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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Conclusion Générale

Au fil de notre développement, nous avons pu dégager certaines des questions les plus controversées que connaît le droit de la presse. De la problématique de la justesse des équilibres instaurés par le texte de 1881, à ses rapports avec la clausula generalis et les articles 9 et 9-1 du Code civil, en passant par les différentes circonstances à même de justifier les abus de la liberté d'expression censés tomber sous leur joug, ce droit apparaît comme une matière sensible, aux tenants et aboutissants incertains.

La délicatesse des débats qu'il suscite puise sa raison d'être dans la difficulté que constitue le travail d'appréhension des limites de la liberté d'expression. Chacun semble s'accorder sur la nécessité d'en dessiner les contours, sans pour autant s'accommoder quant à leur tracé490. Une tendance générale nous semble toutefois devoir être mise en exergue. Face à la suprématie de la loi du 29 juillet 1881, la responsabilité civile perdure dans son rôle d'assesseur du texte spécial luttant sans répit pour la défense d'un idéal de presse libre et responsable. Son champ d'application, déjà réduit par les véhémences magnétiques des dispositions de la loi sur la liberté de la presse, paraît s'effriter toujours d'avantage au profit d'une liberté d'expression en constante expansion.

Bien entendu, il serait illusoire et présomptueux de prétendre détenir les clés des différents problèmes que suscite cette problématique tenant à la place occupée par la responsabilité civile en matière de presse. Mais il serait aussi tout à fait regrettable de n'avoir pu s'en faire quelconque opinion. Il convient donc d'évoquer un certain nombre de points nous semblant particulièrement importants et sur lesquels nous estimons que les choses peuvent changer.

Tout d'abord, eu égard à la question des rapports entretenus par l'article 1382 du Code civil avec la loi du 29 juillet 1881, il semblerait qu'existent quelques bonnes raisons d'imposer une adaptation mesurée de la responsabilité pour faute lorsque celle-ci a

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Une affaire des plus récentes, l'affaire Mohamed Merah, en fournit encore un exemple frappant. Elle témoigne de toute l'actualité de cette question. En effet, la diffusion polémique par la chaîne TF1 en juillet, d'extraits des négociations du Raid avec le tueur au scooter, illustre parfaitement la difficulté et le désaccord que suscite la question du tracé des frontières entre « le permis et l'interdit » au nom de l'information et donc de la liberté d'expression. Si TF1, se défendant de tout sensationnalisme, défend l'argument du « droit d'informer », les avocats des victimes eux, estiment au contraire que cette information outrepasse le droit à l'information et que sa diffusion est constitutive de l'infraction de recel du secret de l'instruction. Affaire à suivre...

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vocation à intervenir en marge du texte spécial491. En effet, lorsque les propos visés relèvent de ce que nous avons pu qualifier d'« expression-opinion »492, l'application de l'article 1382 du Code civil devrait être restreinte aux seuls cas d'abus constitutifs de fautes qualifiées493. Cela permettrait fondamentalement - « tant la notion de faute se trouve être liée à la morale » 494- de ne pas exposer la liberté d'expression, et donc les médias, à la menace d'une résurrection du délit civil d'opinion. Cette solution apparaît logique, d'autant que nous l'avons vu, « l'expression-opinion » comporte par nature une dimension nuisible souvent consubstantielle à son épanouissement. Il apparaît par conséquent indispensable que s'ensuive un rehaussement du seuil de la faute. Cela apaiserait d'ailleurs très probablement les ardeurs de ceux redoutant que l'article 1382 du Code civil ne soit transformé en un « cheval de Troie » pour la défense d'un certain ordre moral495. De plus, comme le souligne à juste titre le professeur Emmanuel Dreyer, l'application de la responsabilité civile par nos juridictions françaises n'a jamais valu à la France de condamnation par la Cour européenne. On ne peut en dire autant pour la loi du 29 juillet 1881496. Dès lors, plutôt que de s'offusquer inépuisablement en invoquant l'insatiable argument de « la menace de l'article 1382 pour la liberté d'expression », peut-être serait-il temps, tout simplement, de s'en remettre au bon sens et à la sagesse de nos magistrats.

L'autre point sur lequel il convient d'insister et qui, nous allons le voir, rejoint le développement précédent, est celui relatif à l'efficacité de la protection assurée par la loi sur la liberté de la presse. En effet, l'une des critiques majeures formulée à son encontre a trait aux intérêts dont elle assure la défense, qui ne seraient plus nécessairement conformes aux revendications sociales d'aujourd'hui. Certains auteurs vont même jusqu'à suggérer son abrogation en envisageant de dépénaliser le droit de la presse497. Récemment, le retentissant rapport de la Commission Guinchard du 30 juin 2008498a même officiellement

491 Sont ici visés, les cas d'atteintes envers les personnes n'entrant pas dans le champ de la loi du 29 juillet 1881.

492 Par opposition à « l'expression-information », pour laquelle nous proposons une application pleine et entière de la responsabilité civile (V. Supra n°72).

493 On pourrait ainsi se référer par exemple, au critère de l'intention de nuire pour caractériser l'abus, comme l'aurait probablement souhaité le Doyen Ripert. Ou bien, ne retenir de faute qu'en cas de négligence « manifeste » dans la vérification de l'information, comme l'eurent proposé certains juges dans les années quatre vingt-dix (V. Supra n°92).

494 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 86.

495 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et liberté de la presse », Légipresse n°143-II, p. 88.

496 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 23.

497 V. E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de 1881 ?», Légipresse Spécial 30 ans, oct. 2009, p.137.

498 S. Guinchard, Rapport sur la répartition des contentieux, La Documentation française, juil. 2008.

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suggéré une dépénalisation partielle du contentieux de la presse. Il propose en effet une « dépénalisation de la diffamation, à l'exception des diffamations présentant un caractère discriminant ». Il faut alors mesurer l'impact qu'impliquerait l'adoption d'une telle mesure. La diffamation recouvre - avec l'injure - l'un des plus important volet du contentieux de la presse499. Dépénaliser cette infraction aurait donc pour conséquence de transmettre l'ensemble de ces affaires devant les tribunaux civils. Ces derniers auraient alors à statuer au regard des critères de la faute civile mais aussi et surtout, en application des règles de procédure civile. Nul doute que sur le fond comme sur la forme, les organes de presse seront exposés à un risque supérieur de condamnation. La liberté de la presse risquerait donc de s'en trouver fortement amputée. Certes, face à l'évolution des moeurs et des supports de presse, il est évident que la loi du 29 juillet 1881 a dû s'adapter pour ne pas tomber en désuétude. C'est ce qu'elle a fait en faisant entrer dans son champ répressif de nouvelles incriminations500. Et lorsqu'elle fût dépassée par les événements, outre l'article 1382 du Code civil, d'autres textes sont apparus en marge du texte spécial pour répondre aux nouveaux types de préjudices501. Mais le texte spécial demeure là, prêt à réprimer les atteintes les plus graves, et offrant cette garantie de précision et de prévisibilité sans équivalent au civil. La dépénalisation apparaît donc comme une fausse nécessité. Et si l'un des principaux arguments avancé par ses tenants concerne essentiellement le protectionnisme de la presse qu'assurerait les prétendues « chausses-trappes » procédurales502, non seulement un volet de notre développement peut nous permettre d'en douter503, mais surtout, plutôt que de remettre tout l'édifice en question, pourquoi ne pas tout simplement davantage flexibiliser l'application des règles de procédures du texte spécial devant les tribunaux civils comme ont pu commencer à le faire certains juges depuis 2009. Une telle voie nous semble devoir être explorée.

Enfin, le dernier point sur lequel le législateur devrait probablement intervenir est celui tenant à l'instauration d'un système de dommages et intérêts punitifs. En effet, nous

499 « Le contentieux de la loi sur la presse de 1881 en matière de diffamation et d'injure représente quelques 500 procès chaque année, en excluant les affaires où la discrimination est en jeu » (J. Prorok, « La dépénalisation de la diffamation bientôt débattue », Le Figaro, 2 déc. 2008).

500 Par exemple, la Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, a ajouté au texte spécial de 1881 l'infraction de diffamation à raison de l'orientation sexuelle ou de l'handicap.

501 C'est ce que nous avons vu avec les articles 9 et 9-1 du Code civil.

502 Serge Guinchard ne manque pas de mettre en avant les « pièges procéduraux », les « chausse-trappes » procédurales de la loi du 29 juillet 1881 au soutien de la dépénalisation (propos recueillis dans S. Seelow, « dépénaliser la diffamation, du « sur mesure » pour condamner la presse », Le Monde, 15 mai 2009).

503 V. Supra n°28.

l'avons vu504, la multiplication encore récente des fautes lucratives commises sous la forme d'atteintes aux droits de la personnalité peut légitimement nous faire douter de l'actuel pouvoir normatif de la responsabilité civile en matière de presse. Comment, par le strict maintien du système compensatoire, ne pas inciter les organes de presse à perpétuer les atteintes sachant que les condamnations encourues seront inférieures aux profits tirés de leur comportement ? Comme le dit très justement Clothilde Grare dans sa thèse, « le paradoxe du système actuel est que là où la faute revêt une certaine gravité et où donc la fonction normative de la responsabilité devrait être mise en avant pour être efficace, elle est complètement paralysée par la règle d'évaluation de l'article 1382 È505. C'est tout à fait vrai. La règle en question mesure le montant des dommages et intérêts dûs par l'auteur de la faute lucrative au seul préjudice subi par la victime. Elle ne prend donc pas en compte les profits illicites tirés par ce dernier, ce qui serait pourtant le seul véritable moyen de lutter contre ce type de comportements. Il apparaît donc impératif de devoir durcir les sanctions prononcées contre les auteurs en instaurant un mécanisme de dommages et intérêts punitifs. Il s'agirait sûrement d'un moyen efficace pour mettre un terme aux indiscrétions médiatiques dommageables. Les activités de presse en ressortiraient probablement plus saines, et les victimes, mieux protégées.

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504 V. Supra nO57.

505 C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, thèse, Dalloz 2005, p. 89.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci