La littérature scientifique existante illustre le
double stigmate celui de la maladie et de la race. La drépanocytose
serait « une maladie de Noirs » ; il s'agit de l'un des
stéréotypes les plus fréquents au sujet de cette
affection. Pour comprendre
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l'origine de cette idée, il faut contextualiser
l'histoire de la découverte de la drépanocytose.
HERRICK(1910) découvre en 1910 aux Etats-Unis en
laboratoire la présence de globules rouges falciformes dans le sang d'un
malade antillais souffrant d'anémie chronique. Cette découverte
intervient à un moment où les caractères biologiques
commencent à prendre le relais des caractères anatomiques dans la
typologie humaine, avant la remise en question de la notion de race.
Néanmoins, les premiers dépistages du trait
drépanocytaire en Afrique ont été publiés à
partir des années quarante (40), soit à peu près un
demi-siècle après la première découverte aux
États-Unis tout ceci dans un contexte de la médecine coloniale
dont les axes de recherche se concentrent sur la « pathologie exotique
» qui n'intéresse que très peu de médecins de la
métropole (LEHMANN, H.1952).
LEHMANN (ibid.) propose l'interprétation
suivante aux résultats des dépistages au sein des
différentes populations : « le gène S
serait une caractéristique noire et le métissage avec
des non-africains expliquerait les zones de répartition plus faibles de
la maladie». Cette interprétation correspond bien à
l'idéologie dominante selon laquelle les « nègres »
seraient porteurs de tare dont le résultat serait la
dégénérescence de leur race et le métissage serait
dangereux pour les blancs.
Des études ultérieures montrant la
présence du gène «S» au Moyen Orient dans une
population arabo-juive et son absence en Afrique du sud chez «
d'authentique nègres » posent des problèmes politiques
aux blancs imposant l'apartheid car elles ne trouvent pas d'explications
raciales. Ce n'est qu'en 1964 que LIVINGSTONE, généticien
américain formule l'hypothèse selon laquelle les
hétérozygotes ont un avantage sélectif en milieu palustre,
ce qui permet de relativiser la question des origines de la maladie
limitée jusqu'alors à la question de la race noire, (LIVINGSTONE,
1964).
Au regard de ce qui précède, on peut dire que
la drépanocytose est une maladie à stéréotype,
stigmatisante d'une part et méconnue d'autre part, ce qui explique
les
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multiples ravages qu'elle engendre tant au sein de la race
noire qu'au sein de la race blanche.
Néanmoins, la drépanocytose représente
outre un fait biologique, un phénomène social qui est construit
par des acteurs sociaux entre autres, médecins,
généticiens, malades, etc. C'est en cela qu'elle est une
construction sociale et pour plusieurs raisons :
- D'abord, parce qu'elle est un support d'interprétation
et qu'elle détermine pour
les uns et les autres des différences de points de vue et
de lignes d'actions ;
- Ensuite, parce qu'elle révèle des
préjugés, des pratiques de solidarités ou de
discrimination, des stratégies de prise en charge et qu'elle engage le
malade dans des processus de socialisation ;
Pour BONNET, D., (2001), « la prise en charge de la
drépanocytose est récente et révèle une
stigmatisation, une culture du secret et un dysfonctionnement des
systèmes de santé ». Toutefois BONNET (ibid.)
explique les fondements socioculturels de cette culture. « La
stigmatisation des femmes jugées responsables de la transmission
à leurs enfants de la maladie, la peur en Afrique d'être un poids
financier pour le mari (achats fréquents de médicaments,
hospitalisation à répétition) et d'être
abandonnée pour cette raison, les craintes d'ostracisme des jeunes
drépanocytaires vis-à-vis de l'entourage scolaire et même
familial favorise l'idée selon laquelle la divulgation de cet
état de santé peut provoquer une situation nuisible à ses
intérêts ». Il faut dire ici que les catégorisations
identitaires ou les processus d' « étiquetage »
(GOFFMAN, 1973) dont les drépanocytaires sont victimes, pose la
question des origines des races, des cultures, du métissage,
etc. et tout ceux-ci influent
considérablement sur la prise en charge de la drépanocytose.
En effet, selon AMSELLE J.L (1985 :170) : «
l'ethnicisation des populations immigrées serait donc le produit d'une
conception raciologique de l'assimilation qui doit résulter soit de
l'absorption d'un groupe minoritaire par un groupe majoritaire, soit le
métissage par le recours du mariage (mixte, consanguins) ».
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Ainsi, l'ethnicisation dont l'auteur fait état ici
s'assimile au concept de culture et s'applique à des
réalités très diverses ; c'est d'ailleurs pourquoi IZARD,
M. (1991 :191) affirme que la culture est « un résultat
d'analyse et non une donnée ». L'approche ethnique est donc
tout à fait relative et dépend de la représentation des
marqueurs identitaires de chaque utilisateur du terme.