La location-gérance de l'entreprise en difficulté en droit des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires )( Télécharger le fichier original )par Emmanuel TSAGMO TAMEKO Université de Dschang Cameroun - Master en droit option : droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
Paragraphe 2- Le domaine de la continuation des contrats en coursL'article 1134 du code civil énonce que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent dès lors être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Rien ne peut donc entraîner la disparition de fait, l'évanouissement ou la révocation des contrats hormis une volonté des parties ou pour les causes prévues par la loi. Appliqué aux procédures collectives, le principe signifie que ni la liquidation judiciaire, ni le redressement judiciaire, ni a fortiori le règlement préventif ne mettent fin aux contrats passés par le débiteur. Par ailleurs, l'article 107 de l'Acte Uniforme OHADA sur les procédures collectives d'apurement du passif donne à la règle du Code civil une force particulière55(*). Comparativement au droit français56(*), « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, aucune résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective de redressement judiciaire » sauf cependant, les contrats conclus en considération de la personne du débiteur et ceux que chaque État partie aura expressément prévu. Sont donc exclus du domaine de la continuation, les contrats conclus intuitu personae (A) et les contrats prévus expressément par la loi de chaque État partie (B). A- L'exclusion des contrats conclus intuitu personaeContrairement à la solution retenue en droit français actuellement, l'AUPCAP exclut du champ d'application de l'article 107 les contrats conclus intuitu personae57(*). Les contrats intuitu personae sont les contrats dans lesquels la considération de la personne a été déterminante lors de la conclusion58(*). Il s'agit des contrats conclus en considération de la personne des parties contractantes ; de sorte que l'un et l'autre ont vu leur consentement déterminé par cette considération. Les contrats conclus intuitu personae implique une idée de confiance mutuelle qui y joue un rôle prépondérant. En effet, les parties sont présumées n'avoir fait confiance qu'au seul cocontractant. Pour qu'un contrat entre dans cette catégorie, il doit réunir deux conditions : - Il faut d'abord que les obligations qui naissent à la charge du débiteur en liquidation des biens soient, par leur nature même ou à raison de l'intention des parties, telles qu'elles ne puissent être exécutées que par lui59(*). - Il faut ensuite que ces obligations intéressent le patrimoine du débiteur60(*). Ces conditions sont spécialement réunies dans le contrat de société de personnes et dans celui du mandat61(*). En principe, la société de personnes prend fin par la liquidation des biens ou le redressement judiciaire d'un associé62(*). Le mandat prend fin en cas de liquidation des biens du mandant et du mandataire63(*). Il existe aussi d'autres catégories de contrats considérés comme conclus intuitu personae auxquelles cette règle peut être étendue ; tels les cautionnements, les contrats de franchise et de concession exclusive. On peut également y citer le contrat de commission, la convention d'ouverture de crédit et de compte courant. L'idée de l'exclusion des contrats conclus intuitu personae du domaine de la continuation des contrats en cours est certes une innovation de l'Acte Uniforme OHADA, mais elle n'est pas totalement nouvelle. Elle existe depuis 1967 à travers la loi française du 13 juillet. En effet, fondée sur une application quelque peu extensive de l'article 2003 du Code civil, la solution selon laquelle les contrats conclus en considération de la personne doivent prendre fin par la survenance du jugement déclaratif de faillite, avait été contestée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967. D'après le Professeur SAWADOGO, l'exclusion desdits contrats, aussi nécessaires que les autres au sauvetage de l'entreprise, peut être critiquée en ce qu'elle compromet le redressement de l'entreprise parce qu'elle coupe l'entreprise de son environnement64(*). Cette critique n'est-elle pas discutable ? La remise en cause de l'idée de l'exclusion des contrats conclus intuitu personae serait fondée si et seulement si la continuation de l'activité est faite sans changement à la tête de l'entreprise65(*). Par contre, lorsque la continuation serait faite par location-gérance, l'on comprendrait mal qu'un contrat conclu en considération de la personne du débiteur soit continué par le locataire-gérant66(*). Ainsi, il y a lieu de louer l'innovation faite par le législateur OHADA surtout qu'il a restreint ce domaine en laissant également le choix aux États parties d'en prévoir d'autres contrats. * 55 Cet article 107 dispose que : « ...la cessation des paiements déclarée par décision de justice n'est pas une cause de résolution et toute clause de résolution pour un tel motif est réputée non écrite ». * 56 Loi du 25 janvier 1985 portant redressement judiciaire, article 37. * 57 Cf. KEUGONG WATCHO (R.), op. cit., p. 144. * 58 La notion de contrat conclu intuitu personae trouve son fondement à l'article 2003 du code civil qui dispose que l'obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers contre le gré du créancier lorsque ce dernier a intérêt qu'elle soit remplie par le débiteur lui-même. De même, l'article 1110, al. 2, du même code énonce que l'erreur « n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a l'intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ». * 59 Sans quoi la masse aurait la faculté de se substituer à lui dans leur exécution. Cf. SAWADOGO (F.M.), op. cit., p. 148. * 60 Ibidem. * 61 Exception faite bien sûr du mandat d'intérêt commun qui reste indifférent à l'ouverture des procédures collectives. En effet, la jurisprudence prévoit qu'en cas de procédures collectives, l'administrateur peut maintenir les contrats lorsque l'entreprise en question a pour activité une représentation professionnelle. Cf. Droit comparé, Paris, 21 mai 1985, D., 1986, I.R., 8, 2e espèce, note F. DERRIDA ; Civ. 30 juillet 1912, D.P., 13. I. 81 cité par NDENGOU OLLO (S.), Le contrat d'agence commercial en OHADA, Mémoire de DEA, FSJP, UDs, 1999-2000, p. 66. * 62 V. article 291 de l'AUSCGIE. * 63 V. article 2003 du Code Civil ; Cass. Com. 12 février 1972, D. 1979, JP, p. 355 cité par NYAMA (J-M), op. cit., p. 148. * 64 V. également AZIBER SEID (A.), Contrats et droit O.H.A.D.A. des procédures collectives, thèse, Toulouse I, 2007 cité par KEUGONG WATCHO (R.), op. cit., p. 145. * 65 Notamment lorsque le débiteur est simplement assisté comme dans le cadre du redressement judiciaire. * 66 L'idée de l'exclusion des contrats conclus intuitu personae du domaine de la continuation des contrats en cours se justifie aussi dans la procédure de liquidation des biens parce que dans celle-ci, il y a effectivement un changement de la personne du cocontractant puisque le débiteur n'intervient aucunement dans la procédure |
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