La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Sortir de la société travaillisteLa décroissance s'attache à démonter la logique de la consommation. Cependant elle n'oublie pas l'autre bout de la chaîne en proposant une autre vision du travail. Celle-ci implique une réduction quantitative du travail dans la société ainsi qu'une redéfinition de sa nature même. C'est un pas décisif vers la décolonisation de l'imaginaire. La critique de la société travailliste ne date pas d'hier. Les objecteurs de croissance s'appuient sur la verve de Paul Lafargue qui dénonce dans son ode à la paresse cette « folie » qu'est « l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussé jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture »70(*). Pourtant, leurs analyses divergent sur le moyen et la finalité de cette réduction du travail dans la société. Si Lafargue envisage cette réduction par le progrès technique et dans l'optique de la société d'abondance, la décroissance prône l'inverse. Le travail est considéré comme un moyen de dominer le travailleur. Or « le travailleur dominé engendre le consommateur dominé qui ne produit plus rien de ce dont il a besoin »71(*) surenchéris André Gorz. La vision décroissante du travail accuse la déviation historique du travail. D'un moyen d'assurer sa subsistance, le travail s'est transformé en une nécessité pour pouvoir consommer les biens et services de la société de croissance mais aussi pour s'y réaliser socialement. Le travail est devenu une fin en soi dont les corollaires sont le stress, le mal être, la précarité voire l'indigence pour ceux qui en sont privés. Les décroissants appellent donc à ce que André Gorz nomme « l'autolimitation » dont l'objectif est double. D'une part prendre en compte les limites de la planète et de son propre corps en luttant contre la surmarchandisation imposée par le productivisme. De l'autre, recouvrer son autonomie par le temps libre et redécouvrir des plaisirs non matériels comme le jeu ou les loisirs. Plutôt que de travail les objecteurs de croissance préfèrent parler d'activités dans leur modèle de société de décroissance. Tout l'objet est donc de rompre avec le mythe selon lequel seul un travail acharné peut rendre à l'individu les moyens de son émancipation ou de son bonheur. Paul Ariès, en s'appuyant sur les études de Marshall Shalins72(*), ne manque d'ailleurs pas de noter que seules les sociétés ayant réussi à réduire leurs besoins ont véritablement connu l'abondance. Toutefois sortir de la société travailliste est un projet résolument politique car il ne suffit pas simplement de réduire le temps de travail. En effet travailler moins n'aboutit pas toujours à une réappropriation de soi73(*). La décroissance du travail ne peut donc se faire qu'en repensant l'organisation sociale afin de valoriser les activités non marchandes et les relations interpersonnelles via « une politique du temps » selon la formule de Gorz. *** La décroissance, par l'originalité de ses multiples critiques à l'égard de la « société de croissance », est un objet politique à part. Loin d'invoquer une simple croissance inversée du P.I.B, cette pensée politique remet en cause tous les postulats de la société occidentale. Inspirée pour une large part de la contreculture de Mai 1968, la décroissance bouscule les préjugés de la société de consommation qui rendrait l'homme heureux. La critique du progrès pousse encore plus avant la déconstruction des mythes fondateurs de l'organisation sociale. En dénonçant tour à tour les méfaits de la science, de la technique ou encore de l'universalisme en tant qu'uniformisation du monde basée sur le productivisme, la décroissance touche aux canons de ce que d'aucuns appellent « la modernité ». La philosophie politique de la décroissance conteste par là même une partie de l'héritage des Lumières, thuriféraires d'un progrès émancipateur ici critiqué. Sur la base de ses critiques radicales, la décroissance souhaite l'avènement d'une postmodernité par la redéfinition de nos manières de produire, de consommer mais aussi d'être au monde. Le combat de la décroissance est donc « avant tout un combat de valeurs »74(*) qui prend place dans le champ politique. * 70 LAFARGUE, Paul, Le Droit à la paresse, Paris, Mille et Une Nuits, 2000 * 71 GORZ, André, Ecologica, op.cit., p. 134 * 72 SHALINS, Marshall, Age de pierre, âge d'abondance, Paris, Gallimard, 1976 * 73 MOTHE, Daniel, L'utopie du temps libre, Esprit, Paris, 1997 * 74 ARIES, Paul, Décroissance ou barbarie, Villeurbanne, Golias, 2005, p. 31 |
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