L'insécurité des travailleurs humanitaires dans les zones de conflits armés( Télécharger le fichier original )par Nabi Youla DOUMBIA Institut des relation internationales et stratégiques - Master les métiers de l'humanitaire 2009 |
2. La désintrication du politico-humanitaireL'intervention humanitaire n'est pas l'apanage des organisations apolitiques. Dès la chute du mur de Berlin et aussitôt adoptées les résolutions relatives au droit d'ingérence humanitaire, les États et les organisations inter-étatiques à vocation politique vont se lancer dans cette voie. La première du genre fut l'intervention dans le Kurdistan irakien par l'opération `'provide comfort'' conduite par les États-Unis, la France, le Royaume Uni et les Pays-Bas. Les opérations de L'ONUSOM en 1992 et du FORPRONU respectivement en Somalie et en Yougoslavie sont initiées dans le même dessein. Le soldat est appelé ici, à jouer concomitamment les rôles de passeur d'aide et de gardien de la paix. Ces opérations politico-militaires entraineront aussi dans leurs sillages les O.N.G. De cette collaboration ou «liaison dangereuse», naîtra une dilution de la distinction entre les sphères politique et humanitaire, préjudiciable à la dernière. Les humanitaires sont pris pour cible parce que confondus aux troupes militaires avec lesquelles, ils travaillent. La démarcation d'avec le politique se présente dès lors, comme une urgence vitale. Selon Pierre Micheletti : « Pour préserver leurs capacités d'intervention et de mobilisation, elles doivent en permanence réaffirmer leur caractère non gouvernemental (mais pas anti gouvernemental)41(*). ». Pour cela ils devraient être rétifs à tout embarquement dans des aventures militaires. Les humanitaires devraient veiller à ne plus être des multiplicateurs de puissance d'aucun État et éviter des compromissions qui les desservent. Toutes les entreprises militaro-humanitaires se sont soldées par des échecs cuisants pour le politique et une perte de crédibilité pour les humanitaires (Irak, Somalie, Rwanda, Yougoslavie, Kosovo). En effet, l'ingérence humanitaire est un pretexte à la démission politique. Elle évite de s'attaquer aux causes des problèmes c'est-à-dire de ceux à essence politique. Avec dans une main un sac de riz et dans l'autre une kalachnikov, le militaro-humanitaire est en soi une contradiction qui enlève tout crédit aux vrais humanitaires. Comment éviter l'amalgame lorsque les militaires pour avoir une légitimité auprès des populations s'adonnent à des actions humanitaires ou actions civilo-militaires (A.C.M.) en cachant tout signe distinctif. En Afghanistan les fameux P.R.T. (Provincial Reconstruction Team) de l'armée américaine sont vêtus de blanc et sur leurs véhicules immaculés, il n'existe aucune trace de vert treillis. Comment s'étonner alors que dans ce pays toutes les O.N.G. soient assimilées à «l'occupant». Nul ne conteste au militaire le droit de faire de l'humanitaire par calcul ou par conviction. Tout ce qui leur est demandé est de se conformer aux textes du D.I.H. qui veut que les combattants aient des signes qui les distinguent des civils. Les P.R.T. devraient par conséquent, enfiler la tenue de l'armée américaine. Les humanitaires peuvent-ils garder leur indépendance face au politique lorsqu'ils tirent l'essentiel de leurs ressources des États et des organisations internationales, elles-mêmes, financées par des États ? Doit-on croire ingénument au désintéressement des subventions publiques? Assurément que non. Derrière les financements des organismes étatiques se profile toujours des calculs politiques. En Irak comme en Afghanistan, les O.N.G., à la manière de sous-traitants, se sont vu confier des projets décidés par la coalition. Sous peine de disparaitre, les O.N.G. ne peuvent faire l'économie des deniers publics. Les appels d'offre d'ECHO ou du H.C.R. constituent une manne essentielle à la survie de nombreuses associations. Le danger réside dans l'alignement sur les logiques politiques en cas de conflits d'intérêt. Ainsi, les O.N.G. deviendraient de simples exécutantes, voire une énième colonne d'un bataillon placé sous commandement politico-militaire. Là, elles perdraient irrévocablement, à la fois leur identité et leur crédibilité. ''Le good donorship initiative'' est une idée issue du monde des bailleurs. Ces derniers s'engagent à s'auto lier par les principes du D.I.H. Il faut espérer que les projets soient financés sur la seule base exclusive de l'urgence. Pour autant, Les humanitaires ne doivent pas rester passifs attendant un changement d'attitude des bailleurs. Ils doivent impulser ce changement en gardant jalousement leur autonomie. Selon Rony Brauman si le but des O.N.G. est de soulager les populations, il est impératif qu'elles soient autonomes. Il affirme: « Mais pour pouvoir atteindre cette ambition que représente le soulagement de la souffrance, il doit agir dans une totale autonomie et, le cas échéant, lorsque des tentatives de colonisation de son territoire sont à l'oeuvre, il doit être capable de combattre non pas seulement au Salvador ou dans les banlieues, au Mozambique ou au Cambodge, mais également sur ses arrières, c'est-à-dire ouvrir un front contre ceux qui tentent de le coloniser. »42(*) * 41 Pierre, Micheletti, Humanitaire s'adapter ou renoncer, Marabout, Paris, 2008, p36 * 42 Rony Brauman, Pour décoloniser l'humanitaire, Acte des troisièmes conférences stratégiques annuelles de l'IRIS, IRIS, Paris,1998, p207 |
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