La location-gérance de l'entreprise en difficulté en droit des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires )( Télécharger le fichier original )par Emmanuel TSAGMO TAMEKO Université de Dschang Cameroun - Master en droit option : droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
Section II : Les contrats indispensables à la relance de l'activité de l'entreprise en difficulté
La poursuite de l'activité contractuelle pendant la période de redressement judiciaire révèle une atteinte caractérisée au droit commun des contrats. En effet, l'objectif assigné à la procédure de redressement s'accommode mal avec les règles traditionnelles qui régissent les contrats. La finalité de la procédure n'est pas propice au libre cours des relations, mécanismes ou situations contractuels69(*). Le contrat ne s'envisage donc plus comme un simple lien entre deux parties, mais il se voit assigner un objectif transcendant les intérêts des parties : le sauvetage de l'entreprise. Dès lors, de grandes libertés vont être prises avec les principes gouvernant le droit des obligations afin de parvenir aux objectifs fixés. Certains auteurs ont parlé de « faillite du droit »70(*), d' « oeil du cyclone »71(*) des procédures collectives frappant la théorie des obligations contractuelles. Une rupture dans l'activité, s'agissant d'une entreprise en état de cessation des paiements, est un obstacle insurmontable à toute mesure de sauvetage. Une telle interruption risquerait d'entraîner une disparition de la clientèle, généralement sensible à la permanence du fonds de commerce, et serait mal supportée par les salariés contraints à un chômage temporaire. Dès lors, non seulement l'exploitation doit continuer, mais elle doit se faire dans des conditions relativement proches de celles qui existaient avant le jugement d'ouverture. La nécessité de maintenir la plupart des contrats en cours lors de l'ouverture d'une procédure collective apparaît comme une évidence. Il serait, en effet, illusoire d'envisager un quelconque redressement de l'entreprise en difficulté si brusquement ses principaux cocontractants lui faisaient défaut. Á ce titre, la poursuite de certains contrats semble indispensable voire vitale à la survie de l'entreprise. Il en va ainsi notamment de bon nombre de contrats de fournitures et de louage d'objets (Paragraphe 2) et surtout du bail commercial72(*) (Paragraphe 1). Paragraphe 1- L'exigence du maintien du contrat de bail : une pérennité géographiqueLes entreprises industrielles et les grands magasins, en raison de l'ampleur et de la valeur de leurs installations matérielles, sont généralement propriétaires des locaux dans lesquelles ils exercent. Toutefois, il arrive que le commerçant ne soit pas propriétaire de l'immeuble dans lequel il exerce son activité. Il en obtient la jouissance par un bail à usage commercial. Ce bail est l'un des éléments importants, parfois le plus important du fonds de commerce73(*) en ce qu'il lui assure la clientèle74(*). De même, ce contrat de bail se doit d'assurer, à l'entreprise en difficulté désireuse de se redresser, une pérennité géographique car celle-ci doit pouvoir disposer un local afin de poursuivre son activité. En effet, comment espérer restaurer la viabilité d'une entreprise ne disposant plus de local pour exercer son activité ? Inéluctablement, les stipulations conventionnelles, librement consenties, vont être neutralisées (A) et, les droits et actions du bailleur, qui forment les compléments sécuritaires du contrat, altérés par la mise de l'entreprise en location (B). a. La neutralisation des stipulations contractuellesLa survie du contrat est voulue et organisée par le législateur OHADA. Dès lors, la résiliation du bail pour cause d'ouverture d'une procédure collective ou de conclusion d'un contrat de location-gérance, notamment par l'effet d'une clause, ne serait guère opportune. Le législateur africain a prohibé toute clause de déchéance ou de résiliation du contrat de bail du seul fait de la mise de l'entreprise en location-gérance. Le texte de l'article 115, alinéa 2, de l'AUPCAP assure une protection efficace du contrat de bail en prohibant toute résiliation automatique du bail du seul fait de la conclusion d'un contrat de location-gérance bien qu'il s'agisse d'un contrat où la considération de la personne du cocontractant et, notamment, de sa solvabilité, est essentielle. Ainsi, lorsque la disparition ou la cessation d'activité, même provisoire, de l'entreprise sera de nature à compromettre son redressement ou à causer un trouble grave non seulement à l'économie locale, mais aussi nationale ou régionale dans la production et la distribution de biens et services, il sera toujours possible que le tribunal autorise la formation d'un contrat de location-gérance quelles que soient les stipulations du bail. On sait à l'évidence que les clauses résolutoires ont, en effet, pour vocation première de sanctionner l'inexécution et, dans la majorité des cas, un défaut de paiement. Elles permettent également de délimiter le cadre d'application du contrat dans lequel elles sont stipulées. Le législateur a tout simplement voulu éviter que les cocontractants ne se prévalent, lorsque le tribunal est saisi, d'une clause résolutoire fondée sur la formation d'un contrat de location-gérance pour rompre le contrat et frauder ainsi à l'article 115 de l'AUPCAP. Le bailleur ne peut arguer de la mise en location-gérance de l'entreprise pour se délier de la relation contractuelle et ce, quelles que soient les clauses du contrat. Ajouté à l'article 97 de l'AUPCAP, la poursuite du contrat de bail sera imposée en dépit du changement du mode d'exploitation du fonds de commerce. Il y'a là atteinte totale aux droits du bailleur. Non seulement les stipulations du contrat de bail interdisant la location-gérance sont rendues inefficaces, mais aussi les prérogatives du bailleur sont altérées. * 69 Cf. BILLET (G.), op. cit., p. 15. * 70 Cf. TERRE (F.), R.J.P. com., 1991, p. 1, Conférence donnée au tribunal de commerce de Paris par l'Association droit et commerce le 23 octobre 1989 ; cité par BILLET ( G.), op. cit., p. 15. * 71 Cf. MARTIN (D.), La sécurité contractuelle à l'épreuve du redressement judiciaire, J.C.P, 1986, éd. N, I, p. 80 ; Idem. * 72 Avec le nouvel AUDCG adopté le 15 décembre 2010, le bail commercial est devenu le bail à usage professionnel. * 73 Le fonds de commerce se définit comme un ensemble des éléments mobiliers corporels (matériel, outillage, marchandises) et incorporels (droit au bail, nom, enseigne) qu'un commerçant ou un industriel groupe organise en vue de la recherche d'une clientèle, et qui constitue une entité juridique distincte des éléments qui le composent. Cf. GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), op. cit., p. 311. * 74 La clientèle est un ensemble de personnes, appelées clients, qui sont en relations d'affaires avec un professionnel. Si ce professionnel est un commerçant, la clientèle est dite commerciale. S'il exerce une profession civile et en particulier libérale (avocat, médecin, etc.), il s'agit d'une clientèle civile. Cf. GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), op. cit. , p. 124. |
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