1.1.2.2. Revue empirique
Dans la littérature, il existe de nombreuses
études qui analysent la demande de produits pétroliers. Ces
études se différencient en fonction des modèles
appliqués et des données utilisées.
Premièrement, on peut distinguer les études
selon le type de données utilisées : données
désagrégées (microéconomiques) par rapport aux
données agrégées (macroéconomiques). L'utilisation
de données microéconomiques est relativement récente et a
évidemment l'avantage de se référer davantage au
comportement de l'individu ou du ménage. Par exemple, en utilisant des
enquêtes sur les dépenses des ménages aux États-Unis
et au Canada, Nicol (2003) parvient à inclure de nombreuses
caractéristiques dans la demande d'essence (telle que la participation
au marché du travail) et obtient des élasticités-prix de
l'essence pour six différents groupes de ménages (basés
sur la taille de la famille et le type de logement), ainsi que des estimations
de ces
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 9
élasticités pour différentes
régions des deux pays. D'autres études basées sur des
données individuelles analysent la relation entre les
caractéristiques du conducteur et la consommation (Rouwendal, 1996),
l'influence des caractéristiques de la voiture et de la
propriété de la voiture sur l'élasticité (Hensher
et al. 1992), ou la décomposition des changements de comportement
expliquant les élasticités (Eltony, 1993). Cependant, en raison
de contraintes sur les données disponibles (c'est le cas du
Bénin), la majorité des études sur la demande d'essence
utilise des données agrégées.
Les modèles économétriques peuvent
également se distinguer sur la base des données utilisées
: séries temporelles, en coupe transversale ou en panel. Les
données disponibles nous contraignent à utiliser des
modèles en séries temporelles, car nous n'avons pas de
statistiques disponibles au niveau départemental qui permettraient
l'utilisation de modèles de panel.
Il existe plusieurs études dans le domaine, comme par
exemple Blum et al. (1988), Dahl et Sterner (1991), Graham et Glaister (2002)
et Lipow (2008). Plus récemment, on a enregistré des
méta-analyses qui permettent de quantifier l'impact des
caractéristiques des différentes études existantes sur les
valeurs estimées des élasticités. Nous sommes au courant
de deux études qui utilisent la méta-analyse pour expliquer les
différences dans les valeurs des élasticités.
La première méta-analyse est celle d'Espey
(1998). L'auteur récolte de nombreuses études publiées
entre 1966 et 1997, couvrant une période allant de 1929 à 1993.
La méta-analyse est effectuée sur 277 estimations de
l'élasticité-prix de la demande de long terme et 363 estimations
de l'élasticité-prix de court terme. Les valeurs estimées
de l'élasticité-prix de la demande à long terme varient
entre 0 et -2,72, avec une moyenne de -0,58 et une médiane de -0,43.
L'élasticité-prix de court terme varie par contre entre 0 et
-1,36, avec une moyenne de -0,26 et une médiane de -0,23. L'auteur
effectue la méta-analyse également sur les
élasticités-revenu. Il a récolté 245 estimations de
l'élasticité-
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 10
revenu de long terme et 345 estimations de celle de court
terme. Les estimations de l'élasticité-revenu de long terme
varient entre 0,05 et 2,73, avec une moyenne de 0,88 et une médiane de
0,81. À court terme, les élasticités-revenu varient par
contre entre 0 et 2,91, avec une moyenne à 0,47 et une médiane
à 0,39. Nous remarquons que les élasticités-prix de la
demande de court et de long termes sont généralement plus faibles
(en valeur absolue) que les valeurs correspondantes des
élasticités-revenu, un résultat également mis en
évidence dans d'autres survols de la littérature (voir Dahl et
Sterner, 1991 ; Graham et Glaister, 2002).
La méta-analyse de Brons et al. (2008) est beaucoup
plus récente et se concentre uniquement sur l'explication des
différences entre les élasticités-prix. L'étude est
effectuée sur 312 élasticités estimées, provenant
de 43 études. Les élasticités-prix de court terme sont
comprises entre -1,36 et +0,37, tandis que celles de long terme se trouvent
entre -2,04 et -0,12. La valeur moyenne de l'élasticité-prix de
court terme est de -0,34, et elle peut être décomposée dans
les élasticités par rapport à l'inverse de l'efficience du
carburant (-0,14), aux kilomètres parcourus par voiture (-0,12) et au
nombre de voitures (-0,08). À long terme,
l'élasticité-prix de la demande moyenne est estimée
à -0,84, et elle peut aussi être décomposée dans les
élasticités par rapport à l'inverse de l'efficience du
carburant (-0,31), aux kilomètres parcourus par voiture (-0,29) et au
nombre de voitures (-0,24).
La méta-analyse de Brons et al. (2008) permet ensuite
de mettre en évidence les facteurs principaux expliquant les
différences dans les résultats des études sur
l'élasticité-prix de la demande d'essence. En particulier, les
auteurs trouvent que, toutes choses égales par ailleurs :
- la valeur de l'élasticité-prix de la demande
est plus faible aux USA, Canada et Australie que dans les autres pays de
l'OCDE. Dans ces trois pays, les consommateurs pourraient être moins
sensibles aux variations du prix de
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 11
l'essence, car le niveau de revenu y est relativement
élevé et les prix de l'essence relativement plus faibles que dans
les autres pays de l'OCDE.
- les études effectuées avec des données
plus récentes trouvent une élasticité-prix de la demande
d'essence plus élevée en valeur absolue. Ce résultat
pourrait impliquer que les consommateurs deviennent de plus en plus sensibles
aux variations du prix de l'essence. Le changement est cependant très
faible et est contredit par les résultats de Hughes, Knittel et Sperling
(2008).
- il n'y a pas de différence entre les
élasticités-prix de la demande mesurées entre le premier
et le deuxième choc pétrolier ou en dehors de cette
période. Ceci pourrait impliquer qu'il n'y a pas eu de changement
statistiquement significatif dans la demande d'essence après les chocs
pétroliers.
- l'élasticité-prix de la demande de long terme
est plus élevée que celle de court terme. Ce résultat est
compatible avec la théorie économique : avec le temps le
consommateur possède plus de moyens pour s'adapter aux changements de
prix, par exemple en achetant une voiture qui consomme moins.
- les études en coupe transversale donnent des valeurs
de l'élasticité-prix plus élevées que les
études réalisées sur des séries temporelles.
- les modèles non-linéaires n'engendrent pas de
différences dans les résultats obtenus par rapport aux
modèles linéaires. Les auteurs en déduisent que les
modèles log-linéaires sont adéquats pour modéliser
la demande d'essence.
Andrea Baranzini, et al. (2009) ont estimé
l'élasticité-prix de la demande d'essence en Suisse. Pour ce
faire, ils utilisent des données macroéconomiques sur les
quantités d'essence et de diesel au niveau de l'ensemble du pays et les
mettent en relation avec différentes variables censées avoir un
impact sur la consommation de ces carburants. Ils ont récolté des
données sur une longue période, allant de 1970 à 2008, sur
une base trimestrielle. Pour traiter ces séries temporelles, ils font
appel à la littérature la plus récente dans le domaine de
la demande d'essence qui utilise les techniques économétriques de
cointégration.
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 12
De leurs travaux, il ressort qu'en Suisse la consommation de
carburant et d'essence n'est pas très sensible aux variations de prix.
Plus précisément, l'élasticité-prix de la demande
est d'environ -0,3 à long terme, ce qui signifie qu'une augmentation du
prix de l'essence de 10% diminue sa quantité demandée d'environ
3%. À court terme, la demande est presque totalement inélastique
aux variations de prix, car elle est de -0,08 pour le carburant et -0,09 pour
l'essence. Ceci confirme la thèse selon laquelle
l'élasticité prix de la demande d'essence est très
faible.
Hughes et al (2008) sur des données mensuelles
américaines ont comparé les élasticités entre deux
sous-périodes (1975-1980 et 2001-2006). L'estimation est faite sur des
modèles statiques et dynamiques et a révélé des
élasticités-prix de la demande de carburant de court terme
inférieur à celle de long terme.
Small et Van Dender (2007), utilisant des données de
panel (Etat, années) ont également comparé
l'élasticité-prix entre une période et sous période
(19662004 et 2000-2004). Les estimations ont révélé des
élasticités-prix de court terme inférieures à
celles de long terme. Aussi ont-ils remarqué que des estimations sur des
données plus récentes donnent des élasticités-prix
plus petites. Ils sont donc arrivés à dire que les consommateurs
sont devenus de plus en plus insensibles aux variations du prix du
carburant.
Le Centre de Données et d'analyse sur les transports du
Canada a, en 2011, analysé la stabilité de
l'élasticité-prix et revenu dans le temps de la demande de
carburant des ménages canadiens. Les données utilisées
sont annuelles et concernent la consommation d'essence par tête, le prix
réel de l'essence, le revenu disponible par tête. Deux
sous-périodes sont retenues 19701989 et 1990-2009. L'estimation du
modèle dynamique lnGta = ao +
par les Moindres Carrés Ordinaires avec
i lnPt + ln t + £t+
£t
correction de white pour la variance, a
révélé une relation de cointégration entre les
variables consommation et prix de l'essence avec autocorrélation des
erreurs.
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 13
Alors, il est fait recours aux méthodes de
cointégration avec modèle de correction d'erreurs (MCE). Pour ce
faire, les auteurs ont testé dans un premier temps la
non-stationnarité des séries en niveau et l'ordre
d'intégration de celles-ci et ils estiment un modèle qui capture
les relations de long terme entre les variables et vérifient la relation
de cointégration
. Ils ont, pour finir, testé la stationnarité
des résidus du modèle à l'aide d'un test de racine
unitaire et estimé la dynamique de court terme avec un
MCE : .
Tableau 1 : Elasticités prix et revenu de la demande de
carburant des ménages canadiens.
Elasticités
|
1970-1989
|
1990-2009
|
CT
|
LT
|
CT
|
LT
|
Prix
|
-0,193***
(0,072)
|
-0,45**
(0,065)
|
-0,046
(0,035)
|
-0,085**
(0,033)
|
Revenu
|
0,209**
(0,105)
|
0,428***
(0,080)
|
0,169
(0,126)
|
0,423***
(0,065)
|
Elasticités
|
1970-1989
|
1990-2009
|
CT
|
LT
|
CT
|
LT
|
Trimestre 1
|
-0,029***
(0,008)
|
-0,095***
(0,023)
|
-0,022***
(0,008)
|
-0,057***
(0,008)
|
trimestre 2
|
0,178***
(0,017)
|
-0,004
(0,023)
|
0,104***
(0,013)
|
0,025***
(0,007)
|
trimestre 3
|
0,162
(0,105)
|
0,067
(0,105)
|
0,105
(0,105)
|
0,062
(0,105)
|
|
-0,082***
(0,037)
|
----
|
-0,369***
(0,094)
|
---
|
Constante
|
0,001
(0,003)
|
4,113***
(0,525)
|
0,001
(0,002)
|
2,406***
(0,455)
|
R2
|
0,958
|
0,638
|
0,939
|
0,84
|
Somme des résidus au carré
|
0,039
|
0,372
|
0,025
|
0,041
|
Durbin-Watson
|
2,084
|
0,132
|
1,945
|
0,826
|
Dickey-Fuller
|
-2,448**
|
-1,67*
|
-4,628***
|
-4,456***
|
Ecarts-types entre parenthèses ; *** statistiquement
significatif à 1%, ** à 5%, et * à 10%; Tests de
Dickey-Fuller: Tests effectués en excluant la constante
|
Source : GREEN-CDAT, université Laval
Concernant l'Afrique et plus spécifiquement le
Bénin, il existe peu d'études mesurant la demande d'essence. De
plus, ces études sont basées sur des données relativement
anciennes.
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 14
En île Maurice, l'élasticité marginale de
la demande d'essence à court et long terme a été
estimée respectivement à -0.21 et -0.44 (Sultan, R., 2010 :
« Short-Run and Long-RunElasticity of Gasoline Demand in Mauritius : An
ARDL Bonds Test Approach, » Journal of Energy Trends in Economics and
Management, 1 (2), pp. 90-95).
Olushègun et Dieudonné (2000) ont montré
à l'aide d'un modèle linéaire qu'une hausse des cours
mondiaux de pétrole de 1% entraîne un relèvement de
l'inflation de 1,71% l'année suivante. Se basant donc sur ce
résultat, les consommateurs verront donc leurs revenus relatifs
diminués, conséquence on observe une réduction de leur
consommation.
Au Bénin, il faut mentionner les travaux de Zepka
Laurent et Dossou Antonin. Cherchant à analyser l'évolution
quantitative des flux transfrontaliers bénino-nigérians, Zepka
Laurent et Dossou Antonin (1989), ont proposé un modèle pour
évaluer les flux d'hydrocarbures et principalement du carburant. Ils
sont partis de l'hypothèse selon laquelle le carburant utilisé au
Bénin provient exclusivement des importations d'hydrocarbures
assurées par la SONACOP et celles en provenance du Nigéria
commercialisées et distribuées clandestinement sur toute
l'étendue du territoire béninois. Pour l'analyse, deux
périodes ont été identifiées. La première
couvrant 1967-1979 caractérisée par une stabilité des
habitudes de consommation de carburant exclusivement satisfaite par une offre
officielle. La seconde période allant de 1980 à 1987
caractérisée par une profonde modification, due certainement
à l'intensification du marché parallèle de vente
d'essence. Le Principe est simple : une fois la demande globale connue, on
procède par déduction des ventes formelles pour avoir la
consommation informelle. Pour se faire, Zepka Laurent et Dossou Antonin (1989)
ont, dans la spécification du modèle, retenu comme variable
explicative le parc automobile immatriculé en circulation et la
consommation de carburant décalée d'un an. L'étude a
révélé par ailleurs que sur la période
considérée,
ANALYSE DE LA DEMANDE D'ESSENCE AU BENIN : EFFET DES
PRIX A COURT ET LONG TERMES Page 15
près de 34% en moyenne de la consommation a
été satisfaite par des flux clandestins provenant du Nigeria. On
assiste à une baisse de la part des ventes de la SONACOP dans les ventes
totales en 1982 et 1983, suivie d'une hausse vertigineuse. En effet, de 50 % en
1983, cette part est passée à 85 % en 1984 puis à 99 % en
1985. Cette importante modification s'explique par la fermeture des
frontières entre les deux pays, intervenue d'avril 1984 à
décembre 1985.
|
|