Paragraphe 2 : La réparation du préjudice
causé
53. L'action civile en réparation du préjudice
causé par l'infraction de presse - qu'elle soit jointe ou
séparée de l'action publique - est le moyen pour la victime de
demander des dommages et intérêts. Il s'agira traditionnellement
de dommages et intérêts compensatoires (A) bien que l'on puisse se
demander s'il ne serait pas plus opportun de consacrer en la matière un
système de dommages et intérêts punitifs (B).
A. L'allocation classique de dommages et
intérêts compensatoires
54. La finalité indemnitaire des dommages et
intérêts compensatoires a pour objet de réparer en valeur
le préjudice causé à la victime113. Dans un
arrêt de 1963, la Cour de cassation avait d'ailleurs clairement
associé cette finalité au principe de réparation
intégrale en affirmant que « le propre de la
responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que
possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la
victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se
serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit
»114.
Bien entendu, cela implique au préalable que le
préjudice subi puisse être financièrement évaluable.
Or, concernant les atteintes à l'honneur, à la
considération ou encore à la dignité des personnes -
celles-ci appartenant à la catégorie du préjudice moral et
regroupant l'essentiel des dommages susceptibles d'être causés par
les infractions de presse de la loi de 1881 - cela ne va pas de soi. Il
appartiendra donc au juge de se montrer le plus juste possible dans cet
exercice d'évaluation pour ne pas que ces dommages et
intérêts soient trop excessifs ou insuffisamment dissuasifs.
55. Certes, quelques décisions attestent de la
pratique de l'injonction de publication de jugement obligeant les organes de
presse à faire preuve d'une certaine transparence à
l'égard de leurs lecteurs, de leurs auditeurs115. Mais la
réparation du dommage subi consiste principalement en l'allocation de
dommages et intérêts compensatoires. Cela nous amène donc
à nous poser la question suivante : la condamnation pécuniaire
prononcée contre un organe de presse à titre de compensation du
préjudice subi - résultant de l'allocation de dommages et
intérêts compensatoires - permet-elle réellement à
la
113 G. Viney, Introduction à la responsabilité,
LGDJ, 3e éd., 2008, p.77 et s.
114 Civ. 2e, 1er avr. 1963, JCP 1963. II.
13408, note Esmein.
115 E. Derieux, Droit de la communication, 4e
éd., LGDJ, 2003, p. 562.
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responsabilité civile de remplir son rôle
normatif, mais aussi préventif, en ce domaine que constitue celui de la
liberté d'information ?
56. À la vue des innombrables condamnations de
certains organes de presse semblant se complaire dans leur rôle de
défendeur au procès - tant les actions en justice affluent sur la
base de fondements juridiques identiques et récurrents - la question
apparaît légitime. En effet, est principalement concernée
cette presse dite « people » ou « presse à sensation
», dont l'activité principale consiste à violer
l'intimité de la vie privée des personnes publiques. C'est
d'ailleurs grâce à elle qu'un véritable «
marché de l'indiscrétion » se développe chaque jour
pour regrouper quotidiennement environ 5 millions de lecteurs116.
Ainsi, peut on s'indigner du fait des insuffisances de la responsabilité
civile face à ce type d'excès de la liberté d'expression.
En effet, le bénéfice que le fautif peut retirer de sa faute
apparaît comme un anesthésiant redoutable des fonctions de la
responsabilité civile ce qui explique les comportements
récidivistes des organes de « presse people ». Il s'agit donc
en fait d'un véritable calcul de rentabilité. Ce calcul permet
aux entreprises de presse d'accomplir ce que la doctrine qualifie de «
fautes lucratives »117 et dont les conséquences,
profitables pour leur auteur, ne sont pas neutralisées par le jugement
de condamnation à des dommages et intérêts.
Mais alors, comment cela peut-il s'expliquer ? Le fait est,
que le principe en France est celui de la fonction réparatrice et non
punitive de la responsabilité civile. Cela a encore été
rappelé dans un arrêt relativement récent de la Haute
juridiction118. Pourtant, l'instauration d'un système de
dommages et intérêts punitifs paralysant les fautes lucratives
permettrait très probablement de réaffirmer le rôle
normatif de la responsabilité civile en matière de presse. On
peut donc réellement se demander si la solution ne consisterait-elle pas
en l'instauration d'un tel mécanisme pour sanctionner la presse en
France.
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