La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Une vision à courte vue inadéquateLes essais de proposition d'un cinquième clivage pour expliquer en outre l'apparition des partis écologistes prêtent le flan à une série de critiques. La thèse d'Inglehart est fragile d'abord en ce qu'elle relève plus d'un effet de génération que de logiques historiques et sociétales profondes. La socialisation et le niveau de revenu sont des variables très fortement liées à la conjoncture économique. Inglehart reconnaissait d'ailleurs lui-même une forte corrélation entre classes d'âges et catégories matérialistes/postmatérialistes. Le cinquième clivage affirmé par le politiste américain serait donc frappé d'obsolescence à chaque retournement de tendance économique. Cette faiblesse s'explique par la nature même du cinquième clivage défini par Inglehart et repris par d'autres. A l'inverse des clivages de Rokkan ancrés dans le temps long de Braudel, le clivage matérialistes/postmatérialistes repose sur des « attitudes politiques [qui] constituent des propensions à agir et qui orientent l'action sociale des individus dans une direction donnée »186(*). L'orientation politique des individus est intrinsèquement liée au contexte économique et social de leur socialisation. La société produit ses effets sur les attitudes des individus qui revendiquent dès lors soit des biens matériels pour subvenir à des besoins élémentaires, soit des valeurs pour satisfaire des aspirations d'ordre spirituelles ou esthétiques. On comprend mieux pourquoi le cinquième clivage d'Inglehart se vérifie difficilement sur une moyenne ou longue période. Force est de constater que dans un contexte de morosité économique le regain d'intérêt pour les biens matériels des jeunes générations contredit empiriquement le clivage matérialistes/postmatérialistes. Le retournement de conjoncture économique à partir du milieu des années soixante-dix a brisé la sécurité dont jouissaient les générations du baby-boom en même temps que l'élan d'intérêt pour les considérations non matérielles. Or les partis écologistes censés incarner ce versant postmatérialistes ne se sont pas effondrés pour autant. Au contraire les années quatre-vingt-dix et deux mille voient une montée progressive des Verts avec un accroissement du nombre d'élus et des participations gouvernementales. En conséquence, même si les écologistes défendent des intérêts idéels et procèdent d'attitudes postmatérialistes telles que définies par Inglehart, leur pérennité dans le jeu politique ne peut se réduire à un clivage attitudinal. D'autant que les écologistes ne sont ni les seuls ni les premiers à se revendiquer de valeurs postmatérialistes. Une partie de l'ultra gauche se situe en effet sur ce créneau depuis longtemps. Ce constat conduit à relativiser la pertinence de l'hypothèse d'Inglehart. Malgré leurs traits communs, confondre écologistes et extrême gauche serait ostensiblement nier la spécificité des partis Verts. En réalité l'absence d'opérationnalité d'un cinquième clivage tient à une méprise sur la définition même d'un clivage. Nous l'avons déjà souligné, les clivages au sens de Rokkan ont un caractère structural. Ils sont l'expression politique et médiatisée de conflits ancrés dans le temps long de l'histoire sociale. Le dégel invoqué à l'aune du changement électoral par les promoteurs d'un cinquième clivage relève en fait d'une certaine confusion entre systèmes de partis et clivages. Michael Shamir remarque justement qu'il n'y a pas lieu d'évoquer un dégel des systèmes partisans puisque ceux-ci n'ont jamais été gelés187(*). Les partis et systèmes de partis évoluent fortement au fil du temps comme le prouve l'émergence des partis écologistes. Mais classer les partis en fonction des attitudes politiques des électeurs est trop contingent pour être véritablement satisfaisant. Il semble donc plus approprié d'utiliser le cadre théorique de Rokkan quitte à le reformuler. * 186 SEILER, Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 242 * 187 SHAMIR, Michael, « Are Western European Party Systems « Frozen » ? », Comparative Political Studies, 17, 1984 |
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