La location-gérance de l'entreprise en difficulté en droit des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires )( Télécharger le fichier original )par Emmanuel TSAGMO TAMEKO Université de Dschang Cameroun - Master en droit option : droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
PREMIÈRE PARTIE : LA LOCATION-GÉRANCE, TECHNIQUE D'ADMINISTRATION DE L'ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ
La rupture brusque de l'activité d'une entreprise dès l'ouverture à son encontre d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens est susceptible de multiples inconvénients aussi bien pour le débiteur que pour les créanciers, les salariés et l'État. Afin d'éviter une détérioration rapide de l'outil de production ainsi que la mise en chômage prématurée des salariés, la loi reconnaît au tribunal le droit d'autoriser la poursuite de l'activité40(*) ou même la conclusion d'un contrat de location-gérance41(*). La conclusion d'un tel contrat est possible même en présence d'une clause contraire dans le bail42(*). Emprunté au droit civil, ce contrat de louage d'exploitation43(*) s'avère être une véritable technique de gestion des entreprises en difficulté surtout lorsqu'il concourt d'une part, à la pérennisation de l'exploitation (Chapitre I) et d'autre part, au maintien de l'emploi (Chapitre II). CHAPITRE I : LE SOUCI DE PÉRENNISATION DE L'EXPLOITATIONL'aboutissement du redressement judiciaire dont la finalité est le sauvetage de l'entreprise est fondamentalement basé sur la poursuite de l'activité du débiteur. Une telle opération n'est normalement possible que si l'on assure à l'entreprise le maintien de son réseau de relation contractuelle. Poursuivre l'exploitation de l'entreprise dans la perspective de son redressement nécessite l'existence (Section I) et la poursuite des contrats en cours indispensables à la relance de l'activité de l'entreprise (Section II). Section I : L'existence des contrats en cours : un préalable à la poursuite de l'activitéLa continuation de l'activité de l'entreprise en difficulté implique nécessairement la poursuite d'un certain nombre de contrats. Ces contrats indispensables à l'entreprise, sont qualifiés de « contrats en cours »44(*). L'idée n'est pas totalement nouvelle : l'article 38 de la loi française du 13 juillet 196745(*) avait, en effet, organisé une procédure assurant, avec certaines difficultés et imperfections, la poursuite des relations contractuelles46(*). Aussi, le législateur africain n'a-t-il pas conféré au syndic le droit de décider de la continuation ou non des contrats en cours sans que les cocontractants ne puissent refuser en opposant le non paiement des créanciers antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective ? Après avoir présenté les contours de ces différents contrats (Paragraphe 1), il conviendra d'en déterminer leur domaine d'application (Paragraphe 2). Paragraphe 1- La détermination des contrats en coursL'analyse du régime des contrats en cours (B) sera précédée de l'étude de la notion même de contrat en cours (A) A- La notion de contrat en coursLa notion de « contrat en cours » est une notion-clé en matière de procédures collectives47(*). Elle constitue une des nombreuses énigmes de la matière car ne faisant l'objet d'aucune définition. Malgré l'importance de la notion, l'article 108 de l'AUPCAP, qui contient les dispositions générales relatives au contrat en cours, ne comporte pas la moindre définition de cette notion. Le contrat en cours est souvent assimilé au contrat à exécution successive. Comme le précise en effet un auteur, cette notion comprend « non seulement les contrats à exécution successive, qui sont le domaine d'élection naturel de la notion, mais encore, les contrats à exécution instantanée, s'ils n'ont pas encore produit leur effet principal, c'est-à-dire si la prestation caractéristique reste à fournir »48(*) et, plus précisément, les contrats dont l'exécution s'inscrit dans le temps et dont la durée s'étend au-delà du jugement d'ouverture49(*). Contrairement au contrat à exécution instantanée qui peut n'avoir pas encore produit ses effets, le contrat à exécution successive peut avoir fini de dérouler ses effets avant le jugement d'ouverture. On en déduit qu'un contrat est en cours lorsqu'il n'a pas épuisé ses effets fondamentaux au jour du jugement d'ouverture50(*). Les critères de cette notion clé ont dû être affiné par la jurisprudence et la doctrine51(*) : il s'agit d'un contrat conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, qui est encore en cours d'existence et susceptible d'exécution postérieure à la charge du cocontractant. Selon une distinction traditionnelle, deux critères cumulatifs sont requis : le contrat doit être en cours d'existence ou de formation et il doit être également en cours d'exécution52(*). C'est dire que, lorsque le contrat a été conclu, même sous condition, et n'a pas disparu, de quelque façon que ce soit53(*), antérieurement à cette date, il sera en cours et bénéficiera du régime qui lui est destiné. * 40 Cf. TCHINDE (M.), La place des organes judiciaires dans l'Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Collectives d'Apurement du Passif, Mémoire de Maîtrise, FSJP, UDs, 1999, p. 12. * 41 D'après l'article 115, al. 1, de l'AUPCAP, lorsque la disparition ou la cessation d'activité, même provisoire, de l'entreprise serait de nature à compromettre son redressement ou à causer un trouble grave à l'économie nationale, régionale ou locale dans la production des biens et services, la juridiction compétente à la demande du représentant du Ministère Public, du syndic ou d'un contrôleur s'il en a été nommé, pourrait autoriser la conclusion d'un contrat de location-gérance. Aux termes de l'article 27 du même Acte uniforme, le débiteur doit en même temps qu'il fait la déclaration de cessation des paiements ou, au plus tard, dans les quinze jours qui suivent celle-ci, déposer une offre de concordat précisant les mesures et conditions envisagées pour le redressement de l'entreprise. Cette offre de concordat peut comporter entre autres, les modalités de continuation de l'entreprise telles que la demande ou l'octroi de délais et de remise, la cession partielle d'actif, la cession ou la location-gérance d'une branche d'activité formant le fonds de commerce, la cession ou la location-gérance de la totalité de l'entreprise.... * 42 Article 115, al. 2, de l'AUPCAP. De même, « les conditions de durée d'exploitation du fonds de commerce par le débiteur pour conclure une location-gérance ne reçoivent pas application ici. Il s'agit là d'une importante dérogation aux dispositions des articles 109 et 112 de l'Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général (articles 141 à 144 du nouvel AUDCG). Le contrat de location-gérance peut donc être conclu même si le débiteur n'est pas commerçant depuis au moins deux ans et n'a pas exploité, pendant une année au moins en qualité de commerçant, le fonds mis en location-gérance ». cf. NYAMA (J-M.), OHADA, Droit des Entreprises en Difficultés, CEFORD, 2004, p. 226. La décision statuant sur l'autorisation de la location-gérance doit faire l'objet d'une publicité au registre du commerce et du crédit mobilier et dans un journal d'annonces légales (article 115, in fine, de l'AUPCAP). La soumission de la location-gérance à des conditions strictes permet d'exclure de ses bénéficiaires, les locataires- gérants qui ne disposent pas de fonds propres suffisants à même de renflouer l'entreprise et de relancer ses activités. Elle peut aussi constituer une mesure permettant d'éviter que le débiteur malhonnête ne reprenne son entreprise en sous-main ou ne vide la substance de l'entreprise, autrement dit, de réduire la valeur du fonds au détriment du paiement des créanciers ou du sauvetage de l'entreprise. * 43 Cf. NGUEBOU TOUKAM (J.), Droit Commercial Général dans l'Acte Uniforme OHADA, PUA, juillet 1998, p.5. * 44 La notion de contrat en cours se trouve ainsi au coeur du droit des contrats et des procédures collectives, puisque seuls les contrats en cours peuvent faire l'objet d'une continuation forcée au sens des articles 37 de la loi française n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ( JO du 26 janvier 1985, p. 1097), (BILLET (G.), Le bail commercial pendant la période d'observation, Mémoire de DEA, Université de LILLE II, 2000, p. 22. ), 107 et 108 de l'AUPCAP. C'est dire que dans l'intérêt de l'entreprise, « il est impérieux de permettre une continuation aussi large que possible des contrats et corrélativement la paralysie la plus étendue des mécanismes du droit commun permettant d'aboutir à la rupture du contrat » (MACORIG-VENIER (F.) « La rupture des contrats », in Le droit des entreprises en difficulté à l'aube de l'an 2000, P. A., n°178 du 06 septembre 2000, n° 2 cité par KEUGONG WATCHO (R.), Le droit commun des contrats face à l'émergence des droits communautaires africains, Thèse, Université de Dschang, 2009, P. 142. * 45 Loi n° 67-563 du 13 juillet relative au règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes (JO du 14 juillet 1967, p. 7059). * 46 Cf. JEANTIN (M.) et LE CANNU (P.), Droit Commercial : instrument de paiement et de crédit, entreprises en difficultés, 4e éd., Dalloz, 1995, n° 646. * 47 Cf. Derrida, La notion de contrat en cours à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, RJDA 1993, Chronique, p. 399 cité par HEMMER (A.), la résiliation du bail commercial en cas de redressement judiciaire du locataire, Mémoire de DEA, Université Robert Schuman Strasbourg III, 1999-2000, p. 22. * 48 Cf. BAC (A.), « De la notion de contrat en cours dans le cadre des procédures collectives et de ses grandes conséquences, notamment pour les cautions », in La Semaine juridique, E (2000), 22, n° 1-2 cité par NGNINTEDEM (J-C.), « Le bail commercial à l'aune du droit Ohada des entreprises en difficulté », in Revue de droit uniforme, UNIDROIT, NS Vol. XIV/2009, p. 181 ; www.ohada.com, Ohadata D-10-26. p. 8. * 49 Cf. BRUNETTI-PONS (C.), « La spécificité du régime des contrats en cours dans les procédures collectives », Revue trimestriel de droit commercial (2000), 783 cité par NGNINTEDEM (J-C.), op. cit., p. 8. * 50 Cf. RIPERT et ROBLOT, par DELEBECQUE (P.) et GERMAIN (M.), Traité de droit commercial, LGDJ, t. 2, 15e éd., 1996, n° 3047 qui citent des décisions relatives au prêt, à une vente moyennant rente viagère et à une vente contre une dation en paiement. * 51 GUYON (Y.), Entreprises en difficulté, Economica, 1985, p. 225 ; Revue de droit bancaire, 1988, obs. F DEKEUWER, p. 136. * 52 - Pour être en cours, les contrats liant le débiteur à ses partenaires, à savoir les fournisseurs, les salariés et les clients, et qui constituent souvent un élément très important de la richesse de l'entreprise, doivent être nés à la vie juridique antérieurement au jugement d'ouverture et ne pas avoir pris fin à cette date. Les contrats définitivement rompus avant la survenance de la procédure ne peuvent en effet être poursuivis par le syndic. - En outre, ces contrats indispensables au fonctionnement de l'entreprise doivent être en cours d'exécution au jour du jugement d'ouverture. En effet, lorsque les prestations principales attendues ont été fournies avant le jugement d'ouverture, le contrat n'est plus en cours même s'il n'a pas produit tous ses effets. * 53 Soit par l'arrivée du terme, soit par la résiliation, soit par la nullité... |
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