La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
2. Les partis instituteurs de sensDans une perspective socio-anthropologique, Michel Hastings décrit les partis politiques à travers la notion « d'institution de sens »215(*). Le parti est envisagé comme régulateur de la dialectique profonde entre l'individuel et le collectif. Il administre un système de sens complémentaire et indissociable d'un « système des tâches ». L'approche originale développée par M. Hastings prolonge la dimension entrepreneuriale. C'est justement parce que le parti est un entrepreneur doctrinal et culturel légitime à proposer une « vision du monde » qu'il produit du sens. Or ce sens se retrouve aussi bien dans les idées défendues dans le jeu politique que dans la culture partisane. Le parti comme institution de sens est donc une focale intéressante pour connaitre des tensions qui traversent l'identité partisane. L'administration du sens par l'organisation partisane vise à construire une « structure de sens » dont la cohérence est entretenue par un « récit identitaire ». La construction d'une « structure de sens »Pour qu'un parti accède à ses fins, c'est-à-dire aux positions de pouvoirs, il lui faut susciter une identification de ses membres à la forme collective partagée. L'entreprise des intéressés au sens de Weber dépasse la recherche d'intérêts matériels. Elle s'inscrit résolument dans une « trame de sens », un ensemble de croyances, de normes, de valeurs, de symboles et de représentations qui font système et forgent un imaginaire collectif. Le parti comme instituteur de sens a donc pour but d'administrer, de modeler les différentes composantes de l'identité collective pour faire advenir des significations communes. Pour réaliser « la présence du social dans l'esprit de chacun »216(*), les représentations de l'être ensemble se fondent dans une institution entendue selon Hauriou comme une « idée d'oeuvre ou d'entreprise qui se réalise et existe juridiquement dans un cadre social ; par la réalisation d'une telle idée s'organise un pouvoir qui lui fournit des organes ; d'un autre côté, entre les membres du groupe social qui est intéressé à la réalisation de l'idée se mettent en place des manifestations communautaires, dirigées par les organes du pouvoir et règlementées par des procédures »217(*). Autrement dit, le parti en tant qu'institution est en charge de créer le cadre d'interprétation de la vision du monde partagée par les acteurs. Cette approche par l'institution de sens permet de mettre à jour les différentes tensions à la fois sociales et historiques qui traversent depuis l'origine les partis politiques. La première que remarque Michel Hastings est celle de l'ordre et du désordre. Cette dynamique fait fortement écho aux travaux sur la « génétique partisane » de S. Rokkan et D-L. Seiler. Dans cette perspective les partis sont perçus comme les agents politiques de conflits sociaux historiques. Le parti administrateur de sens apporte alors un double intérêt. L'administration du sens consiste en effet souvent à jouer sur les clivages plus ou moins endormis afin de réactiver leur potentiel identitaire. D'autre part cette approche a aussi l'avantage de rendre compte de la diversité intra-partisane et des déchirements qui peuvent avoir lieu à propos des orientations doctrinales du parti. Dans la même veine, le politiste établit une dynamique du haut et du bas qui pose la question de l'homogénéité du parti. Malgré un substrat culturel commun, le parti contient des sensibilités plurielles qui s'imbriquent les unes aux autres. Le travail d'administration du sens conduit à mobiliser ces différentes cultures hétérogènes en fonction des temporalités et des territoires. Une ligne directrice établie par les instances dirigeantes du parti peut ainsi être nuancée voire modifiée pour s'inscrire dans la réalité des contextes localisés et de leurs traditions. D'autant que chaque agent partisan (élu, militant, sympathisant,...) prend part de fait à la construction du dispositif identitaire du parti. La théorie des clivages a montré que les partis étaient issus d'un conflit social fondateur, d'une rupture profonde entre deux projets de société. Par conséquent ils dressent et incarnent une certaine conception du monde. Dans une dynamique du relatif et de l'absolu le sens qu'il produit ne se limite pas aux pratiques politiques mais a une vocation universelle. Son message idéologique a pour but de pénétrer le monde social « non pas comme un langage superficiel ou comme une seule apparence, mais bien comme un langage englobant, un surcode, susceptible d'intervenir à tous les niveaux et sur toutes les actions »218(*). La portée universelle du discours idéologique est à mettre en perspective avec la dynamique du dedans et du dehors. Cette dernière s'entend comme la « dialectique des rapports entre l'en-groupe (avec ses exigences propres d'identité et de reconnaissance sociale) et le hors-groupe (avec les contraintes changeants et jamais totalement maitrisées des divers environnements) »219(*). L'idée d'organisation « double face » se retrouve en filigrane dans toute l'approche des partis comme entreprise doctrinale et culturelle. Il y aurait une face tournée vers l'extérieur (électeurs, médias,...) et une autre tournée vers l'intérieur (dirigeants, militants,...). Le parti instituteur de sens procède donc d'un agencement permanent entre ces deux faces aux logiques identitaires et stratégiques différentes. Le liant entre les deux dimensions d'un même parti se fait à travers un récit identitaire. * 215 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit. * 216 DESCOMBES, Vincent, Les institutions du sens, Paris, Minuit, 1996, p. 296 * 217 HAURIOU, Maurice, La cité moderne et la transformation du droit, Paris, Alcan, 1929, p. 12 * 218 ANSART, Pierre, Idéologies, conflits et pouvoirs, Paris, PUF, 1977, p. 232 * 219 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit., p. 24 |
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