La location-gérance de l'entreprise en difficulté en droit des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires )( Télécharger le fichier original )par Emmanuel TSAGMO TAMEKO Université de Dschang Cameroun - Master en droit option : droit des affaires et de l'entreprise 2011 |
B- L'autorisation des licenciements par le Juge-commissaireContrairement au droit commun où l'autorisation des licenciements émane de l'employeur, ce pouvoir est dévolu au Juge-commissaire lorsque l'entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation des biens sauf en ce qui concerne le licenciement des salariés protégés135(*). L'avis ou la proposition du Ministre du travail est écarté. C'est logique car celui-ci semble ne pas être à mesure de concilier la situation de l'entreprise et l'exigence d'adaptation des contrats de travail et la sauvegarde de l'entreprise. La seule prise en considération de la protection des salariés risquerait d'entraver le redressement de l'entreprise. Nommé par le jugement d'ouverture, le Juge-commissaire a un pouvoir décisionnel dans les procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens. Il est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence136(*). Il a pour rôle de résoudre le conflit opposant l'intérêt de l'entreprise à celui des salariés. Il est l'arbitre du concours entre l'objectif de sauvegarde de l'entreprise et le maintien de l'emploi. Il a d'ailleurs été considéré par des auteurs avisés comme « le chef d'orchestre de la procédure» 137(*) de redressement judiciaire. Il joue un rôle essentiel dans les licenciements pour motif économique. Tous les documents (ordre des licenciements, avis des délégués du personnel, lettre de communication à l'inspection du travail) lui sont remis pour autorisation. Il autorise en tout ou en partie les licenciements envisagés s'ils s'avèrent nécessaires au redressement de l'entreprise ou refuse son autorisation s'ils ne le sont pas. Le Juge-commissaire doit considérer la protection des salariés d'une part, et le potentiel productif de l'entreprise résultant des licenciements d'autre part. L'ordonnance mentionne le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées - mais non la liste nominative138(*). La décision du Juge-commissaire est signifiée aux travailleurs dont le licenciement est autorisé. Cette décision ne vaut pas licenciement139(*). Celui-ci n'est prononcé que par une décision du locataire-gérant. La lettre de licenciement précise les motifs du licenciement. Il est à noter que la lettre de licenciement qui se limite à viser l'ordonnance du Juge-commissaire ayant autorisé le licenciement économique d'un salarié, est considérée comme suffisamment motivée. Dans tous les cas, le locataire-gérant qui procède à des licenciements pour motif économique doit payer aux salariés licenciés les indemnités y afférentes s'ils remplissent les conditions d'attribution140(*). L'un des avantages dont bénéficient les travailleurs licenciés économiquement est la priorité de réembauchage. En effet, l'article 40, al. 9, du Code du Travail prévoit que le travailleur licencié bénéficie, à égalité d'aptitude professionnelle, d'une priorité d'embauche pendant deux ans dans la même entreprise141(*). Il s'ensuit que si la situation de l'entreprise venait à s'améliorer sous l'administration du locataire-gérant, le salarié licencié pourrait être réembauché par celui-ci ou en fin de location par le débiteur initial, la durée de la location étant en principe initialement de deux ans142(*). La décision du Juge-commissaire autorisant ou refusant les licenciements, rendue en application de l'article 40 de l'AUPCAP, est susceptible d'opposition dans les quinze jours de sa signification devant la juridiction ayant ouvert la procédure, qui rend sa décision, insusceptible d'appel, dans un délai de quinze jours143(*). Il se pose la question de savoir s'il peut y avoir recours en cassation. Contrairement à certains auteurs qui pensent qu'il n'existe pas de pourvoi en cassation dans les procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens144(*), rien n'interdit de penser que, conformément à l'article 14 du Traité OHADA145(*), la décision de la juridiction compétente puisse faire l'objet de pourvoi, en principe devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA)146(*). Soucieux d'éviter autant que faire se peut la disparition de l'entreprise en difficulté et par conséquent la perte des emplois, le législateur de l'OHADA a souhaité qu'en cas de redressement judiciaire, lorsque le tribunal aura décidé de la mise de l'entreprise en location-gérance, que le maintien des contrats de travail soit le principe et les licenciements l'exception. Peu importe la nature du contrat : à durée indéterminée ou déterminée, contrat de travail temporaire, saisonnier, etc. L'essentiel est que le contrat de travail existe et soit en cours d'exécution et qu'il y'ait une permanence dans l'activité de l'entreprise. Le locataire-gérant doit poursuivre une activité de même nature car il est non seulement tenu de ne pas modifier la destination du fonds, mais aussi de ne pas modifier ou étendre son objet. * 135 L'article 40, al. 7, du C.T. dispose que : « les délégués du personnel ne peuvent être licenciés que si leur emploi est supprimé et après autorisation de l'inspecteur du travail du ressort ». * 136 Article 39, al. 1, de l'AUPCAP ; v. également l'article L. 621-12 du Code de commerce français. * 137 Cf. DERRIDA (F.), GODE (P.) et SORTAIS (J.P.), Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, D., Sirey, 2e éd., 1989, p. 28. * 138 Cass., soc. 18 juin 1997 : Dr. soc., 1997, 983, obs. Vatinet ; RJS, 1997, 605. * 139 Voir également dans ce sens TCHAKOUA (J.M.), op. cit., p. 206. * 140 Article 40, al. 5, du C.T. * 141 Ce délais est d'un an au Gabon (article 60 CT gabonais) et de 6 mois au TOGO (article 75, al. 1er , CT togolais). * 142 Article 115, al. 5, de l'AUPCAP. * 143 Article 111, al. 1 et 2, de l'AUPCAP. Il faut noter que devant cette juridiction, « ne sont pas applicables les règles particulières de composition des juridictions statuant en matière sociale. Le très bref délai d'intervention de la décision du juge permet de penser que ne sont pas également applicables sur le préalable de conciliation devant l'inspecteur du travail, encore que celui-ci ait déjà été informé de la procédure du licenciement par les soins de l'employeur ». Cf. TCHAKOUA (J.M.), op. cit., p. 207. * 144 GOMEZ (J-R.), OHADA, Entreprises en difficulté : Lecture de l'Acte Uniforme de l'OHADA portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif à la lumière du droit français, éd. Bajag-Meri, 2003, p. 348. Pour cet auteur, « le pourvoi en cassation, n'étant pas mentionné par l'article 216 de l'Acte uniforme sur les procédures collectives, est donc exclu » ; NYAMA (J.-M.), op. cit., p. 99. Pour celui-ci, « aucune disposition particulière n'étant édictée par l'Acte uniforme sur les voies de recours extraordinaires, il y a lieu d'appliquer ici les règles de droit commun interne, d'après les formes et délais applicables à ce mode de recours ». * 145 Cet article dispose que : « ...saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'Appel des États Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent traité à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle se prononce dans les mêmes conditions non susceptibles d'appel rendues par toute Juridiction des États Parties dans les mêmes contentieux. En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ». * 146 Pour un raisonnement identique, cf. TCHAKOUA (J.M.), op. cit., p. 207. Pour cet auteur, « il faudrait se rendre compte que certains points du contrôle pouvant être effectué, par exemple le respect des dispositions sur l'ordre de licenciement, ne relèvent pas exclusivement de l'Acte uniforme. Cette situation pourrait causer des difficultés en termes de répartition du contentieux entre la CCJA et la Cour suprême. La solution du recours devant la CCJA doit être maintenue même si on reproche au juge la violation d'une disposition nationale dont l'Acte uniforme prévoit l'application. La disposition nationale s'applique ici dans un dispositif qui est encadré par l'acte uniforme et mérite d'être interprétée, le cas échéant, dans l'esprit du texte communautaire dont le fidèle interprète ne peut être que la CCJA ». Cf. également KEMEUGNE KOUAM (G.), Les voies de recours dans les procédures collectives d'apurement du passif de l'OHADA, mémoire de DEA, FSJP, Uds, 2006-2007, P. 122-125, pour qui, « Lorsque le législateur de l'OHADA des procédures collectives arrête une liste de décisions pour lesquelles il règlemente, de façon spécifique, certaines voies de recours, sans se soucier du pourvoi en cassation qu'il ne supprime pas non plus, il s'agit d'une hypothèse d'oubli ». |
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