein de l'État ; - de l'affirmation de la diversité
culturelle à travers la constitutionnalisation des localités
décentralisées : ce qui permet aux diverses composantes
ethniques de promouvoir dans le cadre du respect des lois de la
République, les modes endogènes de gouvernement ; - du droit
à la différence comme droit fondamental; ce qui permet
d'entretenir l'existence dynamique de la diversité constitutive de la
communauté politique à travers la reconnaissance des groupes, la
protection du droit des groupes ; - de l'exigence légale de la
représentation des diverses composantes sociales des circonscriptions
électorales sur les listes de candidatures aux élections
municipales, régionales et législatives etc. L'expérience
camerounaise est intéressante en ce sens qu'il s'agit d'un exemple de
régulation de la diversité ethnique. La politique de
l'« équilibre régional » qui est en vigueur
ici, autant que des procédures comme la discrimination positive aux
États-Unis et en Afrique du Sud (la pratique des quotas dans les
représentations des groupes), peut, à cet égard, si elle
est appliquée en toute équité, constituer une solution
efficace pour la prévention d'éventuelles revendications
identitaire susceptibles d'aboutir à une implosion sociale. Cette
analyse révèle également un pan important de la
problématique des sociétés contemporaines. Il s'agit de
L'organisation politique de ces sociétés qui sont pour la plupart
pluriethnico-culturelles. S'il n'est pas du tout évident que la notion
d'État perde actuellement ou doive perdre de son importance, il est, en
revanche, assuré que l'État doit nécessairement se
transformer sous peine d'échouer à gérer l'explosion
actuelle des identités. La question est de plus en plus clairement
posée d'une transformation de l'État dans le sens d'une
sensibilisation de ses élites technocratiques aux cultures ethniques
locales.
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