La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Chapitre 2 : La décroissance dans le champ politique
Dépositaires d'une pensée critique iconoclaste, les objecteurs de croissance ne s'en remettent à la seule dénonciation de la société de croissance. Conscients que renverser le productivisme ne pourra se faire que par la démocratie, ils assument pleinement leur entrée dans le champ politique. Cette volonté affichée de réformer en profondeur la société en la sevrant de l'addiction à la croissance ouvre un large panel de possibilités. De la transformation du mode de vie individuel au parti politique, la décroissance devient un acteur du jeu politique en s'imposant dans le débat public. Mais l'entrée de la décroissance dans l'espace politique français soulève un certain nombre de questions. Quel est son positionnement par rapport aux autres acteurs du jeu politique ? Quelles interactions entretient-elle avec eux et avec lesquels en particulier ? Pour mieux cerner les contours de la décroissance il est inévitable de préciser son contenu et sa situation politique. En réalité la décroissance n'est pas un objet nouveau dans le champ politique. Elle s'inscrit dans une certaine tradition socialiste qui se retrouve aujourd'hui dans son opposition au capitalisme vert. Enfin un éclairage sera donné sur l'intégration de la décroissance au système partisan français. 1. Un mouvement politique aux origines séculairesBien qu'elle ne prenne forme qu'à partir de la contestation du compromis keyneso-fordiste des années soixante-dix, la décroissance trouve ses origines dans des pensées et mouvements politiques beaucoup plus anciens. Déjà la philosophie de certains penseurs de l'Antiquité et du Moyen Age refusait le culte du travail et mettait en avant la simplicité. Mais c'est surtout dans les mouvements nés de la contestation de la Révolution industrielle et dans l'émergence du socialisme que la décroissance trouve une parenté pleinement assumée. Cet héritage permet de resituer la décroissance dans une dynamique historique qui précise sa place dans le champ politique. La filiation Antique et les origines philosophiquesLe principe d'une vie volontairement simple, « autolimitée », n'émerge évidemment pas ex nihilo des réflexions des années soixante et soixante-dix. Dès l'Antiquité la philosophie hédoniste d'Epicure en appelle à rechercher le plaisir et à éviter la souffrance. Cet art de vivre épicurien distingue les désirs qui ne sont pas tous bons à choisir. Ainsi il convient de réfréner ses désirs « vains » et de consommer les désirs nécessaires avec modération afin d'éviter un manque qui entraverait l'accès au bonheur. Contrairement à une idée répandue, l'épicurisme n'est pas une philosophie de la joie excessive. La tempérance et la connaissance de ses propres limites sont les conditions essentielles de l'accès au bonheur. On comprend facilement le lien avec l'objet qui nous intéresse. Sans limites imposées à soi même, l'homme ne peut jouir que de plaisirs futiles. Incapable de discerner le nécessaire de l'accessoire, il s'accoutume à satisfaire des besoins secondaires qui, le jour où ils ne peuvent être satisfaits, empêchent de trouver le bonheur. Le parallèle avec l'évolution des sociétés occidentales est saisissant. Faute d'avoir faire preuve de prudence et de raison, les hommes ont mis en place une société de croissance qui a créé sans cesse de nouveaux besoins illusoires devenus nécessaires selon le processus d'identification sociale aux objets décrit par Jean Baudrillard75(*). Or la satisfaction de ces besoins repose sur l'hypothèque des ressources limitées de la planète. Cet excès de désir conduira, si l'on en croit le philosophe grec, à la souffrance. Une analyse qui est aujourd'hui reprise par les objecteurs de croissance dénonçant la course à l'abîme de la société de croissance. L'ascétisme est également présent en matière religieuse, notamment dans le catholicisme et les communautés monastiques. L'un des Saints les plus connus, François d'Assise, fondateur de l'ordre des franciscains, fait l'apologie de la pauvreté et de la prière. Il invite à faire volontairement le choix de la frugalité et à pratiquer l'autosuffisance. Cette manière de vivre se résume sous la formule de la « simplicité volontaire » qui joue un rôle essentiel dans le mouvement de la décroissance. Alors que les principes de la décroissance s'appliquent plutôt aux structures collectives, la simplicité volontaire en est la transcription individuelle. Ce mode de vie alternatif qui recherche l'harmonie avec la nature par le dénuement a été popularisé par le philosophe américain Henry David Thoreau retiré pendant deux ans près de l'étang de Walden pour échapper aux affres de la société industrielle76(*). L'exemple de Thoreau a été repris partout dans le monde et suscité l'intérêt d'hommes célèbres. Ainsi Tolstoï, écrivain bourgeois, s'est converti à un ascétisme paysan qu'il adopta jusqu'à sa mort. Gandhi lui-même a été influencé par le concept suite à la lecture d'un ouvrage du critique d'art anglais John Ruskin77(*). La simplicité volontaire est aujourd'hui très développée au Canada où elle tient rang de mouvement social mais reste encore peu connue en France78(*). Avant la formalisation théorique du XXème siècle, les principes qui forment aujourd'hui l'idée de décroissance prennent corps dans la littérature et les débats sur la place publique. Mais s'ils restent cantonnés encore au champ de l'éthique ou de la philosophie, les préceptes de la décroissance entrèrent rapidement dans le domaine social et politique à partir de la révolution industrielle. * 75 BAUDRILLARD, Jean, La Société de consommation, Paris, Gallimard, 1970 * 76 THOREAU, Henry David, Walden ou la vie dans les bois (1854), Paris, Gallimard, 1990 * 77 RUSKIN, John, Unto this last, George Allen, London, 1903 * 78 Pour de plus amples développements, voir l'éclairage de Timothée Duverger dans La Décroissance, une idée pour demain, op.cit.., p. 153 |
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