Sommaire
(Les chiffres renvoient aux numéros de pages)
5
Introduction 7
Première partie
La suprématie controversée de la loi du 29
juillet 1881 en matière de presse
Titre 1 : Les règles de forme et de fond instaurées
par le texte spécial 15
Chapitre 1 : Le particularisme procédural du contentieux
de la presse 15
Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en oeuvre de la
responsabilité 28
Titre 2 : La perturbation des équilibres de la loi du 29
juillet 1881 engendrée par
l'omniprésence de la responsabilité civile de droit
commun 40
Chapitre 1 : Le conflit opposant la loi sur la presse et
l'article 1382 du Code civil 40
Chapitre 2 : La résolution du conflit par l'admission
d'une fonction complétive de
l'article 1382 du Code civil 51
Deuxième partie
La place effective du droit commun de la
responsabilité civile en matière de presse
Titre 1 : Un domaine résiduel face à
l'hégémonie de la loi du 29 juillet 1881 et les autres
dispositions spéciales 66 Chapitre 1 : Les abus de la
liberté d'expression entrant dans le champ de l'article 1382
du Code civil 66 Chapitre 2 : La protection civile autonome
des « nouveaux droits de la personnalité »
80 Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité
civile face à la prééminence de la liberté
d'expression 95
Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs
spéciaux en matière de presse 95
Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime garantie face
à la liberté d'expression 111
6
Conclusion Générale 123
Bibliographie 127
Index 137
Table des matières 140
7
Introduction
1. François Mitterrand a déclaré dans
une lettre aux français : « Montesquieu pourra se
réjouir, à distance, de ce qu'un quatrième pouvoir ait
rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la
séparation des pouvoirs l'ultime hommage de notre siècle
»1.
Par ce renvoi bien connu au concept de quatrième
pouvoir2, il était bien entendu fait allusion au «
pouvoir médiatique » venant agrémenter la liste des trois
autres - exécutif, législatif et judiciaire - piliers de
l'idéologie démocratique. C'est dire combien le pouvoir de la
presse est à considérer.
Chaque jour, les médias s'érigent en peintres
des rouages de notre monde, pour souvent venir nous frapper dès la
première heure de la journée. Que ce soit au réveil en
allumant le poste de radio, à la sortie du métro en saisissant un
quotidien gratuit ou encore dans la rue, interpellé par l'un des
innombrables titres accrocheurs gorgeant les panneaux publicitaires, la presse
nous entoure, nous imprègne. Par son omniprésence, elle exerce
inéluctablement une influence sur notre façon de voir les choses,
d'appréhender l'information et de s'en faire un jugement. Elle peut
ainsi se révéler être un redoutable instrument de
contrôle de l'opinion publique.
Ce quatrième pouvoir, aux allures
tentaculaires, est essentiellement légitimé par le fait que
l'activité des médias repose sur la liberté d'expression,
elle-même considérée comme l'une des pierres angulaires de
la démocratie3. Il incombe dès lors de préciser
que le pouvoir des médias est consubstantiel à celui
accordé à la liberté d'expression. À l'instar de
cette dernière, les médias sont confrontés à une
limite primordiale : celle de ne pas empiéter sur les droits
d'autrui4. Une telle limite doit inévitablement poser la
question de leur responsabilité.
2. Depuis son apparition, la presse a beaucoup
évolué. Cette évolution résulte de la conjonction
d'une multitude de facteurs ayant contribué au façonnement de
notre société. Parmi ceux-ci, figurent notamment les
péripéties de l'actualité politique, économique,
les
1 François Mitterrand, dans sa lettre
adressée aux français lors de sa campagne présidentielle
en avril 1988.
2 En 1787, environ quarante ans après De
l'esprit des lois, de Montesquieu - posant le principe de la
séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et
judiciaire) - un homme politique irlandais nommé Edmund Burke
désigne les journalistes comme étant détenteurs d'un
« quatrième pouvoir ». Plus tard, Alexis de
Tocqueville reprendra cette idée dans De la démocratie en
Amérique. L'expression fait alors son entrée en France (D.
Salles, « Médias, pouvoir et contre pouvoir »,
L'école des lettres 2010-2011 n°2-3, p. 103).
3 L. Josende, Liberté d'expression et
démocratie, réflexion sur un paradoxe, Bruylant, 2010, p.12
et s.
4 Selon l'article 4 de la DDHC : « La
liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui ».
8
variations des moeurs, les innovations technologiques. Mais
avant même de s'intéresser à l'histoire de la presse,
à son contenu ou encore à ses supports, savons-nous seulement ce
qu'implique le mot « presse » ?
Il semblerait que l'on tende systématiquement à
associer à la presse les termes de média,
journalisme, reportage. Il convient dès lors de
dissiper ces associations hâtives. En réalité, le mot
presse trouve son essence dans un procédé, une
technique. Selon les termes utilisés par le dictionnaire
Robert, la presse désigne le « dispositif
destiné à exercer une pression sur un solide en vue d'y laisser
une impression »5. L'histoire de la presse est donc avant
tout celle d'un procédé6. Avant de désigner
l'objet imprimé, la presse est d'abord le pressoir à encre,
l'instrument permettant de reproduire indéfiniment un même texte
sur du papier. De procédé technique, la presse renverra ensuite -
bien plus tardivement - au produit de ce procédé, dont la
matérialité sera pendant longtemps limitée au support
papier7.
3. Très peu de temps après l'importation de la
presse en France dans la seconde moitié du XVème
siècle8, la puissance publique, face à la propagation
des idées imprimées, prend les premières mesures de
contrôle de son contenu. Sur toute l'étendue du Royaume, le roi
s'impose alors en maître des publications de presse, s'attribuant ainsi
le pouvoir d'autoriser les impressions et diffusions par voie de
privilèges, après l'exercice d'une censure réalisée
par les docteurs de l'université de Paris. Les « privilèges
du roi » deviennent alors la première véritable forme de
contrôle du contenu des publications de presse sans lesquels nul ne peut
se lancer dans l'entreprise d'imprimerie ou de librairie. Ce système
corporatiste des métiers - essentiellement destiné à
filtrer les ouvrages considérés comme hérétiques -
ne laisse guère de place à une responsabilité de l'auteur.
Seuls les imprimeurs et libraires sont responsables des livres qu'ils
publient9.
Durant toute la période de l'ancien régime, la
presse est donc régie par un monolithique système de
privilège de corporation règlementant minutieusement tous les
métiers de l'imprimerie et de la librairie. Les multiples censures
exercées par les censeurs
5 A. Rey et J. Rey Debove, Le Petit Robert,
Le Robert, 2012, p. 2012.
6 Pour le détail du procédé
d'impression et ses différentes techniques, V. Le grand Larousse
Encyclopédie, Larousse vol. 1/A-Kingsley, 2007, p. 1244.
7 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer,
Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 12.
8 C'est en 1470 que l'Humaniste et professeur de
théologie Guillaume Fichet installera avec le prieur Jean Heynlin, la
première imprimerie au collège de la Sorbonne, créant
ainsi le premier atelier de ce genre en France (J. Philippe, Guillaume
Fichet : sa vie, ses oeuvres, Dépollier, 1892, p. 175 et s.)
9 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit.
p. 15.
9
du roi10 permettent ainsi au pouvoir royal
d'exercer un véritable contrôle de la pensée en tournant
les publications de presse à son profit11.
Il faudra fondamentalement attendre la révolution
française de 1789 pour apporter la première pierre à
l'édifice d'émancipation que constitue celui de l'histoire de la
presse. Pour la première fois sont consacrés les grands principes
de sa liberté, qui pendant toute la période du
XIXème siècle, vont servir de référents
aux revendications des journalistes du monde entier. Aujourd'hui encore,
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26
août 1789 reste la consécration la plus illustre de cette
liberté que constitue celle de la presse12. Aussi, dans le
même temps, alors que la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 se met à
proscrire toute forme de corporation, le décret d'Allarde du 17 mars
lui, supprime les entraves au fonctionnement des entreprises et à
l'exercice des professions parmi lesquelles figure celle de journaliste. Le
quatrième pouvoir est en marche.
Au cours du XIXème siècle, la presse
connait une incroyable expansion13. L'influence politique
considérable exercée par celle-ci sur les citoyens conduit les
gouvernements à chercher par tous moyens à freiner son
développement, en vain. Comme portés par la
frénésie de son essor, les journalistes, déterminés
à contourner les obstacles légaux érigés contre
elle, sont bel et bien résolus à réclamer encore davantage
de liberté. C'est ainsi que le 29 juillet 1881, après un
siècle de revendications, l'emblématique loi sur la
liberté de la presse est adoptée par la chambre des
députés à la quasi-unanimité. Cette loi, se
réclamant « d'affranchissement et de liberté
»14, s'ouvre par un premier article éminemment
libéral : « L'imprimerie et la librairie sont libres
». Le ton est donné. L'ancien régime préventif
reposant sur un système d'autorisation préalable laisse
désormais place au seul régime répressif. Le juge
n'intervient que postérieurement à la commission de l'une des
infractions inscrite dans la loi de 1881.
10 Le travail de censure, originairement
opéré par les membres de l'université de Paris, sera sous
Louis XIII, par un édit du 15 janvier 1629, confié à des
censeurs nommés par le chancelier. Ceux-ci ont pour rôle
d'examiner les livres préalablement à leur parution, le
privilège du roi n'étant délivré qu'après
leur autorisation.
11 Cette dépendance de la presse
vis-à-vis du pouvoir politique est parfaitement illustrée par la
célèbre boutade de Beaumarchais : « Pourvu que je ne
parle dans mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la
politique, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de
l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à
quelque chose, je puis tout imprimer librement sous l'inspection de deux ou
trois censeurs » (Beaumarchais, Le Barbier de
Séville, acte V, scène 3).
12 En effet, l'article 11 de la DDHC dispose que
« la libre communication de la pensée et des opinions est un
des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la loi
».
13 Entre 1800 et 1870, le nombre de tirages de
presse quotidienne a été multiplié par trente (P. Albert,
Histoire de la presse, PUF, Que sais-je ?, 11e éd.,
2009, p. 38).
14 E. Lisbonne, in H. Celliez et C. Le Senne,
Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de
rédaction avec observations et tables alphabétiques, Paris,
1882, p.5.
10
4. La loi du 29 juillet 1881, nous le verrons, prévoit
et réprime les abus de la liberté d'expression les plus graves
commis par voie de presse. Cela justifie d'ailleurs en partie son
caractère éminemment pénal. Celle-ci met en place un
régime procédural exorbitant du droit commun dont le
bien-fondé demeure l'objet d'inébranlables
déchaînements doctrinaux. De par l'effet démultiplicateur
qui s'attache aux publications de presse et la gravité des dommages
pouvant être causés à l'ordre public, le législateur
a jugé bon que les auteurs des abus les plus graves voient leur
responsabilité pénale engagée sur ce fondement. Toutefois,
en marge du texte spécial de 1881, ce dernier laisse libre cours aux
actions en responsabilité civile engagées pour des propos
simplement fautifs. Dès lors, chacun est libre d'invoquer l'article 1382
du Code civil dans les conditions du droit commun. La responsabilité
civile - pouvant se définir comme l'obligation mise à la charge
d'un responsable de réparer le dommage qu'il a causé à
autrui15 - sous réserve de la démonstration d'une
faute, d'un dommage et d'un lien de causalité, permettra ainsi à
toute personne s'estimant victime d'un abus de la liberté d'expression
d'obtenir réparation de son préjudice16.
Il apparaît en effet tout à fait normal, que
lorsqu'un abus est commis par voie de presse et « cause à
autrui un dommage »17, la victime s'efforce - et parfois
même se contente - par la voie judiciaire, non seulement d'obtenir la
cessation de la faute, mais aussi, la réparation de son
préjudice. Par le choix d'une telle action, fondée sur la
responsabilité civile de droit commun de l'article 1382, les victimes
furent d'ailleurs souvent tentées d'échapper aux obstacles de
procédure de la loi du 29 juillet 188118.
Face à ces tentatives d'immixtions du droit commun dans
le domaine de la presse - de plus en plus fréquentes vers la seconde
moitié du XXème siècle - une réaction
jurisprudentielle s'imposa. Nous l'étudierons avec attention dans notre
développement
15 P. Jourdain, Les principes de la
responsabilité civile, Dalloz, 7e éd., 2007, p.
1.
16 Il incombe dès maintenant d'apporter une
précision essentielle pour la suite de notre développement. Comme
nous le savons, la responsabilité civile peut être
délictuelle ou contractuelle. Elle est
contractuelle si le dommage causé résulte de
l'inexécution d'un contrat liant le responsable à la victime, et
délictuelle dans les autres cas. Bien que les hypothèses
de responsabilité contractuelle existent en matière de
presse (par exemple, l'hypothèse où l'auteur des propos -
journaliste-salarié d'une entreprise de presse comme c'est souvent le
cas - se trouve avoir manqué à son devoir de probité
envers son employeur par la rédaction d'un article calomnieux) celles-ci
sont infimes au regard des innombrables perspectives de mise en oeuvre de la
responsabilité civile délictuelle des organes de presse. En
effet, dans la grande majorité des cas, l'auteur des propos «
civilement fautifs » ne sera pas lié contractuellement à la
victime de l'abus de la liberté d'expression. C'est la raison pour
laquelle, nous nous contenterons, dans cette étude, de n'envisager la
responsabilité civile que sous son angle délictuel.
17 L'article 1382 du Code civil dispose en effet
que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le
réparer ».
18 E. Derieux, Droit de la communication,
LGDJ, 4e éd., 2003, p. 557.
11
pour comprendre au mieux la relation qu'entretient l'article
1382 du Code civil avec le texte spécial du 29 juillet
188119. Car il convient de mesurer le caractère
éminemment fondamental de ce débat. C'est tout l'équilibre
du droit de la presse qui entre ici en jeu.
Il y a d'une part, la loi du 29 juillet 1881, qui
réprimant les abus de la liberté d'expression les plus graves,
offre un véritable terrain d'épanouissement à la
liberté d'expression des journalistes. D'autre part, nous avons la
responsabilité civile de droit commun, qui en raison de son
universalisme et de son caractère d'ordre public20, permet
que toute faute, aussi légère soit-elle, suffise à engager
la responsabilité civile de son auteur, ce qui transposé à
l'activité médiatique, comporte le fort risque d'entraver la
liberté d'expression des médias21.
Dès lors, « la noblesse du texte
spécial peut-elle tolérer la concurrence de ce droit trop commun
» 22 et si oui - si tant est qu'en soit requises - sous quelles
conditions ? Il s'agira là d'une des problématiques majeures
à laquelle nous tenterons d'apporter une réponse.
19 Pour d'ores et déjà tenter de
percevoir en quoi les rapports de la loi sur la presse avec l'article 1382 du
Code civil sont encore plus étroits que pour d'autres régimes
spéciaux, raisonnons par analogie. Un régime spécial est
créé pour régler une « catégorie de litiges
». Par exemple, les articles 1386-1 et suivants règlent les litiges
relatifs aux produits défectueux, la loi du 9 avril 1898
règlemente ceux qui ont trait aux accidents du travail. Ainsi,
dès lors qu'une action correspond à l'une de ces deux
catégories, celle-ci ne peut qu'être fondée sur la base de
l'une ou l'autre de ces lois. La loi du 29 juillet 1881 elle, vise à
sanctionner les abus de la liberté d'expression commis par voie de
presse. Il s'agit donc de la « catégorie de litiges » dont
elle assure la réglementation. Or, sa mise en oeuvre - nous le verrons -
n'est pas subordonnée à la seule exigence d'un abus, car pour
qu'elle soit applicable, il faut nécessairement que les faits poursuivis
correspondent à l'une des incriminations prévues par le texte se
contentant de réprimer les abus les plus graves. Autrement dit, il peut
y avoir abus de la liberté d'expression commis par voie de presse, sans
pour autant qu'il y ait délit de presse. On mesure alors tout le
rôle perturbateur que joue l'article 1382.
20 Ces deux notions accompagnant le
mécanisme de la responsabilité civile délictuelle
sont capitales pour comprendre en quoi celle-ci est susceptible de
constituer une menace pour la pérennité du principe de
liberté d'expression. L'universalisme de la
responsabilité civile tout d'abord, découle de la portée
volontairement générale du principe mis en place par l'article
1382 du Code civil selon lequel nul ne peut nuire à autrui. Il s'agit
là d'un principe transversal de notre droit reflétant les valeurs
qui servent de fondement à notre société. Dès lors,
tout dommage causé à la suite d'un comportement nuisible se doit
de donner lieu à réparation ce qui nous amène au second
grand principe encadrant le régime de la responsabilité civile
délictuelle : l'ordre public. L'idée est ici de
dire que la réparation du préjudice causé par le
comportement fautif de son auteur - qui par ailleurs obéit au principe
de réparation intégrale (tout chef de préjudice
donne lieu à réparation et ce, dans son
intégralité) - ne peut supporter aucune forme
d'aménagement par les parties. Elle ne peut donc être
minimisée ou au contraire, majorée (Ph. le Tourneau, Droit de
la responsabilité et des contrats, Dalloz, 8e
éd., 2010, p. 21 et s.).
21 Cela est d'autant plus vrai, que nous
observerons qu'un certain nombre de facettes de la liberté d'expression
comportent par nature une dimension nuisible consubstantielle à leur
exercice, vision que semble corroborer la Cour européenne des droits de
l'homme depuis une trentaine d'années déjà. En effet, dans
les années soixante-dix, un arrêt retentissant de la Cour de
Strasbourg, aujourd'hui multi-consacré, fit valoir que la liberté
d'expression « vaut non seulement pour les informations ou
idées accueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la
population » (CEDH, Handyside c/ Royaume Uni, n°
5493/72, 7 décembre 1976, GACEDH n° 7).
21 E. Dreyer, « Disparition de la
responsabilité civile en matière de presse », Dalloz,
2006, p. 1137.
5.
12
En sus du régime général de
responsabilité découlant de l'article 1382 du Code civil,
l'accent devra être mis sur le développement d'une « autre
» responsabilité civile, à la portée moins
transversale, et s'arrogeant le monopole de la défense d'un certain
nombre de droits de la personnalité dont la consécration
légale doit beaucoup à l'évolution de la presse et de son
contenu.
On sait en effet que les articles 1382 et 1383 du Code civil
ont été le « creuset » où furent crées un
certain nombre de droits de la personnalité dont notamment, le droit au
respect de la vie privée, de la présomption d'innocence ou encore
le droit à l'image23. Depuis la fin des années
soixante, les atteintes portées à ce type d'attributs de la
personnalité constituent l'une des illustrations les plus
récurrentes de la mise en oeuvre de la responsabilité civile des
médias pour abus de la liberté d'expression. Cette explosion du
contentieux des droits de la personnalité s'explique principalement par
l'apparition d'une nouvelle forme de presse dite « à scandale
», se complaisant à multiplier les intrusions fortuites dans la vie
privée des gens, notamment par voie de photographies. Les tribunaux
civils se retrouvèrent donc vite confrontés à une nouvelle
vague d'actions en responsabilité, fondées sur les articles 9 et
9-1 du Code civil24, donnant à nouveau le sentiment d'une
mise à l'écart de la voie pénale au profit de celle
civile.
Là encore, comme pour l'article 1382 du Code civil,
l'instrumentalisation des actions en responsabilité civile aux fins de
contournement du texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, devait
inévitablement poser le problème de leur cantonnement
vis-à-vis de la loi du 29 juillet 1881. Nous tenterons donc d'analyser
les rapports entretenus par les « responsabilités civiles
spéciales » des articles 9 et 9-1 du Code civil avec la loi sur la
liberté de la presse, ainsi que les enjeux suscités par cette
question.
6. Enfin, notons que la présente étude s'axera
principalement autour du texte central que constitue la loi sur la
liberté de la presse du 29 juillet 1881. Certes, bien qu'originairement
prévue pour appréhender les seuls abus de la liberté
d'expression commis par voie de « presse écrite », nous
verrons que la plupart de ses dispositions25 ont été
transposées aux lois réglementant les nouveaux supports de presse
parmi lesquelles figurent
23 E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd.,
2011, p. 8.
24 Les articles 9 et 9-1 du Code civil sont les
dispositions servant de base légale aux actions visant à obtenir
la réparation d'atteintes portées à la vie privée,
à l'image (art. 9) et à la présomption d'innocence (art.
9-1).
25 Notamment celles qui nous intéressent ayant
trait à la mise en oeuvre de la responsabilité des
médias.
13
principalement, la loi du 29 juillet 1982, relative à
la communication audiovisuelle26, et la loi du 21 juin 2004,
concernant les activités de communication en ligne27. En ce
sens, le texte de 1881 - en dépit des nombreuses modifications
règlementaires et législatives survenues depuis sa
consécration - continue encore d'incarner le « noyau dur » de
la législation applicable en matière de presse. Il sera pour
cette raison au coeur de la réflexion portée sur ce sujet.
L'objet de notre développement consistera donc tout
d'abord en une analyse globale de cette suprématie controversée
que connait le texte spécial de la loi du 29 juillet 1881, face aux
perturbations générées par une responsabilité
civile de droit commun toujours en quête de nouveaux territoires. Il
s'agira alors de dresser un éventail essentiellement théorique
des aspects du conflit opposant ces textes, et de souligner leurs enjeux pour
la liberté de la presse (Partie I). Il nous restera ensuite à
explorer l'étendue de la place effectivement accordée par le juge
à la responsabilité civile au sein du contentieux de la presse.
Ce second volet de développement nous permettra ainsi de se faire une
idée relativement précise du rôle tenu par la
responsabilité pour faute, face à la liberté que constitue
celle de s'exprimer (Partie II).
26 Loi n82-652 du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle règlementant les stations de
radiodiffusion et de télévision.
27 Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance
dans l'économie numérique ayant essentiellement trait
à la presse en ligne diffusée via Internet.
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