La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
2. Les Verts et la décroissance : Paroles de militantsPour compléter notre analyse nous avons tenté de passer un questionnaire aux adhérents Verts du groupe local EELV Pays d'Aix. Le nombre de retour n'est pas suffisamment conséquent pour donner une image fidèle de l'appropriation de la décroissance par ce groupe de militants. Nous détaillerons donc ici seulement quelques exemples qui nous semblent significatifs des différents points de vue des militants Verts sur la décroissance. La plupart des militants présentés ci-dessous font preuve d'un bon niveau de connaissance de la décroissance. Leur niveau de diplôme élevé (tous les militants ayant répondu sont diplômés de l'enseignement supérieur dont un certain nombre d'ingénieurs et de docteurs) n'est certainement pas étranger à cela. Leur définition de la décroissance parait assez complète et il est d'ailleurs intéressant de constater qu'elle ne se limite pas à la « décroissance de l'empreinte écologique » mais se rapproche souvent de la décroissance en tant que « projet de société ».
Le militant 1, très impliqué dans la vie du parti (il exerce des responsabilités internes au niveau local et national), fait clairement référence à la motion « Pour une décroissance équitable et solidaire » approuvée par Les Verts en 2004 dans sa définition de la décroissance. Son intérêt pour la décroissance est maximal mais il nuance la place à lui accorder dans le programme. En effet sa réponse laisse suggérer que le programme d'EELV devrait prendre en compte la décroissance sans forcément la mettre en avant. La décroissance serait un thème parmi les autres classiques de l'écologie politique (féminisme, pacifisme, ...). Cette position nuancée est reprise et détaillée par les autres militants.
Le cas du militant 2 est représentatif du malaise du parti écologiste sur la question de la décroissance. Sans responsabilité interne particulière, cet adhérent est manifestement proche des idées de la décroissance (« être décroissant c'est être libre ») qui ne consistent pas en une décroissance économique mais à un « choix de vie ». Malgré un fort degré d'adhésion à la décroissance, ce militant reconnait la difficulté politique à l'endosser. A l'instar de nombreuses réponses que nous avons reçu, il remarque la charge très négative ne serait-ce que du mot « décroissance » (qui connote un « retour en arrière »). Porter publiquement les thèmes de la décroissance serait incompatible avec la logique électorale. Ce pragmatisme tranche avec les arguments avancés par la fameuse motion de 2004, dont se réclame le militant précédent, qui envisageait de manière radicalement opposée le rôle du parti : « Notre petit parti s'honorerait de ne pas faillir à sa mission historique, qui est davantage sans doute, d'éveiller et conforter un mouvement social capable d'infléchir le cours des choses que de conquérir une majorité d'élus dans les institutions »297(*). Certes il convient de replacer ce texte dans son contexte. Le parti écologiste traversait à l'époque une mauvaise passe, suite au coup de tonnerre du 22 avril 2002, qui contraste avec la relative ascension électorale des trois dernières années. Toutefois le choix entre transformation en parti de pouvoir ou repli sur des bases idéologiques fortes semble toujours donner lieu à un clivage qui s'illustre à travers le débat sur la décroissance.
Le militant 3 illustre à nouveau la difficile réappropriation de la décroissance par les Verts. Responsable du groupe local, il définit la décroissance en des termes proches de l'écologie politique (« considérer notre environnement dans sa globalité », « produire autrement pour répondre aux véritables besoins »). La frilosité sémantique est là aussi bien présente. Il s'agit de ne pas effrayer les électeurs en agitant des chiffons verts mais au contraire de les convaincre qu'une transformation du mode de vie s'impose. La position définie par ce militant nous semble assez caractéristique de la ligne majoritaire du parti sur la décroissance. Le terme « décroissance » étant stigmatisé comme trop violent, il est digéré sous l'angle de l'empreinte écologique (« surproduction », « gaspillage »). Pour EELV il s'agit donc de s'orienter vers une décroissance quantitative et sélective (« certains produits ») accompagnée d'une croissance de certains autres secteurs écologiques.
Enfin ce militant confesse une adhésion moindre aux idées de la décroissance (position 4 sur une échelle de 10 quand la quasi-totalité des autres répondants se placent au-dessus de 7). Cette sensibilité réduite s'explique peut-être par la manière dont il définit la décroissance. En effet la décroissance est ici envisagée sous l'angle purement quantitatif de la réduction du P.I.B (ce qu'Yves Cochet préférerait appeler la « récession »). Dès lors cette définition l'amène à prendre ses distances avec le courant décroissant caractérisé comme « proche du malthusianisme »298(*). De la même manière que les militants précédents, il remarque que la décroissance créer trop de dissensus pour faire partie du programme d'EELV. Mais l'antiproductivisme n'est pas renié pour autant, la « frugalité » pouvant être à ses yeux un thème suffisamment positif pour être un axe de campagne. Au final, l'antiproductivisme apparait comme le fond commun à l'ensemble de ces réponses. Signe de l'important capital culturel caractéristique des adhérents Verts et de l'intérêt qu'ils portent au sujet, les militants écologistes appréhendent souvent la décroissance dans sa définition la plus complète de « projet de société ». Nombre d'entre eux portent un intérêt certain à la décroissance et adhérent le plus souvent à ses thèses. Ils sont aussi une majorité à penser que les élus d'EELV ne parlent pas assez de décroissance et que ce courant d'idées devrait figurer, à des degrés divers selon les réponses, dans le programme du parti. Ces quelques éléments d'illustration de la réaction des militants Verts à la décroissance tendent à confirmer notre hypothèse de départ. La décroissance fait partie, par extension des valeurs antiproductivistes, du récit identitaire écologiste. A ce titre la base militante souhaiterait une plus grande implication du parti sur ce thème mais sans pour autant compromettre la logique de conquête du pouvoir. Les partis Verts redoublent d'efforts pour trouver ce point d'équilibre idéologique et stratégique. Puisque le concept fait peur mais que les idées séduisent, les écologistes lancent de nouvelles réflexions pour rendre compatible la substance des idées de la décroissance avec un projet politique désirable et crédible. * 297 « Motion ponctuelle 3 : Pour une décroissance sélective et équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à écarter ! » adoptée par le CNIR des Verts en 2004, op.cit. * 298 Les propos de ce militant relèvent d'une certaine justesse. Nombre de promoteurs de la décroissance, parmi lesquels Yves Cochet, ont posé la question du contrôle des naissances pour réduire l'impact de l'homme sur l'écosystème planétaire. Ces propositions malthusiennes ont suscité de vives polémiques et n'ont pas fait l'objet d'un véritable consensus chez les objecteurs de croissance. |
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