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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29 juillet 1881 engendrée par l'omniprésence de la responsabilité civile de droit commun

60. Nombreux sont les discours élogieux ayant mis en avant la « formidable » capacité d'adaptation de la responsabilité pour faute129. En effet, la souplesse du concept de faute a toujours permis au droit de s'adapter aux situations nouvelles, aux évolutions socio-économiques. Toutefois, cette qualité semble, au contact de la liberté d'expression, se transformer en handicap. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence parait vouloir limiter sa portée en matière de presse.

61. La consécration d'un principe général de responsabilité pour faute130, de par son universalisme, devait inévitablement poser le problème de son cantonnement face au texte spécial (Chapitre 1). Il appartenait donc au juge de trancher ce conflit de compétence source d'insécurité juridique pour les parties au procès de presse (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et l'article 1382 du Code civil

62. La détermination des modalités de mise en oeuvre de l'article 1382 du code civil en matière de presse est une question récurrente que les tribunaux français peinent à solutionner. On en vient même à se demander s'il s'agit vraiment d'une question soluble. Pourtant celle-ci est tout à fait fondamentale. C'est tout l'équilibre du droit de la presse qui est en cause.

63. La loi du 29 juillet 1881 vise à sanctionner les abus de la liberté d'expression les plus graves ce qui facilite l'immixtion du droit commun de la responsabilité civile dans les interstices des incriminations pénales. Ce rôle de « responsabilité relais » vis à vis des incriminations spéciales se justifie par le fait que comme la loi sur la liberté de la presse, la finalité de la clausula generalis est de sanctionner les comportements fautifs dommageables résultant de l'usage abusif du droit d'expression (Section 1). Cette communauté de finalité - allant naturellement dans le sens d'une cohabitation entre les

129 V. Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv., 1988.

130 G. Viney, « Pour ou contre un principe général de responsabilité pour faute ? », Mél. P. Catala, Litec, 2001.

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deux textes - en raison des risques qu'elle présente pour l'économie de la loi du 29 juillet 1881 et concomitamment, pour la liberté d'expression, divise largement la jurisprudence qui demeure encore aujourd'hui relativement brumeuse quand à la définition des frontières respectives de ces deux textes (Section 2).

Section 1 : Une communauté de finalité : la sanction des abus de la liberté d'expression

64. L'article 1382 du Code civil est pourvu d'une portée universelle131. Aucun pan de notre droit n'en est a priori exclu de sorte que « lorsqu'aucune voie juridique n'existe, la responsabilité pour faute est là, prête à l'emploi »132.

65. En l'absence de concours possible avec un texte spécial133, la réunion des trois éléments de la responsabilité de droit commun devrait naturellement justifier le recours à l'article 1382 du Code civil pour appréhender les abus de la liberté d'expression (Paragraphe 1). Toutefois, compte tenu de la dimension fondamentale de cette liberté que constitue celle de s'exprimer, la conformité de la « très générale responsabilité pour faute » vis à vis des textes à valeur supra-législative apparaît tout à fait discutable. C'est en effet toute la question tenant à la validité normative de l'article 1382 du Code civil qu'il conviendra ici d'analyser (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La justification du recours à la responsabilité pour faute

66. Dans la typologie des comportements fautifs susceptibles d'engager la responsabilité civile, l'usage excessif par un organe de presse de sa liberté d'informer peut assez simplement être rattaché à l'abus de droit (A). Ce n'est pourtant pas sans tourments que s'opère la confrontation d'une telle faute avec le principe de liberté d'expression (B).

131 G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 21.

132 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile », RTDciv., 1987, p 507.

133 Par exemple, la loi du 29 juillet 1881, l'article 9 ou encore 9-1 du Code civil qui, conformément à l'adage romain specialia generalibus derogant, s'appliquent au détriment du droit commun dans l'hypothèse de litiges entrant dans leur champ d'application.

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A. La théorie de l'abus de droit comme fondement de la responsabilité

67. L'abus de droit se défini classiquement comme la faute commise dans l'exercice d'un droit134. À ce titre, il convient de préciser que l'abus en question vise indistinctement toute prérogative juridique dont l'usage serait fautif dans la mesure où cette qualification peut concerner aussi bien une liberté qu'un droit135. La Cour de cassation l'a d'ailleurs clairement affirmé dans un arrêt du 5 juillet 1994 de sorte qu'il est désormais acquis que l'usage excessif d'une liberté est constitutif d'un abus de droit136.

68. Le moins que l'on puisse dire est que la controverse doctrinale autour de la notion d'abus de droit constitue « un classique » pour qui s'intéresse aux débats juridiques ayant façonné l'histoire de notre droit positif. Deux grandes théories doctrinales s'affrontent.

D'une part, la théorie du Doyen Josserand pour qui l'abus de droit consiste en un détournement du droit de sa fonction sociale. En effet, selon ce dernier, chaque droit participe d'un esprit. L'acte abusif consiste alors à agir contrairement à l'esprit de ce droit137. Cette théorie, pour pouvoir être mise en oeuvre, implique nécessairement d'identifier la finalité du droit ou de la liberté en cause, ce qui ne va pas toujours de soi lorsque l'abus a trait à une liberté, « prérogative indéfinie »138. Il faut en réalité apprécier si le comportement du titulaire de la prérogative juridique est motivé par une finalité conforme à celle de cette dernière.

D'autre part, nous retrouvons une approche plus restrictive de l'abus de droit qui est celle du Doyen Ripert et reposant sur le critère de l'intention de nuire. Ici, c'est le comportement malicieux dont fait preuve le titulaire du droit qui permet de caractériser l'abus139. C'est donc l'intention malveillante dans l'exercice du droit qui est prise en compte.

134 M. Bacache-Gibeili, Les obligations : la responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2e éd., 2012, p. 165.

135 En effet, à tort, de nombreux auteurs restreignaient l'application de la théorie de l'abus de droit aux droit subjectifs (V. par exemple : G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4e éd., 1949, p. 168 et s. ; J. Karila De Van, « Le droit de nuire », RTDciv., 1995, p. 533 et s.) en rejetant la perspective de son application au cadre des libertés.

136 Com., 5 juil. 1994 : Bull. civ.IV, n°258.

137 L. Josserand, De l'esprit des droits et de leur relativité, Théorie dite de l'abus des droits, Paris, Dalloz, 2e éd., 1939.

138 Par opposition à l'abus ayant trait à un droit subjectif, « prérogative définie » : N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 53.

139 G. Ripert, « Abus de droit ou relativité des droits », Rev. crit. législ. et jurisp., 1929.

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Quel que soit le critère retenu, l'abus, dès lors que celui-ci engendre un dommage, engage la responsabilité civile délictuelle de son auteur. En effet la jurisprudence montre que le choix pour l'un ou l'autre des critères ci-dessus exposés varie d'un litige à l'autre au grès des circonstances de l'espèce et des juridictions saisies140. Mais la doctrine moderne admet d'une manière générale que le critère permettant de qualifier l'acte d'abus de droit réside essentiellement dans la faute telle qu'envisagée au sein des articles 1382 et 1383 du Code civil141. Dès lors, le fondement de l'abus de droit pourra a priori résulter d'une simple imprudence comme d'un acte purement dolosif142.

Il en résulte que la faute constitutive d'un abus de la liberté d'expression sera logiquement appréhendée au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil fondant la théorie générale de la responsabilité pour faute. Nous allons voir que cela n'est pas sans présenter des menaces pour la liberté d'expression.

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