Introduction
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
Les villes sont des moteurs de la croissance économique
et offrent les plus grandes chances d'avancement social et de
développement. Elles présentent aussi des taux très
élevés d'inégalité et de concentration de la
pauvreté. Les tendances globales actuelles d'urbanisation et de
globalisation n'impliquent rien de moins que l'urbanisation de la
pauvreté et de l'exclusion sociale.
Aujourd'hui, le danger qui nous guette est de prendre encore
plus de retard dans notre engagement pour arrêter la pauvreté. Le
temps est venu pour les gouvernements de passer d'une approche fondée
sur les besoins à une approche fondée sur les droits. Dans un
monde, rapidement urbanisé, une telle approche signifie que tous les
citoyens devraient bénéficier des opportunités que les
villes ont à offrir en termes de revenus, d'espace, de logement, d'eau,
d'éducation et de systèmes de santé, etc.
La reconnaissance de ces droits au niveau des politiques et
des législations nationales est primordiale pour conduire à un
changement fondamental dans notre approche du développement urbain
durable. Une approche fondée sur les droits pourrait engendrer la
volonté politique de répartition des ressources et placer les
besoins et les intérêts des groupes et des individus
vulnérables au même niveau que ceux qui sont mieux pourvus.
Au Maroc, l'urbanisation ne cesse d'être à
l'origine de dysfonctionnements de plus en plus nombreux et aigus. Face
à des processus d'urbanisation, complexes, les organismes publics qui se
sont préoccupés jusqu'à maintenant des seuls aspects
techniques de la dynamique urbaine, prennent conscience de l'importance
d'appréhender les problèmes urbains dans leurs dimensions
sociales.
La problématique sociale commence à être
prise en compte en tant que composante de taille de la politique urbaine.
Aussi, la maîtrise d'oeuvre sociale est elle
désormais une nécessité au Maroc.
Admettre que le développement urbain doive davantage
tenir compte des réalités sociales est une idée qui,
certes, peut emporter facilement l'adhésion morale, peut susciter des
engagements militants et générer des programmes aux intentions
généreuses.
Les droits humains sont devenus une préoccupation
planétaire, et le « droit au logement » un concept fondamental
des droits de l'homme.
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
7
Le Maroc a pendant longtemps eu des politiques urbaines
axées sur l'aspect technique de l'aménagement du territoire, mais
la prise en compte de l'élément logement en tant que composante
des droits humains a abouti a des tentatives de mise en place de politiques
urbaines sociales et d'une meilleure gouvernance sociale du logement.
Les villes ont beaucoup évolués au cours de ces
trente dernières années, et ceci est du à bon nombres de
facteurs tels que les formes d'habitat, les rapports de la population avec
l'espace, les techniques d'aménagements urbains et d'organisation
spatiale.
Les villes sont par conséquent devenues des lieux
d'innovation, d'expérimentation, mais également des espaces de
conflits, d'exclusion et de ségrégation.
Les grandes questions de la ville doivent être
gérées à travers des politiques publiques urbaines et une
action publique urbaine nouvelle.
La problématique majeure des villes est liée
à la cohésion et l'intégration sociale.
Comment établir une unité de la ville ? Comment
une ville peut elle devenir un espace de cohésion et
d'intégration urbaine et sociale ?
Et à travers quels mécanismes peut-on
répondre à une bonne intégration urbaine ?
L'action de l'Etat par rapport à ces problèmes,
n'est pas uniquement d'organiser des opérations ou des interventions au
niveau urbain mais également de mettre en place des mécanismes
d'intégration.
Le Maroc, pour répondre à ce besoin d'unité
et d'intégration, a mis en place des politiques urbaines qui se
traduisent par des programmes d'habitat et en l'occurrence le logement social.
Le développement des villes ne peut dépendre que d'une
cohésion sociale et d'un équilibre des quartiers pour
éviter toutes formes d'exclusion du champ formel de l'habitat. Et c'est
donc autour d'une politique urbaine favorisant le lien social et la
mixité sociale, et dans une optique de « bonne gouvernance »
que le développement social du territoire peut se concrétiser. 4
C'est dans ce sens que le gouvernement marocain tient à mener une
politique active de logement.
C'est précisément dans cette perspective que
s'inscrit le « plan d'action global » adopté par le
gouvernement marocain. 5
4 A.SEDJARI, (sous la direction) « Les politiques de la
ville : intégration urbaine et cohésion sociale », Edition
l'Harmattan-GRET 2006, p.455-475
5Le programme appréhende de façon
transversale les divers problèmes relatifs aux institutions, aux
procédures existantes ainsi qu'à la mise en oeuvre de solutions
concrètes au problème des bidonvilles.
Il prévoit également l'octroi d'avantages
fiscaux aux promoteurs immobiliers, la cession de terrains pour des prix
symboliques et la relance des projets. Ce programme découle clairement
du « Programme pour l'Habitat » adopté en 1996 à
Istanbul par les Nations Unies. Ce dernier pose la « bonne gouvernance
urbaine » comme étant une condition essentielle au
développement urbain et met l'accent sur le concept d'«
accès au logement ».
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
8
Le Maroc a accumulé une grande expérience en
matière d'intervention dans le logement en milieu urbain, aussi bien
dans la production de logements que de l'aménagement foncier dont une
partie est destinée à la résorption des bidonvilles.
Partant de ces préalables, on peut considérer
que la fin de la période du protectorat correspond, pour des raisons
multiples, à la première intervention massive et
coordonnée dans le secteur de l'habitat.
Ecochard introduisait le concept d'habitat pour le plus grand
nombre « celui qu'on doit réaliser en grande partie avec l'aide de
l'État et au moindre prix, rapidement, sans rien sacrifier de ce qui est
nécessaire à l'hygiène et au confort minimum des habitants
».
Ce qu'on retiendra de cette période c'est le
caractère interventionniste de l'État dans le logement,
l'implication financière et opérationnelle du secteur public, des
préoccupations de délai et de coût pour faire face à
la rapidité de la croissance, des réalisations importantes qui
ont façonné des secteurs entiers des périphéries
des grandes villes confrontées à l'extension des bidonvilles.
Mais au delà des réalisations physiques, qui
malgré leur importance, sont restées en deçà des
besoins, la réflexion menée dans le secteur de l'Habitat comme
dans celui de l'Urbanisme ou de l'Aménagement du Territoire a
marqué profondément les interventions ultérieures.
Ainsi la « trame Ecochard » 6 a servi de
modèle d'organisation de l'unité de bâti et des secteurs
urbains. Elle a longtemps constitué la référence, plus ou
moins explicite, des stratégies menées ultérieurement.
Au lendemain de l'indépendance, le Maroc était
confronté à plusieurs défis posés par la
rapidité de la croissance urbaine et l'insuffisance des ressources pour
faire face à l'ampleur des besoins.
L'exode rural important et la diffusion du fait urbain
à travers l'ensemble du territoire national vont caractériser les
deux décennies 60 et 70.
L'accélération de l'urbanisation pendant cette
période s'est accompagnée du développement de l'habitat
non réglementaire et des bidonvilles dans un contexte où
l'intervention de l'État dans l'urbain était relativement
limitée.
Aujourd'hui l'armature urbaine est consolidée, et
malgré le sous équipement en infrastructure enregistré,
elle présente suffisamment d'inertie pour résister aux
transformations à venir.
6 Une politique pour l'habitation des populations musulmanes,
fondée sur l'utilisation d'une «trame sanitaire»
surnommée «trame Écochard», qui permet la densification
et l'équipement progressifs des quartiers et la résorption des
bidonvilles.
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
9
Avec la transition démographique en perspective,
l'exode rurale qui se poursuit mais se diffuse de plus en plus dans l'armature
urbaine, les villes vont être moins confrontées à un afflux
important de population, mais l'enjeu se déplacera vers les
périphéries dont l'aménagement constituera le défi
de demain.
L'intégration urbaine au Maroc soulève de ce
fait des interrogations majeures.
Pour mieux comprendre, nous ferons, dans un chapitre
préliminaire, un état des lieux de la situation du logement
aujourd'hui en étudiant les origines des déséquilibres
urbains ainsi que certaines causes d'exclusion du logement.
Et c'est dans ce sens que nous tenterons d'apporter des
éclairages sur la ville en tant qu'espace d'intégration et les
problèmes de ségrégation et d'exclusion sociale qu'on y
trouve, avant d'étudier la problématique du logement comme un
élément de droits humains et de redynamisation du lien social
dans l'espace urbain.
Aussi et en prenant appui sur différents volets qui
touchent à l'intégration urbaine au Maroc, avons-nous jugé
qu'il était opportun, pour mieux cerner notre problématique,
d'analyser les outils et mécanismes mis en place pour faire face
à la problématique du logement (Première partie), et
démontrer à travers une analyse de la politique du logement
social, la portée réelle de cette stratégie
gouvernementale.
Ce qui nous permettra de présenter l'inscription du
logement dans le cadre d'une politique de la ville à travers
l'expérience de l'habitat social (Deuxième partie).
|