Création de valeur et évaluation de la performance financière( Télécharger le fichier original )par Fadoua BENABID Université Mohammed Premier - Oujda au Maroc - Licence en économie et gestion 2012 |
I.3- Valeur et théories organisationnellesIl n'est pas de notre propos ici de passer en revue toutes les théories qu'il est convenu de qualifier d'organisationnelles22(*), qualificatif qui renvoie à leur conception de la firme en tant qu'organisation hiérarchique et leur préoccupation d'intégrer, dans leurs explications, les comportements plausibles des agents au niveau des organisations et des marchés. Leur point commun est de constituer une conception contractuelle de la firme. Ces théories constituent, en fait, une démarche « positive » qui se distingue de la démarche normative de la théorie néoclassique traditionnelle, quoique celle-ci reste « au moins implicitement, comme référentiel » 23(*) pour ces théories. Dans cette vision contractuelle de la firme, La théorie de l'agence, complétée par la théorie des droits de propriété, constitue le cadre théorique justificatif du modèle de gouvernance fondé sur la valeur actionnariale. La firme y est considérée comme un « noeud » de contrats. A défaut d'expliquer l'origine de la valeur, l'approche contractuelle consiste à attribuer la source de la performance aux pratiques visant à éviter le gaspillage de la performance potentielle via notamment des méthodes de contrôle incitatives. La théorie des droits de propriété, qui constitue l'un des courants de cette vision de la firme, distingue trois attributs des droits de propriété : le droit d'utiliser un actif (usus), le droit d'en percevoir un revenu (fructus), le droit d'aliéner l'actif par cession notamment (abusus). Les deux derniers attributs ne pouvant être détenus que par les propriétaires, seul l'usus peut l'être par les dirigeants constituant le management de la firme. Ces droits de propriété fragmentaires sont, dans cette optique, source de conflit d'intérêts entre dirigeants et actionnaires. Partant de ce constat de conflits d'intérêts, tout en postulant une asymétrie d'information entre les parties prenantes, la théorie de l'agence avance qu'il existe des coûts d'agence en raison d'asymétrie d'information entre dirigeants et partenaires financiers (phénomène de sélection adverse) et en raison du comportement imprévisible et potentiellement opportuniste des parties prenantes (phénomène de l'aléa moral)24(*). Ainsi, La gestion des contrats entre la firme, conçue comme centre contractant, et ses partenaires financiers «doit se faire de façon à réduire au mieux les coûts d'agence, c'est-à-dire les pertes de valeur évaluées par rapport au benchmark théorique de l'économie du bien-être »25(*). Rappelons que cette théorie tient son nom de la relation d'agence qu'elle établit entre les contractants que sont les dirigeants et apporteurs de fonds au sein de la firme. Une relation d'agence est ainsi définie comme un contrat par lequel le (ou les) apporteurs de fonds engage(nt) les cadres dirigeants et leurs délèguent un certain pouvoir26(*) de décision au sein de l'entreprise. Il s'agit d'une relation mandants/mandataires ou principaux/agents. Les conflits d'intérêts et divergences de vues et d'actions sont donc censés caractériser cette relation d'agence, chaque partie cherchant à maximiser son intérêt au détriment de l'autre. Les coûts d'agence qui en résultent peuvent être, selon cette théorie, réduits grâce à une structure de financement optimale établie en fonction d'un arbitrage entre les coûts d'agence actionnaires/dirigeants et les coûts d'agence dirigeants/ créanciers27(*). Les dirigeants ne sont pas censés rechercher nécessairement la maximisation de la valeur actionnariale en raison de leurs fonctions d'utilité supposées différentes de celles des actionnaires. Dans ce sens, un nouvel éclairage sur la théorie de l'agence est apporté par l'approche du free cash flow développée par M.C. Jensen en 198628(*). Le free cash flow, ou flux de trésorerie disponible selon la traduction courante, est « le flux de trésorerie après impôts généré par l'actif économique »29(*). Il est calculé comme suit : Résultat économique après impôt théorique + Dotation aux amortissements et provisions - Besoin en fonds de roulement - Investissements de la période _________________________________________ = Free cash flow (ou Flux de Trésorerie disponible) Plus exactement, le free cash flow représente le cash flow « excédentaire » disponible au sein de l'entreprise, après que tous les projets à VAN positive ont été financés30(*). Le free cash flow est à disposition des dirigeants de la forme qui peuvent l'utiliser en investissement ou en distribution de dividendes. L'affectation du free cash flow constitue un élément central de la problématique des relations d'agence et de la création de la valeur actionnariale. Le free cash flow d'un niveau substantiel est considéré par M.C. Jensen comme source de conflits d'intérêts entre les actionnaires et les dirigeants dans les firmes à faible croissance. Il est ainsi supposé, dans cette approche par le free cash flow que, plus les flux « excédentaires » sont substantiels, plus les dirigeants - notamment des firmes à faible croissance - auraient un comportement donnant la priorité au « surinvestissement » au détriment de la distribution des dividendes. Ils seraient également tentés d'investir dans des activités qui ne sont pas susceptibles de maximiser la richesse des actionnaires et donc d'accroître la firme au-delà d'une taille optimale31(*). Il s'agit alors d'un risque qui va à l'encontre des intérêts des actionnaires et qui peut être annihilé ou réduit, selon cette approche, grâce à une structure de financement adaptée caractérisée par un taux d'endettement optimal32(*) et par une distribution de dividendes favorable aux actionnaires. Ainsi, la réduction du niveau du free cash flow à la disposition des dirigeants permettra de créer de la valeur actionnariale en limitant leur pouvoir discrétionnaire et en contrant le risque que comporte de leur part une affectation inefficiente de cette ressource qu'est le free cash flow et qui pourrait réduire la valeur globale de l'entreprise. « La maximisation de la valeur impliquerait au contraire une distribution des fonds discrétionnaires (free cash flow) aux actionnaires »33(*). * 22 Théories de l'agence, des coûts de transactions, du signal, des droits de propriétés. Pour une revue synthétique, cf. B. Coriat et O.Weinstein, les théories de la firme entre contrats et compétences, Université Paris 13, CEPN CNRS, 31 pages. Document disponible sur : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=REI_129_0057 Cf. également : Coriat B.et Weinstein O., Les nouvelles théories de l'entreprise, Le livre de poche, Librairie Générale Française, 1995. * 23 Charreaux G., L'approche économico-financière de l'investissement, Op. cit. Page 14. * 24 Pour plus de
développements concernant ces notions, cf. entre autres, Dionne G.,
Le risque moral et la sélection adverse : une revue critique de
la littérature, L'Actualité économique, vol. 57,
n° 2, 1981, p. 193-224. * 25 Charreaux G., Variation sur le thème : «A la recherche de nouvelles fondations pour la finance et la gouvernance d'entreprise », page 20, document disponible sur : http://leg.u-bourgogne.fr/rev/053068.pdf * 26 La théorie de l'agence considère que cette délégation du pouvoir de décision, à de multiples niveaux, se justifie par la « complexité organisationnelle » et la dispersion des connaissances, et plus particulièrement des « connaissances spécifiques », entre les individus. Le pouvoir de décision est délégué à ceux qui détiennent les connaissances spécifiques adéquates. Cf. Coriat B. et Weinstein O., les théories de la firme entre contrats et compétences, Op.cit. Page 9. * 27 Pour plus de développements sur ce point, cf. A. Trabelsi, les déterminants de la structure du capital et les particularités du financement dans les PME, thèse de doctorat, Paris-Dauphine, 2006, disponible sur : http://www.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/masters/crepa/pdf/theses/Structure%20de%20la%20dette%20et%20Financement%20des%20PME_Asma%20Trabelsi.pdf * 28 M.C. Jensen, Agency Costs of Free Cash Flow, Corporate Finance, and Takeovers, American Economic Review, vol. 76, n° 2, May 1986, p. 323-329, cité par : T. Poulain-Rehm, L'impact de l'affectation du free cash flow sur la création de valeur actionnariale, Revue Finance Contrôle Stratégie - Volume 8, n° 4, décembre, 2005, p. 205 - 238, disponible sur : http://leg.u-bourgogne.fr/rev/084238.pdf Rappelons que M.C. Jensen est l'un des auteurs à l'origine de la théorie de l'agence notamment dans l'article en collaboration avec W. Meckling, Theory of the firm : managerial behavior, agency costs and ownership structure, Journal of Financial Economics, pp 305-360, octobre 1976. * 29 P. Vernimmen, Finance d'entreprise, Dalloz, édition 2012, Op.cit. page 24. * 30 Poulain-Rehm T., L'impact de l'affectation du free cash flow sur la création de valeur actionnariale, Op.cit. page 206. * 31 Plusieurs raisons expliqueraient ce comportement des dirigeants : « d'une part, cela leur permet d'augmenter les ressources sous leur contrôle et, par répercussion, d'augmenter leur pouvoir discrétionnaire et leur prestige; d'autre part, cela leur permet d'accroître le niveau de leur rémunération personnelle, dans la mesure où les hausses de rémunération sont liées à celles du chiffre d'affaires et à la croissance de l'entreprise. Autant d'actions qui peuvent venir diminuer la valeur globale de la firme », T. Poulain-Rehm, L'impact de l'affectation du free cash flow sur la création de valeur actionnariale, Op.cit. Page 208. * 32 Jensen M.C. souligne le rôle majeur dévolu à l'endettement pour réduire le free cash flow, Cf. sur ce point, Trabelsi A., les déterminants de la structure du capital et les particularités du financement dans les PME, Op.cit. pages 18 et suivantes ainsi que T. Poulain-Rehm, L'impact de l'affectation du free cash flow sur la création de valeur actionnariale, Op.cit. Page 208. * 33 Poulain-Rehm T., L'impact de l'affectation du free cash flow sur la création de valeur actionnariale, Op.cit. Page 208. |
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