FACULTAD DE ARQUITECTURA
Contribution à l'élaboration d'une
méthodologie de participation publique à l'étude d'impact
environnementale des projets d'aménagement et industriels. Le cas du
parc de Caracol en Haïti.
Essai présenté par
Félix Junior RONY, Ing-Agr,
MSc
Pour l'obtention du
Diplôme d'Expert en Etude d'Impact
Environnemental
Sous la direction de
Prof. César
Cervantès Gálvez, Ph.D
Port-au-Prince, le 25 octobre 2012
Avec le support financier de :
INDICE
INDICE
ii
SIGLES
iv
AGRADECIMIENTO
v
RÉSUMÉ
vi
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE, CADRE
D'ANALYSE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1
1.1.-Les projets de développement
industriel entre bénéfices et coûts sociaux
1
1.2.-L'étude des impacts
environnementaux : champ de pratique
2
1.3.-Le principe de participation dans la
littérature scientifique
2
1.4.-Objectifs de la recherche
3
1.5.-Hypothèses de travail et
questionnements de recherche
4
1.6.-Démarche
méthodologique
4
1.6.1.-Justification de la démarche et
adéquation avec notre problématique
4
1.6.2.-La recherche documentaire
5
1.6.3.-Outils d'investigation
5
1.6.4.-Dynamiques d'acteurs et
stratégies
6
1.6.5.-Cadre d'analyse de la
participation
6
1.6.6-Cadre d'analyse des
résultats
7
CHAPITRE 2.-CADRE CONCEPTUEL
9
Section 1.- Les concepts
9
2.1.-Etude d'impact environnemental
(EIE)
9
2.2.-La participation publique
10
2.3.-Les formes de participation
10
2.5.-La conduite des acteurs
12
2.6.-Les résultats du processus
d'étude d'impacts
12
2.7.-L'acceptabilité sociale
12
2.8.-L'empowerment
13
Section 2.-Les tendances autour du
principe de participation publique
16
2.9.-Les arguments favorables
16
2.9.1-Soutenir le développement d'une
société démocratique
16
2.9.2.-Renforcer le pouvoir d'agir des
communautés
16
2.9.3.-Intégrer les valeurs et
connaissances des citoyens dans l'EIE
17
2.9.4.-Formuler des recommandations
durables
17
2.10.-L'écart entre la
rhétorique et la pratique
18
2.10.1.-Les facteurs organisationnels
18
2.10.2.-Les facteurs communautaires
19
2.10.3-Les facteurs politiques
19
2.10.4.-Les facteurs théoriques
19
2.10.5.-Les facteurs d'ordres
méthodologiques
20
2.11.-Le capital social
20
CHAPITRE 3.-ETUDE DE CAS : LE PARC DE
CARACOL DANS LE NORD-EST D'HAITI
22
3.1.-Présentation du projet
22
3.2.-Négociation autour du
projet
25
3.3.-Caractéristiques
socio-économiques des communautés de la région
28
3.4.-Caractéristiques sociales et
culturelles de la zone du projet directement touchée
28
3.4.1.- Emplois et moyens de
subsistance
28
3.4.2.- Logement
29
3.4.3.- Cohésion sociale et
réseaux communautaires
29
3.5.-Catégorisation des personnes
touchées par la localisation du chantier
30
3.5.1.-Les exploitants agricoles qui ne
disposent des terres fertiles du site sélectionné
30
3.5.2.-Les personnes qui perdent leurs maisons
ou d'autres infrastructures collectives/communautaires
30
3.5.3.-Les ouvriers agricoles saisonniers et
les commerçants de denrées agricoles
30
3.5.4.-Autres usagers affectés
31
3.6.-La réception du projet dans la
communauté
31
3.6.1.-Les opposants
31
3.6.2.-Les supporteurs de la construction du
Parc sur le site choisi
32
3.7.-Les impacts sociaux
32
3.8.-Le déplacement de
populations
33
3.9.-Les dispositifs participatifs
33
3.9.1.-La pré-consultation
33
3.9.2.-l'enquête
33
3.9.3.-Les rencontres
thématiques
34
3.9.4.-le comité de suivi
34
CHAPITRE 4.-RESULTATS ET DISCUSSION :
BILAN DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONDUITE DES ACTEURS
35
4.1.-Les facteurs de type
institutionnel
35
4.2.-Les facteurs sociaux
36
4.3.-Groupes spontanés et pressions
politiques
36
4.4.-Analyse de la participation sur le
plan des conditions de la participation
37
4.4.1.-Equité du processus
37
4.4.2.-La compétence
39
4.5.-Analyse de la participation sur la
plan de la conduite des acteurs
40
4.6.-Evaluation des dispositifs
participatifs sur le plan des résultats
41
4.6.1.-Empowerment
41
4.6.2.-L'effet du dispositif participatif sur
l'empowerment
41
4.6.3.-Maîtrise sociale du
changement
42
CHAPITRE 5.-ESTRATEGIA PARA CONSULTA
PÚBLICA EN LA EVALUACIÓN DE IMPACTO AMBIENTAL (EIA) DE PROYECTOS
INDUSTRIALES EN HAITI.
43
5.1.-Nature du dispositif : une
entité gouvernementale et consultative
43
5.2.-Objectifs
44
5.3.-Mode de fonctionnement
44
5.4.-Sensibilisation environnementale et
gestion des conflits sociaux
45
5.5.-Les mécanismes de demande de
sessions
45
5.6.-Le contenu de la demande
46
CHAPITRE 6.-CONCLUSION
47
CHAPITRE 7.-BIBLIOGRAPHIE
50
SIGLES
BID
|
: Banque Interaméricaine de Développement
|
CECI
|
: Centre d'Etude et de Coopération Internationale
|
EIE
|
: Etude d'impact environnemental
|
EIES
|
: Etude des Impacts Environnementaux et Sociaux
|
EPA
|
:
Environmental Protection Agency
|
GOH
|
: Gouvernement d'Haïti
|
ILC
|
: Institut Latino-Américain des Sciences
|
MDE
|
: Ministère de l'Environnement
|
MEF
|
: Ministère de l'Economie et des Finances
|
ONG
|
: Organisation Non Gouvermentale
|
PAR
|
: Plan d'Action de Réinstallation
|
PIB
|
: Produit Intérieur Brut
|
PFC
|
: Projet de fin de cours
|
TCA
|
: The theory of Communicative Action
|
TVA
|
: Taxe sur la Valeur Ajoutée
|
UTE
|
: Unité Technique d'Exécution
|
AGRADECIMIENTO
En préambule à ce mémoire, je souhaite
adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont
apporté leur aide et qui ont contribué à
l'élaboration de ce modeste travail ainsi qu'à la réussite
de cette intense session de formation.
Je remercie une fois de plus FONDOVERDE et la Direction
Régionale Haïti du Centre d'Etude et de Coopération
Internationale (DRA-CECI) pour leur support financier. Sans votre
généreuse contribution, ce rêve n'aurait jamais pu devenir
réalité.
Je tiens à remercier très sincèrement le
Prof. César Cervantès Gálvez, qui, en tant que tuteur et
directeur de ce Projet de Fin de Cours (PFC), s'est toujours
montré à l'écoute et très disponible tout au long
de la réalisation de ce travail, ainsi que pour l'inspiration, l'aide et
le temps qu'il a bien voulu me consacrer et sans qui ce mémoire n'aurait
jamais vu le jour.
Mes remerciements s'adressent également à mes
collègues et ami(es) qui ont eu la gentillesse de lire des versions
provisoires du texte et m'ont formulé leurs recommandations et à
tous les consultants et internautes rencontrés lors des recherches
effectuées et qui ont accepté de répondre à mes
questions avec une grande compréhension et
générosité.
Enfin, un dernier grand merci à toute personne qui aura
contribué de près ou de loin à l'élaboration de ce
modeste travail.
Merci à tous et à
toutes.
RÉSUMÉ
Au cours des vingt-cinq(25) dernières années,
nous assistons, en Haïti à une multiplication des dispositifs
institutionnels de participation tant dans les projets de développement
financés par la coopération internationale que dans les grands
projets d'infrastructures exécutés par l'Etat. La gestion
participative de ces initiatives devient de plus en plus une exigence de la
société civile en dépit du fait que la reconnaissance de
l'importance de la participation citoyenne dans les grands projets susceptibles
de modifier le fonctionnement des territoires n'a pas encore fait la preuve de
son efficacité.
Notre recherche a analysé dans quelle mesure la
participation des acteurs sociaux à l'évaluation et au suivi des
impacts sociaux et environnementaux contribue valablement à
l'identification et à la prise en compte des incidences sociales et
environnementales du projet, favorise un dialogue entre les acteurs et facilite
une meilleure répartition du pouvoir entre les acteurs dans le sens de
la maîtrise sociale du changement à l'échelle locale ou
régionale.
Notre réflexion sur l'efficacité de la
participation s'est située dans le sens des concepts
d'«empowerment» et de capital social et nos trois
(3) hypothèses de travail ont porté sur la qualité de la
participation et l'engagement des acteurs. Pour la vérification des
hypothèses, nous avons analysé le cas du Parc de Caracol dont la
construction est assujettie à la procédure de l'Etude d'Impact
Environnemental (EIE). Quatre (4) dispositifs participatifs ont
été analysés : (1) La
pré-consultation du promoteur, (2)
l'enquête, (3) les rencontres
thématiques et (4) le comité local de
suivi.
Notre analyse a révélé que malgré
les moyens déployés par le projet, le bilan est mitigé. Le
mode de participation prôné a eu très peu d'effet sur
l' «Empowerment» et la construction du capital social
dans la communauté. Deux (2) catégories de raisons expliquent,
selon notre analyse, cette situation : (1) Les lacunes des
dispositifs participatifs et (2) la conduite des
acteurs. L'étude a plutôt montré que la participation
a eu pour effet de réaffirmer le contrôle et le pouvoir
exercés par les acteurs dominants (le promoteur et la firme de
construction en particulier).
Le projet de construction du parc de Caracol soulève un
certain nombre de questions et de préoccupations sur le bien
fondé du crédit accordé à l'Etude d'Impact
Environnementale (EIE) dans sa méthodologie. Théoriquement, des
objectifs et de la vision qui ressortent de sa définition, voire
caractéristique propres à l'EIE dans le cas précis de
Caracol, la participation publique occupe une place prépondérante
dans le processus dit décisionnel. Cependant, sur la base des faits
exposés dans le cas à l'étude, il semble tout à
fait justifié d'affirmer que l'EIE souffre d'une précarité
méthodologique qui est due en grande partie au mode d'implication de la
population dans le processus. Un tel point de vue est non seulement
motivé par la présence d'un arbitrage politique insensible, sinon
vaguement, aux préoccupations du public, mais également par la
contribution inéquitable des différents acteurs (promoteur,
société civile, citoyens directement ou potentiellement
concernés) au processus décisionnel.
La mesure proposée, et qui serait susceptible de
contrer l'effet des rapports de force s'exerçant dans le cadre de la
définition des impacts sociaux et environnementaux, consisterait
à confier la gestion du processus d'EIE à un organisme public
indépendant du promoteur et de toutes autres parties ayant des
intérêts dans le projet comme des organismes de
développement économique ou les autorités locales et
régionales.
Un tel organisme assurerait une certaine continuité sur
les plans de la gestion de l'information, de l'étape de la planification
à celle du suivi. À l'étape du suivi, l'organisme
assurerait la gestion des comités multipartites afin d'assurer leur
représentativité et le respect des règles minimums de
fonctionnement. L'établissement de telles règles et la prise en
charge de leur application par une instance indépendante sont encore
plus pertinents dans le contexte d'un projet comme celui du parc de Caracol qui
bénéficie d'un niveau élevé d'acceptabilité
sociale et où l'expression ouverte de questionnements et de points de
vue divergents est plus difficile.
Mots-clé : dispositifs participatifs,
conduite des acteurs, analyse de l'empowerment, maîtrise sociale du
changement, Caracol, Haïti
CHAPITRE 1 :
PROBLEMATIQUE, CADRE D'ANALYSE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Le concept de la participation citoyenne est intimement
lié à celui de la démocratie (Bellilna et al,
2008). Originellement, la démocratie est venue consacrée le
principe de la participation des citoyens au choix de leurs
représentants (Villemeur et Magro, 2007). Avec
l'évolution et la modernité, la démocratie implique la
participation des citoyens au choix des leaders, à la conception des
programmes et politiques publiques, à leur mise en oeuvre et à
leur évaluation (Coote, A. et al, 1997; Bellilna et al,
2008). La question de la participation citoyenne a été
soulevée de façon itérative dans plusieurs forums de
débats et surtout au cours de la réflexion approfondie autour
de la thématique de la décentralisation et du partage du pouvoir
(Arnstein, 1969; Austin, J., Stevenson, H. et Wei-Skillern,
J.2006). En principe, le peuple, mandant primaire, doit être au
centre du processus décisionnel dans toutes les étapes de la vie
d'un pays notamment celles qui marquent un tournant décisif dans le mode
de fonctionnement d'un territoire. Le cas de la construction du parc de
Caracol est en ce sens un exemple très intéressant car selon les
spécialistes de l'Evaluation environnementale il serait un récent
cas d'échec du mécanisme de participation du public au processus
décisionnel.
La présente recherche porte sur les dispositifs
institutionnels de participation dans le domaine de l'environnement. À
l'instar d'autres domaines d'intervention de l'Etat, nous assistons en
Haïti depuis la fin des années 1980, à l'émergence de
nouveaux modes de gestion de l'environnement. Parmi ces modes on retient celui
de plus en plus exigé des bailleurs de fonds internationaux à
savoir l'Etude d'impact environnemental
Dans ce domaine spécifique la plupart des processus mis
en place par plus d'une centaine de pays et d'organisations à travers le
monde comportent des dispositifs de participation. Les modalités varient
d'une juridiction à l'autre notamment en ce qui concerne
l'identification des acteurs, l'ampleur et le moment de la participation
(Elliott et Williams, 2008). La plupart comporte de rendre public
l'information sur le projet, certaines prévoient la possibilité
de tenir de consultations sous forme de contacts informels,
d'ateliers, de groupes consultatifs, de questionnaires ou
d'assemblées publiques, et récemment, on a vu apparaitre
des processus de négociation et de collaboration
multipartite (Mahoney, Potter et al. 2007; Wright, Parry et al.
2005) suite à l'introduction de la médiation et des
comités de suivi environnemental.
1.1.-Les projets de
développement industriel entre bénéfices et coûts
sociaux
Certaines décisions marquent l'histoire d'un
territoire. Celles entourant l'implantation de grands complexes industriels en
font partie et c'est le cas de la construction du Parc industriel à
Caracol dans le Nord-est d'Haïti non loin de la frontière entre
Haïti en la République Dominicaine. De telles infrastructures
entraînent en effet des changements importants dans les territoires
habités (Gauthier, 1998 ; Gagnon 2010). Ces changements
concernent tout autant l'économie que l'occupation du territoire, les
pratiques sociales liées à la nature, la qualité de
l'environnement, la santé publique ou le paysage par exemple. Certains
sont souhaités, d'autres sont redoutés. Certains sont bien
connus, d'autres prêtent à débat.
Historiquement tolérés au nom du progrès
et de la croissance économique, plusieurs projets soulèvent de
plus en plus de questionnements, voire d'oppositions. Comme le rappellent les
contestataires : les projets présentés au nom du
développement n'apportent pas seulement des bénéfices, ils
ont aussi des coûts (Potter et al. 2007 ; Wright, 2005 ;
Gillis, 1999). De plus, ceux-ci ne sont pas répartis
également sur les territoires et dans les populations. Dans un contexte
où les sociétés sont traversées par des valeurs et
des intérêts variés (Gagnon, 2010), où des
demandes sociales parfois contradictoires et mouvantes sont exprimées
(Sauvé, 2007), les décideurs publics, locaux comme
nationaux, font parfois face à des dilemmes.
Divers outils ont été mis en place pour
éclairer leur travail, comme celui de l'étude d'impact
environnemental (EIE). Introduite en 1969 aux États-Unis, la
procédure formelle et légale est désormais adoptée
dans plus d'une centaine de pays (Elliott et Williams, 2008 ; Kemm,
2005 ; Douglas, 2001 ; Gillis, 1999 ; Mahoney, Potter et al.
2007; Wright, Parry et al. 2005).
Elle est aussi régulièrement exigée par
de grandes institutions financières (Banque Mondiale, Banque
Interaméricaine de Développement). En Haïti, depuis 1985,
il est fait l'obligation à « [tout promoteur]... ou
maître d'ouvrage de tout projet d'aménagement, d'ouvrage,
d'équipement ou d'installation qui risque, en raison de sa dimension, de
sa nature ou des incidences des activités qui y sont exercées sur
le milieu naturel, de porter atteinte à l'environnement est tenu de
réaliser, selon les prescriptions du cahier des charges, une
étude d'impact permettant d'évaluer les incidences directes ou
indirectes dudit projet sur l'équilibre écologique de la zone
d'implantation ou de toute autre région, le cadre et la qualité
de vie des populations et des incidences sur l'environnement en
général (...) » (Article 253, Titre IX,
Chapitre II De l'Environnement) sous l'autorité du
Ministère de l'Environnement (MDE).
1.2.-L'étude des
impacts environnementaux : champ de pratique
L'étude d'impact est une procédure bien connue
des Maîtres d'Ouvrage, maîtrisée par les experts et
appréciée par le public. Etape du processus d'évaluation
environnementale, selon
http://www.viadeo.com/profile/0021m8gw7qx5420p/?utm_source=Viadeomail-FR&utm_medium=email&utm_term=Etpl:ViewProfile,Ep:body,Ety:txtlink,En:PotentialContacts-NameorPhoto,&utm_content=&utm_campaign=Cn:150,Ce:B2C,Cp:Alert-newsletter,&mtrck=aa28dd99af28ab638ed551c6ba7785fa3403be47be9c25ef46f78cea04f63ffce4fe89c7b32aa95cc340ed0bb5fc47d5Gauthier
(1998), elle constitue un moment essentiel pour faire évoluer les
projets de travaux et d'aménagement vers la solution de moindre impact
et pour développer une concertation effective avec le public. Elle peut
être définie comme une combinaison de procédures, de
méthodes et d'outils par lesquels une politique, un programme, ou un
projet peut être jugé quant à ses effets potentiels sur
l'environnement et sur la population (European Centre for Health
Policy, 1999). L'EIE vise à estimer, à l'aide d'informations
scientifiques et contextuelles, les effets possibles afin de minimiser les
impacts négatifs et de maximiser les impacts positifs.
L'EIE est donc forte d'une pratique de près de 60 ans.
Sur cette période, le contexte social et institutionnel a cependant
changé considérablement. La pratique aussi a
évolué. Alors que l'opinion publique prenait au fur et à
mesure conscience des problèmes environnementaux dès le
début des années 1960 (Gagnon, 2010), de nouvelles
expertises se sont développées, pour répondre à de
nouveaux questionnements et champs de préoccupations sociales qui
doivent être considérés dans l'évaluation. Les
questions liées à la qualité de l'environnement
biophysique (air, eau, sols) demeurent toujours centrales, mais
d'autres s'ajoutent et prennent de l'importance comme celles liées aux
impacts sociaux, à la santé
publique et à la distribution sociale et territoriale
des impacts.
Dans ce travail de recherche, un autre type de
préoccupations retient notre attention : celles de la
qualité de la participation du public dans des grands projets
industriels qui impliquent souvent des déplacements de
population.
1.3.-Le principe de
participation dans la littérature scientifique
Dans la littérature scientifique, la participation des
acteurs sociaux à l'étude d'impact environnemental et au suivi
des impacts sociaux et environnementaux est analysée sur plusieurs
plans. Certaines études s'appuient sur des critères normatifs
-démocratisation des processus décisionnels- d'autres
sur les objectifs des intervenants, ceux des promoteurs -publics ou
privés- qui cherchent à obtenir l'acceptation sociale de
leur projet et ceux des personnes potentiellement affectées ou
concernées qui cherchent à influencer les décisions dans
le sens de leurs préoccupations et de leurs intérêts. Mais
plusieurs critiques portent sur les limites théoriques de la
participation dans le contexte plus large des grands chantiers nationaux.
Nous partons du constat que si, depuis les années 1960,
l'environnement a été utilisé par des groupes sociaux
comme principal argument pour dénoncer les impacts négatifs
causés par les grandes infrastructures et industries (Elliott et
Williams, 2008), la thématique de la participation publique dans la
définition des alternatives y prend de plus en plus d'importance depuis
une vingtaine d'années (Gagnon, 2010 ; Sauvé,
2007). Comme le montrent sans équivoque les débats sociaux
entourant les projets de barrages et centrales hydroélectriques, de
lignes de transport d'énergie, d'aménagements routiers et, plus
récemment en Haïti, ceux liés à la construction de
parcs industriels et de zones franches : la relocalisation de la population est
devenue un objet de conflit de plus en plus important entre les entreprises,
des fois l`Etat, les organisations de la société civile et les
populations locales (Fortin, 2007a).
Par ailleurs, la littérature sur l'EIE n'apporte pas
toujours de réponses claires aux questions d'ordre méthodologique
qui préoccupent les praticiens : Qui sont les citoyens qui devraient
être mis à contribution? À quelles étapes
dans la démarche devraient-ils être mis à contribution
?
Toutefois, certains soulignent que les critiques
reflètent le fait que la participation citoyenne dans l'EIE est une
pratique en émergence (Mahoney, Potter et al. 2007; Wright, Parry et
al. 2005) qui démontre la nécessité de pousser les
réflexions sur les méthodes les plus prometteuses ou pertinentes
en fonction de différents enjeux et contextes (Gorman et Douglas,
2001, p. 164). Car non seulement les pratiques participatives dans l'EIE
demeurent encore limitées (Gagnon, St-Pierre et al. 2010), mais
l'idée même de participation citoyenne dans l'EIE ne semble pas
très bien articulée et est parfois remise en question
(Dannenberg, Bhatia et al. 2006, p. 266)
Cela dit, la rhétorique participative de l'EIE fait
face à de nombreux écueils, que ce soit les limites des
organisations publiques appelées à mener des EIE dans un contexte
de ressources limitées et d'échéanciers très
courts, des communautés pauvres, désintéressées et
mal outillées, ou encore des acteurs politiques inquiets des risques que
pourrait poser la participation citoyenne. À cela s'ajoute
l'immaturité théorique de l'EIE et l'absence de «mode
d'emploi» pour mettre les citoyens à contribution.
1.4.-Objectifs de la
recherche
Les objectifs de cette recherche sont les suivants :
· Déterminer dans quelle mesure la participation
du public à l'EIE :
· Contribue à l'identification et à la
prise en compte des conséquences sociales et environnementales du
projet;
· Favorise un dialogue entre les acteurs ;
· Favorise un arbitrage plus équitable des
intérêts en présence;
· Contribue à une meilleure répartition du
pouvoir entre les acteurs sociaux dans le sens de la maîtrise sociale du
territoire à l'échelle locale.
· Préciser l'impact des dispositifs participatifs
dans le renforcement (empowerment) des communautés locales
à participer à l'évaluation des impacts et à leur
suivi;
· Concevoir et proposer une stratégie et un
mécanisme de participation citoyenne de la société civile
et des ONG de protection de l'environnement à l'EIE de projets de
développement de grands complexes industriels en Haití.
1.5.- Hypothèses de
travail et questionnements de recherche
Compte tenu des concepts et des notions évoqués
dans ce document, nos questionnements de recherche sont les suivants :
· Quelle a été la nature de
l'opportunité offerte par les dispositifs participatifs aux acteurs
locaux dans le cas à l'étude, d'être présents, de
s'exprimer, de participer aux discussions, de participer au processus de
décision ?
· Les dispositifs participatifs mis en place ont-ils
permis la construction de la meilleure compréhension possible et une
compréhension partagée, compte tenu des connaissances
raisonnablement accessibles aux participants au moment de la construction du
parc ?
Nous sommes d'avis qu'en soit, la participation publique
(variable indépendante) ne favorise pas l'augmentation du
consensus. Par exemple, des procédures de participation publique
peuvent être organisées sans qu'il y ait une véritable
volonté d'écouter ni d'intégrer les avis formulés.
Dans ce cas, il ne serait pas surprenant qu'il n'y ait pas d'augmentation du
consensus. C'est pourquoi nous établissons un lien de corrélation
et non pas un lien de causalité entre la participation publique et
l'augmentation du consensus.
Nous postulons en conséquence que la qualité de
la participation publique, respectivement l'intégration des propositions
de la population (ou ses représentants) dépend d'un certain
nombre de facteurs. Dans ce cadre nous émettons 3
hypothèses :
1. H1 : La participation
augmente le consensus à condition qu'elle intègre les
propositions des acteurs de la participation publique.
2. H2 : L'évaluation des
impacts environnementaux et les dispositifs participatifs y relatifs induisent
des processus d'empowerment et la construction et du capital
social à l'échelle de la communauté locale.
3. H3 : L'efficacité de
la participation à l'EIE dépend des conditions de la
participation, mais également de l'engagement et de l'implication des
acteurs, ainsi de la revendication de leur rôle dans la gestion du
processus.
1.6.-Démarche
méthodologique
1.6.1.-Justification de la
démarche et adéquation avec notre problématique
Le mode d'investigation consiste en une étude de
cas : celui de la participation des acteurs locaux à
l'évaluation et au suivi des impacts du projet de construction du Parc
industriel de Caracol. Ce cas est pertinent à notre
problématique de recherche et à notre cadre d'analyse. D'abord,
la construction du complexe industriel est susceptible de modifier en
profondeur, à différents degrés, positivement ou
négativement, plusieurs dimensions de la «qualité de
vie» des communautés (qualité de l'environnement,
économie locale dont l'emploi et les retombées pour les
entreprises régionales, infrastructures de transport, accès au
logement, etc.). De plus, le projet a été soumis à
toute une batterie de procédures d'évaluation et d'examens
environnementaux qui exigent la réalisation d'une étude d'impact
par le promoteur en l'occurrence l'Etat Haïtien.
L'étude approfondie de ce cas apparaissait comme une
stratégie cohérente avec notre conception de l'étude
d'impact, envisagée comme un outil de régulation des processus de
négociations sociales adopté par l'État. Ce cas
était aussi intéressant à cause du contexte particulier
dans lequel s'inscrivaient les négociations, qui présente
plusieurs caractéristiques d'une région «fragile»
(Lafontaine et Thivierge, 1999). Selon Blowers et Leroy (1994), il
s'agit de régions 1) éloignées des centres
décisionnels, 2) économiquement
marginales, 3) socialement homogènes, 4)
ayant peu de pouvoir et dominées par une culture de
l'acceptation et 5) souffrant d'une fragilité
environnementale ou subissant des risques découlant de l'industrie
moderne.
La démarche méthodologique a été
structurée de la façon suivante. D'abord, sur le plan du cadre
d'observation et de la constitution des données, il apparaissait
nécessaire d'étudier les dispositifs participatifs mis sur pied
pour faciliter la participation de la population. Pour ce qui est de la
procédure, autant celles tenues en amont qu'en aval
(c'est-à-dire depuis la planification historique du projet jusqu'au
démarrage des travaux), celles prenant place dans les
mécanismes formels de participation prévus à cette fin que
celles menées en parallèle de l'ÉIE ont été
considérées.
1.6.2.-La recherche
documentaire
La recherche documentaire porte sur les écrits rendus
publics dans le cadre de l'évaluation environnementale dans le cas du
projet de Caracol (étude d'impact, rapport d'enquêtes,
compte-rendu de conférence, et documents afférents), les
écrits diffusés dans la presse et ceux émanant
d'organismes publics et de la société civile portant sur la
région, le promoteur, l'industrie de la sous-traitance ainsi que sur le
projet lui-même.
1.6.3.-Outils
d'investigation
En fait, tout moment d'interaction entre les acteurs
impliqués constituait un lieu d'observation potentiel pour comprendre
les négociations sociales concernant un aspect ou l'autre du processus,
ainsi que leurs incidences sur le devenir du projet industriel et les impacts
qui en découlent. Dans cette perspective, pour le cas
étudié, des observations directes ont été
réalisées lors des rencontres thématiques entre
février et avril 2012, de même que pendant cinq séances
d'information organisées et lors de deux visites de chantier
réalisées par le promoteur à l'intention des membres du
comité de suivi et de résidents de proximité. Les
écrits produits dans ces cadres, de même que ceux issus d'autres
négociations auxquelles nous n'avions pas accès en
personne ont également été examinés.
De ces observations, deux grands types de données ont
par la suite été dégagés pour être soumis
à l'analyse : d'une part, les demandes exprimées par
divers groupes d'acteurs en matière de perte de biodiversité
et, d'autre part, les diverses actions et stratégies menées
sur une ou l'autre des trois dimensions relatives au cadre physique
(matérielle, symbolique, politique). Les stratégies ont
ainsi été retenues sur la base que, à un moment ou un
autre du processus d'implantation, elles visaient à influencer le
devenir du projet, autant dans ses
dimensions matérielles (ex. : envergure
physique, type de production, quantité d'émissions)
que symboliques (ex : représentation du projet,
bien-être des résidents).
Le choix de retenir les actions touchant la symbolique du
projet est conséquent avec la perspective privilégiée
(constructiviste, interactionniste et critique). Celle-ci
considère en effet que la perception des changements matériels
suscités par l'implantation industrielle - et donc la nature et
l'importance des impacts sociaux - peut être influencée par
les rapports d'échange et de concertation expérimentés
entre les acteurs et le projet (Greider et Little, 1998).
En conséquence, dans le cas à l'étude,
les stratégies de communication et de promotion étaient alors
à considérer. Pensons aux rencontres d'information
organisées par le promoteur, comme celles annonçant le
début de travaux ou celle tenue pour tenter de désamorcer un
sentiment d'insécurité que commençaient à exprimer
des résidents, témoins oculaires d'un incident technologique.
Pensons aussi aux négociations et stratégies concernant le design
du parc qui favorise une certaine mise en scène du chantier, ainsi que
son utilisation par le promoteur lors de visites guidées du chantier.
De même, ont été considérés les diverses
stratégies déployées par l'Etat pour tenter d'influencer
les représentations de l'environnement portées par la
communauté, un groupe d'acteurs stratégiques pour
l'acceptabilité sociale du projet, incluant des visites de chantier.
Nos observations n'ont donc pas porté uniquement sur les cadres formels
de participation.
1.6.4.-Dynamiques d'acteurs et
stratégies
Enfin, les dynamiques d'acteurs et leurs stratégies ont
été analysées pour tenter de cerner la capacité de
l'ÉIE, d'une part, à intégrer les préoccupations
associées à l'environnement notamment humain, en accord avec
notre définition élargie, que celles-ci aient été
formulées ou non sous ce thème explicite, et, d'autre part,
à réguler les dynamiques de négociation. Trois
critères ont été utilisés, inspirés d'une
proposition de Theys (2003), et qui correspondent à trois aspects des
pratiques de gouvernance. Ils touchent : 1) la coordination, 2)
la légitimité de la décision, et 3) la
réception par la communauté. Ces critères sont
décrits au point 2.5
Enfin, le développement fait jusqu'ici conduisent
à l'étude de cinq (5) concepts fondamentaux : (1) La
participation du public et ses formes, (2) la société civile et
les acteurs directement concernés qui représentent
l'élément intégrateur du processus de participation. A
ceux-là on ajoute (3) l'«Empowerment » et (4)
l'acceptabilité sociale et (5) le capital social
1.6.5.-Cadre d'analyse de la
participation
Dans la présente étude, nous étudions la
participation sur le plan des conditions dans lesquelles elle s'effectue, de la
conduite des acteurs sociaux et des résultats. L'étude des
conditions de la participation vise à
déterminer la nature de l'opportunité offerte aux acteurs
sociaux : les participants, le moment de la participation dans le
processus décisionnel, le mode participatif, la portée de la
participation, etc. Pour étudier ce processus, nous nous
intéresserons à la théorie de l'action
communicative : Theory of Communicative Action : d'Habermas et
l'application qu'en font Webler et Tuler (2000)
L'autre dimension considérée est celle de
la conduite des acteurs. Cette dimension s'impose de
plus en plus dans les études sur la participation qui
s'intéressent à l'attitude des acteurs sociaux et à leur
implication dans les dispositifs participatifs (Margerum, 1999),
à l'effet de facteurs comme la culture et l'histoire pour expliquer le
niveau de participation (Botes et Van Rensburg, 2000), et aux
attitudes et à a capacité des acteurs à saisir
l'opportunité de la participation (Palerm, 2000). En
résumé, les suppositions de ces auteurs, sont que les dispositifs
participatifs n'interviennent pas dans un vide social.
Dans notre étude, nous nous intéresserons
à la conduite des acteurs comme révélateur des normes et
des pratiques sociales et culturelles existantes dans la communauté et
à leur influence sur l'efficacité de l'EIE comme outil favorisant
la maîtrise sociale du changement.
1.6.6-Cadre d'analyse des
résultats
Nous partons du postulat que le comportement des acteurs d'un
processus (participatif) est le résultat de plusieurs influences,
notamment : (1) les idées, (2) les institutions,
(3) les intérêts. Les idées ne sont pas
figées dans le temps; elles évoluent à la suite de
l'exposition des acteurs à de nouvelles informations ou
expériences. De plus, ce caractère évolutif en fait des
cibles des interventions publiques visant à influencer le comportement
des acteurs.
Sur cette base et partant de l'existant, à savoir les
caractéristiques socio-économiques du territoire et celles du
projet, nous analysons les dispositifs participatifs sous l'angle de la
conduite des acteurs afin d'estimer leur degré d'appropriation du
processus d'Étude des Impacts Environnementaux et Sociaux comme il est
schématisé dans la figure 1 ci-dessous.
Figure 1 : CADRE D'ANALYSE
INPUTS
PROCESSUS
OUTPUTS
OUTCOMES
· Présentation du projet et de son territoire
d'insertion
· Analyse de la population locale et des différentes
catégories d'acteurs
· Présentation des parties prenantes au processus
d'étude d'impact environnement
· Présentation des attentes des acteurs locaux
· Analyse des dispositifs participatifs
o Pré consultation
o Enquêtes
o Rencontres thématiques
o Comité local de suivi
· Analyse des rapports et du cadre légale et
institutionnel
· Analyse de la maîtrise sociale du changement et de
l«Empowerment» de la population locale
· Représentation sociale du processus d'EIE chez les
acteurs locaux
· Les moments de la participation dans le processus
· Niveau d'implication des acteurs (la conduite des
acteurs)
· Niveau de prise en compte des suggestions des acteurs dans
le processus décisionnel (les formes de participation)
· Niveau de contrôle du processus d'EIE par la
population
· Niveau d'augmentation des connaissances raisonnablement
accessibles au moment de l'EIE
· Perception chez la population du processus d'EIE
CHAPITRE 2.-CADRE
CONCEPTUEL
SECTION 1.- Les
concepts
2.1.-Etude d'impact
environnemental (EIE)
L'étude d'impact environnemental est
généralement conçue comme un processus d'analyse
basé sur une conception de développement durable, liant
l'économique, le social, l'environnemental et le politique (Sadler,
1996). Souscrivant au paradigme rationaliste de la planification, un
postulat fondateur de l'évaluation environnementale est qu'une prise de
décision «informée» permettrait de mieux
maîtriser les changements anticipés par l'implantation de projets,
programmes ou politiques1(*). La procédure d'évaluation
environnementale comporte plusieurs processus formels. En ce qui a trait aux
grands projets d'infrastructures, il s'agit de l'évaluation des
impacts sur l'environnement (ÉIÉ), qui comprend
notamment l'étude d'impacts, document le plus connu, ainsi que la
participation citoyenne non mentionnée dans la législation
haïtienne. L'ÉIE consiste à prévoir et à
évaluer les changements, positifs et négatifs, susceptibles de se
produire suite à l'implantation d'un projet au regard des
spécificités biophysiques et sociales du milieu d'accueil,
respectivement les impacts environnementaux et les impacts sociaux.
Malgré l'absence de mention expresse du principe de
l'EIE, la Déclaration de Stockholm a, dans sa démarche, permis
une première réflexion dans ce sens, et a encouragé
à adopter une attitude plus engagée pour l'avenir. Même
sans la présence d'un Principe consacré à l'étude
d'impact, les Principes 14, 15 et 21 consacrent l'obligation pour les
Etats de veiller à ce que les activités exercées sous leur
juridiction ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres
Etats. Cette obligation très générale pourrait aussi
servir de base au principe de l'EIE préalable à toute
activité susceptible de détériorer l'environnement. De
plus, cette obligation prévoit déjà un débordement
du cadre national vers d'autres Etats, obligation qui fera l'objet
spécifique d'une Convention2(*), 20 ans plus tard.
Malgré les nombreuses démarches
raisonnées qui la concernent, l'ÉIE comporte toujours une part de
«subjectivité» et une dimension politique. En soi,
l'évaluation «chevauche la science et la politique,
puisqu'elle fait intervenir des jugements de valeurs», comme le
rappellent André et al. (1999 :292).
L'évaluation environnementale est alors vue comme un cadre,
utilisé par l'État, pour réguler et arbitrer les
différents intérêts portés par les acteurs sociaux,
locaux comme nationaux, à l'égard de grands projets
(Gariépy, 1997). Il peut s'agir de ceux de l'entreprise
liés à la productivité et à la rentabilité
économique, des préoccupations d'ONG pour la protection de
l'environnement, ou de celles de parties concernées et
impliquées, de groupes ou d'individus affectés concernant la
création d'emploi, la santé publique, la qualité de vie ou
le paysage.
Comme les processus de négociation impliquent
traditionnellement l'État central et l'entreprise, des mécanismes
de participation sont prévus par la procédure de l'ÉIE
dans le but d'intégrer davantage de groupes associés à la
société civile. Pensons aux consultations du public, à la
médiation environnementale ou aux comités de suivi mis en place
depuis une dizaine d'années (Parry et Wright, 2003; Elliott et
Williams, 2008).
2.2.-La participation publique
La participation comme fait « d'avoir droit à
une part », « de prendre part » (dictionnaire
Hachette, 1998) fait ressortir deux (2) facteurs importants :
l'existence d'un droit à la part et (2)
l'exercice de ce droit. Selon l'Agence de Protection de
l'Environnement des Etats-Unis (EPA), il y a participation publique lorsque ce
droit est exercé par un large public : les citoyens, les
différents groupements d'individus tels que les associations de
consommateurs, les environnementalistes, les représentants d'industrie
et de commerce, etc. La définition de l'EPA fait ressortir deux (2)
dimensions de la participation citoyenne : (1) la représentation
assurée par une agence intermédiaire qui établit (2) un
dialogue entre un large public et le décideur. Dans sa
définition, Canter (1996) insiste plus sur la nature de ce dialogue. Il
présente en effet la participation comme un flux continu bidirectionnel
d'échanges dont le but est d'aboutir à la compréhension
des processus et mécanismes qui risquent de nuire à
l'environnement et pouvant être résolus par l'agent responsable
(Canter, 1996, p 19).
De plus, cette définition à
l'intérêt d'insister sur une troisième dimension ;
celle du traitement et de la transformation de l'information. La participation
suppose et impose que l'information soit recueillie de part et d'autre du
processus et validée auprès des parties. Dans cette perspective,
la participation représente autant un processus d'investigation et de
résolution des problèmes environnementaux, d'analyse, de
traitement de l'information qu'un mécanisme de représentation et
de légitimation. En permettant au public d'intervenir dans la
formulation des politiques pour que celles-ci reflètent mieux ses
valeurs, intérêts et priorités (Clifford, 1994, p.
50), elle devient de fait, un cadre d'action de nombreux acteurs ayant des
intérêts divergents sinon contradictoires mais qui doivent
être conciliés en vue de fournir l'information pertinente pour la
décision.
La participation publique est une composante
stratégique de la planification (Hamel, 1993 p. 71) que
Mintzberg (1994, p. 28) considère comme une procédure
formalisée devant produire un résultat articulé sous la
forme d'un système intégré de décisions. Pour
comprendre les difficultés et les problèmes relatifs au processus
de participation publique, Godbout (1983) et Parenteau (1988)
préconisent de l'étudier comme une entité distincte.
« Dans le mouvement actuel, la participation n'est plus un concept
automatique lié à celui de la démocratie; elle devient
autonome » (p.23) argumente le premier et d'après le
second, « formelle ou non, elle développera ses propres moyens
et génèrera sa propre dynamique interne »
(p.4)
2.3.-Les formes de
participation
Rechercher des solutions collectives aux problèmes
qualifiés d'affaires publiques nécessite, dans le cadre d'une
démocratie libérale (Enriquez, 1995), une participation
multiforme. Les formes les plus courantes utilisées par les pays qui
accordent une attention particulière à la participation citoyenne
sont l'information, la consultation, la concertation, le débat public,
la conciliation/médiation, la conférence de citoyens ou de
consensus, le jury de citoyens ou cellule de planification et les repas de
quartier.
Signalons qu'avec l'expansion de l'Internet, certains pays
industrialisés développent ces dernières années les
«e-gouvernance», «e-administration »,
«e-participation», etc., une façon de faciliter et
d'accélérer la participation du citoyen dans la gestion de la
chose publique à partir de son ordinateur personnel relié
à l'internet. Haïti n'est pas encore à ce stade et de ce
fait, nous fermons tout de suite la parenthèse. Nous nous contentons de
nous pencher alors sur les formes traditionnelles préalablement
citées.
· L'information.- Ce
paramètre est incontournable et constitue le préalable à
tout projet de participation. Il devient impérieux de fournir
suffisamment d'informations à la population appelée à
participer. Cette information véhiculée à travers les
médias traditionnels, médias de masse, Internet, réunions
publiques ou autres doit être complète, claire et
compréhensible. Ce n'est qu'à cette condition que la population
va être investie du pouvoir d'agir.
· La consultation.-
C'est lorsqu'en amont d'une politique, les décideurs demandent l'avis de
la population afin de connaître ses opinions, ses attentes et ses
besoins.
· La concertation.-
C'est une attitude globale de demande d'avis sur un projet ou une politique,
par la consultation de personnes intéressées par une
décision avant qu'elle ne soit prise.
· Le débat
public.- C'est une étape importante dans le processus
décisionnel qui s'inscrit en amont du processus d'élaboration du
projet ou de la politique.
· La
conciliation/médiation.- C'est la confrontation de
points de vue divergents des participants animés par le désir et
la volonté d'aboutir à une solution ou un consensus
majoritaire.
· La conférence de citoyens ou de
consensus.- C'est le dialogue public,
en vue d'un consensus, engagé entre un panel de citoyens profanes (qui
ont reçu des experts une formation préparatoire) et des
représentants du monde politique, économique et associatif sur
des problématiques d'ordre scientifique et technologique
(Bévort, 2002). Le rapport final comportant les avis et
recommandations du panel de citoyens sera rendu public et remis aux
décideurs politiques à l'issue de la conférence.
· Le jury de citoyens ou cellule de
planification.- C'est une
méthode (Bevort, 2002), à la différence de la
conférence de citoyens, qu'on utilise surtout au niveau local et
notamment dans le cadre du développement urbain. De fait, un panel de
citoyens informés représentant le noyau de leur communauté
et divisé en petite « cellule de planification » va
remettre - après discussions et évaluation de différentes
options relatives à une problématique de planification urbaine -
un rapport comportant avis et recommandations aux autorités
politiques.
· Les repas de
quartier.- C'est aussi une méthode de participation
qui s'applique à une sphère géographique très
réduite : « Le quartier ». Les premiers repas
de quartier hebdomadaires (Bevort, 2002) furent organisés
à Arnaud-Bernard, un vieux quartier de Toulouse (France), dans les
années 1991-1993. Ils avaient pour but de « contribuer
à inventer de nouvelles solidarités, de transformer les
mentalités dans notre pays, de prendre à revers la
technocratie ». Les participants furent à la fois acteurs et
organisateurs de ces repas qui leur offrent l'occasion de se rencontrer en
toute convivialité, d'échanger et d'envisager d'autres actions
communes.
C'est donc à travers l'une ou deux des formes de
participation décrites ci-dessous que vont se retrouver les acteurs qui
désirent intervenir dans l'élaboration de l'EIE. Les acteurs
intéressés sont le promoteur, les résidents, les
entreprises, les groupes, les individus et, de manière plus large, la
société civile.
2.4.-La société civile
Point n'est besoin de rappeler que la société
civile joue un rôle prépondérant dans tout processus de
participation citoyenne, de démocratie participative. Dans cet ordre
d'idées, divers auteurs ont travaillé sur ce thème et ont
montré, à travers leur définition du concept, les acteurs
composant la société civile et leurs rapports avec l'Etat.
Pour Saint-Simon (Houtard, 1995), par exemple,
la société civile indiquait au 18ème
siècle tout ce qui n'appartenait pas au pouvoir politique,
c'est-à-dire l'État. Tandis que Hegel voit en elle la
médiation entre la forme sociale primaire qui est la famille et la forme
la plus élevée, l'État. Dans son étude faite au
début du 19ème siècle sur la démocratie aux
Etats-Unis, Alexis de Tocqueville (1835 et 1840) constate que les
associations libres, en fonction du principe de l'égalité et de
la liberté d'opinion, se développent dans la sphère non
contrôlée par l'État. Gramsci étend, pour sa part,
la société civile à l'ensemble des organismes publics non
gouvernementaux, groupes et mouvements exprimant les préoccupations et
les droits populaires.
La dynamique constatée dans la vie associative en
Haïti, depuis deux décennies, se rapproche davantage de la
conception gramscienne de la société civile. On a, en effet,
observé à la chute de la dictature des Duvalier en 1986 à
un pullulement de comités de quartiers, d'organisations populaires,
d'associations socioprofessionnelles, de syndicats, de partis politiques,
d'organisations communautaires de base, etc. La plupart de ces associations ont
disparu et réapparu avec les conjonctures socio-politiques. Elles ont
certainement la vertu de porter tant soit peu la population en
général et leurs membres en particulier à
s'intéresser aux affaires publiques. On assiste alors à un
nombre appréciable de citoyens qui participent aux élections
présidentielles, législatives et municipales en qualité de
candidats ou d'électeurs. Ils appuient ou prennent activement part aux
manifestations des rues, aux grèves, meeting,
réunions-discussions, tribunes libres, etc.
2.5.-La conduite des
acteurs
L'autre concept opératoire concerne la conduite
des acteurs. Cette dimension s'impose de plus en plus dans les
études sur la participation qui s'intéressent à l'attitude
des acteurs sociaux et à leur implication dans les dispositifs
participatifs (Margerum, 1999), à l'effet de facteurs comme la
culture et l'histoire pour expliquer le degré de participation
(Botes et van Rensburg, 2000), aux attitudes et à la
capacité des acteurs sociaux à saisir l'occasion de participer
(Palerm, 2000). En somme, la prémisse de ces recherches est
que les dispositifs participatifs n'interviennent pas dans un vacuum social.
Dans notre étude de cas, nous nous sommes intéressés
à la conduite des acteurs comme révélateur des normes et
des pratiques sociales et culturelles existantes dans le milieu d'accueil, et
à leur influence sur l'efficacité de l'évaluation des
impacts environnementaux (ÉIE) comme outil favorisant la maîtrise
sociale du changement.
2.6.-Les résultats du
processus d'étude d'impacts
Enfin, le concept d'analyse des
résultats a été retenu afin de confronter
notamment la théorie et la pratique et d'amorcer une réflexion
sur la plus-value de la participation des acteurs sociaux aux processus
décisionnels. Le concept d'empowerment s'appuie sur une
participation citoyenne (Rich et al., 1995), sur un
partenariat favorisant la santé de la communauté et le
développement des individus (Fawcett et al., 1995). Nous
en parlons amplement dans la section 1.7.8.
2.7.-L'acceptabilité
sociale
Contrairement à une vision trop répandue,
l'acceptabilité sociale n'est pas l'acceptation d'un projet par la
majorité des citoyens (Gagnon, 2010). Le niveau
d'acceptabilité sociale d'un projet ne se résume pas au
résultat d'un sondage départageant une population sur la base
d'une vision binaire de « pour » ou « contre
». Cette conception démocratique est erronée
(Gariépy, 1997), car elle néglige les conditions
d'acceptabilité propres à chacune des parties prenantes
(Whitmore et Kerans, 1988) sous prétexte que leur opinion est
minoritaire (Coté, 2011). Cela a d'ailleurs été
confirmé à de multiples reprises : l'opposition d'une
minorité peut bel et bien suffire à bloquer un projet (Botes
et van Rensburg, 2000; Palerm, 2000)
L'acceptabilité sociale est le résultat d'un
processus durant lequel les parties prenantes construisent ensemble les
conditions minimales à respecter pour qu'un projet s'intègre
harmonieusement, à un moment donné, dans son milieu naturel et
humain (Coté, 2011). Cela a d'ailleurs été
confirmé à de multiples reprises : l'opposition d'une
minorité peut bel et bien suffire). Deux facteurs sont essentiels pour
atteindre ce résultat :
· La prise en compte du contexte local,
· L'ouverture du projet aux parties prenantes via un
processus de co-création.
L'acceptabilité sociale repose sur la perception des
inconvénients et des bénéfices que les parties prenantes
associent au projet (Gariépy, 1997). Que les
conditions exprimées soient acceptables ou non par le promoteur est un
autre sujet: il arrive que certaines conditions minimales exprimées
puissent être en contradiction avec les fondamentaux du projet,
conduisant à son abandon, ou à un passage en force.
2.8.-L'empowerment
Extrait du site:
http://www.cewh-cesf.ca/PDF/cesaf/projet-empowerment.pdf,
consulté le 30 juin 2012
Les auteurs ont élaboré plusieurs
définitions concernant le concept
d'empowerment (Rappaport, 1984). Selon les contextes, on
peut conceptualiser la notion d'empowerment et s'y
référer à la fois comme théorie, cadre de
référence, plan d'action, but, idéologie, processus,
résultat (Hawley & Mc Wrirter, 1991) ou conséquence
(Gibson, 1991).
L'importance démontrée d'une
compréhension pluraliste de ce concept nous amène à
aborder les questions de recherche à différents niveaux,
(individuel, social et communautaire) et selon différentes perspectives
(psychologique, organisationnelle, sociale, éthique, communautaire et
politique (Gibson, 1991). Nous présentons ici ces
différents niveaux et perspectives.
L'analyse du concept
d'empowerment réalisée par Le Bossé et
Lavallée (1993) a permis de dégager certaines constantes se
retrouvant dans la majorité des définitions applicables à
l'empowerment. Les notions de caractéristiques individuelles
(le sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience et de
motivation à l'action sociale), ainsi que celles liées à
l'action, aux relations avec l'environnement et à sa dimension dynamique
font l'unanimité.
Au plan individuel, Eisen (1994) définit
l'empowerment comme la façon par laquelle l'individu
accroît ses habiletés favorisant l'estime de soi, la confiance en
soi, l'initiative et le contrôle. Certains parlent de processus social de
reconnaissance, de promotion et d'habilitation des personnes dans leur
capacité à satisfaire leurs besoins, à régler leurs
problèmes et à mobiliser les ressources nécessaires de
façon à se sentir en contrôle de leur propre vie (Gibson,
1991 p. 359). Les notions de sentiment de compétence personnelle
(Zimmerman, 1990), de prise de conscience (Kieffer, 1984) et de motivation
à l'action sociale (Rappoport, 1987, Anderson, 1991) y sont de
plus associées. L'empowerment individuel comprend une
dimension transactionnelle qui se joue aussi au plan social et collectif car il
implique une relation avec les autres. À cet effet, Katz (1984) le
représente comme un paradigme synergique où les personnes sont
interreliées, où il y a un partage des ressources et où la
collaboration est encouragée. Il demande un effort individuel qui est
alimenté par les efforts de collaboration et un changement de
l'environnement (Wallerstein & Bernstein, 1988).
À ce niveau, la notion
d'empowerment psychologique est primordiale. Elle est
définie comme un sentiment de grand contrôle sur sa vie où
l'expérience individuelle suit les membres actifs dans un groupe ou une
organisation. Cette notion se construit sur des niveaux de développement
personnel, de soutien mutuel de groupe, de participation et d'organisation.
Elle peut apparaître sans la participation d'une action politique ou
collective et l'unité d'analyse est l'individu (Rissel,
1994). L'empowerment psychologique est nécessaire
mais insuffisant pour l'accomplissement de transformations et de changements de
niveau social ou collectif. Rappoport (1987) estime que si la
psychologie communautaire doit encourager la reconnaissance de la
diversité culturelle, c'est essentiellement parce que cela est
nécessaire au développement de l'empowerment. Il en est
de même pour la prévention, le développement des
communautés, la démocratie participative, la relation entre
chercheurs et participants, les réseaux de soutien, les groupes
d'entraide, etc.
Rappoport (1987) transforme la notion
d'empowerment, jusqu'alors utilisée pour exprimer une intention
abstraite, en un objectif explicite, celui qui doit être au coeur de
toutes les réflexions. L'empowerment comporte quatre
composantes essentielles: la participation, la compétence, l'estime de
soi et la conscience critique (conscience individuelle, collective, sociale et
politique). Lorsque ces quatre composantes sont en interaction, un processus
d'empowerment est alors enclenché. Ce processus proactif
est centré sur les forces, les droits et les habiletés des
individus et de la communauté, plutôt que sur les déficits
ou les besoins (Gibson, 1991, Anderson, 1996).
Hawley et Mc Whirter (1991) ajoutent à la
dimension individuelle et à tout ce qui précède, les
perspectives sociales et communautaires lorsque l'empowerment se
situe au niveau collectif ou communautaire.
L'empowerment contribue au développement de la
santé communautaire par les attitudes, les valeurs, les
capacités, les structures organisationnelles et le leadership. À
cet effet, les attitudes et les valeurs sont associées au degré
avec lequel les individus ont le "sens communautaire", les capacités
réfèrent aux connaissances et habiletés de la
communauté ou de ses membres; la structure organisationnelle
réfère au développement des organisations locales; et le
leadership pour les individus et les organisations est l'opportunité
d'exercer leur initiative au plan communautaire (Lackey, Burke, Peterson,
1987).
L'empowerment communautaire devient un processus
au moment où il y a interaction entre la coopération, la
synergie, la transparence et la circulation de l'information, le tout
basé sur les forces du milieu. Il est le résultat de la
participation dans des actions politiques et collectives et il requiert la
participation active des personnes où la redistribution des ressources
est favorable pour le groupe. L'unité d'analyse devient le groupe ou la
communauté. L'empowerment communautaire se déroule
en plusieurs étapes : la découverte des membres du milieu
entre eux ainsi que le dialogue et l'établissement d'un sentiment
d'appartenance au groupe. Après concertation, le groupe pose un
diagnostic de la situation dans lequel il se trouve et formule par la suite des
objectifs à atteindre (Lackey, Burke, Peterson, 1987). Dans une
approche de santé communautaire, l'empowerment touche le
plus souvent des groupes de personnes sans pouvoir reconnu. Il est primordial
de renforcer les forces souvent inutilisées de ces individus. Cibler les
forces existantes devient bénéfique pour l'ensemble du groupe. Il
est à noter que dans un tel processus, les conflits peuvent surgir. Les
personnes impliquées doivent prioritairement trouver des
stratégies pour diminuer ou régler ces conflits.
L'un des objectifs de
l'empowerment communautaire est de rendre la communauté
capable d'analyser sa situation, de définir ses problèmes et de
les résoudre afin qu'elle jouisse pleinement de son droit aux services
de base. Les stratégies d'intervention peuvent être
l'animation à la base (méthodes de communication
interpersonnelles, groupes de discussion), la formation en séminaire, en
atelier, l'appui financier et logistique de ces comités ainsi que le
suivi des activités. Au niveau des structures de santé,
l'objectif retenu est le renforcement de la capacité des intervenants
à remplir leurs rôles de techniciens de la santé et
d'accompagnateurs de la population dans son action sociale. Les
stratégies opérationnelles deviennent la formation ou le
recyclage en cours d'emploi des professionnels de la santé, l'appui
financier et logistique aux structures sanitaires, le suivi et
l'évaluation des activités (Eisen, 1994).
Dans une perspective organisationnelle,
l'empowerment réfère principalement au transfert du
pouvoir de l'équipe d'intervention vers une clientèle
(Cornwall & Perlman, 1990). Socialement,
l'empowerment a une influence potentielle sur la formulation des
politiques de santé publique et la formulation des programmes de
santé (Wallerstein & Bernstein, 1988).
Dans la perspective politique, l'empowerment est
le résultat qui permet de changer les structures actuelles et les
relations de pouvoir entre les diverses instances, les intervenants et les
individus (Sherwin,1992). L'expérience a démontré
que les programmes qui associent la population à leur gestion ont
souvent mieux réussi que d'autres. Il est souhaitable de
développer chez certains membres de la communauté l'expertise
nécessaire pour l'auto-gestion de programme au fur et à mesure
qu'il évolue. En adoptant cette politique, on économise des
ressources rares qui servent à soutenir des experts étrangers au
milieu alors qu'une main d'oeuvre locale valorisée offrirait de
meilleures garanties au plan des coûts et des bénéfices
pour la communauté. La formation des intervenants vise le transfert des
outils, des techniques et donc de l'expertise à la base.
Selon, Beaulieu, Shaminan, Donner et Pringle (1997)
d'autres dimensions sont liées au succès de
l'empowerment, comme le soutien, l'information, les ressources et la
créativité (Chally, 1992). Lorsque mises en application,
il est démontré que ces dimensions peuvent contribuer à
favoriser l'augmentation de la confiance et du pouvoir chez les individus ou
les collectivités en matière de santé (Chally,
1992).
La plupart des États sont aujourd'hui dotés de
procédures d'ÉIE auxquelles sont assujettis certains projets ou
activités. Ces procédures prévoient diverses formes de
participation pour le public concerné par les effets environnementaux
potentiels pouvant en découler. La participation du public assure
effectivement une meilleure connaissance des multiples facettes d'un projet,
permettant ainsi aux décideurs de prendre une décision plus
avisée. Par ailleurs, la participation du public constitue
également la matérialisation procédurale du droit
substantif à l'environnement, lequel bénéficie aujourd'hui
d'une reconnaissance nationale et internationale manifeste3(*). Il reste que dans beaucoup de
pays surtout en voie de développement, cette étape du processus
est négliger sinon traiter en parent pauvre.
Section 2.-Les tendances
autour du principe de participation publique
2.9.-Les arguments
favorables
La littérature sur la participation citoyenne dans
l'EIE met en lumière quatre (4) principaux arguments favorables :
(2.1) soutenir le développement d'une société
démocratique; (2.2) renforcer le pouvoir d'agir des
communautés; (2.3) intégrer les valeurs et
connaissances des citoyens dans l'EIE; et (2.4) formuler des
recommandations durables. Nous discutons plus en détail de ces
quatre avantages dans les sections qui suivent.
2.9.1-Soutenir le
développement d'une société démocratique
L'une des raisons invoquées pour soutenir la
participation citoyenne en EIE est que cela rejoint les valeurs de base d'une
société démocratique. En effet, les citoyens ont le droit
de se prononcer sur les impacts éventuels des politiques, des programmes
et des projets sur leur santé. Ce sont eux qui devront vivre, sur une
base quotidienne, les conséquences de ces décisions (Bauer
et Thomas, 2006, p. 501). Par le fait même, la participation
citoyenne permettrait de redresser un certain déficit
démocratique (Northridge et Sclar, 2003, p. 120; Wright et al.,
2005, p. 58), c'est-à-dire le manque de transparence et de
légitimité dont souffrent les gouvernements actuels que l'on peut
imputer à la complexité de fonctionnement des institutions et aux
processus décisionnels souvent inaccessibles aux citoyens.
L'EIE devient ainsi un mécanisme de
démocratisation des processus décisionnels (Cole, Shimkhada
et al., 2005; Elliott et Williams, 2004), voire un catalyseur de renouveau
démocratique (Mahoney et al., 2007, p. 230). Une EIE
favorisant la participation citoyenne permettrait ainsi de revitaliser les
liens entre le gouvernement, ses institutions et les citoyens; d'établir
une meilleure redistribution du pouvoir; et de renforcer la
légitimité du processus décisionnel (Parry et Wright,
2003; Elliott et Williams, 2008). Cette démarche permettrait
également d'intégrer des préoccupations
d'équité et de justice sociale dans l'EIE en mettant à
contribution des individus et des groupes qui sont souvent exclus ou
marginalisés (Northridge et Sclar, 2003, p. 120).
2.9.2.-Renforcer le pouvoir
d'agir des communautés
Dans le même ordre d'idées, la participation
citoyenne en EIE contribuerait au renforcement du pouvoir d'agir des
communautés (Dannenberg et al. 2006 ; den Broeder, Penris et
al., 2003 ; Gillis, 1999 ; Parry et Kemm, 2005). Cette
idée constitue d'ailleurs l'une des idées centrales des
déclarations contemporaines sur la promotion de la santé, que
l'on pense à la Déclaration d'Alma Ata (1978), à la Charte
d'Ottawa (1986), à la Déclaration de Jakarta (1997) ou encore
à la Charte de Bangkok (2005). Toutes ces déclarations mettent en
lumière le besoin d'une plus grande dévolution des pouvoirs
décisionnels vers les communautés. Celles-ci seraient capables de
prendre en main leurs destinées et d'assumer la responsabilité de
leurs actions en matière de santé.
En participant à une EIE, la communauté se
trouve à jouer un rôle actif dans la prise de décisions qui
affecteront la vie de ses membres. Wright et ses collègues (2005,
p. 58) soutiennent que la participation en EIE nourrit le sentiment que
les préoccupations des citoyens font partie intégrante de la
formulation de politiques publiques. De plus, les communautés
deviendraient les auteurs ou coauteurs des transformations politiques, sociales
et économiques susceptibles d'affecter leur vie (Elliott et
Williams, 2008, p. 1112).
2.9.3.-Intégrer les
valeurs et connaissances des citoyens dans l'EIE
Non seulement la participation citoyenne dans l'EIE sert
à démocratiser le processus décisionnel et à
renforcer le pouvoir d'agir des communautés, mais elle vise
également à prendre des décisions plus
éclairées en intégrant dans l'EIE les valeurs et les
connaissances des citoyens. Greig et ses collègues (2004, p. 265)
avancent même que « si l'EIE souhaite faire une différence,
en terme de prise de décisions plus éclairées, une
approche participative est essentielle » (traduction libre).
Les promoteurs d'une approche participative de l'EIE
soutiennent que la participation permettrait d'approfondir les connaissances
à l'égard des déterminants de la santé, et ce, en
favorisant le croisement des savoirs experts et citoyens (Joffe,
2003). Il y a d'ailleurs une reconnaissance croissante de l'expertise ou
de l'«intelligence civique » des citoyens, qui peut
grandement contribuer à l'EIE (Elliott et Williams, 2004; Elliott et
Williams, 2007). Les citoyens connaissent mieux que quiconque leurs
valeurs, leurs besoins, leurs préférences et les dynamiques
animant leur communauté. Leurs connaissances sont ancrées dans
les réalités locales et sont tout aussi valides et
légitimes que les connaissances scientifiques pour éclairer le
processus décisionnel (Wright et al., 2005; Parry et Kemm, 2005;
Dora, 2003). Les citoyens pourraient donc apporter un éclairage
nouveau sur les impacts potentiels des politiques, des programmes ou des
projets que les décideurs envisagent d'adopter (Gillis, 1999;
Kearney, 2004; Kosa, 2007).
Plusieurs auteurs soutiennent également qu'une approche
participative permettrait à l'EIE d'être plus robuste sur le plan
scientifique (Kjellstrom, van et al., 2003, p. 455). Elliott et
Williams (2008, p. 1113) abondent dans le même sens et
déclarent que « La co-création d'une expertise citoyenne et
scientifique ne permet pas seulement une forme de science plus inclusive et
démocratique, mais aussi une science plus fiable, valide et efficace,
qui a une conception plus riche de la connaissance et qui peut informer
l'action sociale » (traduction libre).
Une approche participative apparaît d'autant plus
pertinente que les praticiens et décideurs doivent souvent travailler
dans des zones grises où subsistent bien des incertitudes. Les
données probantes issues de la recherche scientifique concernant les
impacts potentiels d'une politique, sont souvent insuffisantes, non
concluantes, ou sujettes à la controverse scientifique. Les
décideurs ne peuvent donc pas appuyer leurs décisions strictement
sur des considérations scientifiques et sont confrontés à
des dilemmes sociaux et éthiques complexes (Elliott et Williams,
2004, p. 233). Une EIE participative permettrait ainsi aux
décideurs d'avoir un éclairage citoyen sur les dilemmes auxquels
la science ne peut apporter que des réponses partielles.
2.9.4.-Formuler des
recommandations durables
L'approche participative dans l'EIE se veut consensuelle en
transcendant les différends et en favorisant davantage d'unité et
de coopération (Lester et Temple, 2006, p. 916). La
participation citoyenne dans l'EIE favoriserait ainsi l'élaboration de
recommandations plus durables d'un point de vue politique, social et
économique (Mahoney et al., 2007; Kearney, 2004). Par
exemple, la participation citoyenne permettrait de déterminer les
modifications qui doivent être apportées à un projet afin
que celui-ci réponde aux besoins exprimés par la
communauté (Hübel et Hedin, 2003; Kwiatkowski, Tikhonov et al.,
2009). Une telle approche permettrait de s'assurer d'une plus grande
acceptabilité des recommandations formulées par l'EIE
(Harris Roxas et Harris, 2007, p. 161) et ainsi de prévenir des
« boomerangs » politiques (Mittelmark, 2001, p. 270).
2.10.-L'écart entre
la rhétorique et la pratique
C'est ainsi que s'exprimait Sherry R. Arnstein, une
pionnière de la participation citoyenne, dans un article publié
en 1969. Comme nous l'avons vu précédemment, bien des arguments
peuvent être invoqués pour promouvoir la participation citoyenne
en EIE. Toutefois, il semble y avoir un écart entre la rhétorique
participative de l'EIE et sa pratique. Dans la section suivante, nous explorons
cinq catégories de facteurs qui peuvent expliquer cet écart :
(3.2.1) des facteurs organisationnels; (3.2.2) des facteurs
communautaires; (3.2.3) des facteurs politiques; (3.2.4) des
facteurs théoriques; et (3.2.5) des facteurs
méthodologiques.
Fait à noter, ces facteurs peuvent être
perçus à la fois comme des risques et des obstacles. En effet,
les ardents défenseurs de la participation citoyenne y verront des
obstacles qui peuvent et doivent être surmontés. D'autres y
verront plutôt des risques réels qui expliquent leur
intérêt mitigé, voire leur opposition, face à la
participation citoyenne dans l'EIE.
2.10.1.-Les facteurs
organisationnels
Plusieurs facteurs évoqués dans la
littérature font référence aux limites des organisations
publiques qui sont appelées à mener des EIE (ex. : directions
de santé publique, autorités régionales de la
santé, municipalités, etc.). Parmi les obstacles
organisationnels, le manque de ressources humaines et financières ainsi
que le manque d'expertise en matière de participation citoyenne
ressortent fréquemment (Kearney, 2004). En effet, une
participation citoyenne active et authentique risque d'entraîner des
besoins importants en termes de ressources pour l'organisation ou
l'équipe menant l'EIE. Cela est d'autant plus contraignant que l'EIE est
souvent conçue comme une démarche intersectorielle qui
nécessite de la formation et de l'appui financier des différentes
parties intéressées (Kearney, 2004; Mannheimer, Gulis et al.,
2007).
Dans le même ordre d'idées, la mise en place de
processus participatifs d'EIE peut s'avérer incompatible avec les
échéanciers des décideurs gouvernementaux, qui sont
souvent très courts, et avec leurs programmes surchargés
(Wright et al., 2005; Mahoney et al., 2007). Parry et Wright
(2003, p. 388) soutiennent d'ailleurs que les promoteurs de l'EIE
devraient reconnaître de façon explicite la tension entre le temps
requis pour répondre à l'agenda politique et le temps requis pour
mettre en place des EIE participatives.
Dans un tel contexte, une approche participative de l'EIE
risque de perdre son attrait pour les décideurs et pourrait même
nuire à la prise de décision. Certains remettent donc en question
l'idée selon laquelle la participation doit être un pilier de
l'EIE. Wright et ses collègues (2005, p. 59) se montrent
d'ailleurs très critiques et soutiennent que «l'adhésion aux
valeurs fondamentales de la participation et du renforcement d'agir des
communautés risque de nuire à l'EIE comme approche visant
à influencer le processus d'élaboration de politiques »
(Traduction libre).
Les praticiens de l'EIE sont donc confrontés à
un choix, qui sera influencé par les enjeux et le contexte : faire une
EIE longue et détaillée qui intègre la perspective des
citoyens ou encore faire une EIE rapide (et peut-être superficielle) sans
participation citoyenne. Pour certains, il est plus raisonnable de mener une
EIE sans participation citoyenne si le temps et les ressources ne permettent
pas de mettre à contribution le public de façon authentique
(Kemm, 2005, p. 805). Dans cette perspective, la participation
citoyenne devient alors optionnelle plutôt qu'une condition sine qua non
de l'EIE (Parry et Wright, 2003, p. 388).
2.10.2.-Les facteurs
communautaires
Des auteurs soutiennent également que les citoyens
peuvent remettre en question la nécessité d'investir tant
d'efforts et de temps dans une démarche d'EIE. Selon leurs dires, les
citoyens, déjà assez occupés par leurs propres obligations
quotidiennes, peuvent difficilement s'engager dans de telles activités
(Parry et Wright, 2003, p. 388). Certains groupes exclus ou
marginalisés peuvent également être difficiles à
mobiliser ou simplement ne pas souhaiter participer, comme l'avancent Wright et
al. (2005, p. 61) cité par Koios, 2011:
La participation est peut-être ancrée dans la
culture moderne en santé pour des politiques de développement et
de revitalisation, mais la recherche participative démontre bien souvent
que certains groupes sont difficiles à impliquer, que les
représentants légitimes de la communauté ne sont pas
toujours faciles à cibler et que les personnes pauvres et
marginalisées ne souhaitent pas toujours participer au processus et
préfèrent parfois que les projets soient dirigés par des
professionnels (traduction libre).
L'étude menée par Kearney (2004, p.
227) révèle également que les structures
participatives favorisent souvent la participation de représentants de
groupes déjà bien établis plutôt que la
participation de citoyens « ordinaires », mais aussi que les citoyens
peuvent être frustrés devant des exercices participatifs qui ne
leur semblent pas toujours accessibles et dignes de confiance.
2.10.3-Les facteurs
politiques
La participation citoyenne dans l'EIE pourrait
également soulever des craintes sur le plan politique. Une EIE
participative risquerait d'intéresser des acteurs aux
intérêts potentiellement divergents ou qui n'ont pas l'habitude de
collaborer (Farhang, Bhatia et al., 2008, p. 264). Une EIE
participative risque donc de soulever la controverse au sein d'une
communauté ou encore de ranimer un conflit latent qui nuira au processus
décisionnel.
La crainte que le processus décisionnel soit pris en
otage par les citoyens est également évoquée
(Kearney, 2004, p. 225). Ainsi, certains décideurs
gouvernementaux appréhendent une opposition systématique des
citoyens à tout projet d'importance, sur la base que leur santé
pourrait en être affectée. Puisque les décideurs ont
généralement une aversion pour le risque, ils seraient alors
réticents à s'engager dans un processus participatif qui risque
de miner leur capacité à mettre en oeuvre des projets, des
programmes ou des politiques.
2.10.4.-Les facteurs
théoriques
La participation citoyenne dans l'EIE fait également
face à plusieurs obstacles de nature théorique. Tout d'abord, il
existe bien des ambiguïtés sur la notion de « participation
citoyenne » et sur la façon de l'appliquer en EIE. Certains
avancent que ces problèmes trouvent leurs origines dans les documents
fondateurs de l'EIE qui évoquent l'idée de participation
citoyenne sans toutefois l'expliciter (Mahoney et al., 2007). De
surcroît, nombre d'expressions prolifèrent dans la
littérature sur l'EIE : « implication citoyenne », «
implication locale », « participation communautaire », «
consultation de la communauté » et bien d'autres. Ces expressions
sont souvent utilisées de façon interchangeable, sans qu'une
réflexion critique soit portée sur ce qu'elles impliquent pour
l'EIE (Mahoney et al., 2007).
Il ne semble donc pas y avoir de cadre théorique solide
permettant de guider les décideurs et praticiens de l'EIE en
matière de participation citoyenne. Comme le souligne Bauer et Thomas
(2006, p. 512), « l'écart entre la promotion théorique de la
participation de la communauté dans l'évaluation d'impact et le
manque de lignes directrices pour le faire suggère que, dans le meilleur
des cas, il ne sera pas possible de répondre à cette exigence
à cause de sa complexité » (traduction libre).
D'ailleurs, certains avancent que les fondements
théoriques de l'EIE n'ont pas encore atteint un niveau de
maturité permettant d'y intégrer le citoyen. Selon cette
perspective, les mécanismes participatifs pourront être
intégrés seulement lorsque la science de l'EIE deviendra plus
mature et robuste (Cole et al., 2005, p. 385).
D'autres auteurs soulignent que l'EIE peut être
conçue de façons bien différentes. Par exemple, Kemm
(2000, p. 431) distingue deux types d'EIE : (i) les EIE à « focus
larges » qui mettent en lumière un modèle holistique de
l'environnement, qui sont plus qualitatives, et qui promeuvent des valeurs
démocratiques et la participation de la communauté; et (ii) les
EIE à « focus étroits » qui reposent plutôt sur
l'épidémiologie et la toxicologie, et qui cherchent à
mesurer et à quantifier les impacts des politiques sur la santé
de la population. La participation citoyenne peut donc être
définie bien différemment en fonction de l'approche
privilégiée par les praticiens de l'EIE.
2.10.5.-Les facteurs d'ordres
méthodologiques
Dans le même ordre d'idées, Elliott et Williams
(2008, p. 1104) font remarquer que certains praticiens souhaitent
séparer les aspects « scientifiques » des aspects «
sociopolitiques » de l'EIE. Certains praticiens craignent d'ailleurs que
la participation citoyenne puisse éroder les fondements scientifiques de
la prise de décision suggérée par l'EIE (Parry et
Stevens, 2001, p. 1179). D'autres redoutent qu'une EIE participative
repose plus sur des opinions plutôt que sur des données probantes
(Wright et al., 2005, p. 59). Il n'est donc pas surprenant, comme
l'indique Mittelmark (2001, p. 271), que certains praticiens de l'EIE
utilisent des méthodes complexes et un jargon qui ont le potentiel
d'exclure les citoyens, un phénomène qui a d'ailleurs
été observé à Caracol.
2.11.-Le capital social
La principale difficulté avec le capital social, c'est
que l'on peut parler de plusieurs choses. Néanmoins, l'idée
générale est assez simple : la participation à des groupes
peut avoir des effets bénéfiques pour les individus et pour la
collectivité. Comme le remarque Portes (1998), l'idée est
basique, et en traquer les origines reviendrait à passer en revue
presque toute la sociologie depuis le 19ème siècle
(et même, peut-on ajouter, une bonne part de la philosophie politique
et de l'histoire des idées depuis Aristote). La plupart des
acceptations du concept s'appuient sur celle de Coleman, bien qu'il n'ait pas
contribué à la promotion du concept.
Dans l'approche de Coleman, le contexte social est
caractérisé par l'organisation des relations entre acteurs,
c'est-à-dire les structures sociales. Ces structures procurent les
ressources qui constituent le capital social, et Coleman définit
celui-ci, dans une logique résolument fonctionnelle, comme les
caractéristiques de la structure qui facilitent les actions des
individus :
« Social capital is defined by its function. It is
not a single entity, but a variety of different entities having two
characteristics in common: They all consist of some aspect of a social
structure, and they facilitate certain actions of individuals who are within
the structure. Like other forms of capital, social capital is productive,
making possible the achievement of certain ends that in its absence would not
be possible. » (1988, p. S98).
La définition peut apparaître obscure : certains
aspects de la structure, qui facilitent certaines actions dans la structure, le
moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne dessine pas un objet aux contours
très nets ; d'ailleurs, le capital social, s'il ressemble (en tout cas
selon Coleman) aux autres « capitaux », s'en différencie en
même temps par son mode de formation : « Unlike other forms of
capital, social capital inheres in the structure of relations between persons
and among persons. » (id.).
C'est effectivement une différence importante par
rapport à la notion de capital physique ou de capital humain, entre
lesquels Coleman veut établir l'analogie ; car l'approche
économique usuelle du capital n'en fait pas une chose inhérente
à un environnement, mais une chose résultant de la
décision de renoncer au présent dans le but précis
d'obtenir un bénéfice dans le futur.
Or chez Coleman, le capital social ne résulte pas d'une
telle décision : « most forms of social capital are created or
destroyed as by-products of other activities » (p. S118) ; le capital
social n'est donc pas produit : c'est plutôt qu'il se produit, à
l'occasion d'autres activités. Au sens économique, il s'agit donc
non d'un capital, mais d'une externalité. Et le fait que cette
externalité, en facilitant les actions des individus, puisse avoir des
effets bénéfiques n'en fait pas pour autant un capital
CHAPITRE 3.-ETUDE DE CAS :
LE PARC DE CARACOL DANS LE NORD-EST D'HAITI
La Banque Interaméricaine de Développement (BID)
a finement analysé la possibilité de fournir une aide
financière au Gouvernement d'Haïti (GOH) pour aménager ce
parc qui sera localisé dans la commune de Caracol, département du
Nord-est. Les activités économiques dans cette commune,
peuplée en 2008 de 7,850 habitants (IHSI, 2009), sont la
production de sel marin, la pêche et l'agriculture. On y retrouve
environ 300 parcelles de bonnes terres agricoles dont la plupart de superficie
comprises entre 0.5 et 1.0 hectares entièrement ou partiellement dans
les limites du parc, qui seront endommagées par la construction. Il
existe encore une quarantaine de parcelles voisines du parc qui seront
également susceptibles d'endommagement en fonction de la
nécessité de construire ou d'élargir des routes
d'accès. Les propriétaires et les travailleurs de ces terrains
(qui relèvent du domaine privé de l'Etat) ont été
dédommagés. L'Unité Technique d'Exécution (UTE) du
Ministère de l'Économie et des Finances d'Haïti a retenu une
firme américaine pour procéder à une Etude des Impacts
Environnementaux et Sociaux (EIES) de l'aménagement du parc, et pour
préparer un rapport d'envergure d'un Plan d'Action de
Réinstallation (PAR) des personnes déplacées.
Disons dès maintenant que le plus grand risque
environnemental identifié est celui de la fragilité de la Baie de
Caracol. Toutes les eaux de drainage du parc industriel et des zones de
développement prévues autour du parc finiront par se
déverser dans la baie. Au cours de notre étude, nous avons
déterminé qu'il s'agit d'un écosystème côtier
unique, productif et précieux. Même si les eaux usées du
parc sont traitées, diverses autres menaces, liées au
développement du parc industriel sur ce site, pourraient mettre cet
écosystème en péril. Bien que l'importance de
l'écosystème de la baie de Caracol ait été reconnue
par des organisations nationales et internationales, à ce jour, peu
d'études scientifiques ont été menées à son
sujet
3.1.-Présentation du
projet
La décision de situer le parc dans la région du
nord, prise bien avant le séisme du 12 janvier 2010, fait partie de la
politique de décentralisation et de relance de l'économie
haïtienne, qui cherche à réduire la congestion dans la
région métropolitaine de Port-au-Prince et de répandre des
opportunités économiques et des investissements dans d'autres
régions. La région du Nord, et surtout le long du corridor entre
Cap-Haïtien et Ouanaminthe, a été choisie en fonction de la
qualité de la route nationale # 6 ou route internationale, la
présence du port de Cap-Haïtien et sa proximité à la
frontière dominicaine, qui offre non seulement accès à
Puerto Plata et autres ports de la région mais aussi la
possibilité de tirer de nouveaux bénéfices de la
collaboration transfrontalière, surtout dans la confection de
vêtements (Koios, 2011).
Fig 2.- Contexte de localisation du
site
Le site du Parc industriel occupera une superficie 243
hectares dans la commune de Caracol, juste à l'est de la route de
Caracol, entre les villages de Chambert au sud, Fleury et Boue à
l'ouest, et Volant à l'est. Le projet a avant tout été
conçu pour faciliter les investissements d'entreprises de fabrication de
vêtements, nationales et internationales, ainsi que ceux d'autres
entreprises d'industrie légère, attirées non seulement par
les préférences tarifaires généreuses et
l'accès aux marchés accordés par les États-Unis,
mais aussi par la main-d'oeuvre bon marché disponible en Haïti.
Pour les raisons détaillées ci-dessous, le Gouvernement
d'Haïti, de concert avec les bailleurs de fonds partenaires, a
établi les conditions pour le développement du parc. Celui-ci
doit donc :
· Être situé dans la zone comprise entre
Cap-Haïtien et Ouanaminthe;
· Être développé sur un terrain
appartenant déjà au gouvernement d'Haïti;
· Appartenir à l'État et être
géré par une entité publique devant être
désignée ultérieurement.
Sur la base d'estimations des besoins en locaux industriels
dans la région et du financement probablement disponible, les
consultants ont donc recommandé un parc de 150 hectares, à
développer en 2 phases sur deux(2) zones d'environ 75 hectares chacune,
accompagné d'une zone tampon d'environ 100 ha. Compte tenu de l'espace
requis pour l'infrastructure (routes, clôtures, centrale
électrique, installations de traitement des eaux usées, et
réseaux d'électricité, d'eau et d'assainissement),
chaque phase du développement devrait ainsi fournir environ 60 hectares
de surface constructible sur lesquels quelque 420,000 mètres
carrés de bâtiments pourraient être construits.
L'évaluation de préfaisabilité a conclu que le projet
serait très avantageux, non seulement pour la région nord
d'Haïti, mais aussi pour l'ensemble du pays. Les avantages attendus
comprennent :
· La création d'environ 2.800 emplois dans le
secteur du bâtiment (pouvant durer de 3 à 7 ans) ;
· La création, au long terme, d'environ 40.000
emplois à temps plein;
· La création, au minimum, d'un nombre
équivalent d'emplois indirects (les emplois dans les entreprises
fournissant des biens et services au parc et à ses locataires) et
induits (les emplois dans les entreprises fournissant des biens et des services
aux personnes employées directement ou indirectement par le parc), soit
un total de 80.000 emplois additionnels, directement attribuables au parc ;
· La fourniture de moyens de subsistance à environ
500.000 personnes, soit 5 % de la population;
· Environ 360 millions de dollars de revenus annuels
additionnels, directement attribuables au parc, pour les citoyens haïtiens
(représentant environ 5 % du PIB en 2007) ;
· Des recettes fiscales supplémentaires
estimées à plus de 60 millions de dollars par an, provenant des
impôts sur les revenus de la direction et du personnel technique du parc
et de la TVA sur les achats des employés directs et indirects ;
· La possibilité de créer un pôle
industriel vraiment compétitif et durable, fondé sur des
processus nationaux d'augmentation de la valeur ajoutée, et capable non
seulement de prospérer sur des marchés internationaux aux
conditions changeantes, mais aussi de survivre à l'érosion ou
à l'élimination de l'accès préférentiel au
marché américain.
3.2.-Négociation
autour du projet
Le mégacomplexe de Caracol vise à créer
des conditions propices au décollage économique d'Haïti par
la création de plus 30,000 emplois directs et indirects. Comme
énoncé plus haut, les grandes industries ont des impacts certains
sur les territoires d'accueil. Concernant le parc, ceux touchant
l'économie locale et régionale occupaient une place centrale dans
les discours des élus et dans les médias. Il faut dire que dans
le contexte économique difficile et eu égard au rapport de
dépendance historique vécu avec l'international, les
retombées fiscales importantes pour Haïti, tout comme les emplois
créés et ceux consolidés étaient très
attendus.
Les impacts sur l'environnement (qualité de l'eau,
de l'air) et la santé publique ont également
été soulevés par divers groupes (ONG environnement,
syndicats de travailleurs, organisations de la société
civile) lors de prises de position dans les médias. Pour leur part,
les résidants vivant à proximité du nouveau site
industriel avaient aussi posé plusieurs questions sur ces sujets lors du
processus d'évaluation environnementale, lancé avant le
séisme du 12 janvier 2010. Les entrevues collectives
réalisées alors ont révélé ensuite
clairement que ces résidants établissent un lien entre les
activités de construction, la qualité de l'environnement et la
santé publique.
Comparativement à ces attentes sur l'économie et
l'environnement, le sujet du devenir de la population qui occupait l'espace
n'est pas ressorti au premier plan des rapports intérimaires
d'études d'impact environnementales produits par l'Etat, ni lors des
conférences tenues en 2008-2009, ni à aucun autre moment de
l'implantation. Même pendant la construction, lorsqu'il est devenu
évident que le paysage local serait modifié de façon
importante, contrairement aux prévisions faites dans l'étude
d'impacts, cette question n'a pas été discutée ou
même abordée dans ces termes lors des réunions formelles du
comité de mise en oeuvre du projet, où siégeaient des
représentants de la compagnie et des ministères concernés.
Sur la base de ces observations, il aurait été tentant de
conclure que le bien-être de la population ne constituait pas une
préoccupation sociale par rapport au projet industriel de Caracol.
Néanmoins, plusieurs acteurs avaient exprimé des attentes en la
matière, autant sous la forme de questions, comme lors de la
pré-consultation faite par la firme en charge de l'étude
d'impacts, que par des demandes plus précises, sous formes de
manifestations de rue particulièrement.
Ces attentes peuvent avoir été de façon
explicite formulées sous le thème de la participation du public,
mais pas uniquement. Pour être cohérent avec notre
compréhension élargie du concept de participation défini
précédemment, toute affirmation ayant un lien avec la vision
de la communauté et/ou de la collectivité, qu'elle soit tangible
ou socialement construite, a été intégrée dans la
dynamique de la participation. Ont ainsi été ajoutés les
propos d'acteurs se rapportant à d'autres termes traditionnellement
associés au bien-être de la population (esthétique,
environnement visuel, impacts visuels, aménagement paysager). De
même, ont été intégrés ceux abordant
l'aménagement du territoire, la qualité de vie (cadre de vie,
infrastructures), la qualité de l'environnement (rejets,
pollution, qualité du milieu récepteur), ainsi que la
représentation territoriale du projet industriel. Dans le cas
étudié, cela signifie concrètement que dans les
mémoires et le discours des habitants, la participation de la
communauté dans l'implantation, l'aménagement et le traitement
des habitants n'a pas été traitée de façon
transparente.
Devant ces demandes sociales très variées, une
question était de savoir lesquelles avaient été prises en
considération dans les négociations entourant l'implantation du
Parc. Plus particulièrement, quelles stratégies d'action avaient
été mises en oeuvre pour tenter d'y répondre, et par qui?
De même, lesquelles avaient été conduites dans le cadre de
l'étude d'impacts environnementale, ou en marge de la procédure?
En ce sens, notre analyse sur les capacités de l'ÉIE à
intégrer les préoccupations associées au bien-être,
dépasse largement les seuls impacts sociaux et économiques
habituellement considérés sous ce terme mais considère
aussi des aspects variés du projet industriel comme la qualité de
l'accès à l'information et l'implication de la population dans le
processus décisionnel.
À la suite de nos observations, directes et
documentaires, un (1) des cinq (5) grands enjeux, ou objets de
négociation a été retenu pour la formulation de
recommandations, soit : la localisation du site industriel,
sa présence visuelle, les pratiques liées à
la nature, le suivi environnemental et l'aménagement du
site. Les stratégies d'acteurs sont très
diversifiées, incluant notamment : la négociation sur
l'utilisation de la main d'oeuvre locale, le changement du zonage
«agricole» pour celui d'«industriel lourd», la promotion du
chantier par des visites, des articles de presse, la réalisation de
l'étude d'impacts par le promoteur et son acceptation par le
ministère de l'Environnement, la conception du plan d'aménagement
des terrains en périphérie du site industriel incluant un
programme de plantation d'arbres, la négociation d'ententes autorisant
des usages récréatifs du site industriel par des tiers, la
définition du contenu du programme de suivi, la négociation pour
ajouter des infrastructures et augmenter la capacité de production du
projet initial, les activités de suivi volontaire et
réglementé.
Cette description constitue une première phase pour
donner une «lisibilité» aux dynamiques de négociation,
considérée comme un préalable nécessaire avant de
procéder à une interprétation. À partir de
celle-ci, une analyse a été réalisée en recourant
à deux critères de la gouvernance territoriale4(*). L'objectif est de comprendre
dans quelle mesure l'étude d'impact environnementale peut être
utile pour réguler les négociations entre des acteurs sociaux.
En d'autres termes, est-ce que la procédure d'évaluation a permis
à des acteurs de la société civile de faire valoir leurs
préoccupations face au grand projet et, plus encore, d'avoir eu une
influence sur les décisions marquant la qualité du territoire
qu'ils habitent? Les principaux constats sont discutés dans la suite du
document.
Plusieurs groupes d'acteurs ont été
impliqués dans les négociations entourant l'implantation
industrielle et concernant des aspects du paysage. En plus des deux grands
acteurs habituellement impliqués que sont l'État central, par
l'intermédiaire du ministère de l'Environnement, et l'entreprise,
de nouveaux acteurs sont présents lors des négociations. Citons
nommément des élus locaux, des représentants
d'associations locales oeuvrant en environnement, en tourisme ou en
agriculture, des citoyens et des résidents de proximité. Deux(2)
principaux mécanismes de participation étaient disponibles pour
leur permettre d'échanger : les rencontres thématiques,
tenues lors de la planification, et le comité de suivi environnemental,
mis en place au début des travaux. La présence de tels
mécanismes et d'acteurs provenant de la société civile
constituait un aspect positif certain pour la gouvernance. Un examen attentif
des dynamiques et stratégies d'acteurs entourant l'implantation du parc
a montré cependant plusieurs faiblesses quant à la
capacité de l'ÉIE à coordonner les négociations sur
le bien-être de la population.
Par conséquent, la négociation sociale s'est
révélée complexe. Plus encore, elle est
éclatée et discontinue, autant sur les plans temporels que sur la
diversité des acteurs impliqués et par rapport au
caractère fragmenté des négociations. Ainsi, d'une
part, des groupes entrent et sortent de la scène, étant
impliqués dans certaines discussions et non dans d'autres, étant
présents à certains phases de l'implantation du projet et absents
à d'autres. De fait, seul le promoteur (l'Etat) a assuré une
présence presque continue dans l'ensemble des négociations, ce
qui lui permet de connaître l'ensemble du projet en devenir, alors que
les autres acteurs n'en ont qu'une vision parcellaire.
D'autre part, des stratégies d'actions
influençant le devenir du projet industriel ont été
menées avant le début de la procédure formelle
d'évaluation des impacts sur l'environnement (ÉIE). C'est le cas
des rencontres thématiques. Ces activités ont porté
essentiellement sur un objet de négociation concernant le paysage, soit
le choix de localisation du complexe industriel. Celui-ci s'est trouvé
fixé presque dix ans avant le lancement des travaux, il était
devenu alors difficile d'envisager d'autres scénarios de localisation.
Or, la localisation constitue une décision fondamentale du point de vue
de l'importance des impacts sociaux et environnementaux (par exemple
qui serait potentiellement touché par les émissions
atmosphériques?) et, donc, de la concrétisation de principes de
développement durable.
Le fait que des négociations aient eu lieu avant le
début de l'ÉIE ne surprend probablement personne. L'envergure
d'un mégaprojet industriel comme celui de Caracol a
nécessité une longue planification, de près de dix ans.
Cependant, même lorsque l'ÉE a commencé, des
négociations se sont poursuivies en parallèle de la
procédure formelle. En effet, les acteurs ont engagé de
nombreuses stratégies sur une base volontaire, c'est-à-dire non
exigées par l'ÉIE. Que des négociations se soient
déroulées à l'extérieur de la procédure et
des forums de concertation prévus ne serait pas un problème en
soi selon certains tenants de l'approche de l'«expérimentalisme
démocratique». Comme l'expliquent Mormont, Mougenot et
Dasnoy (2001), l'exploration des idées et la conception de
solutions innovantes se feraient plus aisément à travers des
réseaux de discussion plus souples que dans des cadres formels où
les acteurs adoptent habituellement un comportement stratégique et
reproduisent les normes sociales existantes. Cependant, cette façon de
faire peut poser un problème de légitimité politique,
comme ce fut le cas pour la situation que nous étudions dans ce
travail.
Comme le soulignent ces auteurs, les solutions retenues dans
de tels réseaux informels doivent retourner dans une sphère plus
large et publique pour être soumises et validées par l'ensemble
des acteurs concernés. Il s'agit là d'une condition requise pour
que les ententes négociées acquièrent une
légitimité politique et, par la suite, permettent une
«régulation adéquate et acceptée»
(Mormont et al. 2001, n.p.). Or, dans le cas de Caracol,
les négociations examinées ne satisfont pas ce deuxième
critère.
En effet, elles ont revêtu un caractère quasi
privé alors que les négociations se sont déroulées
généralement entre deux acteurs à la fois, en
face-à-face - impliquant généralement le promoteur et un
autre groupe. Surtout, les ententes négociées ont
été rarement explicitées aux acteurs absents de la
négociation, qui ne peuvent alors statuer sur leur contenu. En effet,
même si les conclusions de l'entente ont été
rapportées, les modalités ont été rarement
présentées de façon détaillée, de même
que les logiques et arguments sur lesquels elles reposaient. En
définitive, les ententes ne pouvaient pas constituer un cadre de
référence commun pour la conduite des divers acteurs
impliqués dans le processus d'implantation du projet.
La procédure haïtienne d'ÉIE prévoit
certes un mécanisme mettant en interaction un nombre important d'acteurs
concernés par les enjeux environnementaux notamment et qui pourrait
jouer un tel rôle de validation publique. Il s'agit des séances
d'informations/consultations tenues lors de la phase de planification. Il
existe également divers comités de suivi multipartite
instaurés sur une base volontaire, réunissant le promoteur et des
acteurs régionaux concernés et affectés, incluant le
comité de suivi environnemental.
Cependant, aucun des deux mécanismes ne pouvait
prétendre jouer ce rôle de validation pour l'ensemble de
l'implantation du parc : les premières (les
négociations) parce qu'elles ont constitué un moment
ponctuel dans le processus et que plusieurs négociations avaient eu lieu
en aval (ajout d'infrastructures, contenu des obligations de suivi
environnemental), et le second (le comité de suivi), parce
qu'il a souffert de plusieurs limites qui, elles, ont renvoyé aux
derniers critères d'analyse.
3.3.-
Caractéristiques socio-économiques des communautés de la
région
En 2005, la population de la commune de Caracol était
estimée à 6, 237 habitants dont près de 2/3
résident en milieu rural. Le rapport de masculinité, 105 hommes
pour 100 femmes, traduisait une supériorité numérique des
hommes dans la commune. Pour une superficie de 74,91km2, la
densité était évaluée à 83,0
habitants/km2. Pendant la période intercensitaire 1982-2003,
la population de la commune a connu un taux d'accroissement annuel moyen de
2,0%. La répartition de la population par grand groupe d'âges
présente la structure suivante : 39,5% ont moins de quinze (15) ans ;
53,6% sont âgés de 15-64 ans et 6,9% de 65 ans et plus. La commune
de Caracol a quinze (15) établissements scolaires. En milieu urbain, une
(1) école préscolaire, cinq (5) écoles primaires et une
(1) institution secondaire ont été répertoriées
alors que huit (8) écoles primaires l'ont été en milieu
rural.
Parmi les quinze (15) institutions scolaires
répertoriées, neuf (9) d'entre elles sont du secteur
privé. De plus, la commune a deux (2) centres d'alphabétisation
et une (1) institution technique et professionnelle. En termes
d'infrastructures sanitaires, une (1) clinique et deux (2) dispensaires ont
été inventoriés dans la commune. Un (1) médecin,
une (1) infirmière, quatre (4) auxiliaires, deux (2) matrones et un (1)
technicien de laboratoire constituent le personnel technique de ces
établissements. Du côté de la religion, on comptait au
total treize (13) temples ou églises. Parmi ces temples ou
églises répertoriés, sept (7) étaient de confession
baptiste, quatre (4) de confession catholique et deux (2) adventiste.
3.4.-
Caractéristiques sociales et culturelles de la zone du projet
directement touchée
3.4.1.- Emplois et moyens de
subsistance
Les activités économiques sur et autour du site
du projet peuvent être caractérisées par une agriculture de
subsistance à petite échelle et la pêche. Par exemple,
selon les discussions avec les collectivités locales 50% de produits
sont vendus dans le commerce et 50% sont consommés. Des preuves
anecdotiques suggèrent que ces chiffres peuvent varier selon le climat
économique et la qualité de récolte. Les gens ont
également complété leurs revenus avec le petit commerce ou
d'occasionnel travail saisonnier dans le secteur du tourisme. La zone du projet
se caractérise par de faibles revenus et le manque de
sécurité de l'emploi salarié, et un niveau plus bas que la
moyenne d'alphabétisation ou d'éducation - bien que cela devra
être confirmé par des données empiriques sur les zones du
projet spécifique. Beaucoup de responsables de foyers ont besoin de
s'engager dans plusieurs types d'activités économiques pour
soutenir leurs familles, selon les habitants locaux qui ont été
interviewés par l'équipe Koios. Ainsi, ce sont des
communautés qui pourraient être très vulnérables aux
changements sociaux externes et macro-économiques, tels que l'afflux
soudain de personnes et l'argent en raison du développement industriel
ou une forte chute de l'économie si les investisseurs du parc
étaient amenés á fermer leurs opérations (Koios
Associates, février 2011).
En plus des activités agricoles et des activités
de pêche, des données anecdotiques révèlent que le
secteur des petites entreprises touristiques, des hôtels, des bars et des
clubs est une autre source de revenus pour les gens dans les villes et
régions avoisinantes du site. Les gens reçoivent également
des fonds de parents travaillant à l'étranger. La Banque
mondiale indique qu'Haïti est l'un des principaux
bénéficiaires de transferts de fonds internationaux dans la
région de l'Amérique latine et des Caraïbes. Un grand nombre
de personnes reçoivent ainsi un soutien de l'importante diaspora
haïtienne, résidant en particulier aux
États-Unis et au Canada.
3.4.2.- Logement
Il ne semble pas y avoir de parc de logements inoccupés
pour les contractuels potentiels qui travailleraient au développement du
site ou pour les employés à long terme du parc industriel et des
entreprises qui s'y implanteront. Selon les autorités communales et
départementales, ainsi que certaines personnes d'affaires, il y a un
parc de logements vacants important dans la ville de Fort-Liberté.
Cependant, comme ces logements sont en mauvais état et que la distance
de Fort-Liberté au site du parc est probablement trop grande, il ne
constitue probablement pas une solution optimale ou même partielle au
besoin de logements potentiel dans la région du parc. Dans des
conditions idéales, la construction de logements supplémentaires
pour répondre à la demande liée à
l'aménagement du parc et à l'infrastructure connexe, serait
prévue dans le cadre d'un plan de développement régional
plus large. Il se peut cependant qu'un tel plan ne soit pas mis en place
suffisamment tôt pour influencer le développement de logements
à court terme. Ce rapport tente néanmoins de réaliser des
évaluations et de faire des recommandations pour le développement
de tous futurs logements dans le contexte des communautés et
infrastructures locales.
3.4.3.- Cohésion sociale
et réseaux communautaires
Des discussions menées avec les communautés
locales et avec des représentants du gouvernement semblent indiquer que
les communautés ont une identité dynamique. Il y a beaucoup de
petits réseaux et d'associations formels, comprenant entre autres
différentes associations d'agriculteurs, de travailleurs et de femmes.
Toutes les réunions communautaires ont connu une excellente
participation et les gens semblaient bien informés quant à la
situation sociale et économique de leurs communautés et des
communautés voisines. Au cours de ces rencontres locales, au sujet des
problèmes sociaux associés au développement du parc
industriel, le représentant du Gouvernement a promis de travaillé
en collaboration avec les réseaux formels et informels et les
organisations communautaires, il a également informé que l'Etat
prendra en compte les processus de prise de décision et de
réparation des griefs existants.
Les gens ont une méfiance innée des promesses du
Gouvernement, en matière de protection sociale et de
développement communautaire, car ils ont déjà fait
l'expérience des grands projets de développement ou en ont
connaissance. Une bonne stratégie de communication et de dialogue avec
les parties prenantes aurait été un élément
essentiel de tout plan permettant de gérer et d'atténuer les
impacts sociaux provoqués par l'aménagement du parc.
3.5.-Catégorisation
des personnes touchées par la localisation du chantier
La décision de localiser le parc à Caracol a
affecté différentes catégories de personnes. Il y en a
qui le sont directement comme les exploitants agricoles et les ayants droits
sur les propriétés de la localité et aussi celles qui le
sont indirectement comme les personnes qui vivent dans les environs du site ou
celles ayant leurs activités économiques dépendant du lieu
d'implantation du chantier. Ainsi, l'étude d'impact a identifié
quatre (4) grandes catégories de personnes touchées
3.5.1.-Les exploitants
agricoles qui ne disposent des terres fertiles du site
sélectionné
A ce propos, l'enquête foncière a
révélé que 246 hectares de terres prévus pour
construire le parc étaient réparties en 411 parcelles et
étaient exploitées par 366 familles. Au total, huit (8)
catégories de personne ont perdu soit leur terre soit les fruits du
loyer de leur propriété ou encore les privilèges et les
rentes concédés par le bail du foncier de l'Etat. Ces personnes
affectées ont été catégorisées suivant le
nombre de parcelles qu'elles ont occupé sur le site.
Tableau 1.-Catégories d'occupants du
site
§ Propriétaires fonciers
|
3
|
0,65%
|
§ Fermiers de l'Etat
|
72
|
15,55%
|
§ Sous-fermiers de l'Etat
|
25
|
5,40%
|
§ Métayer de propriétaires fonciers
|
1
|
0,22%
|
§ Sous-fermiers privés
|
3
|
0,65%
|
§ Métayers de Fermiers de l'Etat
|
8
|
1,73%
|
§ Occupants de fait
|
288
|
62,20%
|
§ Fermiers de squatters
|
63
|
13,61%
|
Total
|
463
|
100%
|
Source : Enquête
foncière, PIRN-Caracol, ERICE AZ, juillet 2011
Comme l'indique le tableau, la grande majorité des
occupants du site tombait dans la catégorie occupants de fait.
3.5.2.-Les personnes qui
perdent leurs maisons ou d'autres infrastructures
collectives/communautaires
Parmi ces personnes on a identifié :
§ Trois (3) familles qui ont perdu leurs maisons dont 2
sont habitables et 1 en construction
§ Une (1) église localisée sur le site
§ Quelques maisons de jardin et des équipements
agricoles y relatifs
3.5.3.-Les ouvriers agricoles
saisonniers et les commerçants de denrées agricoles
Le site de construction attire beaucoup d'ouvriers agricoles
saisonniers et de prestataires de services tout au long de l'année.
Les consultations auprès des exploitants ont
révélé que :
§ Plus 720 ouvriers agricoles venant des autres communes
voisines y venaient travailler à raison de 100 à 120 jours par
an et gagnaient entre 125 gourdes et 200 gourdes par jour en plus de la
nourriture offerte;
§ 24 groupes de travail ont été
inventoriés qui opéraient en rotation sur les diverses
habitations à travers les diverses saisons;
§ Divers groupes de marchandes (madan sarah)
venues du Cap-Haitien, de Port-au-Prince, de Hinche, Limbé se plaignent
de la rupture de l'approvisionnement en haricot, mais, etc. ;
§ Plusieurs PTEPME (ateliers de fabrication de beurre
d'arachide, de galettes de manioc, ateliers d'entretien d'équipements
agricoles, de restauration, etc...) ont dit enregistré une chute brutale
de leur chiffre d'affaire.
3.5.4.-Autres usagers
affectés
Le site de construction a été traversé
par de multiples voies d'accès permettant aux habitants de vaquer
à leurs activités, d'accéder à la baie pour les
activités de pêche, etc. Depuis la mise en place de la
clôture provisoire et l'arrivée des agents de
sécurité, la libre circulation sur le site est devenue
très limitée. Les bénéfices et l'usufruit des
ressources naturelles (fruits, manguiers, anacardiers et autres fruitiers
à pain) ne sont plus à leur portée.
3.6.- La réception
du projet dans la communauté
Dans l'ensemble, les opinions sont polarisées dans la
communauté d'accueil du projet entre ceux qui sont en faveur du projet
et ceux qui s'y opposent. Une forte proportion des participants à
proximité de la zone d'implantation, incluant ceux de Caracol se
positionnent pour la réalisation du projet. En contrepartie, une grande
part des participants plus éloignés est d'avis que le projet
devrait se réaliser le plus rapidement possible. Des participants
résidant hors du secteur convoité (la sous-traitance) partagent
toutefois les préoccupations des opposants.
Divers éléments motivent la prise de position
des citoyens et des groupes. Une participante aux rencontres thématiques
nous a confié que « les personnes opposées au projet de
Caracol défendent leur environnement, leur santé et leur
sécurité, alors que les groupes favorables, principalement des
gens d'affaires, défendent leur intérêt financier ».
Un autre évalue que la position des opposants relève davantage de
la défense d'intérêts personnels plutôt que des
intérêts collectifs. Mentionnons que les prises de position n'ont
pas trait au projet que presque toute la communauté trouve favorable au
développement économique du pays, mais concernent le site
sélectionné.
En effet, le plus grand risque environnemental
identifié est celui de la fragilité de la Baie de Caracol. Toutes
les eaux de drainage du parc industriel et des zones de développement
prévues autour du parc finiront par se déverser dans la baie de
Caracol. Au cours des études préalables, il a été
déterminé qu'il s'agit d'un écosystème côtier
unique, productif et précieux. Même si les eaux usées du
parc sont traitées, diverses autres menaces, liées au
développement du parc industriel sur ce site, pourraient mettre cet
écosystème en péril.
3.6.1.-Les opposants
D'un côté, les opposants s'appuient notamment sur
des intérêts territoriaux, des considérations de
sécurité publique et d'environnement. Plusieurs remettent en
question la justification économique du projet (en termes notamment
de création d'emplois de qualité) ou, à tout le
moins, croient que la faiblesse de l'Etat ne le met en position de
négocier de bonnes conditions de travail pour les ouvriers
haïtiens. Ils croient que le projet contribuerait à augmenter les
bidonvilles comme c'est le cas dans la capitale, Port-au-Prince, et
s'inquiètent de ses impacts sur la communauté notamment en terme
de sécurité. Les opposants estiment aussi que l'emplacement
retenu à Caracol pour l'implantation du projet est inadéquat,
principalement en raison de la proximité de zones habitées, des
usages résidentiels, agricoles ainsi que de son caractère
paysager et patrimonial.
Certains appréhendent les effets négatifs que le
projet pourrait avoir sur l'économie locale par la diminution de
l'attrait touristique de l'endroit. Sur le plan humain, plusieurs
résidants craignent pour leur sécurité en raison des
risques potentiels d'accidents associés aux divers
éléments du projet. Ils sont également
préoccupés par les effets néfastes qu'il pourrait avoir
sur leur qualité de vie et leur santé, de même que sur le
milieu naturel.
3.6.2.-Les supporteurs de la
construction du Parc sur le site choisi
De l'autre côté, les participants en faveur du
projet invoquent principalement la raison d'être du projet ainsi que son
importance pour l'économie locale et régionale. Ils croient que
sa réalisation est justifiée pour assurer le décollage
économique du Nord et l'élargissement de l'assiette fiscal du
pays. Ils estiment également que la présence du parc devrait
permettre aux jeunes de rester au pays au lieu d'aller travailler dans de
mauvaises conditions en République dominicaine. Ils font
également valoir que les retombées économiques attendues
risquent d'être considérables et nécessaires pour la
région, que les répercussions du projet sur le milieu humain et
le milieu naturel seraient limitées et que les mesures
d'atténuation proposées sont adéquates.
La polarisation des positions face au projet, que plusieurs
participants déplorent, semble avoir accentué la division sociale
dans la communauté locale. L'affrontement des idées et des
opinions a été effervescent et très animé.
Compte tenu des circonstances, des participants ont espoir que
les rencontres thématiques permettront de trancher un litige qui divise
la communauté locale. À cet égard, un participant
reflétant l'avis de bien d'autres souligne la tâche et la
responsabilité du comité de suivi à la
nécessité de faire la part des choses à propos du projet :
« il revient aux membres du comité de faire la
différence entre ces deux positions et d'interpréter de la
façon la plus juste possible le clivage entre deux visions du
développement économique et deux sortes de besoins sociaux
»
3.7.-Les impacts
sociaux
En gros, le développement du parc industriel devrait
avoir un double impact social. Le premier découle du défrichage
du site du parc, une zone agricole qui représente le principal moyen de
subsistance pour plus de 1000 personnes, à savoir : ceux qui louent et
qui travaillent ces terres et les personnes à leur charge. Un afflux
important (et quasi certain) de population dans la région constitue le
second impact. Les grands projets d'industrie ou d'exploitation minière
dans les pays pauvres indiquent qu'une telle migration se produira, quels que
soient les efforts visant à l'empêcher.
Le défi est donc de comprendre les impacts
négatifs potentiels de tels flux de population et d'élaborer des
stratégies pour les atténuer. Une augmentation rapide de la
population pourrait solliciter l'infrastructure physique et sociale existante
(y compris les logements, les routes, les systèmes d'égouts et de
gestion des déchets, les écoles et les établissements
sanitaires, ainsi que la vie sociale et culturelle des communautés
existantes) au-delà de ses limites. Les recherches en Haïti ainsi
que des expériences d'autres pays indique qu'en fonction de la
création anticipée d'environ 85.000 emplois directs et indirects
attribuables au parc il peut y avoir un afflux d'un minimum de 30.000 personnes
et peut-être autant que 300.000. Si cette augmentation de population
approche le niveau maximale (c'est-à dire au-dessus de 100.000
personnes), elle risque de dépasser de loin les capacités des
communautés avoisinant le parc et même la totalité de la
région du nord en matière de logement, d'infrastructures d'eau et
assainissement, de transport, de services d'éducation, de santé,
et d'ordre public.
3.8.-Le déplacement
de populations
Le rapport de préfaisabilité a également
noté un certain nombre d'impacts négatifs potentiels, comprenant
: le déplacement potentiel des personnes qui travaillent sur le site du
parc; l'afflux potentiel d'un grand nombre de personnes et la pression qui en
résulterait sur l'infrastructure physique et sociale existante ; ainsi
que la création potentielle de bidonvilles comme ceux de Cité
Soleil et d'Ouanaminthe (la création de bidonvilles dans ces deux(2)
endroits étant des conséquences directes du développement
de parc industriel à proximité). Toutefois, le rapport a conclu
que, si une proportion suffisante des recettes fiscales supplémentaires
était consacrée au développement et à
l'amélioration de l'infrastructure sociale et physique dans la
région, beaucoup de ces effets négatifs pourraient être
évités ou atténués.
3.9.-Les dispositifs
participatifs
Dans le montage du processus d'EIE et en conformité
avec la législation haïtienne sur l'environnement relative aux
projets d'infrastructures industriels (Gestion de l'environnement du 12
octobre 2005, articles 56, 57, 58 et 59; Constitution de 1987 articles 253,
254, 257, 258), un dispositif participatif sur 4 niveaux a
été élaboré. : (a) la
pré-consultation par le promoteur, (b)
l'enquête, (c) les rencontres et (d)
le comité de suivi
3.9.1.-La
pré-consultation
Même si cela n'est pas formellement mentionné
dans la loi sur la gestion de l'environnement, le promoteur peut tenir une
consultation le plus tôt possible dans le processus de planification
afin que les opinions des parties intéressées puissent
réellement influer sur les choix et les prises de décision (MDE,
1998). Le projet a suivi les recommandations du Ministère de
l'Environnement et a tenu une pré-consultation sur le projet entre
juillet et aout 2007. Les objectifs formulés par le promoteur ont
été les suivants :
· Etablir un dialogue constructif et continu avec la
population concernée et lui fournir l'information disponible pour
qu'elle puisse porter des jugements éclairés
· Connaitre tôt les préoccupations de la
communauté et des employés pour être en mesure de les
intégrer à l'étude d'impact.
· Elaborer avec le milieu un « un meilleur
projet » pour l'Etat central et la communauté
3.9.2.-l'enquête
La législation prévoit qu'à tout moment
de la durée, une personne ou une groupe de personnes ou encore la
municipalité peut, durant la période de l'EIE, solliciter de
l'Etat une enquête (GE, art 58). Une particularité de ce
projet est que le promoteur s'est lui-même porté demandeur
d'enquêtes pour mieux estimer le degré d'acceptabilité du
projet dans sa zone d'implantation. Zone, rappelons-le à fortes
potentialités agricoles et limitrophe d'une baie qui est reconnue comme
une zone unique à Haïti. Elle comprend les plus grandes mangroves
restantes du pays, accueille plus de 20,000 oiseaux migrateurs par an et
représente un habitat et une zone d'alevinage productifs pour un
écosystème marin qui fournit de nombreux services aux
communautés côtières.
Il n'est pas interdit que le promoteur fasse une demande
d'enquête, mais il est inhabituel qu'une telle demande soit faite par ce
dernier et que celle-ci soit accordée dans un contexte où il n'y
pas eu d'autres demandeurs. Légalement, le Ministère de
l'Environnement décide au sujet de la demande d'enquête en
considérant les motifs exposés et l'intérêt du
demandeur par rapport au milieu touché par le projet (art 57 du code
de Gestion de l'Environnement). Ce n'est que si le Ministère
estime la demande frivole par rapport à ces deux (2) critères
qu'il peut l'écarter.
Dans la pratique internationale, lorsqu'il y a peu de
demandeurs et que la justification du projet n'est pas remise en cause,
l'autorité compétente va de préférence proposer la
tenue d'une médiation visant essentiellement à trouver des
solutions aux problèmes particuliers évoqués par les
demandeurs.
3.9.3.-Les rencontres
thématiques
Ces rencontres poursuivent un peu les mêmes objectifs
que la pré-consultation. La seule différence est qu'elles ne
concernent que des segments de la communauté qui s'estiment victimes
d'une incidence négative. Comme le suggère le qualificatif
thématique, les discussions se focalisent sur un problème
spécifique vécu ou perçu par la population. Nous verrons
par la suite que l'information inadéquate et l'absence de règles
de gestion des débats lors de ces rencontres ont constitué autant
de lacunes ayant eu l'effet de maintenir la communauté dans un flou
quant au processus de prise de décision.
3.9.4.-le comité de
suivi
La législation haïtienne ne définit
pas les étapes pour la mise en place du comité de suivi. Elle
précise simplement que celui-ci doit être composé de
représentants de la communauté surtout les personnes susceptibles
d'êtres touchées par les nuisances occasionnées par le
projet. Son objectif est triple :
· Participer à la mise en oeuvre du plan de suivi
environnemental ;
· Contribuer à minimiser les effets nuisibles des
travaux de construction ;
· Recevoir du promoteur, les informations relatives au suivi
environnemental du projet ;
· Partager les résultats de l'évaluation avec
les groupes concernés ;
· Proposer le cas échéant les mesures
d'atténuation des impacts qui pourraient être requises.
Spécifiquement, à la phase de construction, il
s'agit pour ce comité de :
· Participer à la planification et à la mise
en oeuvre des travaux d'aménagement du site
· Partager les informations appropriées au suivi
des impacts de la construction (nuisances et inconvénients en fonction
du contenu de l'étude d'impact
· Faciliter les communications avec les citoyens voisins du
site
A la phase d'exploitation, il sera question pour le
comité de :
· Recevoir les informations relatives au programme de suivi
environnemental du Parc
· Faciliter les communications avec les citoyens voisins du
site
Le comité ne bénéficie d'aucune source de
financement ou d'infrastructures spécifiques comme secrétariat
répondant en son nom. Toutefois la mairie met gracieusement ses locaux
à sa disposition pour la tenue de réunions. La composition de ce
comité n'a pas été communiquée dans le rapport
d'étude d'impact environnemental. Mais nous savons qu'il est
présidé par le maire de la commune.
CHAPITRE 4.-RESULTATS ET
DISCUSSION : BILAN DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONDUITE DES
ACTEURS
Malgré ces dispositifs, le bilan de la participation
des acteurs sociaux à l'évaluation et au suivi des impacts est
plutôt partagé. En effet, la participation semble avoir eu peu
d'effet sur l'empowerment de la communauté locale,
Caracol, et, plus particulièrement, des voisins immédiats du site
industriel affectés directement par les travaux de construction. Également, la participation n'a pas eu
d'effet significatif sur la façon de faire du promoteur. Nous analysons
ces résultats à partir de deux types de facteurs : 1)
les facteurs institutionnels, soit la procédure d'ÉIE et
les dispositifs participatifs afférents, et 2) les facteurs
sociaux, soit la conduite des acteurs.
4.1.- Les facteurs de type
institutionnel
En ce qui concerne les facteurs de type institutionnel,
rappelons d'abord que l'ÉIE intervient tardivement dans le processus
décisionnel, soit après que les principales composantes du projet
furent déterminées par le promoteur. Aussi, le choix du site,
décision déterminante sur le plan des incidences sociales puisque
le complexe industriel est situé en milieu habité à fortes
potentialités agricoles, n'a pas été soumis à
l'ÉIE ni à la consultation. L'analyse comparative des sites
envisagés a été réalisée avant le
déclenchement de l'ÉIE. Le rapport d'étude d'impact se
limite à présenter sommairement les considérations
économiques et politiques sur lesquelles s'appuie la décision.
Le deuxième facteur explicatif concerne la
qualité et la pertinence de l'information produite par l'ÉIE.
L'étude d'impact qui comporte de nombreuses lacunes ne permet pas d'établir les enjeux du
projet. Par exemple, malgré la somme des informations colligées
dans l'étude d'impact sur les émissions atmosphériques et
les rejets liquides estimés, il est pratiquement impossible de savoir si
la réalisation du projet a un effet sur la santé des populations
limitrophes ou s'il y a des risques associés. Le troisième
facteur, influençant négativement le bilan de la participation,
concerne l'absence d'une méthode d'intégration des données
tout au long du processus d'ÉIE.
En effet, chaque étape a donné lieu à la
réalisation de rapports de synthèses distincts qui se caractérisent par une
structuration de l'information différente, rendant leur usage
très difficile aux fins de la compréhension des enjeux et de
suivi des impacts. Peut-on alors parler de participation
éclairée ? Le quatrième facteur retenu concerne le
suivi des préoccupations des participants. Les deux consultations n'ont
pas servi à identifier et à prendre en compte des
conséquences sociales et environnementales dans la planification du
projet et l'élaboration de mesures de suivi, mais plutôt à
répondre aux questions des participants et à trouver des
solutions de communication publique aux problèmes susceptibles d'en
affecter l'acceptabilité sociale. En nous basant sur l'information
disponible, nous n'avons pas trouvé d'indication, ni chez le promoteur,
ni dans les comités de suivi, sur la manière dont celles-ci ont
été considérées ou incorporées à un
moment ou l'autre de l'évaluation et du suivi. En ce qui concerne plus
particulièrement l'audience publique, après une analyse
approfondie de l'ensemble de la documentation, il apparaît clairement que
plusieurs préoccupations, valables selon nous, par exemple celles
relatives à la santé, n'ont pas été
analysées.
4.2.-Les facteurs
sociaux
À l'étape du suivi, les attentes et les
préoccupations sociales exprimées lors des consultations sont
demeurées sans réponse. Aussi, le promoteur n'a établi
aucune procédure de suivi des impacts au sens propre du terme,
c'est-à-dire une procédure par laquelle on relève et
analyse les impacts pouvant résulter de changements non prévus ou
de changements qui ont été anticipés, mais mal
évalués dans l'étude d'impact, ce qui n'est pas sans
conséquence. En effet, par exemple, en réaction aux plaintes
reçues des résidants d'un quartier concernant la circulation
intense de véhicules lourds, le comité a proposé des
mesures d'atténuation pour améliorer la sécurité et
réduire les inconvénients. Des mesures ont été
prises pour réduire et appliquer les limites de vitesse, ainsi qu'un
nouvel horaire limitant les activités de transport à certaines
heures. Mais aucune évaluation des impacts n'a été faite.
Aussi, les changements occasionnés par l'augmentation
de la circulation pour les populations riveraines comme le niveau de bruit
ambiant, la contamination de l'air par le sable, la sécurité des
résidants, ainsi que les conséquences sociales de ces
changements, comme la perte de sommeil, l'augmentation du stress, les
changements d'habitude de vie, les risques d'accident, n'ont pas
été documentés ni analysés (Côté,
2001). Même si rien n'avait pu être fait parce qu'il était
impossible d'arrêter la circulation, ce qui aurait eu pour effet de
ralentir, voire d'interrompre les travaux de construction dont
l'exécution était assujettie à un échéancier
serré, les informations sur les impacts de la circulation auraient pu
contribuer à sortir de l'isolement les résidents qui avaient
décidé d'exprimer leur mécontentement dans la
communauté qui les considérait d'entrée de jeu comme des
« chialeurs ».
Par ailleurs, au regard de la conduite des acteurs, il est
important de mentionner que le projet était perçu par les
politiques et la majorité de la population comme essentiel au
décollage économique du pays, et par conséquent,
bénéficiait d'un niveau élevé
d'acceptabilité sociale. L'entente tacite entre le promoteur et la
communauté à cet égard peut être
résumée de la façon suivante : sous réserve de
la volonté du promoteur de réaliser le projet en partenariat avec
le milieu, voire de faire preuve de transparence en diffusant l'information sur
le projet et en participant à des instances multipartites de suivi,
ainsi que de prendre des mesures pour maximiser les retombées du projet
en favorisant la participation des entreprises et l'embauche de main-d'oeuvre
à l'échelle locale et régionale, le milieu est prêt
à faire des sacrifices pour permettre la réalisation du
projet.
4.3.-Groupes
spontanés et pressions politiques
Comme nous l'avons mentionné
précédemment, des controverses éclatèrent à
propos d'activités ou de travaux réalisés en lien avec la
construction du Parc. Parmi ces controverses, deux (2) ont retenu notre
attention: (1) la circulation de véhicules lourds, (2) la
réfection des lignes de transport de l'énergie
électrique. Ces controverses sont intéressantes parce
qu'elles mettent en scène des groupes spontanés qui utilisent
des stratégies de pression politiques traditionnelles telles que
l'interpellation des politiciens, les manifestations publiques et le recours
aux médias d'information.
De plus, ces controverses sont révélatrices de
la conduite des acteurs (Le comité de suivi des recommandations, le
Ministère de l'Environnement, firme de construction, etc.) du
système de gestion de l'information environnementale.
Le comité de suivi des recommandations aurait pu jouer un
rôle dans la recherche de solutions aux problèmes
évoqués par les résidents de Caracol. Enfin dans la
controverse sur la circulation des engins lourds, on sent le poids de
l'acceptabilité sociale du projet sur les personnes
particulièrement touchées par les nuisances découlant de
la réalisation du projet.
Il ressort de l'analyse qui précède les
éléments suivants :
· Des personnes particulièrement affectées
par les travaux de construction se sont mobilisées au sein
d'organisations plus ou moins formalisées pour faire valoir leurs
préoccupations et leurs demandes auprès du promoteur et des
autorités publiques.
· Ces initiatives se situent en marge des
activités du comité de suivi créé par le
projet.
· Les personnes affectées n'ont pas eu recours au
comité de suivi pour faire valoir leurs revendications ;
· Le comité de suivi n'a joué aucun
rôle dans la recherche de solution aux problèmes soulevés
en raison des limites de son mandat ;
· L'étude d'impact et les rares consultations
n'ont pas permis d'identifier tous les impacts du projet
· Les consultations n'ont pas permis de rejoindre
toutes les personnes potentiellement affectées par le projet. parmi
lesquelles plusieurs personnes ont découvert les impacts du projet
qu'une fois les travaux commencés
4.4.-Analyse de la
participation sur le plan des conditions de la participation
L'étude des
conditions de participation vise à déterminer la nature de
l'opportunité offerte aux acteurs sociaux. Les participants, le
moment de la participation dans le processus décisionnel, le mode
participatif, la portée de la participation, etc. Procurer aux acteurs
locaux les moyens et les capacités permettant d'effectuer un suivi de
qualité passe par un accroissement des « capacités
sociales » des acteurs à participer (d'Aquino et al.
1999, d'Aquino 2005, Bouard et al, 2006). Pour étudier la
participation, nous nous intéressons à la théorie de
l'action communicative «The theory of Communicative Action
(TCA) » d'Habermas, et plus particulièrement de
l'application de Webler et de Tuller (2000), qui proposent un
modèle basé deux (2) critères :
L'équité et la
compétence.
4.4.1.-Equité du
processus
À titre de rappel,
la notion d'équité de Webler et Tuller (2000) , a trait à
ce que les gens sont autorisés à faire dans un processus
décisionnel délibératif et partant aux possibilités
qui leur sont offertes à cet égard, à savoir :
· d'être
présent
· de s'exprimer
· de participer aux
discussions (demander des clarifications, s'opposer, questionner,
débattre)
· de participer
à la prise de décision (résoudre les désaccords et
clore la controverse)
La participation à
la prise de décision peut prendre différentes formes selon les
étapes du processus d'évaluation des impacts sur
l'environnement. Le cadrage, la réalisation de l'étude
d'impact et le suivi.
· A l'étape du cadrage, la décision
porte sur la détermination des grands enjeux soulevés par le
projet et la portée de l'étude d'impact.
· À l'étape de la réalisation
de l'étude d'impact la décision porte sur l'identification et
l'évaluation des impacts ainsi que la proposition de mesures
d'atténuation et de bonification, des mesures de suivi et de
modifications du projet.
· A l'étape de suivi, la décision
dépend de l'activité en cause. En ce qui concerne la surveillance
des paramètres, la décision porte sur la désignation
préalable des paramètres environnementaux et sociaux à
partir desquels seront mesurés les changements attribuables
spécifiquement au projet.
En ce qui concerne la surveillance de la conformité,
les décisions portent sur les mesures à prendre en cas de
non-respect des activités au x normes réglementaires et autres
conditions de réalisations du projet énoncées dans la
législation environnementale. Quant à la surveillance des
impacts, la décision porte sur l'identification des impacts non
prévus, l'évaluation des impacts non prévus, des impacts
imprévus. Ces précisions étant apportées, quelle
est la nature des possibilités de participation offertes aux personnes
affectées ou intéressées ?
D'abord en ce qui concerne
la « possibilité d'être présent », la
consultation a exclu un nombre important de personnes potentiellement
affectées par la réalisation du projet. En effet, dans la
catégorie des résidents, la consultation a exclu en
priorité les résidents des secteurs limitrophes,
c'est-à-dire, les secteurs situés dans la
périphérie immédiate du site de construction. Dans le
rapport d'évaluation, le promoteur n'a pas apporté d'explication
sur les raisons de ce choix. Pourtant plusieurs travaux directement
liés au projet ont été réalisés sur le
territoire de Caracol, travaux qui se sont avérés à
l'origine de nuisances non prévues dans l'étude d'impact. Par ailleurs, selon les
plans des rencontres, les participants devaient avoir la possibilité de
demander des clarifications, des s'opposer et de questionner. Le promoteur
faisait une présentation du projet suivie d'une période
d'échange de 60 minutes environ. La prise de décision lors de la
consultation n'a pas non plus contribué à l'identification des
enjeux et à la structuration de l'étude d'impact.
En effet, l'absence d'indication concrète quant
à la méthode utilisée pour intégrer l'information
en provenance des participants et la structuration du rapport
d'évaluation par problèmes évoqués et
réponses apportées suggèrent que nous sommes en
présence d'une démarche de communication plutôt qu'une
démarche d'identification et évaluation des incidences
environnementales et sociales du projet.
Nous déduisons de notre analyse que la consultation a
permis au promoteur de diffuser l'information sur le projet et à
identifier les problèmes pouvant constituants des irritants susceptibles
d'en compromettre l'acceptabilité sociale plutôt que de structurer
le contenu de l'étude d'impact. Au sujet des réponses
apportées aux questions de la population, elles ont porté
surtout sur les dimensions techniques, telles que la technologie
employée pour traiter les eaux usées et faciliter une bonne
gestion des déchets de chantiers.
Sur le plan de la composition du comité de suivi,
rappelons que seuls les résidents des secteurs limitrophes au site
industriel sont représentés au sein du comité. En plus de
ne pas avoir de représentants en titre, les résidents de Caracol
et des autres localités ne sont pas représentés en raison
de la « faible représentativité territoriale de
Caracol » (Koios, 2011). Ces particularités
constituent une sérieuse limitation à la possibilité des
personnes potentiellement affectées ou concernées par les
activités d'être présentes »
4.4.2.-La compétence
Toujours selon Webler et Tuller (2000), la compétence
se rapporte à :
· La capacité du processus mis en place de
permettre la construction de la meilleure compréhension possible,
et
· Une compréhension partagée par les
participants compte tenu des connaissances raisonnablement accessibles au
moment de l'intervention
Les pré-requis à l'atteinte de cet objectif sont
l'accès à l'information et à son interprétation et
l'utilisation des meilleures procédures disponibles pour la
sélection de la connaissance (Use of the best available procedures
of knowledge selection, Webler et Tuller 2000, p 157). Ainsi, dans le
contexte particulier du cas à l'étude, la question qui se pose
est la suivante : est-ce que les dispositifs de consultation ont permis
d'acquérir la meilleure compréhension possible du projet et de
ses incidences sociales et environnementales ?
Au moment de la pré-consultation, l'information sur le
projet se limitait à la description de ses principales composantes, et
des conséquences liées à la nature des différentes
activités. Cependant, cette phase a constitué une occasion pour
identifier les enjeux du projet à partir des préoccupations
exprimées par les participants. En vue de structurer le contenu de
l'étude d'impact. La construction de la meilleure compréhension
possible du projet s'est appuyée sur la description du projet faite par
le promoteur et la connaissance partagée des participants des enjeux du
projet. Or, la formule adoptée par le promoteur comportait à cet
égard de nombreuses lacunes.
· Pour commencer, le promoteur a choisi une approche
consistant en des rencontres par petits groupes de trente personnes, sur
invitation et par thèmes. Selon le promoteur, cette façon de
faire favorise les échanges. Cependant, les rencontres ont pour effet de
concentrer les échanges sur les préoccupations très
ciblées des intervenants (par thèmes) présents (petits
groupes) et la recherche de solutions à leurs préoccupations
particulières.
· De plus, les participants n'ont pas eu accès au
contenu des autres rencontres.
Enfin, le rapport de pré-consultation annexé
à l'étude d'impact qui présente un sommaire par
thèmes des préoccupations exprimées et des réponses
apportées par le promoteur, est insuffisant car il est intervenu trop
tard dans le processus pour donner aux participants une compréhension
partagée des enjeux aux fins d'avoir une influence sur la structuration
de l'étude d'impact. Du reste, le fait de répondre aux questions
des intervenants et d'apporter des solutions aux problèmes
soulevés ne constitue pas en soi une démarche de construction de
la connaissance, mais de préférence une démarche de
résolution de problèmes prise en charge par le promoteur.
Par ailleurs, l'étude d'impact de site industriel
comporte de nombreuses lacunes sur les plans de la structuration de
l'information et de l'analyse des incidences sociales du projet susceptibles de
nuire à l'atteinte de cet objectif. La structuration de l'information
permet difficilement d'identifier les enjeux du projet. Ensuite, l'analyse des
incidences sociales décrit les changements matériels ou directs
plutôt que les effets sociaux ou humains qui découleraient de ce
changement. Enfin, les rencontres et les enquêtes n'ont pas permis de
combler les lacunes de l'étude d'impact sur le plan de l'identification
et de l'évaluation des incidences sociales et environnementales du
projet et cela d'autant plus qu'une part importante des considérations
soulevées par les intervenants à cet égard sont
restées partiellement ou non analysées.
Enfin, une autre composante du processus qui a rendu
difficile la construction d'une compréhension partagée (par la
population) des impacts du projet a concerné la circulation de
l'information. Les consultations sont publiques et ceux qui ne peuvent pas
participer aux rencontres ont accès aux rapports. Cependant, comme
l'ont montré les analyses, l'information ne circule pas
nécessairement entre les participants d'une étape à une
autre du processus. Les considérations soulevées en
première partie des consultations ne sont pas nécessairement
connues des participants à la deuxième partie.
En conclusion, plusieurs
lacunes ont été identifiées, constituant des obstacles
à la construction de la meilleure compréhension possible et une
compréhension partagée des enjeux du projet et de ses impacts. A
l'étape de l'évaluation, les participants ne disposent pas de
l'information pertinente pour identifier les enjeux du projet à cause de
l'absence de données ou parce que l'information est dispersée.
À l'étape du suivi, les comités ne disposent de
l'information pertinente en raison de l'absence de processus
systématique d'enquête permettant de mesurer les incidences
sociales et environnementales des changements engendrés par les
activités de construction du parc industriel ou de l'accès
limité à certaines données pertinentes au suivi.
4.5.-Analyse de la participation
sur la plan de la conduite des acteurs
Dans notre recherche, nous avions envisagé
d'appliquer l'analyse organisationnelle à l'étude de la conduite
des membres des différents comités. Postulant que ces
comités constituaient des systèmes d'action concrets. Cependant
l'analyse du cas à l'étude nous incita à réviser ce
postulat constatant que les dispositifs participatifs mis en place dans le
cadre de la procédure d'évaluation et d'examen des impacts sur
l'environnement, incluant les comités, n'ont constitué que
l'extension d'un système d'action existant.
Un système d'actions concret se
caractérise par : (1) l'interdépendance des acteurs, (2) la
création d'une norme sociale qui détermine les règles du
jeu à travers lesquelles les calculs rationnels et stratégiques
des acteurs se trouvent intégrés. Dans un contexte
d'interdépendance chaque acteur a besoin de l'autre pour atteindre ses
objectifs. Dans le cas à l'étude, le promoteur voulait maintenir
de bonnes relations avec la communauté et avait de son appui pour la
réalisation de projet. Il avait également besoin des
autorités municipales et régionales pour faciliter la
réalisation du projet et en assurer l'acceptabilité sociale. La
communauté avait de besoin du promoteur et de son projet pour assurer
sa survie. Elle avait besoin des autorités municipales comme
représentant de ses intérêts auprès du promoteur.
Les autorités régionales et nationales souhaitaient que le parc
industriel soit construit en raison des retombées fiscales importantes
et avait de l'appui de la communauté à cet égard.
En ce qui concerne la norme sociale, le compromis
plusieurs fois exprimé implicitement et explicitement par les
participants consistait en la proposition suivante : Sous
réserve que le promoteur veut nous impliquer dans la réalisation
du projet en favorisant l'embauche de la main d'oeuvre locale et
régionale, nous sommes prêts à faire des sacrifices pour
faciliter la réalisation du projet ». Les dispositifs participatifs semblaient s'inscrire
dans la continuité de ce compromis dont l'application a
été assurée par les autorités municipales et le
promoteur avec l'assentiment implicite et explicite de la population.
4.6.-Evaluation des
dispositifs participatifs sur le plan des résultats
4.6.1.-Empowerment
Nous nous intéressons à la participation
comme processus pouvant conduire à l'empowerment et à
l'effet des dispositifs participatifs à cet égard. Cependant,
selon Rich et al (1995) la participation ne conduit
nécessairement à l'empowerment. La participation au processus
décisionnel peut être «empowering » ou
«dispowering » selon la nature et l'issue de
l'expérience. Le «dispowerment » se
produit lorsque les citoyens ou la communauté perdent la maitrise de la
gestion de leurs affaires et cela même si, comme l'affirment les auteurs,
les citoyens ont eu la possibilité de participer au processus
décisionnel.
Dans l'étude de cas, chaque dispositif a permis
à des citoyens, à différentes étapes de la
réalisation du projet, d'exprimer leurs préoccupations et
d'obtenir l'adoption de mesures d'atténuation ou de bonification, des
mesures de suivi ou des modifications du projet. Mais ces dispositifs pris
dans leur ensemble, ont-ils permis l'atteinte de l'objectif de maîtrise
sociale (des citoyens) qui suppose la possibilité d'exercer une
influence réelle sur la décision ? Nous nous limitons
à une présentation des faits à la phase de
réalisation du projet.
A cette phase, les efforts déployés pour
atténuer les nuisances de la construction ont eu un succès
limité compte tenu de la situation de fait créer par la
décision de construire le complexe industriel en milieu habité et
à fortes potentialités agricoles. Dans ce contexte, même si
le promoteur et les autorités régionales et municipales,
accompagnés de certains membres du comité de suivi ont
tenté de rassurer les résidents en leur démontrant que
les normes régissant ce type d'activités ont été
respectées, et que des mesures ont été prises en vue pour
atténuer les nuisances, l'impact sur les résidents n'en a pas
été pour autant diminué. Le stress vécu par
certains résidents a détérioré leur qualité
de vie et cela malgré la grande acceptabilité sociale dont jouit
le projet auprès de la communauté.
La situation est la même en ce qui concerne le
cas de la circulation intensive des véhicules lourds qui s'est maintenue
voire intensifiée pendant plusieurs semaines, du matin jusqu'au soir et
à raison d'un passage toutes les 30 secondes. Le contrôle accru de
la vitesse, l'adoption d'un horaire limitant les activités de transport
et l'élargissement de certains tronçons du réseau routier
local n'ont pas eu d'effets significatifs sur les nuisances et le
problème de la sécurité causé par ces va-et-vient
ininterrompus de ce type de véhicules dans une zone en pleine
activité.
En somme, il ressort de ce qui précède
que l'empowerment formel créé par L'organisme
participatif institué par le projet ne s'est pas traduit par une
maîtrise sociale du changement. Les deux (2) problèmes
expliquant cette situation sont : l'absence de l'information pertinente
au moment requis pour identifier les enjeux de la décision, les lacunes
de l'étude d'impact en ce qui concerne l'identification des incidences
sociales et environnementales du projet et la détermination a
priori d'un site pour la construction du complexe industriel sans solution
alternative.
4.6.2.-L'effet du dispositif
participatif sur l'empowerment
Toujours selon Rich et al (1995)
l'empowerment a trait à la capacité des
autorités et des citoyens à travailler ensemble afin d'aboutir
à des décisions qui permettent de régler les
problèmes ou d'obtenir les résultats désirés. Une
approche basée sur l'anticipation plutôt sur la réaction
favorise ce genre de collaboration de même la possibilité de
soulever de nouveaux enjeux favorise également ce type
d'empowerment. À la phase de consultation thématique,
le problème que soulèvent les stratégies participatives au
regard de l'empowerment pourrait être résumé en
posant la question suivante : qui représente les absents et leurs
intérêts ?
Les absents sont toutes les personnes potentiellement
affectées ou concernées par la réalisation du projet mais
dont les intérêts n'ont pas été
représentés lors des rencontres thématiques. L'analyse du
processus d'étude d'impact environnementale du projet de Caracol
démontre clairement que les dispositifs participatifs n'ont pas permis
de combler cette lacune. Deux (2) points peuvent être rapportés
à ce propos : (1) Les enquêtes et les rencontres
régionales et locales n'ont pas suscité la mobilisation
souhaitée, (2) les interventions faites par les rares
participants n'ont pas apporté beaucoup d'éléments
nouveaux par rapport à l'étude d'impact et les
considérations soulevées sont demeurées partiellement ou
pas analysées.
À la lumière de ces considérations, nous
pouvons nous demander si on peut compter sur des dispositifs participatifs de
type consultation, dont l'efficacité dépend exclusivement de la
mobilisation des personnes affectées ou concernées pour
identifier et évaluer les incidences sociales et environnementales d'une
intervention surtout dans le cadre d'un projet d'une ampleur aussi large
que celui du Parc de Caracol?
4.6.3.-Maîtrise sociale
du changement
En résumé de la présente section, la
participation à l'EIE n'a pas conduit à l'empowerment
des participants aux dispositifs participatifs, ni à celui de la
communauté de Caracol. L'empowerment formel exigé dans
le cadre de l'EIE et les dispositifs qui y sont liés ne s'est pas
traduit par une maîtrise sociale du changement. L'information
inadéquate et l'absence de règles de gestion des débats
lors des rencontres thématiques ont constitué autant de lacunes
ayant eu l'effet contraire sur la communauté. De plus, sur le plan de
l'établissement de liens de confiance, les remarques de certains
habitants concernant la situation de conflit d'intérêt dans
laquelle se trouvaient certains membres du comité local de suivi et
l'absentéisme des représentants des organisations locales dans
les rencontres thématiques ont gêné
énormément. Comment faire confiance à quelqu'un qu'on
estime avoir les mains liées en raison de ses liens d'affaires avec le
promoteur ?
.
CHAPITRE 5.-ESTRATEGIA PARA CONSULTA PÚBLICA EN LA
EVALUACIÓN DE IMPACTO AMBIENTAL (EIA) DE PROYECTOS INDUSTRIALES EN
HAITI.
Les analyses menées jusqu'à cette phase de notre
recherche ont conduit à la conclusion que, dans le cadre des grands
projets industriels du moins, les dispositifs participatifs mis en place sont
trop disséminés dans le temps pour permettre un réel
empowerment des communautés locales ou du public. Depuis la
pré-consultation en passant par les rencontres thématiques pour
aboutir aux consultations plus larges de la société civile, les
représentants de la communauté changent, le format des rapports
varie et les conflits d'intérêt éclatent. De même,
les structures de suivi des mesures de bonification ou de mitigation des
impacts mises sur pied ne jouissent souvent d'aucune autonomie car les membres
sont bien des fois à la solde des acteurs dominants dans le processus
décisionnel en l'occurrence le promoteur qui, dans le cas du Parc de
Caracol, est l'Etat Haïtien représenté par le
Ministère de l'Economie et des Finances (MEF). Il faut donc, par
delà cette nécessité d'encourager la participation
citoyenne aux grandes décisions de la nation, mettre sur pied des
structures facilitant cette participation et la rendre productive. C'est
l'objectif de cette section.
Sur le plan théorique, notre proposition
s'inscrit dans la continuité des travaux portant sur les instruments
d'action publique de type informatif et communicationnel (Lascoumes et Le
Galès, 2004 ; Lascoumes et Simard, 2011). Ceux-ci connaissent une
popularité croissante depuis bientôt une trentaine d'années
en Europe comme en Amérique du Nord et dans certains pays
émergents (Blondiaux, 2008; Blondiaux et Sintomer, 2002; Dietz et
Stern, 2008 ; Lascoumes, 1998). Au coeur du phénomène de la
gouvernance tant sociétale qu'organisationnelle, ces instruments
participeraient d'une transformation de l'action publique sous l'angle d'un
plus grand partage du pouvoir et d'une coproduction de connaissance dans la
prise de décision (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001).
Sur le plan méthodologique, notre analyse
qualitative est construite à partir de deux axes. Le premier se
concentre directement sur les faits saillants de l'histoire de la participation
du public aux Etudes d'impacts depuis les années 1960. Le
deuxième repose sur une lecture de quatre (4) projets majeurs
exécutés par l'Etat Haïtien entre 1956 et 20115(*) en dégageant quelques
constats marquants liés au processus de consultation de la
société civile. En croisant ces deux axes, notre intention a
été non seulement de saisir l'essentiel des changements survenus
au cours des 60 dernières années, mais également
d'observer les éléments de stabilité afin de mieux
comprendre l'évolution et les incidences de la qualité de la
participation publique aux débats sur ces grands projets
d'infrastructures.
5.1.- Nature du
dispositif : une entité gouvernementale et consultative
L'organisme proposé prendrait la forme d'une
entité publique et autonome qui relèverait du Ministère de
l'Environnement. Sa mission serait d'éclairer la prise de
décision gouvernementale dans une perspective de développement
durable, lequel englobe les aspects biophysique, social et économique.
La réalisation de cette mission fondamentale passera par l'information,
la réalisation d'enquêtes et la consultation quasi permanente de
la population sur des projets ou des questions relatives à la
qualité de l'environnement que lui soumettra le Gouvernement ou tout
promoteur de projets industriels. Il produirait des rapports d'enquête
qui seront rendus publics. L'organisme serait par conséquent
une entité gouvernementale
consultative et non
décisionnelle.
La vision que cache ce dispositif est celui d'un pays
où les citoyens sont mieux renseignés sur les questions
environnementales et sur les projets d'importance soumis à la
consultation publique. Ils sauront qu'ils ont la possibilité
d'être consultés par un organisme
indépendant et impartial afin que
leurs préoccupations et leurs opinions soient considérées
dans la prise de décision des autorités.
5.2.- Objectifs
L'objectif du dispositif proposé est clair : il s'agit
d'instituer un droit à la participation des citoyens haïtiens
étroitement associé à l'examen des impacts sur
l'environnement des grands projets d'équipements tels que les routes,
les équipements de production et de transport d'énergie
électrique et les projets industriels. Ce dispositif interviendrait
selon deux(2) modalités qui pourraient être consignées dans
une loi et qui lui confèreraient deux(2) fonctions distinctes :
· faciliter, dans le cadre de la procédure
d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement, la
consultation des documents soumis à l'appui d'une demande ainsi que
l'accès à l'information et, sur mandat du MDE, ou dans certains
cas sur demande de la société civile, tenir des enquêtes et
des consultations des citoyens;
· enquêter sur toute question relative à la
qualité de l'environnement que lui soumet l'Etat ou la
société civile et faire rapport de ses constatations ainsi que de
l'analyse qu'il en est fait. Il doit aussi tenir des audiences publiques dans
les cas où la situation l'exige.
5.3.-Mode de
fonctionnement
Le mode de fonctionnement de ce
dispositif pourrait se décliner en 2 étapes : Un fois le
projet approuvé par le Ministère compétent, (1) une
session d'information, suivie, après un délai dont la
durée serait à déterminer (2) d'une session
d'interventions des représentants de la communauté ou des
communauté(s) susceptibles d'être touchées ou
concernées directement par le projet. Chacune de ces sessions pourra
être précédée d'un avis dans les journaux d'au moins
30 jours à l'avance. Pour faciliter la
pleine participation de tous les acteurs intéressés, ces sessions
se tiendront le soir, après les heures d'activités.
La première partie de la
session sera consacrée à l'examen du projet et de ses
conséquences sur l'environnement. Les commissaires et les participants
interrogeront le promoteur pour connaître la raison d'être du
projet, les différentes options étudiées et les moyens de
diminuer les impacts sur l'environnement. Ce questionnement permettra
d'expliciter les intérêts et les valeurs sociales sous-jacentes au
projet et provoquera cet important transfert de connaissances dont on a
discuté dans les sections précédentes. Cette
première session permettra également de dégager les enjeux
et encadrera, à la fois, la présentation des procès
verbaux des rencontres et l'analyse de la commission, particulièrement
au chapitre de l'examen des solutions alternatives.
Ces procès verbaux devront être
déposés dans les jours (10 jours) qui suivent au Ministère
de l'Environnement avant le début de la deuxième session
d'informations et d'échanges. Celle session permettra à toute
personne de faire entendre son opinion ou ses suggestions sur le projet,
l'étude d'impact, la révision technique ou tout autre document
faisant partie du dossier. A la fin du processus, les commissaires
rédigent un rapport de consultation et feront part de leurs
constatations au Ministère qui lui devra public le rapport, dans les
cinquante jours qui suivront sa réception.
5.4.-Sensibilisation
environnementale et gestion des conflits sociaux
La participation du public au processus décisionnel
témoigne d'une transformation progressive des rapports entre la
société civile et l'administration publique. L'organisme
proposé consistera également en des forums de médiation et
de concertation, où les groupes concernés, des groupes de
pression, exprimeront leurs inquiétudes directement, sans l'entremise de
représentants politiques, en prenant part aux décisions qui les
affectent.
L'organisme leur permettra d'exprimer les
intérêts de la société civile, même s'ils sont
contraires à ceux de l'État. Cette liberté d'expression
prévaudra dans la sphère des politiques environnementales des
droits et libertés jusqu'alors non exprimés. Ceci devra
contribuer également à créer un climat politique plus
favorable à l'atteinte d'objectifs environnementaux, en sensibilisant la
population aux enjeux de changements climatiques, de perte de
biodiversité, de sécurité citoyenne, etc.
Mais la tenue des sessions publiques ne garantira pas l'examen
de tous les moyens de réduire les impacts sur l'environnement ou de
protéger l'environnement. C'est pour celle, L'organisme prévoit
la réalisation d'enquête qui porteront principalement sur la
justification des projets et les diverses possibilités envisagées
par les promoteurs pour mitiger les conséquences environnementales. Les
sessions publiques ne permettront pas non plus d'évaluer la
portée des nouvelles technologies. Elles aideront toutefois à
constater à quel point la dimension environnementale n'apparaît
que tard dans le processus de prise de décision.
Ainsi, L'organisme permettra de répondre en partie aux
critiques et au souci d'équité procédurale
reprochée au processus d'Etude d'impact environnemental. Bien sûr,
pour devenir un lieu efficace de négociation et de médiation des
conflits environnementaux, il faudra faire évoluer le mandat du
dispositif pour le faire s'adapter aux changements sociaux, voire
s'étendre à d'autres secteurs de l'activité publique, tout
en faisant appel à des procédures plus globales, telles les
audiences génériques. La transmission des audiences publiques par
Internet devrait aussi être réalisée dans un avenir
prochain, ce qui aura pour effet d'augmenter la transparence et l'accès
à l'information.
5.5.-Les mécanismes
de demande de sessions
Les sessions d'information et d'échanges sont un moyen
prévu dans la procédure d'évaluation et d'examen des
impacts sur l'environnement permettant au public de s'informer et d'exprimer
son opinion sur un projet. La demande de sessions pourra se faire pendant la
période d'information et de consultation du dossier par le public.
Ainsi, toute personne, tout groupe, tout organisme ou toute municipalité
a le pouvoir de requérir un examen public d'un projet en demandant au
Ministère de l'Environnement la tenue de sessions publiques. Une telle
demande peut être faite dans le cas où, par exemple, des personnes
considèrent que l'information n'est pas suffisante pour se prononcer sur
un projet, pour exprimer leurs préoccupations ou encore pour donner leur
opinion.
5.6.-Le contenu de la
demande
Tout d'abord, il faudra mentionner clairement qu'il s'agit
d'une demande de sessions d'informations et d'échanges, afin
d'éviter tout malentendu sur la nature du document. D'une part, une
lettre de couverture précisera les motifs de la demande,
c'est-à-dire les raisons pour lesquelles une ou des personnes
requièrent la tenue d'une session. D'autre part, il faudra
préciser dans la demande l'intérêt par rapport au milieu
touché par un projet, c'est-à-dire en quoi ce dernier concerne
particulièrement une personne, un groupe ou une municipalité.
Une personne peut également indiquer dans sa demande
son ouverture pour une médiation. À moins que la requête
soit jugée frivole, le Ministère de l'Environnement pourra
demander la tenue de sessions d'informations et de lui faire part de ses
constatations ainsi que de l'analyse qu'il en a faite. Toute la population
pourra participer aux sessions publiques. Le Ministère pourra aussi
confier au dispositif un mandat d'enquête et de médiation ce qui
ne devrait modifier en rien le droit d'un requérant d'obtenir la tenue
d'une session publique.
La construction du Parc industriel de Caracol, projet
industriel d'envergure de transformation et de sous-traitance, offre une
occasion particulièrement fertile de discuter plus largement des enjeux
liés à la qualité de la participation publique. On l'a vu,
concilier les principes de la démocratie participative tout en
renforçant le référentiel du destin commun et du
rééquilibrage des pouvoirs de décision est un défi
méthodologique et conceptuel majeur. Les travaux de recherche de
Gilles Côté (2010) et de Marie Christine
Gagnon (2008) offrent des perspectives pour suivre au plus près
et accompagner la construction de nouveaux modes de gouvernance.
Le premier objectif (Objectif 1) de notre
recherche consistait à analyser les limites et les conséquences
des dispositifs participatifs dans le processus décisionnel des
Études d'Impact Environnementales (EIE). Notre réflexion s'est
fondée sur les concepts d'acceptabilité sociale
et d'empowerment de la communauté. Nous avons
postulé en ce sens que la qualité de la participation publique,
respectivement l'intégration des propositions de la population (ou ses
représentants) dépend d'un certain nombre de facteurs qui nous a
porté a formulé des hypothèses parmi lesquelles la
participation augmente le consensus à condition qu'elle intègre
les propositions des acteurs de la participation publique.
Afin de vérifier nos hypothèses, nous avons
réalisé une étude sur un projet industriel dont la
réalisation était assujettie à la procédure de
l'étude d'impact sur l'environnement (EIE). Ce cas nous permis de
suivre le cheminement de la participation publique à travers 3
dispositifs participatifs.
Notre analyse a montré que malgré l'ampleur des
moyens déployés par l'Etat, le bilan de la participation des
acteurs, notamment la communauté locale, à l'évaluation et
au suivi des impacts était plutôt mitigé en raison
principalement du fait que (1) la population n'avait pas accès
à une information de qualité et à temps et (2) la
communauté locale était exclue du processus
décisionnel. Ce constat invalide notre première
hypothèse (H1) qui n'a pas pris en compte l'intégration
des propositions des acteurs de la participation dans le processus
décisionnel.
De même, les retombées positives de la
participation sur l'«empowerment» de la communauté
(Objectif 2) énoncées par Withmore et
Kerans (1988) ne se sont pas réalisées (H2). Au
contraire, au lieu de porter la population a poussé plus en avant leurs
revendications, le constat a été que certaines tranches de la
communauté se sont réfugiées dans une sorte d'attentisme
et ont perdu la maîtrise sur la gestion de leur territoire. L'une des
lacunes relevée dans le cas étudié est l'approche
utilisée par le promoteur qui a été assimilable à
une démarche de résolution de problèmes plutôt
qu'à une démarche collective d'identification et
d'évaluation des incidences sociales et environnementales d'un projet.
Tant à l'étape de l'évaluation
qu'à celle du suivi, les dispositifs participatifs ont servi surtout
à répondre aux problèmes susceptibles d'avoir un effet
négatif sur l'acceptabilité sociale du projet et l'image du
promoteur (l'Etat); ce qui confirme notre seconde hypothèse
(H3) sur le fait que l'efficacité de la participation
dépend des conditions de participation et de l'engagement des acteurs.
En outre, notre travail a démontré que les rencontres
thématiques tenues sur le projet ont eu un effet limité sur la
structuration de l'étude d'impact et plusieurs considérations
soulevées par la population sont restées sans réponse.
L'absence d'un processus systématique d'identification et
d'évaluation des impacts, selon nos déductions n'est pas sans
conséquences sur ce sentiment d'instrumentalisation observé dans
la population.
Aussi, le cas du Parc de Caracol est une illustration de la
confusion dénoncée par Freudenberg et Olson (1983)
entre les notions «d'information sur les opinions» et
«d'évaluation des impacts sociaux». Ceci pour dire
que le fait de répondre aux inquiétudes de la population et de
trouver des solutions aux problèmes susceptibles d'avoir un effet
négatif sur l'acceptabilité sociale du projet ne signifie pas
l'absence d'incidences sociales.
Comme il été relevé dans notre
démonstration, le projet a été présenté
à la communauté comme essentiel à la survie de
l'économie nationale et bénéficiait donc d'un niveau
d'acceptabilité sociale exprimée lors des rencontres
thématiques et des consultations plus larges de la société
civile régionale.
Compte tenu des résultats, le cas à
l'étude confirme la thèse défendue par Kothari
(2001, p142) à l'effet que la participation encourage la
réaffirmation que la participation encourage l'emprise du contrôle
et du pouvoir exercés par les acteurs dominants.
Une première mesure consisterait à adopter une
démarche d'étude intégrée des impacts
environnementaux telle que proposée par Gagnon (1995)
qui se traduit essentiellement par un suivi « social »
axé sur l'apprentissage des acteurs sociaux des pratiques
participatives.
La mesure que nous proposons qui serait susceptible de contrer
l'effet des rapports de force s'exerçant dans le cadre de la
définition des impacts sociaux et environnementaux consiste à
confier la gestion du processus d'EIE à un organisme indépendant
du promoteur même si dans le cas à l'étude celui-ci est
l'Etat et que nous avons proposé que cet organisme soit public
(Objectif 3). Comme défini dans son mandat, il
assurerait une certaine continuité sur les plans de la gestion de
l'information, de l'étape de la planification à celle du suivi
des impacts environnementaux et sociaux.
En somme, le cas étudié révèle les
limites de la participation citoyenne aux décisions touchant
l'environnement, basée exclusivement sur une démarche formelle de
nature légale et des stratégies participatives basées
exclusivement sur l'initiative individuelle et la volonté de ces
derniers d'exprimer leurs préoccupations ou leur opinion ouvertement
lors d'une consultation ou au sein de comités multipartites. Comme on
l'a vu, les pressions exercées au sein de la communauté, qui
percevait le projet comme essentiel à sa survie en raison de
l'importance de ses retombées économiques, ont fait obstacle
à une participation libre et éclairée où les
options demeurent ouvertes jusqu'à l'autorisation du projet.
Ce type de situation, qui n'est pas forcément unique -
pensons seulement au projet de construction de la route
Cayes-Jérémie - demande à revoir les formes et les
conditions de participation citoyenne, notamment là où l'enjeu
économique domine. En effet, l'identification et la prise en compte des
conséquences sociales du projet, les modalités de dialogue entre
les acteurs sociaux, l'arbitrage plus équitable des
intérêts co-présents, tout cela nécessite des modes
de participation adaptés à ce type de contexte social,
économique et politique. Les lieux de participation formelle de
même que les comités de suivi devraient être
indépendants du promoteur. Les organisations responsables de la
participation publique, devraient aussi garantir, au besoin, l'anonymat,
fournir à la communauté une analyse plus fouillée de
l'ensemble des préoccupations publiques, assurer un suivi des
préoccupations énoncées de même que des engagements
du promoteur, eu égard à des objectifs territoriaux, dont la
création d'emplois pour les femmes et les jeunes.
Pour réaliser ces objectifs, des méthodes
d'investigation, telles que les entrevues individuelles, les rencontres de type
focus group, les forums de discussion, etc., doivent être
utilisées afin de joindre les groupes sociaux et les individus,
là où ils vivent, et qui n'osent pas participer à des
rencontres trop contraignantes par leurs formalités. De plus, la
procédure d'étude d'impact devrait être appliquée
à la planification territoriale stratégique. Plusieurs questions
comme celle des impacts cumulatifs des activités industrielles sur un
territoire donné ne peuvent être traitées
adéquatement à l'échelle de l'analyse de projets
particuliers.
Pour que les processus d'EIE et les dispositifs participatifs
puissent prétendre devenir un outil de nouvelle gouvernance et
renseigner qualitativement, éclairer les choix collectifs, une
révision de cette procédure majeure s'impose : elle doit
tenir compte du contexte social et territorial, intégrer toutes les
dimensions de la qualité de vie ainsi que les valeurs des parties
prenantes, rendre transparents les choix méthodologiques des experts et,
enfin, documenter des scénarios dont celui du statu quo. Pour favoriser
un empowerment des collectivités, inscrit dans une
économie et une société du savoir, cela demande d'abord
une volonté de la part des acteurs politiques et économiques pour
reconnaître l'ensemble des habitants d'un territoire comme des acteurs
à part entière, c'est-à-dire comme des producteurs et des
détenteurs de savoirs. Les nouvelles responsabilités
d'étude d'impact environnementale collaborative et interactive,
confiées à la communauté sous le pilotage et le support
technique des experts seront sans aucun doute source d'enseignements pour les
futurs projets d'aménagement affectant les individus et les
communautés.
CHAPITRE
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* 1 Dans les deux derniers cas,
il est alors question d'évaluation stratégique.
André et al. 2003 en propos
* 2 Signée le 25
février 1991, la convention d'Espoo (Finlande) est le premier acte
conventionnel qui traite exclusivement des EIE dans un cadre
transfrontière. Cette convention a été signée sous
les auspices de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe
(CEE-ONU). Bien qu'étant une Convention régionale, son contenu
est déterminant dans la mesure où il prévoit une
élaboration précise des EIE, en coopération étroite
avec d'autres Etat
* 3 Voir à ce sujet :
Maryse GRANDBOIS et Marie-Hélène BÉRARD, « La
reconnaissance internationale des droits environnementaux : le droit de
l'environnement en quête d'effectivité », (2003) 44
Cahiers de Droits 427; Aude TREMBLAY, « Regard sur
l'évolution du concept de droit à l'environnement », (2005)
18 R.J.E.U.L. 3, 19-27.
* 4 a.-La construction
collective d'objectifs et d'actions (au sens très large : pouvoirs,
relations, savoirs, statuts, capitaux financiers)
b.-La mise en oeuvre des dispositifs multiples (agencement
des procédures, des mesures, des connaissances, des savoir faire et
informations diversifiées) qui reposent sur des apprentissages
collectifs et induisent des reconfigurations/innovations institutionnelles et
organisationnelles au sein des territoires
* 5 Le barrage de Péligre
sur le fleuve Artibonite, 1956-1958
L'aéroport Internationale Toussaint Louverture à
Port-au-Prince, 1960
Le Parc Industriel de Port au Prince, 1974
Le Parc Industriel de Caracol, 2011
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