SECTION 2: QUELQUES CAS DE TORTURE EN REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO
En dépit de l'article 19 du décret-loi n°
017/2002 portant Code de conduite de l'agent public de l'Etat qui dispose que
celui-ci doit s'abstenir de menaces, injures, intimidations, harcèlement
sexuel ou moral et d'autres formes de violences et de la Circulaire du 16 mai
1970 du Procureur de la République interdisant aux officiers de police
judiciaire de recourir à la torture (circulaire n°07/008/In/PGR/70
du 16 mai 1970 émanant du Procureur Général de la
République et interdisant aux officiers de police judiciaire de recourir
à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants) 90, la torture est pratiquée de
manière récurrente en RD Congo.
Ces actes sont perpétrés par des
autorités militaires, services d'immigrations, de renseignements et des
forces de l'ordre (§1). Mais la question du traitement des auteurs d'actes
de torture en RDC nous intéressera aussi (§2).
§1. Cas émanant des autorités
militaires, services d'immigrations, de renseignements et des forces de
l'ordre
A. Cas émanant des autorités
militaires
1. Le 18 octobre 2004, M. Gauthier Lupembe91,
âgé de 26 ans, domicilié à
Bandundu/ Ville (chef - lieu de la province de Bandundu,
située à l'Ouest de la ville de Kinshasa) a été
appréhendé sous prétexte de recel des biens vendus par
M. Nasha Mapesa. Il a été conduit sur ordre du
lieutenant Kayembe au cachot
90 OMCT, Op-cit, p.52
91 Pour ce cas, lire OMCT, Op-cit,
pp.52-53
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du Bataillon mobile à Bandundu / Ville. Durant les
4jours passés au cachot, la victime a été constamment
menottée et chicotée. Ces coups ont causé des crampes
musculaires au niveau du bas-ventre de la victime qui a été
amenée à suivre un traitement, à ses frais au centre de
santé CBCO de Bandundu / Ville.
2. Le 8 mars 2005, Mlle Ginette Nzosa et M. Adrien Basabose,
respectivement journaliste et cameraman de la chaîne de
télévision privée Canal Congo Télévision
(CCTV) ont été interpellés et appréhendés au
quartier Brikin, dans la commune de Ngaliema à Kinshasa par les
militaires commis à la surveillance d'une concession qui appartiendrait
au Ministre de l'Environnement M. Anselme Enerunga ; la journaliste et son
caméraman faisaient un reportage sur un conflit parcellaire opposant le
ministre à plusieurs familles occupant ladite concession. Alors que Mlle
Ginette Nzosa réussit à s'échapper, M. Basabose est
copieusement passé à tabac par les militaires. Saisi des faits,
le Ministère des Droits Humains a promis d'enquêter. A ce jour
aucun suivi n'a été rendu public.
3. Le cas du journaliste Raymond KABALA92. Le
vendredi 19 juillet 2002 à 8 heures, alors que je lisais paisiblement
les journaux étalés au Rond-point Victoire, j'ai
été enlevé par deux militaires, embarqué sans
ménagement à bord d'une jeep et transporté à
l'ex-primature qui abrite le cabinet de Monsieur Mwenze Kongolo, Ministre de la
Sécurité nationale et de l'Ordre public. C'est là que je
me rends compte de l'identité de la personne qui a commandité cet
enlèvement : le Ministre de la Sécurité lui-même.
Dans ce haut lieu historique, en ce qu'il a abrité les bureaux du
Premier Ministre Lumumba, j'étais loin de penser un seul instant que
j'allais y passer les moments les plus effroyables de mon existence. En effet,
je suis jeté comme un malfrat dans une cellule exiguë, au point
qu'il est impossible de s'y tenir débout, j'ai du mal à trouver
la position la moins inconfortable. Un militaire a constamment son arme
braquée sur moi, me menaçant de m'abattre au moindre mouvement.
Il m'est en fait reproché d'avoir signé en date du 11 juillet
2002 un article publié dans le
92 Pour ce cas, lire OMCT, Op-cit,
pp.92-93
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journal Alerte Plus sur la santé du Ministre Mwenze
Kongolo ; j'y disais notamment que face aux rumeurs les plus folles sur la
santé du Ministre, l'opinion avait le droit qu'on l'informe clairement
à ce sujet car un homme public ne s'appartient plus ; qu'il n'y avait
point de honte à être malade ; que du reste, la communauté
internationale s'investit dans la lutte contre les maladies, comme par exemple
le Sida. Mes tortionnaires avaient interprété ce bout de phrase
comme une déclaration de ma part selon laquelle le Ministre Mwenze avait
le Sida.
Mes tortionnaires m'ont alors extrait de la cellule où
je me trouvais, m'ont baissé le pantalon, se sont emparés de mon
pénis et l'ont introduit dans un tube métallique troué
qu'ils appelaient « vagin » et m'ont forcé à faire des
mouvements de va et vient comme ceux qu'on fait lors d'un rapport sexuel.
D'ailleurs, un des tortionnaires me dira tout de go : « tu dois
éjaculer, comme cela on va prendre ton sperme pour en faire une analyse
médicale pour savoir si tu as le Sida, comme tu as injurié le
Ministre Mwenze d'en avoir ». Je sortais de cette humiliante séance
de torture avec mon sexe endolori et blessé à la suite du
frottement forcé avec ce « vagin » de métal.
Après un court répit, je suis brutalement réveillé
par mes tortionnaires à 2 heures du matin, je suis complètement
déshabillé et obligé de me rouler « comme un porc
», selon l'expression de mes tortionnaires dans la pelouse
préalablement et abondamment trempée d'eau. Mes tortionnaires ont
placé ma tête dans le trou d'une fosse sceptique me forçant
à inhaler l'odeur suffocante et nauséabonde des excréments
et ce, à plusieurs reprises. Par après, mes tortionnaires m'ont
bandé les yeux, ligotés les mains et amené au bord du
fleuve et ont menacé de m'exécuter si je ne citais pas les
sources et les personnalités politiques qui commanditeraient ces
articles. Tétanisé par la peur à l'idée d'une mort
atroce, abandonné à la merci de mes impitoyables tortionnaires,
traumatisé par la douleur consécutive aux séances de
torture répétées marquées notamment par des courses
et exercices forcés dans l'enceinte de la primature à la faveur
de la
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nuit, je citai à bout de force le nom de Delly
Bonsanga, Editeur du Journal Alerte Plus.
4. Monsieur SOKI APABO93 est un militaire des
forces Armées de la République Démocratique du Congo
« FARDC » revêtu du grade de capitaine, affecté à
l'unité Garde Républicaine où il exerçait les
fonctions de TIII. Il est actuellement en détention à la prison
militaire de Ndolo, à Kinshasa. A la suite d'une dispute entre sa
compagne et l'épouse de son voisin, il a été
arrêté sur décision du Major Arthur TIII de la Garde
Républicaine pendant qu'il répondait à l'invitation de
travail lui adressée par ce dernier.
Major Arthur TIII avait, pour contraindre sa victime à
accepter qu'il aurait dit que l'épouse du chef de l'Etat avait
logé à l'hôtel de sa famille à Mbandaka, soumis
l'intéressé à un traitement inhumain pendant plusieurs
jours. Les actes ci-après lui ont été administrés :
immobilisation pendant trois jours au corps de garde, détention dans le
bureau dudit major pendant dix jours, au cachot dans des conditions
hygiéniques très mauvaises, sans accès à la
lumière ni à l'électricité avec privation de la
nourriture et de la visite. Le magistrat instructeur de l'Auditorat Militaire
de garnison de Ngaliema qui l'avait auditionné et auprès de qui,
ces actes de torture ont été dénoncés, est
resté indifférent.
5. Monsieur MAPELA MBANGA94 Gérard est
congolais résident en Irlande. Arrivé à Kinshasa, le 13
novembre 2010 pour relancer ses activités commerciales, il sera
enlevé en date du 25 mai 2011 au quartier Petro Congo à Masina
chez sa nièce où il habitait, par les éléments de
l'ANR et de la PNC au motif qu'il aurait été recruté par
Honoré GBANDA, à partir de l'Europe en qualité d'ancien
garde du corps de KONGOLO MOBUTU et de SAVIMBI, pour participer à
l'attaque de la résidence du chef de l'Etat en date du 27 février
2011. Ce qui est faux.
Sur ordre de Monsieur KALEB de l'ANR, il est resté
menotté sur une chaise en plastique sans nourriture, cagoulé et
exposé au soleil pendant neuf jours.
93 Pour ce cas, lire ASADHO, Op-cit,
pp.7-8
94 ASADHO, Op-cit, p.8
95 Idem
96 ASADHO, Op-cit, p.9
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Ensuite, il a été placé à
proximité du feu qui sert à la préparation de la
nourriture pour les détenus. Enfin, il a été constamment
déplacé entre les différents services ci-après :
ANR, Camp PM, Etat major des forces terrestres, Ndolo, ANR,
régulièrement fouetté par le capitaine DEDE. Il a
été contraint de signer les procès-verbaux dont il n'avait
pas eu connaissance du contenu et ses deux véhicules ont
été confisqués par l'ANR.
6. Premier Sergent Major des FARDC, Monsieur KIBULA
LIMENGO95 Justin a été arrêté en date du
04 mars 2011 au quartier Bon marché, à Kinshasa, par les
éléments des forces terrestres de la 11ème
Région Militaire, de la Police Militaire et de la PNC, venus à
bord de sept jeeps de la PNC. Accompagné de Monsieur WANDILA, vielle
connaissance de l'intéressé, ces éléments ont
demandé à l'intéressé d'accepter qu'il venait de
Brazzaville et qu'il était organisateur de l'attaque du 27
février à la résidence du Président de la
République. Ceci pour qu'il puisse bénéficier d'un
traitement plus humain.
L'intéressé a révélé aux
enquêteurs de l'ASADHO qu'il a été soumis à un
interrogatoire sévère plusieurs fois aux heures tardives, entre
une heure et trois heures du matin, dans l'isolement. Plusieurs fois
tabassé à l'aide de grosse d'armes, il fut constamment
déplacé dans plusieurs lieux de détention au secret dont,
le cachot de l'ANR et celui de la Police Militaire, avant d'être conduit
à la Prison Centrale de Makala où il séjourne
actuellement.
7. Militaire des FARDC affecté à la base
logistique, revêtu du grade de sergent, Monsieur NZINGA
SONGODE96 a été arrêté en date du premier
mars 2011 au camp Kokolo, à Kinshasa, pendant qu'il répondait
à une invitation de service. Le motif de son arrestation est qu'il
serait complice des auteurs des événements du 27 février
2011. Il a déclaré avoir été victime des actes de
torture et de terreur au cachot du Camp P.M afin d'avouer qu'il était en
collaboration avec les insurgés du 27 mars 2011. Après la
disparition de certains détenus trouvés sur place, il a
été menacé de subir le même sort s'il n'avouait
pas.
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8. Officier des FARDC revêtu du grade de colonel, de
l'unité force navale, Monsieur LINDONGO97 a été
arrêté, en date du 09 juin 2011, à son domicile sis avenue
de la présidence, N°1, quartier des officiers au camp Kokolo, par
le lieutenant colonel NZANZITSA accompagné d'un groupe des militaires
sans mandat ni bulletin de service.
Ce lieutenant colonel l'obligera de s'assoir à
même le sol en plein jour soit à 11 heures devant ses enfants et
épouse, après qu'il ait ordonné aux éléments
qui l'accompagnaient de lui ravir ses téléphones. Après
l'avoir traité d'ennemi pour le fait qu'il est originaire de la province
de l'Equateur, il lui demandera de sortir l'arsenal militaire qu'il
détiendrait. Sans mandat de perquisition, ils vont procéder
à la fouille systématique de sa résidence.
N'ayant rien trouvé, ils vont l'embarquer pour l'amener
à sa deuxième résidence dans la commune de Lemba sur
avenue Biena, n°78/32. Ils y opéreront une fois en plein jour sans
aucun document officiel. Pour avoir réclamé, la fille de la
victime, répondant au nom de RAISSA a été menacée
de subir le viol.
Il sera conduit à l'ANR pour être
interrogé avant sa détention au cachot sous terrain du Camp
Tshatshi. En ce lieu, pour l'amener à avouer qu'il détenait les
armes et munitions de guerre, il sera sur ordre du Major Arthur,
complètement déshabillé devant ses codétenus. Il
est resté dans cet état pendant quatre jours, sans nourriture ni
eau. Transféré à la Demiap, il sera enfermé
hermétiquement dans une pièce, contraint de faire ses besoins
dans un récipient trouvé sur place et de respirer cette odeur
pendant plusieurs jours.
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