SECTION 2. NORMES DE PROTECTION INTERNATIONALE,
REGIONALE ET NATIONALE CONTRE LA TORTURE
L'interdiction de la torture, l'avions-nous dit, est une norme
impérative du droit international. C'est la raison pour laquelle au
niveau international et régional, il y a différentes normes de
protection contre la torture. Ces normes sont une référence pour
toutes les législations et réglementations nationales sur
l'interdiction de la torture.
Ainsi, il sera vu les normes de protection internationale
(§1), régionale (§2) et la loi n°11/008 du 09 juillet
2011 portant criminalisation de la torture en RDC comme norme de protection
nationale contre la torture (§3).
§1. Les normes de protection internationale contre la
torture
Dans la quasi majorité des instruments qui forment la
charte internationale des droits de l'homme, l'on retrouve l'interdiction de la
torture. La Charte internationale des droits de l'homme comprend la
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et ses Protocoles, le
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
de 1966, ainsi que certaines dispositions éparses de la charte des
nations unies (articles 2 §4 et 7 , 51, 55, 56).
Dans la DUDH, l'interdiction est énoncée
à l'Article 5 qui affirme : «Nul ne sera soumis à la torture
ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.». Il est à noter que celle-ci n'était
toute fois pas contraignante au moment de son adoption parce qu'adoptée
comme une revendication47.
47 Mais aujourd'hui on peut soutenir qu'elle a un
caractère contraignant du point de vue politique parce qu'elle est une
interprétation authentique de la charte des nations unies dans les
dispositions relatives aux droits de l'homme. Elle fait partie du droit
international coutumier parce qu'on ne la conteste plus. Elle est
acceptée. On recourt à elle. Sur un point de vue identique, lire
WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit, p.40
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Dans le PIDCP, l'interdiction est énoncée
à l'Article 7 qui reprend le même contenu que l'article 5 de la
DUDH. L'Article 4(2) du Pacte précise le caractère
non-dérogeable de l'Article 7, même dans « le cas où
un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation ». Il
résulte donc de la combinaison des Articles 7 et 4(2) qu'il y a
interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements au titre de ce
traité48.
Dans l'Observation générale n° 20, le
Comité des droits de l'homme a aussi souligné que:
«Le texte de l'article 7 du Pacte ne souffre d'aucune
limitation. Le Comité réaffirme que, même dans le cas d'un
danger public exceptionnel tel qu'envisagé à l'article 4 du
Pacte, aucune dérogation aux dispositions de l'article 7 n'est
autorisée et ses dispositions doivent rester en vigueur. (...) Aucune
raison, y compris l'ordre d'un supérieur hiérarchique ou d'une
autorité publique, ne saurait être invoquée en tant que
justification ou circonstance atténuante pour excuser une violation de
l'article 7.»49
En outre, le caractère absolu de l'interdiction est
consacré dans la Convention contre la torture. La Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
est un traité international relatif aux droits de l'homme visant
à éliminer la torture dans tous les pays du monde. Cette
Convention constitue la codification internationale la plus
détaillée des normes et des pratiques visant à
protéger les individus contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants50.
L'origine de la création de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
remonte au moment où l'on a reconnu à l'échelon
international l'existence et la valeur des droits de l'homme après les
horreurs de la deuxième guerre mondiale. Néanmoins, ce n'est
qu'en
48 WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit,
p.34
49 Observation générale n° 20
§ 3. Citée par WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit,
p.35
50 WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit,
p.50
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décembre 1973 qu'est née la réelle
impulsion d'un traité visant en particulier l'élimination de la
torture, lors de la première Conférence internationale sur la
torture organisée par Amnesty International51.
Un Protocole facultatif se rapportant à la Convention a
été adopté par l'Assemblée générale
des Nations Unies en 2002, et est entré en vigueur le 22 juin 2006.
Vingt États en étaient alors parties. Au 1er novembre 2006, il y
avait 28 États parties à ce Protocole (54 signataires). Il
établit des mécanismes de surveillance des lieux de
détention au sein des États parties au Protocole52.
La nature non-dérogeable de l'interdiction a
été uniformément réaffirmée par les organes
de surveillance des droits de l'homme, les cours des droits de l'homme, et les
tribunaux pénaux internationaux, y compris le Comité des droits
de l'homme, le Comité contre la torture, la Cour européenne des
droits de l'homme, la Commission et la Cour interaméricaines des Droits
de l'Homme, la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et le
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(«TPIY»)53.
Le fait que la torture soit à maintes reprises
interdite dans les droits de l'homme ne devrait pas occulter l'importance des
contributions relevant du droit international humanitaire qui ont
été apportées dans ce domaine au cours du
51 WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit,
p.50
52 Idem., p.51
53 Voir l'Observation générale
n° 20 § 3 (citée dans le texte ci-dessus); l'Observation
générale n° 29; Observations finales sur les
États-Unis, (2006) UN doc. CAT/C/USA/CO/2, § 14; See General
Comment 20 § 3 (cited in text above); General Comment 29; Concluding
Observations on the U.S.,
(2006) UN doc. CAT/C/USA/CO/2, § 14; l'examen du
Comité contre la torture des rapports suivant: la
Fédération de Russie, (2002) UN doc. CAT/C/CR/28/4, § 90,
l'Egypte, (2002) UN Doc. CAT/C/CR/ 29/4 A/57/54, § 40, et l'Espagne,
(2002) UN Doc. CAT/C/SR.530 A/58/44, § 59 ; les affaires
interaméricaines, par exemple Castillo-Petruzzi et al. c.
Perou, Séries C, No. 52, arrêt de la Cour
interaméricaine des droits de l'homme du 30 mai 1999, § 197;
Cantoral Benavides c. Perou, Séries C, No. 69, arrêt de
la Cour interaméricaine des droits de l'homme du 18 août 2000,
§ 96; Maritza Urrutia c. Guatemala, Séries C, No. 103,
arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l'homme du 27
novembre 2003, § 89; les arrêts de la Cour européenne des
Droits de l'Homme, par exemple: affaire Tomasi c. France, No.
12850/87, Cour européenne des Droits de l'Homme (17 août 1992):
affaire Aksoy c. Turquie, No. 21987/93, Cour européenne des
Droits de l'Homme (18 décembre 1996) et affaire Chahal c.
Royaume-Uni, No. 22414/93, Cour européenne des Droits de l'Homme
(15 novembre 1996); arrêts du TPIY, Cf. Procureur c. Furundzija,
TPIY Chambre de première instance, IT-95-171/1-T (10 décembre
1998) cités par WIJKSTRÖM Boris (Dir.), Op-cit, p.35
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siècle écoulé. Sans mentionner
explicitement la « torture », l'article 4 du Règlement
annexé aux Conventions de La Haye de 1899 et 1907 concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre stipule que les prisonniers de guerre doivent
être traités avec humanité, ce qui exclut clairement des
traitements inacceptables tels que le recours à la
torture54.
Dans le cadre des Conventions de Genève, le recours
à la torture et aux mauvais traitements constitue une infraction grave
au droit humanitaire durant les conflits armés internationaux. Et une
infraction à l'article 3, durant les conflits armés internes,
relevant de toute juridiction55. L'article 3 commun aux quatre
Conventions de Genève de 1949 inclut dans la liste des règles
minimales que doivent observer toutes les parties, même dans un conflit
armé non international, une interdiction concernant « (...) les
atteintes portées à la vie et à l'intégrité
corporelle, notamment (...) les mutilations, les traitements cruels, tortures
et supplices (...) ». De même, le Protocole II additionnel aux
Conventions de Genève prohibe « (...) les atteintes portées
à la vie, à la santé et au bien-être physique ou
mental des personnes, en particulier (...) les traitements cruels tels que la
torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles
»56.
En vertu de la IIIe Convention de Genève, les
États parties et leurs autorités sont tenus, lors de conflits
armés internationaux, de traiter les prisonniers de guerre en tout temps
avec humanité et de respecter leur personne en toutes
circonstances57. La IVe Convention interdit les actes de violence et
la torture contre les civils protégés en temps de
guerre58. Enfin, l'article 75 du Protocole I étend cette
interdiction à toutes les personnes se trouvant dans ce genre de
situation et
54 En ce qui concerne les civils, l'interdiction de
la torture peut être déduite des articles 44 et 46 notamment ;
voir KÄLIN Walter, Op-cit, p.1
55 Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie, Prosecutor v Tadic, IT-94-1-AR72, Appel du 02 oct.
1995.
56 Art. 4.2 a), Protocole additionnel aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la
protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole
II), du 8 juin 1977.
57 Art. 13 et 14 de la Convention de Genève
relative au traitement des prisonniers de guerre (IIIe Convention), du 12
août 1949.
58 Art. 27 et 32 de la Convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (IVe
Convention), du 12 août 1949.
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précise que « la torture sous toutes ses formes,
qu'elle soit physique ou mentale » est absolument
prohibée59.
Le Statut de Rome répertorie la torture et les mauvais
traitements dans son énumération des actes susceptibles de
constituer des crimes contre l'humanité60. De même, la
torture et les mauvais traitements sont également
considérés comme des crimes de guerre par le Statut de Rome de la
Cour Pénale Internationale, dans un conflit armé, qu'il soit
international ou non international61.
Au plan international, c'est dans deux textes essentiels de
l'Organisation des Nations Unies que se trouve énoncée la notion
juridique de torture, à savoir l'article premier de la
Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(résolution 3452 (XXX) de l'Assemblée générale, en
date du 9 décembre 1975) et le paragraphe 1 de l'article premier de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants (adoptée par l'Assemblée
générale dans sa résolution 39/46 en date du 10
décembre 1984) qui est ainsi conçu :
"... le terme 'torture' désigne tout acte par lequel
une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment
d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de
la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est
soupçonnée d'avoir
59 Art. 75.2 a.ii), du Protocole additionnel aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la
protection des victimes de conflits armés internationaux (Protocole I),
du 8 juin 1977.
60 Article 7, Crimes contre l'humanité : (k)
autre actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement
de grandes souffrances, ou des atteintes graves à
l'intégrité physique ou à la santé physique ou
mentale, Statut de Rome de la Cour pénale internationale, U.N. Doc.
A/CONF.183/9*
61 Article 8. Crimes de guerre :
a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12
août 1949, à savoir, l'un quelconque des actes ci-après
lorsqu'il vise des personnes ou des biens protégés par les
dispositions des Convention de Genève : ii) La torture ou les
traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ; (...) c)
En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère
national, violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de
Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes
ci-après commis à l'encontre de personnes qui ne participent pas
directement aux hostilités, y compris les membres de forces
armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont
été mises hors de combat par maladie, blessures, détention
ou par toute autre cause :
(a) Les atteintes à la vie et à
l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses
formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture ;
(b) Les atteintes à la dignité de la personne,
notamment les traitements humiliants et dégradants
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commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou
d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre
motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit,
lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un
agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant a titre officiel
ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite
...".
D'après ces textes, la notion internationale de torture
comporte trois éléments essentiels, à savoir : un
élément "matériel", un élément
"intentionnel" et l'élément de "l'agent ayant qualité pour
agir"62. Pour l'élément matériel,
La torture implique "une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou
mentales". C'est pourquoi il ne faut pas retenir "les autres actes constitutifs
de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas
des actes de torture telle qu'elle est définie à l'article
premier " (paragraphe 1 de l'article 16 de la Convention). A vrai dire,
d'après le paragraphe 2 de l'article premier de la Déclaration,
"la torture constitue une forme aggravée et
délibérée de peines ou de traitements cruels, inhumains ou
dégradants". Dans la pratique, il semblerait y avoir un certain flou
quant au degré de "douleur ou de souffrance" qui distinguerait "la
torture" des "autres traitements", en particulier quand les "souffrances
aiguës" alléguées sont davantage d'ordre "mental" que
"physique"63.
En ce qui concerne l'élément
intentionnel64, la torture est décrite comme
étant intentionnellement infligée à une personne "aux fins
notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des
aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est
soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression
sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne ou pour
tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle
soit ..." (par. 1 de l'article premier de la Convention).
62 Voir E/CN.4/1936/15 du 19 février 1986,
Op-cit, p.10
63 Idem, p.11
64 Ibid.
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La liste des motifs invoqués n'appelle aucune
explication et n'est pas exhaustive ("aux fins notamment de "); elle
étoffe par ailleurs celle figurant dans la Déclaration de 1975,
puisqu'il y est question en outre de "discrimination quelle qu'elle soit". Le
paragraphe 1 de l'article premier de la Convention exclut la douleur ou les
souffrances "résultant uniquement de sanctions légitimes,
inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles"
(dernière phrase). La dernière phrase du paragraphe 1 de
l'article premier de la Déclaration était identique mais se
terminait par les mots "... dans une mesure compatible avec l'Ensemble de
règles minima pour le traitement des détenus". Par
conséquent, les "sanctions légitimes" en droit national
(mutilations ou autres peines corporelles par exemple) peuvent ne pas
l'être en droit international, notamment au regard de la Convention, et
peuvent donc être considérées comme des formes de
torture.
Enfin, il faudrait rappeler que la définition
donnée de la torture au paragraphe 1 de l'article premier de la
Convention "... est sans préjudice de tout instrument international ou
de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de
portée plus large" (par. 2 de l'article premier de la Convention).
Relativement à l'élément de l'agent
ayant qualité pour agir65, le paragraphe 1 de l'article
premier de la Convention est ainsi conçu :
" Lorsqu'une telle douleur ou une telle souffrance sont
infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne
agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son
consentement exprès ou tacite". Là encore la Convention suit la
Déclaration de 1975, mais la développe en y ajoutant les
expressions "ou avec son consentement exprès ou tacite" et "ou toute
autre personne agissant à titre officiel". La responsabilité de
l'Etat est donc en jeu même lorsque les pouvoirs publics recourent aux
services de bandes privées ou de groupes paramilitaires pour infliger
des douleurs ou souffrances aiguës avec l'intention et dans les buts
déjà évoqués.
65 Voir E/CN.4/1936/15 du 19 février 1986,
Op-cit, p.12
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Cependant, les actes privés de brutalité (voire
même les tendances éventuellement sadiques de certains agents de
la sécurité) ne devraient pas entraîner la
responsabilité de l'Etat, puisqu'il s'agit habituellement d'infractions
pénales ordinaires qui tombent sous le coup du droit interne. Il n'en
reste pas moins que l'on pourrait voir dans la passivité des pouvoirs
publics à l'égard de coutumes largement acceptées dans un
certain nombre de pays (mutilations sexuelles et autres pratiques tribales
traditionnelles par exemple) "un consentement exprès ou tacite", surtout
si ces pratiques ne sont pas réprimées au même titre que
des infractions pénales en droit interne, parce que l'Etat
lui-même manque peut-être à son devoir de protection des
citoyens contre toute forme de torture.
De ce qui précède, l'on retiendra que la torture
est un sujet qui concerne à la fois les droits de l'homme et le droit
humanitaire, les deux ensembles de normes se renforçant mutuellement.
Les diverses dispositions relatives à la torture montrent bien que les
normes destinées à protéger les personnes renvoient
souvent aux mêmes notions qui sont à la base de systèmes
institutionnels différents66.
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