UNIVERSITE DE YAOUNDE I
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FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
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DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
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THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I
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FACULTY OF ARTS, LETTERS AND HUMAN SCIENCES
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DEPARTMENT OF PHILOSOPHY
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PENSER LA JUSTICE DANS LE MONDE,
UNE URGENCE RAWLSIENNE.
Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un
Diplôme d'Etudes Approfondies
(DEA) en Philosophie.
Option : Philosophie Morale et Politique.
Présenté par
BONG NKOT Eric Christian
Maîtrise en Philosophie.
Sous la direction de
Charles Romain MBELE
HDR de l'Université de Strasbourg,
Chargé de cours à l'Ecole Normale
Supérieure,
Université de Yaoundé I.
Année académique 2009-2010.
A Azé
REMERCIEMENTS
Pendant la réalisation de ce travail, nous avons
reçu de nombreux appuis. Nous voulons en citer quelques uns. Nous sommes
reconnaissant au professeur Charles Romain Mbele qui a supervisé ce
travail de la conception à la réalisation. Nous avons tiré
un immense profit des innombrables suggestions et critiques que nous avons
reçues. Nous sommes reconnaissant à Etienne Mulunde, à
Olivier Ntibiringuirwa. Nous avons une dette à l'égard de Mlle
Eléonore Ketcha, M. Francis Tchassem, M. John Ndah, Mme Annette
Mouangue, dont les relectures ont aidé à la réalisation du
manuscrit définitif.
Sans la bonne volonté de ces personnes, nous n'aurions
jamais pu terminer ce travail.
RESUME
Cette étude est une exploration analytique et critique
qui s'attaque au problème de la domination comme modalité de
justice sociale et internationale. Elle veut premièrement montrer que
l'éthicité d'une théorie de la justice et du droit doit
prendre pour critère la double exigence qui conditionne la
théorie de l'Etat-nation chez Rawls : l'autonomie doctrinale d'une
conception politique de la justice et l'autonomie complète des citoyens
d'une société démocratique. Cette hypothèse passe
par le refus du décisionnisme politique schmittien pour une
société plus ouverte, le refus de s'enliser dans le dualisme
monde sensible / monde intelligible de Kant pour une conception politique de la
justice, le refus de lire la justice sociale en termes d'efficacité
économique comme le fait l'utilitarisme pour une meilleure
défense de la liberté citoyenne et de l'égalité.
Deuxièmement cette étude essaye de montrer comment la
catégorie d'autonomie peut se conjuguer en termes de relations
internationales. Dans ce cas le libéralisme politique rawlsien
soulève des perspectives intéressantes pour une critique de la
théorie de l'identité postnationale et ses conséquences.
Notamment celle qui se manifeste par la désunion de la
référence politique et de l'appartenance culturelle.
Troisièmement cette étude soutient la possibilité de
penser la politique autrement à travers l'élucidation des
conditions pouvant enclencher l'effectuation d'une promesse de vie meilleure
à travers la coopération sociale. Ce qui conduit à poser
deux thèses :
1-On ne peut parler de justice sociale sans la reconnaissance
du droit à une vie meilleure pour tous, en particulier pour les
personnes les plus défavorisées.
2-On ne peut parler de justice cosmopolitique sans la
reconnaissance du droit des peuples à un développement
égal et à une infrastructure adaptée à leurs
besoins.
ABSTRACT
This study is an analytical and critical exploration
addressing the issue of dominion as social and international justice modality.
Firstly, it aims to show that the ethicity of a theory of justice or law must
have as criteria the double constraint which is the basis of Rawls's
Nation-state theory: the doctrinal autonomy of a political conception of
justice and the entire autonomy of citizens of a democratic society. This
hypothesis considers the refusal of Schmitt's political decisionism for a more
open society, the refusal to involve in a dualism tangible world / intelligible
world of Kant for a political conception of justice, the refusal to interprete
social justice in terms of economic efficiency as Utilitarism for a better
defence of freedom and equality of citizens. Secondly, this study attempts to
show how the category of autonomy can be seen in terms of international
relations. In this case Rawls's political liberalism rises interesting
perspectives for a critical study of the postnational identity theory and its
consequences. Especially, the one manifest by the separation between political
reference and cultural belonging. Thirdly, this study backs the possibility to
consider politics differently through the elucidation of conditions which
engage the effectiveness of insurance for a better life trough social
cooperation. This leads to two theses: 1- we cannot talk of social justice
without the consideration of the right for a better life, in particular for the
poorest. 2- We cannot talk of cosmopolitan justice without the consideration of
people's right to an equal development and to infrastructures adapted to their
needs.
INTRODUCTION GENERALE
La justice élève une nation, mais
l'iniquité est la honte des peuples.
I-
Présentation du travail
Notre intérêt pour la question de la justice dans
la pensée de John Rawls s'inscrit dans un projet de recherche plus
général : comprendre la défense des rapports
inégaux comme point crucial de la philosophie politique. Du moins telle
semble être l'orientation qui en ressort depuis Platon. Cette question
traverse le texte de La République dans son ensemble. Ici,
Platon discute deux principales conceptions de la justice. La première,
celle qu'il approuve, pose une conception hiérarchique de la notion de
justice selon laquelle une organisation sociale juste est celle qui est
calquée sur le modèle de l'âme humaine1(*). L'autre conception à
laquelle il s'oppose, soulève l'idée que la justice est la
quête de prudence rationnelle dans un contexte où la
coopération sociale est la condition de l'autoréalisation
individuelle. Ainsi, la question de l'essence de la justice d'abord
posée dans les écrits du philosophe athénien, surgit
inévitablement en politique lorsque les participants à la
coopération sociale commencent à s'intéresser aux
principes qui gouvernent leur mode de vie. Aussi dans le monde actuel, il n'est
plus étrange de voir la justice établie comme fondement de
l'ordre social, idéal dont se revendique toute politique humaine.
Plus spécifiquement dans ce travail, nous avons choisi
de nous attaquer au problème de la domination comme modalité de
justice sociale et internationale, en lui substituant l'alternative du respect
et de l'égalité. Le climat social de notre monde est
influencé par une certaine vague idéologique qui tente d'extraire
de l'action politique, les considérations prescriptives du droit et de
la morale pour la fonder sur l'efficacité économique et la
performance individuelle. Les idées qui sont la cause la plus profonde
de cette définition des rapports sociaux découlent d'une
théorie de l'hétéronomie des valeurs sociales qui a
profondément influencé leurs dispositions communes, à
savoir les doctrines téléologiques classiques
élaborées principalement en Angleterre, à la fin du XVIIIe
et au début du XIXe siècle. Ceux qui, en s'y ralliant, croient
trouver des arguments pour organiser le monde, ne doivent pas ignorer que le
corpus philosophique qui constitue les doctrines téléologiques
élabore dans son ensembles une conception métaphysique de
l'individu, faisant de ce dernier la source ultime des revendications
légitimes.
La relation de ce système avec le problème de
la domination cité plus haut saute aux yeux, lorsqu'on considère
le type de rapport au monde que définit la glorification de
l'efficacité économique et la sublimation de la performance
individuelle. Que se soit au niveau national ou international, l'interaction
humaine est marquée du sceau de la répression de l'oppression, de
la discrimination, qui sont autant de formes de l'injustice. Etat des choses
qui nous oblige à repenser le fondement des sociétés
actuelles et le type de rapport qui les gouverne, dans le but d'assouplir les
formes coercitives de cette rationalité de la domination. Il convient
dès lors, pour parvenir à une véritable analyse du
problème de la justice dans le monde, de dépasser l'ancien
modèle marxiste qui réduisait la critique sociale à la
critique de l'économie politique. Nous nous intéresserons
à toutes les nouvelles formes de légitimation de la domination,
pour penser les fondements philosophiques nécessaires à la
création d'un espace démocratique fondé sur la justice
politique.
Pour ce faire, nous situerons notre analyse dans un cadre
théorique bien particulier : la théorie de la
justice comme équité du philosophe américain John
Rawls, sous l'angle et à l'aide d'une notion : la justice. Comment
et à quelles conditions la catégorie philosophique de justice
peut aider à penser l'interaction humaine sous un autre mode que la
domination ? Tel est le prétexte de la présente
réflexion.
D'abord pourquoi la notion de justice ? Il est d'un
intérêt majeur de mettre en perspective la période
historique qui fonde la défense des valeurs démocratiques dont se
réclament les sociétés actuelles, puisque l'idée de
justice est au coeur même de la conception démocratique de la
société. Les théories sociales qui
émergèrent après la deuxième guerre mondiale
constituent un effort pour réorganiser politiquement l'ensemble des
peuples autour d'un impératif pratique dont le mot d'ordre est la lutte
contre la mort de l'espèce humaine et pour la survie de
l'humanité. Que se soit en Occident ou sous les Tropiques, la
démocratie est devenue après 1945, l'objet d'une vaste
interrogation ouvrant la perspective d'une déconstruction plus radicale
de ses principes. En Europe, le défi posé à la
philosophie était de prouver que la démocratie pouvait encore
apporter une contribution efficace à la prise en charge de ce nouvel
impératif que le totalitarisme nazi a imposé à
l'humanité : « penser et agir en sorte que
Auschwitz ne se répète pas, que rien de semblable
n'arrive2(*). »
En Afrique, l'impératif philosophique s'est
fondé sur une double approche. D'abord les revendications
d'indépendance étaient fondées sur une analyse des
traditions devant fournir la preuve que les Africains sont capables de se
forger un destin historique. Après les indépendances, il fallait
trouver une « philosophie du
développement » capable de conduire les nouveaux
Etats indépendants à la souveraineté, au bonheur et
à l'émancipation des populations. Ce commentaire d'Alain Renaut
nous instruit d'avantage :
La prise de conscience progressive de ce qui
n'apparaissait à Adorno que comme « la barbarie administrative
de l'Est » et, plus généralement la découverte
de tout ce dont l'humanité est capable « au nom du droit
démocratique des hommes à disposer de ceux qui leur
ressemblent » ne put que rendre plus redoutable encore
l'interrogation : comment philosopher et notamment comment philosopher sur
les chances de la démocratie et de ses valeurs, après les
totalitarismes de l'Ouest et de l'Est et après la colonisation3(*).
Dans ce contexte, un thème émerge autour
duquel des théories s'affrontent, du moins dans le monde
anglo-saxon : la protection de droits individuels. Ici, on cherche
à savoir si une fois les principes du libéralisme politique
posés, on peut aisément parvenir à une résolution
des problèmes relatifs à l'allocation et à la
redistribution des richesses économiques, sociales, symboliques, que
pose une organisation sociale ayant pour principe la protection et
l'affirmation des droits individuels. John Rawls est une figure incontournable
dans cette interprétation du libéralisme. En intégrant
dans la tradition libérale l'héritage de Marx et de Weber, il a
su poser la nécessité pour le libéralisme politique de
compléter sa conception de la justice sociale par l'articulation d'un
principe de différence et de juste égalité des chances au
traditionnel principe de l'égalité des droits.
Le thème de la justice est envisagé dans la
pensée de John Rawls dans le sens d'une assignation impartiale des
droits. Le plus important ici n'est pas de parvenir à une doctrine de la
justice qui serait une solution miracle applicable à n'importe qu'el
type de société. Ce qui intéresse Rawls, c'est le
fondement qui convient le mieux à une société
démocratique. En d'autres termes, il est question pour le philosophe
américain de parvenir à une conception de la vie politique
où les exigences démocratiques de liberté et
d'égalité se concilient. C'est pour cette raison que la justice
est érigée en « première vertu des institutions
sociales »4(*)
dont le centre d'intérêt est la structure de base de la
société.
Pour nous, écrit-il, l'objet premier de la justice,
c'est la structure de base de la société, ou plus exactement la
façon dont les institutions sociales les plus importantes
répartissent les droits et devoirs fondamentaux et déterminent la
répartition des avantages tirés de la coopération
sociale.5(*)
Ces institutions sociales les plus importantes se divisent en
deux groupes, définissant ainsi le binôme social de Rawls. Le
premier groupe des institutions sociales, fondé sur le traditionnel
principe d'égalité des droits, définit la constitution
politique d'une société démocratique. Le second groupe,
fondé sur un principe de différence et d'égalité
des chances, définit les conditions de l'égalité
démocratique dans une société pluraliste.
Cette bipolarisation des institutions fondamentales de la
société traduit le désir pour Rawls de donner une nouvelle
approche de la justice distributive. Approche convenable aux
sociétés contemporaines, traversées par le fait du
pluralisme et son corollaire d'inégalités. Pour atteindre cet
objectif, le philosophe américain recourt à une fiction
théorique qui place les individus dans une situation idéale de
choix pour les meilleurs principes de justice sociale acceptables pour tous, en
particulier pour les membres de la société les plus
défavorisés. C'est la « position originelle »
dans laquelle les individus ignorent les conditions du monde dans lequel ils
vont vivre une fois le contrat passé, et la place qu'ils y
occuperont : ils sont derrière un « voile
d'ignorance ». Dans ces conditions particulières, l'individu
va rationnellement et raisonnablement choisir un système lui
garantissant les meilleures conditions possibles de justice pour
lui-même, mais compatibles avec celles des autres membres de la
société. Ces meilleures conditions possibles de justice, Rawls
les définit sous la forme de deux principes fondamentaux : le
principe de libertés égales et le principe de différence
et d'égalité des chances. Voici la formulation que donne
Rawls :
Premier principe :
Chaque personne doit avoir un droit égal au
système total le plus étendu de libertés de base
égales pour tous, compatible avec un même système pour
tous.
Second principe :
Les inégalités économiques et
sociales doivent être telles qu'elles soient : a) Au plus grand
bénéfice des plus désavantagés, dans les limites
d'un juste principe d'épargne et b) attachées à des
fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément
au principe de la juste (fair) égalité des
chances.6(*)
Mais aussi élégants et formels que puissent
être ces principes, ils doivent se comprendre en fonction d'une
hiérarchisation (règle de priorité) qui conditionne la
théorie rawlsienne de la justice. Cette hiérarchisation stipule
que ces principes fondamentaux de justice sociale s'organisent selon un ordre
qui exige la satisfaction prioritaire du premier principe avant de passer au
second. Puis la satisfaction du second avant le troisième, et ainsi de
suite. C'est ce que Rawls appelle un ordre « sériel ou
lexical »7(*). Cet
ordre lexical consacre deux règles de priorité. La
première règle pose la priorité de la justice politique
sur la justice économique. Le principe politique d'égale
liberté pour tous doit obtenir une pleine satisfaction dans
l'organisation sociale, avant de songer à l'application du second
principe. C'est dire que chez Rawls, la liberté possède une
valeur absolue. Une conception existentialiste du sujet politique qui
découvre son essence dans la liberté. De même que
l'existentialisme sartrien pose la fin de la liberté par le commencement
de la liberté, l'ordre lexical rawlsien pose comme condition de limite
d'une liberté, le gain d'une autre liberté plus importante. Deux
cas sont envisageables à cet effet :
Une réduction de liberté doit renforcer le
système total de libertés partagé par tous ; une
inégalité de liberté doit être acceptable pour ceux
qui ont une liberté moindre.8(*)
Bref, l'ordre lexical, dans sa première
priorité, détermine les conditions de possibilité d'une
restriction de liberté. Elle n'est acceptable qu'au cas où elle
assure le gain d'une plus grande liberté pour tous, ou si elle est
volontairement consentie par ceux qui la subissent. Ainsi l'utilitarisme qui
fonde la violation des libertés citoyennes de base sur un gain important
des avantages socio-économiques est exclu de l'organisation sociale.
On ne peut pas refuser à certains groupes sociaux
les libertés politiques égales pour tous sous prétexte que
s'ils les exerçaient, cela permettrait de bloquer des politiques
essentielles à l'efficacité et à la croissance
économique.9(*)
L'ordre sériel pose ensuite la priorité du juste
sur le bien. Cette règle de priorité demande la subordination
lexicale du volet (b) du second principe d'efficacité économique,
à la maximisation de la somme totale des avantages. Elle suppose aussi
la juste égalité des chances comme antérieure au volet (a)
du second principe. Deux cas sont encore envisageables :
Une inégalité des chances doit
améliorer les chances de ceux qui en ont le moins ; un taux
d'épargne particulièrement élevé doit, au total,
alléger la charge de ceux qui ont à le supporter.10(*)
En somme, l'ordre lexical est une forme d'organisation qui
permet à Rawls d'établir une relation d'ordre entre les deux
principes de justice, et plus loin entre le juste et le bien. La
priorité du juste sur le bien détermine une lecture politique de
la justice qui s'oppose à l'utilitarisme. Un concept apparaît pour
légitimer cette opposition : l'autonomie.
Rawls définit sa conception politique de la justice en
rapport à l'idée kantienne de l'autonomie. C'est la distinction
kantienne entre l'autonomie de la raison et son hétéronomie, qui
fonde l'opposition entre politique et métaphysique chez Rawls. Revenant
sur le principe d'égale liberté pour tous, il déclare
« (...) qu'il y a une interprétation kantienne de la conception de
la justice dont ce principe dérive. Cette interprétation est
basée sur la conception kantienne d'autonomie. »11(*)
Le moment de l'autonomie, c'est-à-dire l'idée
que la volonté de chaque être raisonnable peut être
conçue comme volonté législatrice universelle, se
présente comme solution à l'opposition entre le monde sensible et
le monde intelligible chez Kant. Ainsi, l'autonomie n'est pas une valeur parmi
tant d'autres. Elle est le principe sur lequel John Rawls veut fonder
l'indépendance de la raison humaine par rapport à
l'autorité et à la transcendance, dans un contexte
démocratique. Catherine Audard le note avec conviction :
La politique chez Rawls doit être conçue
comme un pur pouvoir pratique, autonome par rapport à la raison pure
théorique, c'est-à-dire la faculté cognitive. Elle ne peut
être simple application prédéterminée et
« compréhensive » du bien.12(*)
Cette lecture d'une conception politique de la justice est
poursuivie dans Libéralisme politique, ouvrage dans lequel
Rawls se propose un remaniement des thèses développées
dans Théorie de la justice. La justice y est
appréhendée, non pas en rapport avec une conception
métaphysique du bien, mais comme un instrument de stabilité
politique et de cohérence sociale, pacifiant les sociétés
démocratiques dans leurs conflits internes. La justice fournit une plate
forme commune pour la stabilité et la cohérence sociale, dans un
contexte de désaccord fondamental entre les conceptions religieuses,
morales, métaphysiques, auxquelles adhèrent les citoyens d'une
démocratie constitutionnelle. Ce commentaire de Catherine Audard est
assez instructif :
La théorie de la justice comme équité
chercherait à réconcilier ou à pacifier les
sociétés pluralistes en présentant les principes de
justice auxquels les citoyens doivent se soumettre comme étant purement
« politiques », c'est-à-dire ne mettant pas en
question leurs croyances personnelles. Ces principes n'ayant aucune
prétention à la vérité ne pourraient être en
concurrence avec la foi religieuse, les options morales et les appartenances
philosophiques des citoyens.13(*)
Ces clarifications nous permettent de saisir l'autonomie
comme principe à partir duquel Rawls légitime les pratiques et
les institutions politiques. Deux conditions fondent cette légitimation.
Premièrement, pour être légitimes, les institutions
politiques doivent assurer l'autonomie complète des citoyens. A cet
effet, Rawls considère les principes premiers de justice comme des
impératifs catégoriques au sens kantien du terme.14(*) La deuxième condition
pose que l'expression de cette autonomie doit se faire dans des conditions qui
excluent l'injustice ; des conditions elles-mêmes justes donneront,
selon Rawls, des résultats justes. Ainsi la catégorie d'autonomie
plonge la théorie rawlsienne de la justice sociale dans une ambivalence
se jouant entre l'autonomie doctrinale d'une théorie politique de la
justice, et l'autonomie complète des citoyens d'une
démocratie.
II- Problématique
Le problème qui oriente cette réflexion est
celui des conditions de possibilité de l'autonomie politique dans le
contexte de globalisation. Il serait peut-être naïf de poser ce
problème dans un monde global où le réalisme politique
considère l'utilité comme principe fondamental de toute politique
de reconnaissance. Ici, soit on proclame l'impossibilité de fonder la
conduite des affaires politiques sur des normes éthiques, soit on
réduit la politique à la quête de l'efficacité
économique. Etat de choses qui nous obligent à justifier pourquoi
au-delà de ces égarements, il est encore nécessaire de
poser aujourd'hui la question de l'autonomie dans le monde.
A quelle(s) condition(s) aujourd'hui une redéfinition
de la politique peut-elle affirmer l'autonomie des institutions sociales, afin
qu'elles puissent promouvoir l'autodétermination des peuples ?
Quelles sont les conditions de possibilité d'une émancipation du
vécu politique des carcans de l'injustice ?
Ainsi posée, notre question requiert pour son
traitement une catégorie jouant le rôle de support
théorique, et un cadre épistémologique à
l'intérieur duquel les articulations de cette catégorie se
déploient. La catégorie qui nous conduira à la mise en
perspective du discours et de la pratique institutionnelle de la justice est
l'autonomie rationnelle. Le cadre théorique structurateur étant
la théorie de la justice comme équité de John Rawls. La
problématique se précise dès lors en ces termes :
l'autonomie rationnelle peut-elle aider à la déconstruction,
mieux à la refondation des systèmes de répression par
lesquels l'idéologie capitaliste néolibérale conditionne
la justice cosmopolitique (Banque mondiale, F.M.I, et autres organismes
internationales)? Si oui, à quelle condition cette refondation peut-elle
promouvoir la reconnaissance du droit au développement des individus et
des peuples ?
Ainsi posée, notre problématique doit donner
ses « lettres de créances ». Au nom de quoi invoquer
la théorie de la justice comme équité ? John Rawls
est en effet un philosophe contemporain très important et très
controversé. Il reconnaît que les sociétés
démocratiques sont constituées de modèles
d'inégalités injustes et de façon systématique
d'attribuer certaines positions aux personnes, quand il s'agit de
hiérarchie de pouvoir, de statut et de distribution des ressources, qui
persistent dans le temps. Son oeuvre se présente dès lors comme
une source intarissable d'idées dont ne saurait faire l'économie
un philosophe de la politique. Robert Nozick, pourtant fervent opposant aux
idées de Rawls, pense que depuis la publication de Théorie de
la justice, il n'est plus possible à un philosophe de la politique
de travailler en ignorant ce corpus, à défaut il devra justifier
son refus. Théorie de la justice représente à
yeux
Une oeuvre systématique puissante, profonde,
subtile et de grande envergure dans le domaine de la philosophie politique et
morale qui n'a rien connu de tel depuis les écrits de John Stuart Mill,
pour autant que ceux-ci l'égalent. C'est une source d'idées
éblouissantes, intégrées en un tout engageant.
Désormais les philosophes de la politique doivent travailler dans le
cadre de la théorie de Rawls, soit dire pourquoi ils s'y
refusent.15(*)
La théorie de la justice comme équité
se veut à la fois ouverte et fermée. Ouverte, parce qu'elle
implique l'exigence de déconstruire une culture politique fondée
sur une idéologie de la domination. A cet effet, Rawls présente
sa théorie comme une machine de guerre lancée contre
l'utilitarisme16(*).
Fermée, par son ethnocentrisme, la théorie de la justice comme
équité plonge ses racines et trouve ses arguments dans la
tradition politique libérale occidentale, et la plupart de ses
commentateurs restent enfermés dans cette tradition politique. Tout se
passe comme si le discours de Rawls ne restait pertinent, et ses thèses
efficaces qu'à l'intérieur de sa propre
« tribu». Déconstruire cette vision
« tribaliste » de la pensée rawlsienne
consiste pour nous à l'arracher de son « provincialisme
politique » pour qu'elle soit jouée sur l'espace public
mondial en général comme une partition dont on notera l'ensemble
des mouvements. Ainsi, comme théorie enracinée dans une histoire
particulière, la pensée de Rawls est fragile en quelques points,
notamment la substitution du traditionnel principe d'égalité par
le principe d'équité. Mais comme pensée admettant un
dépassement et une ouverture vers un ailleurs possible, celui du refus
du décisionnisme politique pour une société plus ouverte,
la théorie de Rawls est plus que jamais vivante.
Dans ce travail, nous nous proposons, du point de vue de la
démarche, de faire une lecture critique de la théorie de la
justice comme équité. Mais cette lecture ne peut être
complète qu'à travers une lecture avec la théorie de la
justice comme équité. La première est une sorte d'examen
critique à l'intérieur d'une philosophie, des problèmes
liés à ses options et paradigmes. La seconde lecture, s'appuyant
sur l'histoire, scrute le réel politique de notre monde afin d'analyser
les multiples coagulations de l'autonomie dans le monde.
Trois axes de recherches devraient dès lors retenir
notre attention. Tout d'abord, il sera question de chercher au niveau de la
pensée de Rawls comment s'articule l'opposition entre le rationnel et le
raisonnable en politique, la théorie et la pratique, la raison pure
théorique et la raison pure pratique. Finalement, quelles incidences
l'autonomie peut-elle avoir vis-à-vis de la justice ? Et au nom de
ces incidences, quel usage politique peut-on faire de la conception rawlsienne
de l'autonomie rationnelle ? Le premier axe de notre recherche sera
intitulé : Enjeux du concept d'autonomie dans la
théorie de la justice comme équité.
L'exploration à ce niveau met en exergue la double exigence qui
conditionne la pensée de John Rawls : l'autonomie doctrinale d'une
conception de la justice et l'autonomie complète des citoyens d'une
démocratie.
Une fois les enjeux de l'autonomie rationnelle
examinés, ses limites et ses ambiguïtés soulignées,
nous procéderons avec et contre la théorie de la justice comme
équité à une mise en perspective des modalités de
l'autonomie politique dans le monde. Ceci constituera le second axe de notre
réflexion. Pour l'essentiel, il essayera de détecter au sein de
l'immanence politique du monde néolibéral, certaines pratiques et
quelques discours ayant pour but la négation de cette autonomie
rationnelle. D'où le titre : Critique sociale et
modalités de l'autonomie politique dans le monde.
Cette partie se veut beaucoup plus pratique, car c'est le devenir de la
société en tant qu'organisation politique qui nous
intéresse ici. C'est dans son fonctionnement qu'il faut voir les
diverses manoeuvres par lesquelles l'affirmation de l'autonomie rationnelle est
paralysée. Plusieurs discours sont explorés pour voir comment au
sein de ceux-ci, l'autonomie de la raison est éjectée de l'espace
public contemporain. Mais cette enquête sur l'autonomie de la raison dans
l'espace public contemporain, doit déboucher sur un programme de
libération. D'où le titre de notre troisième partie :
Réinvestir la théorie de la justice comme
équité. L'intérêt de cette partie
réside dans l'opposition entre une théorie fondée sur
l'histoire politique occidentale, et ses possibilités d'ouverture dans
des aires non occidentales. Ensuite, il y a la mise en exergue de l'autonomie
de la raison comme programme. Nous ne prétendons pas faire de cette
catégorie, une clé ouvrant toutes les portes. Mais en là
posant comme hypothèse, il est possible de parier avec elle pour une
critique sociale féconde.
PREMIERE PARTIE
ENJEUX DU CONCEPT D'AUTONOMIE DANS
LA THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE
LIMINAIRE
Cette première partie veut élucider le statut
de l'autonomie dans la théorie de la justice comme équité.
Comment cette dernière s'articule-t-elle vis-à-vis de l'autonomie
rationnelle au sein de la philosophie politique ? Cette interrogation vise
à comprendre d'abord les rapports entre la théorie de la justice
comme équité et la critique sociale. Cette question nous
permettra ensuite de voir dans quelle mesure la pensée de Rawls peut
être gratifiée de philosophie de l'immanence sociale, ou si elle
n'est qu'une critique sociale très utopistique, au sens où
l'entend Ernst Bloch lorsqu'il oppose l'utopistique à l'utopie
concrète17(*).
Cette première partie se divisera en trois chapitres.
Le premier chapitre, intitulé « De
l'Etat-nation -nation
démocratique... », met en exergue la double exigence
qui conditionne la théorie de l'Etat-nation démocratique chez
Rawls, à savoir l'autonomie doctrinale d'une conception politique de la
justice et l'autonomie complète des citoyens d'une société
démocratique.
Le second chapitre intitulé « Au
monde » se propose de scruter la question des rapports
interétatiques dans la pensée rawlsienne. Il se propose de voir
comment la catégorie d'autonomie se conjugue en termes de relations
internationales.
Quelle est la pertinence théorique et pratique de
l'autonomie, entendue comme faculté humaine à se donner des lois
et les respecter sans contraintes extérieure, face à la
désespérance totale ? La théorie de la justice comme
équité peut-elle être considérée comme
pensée de l'autonomie politique ? La réponse à cette
question est l'objet du troisième chapitre.
CHAPITRE I : DE L'ETAT-NATION DEMOCRATIQUE...
Une difficulté évidente apparaît lorsqu'on
veut retracer l'articulation de l'autonomie par rapport à la question de
la justice dans la pensée de Rawls. Comment parler de l'autonomie
politique chez un penseur qui n'a pas explicitement traiter de cette
catégorie ? Cependant, réfléchir sur cette
catégorie implique une analyse des rapports entre théorie et
pratique sociale dans la pensée de Rawls.
A. DE
L'AUTONOMIE DOCTRINALE D'UNE CONCEPTION DE LA JUSTICE...
La question de l'autonomie doctrinale, c'est-à-dire la
possibilité pour une théorie politique d'être
acceptée comme moralement valable, se penche sur la place de l'individu
dans la construction sociale. Les idées traditionnelles qui
assujettissaient l'ordre des valeurs politiques d'une part, à une
problématique théologique18(*), et d'autre part à une problématique de
la domination19(*) sont
rejetées au profit d'une détermination des fins bonnes qui
puissent valoir absolument et soient objectivement pratiques. Du point de vue
de Rawls, ce qui importe désormais c'est la constitution de
l'objectivité dans l'ordre politique fondé sur les principes de
la raison pratique, en liaison avec les conceptions politiques
appropriées de la personne et de la société.20(*)
Dans cette perspective, l'essentiel dans la réflexion
politique est qu'elle puisse concevoir dans le cadre de l'immanence au sujet,
des normes non seulement subjectives (c'est le sujet qui les pose), mais aussi
intersubjectives. Il s'agit en effet de savoir comment concevoir des normes que
je puisse poser et qui pourtant, limitant mon individualité, puissent
valoir à la fois pour moi et pour tous. Une réflexion sur les
fondements de la législation sociale doit s'arrimer à la question
d'une limitation de l'individualité capable de fonder la communication
et l'intersubjectivité. Ceci pour deux raisons.
Il est premièrement question de renforcer
l'idée moderne selon laquelle une société
démocratique n'est envisageable qu'avec l'existence de normes
trans-individuelles. En l'absence de ces dernières,
l'intersubjectivité est substituée par un culte du moi, de
l'individualité. Contre le développement d'un tel culte, il est
requis de penser à nouveau la transcendance des normes sociales par
rapport à la subjectivité.
Deuxièmement, il convient d'évacuer de la
théorie sociale toute problématique théologique. Se
proposer de penser la transcendance des principes de justice sociale n'est pas
une invitation à briser le cercle de l'immanence, à sortir du
cadre de la subjectivité pour opérer un retour à une
normativité calquée sur le modèle prémoderne de la
loi divine, ou de l'extériorité des traditions. Il n'est pas
question de ramener à la vie sociale, les figures de transcendance
faisant appel à un cosmopolitisme ouvert et infini. Dans les models de
normativité sociale défini par la loi divine,
l'extériorité des traditions ou le cosmopolitisme ouvert et
infini, le sens des valeurs et des normes politiques n'est pas pour le sujet.
Les sociétés démocratiques actuelles se
construisant sur la base d'un Désenchantement du monde21(*), l'immixtion dans la
théorie sociale d'une problématique théologique n'est pas
souhaitable. Le défi qui se pose aux sociétés
contemporaines, et la problématique fondamentale de la théorie
sociale, concernent le moyen de savoir comment concilier l'exigence
d'indépendance individuelle avec l'existence nécessaire des
normes politiques, qui suppose bien la limitation de l'individualité.
Alain Renaut l'énonce en ces termes :
Comment à l'intérieur de l'immanence
à soi qui définit la subjectivité, penser encore la
transcendance d'une normativité et limiter l'individualité ?
22(*)
On comprend dès lors que l'orientation rawlsienne de la
philosophie politique développe l'idée de l'autonomie doctrinale
autour du problème de la transcendance dans l'immanence. Voyons à
présent les contours de ce développement.
1.
L'idée de Raison Publique
La raison publique est le fondement de la
légitimité du pouvoir politique. Cette notion s'interprète
différemment selon les approches de l'organisation sociale qu'on adopte.
Dans la théorie sociale moderne, l'idée au fondement de la raison
publique est qu'une décision collective, portant sur les termes de
l'association politique et impliquant l'exercice du pouvoir contraignant, n'est
légitime que si elle possède une justification publique. Cette
forme de légitimation de l'exercice du pouvoir politique s'appuie sur
l'idée d'un droit fondée en raison, base normative sur laquelle
l'Occident voulait établir les rapports entre les individus et les
peuples après la première guerre mondiale.
a. La raison publique dans
le décisionnisme politique de Carl Schmitt
En 1932, l'idée d'un droit fondé en raison est
désavouée par la régénérescence d'un concept
politique de pouvoir souverain. Il ressort de ce concept une conception
décisionniste de la politique, développée dans l'ouvrage
de Carl Schmitt intitulé La Notion de politique23(*). Ici, la raison publique se
fonde essentiellement sur la puissance coercitive de l'Etat vis-à-vis de
ses ennemis externes et internes. Car la mission régalienne de l'Etat
est de sauver les citoyens des affres de l'autonomie à laquelle ils
aspirent continuellement. A cet effet, le souverain décide de l'Etat
d'exception24(*). Et dans
la mesure où les forces subversives de la société
évoquent toujours la question de la justice et de la
vérité, le souverain doit également se réserver le
droit de définir ce qui publiquement passe pour juste et vrai. Son
pouvoir décisionnaire est la source de toute validité.
Pareille analyse du pouvoir souverain de l'Etat se rencontre
chez Hobbes. Ici, les croyances publiques relèvent du domaine de l'Etat.
Quant aux croyances privées, l'Etat observe une attitude de
neutralité. S'appuyant sur la distinction hobbesienne entre les
croyances publiques et les croyances privées, Schmitt pense que Hobbes
commet une erreur lourde de conséquences. La neutralité de l'Etat
devant les croyances privées des citoyens représente à ses
yeux, une porte ouverte à la subjectivité de la conscience morale
bourgeoise et de l'opinion privée. C'est en cela qu'elle s'affirme comme
contre-pouvoir politique pour accéder à la législation
parlementaire et chasser le Léviathan du trône. Mais il convient
de noter que cette lecture schmittienne de Hobbes esquive un fait : la
souveraineté politique chez Hobbes se conçoit en relation avec le
droit positif. Ce dernier dans son essence suggère une
législation libérée de la transcendance du droit naturel.
En ce sens, la souveraineté chez Hobbes contient en gestation
l'idée de l'Etat de droit que Schmitt veut banaliser.
En somme, la pensée de Carl Schmitt défend une
théorie décisionniste de la raison publique, prenant pour cible
l'idée d'un droit fondé en raison, pierre angulaire de la
démocratie libérale. L'idée ici est que la concentration
du pouvoir politique autour d'un seul individu représente la voie
sûre pour la stabilité et le progrès social. A l'inverse,
c'est l'association au sein de l'Etat démocratique de la
péréquation des intérêts, la domination de la
majorité et la formation des élites, qui constituerait la cause
principales de la crise de l'Etat de droit25(*). Sur cette position centrale, viennent se greffer
diverses idées annexes qui généralement ne font qu'en
découler. La plus provocante, peut-être, consiste à
affirmer que l'élément le plus important dans la crise de l'Etat
de droit est la carence en rigueur et en autorité dont font preuve les
bases normatives de la démocratie libérale. Si ce raisonnement se
nourrit des idées relatives à la crise de l'Etat de
droit26(*), il sert aussi
de tremplin au développement des régimes totalitaires et justifie
la politique annexionniste hitlérienne qui a provoqué la seconde
guerre mondiale. Contre cette orientation de la raison publique, Rawls propose
une nouvelle lecture de la justification politique qui montre qu'il est
possible de prévoir des désaccords, même au sein de la
raison publique, sans pour autant saper l'autorité de l'Etat.
b. La raison publique dans
l'optique rawlsienne ou l'émergence d'une conception non
métaphysique du sujet du droit.
Les analyses rawlsiennes sur les principes de justice sociale
présentent l'ordre des valeurs politiques d'une société
démocratique dans sa rigueur et son autorité, sans tomber dans le
décisionnisme politique de Schmitt. L'idée fondamentale ici est
que l'autonomie humaine représente la seule base sur laquelle on peut
ériger la raison publique. Rawls procède à une lecture de
la procédure kantienne de l'impératif catégorique, pour
construire une théorie politique qui soit parfaitement autonome et
adaptée à la démocratie libérale. Ici, les
principes qui légitiment l'action politique sont ceux que choisiraient
les citoyens libres et égaux, rationnels et raisonnables, placés
dans des conditions équitables. Dans ce propos, Rawls se veut plus
clair :
La loi morale est une idée a priori de la raison,
mais elle n'est pas a priori dans le sens où un ordre public de
conduites unifiées devrait obligatoirement reposer sur elle. Car je ne
crois pas que Kant soutienne que la loi morale soit a priori dans ce sens. Ce
qu'il affirme en fait, c'est que la loi morale est la seule façon que
nous ayons de construire un ordre public de conduites unifiées sans
tomber dans l'hétéronomie.27(*)
Rawls justifie son retour à la philosophie de Kant par
deux raisons. D'abord pour saisir le statut de l'autonomie des valeurs sociales
dans la nouvelle interprétation de la raison publique qu'il
propose ; interprétation issue des idées fondamentales et
communes implicites dans la culture politique d'une démocratie
libérale que sont : l'idée de société comme
système équitable de coopération organisé en vue de
l'avantage mutuel, et l'idée de personnes libres et égales.
Ensuite, pour examiner le statut de la justice politique à l'heure de
l'émergence du pluralisme social, et esquisser la figure d'une nouvelle
solidarité politique.
Pour Rawls, la construction d'une base publique de
justification de l'action politique, en tenant compte du pluralisme raisonnable
des sociétés démocratique est nécessaire à
partir d'une intégration totale des citoyens dans leur
souveraineté. Ce changement de conscience qui fait passer les citoyens
d'une conscience plurielle à une conscience républicaine, leur
permet de se considérer comme libres et égaux, en même
temps qu'ils considèrent la société comme « un
système équitable de coopération organisé en vue de
l'avantage mutuel. »
Rawls s'abreuve ainsi à la source kantienne. Sur le
plan historique, la philosophie de Kant représente (après
Descartes) le moment de la modernité où la souveraineté du
sujet s'est installée et radicalisée. Un moment décisif de
l'histoire de la philosophie en ce sens que, comme le dit Heidegger :
« La philosophie kantienne amène pour la première fois
dans la clarté et la transparence d'une fondation, la pensée et
le dasein moderne dans leur ensemble »28(*).
Cette affirmation de la souveraineté du sujet
s'inspire des courants de pensée humaniste où se profine ce que
Cassirer désigne par « la conception nouvelle,
spécifiquement moderne des relations du sujet et de l'objet.29(*) » Ici, le propre du
sujet fait surgir prioritairement la liberté comme
créativité capable de fonder elle-même un avenir non
déterminé, c'est-à-dire la capacité du moi à
opposer à la nature la liberté comme valeur propre. C'est
pourquoi la pensée de Kant impulse une nouvelle formulation de la
question de la vérité scientifique, non plus en termes
d'adéquation au noumène, mais en termes
d'intersubjectivité, c'est-à-dire la capacité pour un
discours à valoir universellement, pour toute la communauté des
sujets. Alain Renaut, dans son Kant aujourd'hui, observe que
La perspective d'une constitution de l'objectivité
à l'intérieur de la subjectivité (Kant) sera, de fait,
tout autant à l'oeuvre dans l'interrogation sur l'élaboration
d'objets pratiques, c'est-à-dire sur le processus par lequel le sujet
moral parvient à déterminer les fins bonnes qui puissent valoir
absolument et soient donc objectivement pratiques.30(*)
La raison pratique est le lieu où se manifeste la
liberté humaine, à la fois comme possibilité pour la
raison spéculative et comme réalité capable de transformer
nos actions pratiques en institutions. Kant est en effet convaincu que la
moralité se déduit de l'essence de la liberté. Mais la
valeur propre de la loi morale fait apparaître au premier plan comme une
proposition synthétique31(*) a priori qui pose qu'une volonté est
absolument bonne quand la maxime qui la gouverne peut s'ériger en loi
universelle. A cet effet, c'est le binôme caractéristique de la
nature humaine, c'est-à-dire son appartenance à la fois au monde
sensible et au monde intelligible qui rend possible l'impératif
catégorique. Et comme le monde intelligible est le fondement du monde
sensible, la nécessité idéale du monde intelligible
s'impose à l'homme comme un devoir.
Ainsi, l'opposition entre le monde sensible et le monde
intelligible gouverne la philosophie de Kant. Et la solution à cette
opposition est donnée dans la troisième règle d'action
où Kant concilie la valeur absolue de la loi à la liberté
de la personne humaine. Le temps fort de cette conciliation est l'autonomie,
c'est-à-dire l'idée que la volonté de chaque être
raisonnable peut être conçue comme volonté
législatrice universelle. L'être humain est
considéré comme auto législateur, car s'il
obéissait à une loi extérieure, il serait un moyen et non
une fin. Il est placé au dessus de la nature comme législateur et
sujet. Au règne de la nature où les choses reçoivent des
lois, Kant oppose le règne des fins, règne dans lequel l'homme se
donne sa loi, où il y a communication32(*) des volontés. Le droit se définit ici
comme l'ensemble des conditions permettant l'accord des libertés
d'après une loi universelle de liberté. A la conception
théologique du droit, Kant oppose l'autonomie de la raison ;
à celle qui veut définir le droit à partir de la nature,
il oppose la transcendance de la raison.
L'intérêt de ce retour à Kant
réside dans la saisie du fondement de la législation sociale. Le
droit s'inscrit dans la raison pratique, vue l'urgence de la réalisation
de la liberté humaine comme finalité, c'est-à-dire
possibilité pour la raison spéculative et réalité
capable de transformer nos actions en institutions. Rawls désarticule
obligation morale et institutionnalisation du réel dans le souci de
préserver l'autonomie complète des principes de justice
politique. Car, pense-t-il, en se cramponnant sur le dualisme monde
sensible/monde intelligible, l'hétéronomie reste un danger
permanent qui guette les principes fondamentaux du droit ; tandis qu'une
fois ce dualisme abandonné, l'autonomie de la conception politique de la
justice et son indépendance vis-à-vis de tout contenu cognitif
prédéterminé, sont préservées. A ce sujet,
Rawls déclare à propos de Kant :
Sa conception morale a une structure
caractéristique qu'on peut mieux discerner quand ces dualismes ne sont
pas pris au sens qu'il leur donne et que leur portée morale est
formulée dans le cadre d'une théorie empirique.33(*)
Rawls prend acte des nouveaux défis auxquels fait face
la législation sociale et ses principes, à partir d'une
réinterprétation du dualisme kantien en termes de «
point de vue ». Cette notion évite toute illusion objectivante
et préserve l'autonomie des normes et des principes politiques. La
philosophie de l'histoire de Kant est désormais perçue comme une
réconciliation de points de vues théorique et pratique, de deux
modèles de pacification entre les hommes : un
« modèle théorique » qui fait de l'histoire
une pensée systématique et un « modèle
pratique » dans le cadre duquel c'est l'idée de liberté
(l'idée d'un sujet moral juste par lui-même) qui permettrait de se
représenter la constitution républicaine34(*).
J'aborderais la doctrine de Kant, écrit-il, non pas
comme une conception dualiste caractérisée par la distinction
entre un monde de phénomène et un monde intelligible, mais comme
une doctrine incluant des « points de vue »
correspondant à des interrogations différentes mues par des
intérêts différents et auxquelles répondent des
idées et des principes différents.35(*)
De là Rawls se détache de la philosophie
transcendantale de Kant sur trois points. Premièrement sur le sens de
l'autonomie doctrinale. Kant présente une conception de l'autonomie qui
pense la transcendance des principes de l'organisation sociale sous
l'activité de la raison pure théorique. Pour Rawls, la
transcendance des principes de l'organisation sociale se pense sous le prisme
d'une autoconstitution de la raison pratique. Ainsi l'autonomie d'une doctrine
se détermine par la manière dont elle présente l'ordre des
valeurs politiques. Une théorie politique est autonome,
Si elle représente, ou montre que l'ordre des
valeurs politiques est fondé sur les principes de la raison pratique en
liaison avec les conceptions politiques appropriées de la
société et de la personne.36(*)
La deuxième différence se situe au niveau de la
conception fondamentale de la société et de la personne. Kant
définit l'essence de la personne dans sa dimension intelligible. Cette
dernière, en tant que fondement de l'ordre sensible, impose sa
nécessité idéale pratique à la personne sous la
forme du devoir. C'est certainement ce qui justifie le fait que Kant
considère certaines personnes (en l'occurrence les serviteurs, les
femmes, les handicapés) comme inapte à la citoyenneté
politique.37(*) A ce point
de vue qui tend vers un élitisme social, Rawls oppose le premier
principe de justice, celui d'une liberté égale et la plus
étendue pour tous, ainsi que la première partie du second
principe, les fonctions ouvertes à tous.
Quant à la conception fondamentale de la
société, Kant définit l'essence de la
société dans des rapports de personne à personne.
Même le rapport juridique qu'implique le droit de propriété
n'est pas un rapport entre le propriétaire et la chose
possédée, mais le propriétaire et d'autres personnes. Dans
ces conditions, l'émergence de l'Etat,
« société organisée, ayant un gouvernement
autonome et jouant le rôle d'une personne morale distincte à
l'égard des autres sociétés analogues avec lesquelles elle
est en relation » 38(*), trouve sa légitimité « comme
moyen de garantir avant tout l'Etat juridique contre les ennemis
extérieurs du peuple »39(*). Pour Rawls, la société étant
« un système équitable de coopération,
organisé en vue de l'avantage mutuel », l'émergence de
l'Etat se légitime par la défense des libertés citoyennes
de base (Etat de droit libéral) et par une répartition des
bénéfices de la coopération sociale orientée vers
l'avantage des plus défavorisés (Etat social).
Le troisième et dernier point de distinction prend en
considération les buts des deux positions. Kant veut fournir une
défense à la fois de notre connaissance de la nature et de notre
connaissance de la liberté, à travers la loi morale.
L'idée de rationalité ici est enracinée dans la
pensée de l'action, fondement de la réflexion philosophique.
C'est pourquoi la conception de la nature que Kant veut formuler doit
être compatible avec la liberté morale. Une conception de la
philosophie comme défense, qui rejette toute doctrine remettant en cause
l'unité fondamentale de la raison.
Le souci de Rawls, par contre est de fournir une base
publique de justification pour les principes de justice politique en tenant
compte du pluralisme des sociétés démocratiques. Il fonde
pour cela ses réflexions sur les idées fondamentales et communes
implicites dans la culture politique d'une démocratie libérale.
L'espoir ici étant de développer en fonction de ces idées,
une conception politique de la justice pouvant contribuer efficacement à
la pacification des sociétés démocratiques divisées
par une pléthore de doctrines compréhensives.
En dépit de ces différences, il n'est cependant
pas maladroit pour Rawls de désigner sa conception de la raison publique
comme une « une interprétation kantienne de la justice comme
équité ». La dimension kantienne ici tient de l'option
fondamentale de la démarche, celle d'une recomposition du droit
politique au nom d'une conception non métaphysique du sujet de droit.
Rawls reprend la conception kantienne de la philosophie comme défense.
Mais il s'agit ici d'une défense de la possibilité d'une
démocratie constitutionnelle juste. Il y a aussi l'adoption d'un certain
nombre de procédures méthodologiques, dont la plus important ici
est le recours au voile d'ignorance. Ce dernier reprend la philosophie pratique
de Kant dans sa finalité, c'est-à-dire la construction du sujet
politique comme un pur sujet nouménal40(*).
- Rawls et l'utilitarisme
Il existe naturellement des différences entre le
constructivisme politique de Rawls et l'utilitarisme41(*). Celle qui se manifeste avec
plus de clarté dans l'oeuvre de Rawls pose que l'utilitarisme est
incompatible avec les idées libérales de liberté et
d'égalité. Certes des développements plus contemporains de
cette doctrine, notamment avec John Harsanyi, ont essayé de contrer la
critique rawlsienne et montrer la nécessité d'adopter la vision
utilitariste de la critique sociale, en élaborant la perspective de
« l'ajustement des échelles »42(*). Cette voie consiste à
définir un système de mesure, de caractéristiques
d'utilité telle que l'échelle d'utilité de chaque personne
soit coordonnée avec celle des autres individus, de façon que
l'égalité sociale soit représentée à la
même échelle que l'égalité d'utilité
marginale. Ainsi, quelque soit le sens déterminent des valeurs sociales,
les utilités affectées à chaque individu
reflèteraient ces valeurs. Ceci est possible soit par l'ajustement
correct des échelles entre personne, soit par l'adéquation, le
dénombrement des utilités et les choix effectués dans une
situation d'incertitudes hypothétiques analogue à la position
originelle de Rawls, et à la condition supplémentaire que
l'ignorance soit interprétée comme probabilité
d'être n'importe qui.
Mais les arguments utilitaristes qui soutiennent cette
perspective ne sont pas de taille à désarmer la critique
rawlsienne. De même, l'acceptabilité de la « position
originelle » sur laquelle repose la critique rawlsienne pêche
par son mutisme sur la clarté de ce qui sera choisit dans cette
situation. Comme le remarque Amartya Sen, l'hypothèse d'incertitude qui
conditionne le choix prudentiel opéré derrière le
« voile d'ignorance », n'offre pas de garantie certaine
pour un jugement moral dans la vie réelle.43(*) Toutefois, la critique
rawlsienne, prenant pour cheval de bataille les concepts de liberté et
d'égalité reste d'actualité. Quel est son
contenu ?
La problématique de l'égalité dans la
pensée utilitariste se fonde sur la notion d'utilité44(*). Ici, les valeurs sociales
fondamentales sont orientées vers le bien-être de l'individu, un
bien être qui se configure comme bonheur du grand nombre. C'est ce que
souligne avec conviction ce propos de John
Stuart-Mill : « l'idéal utilitariste c'est le
bonheur général et non le bonheur personnel »45(*).
Soucieux d'impartialité, l'utilitarisme oblige
l'individu à adopter face à lui-même, le regard d'un
spectateur impartial et détaché, pour qui l'individu n'a pas
d'influence particulière. Ainsi, pour ce qui concerne la
répartition des utilités, le gain le plus infime de la somme
totale des utilités justifie les inégalités et les
injustices sociales.
Lorsqu'on aborde la question de la répartition en
attribuant de façon hypothétique des fonctions d'utilités
identiques aux individus, l'optimum utilitariste exige l'égalité
absolue des utilités. Cette égalité se transmet à
la somme totale des utilités sous une condition : tous les
individus doivent avoir la même fonction d'utilité. Mais en
réalité, cette conception de l'égalité n'est
possible que sous l'effet d'un heureux hasard. Il se trouve que
l'hypothèse d'utilité marginale à une incidence sur
l'utilité totale, au point où cette dernière devra subir
de fréquentes violations, puisque les personnes sont distinctes les unes
des autres. L'égalité des utilités marginales ne s'arrime
à l'égalité du total des utilités que si les
êtres humains sont identiques. Une fois la diversité humaine
introduite, ces deux types d'égalité peuvent diverger. Ainsi, la
diversité du genre humain impose des préoccupations de justice
distributive, au lieu de se soucier uniquement des résultats à
caractères « agrégatifs » comme cela se voit
dans l'utilitarisme.
Voilà ce qui excite la méfiance de Rawls. Il
situe la racine des contradictions de l'utilitarisme dans sa manière de
traiter avec l'individualité. L'utilitarisme émet une confusion
entre impartialité et impersonnalité. Redonner à la
personne humaine son rôle prééminent, voilà
l'objectif de la théorie de la justice comme
équité.
Ici, l'égalité juridique se fonde sur les deux
principes de justice, en référence aux « biens sociaux
premiers ».46(*) Il faut entendre ici des
« choses que tout homme rationnel désire ou est supposer
désirer », c'est-à-dire les droits, les
libertés, les possibilités offertes à l'individu, les
revenus et la richesse, les bases sociales du respect de soi-même. Les
libertés de base jouissent d'une priorité donnée par le
premier principe qui exige que « chaque personne ait un droit
égal à la liberté fondamentale la plus large qui soit
compatible avec une liberté similaire pour les
autres ». Le second principe vient compléter
celui-là, en exigeant l'efficacité économique et
l'égalité politique, et jugeant la répartition en fonction
d'un indice de biens premiers. Il condamne les inégalités et les
injustices, sauf au cas où elles représentent un avantage pour
chacun. Ce principe intègre le principe de différence qui
accorde la priorité à la défense des intérêts
des plus défavorisés. Et cela conduit au
« Maximin » définit non sur les utilités
individuelles, mais sur l'indice des biens premiers. Mais étant
donnée la priorité des libertés, aucune compensation n'est
permise entre libertés fondamentales et gains économiques ou
sociaux.47(*)
Ainsi, la critique rawlsienne de l'utilitarisme en
référence à l'égalité, met au jour son
intérêt pour les « biens premiers ».
La répartition des biens sociaux est jugée, non plus en fonction
des utilités, mais des indices de biens premiers. Rawls justifie cela en
termes de responsabilité d'une personne à l'égard de ses
propres finalités.
Mais cette perspective définie par les
« biens sociaux premiers » semble n'être possible que
dans une situation idéelle où les personnes seraient
fondamentalement identiques. Tout comme dans l'utilitarisme, la pensée
de Rawls fait peu cas de la diversité humaine. Pourtant dans la
réalité, les besoins individuels diffèrent et varient en
fonction du climat, du lieu géographique, des conditions de travail,
etc. Ce qui est en cause ici ce n'est pas seulement le fait d'ignorer quelques
cas difficiles dans la répartition, mais aussi la négligence des
différences réelles. Dès lors, juger la répartition
en référence aux « biens premiers »
semble mener à une morale partiellement aveugle.
- Rawls et la métaphysique
La conséquence la plus provocante de la philosophie
transcendantale de Kant, aux yeux de Rawls, est sans doute celle qui
confère un caractère métaphysique aux principes d'action
politique. Rawls juge cette thèse insoutenable dans le contexte d'une
démocratie moderne. Le titre d'un article datant de 1985 en dit long sur
ce sujet : La théorie de la justice comme
équité : politique et non métaphysique.48(*) La pièce
maîtresse de son argumentation ici est l'idée selon laquelle
(...) dans une démocratie constitutionnelle, la
conception politique de la justice devrait être, autant que possible
indépendante des doctrines religieuses et philosophiques à
controverse.49(*)
Dans un article antérieur, The Independance of
Moral Theory, Rawls affirmait déjà l'indépendance de
la philosophie morale par rapport aux autres disciplines philosophiques, parmi
lesquelles la métaphysique. Certes reconnaît-il, la
métaphysique a une influence sur la philosophie morale en ce qu'elle
contribue efficacement au développement d'une théorie
générale de la morale. Mais l'idée d'une justice politique
propre à un Etat démocratique et pluraliste, ne s'accommode pas
d'une conception morale générale. Rawls observe à cet
effet que
(...) en matière de pratique politique, aucune
conception morale générale ne peut fournir un fondement
publiquement reconnu pour une conception de la justice, dans le cadre d'un Etat
démocratique moderne.50(*)
Ainsi, l'interprétation de l'impératif
catégorique faite par Rawls a pour but de purifier l'éthique
kantienne des hypothèses métaphysiques. Bien entendu, le voile
d'ignorance reformule l'idée d'un sujet nouménal universel. Mais
cette reformulation du sujet nouménal répond plus à un
besoin pratique, plus spécifiquement à une pratique du droit, ou
encore à la constitution juridique fondamentale d'une
société démocratique moderne. Ici, seul le sujet
juridique, c'est-à-dire celui qui détermine les principes de
justice sociale, peut être considéré comme sujet moral.
Dès lors les principes premiers de justice sont établis dans
toute leur rigueur et leur autorité, puisqu'ils sont
élevés au rang d'impératif catégorique, à la
fois au sens conceptuel ou méta éthique du terme où ils
représentent des exigences inconditionnellement valables, mais aussi au
sens d'une éthique normative. C'est l'universalisation stricte du sujet
de droit qui fournit la légitimation politique à travers la
transformation d'un choix rationnel en choix moral.
Suite à ces analyses, il est possible de penser que,
contrairement à ce qu'il prétend, Rawls nous offre une
théorie plus kantienne qu'il ne le pense. Puisque l'ordre des valeurs
politiques d'une démocratie qu'il veut présenter dans sa rigueur
et son autorité, se fonde sur l'idée d'un sujet de droit
universel, nouménal, métaphysique. Mais cette conclusion omet un
aspect très important de la pensée de Rawls. La vie politique ne
dépend exclusivement pas de l'universalisation du sujet juridique. Un
autre modèle de légitimation politique, porté par
« l'équilibre réfléchi » vise la
reformulation de la conception publique de la justice reconnue dans les
démocraties libérales. La justification par
« l'équilibre réfléchi »
présente l'éthique démocratique rawlsienne à l'aune
d'une objectivité morale en accord avec les lois de l'esprit critique.
Il s'agit d'un principe méthodologique de négation qui
élimine les données incompatibles à la pratique de la
démocratie libérale, et instaure l'expérience du
débat critique au coeur de l'espace public. Rawls renonce ainsi à
une universalisation excessive et introduit le débat consensuel au sein
de l'expérience démocratique.51(*)
C'est le caractère libéral de ce débat
qui efface les risques de transformation du système de droits et devoirs
qui déterminent la vie politique en un discours absolu. Le débat
critique ouvre la tendance conservatrice de la pratique démocratique
vers un projet émancipateur. Il intègre en fait la
possibilité d'une remise en question permanente de l'idéologie
qui fonde les règles d'action politique. Le débat critique est
essentiellement proposition d'un « ailleurs », d'un
« autrement qu'être » en
réponse à l' « être ainsi et pas
autrement »52(*)
que professe l'idéologie. C'est lui qui justifie le rejet des doctrines
compréhensives particulières. Ainsi, le libéralisme
politique de Rawls ne fonctionne pas comme une doctrine vraie, mais
« comme un composant (...) que l'on peut ajouter à de
nombreuses doctrines distinctes ou qui peut en être
dérivé »53(*).
Dans l'ensemble, la quête de solution au problème
de la transcendance dans l'immanence amène Rawls à une critique
du kantisme, de l'utilitarisme, et de la métaphysique. L'espoir ici
étant d'écarter du champ politique, tout ce qui menace
l'autonomie de la raison (l'idéalisme transcendantal de Kant est une
menace de ce genre) et d'aboutir à une conception du libéralisme
politique qui préserve et défend cette autonomie. La lecture
rawlsienne de l'impératif catégorique kantien vise
l'établissement des principes d'actions, non une augmentation de la
connaissance. Ceci est matérialisé par l'usage de la position
originelle qui, pour Rawls
(...) incorpore, selon nous, toutes les exigences
pertinentes de la raison pratique en liaison avec des conceptions de la
société et de la personne qui sont elles-mêmes des
idées de la raison pratique.54(*)
Dans la strate suivante de notre réflexion, nous allons
nous intéresser à cette notion de position
originelle.
2. De
la notion de position originelle.
Bien qu'elle manifeste les « exigences
pertinentes » de la raison pratique, la position
originelle est et reste avant tout une situation posée. Il s'agit
d'une construction intellectuelle servant à la justification des acquis
de la démocratie libérale moderne : idées de
liberté et d'égalité, le principe de tolérance.
Nous allons nous intéresser ici à deux idées fondamentales
qui la définissent : l'idée de la
« délibération rationnelle » comme forme que
revêt le choix des principes et l'interprétation du contrat social
en termes « d'expérience de
pensées ».
a. L'idée de la
« délibération rationnelle ».
La construction de la « position
rationnelle » répond au besoin pour Rawls de circonscrire dans
sa théorie une sphère rationnelle déterminée
à l'extérieur par les contraintes du raisonnable. Au centre de
cette tentative se trouve la situation fictive du voile d'ignorance.
Avec elle se définit l'universalité de la contrainte morale,
toutes les conditions contingentes susceptibles de fausser le jugement des
individus ou des groupes lorsqu'ils prennent position sur les questions de
justice de façon idéale dans la société (race,
classe sociale, niveau intellectuel, situation matrimoniale et sociale, etc.)
sont éliminées, et la question d'intérêts, des
biens, des personnes particulières dans leur diversité empirique
et leur contradiction entre en considération. Ensemble d'exigences que
seules les principes de justice peuvent satisfaire. Ici se déploie le
moment de la philosophie politique comme forme d'une délibération
rationnelle dans le cadre du raisonnable, c'est-à-dire d'une
universalité préalablement établie.
Mais si le temps fort de l'exposé de la position
originelle est la détermination d'une sphère rationnelle à
l'intérieur de laquelle pourra se déployer un discours analogue
à la théorie économique, la question de la valeur de la
démonstration rawlsienne se pose. Comment en fait comprendre la
quête de justice comme contrainte extérieure ? Car il
apparaît que les partenaires ne parviennent à « prendre
leur décision en respectant seulement ce qu'ordonnent les principes de
rationalité dans les limites de leur
situation » 55(*) qu'à travers une extériorisation du
raisonnable, c'est-à-dire en faisant de la caractéristique
d'être raisonnable des partenaires, une contrainte déterminante de
la situation dans laquelle va se déployer une démarche
exclusivement rationnelle.
Cependant, il est difficilement envisageable qu'on puisse
empêcher, de façon logique, la manifestation de la contrainte
extérieure du raisonnable à l'intérieur du rationnel.
C'est dire que dans la position originelle, il est difficile de
différencier celui qui délibère de celui qui pose les
contraintes de la délibération. Les deux semblent être la
seule et même voix, celle de l'homodémocraticus.
Dès lors, dans le rationnel rawlsien se trouve quelque chose qui
empiète sur le raisonnable. Et dans la mesure où l'on comprend
l'éthique démocratique comme étant liée à la
pratique du langage, le dédoublement du rationnel et du raisonnable
qu'autorise la philosophie rawlsienne est irrecevable. Car du dualisme
rationnel raisonnable, il est réellement question d'articuler deux
exigences d'un même discours prononcées par le même
locuteur : le citoyen d'une démocratie moderne.
A cet effet, la sphère des contraintes raisonnables au
sein de laquelle se déroule la délibération rationnelle
concernant le sort réservé aux aspirations du moi empirique dans
la société manifeste une problématique classique
liée à l'idée du contrat social : le passage du
multiple à l'un. Mais la démonstration rawlsienne dévoile
des orientations propres qui distinguent la théorie rawlsienne des
autres théories du contrat : Rawls procède à un
traitement rationnel du raisonnable.
Chez Rousseau et Kant par exemple, l'idée de contrat
social présente des individus rationnels et raisonnables qui, pris dans
l'engrenage de la contradiction relative à ces deux notions trouvent
dans l'acte du contrat le principe du dépassement de cette
contradiction. L'acte du contrat est le lieu de manifestation de la nature
rationnelle et du raisonnable des individus. Pour Rawls par contre, la
dualité rationnel et raisonnable des individus s'affirme à
travers le sens commun d'une culture démocratique moderne. Dans ce sens,
Jacques Bidet observe que :
C'est en tant que rationnels et raisonnables que les
citoyens se reconnaissent comme libres et égaux et exigent des principes
à partir desquels on pourrait définir des institutions justes,
assurant non seulement une liberté et une égalité
ponctuelle, mais un régime producteur de liberté et
d'égalité, c'est-à-dire de justice.56(*)
Deux caractéristiques majeures définissent la
démarche rationnelle des partenaires au moment de la
délibération.
- Au moment de la délibération, la
démarche rationnelle prend la forme d'une sélection. Dans les
théories du contrat social de Rousseau, Hobbes, Kant, la démarche
rationnelle va d'une situation hypothétique insoutenable (l'état
de la nature), à l'énoncé du contrat social comme
dénouement des contradictions de l'état de nature. Rawls
opère une relecture de cette tradition du contrat en la
généralisant et la réoriente vers la fondation, non de
l'Etat, mais des principes de justice. Dans La Justice comme
équité, il affirme que :
La position originelle généralise
l'idée familière du contrat social. Elle accomplit cette
généralisation en posant que l'objet de l'accord est
constitué par les principes premiers de justice pour la structure de
base, et non pour une forme particulière de gouvernement comme chez
Locke.57(*)
Ici, les partenaires sont appelés à choisir les
principes et les normes politiques universelles de la raison
délibérante.
- En second lieu, la démarche rationnelle suppose la
réinterprétation des deux caractères de la personne
(rationnel et raisonnable) en eux instances morales que chacun défend.
Dans la position originelle, les partenaires sont appelés à
défendre les intérêts les plus élevés des
citoyens, c'est-à-dire leur capacité à exercer ces deux
instances essentielles de l'être. Les partenaires sont rationnels en tant
qu'ils défendent rationnellement les intérêts moraux des
citoyens. Voici comment Rawls exprime le principe de cette
démarche :
Les conceptions de la justice doivent être
classées en fonction de leur capacité à être
acceptée par des personnes placées dans des circonstances que je
viens de citer. Comprise en ces termes, la question de la justification trouve
sa réponse dans la solution d'un problème de
délibération : nous avons à établir quels
principes il serait rationnel d'adopter dans la situation contractuelle. Ceci
relie la théorie de la justice à la théorie du choix
rationnel.58(*)
Ainsi, c'est la quête du choix rationnel qui fournit au
raisonnable un traitement rationnel. Ceci est possible d'une part par la
transformation des deux instances morales en intérêts à
défendre moralement. Et d'autre part, par la défense de ses
intérêts en termes d'examen des solutions alternatives qui se
présentent aux partenaires. C'est pourquoi Rawls établit un lien
important entre la théorie de la justice et la théorie du choix
rationnel. D'ailleurs, il affirme que « la théorie de la
justice est une partie, peut-être même la partie la plus importante
de la théorie du choix rationnel ».59(*) Certes il essayera plus tard
une autocritique sur ce point en affirmant qu'il « s'agit
tout simplement d'une erreur qui impliquerait que la justice comme
équité est à la base hobbesienne (selon
l'interprétation commune à Hobbes) plus que
kantienne ».60(*) Il se corrigera même par la suite en inversant
la tendance, c'est-à-dire en affirmant que c'est la théorie du
choix rationnel qui constitue une partie de la théorie de la justice. Au
final, c'est l'idée du choix des principes comme
« délibération rationnelle » qui se trouve
ici renforcée.
b. L'idée de contrat
social comme « expérience de pensée ».
La réduction du contrat social à une
« expérience de pensée » exprime la dimension
historique de la pensée de Rawls, c'est-à-dire son identification
à la tradition politique moderne. Pour mieux cerner cet aspect de la
démonstration rawlsienne, nous allons scruter deux notions
inhérente à la position originelle : « les
circonstances de la justice » et le « voile
d'ignorance ».
L'analyse rawlsienne des « circonstances de la
justice » s'oppose à celui qui peut être
considéré comme le concepteur de cette notion à savoir
David Hume. Le débat ici réactualise l'opposition entre Rawls et
l'utilitarisme. L'utilitarisme de Hume introduit dans la critique sociale une
légitimation de la propriété privée fondée
sur l'efficacité économique. La justice n'est plus le
résultat d'un engagement contractuel (comme c'est le cas chez les
penseurs contractualistes modernes), mais une convention sociale adoptée
pour son utilité, une règle de priorité qui indique qu'il
faut laisser à chacun ce qu'il a acquis. L'adoption d'un tel principe
dans la coopération sociale procure à la justice tout son
sens.
Dans l'approche rawlsienne, c'est le consensus universel
entourant les principes de justice qui donne un sens à la notion de
justice. La coopération dans la « société bien
ordonnée » se fonde sur l'égalité juridique des
individus (premier principe). Il n'est plus possible à certain d'imposer
aux autres une conduite sociale jugée juste. La lecture rawlsienne des
« circonstances de la justice » pose l'idée
fondamentale selon laquelle la justice est une question sociale. Car dans la
société démocratique « bien
ordonnée », l'affirmation de l'indépendance de chacun
(prétention à ne dépendre de personne) provoque le
règne des circonstances historiques favorables à la revendication
de justice.
Ainsi, au réalisme humien qui se veut exploration des
règles d'efficacité émergent spontanément dans
l'histoire, Rawls oppose la détermination des principes universels
acceptables par des personnes libres et égales. La norme sociale de
justice se conçoit ici, non plus comme une règle conventionnelle
tacite, mais comme un principe publiquement choisi dans une situation
contractuelle. L'argumentation que propose Rawls à partir des
« circonstances de la justice » ne pose pas de fondement
immédiat à l'Etat, mais l'établissement des principes
à partir desquels on parvient à fonder en justice l'Etat
démocratique. Les principes de justice sont dès lors des
principes d'un Etat démocratique jouissant d'une
légitimité politique. De cette idée se dégagent
deux conclusions sur lesquelles il importe de nous arrêter quelques
instants.
Tout d'abord, inscrire la légitimité politique
de l'Etat démocratique dans les limites des principes de justice laisse
une marge de manoeuvre importante pour la désobéissance civile.
Cette dernière se justifie dans le cas d'une injustice
« flagrante », c'est-à-dire quand l'action de l'Etat
n'est plus conforme aux principes de justice. Car la
désobéissance civile est « (...) un acte
politique s'adressant au sens de la justice de la
collectivité ».61(*)
L'autre conclusion que Rawls déduit de cette
idée pose que la désobéissance civile doit être non
violente. La violence est « incompatible avec la
désobéissance civile comme appel public ». Compte
tenu de la peur que suscite la violence dans le public, une
désobéissance civile qui s'accompagne de violence se contenterait
d'être une menace, au lieu d'être un appel public. Allant dans le
même sens, Marshall Cohen, dans son « Liberalism and
Disobedience », pense qu'une désobéissance civile
fondée sur la violence rendrait les citoyens insensibles à toute
persuasion rationnelle ou morale.62(*) Il pousse même sa réflexion plus loin en
limitant son approbation sur la condamnation rawlsienne de la violence, dans le
cas où elle s'enprend à l'intégrité physique des
personnes. Selon lui, Rawls est convaincant « lorsqu'il s'agit de la
violence contre les biens ». Mais en acceptant la thèse de la
non violence dans la désobéissance civile, Cohen réduit
l'application de la violence au seul domaine des biens publics :
S'enprendre avec violence, dit-il, à des biens
ayant une importance symbolique peut être un moyen spectaculaire mais pas
vraiment menaçant de faire valoir une protestation efficace.63(*)
Certes on peut soupçonner dans la thèse
rawlsienne des relents conservateurs, puisqu'il semble soutenir la
parité naturelle entre justice et harmonie sociale, et oubli le danger
que représente dans une société démocratique, la
formation des groupes de pression stables et bien organisés, afin
d'exploiter et léser ceux qui ne sont pas des leurs (nous pensons aux
sectes occultes, associations religieuses extrémistes, etc.) Mais il
faut aussi noter que la thèse de Cohen sur la justification de la
violence exercée sur les biens publics, manque de réalisme. Car
il n'est pas possible, dans les situations d'hystérie populaire qui
accompagnent souvent la désobéissance civile, de distinguer les
biens publics des biens privés. De plus, la destruction des biens
publics crée des dommages irréversibles dont souffre plus tard
l'ensemble de la communauté. Nous pensons que la création au sein
des institutions sociales d'un cadre juridique dans lequel les associations
peuvent défendre les intérêts des citoyens, peut permettre
de juguler certaines dérives liées à la protestation
citoyenne.
Au surplus, la considération économique
qu'introduit le principe de différence place la détermination des
principes de justice au dessus de la seule question de la
légitimité de l'Etat. Elle intègre aussi celle de la
société civile. Cela résulte d'un renouvellement profond
de la théorie contractualiste, renouvellement qui permet à la
théorie rawlsienne de couvrir la totalité du champ social.
S'agissant du voile d'ignorance, sa définition
réduit le contrat social à une « expérience de
pensée » (a device of representation). Cette dernière
ne renvoie pas à une ascèse intellectuelle, mais à une
expérience théorique de la raison pratique ramenée
à sa donnée essentielle, où elle désigne la raison
pratique vivant elle-même sa propre expérience. Dans Justice
comme équité, Rawls développe l'idée que le
voile d'ignorance établit, eu égard à la justice,
l'impossibilité d'une défense unilatérale des
intérêts personnels.64(*) Cela suppose que les normes sociales doivent non
seulement recevoir un consensus universel, mais aussi être admises comme
des principes publics devant réguler la coopération sociale. Ce
qui fait des principes de justice rawlsien l'expression la plus rigoureuse des
droits de l'homme et du citoyen. Dès lors en envisageant le contrat
social comme une simple « expérience de
pensée » Rawls ramène la philosophie du contrat
à une philosophie de la conscience. Ceci est plus significatif lorsqu'on
s'arrête sur le sens des notions d'individu, partenaires, citoyens.
La notion d'individu possède une connotation empirique
et désigne des êtres réels dans une société
réelle. Quant aux partenaires, la représentation dont ils font
l'objet dans la position originelle leur confère un statut exclusivement
rationnel. En tant que tel, ils sont « mutuellement
désintéressés », « mutuellement
différents ». Cependant, ils ont la lourde
responsabilité de défendre les intérêts
supérieurs des citoyens. Ces derniers déterminent les choix des
partenaires, puisque c'est à eux que se réfèrent les
partenaires dans la position originelle lorsqu'ils doivent choisir les
principes de gouvernances publics. Les citoyens possèdent un sens de la
justice provenant de la culture politique d'une démocratie. Ainsi, les
principes des justices choisis par les partenaires doivent être en accord
avec le sens de la justice des citoyens d'une société
démocratique bien ordonnée. Ce qui veut dire que les principes
qui conviennent aux citoyens d'une société démocratique
bien ordonnée, qui est une société idéale,
conviennent à tous. A cet effet, la philosophie politique devient
possibilité de construction de la société idéale
dans l'immanence, puisque son essence réside dans la
détermination et l'application institutionnelle des principes auxquels
adhèreraient les citoyens d'une telle société.
Mais ceci n'appelle pas à l'introduction (consciente
ou non) dans l'argumentation rawlsienne d'une norme de
« bien », valeur reconnue par tous comme idéal
à réaliser. La métaphore du voile d'ignorance
définit catégoriquement les conditions à partir desquelles
les principes justes peuvent être « choisis » parmi
d'autres. A cet effet, elle suppose seulement une procédure acceptable
par tous, en définissant le degré d'ignorance des partenaires
dans la situation initiale, afin d'aboutir à une juste procédure.
Le consensus auquel parviennent les partenaires dans la position originelle, ne
porte pas sur une norme de « bien » à partir de
laquelle on pourrait évaluer les institutions sociales. Il porte
plutôt sur une forme de répartition acceptable des moyens,
à partir de laquelle chaque citoyen pourra vaquer à la poursuite
de ses intérêts. Ainsi, dans l'argumentation rawlsienne, la
position originelle et le voile d'ignorance définissent les conditions
menant aux principes de la juste procédure. La position originelle
mérite dès lors d'être comprise dans le cadre d'une
construction où c'est le voile d'ignorance qui figure la situation
d'égalité de laquelle émerge la différence
acceptable. « C'est ainsi que les partenaires en arrivent au principe
de différence ».65(*)
Dès lors, on peut mieux saisir le rejet de
l'utilitarisme dans la critique sociale. Cette doctrine croit pouvoir fondre
les valeurs humaines en une valeur unique : l'utilité. D'une part,
sa démarche suppose un ensemble d'utilités communes à
tous. D'autre part, en fondant la liberté dans un espace homogène
de biens, elle rend légitime la logique du sacrifice de la
liberté des uns au profit d'une prospérité
économique plus importante pour le plus grand nombre. Pour Rawls, un tel
point de vue résulte d'une méconnaissance de la véritable
nature de la liberté. Le propre de la liberté réside dans
le fait que chacun peut, et à tout moment, changer sa conception du
bien. Ainsi, les contradictions immanentes aux relations sociales ne sont pas
uniquement dues au fait que les individus « veulent
les mêmes sortes de choses pour satisfaire des désirs semblables,
mais parce que leurs conceptions du bien
diffèrent »66(*).
Par ailleurs, au regard du second principe, l'approche
comptable et globalisante de la répartition utilitariste n'assure pas un
sort favorable aux plus défavorisés. Elle légitime
plutôt le sacrifice des uns pour le plus grand bien des autres. Ainsi,
« on peut supposer que le principe d'utilité exige que
certains, les moins fortunés, acceptent des perspectives de vie moins
bonnes au nom du bien des autres »67(*). Dès lors la logique de la
« délibération rationnelle » apparaît
comme critique d'une position par rapport à une autre
préalablement fondée. L'utilitarisme est jugé à la
lumière des principes de la justice comme équité.
C'est là le fondement de l'engagement philosophique de
Rawls qui se résume dans un conflit majeur entre deux théories de
la démocratie libérale. L'une, expression de l'Etat providence
(welfare State) se veut la quête du plus grand bien de tous, mais son
argumentation fournit aux puissants le monopole de la gestion du
bien-être général. L'autre théorie se veut
défense de l'égalité et subordonne la question de
l'inégalité à l'appréciation des plus faibles. La
portée pratique de cet engagement se manifestera dans la conception que
Rawls se fait des institutions justes.
B.
À L'AUTONOMIE POLITIQUE DES CITOYENS D'UNE DEMOCRATIE.
Le projet pratique de l'autonomie doctrinale de Rawls
manifeste une critique des institutions politiques et des principes qui les
gouvernent. Cette critique doit exprimer à son tour l'autonomie des
citoyens, conformément à la célèbre formule de
Rousseau selon laquelle « l'obéissance à une loi
qu'on s'est donnée est liberté ». C'est dire que dans
l'optique rawlsienne, l'autonomie complète des citoyens d'une
démocratie se manifeste dans l'exercice du pouvoir constituant, au
moment où ils tentent de se donner une constitution démocratique.
Car c'est le moment où « notre raison est absolument
spontanée et ne dépend de rien en dehors
d'elle-même »68(*). Ainsi s'exprime le sens du politique chez
Rawls. Pour en saisir la portée quelques précisions
méritent d'être faites.
Le sens du politique pose comme préalable la
possibilité d'une application pratique des principes de justice à
la structure de base de la société. Ceci se présente sous
la forme d'une procédure démocratique que doit suivre celui qui
se pose la question de la justice dans une société ; un
procès idéal à quatre étapes qui se déploie
dans une levée « progressive » du voile
d'ignorance.
Rawls appelle cette démarche la
« séquence des quatre
étapes »69(*). Ici, le philosophe américain examine
premièrement comment le premier principe de la justice s'applique aux
institutions démocratiques. Dans Libéralisme politique,
il est signifié que « la séquence des quatre
étapes dans son ensemble est un système qui permet
d'élaborer une conception de la justice et de guider l'application de
ses principes au bon domaine et dans le bon ordre »70(*). On peut dès lors
comprendre que les développements résultant de la
séquence des quatre étapes visent
à définir une théorie des institutions conférant un
caractère général aux connaissances qui résultent
des réflexions rawlsiennes sur le processus politique et
économique de la « société bien
ordonnée ».
Cette progression des idées rawlsiennes soulève
des conséquences sur lesquelles il semble important de s'arrêter,
vue quelles adhèrent difficilement à l'hypothèse d'une
levée « progressive » du voile d'ignorance. La
théorie de Rawls se situe au centre d'une tension entre deux
démarches épistémologiques : la démarche
historiciste et la démarche déductive.
La démarche historiciste fonde la théorie de
Rawls dans l'histoire. Ici, l'activité philosophique se définit
comme évaluation d'institutions sociales données, en
référence à des principes énoncés suite
à une réinterprétation des idées de la conscience
démocratique. C'est cette démarche qui gouverne la
définition des libertés de base. Dans ce texte de Justice et
démocratie, Rawls s'explique:
Il s'agit d'examiner la constitution des Etats
démocratiques afin de dresser une liste de libertés qui, en
général, y sont protégées et d'étudier le
rôle de ces libertés dans les constitutions qui ont bien
fonctionnés. Quoique ce genre d'information ne soit pas disponible pour
les partenaires dans la position originelle, elle est disponible pour nous
(...), et il est donc possible que cette connaissance historique influence le
contenu des principes de justice que nous avons admis comme des choix possibles
pour les partenaires (...) supposons que nous avons trouvé une liste de
libertés de base qui atteigne le but de la justice comme
équité. Nous traitons cette liste comme un point de départ
qui peut s'améliorer (...). »71(*)
A la suite de ce propos, on comprend que la tache des
partenaires dans la position originelle ne consiste pas à produire
« ex nihilo » les principes, mais à
déterminer quelles options protègent ces libertés de base
définies dans la tradition démocratique libérale. L'examen
des notions de « justice politique » et de
« constitution » dans Théorie de la justice
(pp. 257-264) pose comme donnée l'ensemble des institutions existantes
de la démocratie, et propose en même temps de mener une
réflexion sur les conditions nécessaires à une meilleure
démocratisation de ces institutions.
Une fois la démarche historiciste de la critique
sociale en vue, Rawls adopte une démarche déductive dont la
rigueur apporte la crédibilité à son argumentation. Cette
démarche déductive s'observe dans la définition des
conditions de légitimation de la liberté, et dans l'examen des
conditions de possibilité de l'Etat de droit. Dans le premier cas, la
déduction pose que la limitation de la liberté est
déductible des exigences même de la liberté. Ce
précepte de la démonstration rawlsienne met hors-jeu l'opinion
utilitariste qui soutient la réduction de la liberté en vue
d'avantages socio-économiques de quelques uns. La déduction
procède des principes aux institutions : le principe
d'égales libertés « exige un droit égal de
tous les citoyens à participer au processus institutionnel qui
établit les lois auxquelles ils doivent se conformer
(...) »72(*).
Dans le second cas, une société bien
ordonnée est celle dans laquelle les individus sont conscients du fait
qu'ils ont un sens de la justice, et du fait que certains peuvent se rebeller
face aux exigences de la justice. D'où la légitimation de la
force coercitive de l'Etat. Rawls se rapproche ici de Hobbes pour qui, la
rigueur de la convention sociale repose sur l'existence d'un
« pouvoir commun établit au dessus des deux parties,
dotée d'un droit et d'une force qui suffisent à leur imposer
l'exécution »73(*). Mais pour Hobbes, un système social
ne peut être considéré comme rationnel que si la perte de
liberté qu'il occasionne est moindre que celle qui prévaudrait en
son absence.
Ces précisions étant faites, nous allons
articuler notre exposé sur l'autonomie complète des citoyens sur
la nature des institutions politiques et économiques justes.
1.
Nature des institutions politiques justes.
Les réflexions au sujet des institutions politiques se
résument dans l'ensemble à une analyse des droits que ces
institutions doivent promouvoir. Ces droits englobent deux secteurs : le
secteur privé et le secteur public.
a. Le secteur
privé
Ce secteur englobe le système adéquat des
libertés dans lequel les formes politiques et juridiques garantissent
pleinement aux individus, une faculté d'agir conformément
à leur nature d'être rationnel et raisonnable. Parmi ces
libertés, Rawls accorde la priorité à la liberté de
conscience. Elle est le fondement des autres libertés, et c'est elle qui
définit l'identité politique du sujet comme être rationnel
et raisonnable. A cet effet, l'autonomie individuelle s'affirme dans le rejet
de la soumission de quiconque aux principes d'un autre, et donc à ses
intérêts. La liberté de conscience définit, à
la fois, la faculté pour chacun de poser un intérêt ultime
sur la base duquel il mesure ses autres intérêts, et
l'échelle des valeurs d'une personne, c'est-à-dire ce qui
façonne son individualité. Elle ne s'affirme donc pas sans
reconnaissance corrélative de la même liberté pour
autrui.
Avec cette survalorisation de la liberté de
conscience, le premier principe, lexicalement prioritaire, apparaît comme
le fondement de la libre détermination du sens de l'existence. Ce qui ne
manque pas de susciter la méfiance de certains penseurs socialistes
disciples de Marx. L'objection ici porte sur le fait qu'une telle conception de
la liberté reste formelle dans l'Etat, laissant le véritable
pouvoir aux aristocrates. Pour que sa théorie ne manifeste pas des
relents aristocratiques, Rawls développe la notion de « valeur
d'une liberté » 74(*) et introduit une nuance. Si le premier principe pose
l'égalité des libertés pour tous, la « valeur
d'usage » (usefulness) de ces libertés varie selon la position
socio-économique des citoyens. A cet effet, la répartition
définie par le principe de différence est légitime selon
que les moins avantagées obtiennent le maximum d'usage de ces
libertés également reparties.
Ainsi, le second principe détermine la valeur de la
liberté et conditionne le premier principe. Certes peut-on croire ici
que la logique de maximisation du sort des plus défavorisés,
présente dans le second principe, s'étend dans la
détermination des libertés. Mais tel n'est pas le cas. Le
principe de différence implique la maximisation, non des
libertés, mais de leur seule valeur.75(*) Etant dès lors qu'elle est
régulée par le principe de différence, la liberté
ne pose pas d'égalité substantielle entre les individus.
Cependant, il est nécessaire de souligner que dans le
cadre des libertés publiques, cette détermination de la valeur de
la liberté n'est pas suffisante. Il faut y ajouter la disposition
équitable des conditions pratiques de leur mise en oeuvre. C'est dire
que la valeur des libertés publiques est assurée si ces
libertés se déterminent selon la norme de
l' « égalité équitable des
chances » (fair opportunity) conditionnant l'accès aux charges
politiques.76(*) Il s'agit
là d'un principe constitutionnel que Rawls formule ainsi :
Ceux qui ont les mêmes dons et motivations devraient
avoir les mêmes chances d'accéder à des
responsabilités publiques, quelque soit leur origine de classe ou leur
niveau économique.77(*)
b. Le secteur public
Ce secteur vient équilibrer les réflexions sur
le secteur privé des libertés. Son développement se
focalise sur la question de la limitation de la participation politique. Il
comporte deux volets : la limitation égale et la limitation
inégale.
- La limitation égale
Cette notion se donne la quête d'un équilibre
politico-institutionnel à partir duquel Rawls cherche à
dépasser l'opinion libérale selon laquelle « les
libertés politiques ont moins d'importance intrinsèque que la
liberté de conscience et la liberté de la
personne » 78(*) tout en conservant son attachement au
libéralisme classique. Certes l'autonomie individuelle,
c'est-à-dire la faculté humaine à s'autogouverner à
travers les lois qu'ils construisent, est le fondement de la
légitimité de la vie civique. Mais Rawls est conscient du danger
que représente l'excès de « participation »
politique des individus. Aussi pense-t-il qu'une solution permanente à
ce problème devrait porter sur la quête d'un équilibre des
forces en présence : accroître la participation politique des
citoyens jusqu'au moment où elle devient une menace pour les
libertés de base, et inversement. Voici comment Rawls formule cette
solution :
Nous n'avons besoin ni d'abandonner complètement le
principe de la participation, ni de permettre sa domination sans limites. Au
lieu de cela, nous devons limiter ou élargir son étendu jusqu'au
point où l'accroissement marginal de sécurité que procure
à la liberté un usage plus grand des mécanismes
constitutionnels devient juste égal à la menace que
représente, pour la liberté, la perte marginale de contrôle
sur les responsables politiques. La décision n'est donc pas une question
de tout ou rien. Il s'agit au contraire d'évaluer l'une par rapport
à l'autre de petites variations dans l'étendue et la
définition des différentes libertés. La priorité de
la liberté n'exclut pas des échanges marginaux à
l'intérieur du système des libertés. En outre, elle
permet, sans cependant l'exiger, que certaines libertés - par exemple
celles couvertes par le principe de participation - soient
considérées moins essentielles puisque leur rôle principal
est de protéger les autres libertés.79(*)
Il ressort de ce propos une filiation de la pensée de
Rawls à la pensée libérale de Benjamin Constant, notamment
sur le fait qu'il place le secteur public de la société (Etat) au
service du secteur privé (l'individu). Mais en même temps, lue
dans toute sa rigueur, l'argumentation rawlsienne semble élucider dans
un souci d'équilibre, les dangers relatifs à la fois à
l'excès et au manque de participation.
Réactualisation rawlsienne du vieux conflit opposant
la « liberté des modernes » à la
« liberté des anciens »,80(*) dont l'analyse ne propose pas
de solution originale, mais soulève des conclusions émanant aussi
bien des traditions libérales (extension du champ politique) que
démocratiques (inégalité de propriété). Pour
mieux comprendre la solution rawlsienne à ce conflit, il faut la lire en
rapport avec l'ensemble de sa théorie. Les limitations égales
pour tous de la liberté de participation politique dépendent de
la pleine réalisation des conditions de la
« valeur » de cette liberté politique (exigence
inscrite dans le premier principe) et d'une limitation de la
« valeur » de la liberté d'appropriation (exigence
dans le second principe).
Mais la logique d'équilibre avancée par Rawls
peut être sujette à deux critiques. Premièrement, on ne
peut aisément restreindre le pouvoir étatique par une
« limitation de la participation ». Au contraire,
l'excès de participation politique des citoyens peut se dresser comme un
contre pouvoir aux prétentions absolutistes du pouvoir étatique.
Donc, c'est l'usage rawlsien de la notion de
« participation » qui pose problème.
Deuxièmement, dans un Etat, l'intersubjectivité s'exprime aussi
bien dans le domaine politique qu'économique. A cet effet, la question
de l'équilibre ne peut être examinée en fonction d'un
principe. Plutôt, c'est au regard des deux principes pris dans leur
ensemble qu'il faudrait l'envisager. La tache de la philosophie politique
revient dès lors à définir la nature des institutions
assurant un juste partage entre les formes publiques et privées de la
propriété.
- La limitation
inégale
Ce volet interpelle le principe de différence qui exige
l'égalité dans toutes les situations, sauf au cas où
l'inégalité est à l'avantage des plus
défavorisés. Dès lors, le raisonnement ici s'oriente dans
la perspective de ceux qui ont le moins de libertés politiques. Rawls
affirme à cet effet :
Il faut toujours justifier une égalité dans
la structure de base aux yeux des plus désavantagés. Ceci
s'applique à tous les biens sociaux premiers, et, en particulier
à la liberté. C'est pourquoi la règle de la
priorité nous demande de montrer que l'inégalité des
droits serait acceptée par les moins favorisés en échange
d'une plus grande protection de leurs autres libertés qui
résulterait de cette restriction.81(*)
Ce propos s'accorde avec la formulation achevée du
premier principe formulé plus loin : « une
inégalité des libertés doit être acceptable par les
citoyens ayant une moindre liberté »82(*). Au nom de la
« limitation inégale », Rawls adhère à
la vision utilitariste de la participation politique qui prescrit d'accorder
plus de libertés politiques aux plus compétents. Selon le
philosophe américain, ce point de vue peut être acceptable
à condition qu'il se pose en faveur d'une « plus grande
sécurité des autres libertés »83(*) non du bien-être comme
semble le soutenir Stuart-Mill.
Le problème de la légitimité d'une
inégalité des libertés politiques est examiné sur
la base des contingences historiques. Le fait fondamental ici est la prise en
considération des faits de l'histoire humaine, qui semblent en accord
avec la thèse selon laquelle la privation des libertés politiques
semble nécessaire au cas où elle est au service de la quête
d'un ordre social qui favoriserait la jouissance de la totalité de ces
libertés. L'analyse de certains faits historiques, à l'exemple de
l'esclavage, du servage, amène Rawls à conclure
qu' « il faudrait peut-être renoncer à une partie
de ces libertés, quand ceci s'avère nécessaire pour
transformer une société moins heureuse en une
société où l'on peut jouir pleinement de toutes les
libertés égales pour tous ».84(*)
Mais cet exposé dégage à son tour des
incohérences. La différence de traitement évoqué
par le second principe s'envisage, eu égard au bien sur lequel l'on
consent au partage inégal. Mais dans le présent exposé,
Rawls semble prétendre au contraire : la différence
d'accès à la citoyenneté doit procurer un meilleur
accès aux libertés personnelles ; la citoyenneté et
la liberté personnelle étant deux biens différents. Rawls
semble supposer qu'en référence aux « limitations
inégales » de participation politique, certains
préfèreront moins de citoyenneté pour plus de
libertés privées. Une utilisation incohérente du principe
de différence (Rawls passe d'un bien à un autre) qui
dévoile une dimension jusqu'ici implicite de la
« priorité lexicale » du premier principe sur le
second. L'aspect le plus évident de cette « priorité
lexicale » montre que les libertés ne peuvent être
négociables contre le bien-être social. Mais le revers implicite
de cette priorité semble nous faire comprendre que, des libertés
politiques peuvent être négociables contre des libertés
personnelles, en vue d'un meilleur système de liberté.
Dans l'ensemble, la pensée de Rawls considère
les idées politiques du point de vue de la fin supposée du
mouvement de l'histoire, c'est-à-dire le développement et
l'affirmation de la démocratie libérale comme mode de gouvernance
rationnel qui convient le mieux à l'humanité. A cet effet, il
nous fournit une théorie politique trop concrète, historiquement
située, puisqu'il rappelle que sa théorie s'inscrit dans
l'histoire constitutionnelle américaine.85(*) Son projet politique se nourrit de
l'expérience historique de la démocratie constitutionnelle.
Ainsi à la quête de l'autonomie complète
des citoyens, la théorie rawlsienne des institutions politiques justes
dévoile la quête d'un équilibre entre l'individualisme
libéral et le socialisme. A la première doctrine, Rawls retient
la priorité des libertés individuelles. Au second système,
il retient la « valeur équitables » des
libertés politiques. Mais si l'idéal de participation de tous est
sans cesse rappelé dans l'argumentation rawlsienne, un accent
particulier est mis sur les dangers qu'elle comporte. Dangers aux vues desquels
Rawls recommande une limitation de la participation politique, au besoin
inégale, en vue de la défense des autres libertés.
Dès lors l'argumentation en faveur des libertés
individuelles se développe avec l'idée qu'une limitation de la
citoyenneté pourrait les conforter. Mais sans l'élucidation de
l'implication de l'économique dans le politique, cette discussion sur la
participation reste incomplète. C'est à cette tache que nous nous
attèlerons dans la prochaine section de notre réflexion.
2. Les
institutions économiques justes.
Concevoir de façon adéquate l'articulation entre
justice politique et efficacité économique, telle est la
finalité des spéculations rawlsiennes sur l'implication de
l'économique dans le politique. En d'autres termes, il est ici question
de comprendre comment les deux principes de justice
Fonctionnent en tant que conception de l'économie
politique, c'est-à-dire en tant que critères pour évaluer
les rapports économiques et les programmes de politiques
économiques, ainsi que les institutions qui leur sont
liées.86(*)
Dans cette progression d'idées, Rawls définit
(et c'est la son mérite) la question de la justice sociale comme
articulation entre contractualité et efficacité. Contre
l'utilitarisme, il soutient que l'efficacité économique doit
être tenue dans le cadre de la contractualité. Pour mieux saisir
la portée de cette thèse, nous essayeront d'élucider le
sens du concept de marché dans la pensée rawlsienne, de
manière à pouvoir comprendre le fondement du lien social, et la
place des rapports non marchands dans l'économie de marché.
a. Le fondement du lien
social
Si la quête d'institutions politiques adéquates
à la structure de base d'une société juste focalise
l'attention de Rawls sur l'examen des rapports existant entre l'individu et le
pouvoir politique, le citoyen et l'Etat, l'implication de l'économique
dans le politique soulève le problème de la nature du lien
social. Dans ce débat sur la nature du lien social, Rawls déploie
son argumentation en faveur du concept du marché, qu'il considère
comme essence du lien social, forme suprême de la coordination
économique en générale. En effet, la thèse qui
soutient que l'exigence de justice s'impose à l'efficacité
économique semble avoir pour corollaire, la thèse du
marché comme lieu de manifestation de l'efficacité
économique et de liberté, grâce à la
possibilité de choix du métier qu'il donne et à la
décentralisation du pouvoir qu'il assure. Ceci est rendu possible par
l'existence de la propriété privée des firmes, et leur
affrontement sur le marché.
Mais Rawls prend soin de préciser que la
propriété privée des biens de production ne possède
pas de légitimité naturelle. La légitimité ici est
le résultat d'un choix contractuel à partir duquel elle est
permise dans une société autorisant la propriété
privée du capital. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre ce
propos :
Il n'y a pas de relation
essentielle entre le recourt à la liberté du marché et la
propriété privée des moyens de production. Cette relation
est un hasard historique dans la mesure où théoriquement du
moins, un régime socialiste peut profiter aussi des avantages de ce
système.87(*)
A cet effet, l'argumentation sur l'implication de
l'économique dans le politique pose le problème du choix du
système économique le mieux adapté à la
« société bien ordonnée », plus
spécifiquement le choix entre libéralisme et socialisme. Lequel
de ces deux régimes figure le mieux la « société
ordonnée » ?
Pour répondre à cette question, Rawls distingue
cinq systèmes sociaux fondés sur l'économie de
marché ; des régimes considérés comme
possédant des institutions politiques, économiques et sociales
pertinentes. Il s'agit, (a) le capitalisme du laisser faire, (b) le capitalisme
de l'Etat providence, (c) le socialisme d'Etat avec économie
dirigée, (d) la démocratie des propriétaires, (e) le
socialisme démocratique.88(*) Selon lui, les trois premiers systèmes sociaux
sont incompatibles avec le libéralisme politique de la théorie de
la justice comme équité, parce qu'ils violent
à des degrés divers la justice. Le « laisser
faire » viole le principe d'égalité équitable,
l'Etat providence ne respecte pas le principe de différence, le
socialisme d'Etat est incompatible avec le principe d'égales
libertés. Reste la démocratie des propriétaires et le
socialisme démocratique. La distinction entre ces deux systèmes
sociaux réside dans le fait que le marché possède une
fonction allocative et distributive dans le premier, et seulement allocative
dans le second. L'entreprise conserve le profit de son activité, mais
celui-ci n'est pas distribué à des personnes privées,
propriétaires du capital. Rawls remarque cependant que
« la théorie de la justice, en elle-même, ne
favorise ni l'une ni l'autre de ces formes de
régime »89(*), mais peut aider à déterminer lequel
des deux régimes est le meilleur dans des conditions historiques
déterminées.
Pourtant il est possible de comprendre, de façon
pertinente, le modèle social que préfère Rawls, eu
égard à sa prétention d'être
préférable aux autres à l'intérieur d'un choix
possible. La pensée rawlsienne s'organise autour du concept
de « démocratie des
propriétaires »90(*) qu'il présente comme étant une
alternative au capitalisme. Ce système comporte des institutions
politiques et économiques conformes aux exigences de la
« société bien ordonnée. » Ici, l'Etat
a une responsabilité économique, celle d'assurer par une
régulation volontariste du marché la meilleure efficacité
de la production d'une part, et un système de redistribution
équitable d'autre part ; soit une juste égalité des
chances et un minimum social définit par le principe de
différence.
L'activité de l'Etat se résume à deux
fonctions essentielles définies sous la forme de quatre
« départements » spécialisés.91(*) Premièrement, l'Etat
doit oeuvrer dans l'affirmation des vertus de l'économie du
marché. Cette tache est réalisée principalement par le
« département des allocations » et le
département « chargé de la stabilisation ».
Le premier département, grâce à un système de taxe,
de subvention ou par la modification de la propriété, vise la
compatibilité entre la concurrence de l'économie de marché
et l'efficacité. Le deuxième département s'efforce
d'assurer le plein emploi.
Deuxièmement, l'Etat doit oeuvrer en vue de la
valorisation et la promotion de l'égalité démocratique.
Ceci par une politique qui favorise la juste égalité des chances
dans l'éducation, une répartition équitable de la
propriété et du capital. A cet effet, le
« département des transferts sociaux » garanti
à chaque citoyen un revenu minimum en conformité avec le principe
de différence. Il prévoit aussi une allocation (impôt
négatif) s'ajoutant aux bas salaires, et protège les citoyens
contre la misère. Enfin, le « département des
répartitions » contribue à la provision des moyens
nécessaires à la réalisation des biens publics, à
l'éducation et aux transferts sociaux ; ensuite s'assurer la
dispersion du patrimoine en établissant un système fiscal
favorable à la justice distributive.
Ainsi, la « démocratie des
propriétaires » offre un système social fondé
sur l'exigence d'équité présente dans les deux principes
de justice. Ici se définit l'existence des conditions adéquates
à la norme d'égalité. Parmi ces conditions, on peut citer
l'accès égal à un niveau suffisant d'éducation, un
revenu minimal suffisant. Ces conditions constituent en même temps des
moyens efficaces visant à empêcher la formation des couches
sociales marginalisées, et l'émergence d'une élite
privilégiée.
Toutefois, l'argumentation de Rawls présente des
incohérences, non pas sur ce qui concerne le programme social
proposé (nous ne nous y attaquons pas pour le moment), mais sur la
possibilité de sa réalisation. Car pratiquement, il est difficile
de concevoir le rapport marchand comme essence du lien social, sans pour autant
s'inscrire dans une logique de la domination dont la substance consiste
à prendre un aspect de la coopération sociale et à
l'ériger en norme principielle de la vie sociale. Et c'est là ce
qui nous parait réfutable chez Rawls. Et cette approche s'enracine dans
la pensée de Marx qui fait du marché, une détermination
sociale propre à la société capitaliste. L'erreur du
capitalisme, selon Marx, résulte du fait qu'il situe les rapports
marchands définis par le marché au centre de la vie sociale.
Fondée sur une méthode holiste, l'argumentation marxienne
subalternise les rapports marchands en les plaçant à la surface
de la coopération sociale. C'est plutôt le rapport de classe qui
fonde le lien social, même si ce rapport est médiatisé par
le moment concurrentiel.
Les formes de capital (...) se rapprochent progressivement
de la forme sous laquelle ils se manifestent dans la société,
à sa surface pourrait-on dire, dans l'action réciproque des
divers capitaux, dans la concurrence et la conscience ordinaire des agents de
production eux-mêmes.92(*)
Cette confusion de place, de l'avis de Marx, laisse
apparaître deux conséquences importantes et apparemment
contradictoires. Dans un premier moment, le marché change de statut. Il
n'apparaît plus comme « phénomène du
capital », mais comme
« présupposé » du capital.
Deuxièmement, le marché s'affirme comme autonome par rapport au
capital. Ce qui laisse entendre que le capitalisme n'est pas le cadre unique et
nécessaire du développement du marché, mais celui-ci peut
exister sous une forme différente, dans le cadre d'un système
socialiste.
Dans l'ensemble, Marx critique la sublimation du
marché par le capitalisme. Cette critique à pour cible la
conception vulgaire de l'économie qui pense pouvoir expliquer le monde
à partir du marché. Et aussi cette critique s'énonce
contre cette forme de socialisme « qui démontre que le concept
de marché, dans son essence, produit un système de liberté
et d'égalité pour tous, mais qu'il a été
faussé par l'argent, le capital, etc. »93(*)
Ainsi, en fondant sur le marché les deux formes
sociales qu'il envisage comme variante de la « société
bien ordonnée », Rawls rejette un système social
dirigiste de type soviétique qui exclu les rapports marchands. Mais il
semble éluder le fait que les relations sociales ne se forment pas
uniquement sur le seul mode de la coordination économique. Les
dimensions non marchandes94(*) des relations sociales, traduites en termes soit de
coopération directe, soit d'organisation, sont aussi envisageables et
doivent être considérées comme partie prenante de la
théorie de la justice.
Certes il indique que le marché a besoin de correction
pour être à mesure de contrecarrer la formation des monopoles, les
externalités et le manque d'information. Il va même jusqu'à
affirmer que dans la critique sociale, le marché ne s'impose pas de
lui-même comme concept clé, mais est
« choisi » comme fondement du lien social à cause de
ses avantages.95(*) Mais
son approche essentiellement marchande et unilatérale du lien social
n'est pas moins visible. Les réajustements qui s'intègrent dans
l'économie actuelle nous font penser qu'il n'est plus possible de
considérer le marché comme l'essence du lien social, la forme
suprême de la coordination économique. Les dimensions
organisatrice et associative du lien social existent dans toute économie
contemporaine. Ainsi, il nous semble que l'utopie de la
« société bien ordonnée » auraient
plus de pertinence en combinant efficacement les rapports marchands et non
marchands, c'est-à-dire, le moment concurrentiel du marché, la
dimension organisatrice et associative des individus, en adéquation aux
principes de justice. Dans cette perspective, la réalisation du
programme rawlsien d'une théorie qui
« généralise et porte à un plus haut niveau
d'abstraction la théorie bien connue du contrat
social »96(*)
peut être envisageable, puisque les modèles proposés se
donnent pour objet de déterminer une articulation optimale, au regard de
la justice, des rapports marchands et non marchands.
Au final, ce chapitre a été consacré
à la question de savoir si l'autonomie rationnelle, si chère
à la pensée moderne pour rendre compte de la souveraineté
du sujet (notamment chez Kant), a des chances de servir efficacement à
la mise en oeuvre d'un vécu politique juste, dans le contexte du
pluralisme raisonnable qui caractérise les sociétés
actuelles. Nous avons vu comment l'analyse rawlsienne de cette question
écarte certaines doctrines portant sur la nature de la justice, au motif
qu'elles laissent de la place à l'hétéronomie dans la
construction d'un ordre public unifié. C'est en cela que consiste
l'autonomie doctrinale d'une conception de la justice, dont la portée
pratique se manifeste dans la conception que Rawls se fait des institutions
sociales justes. Dans l'ensemble, les conclusions de Rawls au sujet des
institutions sociales justes reflètent la conception qu'il se fait d'une
société juste, et de l'harmonie qui, à ses yeux, lui est
naturellement tributaire. La théorie rawlsienne de la justice montre que
l'harmonie émerge naturellement dans les sociétés, aussi
complexes et vastes soient-elles, une fois que les institutions adhèrent
à la justice. Cela explique pourquoi la justice est érigée
en « première vertu des institutions sociales comme la
vérité est celle des systèmes de
pensée »97(*).
Cependant, l'existence d'un lien naturel entre justice et
harmonie sociale nous semble impossible dans des sociétés vastes
et complexes, même lorsqu'elles sont quasiment justes. L'optimisme
rawlsien semble minimiser le danger que représente la formation des
groupes d'individus stables et bien soudés dans l'Etat, afin d'exploiter
et de réduire à la précarité ceux qui ne sont pas
des leurs. Finalement, la pensée de Rawls se révèle
hautement conservatrice. Elle considère la vie sociale du point de vue
du développement et de l'affirmation de la démocratie
libérale comme forme accomplie de la gouvernance humaine, configurant
ainsi la fin de l'histoire.
CHAPITRE II : AU MONDE
Dans le chapitre précédent, nous avons vu
comment l'idée de raison publique fournit une théorie normative
de la société qui se réclame d'un concept de justice
fondé sur l'échange, en référence au droit
contractuel qui garantit la liberté. Les principes de justice
appliqués à la structure de base de la société
garantissent la paix, la stabilité et la liberté à
l'intérieur des frontières étatiques. Nous prenons l'Etat
ici dans la perspective définie par Lalande :
Société organisée ayant un
gouvernement autonome et jouant le rôle d'une personne morale distincte
à l'égard des autres sociétés analogues avec
lesquelles elle est en relation.98(*)
Il apparaît dès lors logique de se demander si
les bienfaits qui résultent de cette civilité ne pourraient pas
être étendues aux Etats dans leurs rapports réciproques.
C'est l'objet de ce chapitre qui scrute le problème de
l'internationalisme dans la théorie de la justice comme
équité ou, pour utiliser les termes de Rawls, le
problème du « droit des gens » ou « droit
des peuples ».
Deux raisons justifient cet intérêt pour
l'internationalisme dans la pensée de Rawls. D'une part c'est l'occasion
de cerner les mécanismes d'extension de sa conception d'un Etat
rationnel aux relations interétatiques, et comprendre au final
l'idée qu'il se fait de la philosophie politique, dont les idées
libérales de la modernité ont centré la
problématique sur les rapports entre le citoyen et l'Etat. Avec la
mondialisation et sa mise en cause des frontières et des
capacités d'action de l'Etat national, il n'est plus possible de centrer
la politique sur la quête d'une civilité définie comme
rapport entre le citoyen et l'Etat. La société libérale,
conçue comme « un système clos et isolé
des autres sociétés »99(*), à laquelle sont prioritairement
destinés les principes de justice, existe dans un même monde avec
d'autres sociétés. Dès lors, elle
doit posséder une conception de la manière
dont elle est reliée aux autres sociétés et dont elle doit
se conduire envers elles. Elle vit dans le même monde qu'elles et (...)
elle doit formuler certains idéaux et principes pour guider sa politique
envers les autres peuples.100(*)
D'autre part, il y a là une invitation à saisir
le sens de l'utopie comme méthode. L'utopie de l'internationalisme
mobilise l'effort du philosophe à « définir un objet
idéal vers lequel les actions conscientes doivent
converger »101(*). Et dans la pensée de Rawls, cet
« objet idéal » est un monde pacifié,
stabilisé par la justice. Un monde dans lequel « l'injustice
politique aura été éliminé par la mise en oeuvre
des politiques publiques justes (ou au moins décentes) et
l'établissement d'institutions de base justes »102(*).
Comme on peut le voir, Rawls ne se dérobe pas aux
problèmes que pose le droit international. Droit des gens et
Paix et démocratie constituent chacun, une façon de
témoigner d'un achèvement de sa pensée politique. On y
trouve une approche du rapport interétatique dans ce qu'il a de
singulier aux yeux du politique. La problématique du droit des gens ne
se résume pas à celle relative à un droit international,
mais à un droit dont l'autorité s'impose en raison de ses
origines, à l'ensemble des nations.
A. LE
PROBLEME DE LA JUSTICE INTERNATIONALE COMME EXTENSION DU LIBERALISME POLITIQUE
DANS LES RAPPORTS INTERETATIQUES.
Il est important de comprendre qu'en philosophie,
l'éthique des relations internationales apparaît comme un champ de
recherche récent. L'enjeu ici y est de conduire une réflexion
normative au sujet des principes fondamentaux de justice dans l'ordre
international pris comme un tout, et non plus seulement dans le cas interne des
sociétés. Pour ce faire, le droit des gens rawlsien dégage
une distinction fondamentale entre deux ordres de droit, dont l'un est
subordonné à l'autre : la « théorie
idéale » et la « théorie non
idéale » de la justice. Dans le premier cas, le droit des gens
définit une moralité interétatique qui intègre le
principe libéral de tolérance à l'égard des
sociétés hiérarchiques décentes. Le principe de
tolérance, dans la théorie contractualiste de Rawls, ne
relève pas d'un simple compromis politique avec des régimes
pacifiques non libéraux. Dans le cadre du droit des peuples, ce principe
permet de dépasser le temps où la relation entre l'occident et
les autres peuples était résumée par cette formule de Paul
Valery : « Au commencement est le
mépris »103(*). Aux « bases sociales du respect de
soi » dans les sociétés libérales qu'essayait de
clarifier Rawls dans ses premiers écrits, s'ajoutent, dans la structure
de base de la société des peuples, la nécessité de
promouvoir le principe d'égalité des peuples ou le principe du
respect des peuples désormais indépendants. Il est important,
nous dit Rawls, « que les peuples décents se respectent
eux-mêmes et qu'ils soient respectés par les autres peuples
libéraux ou décents »104(*).
Dans le second cas, le droit des gens intègre le
devoir d'assistance comme norme de justice internationale. Ce principe
intervient dans les relations internationales et définit la justice en
référence à une conception de l'Etat social qui soutient
la redistribution globale des richesses mondiales par l'adoption d'une culture
politique raisonnable et capable de défendre des institutions politiques
et sociales justes, garantissant les droits de l'homme. Cela parce que du point
de vue rawlsien, les malheurs des pays pauvres relèvent d'avantage d'une
culture politique corrompue qu'à un manque de ressources.
Les grands maux sociaux dans les sociétés
pauvres sont généralement un pouvoir oppresseur et des
élites corrompues, l'assujettissement des femmes encouragés par
une religion déraisonnable, accompagné d'une surpopulation par
rapport à ce que l'économie de la société peut
décemment supporter.105(*)
1. La
théorie idéale
Elle se consacre au problème d'une
société nationale juste, et doit fournir les principes qui
caractérisent une société libérale bien
ordonnée, marquée par un pluralisme raisonnable. Toutefois,
lorsque Rawls s'intéresse aux rapports interétatiques, la
« théorie idéale » fixe les règles de
conduite des sociétés « bien
ordonnées ». Il s'agit ici des sociétés dont les
citoyens acceptent les mêmes principes de justice rationnels dont les
institutions satisfont ces principes, et dont les gouvernements respectent les
règles de conduites qu'ils ont approuvées. Ce monde des
« sociétés politiques bien ordonnées »
est constitué des sociétés ayant une culture politique
libérale, et des sociétés hiérarchiques bien
ordonnées. Ces dernières représentent des formes sociales
n'ayant pas une culture politique libérale, mais dont les normes
politiques satisfont les trois conditions suivantes :
· S'attachent à la paix et fondent leur politique
internationale sur la diplomatie, le commerce, etc. ;
· Fondent le droit interne sur un idéal de justice
orienté vers le bien commun de l'ensemble des populations, prenant
dès lors en compte les intérêts essentiels des personnes,
tout en imposant de devoirs et des obligations moraux à tous les membres
de la société ;
· Respectent les droits fondamentaux de l'homme,
c'est-à-dire le droit à la vie, le droit de résistance
à l'esclavage, à la servitude et aux occupations forcées,
le droit à la propriété privée et à une
égalité formelle.106(*)
Ainsi, les sociétés hiérarchiques bien
ordonnées montrent qu'elles adhèrent, dans la
« théorie idéales », au même droit des
gens que les sociétés libérales. C'est là le
fondement de l'universalité du droit des gens rawlsien.
Ce droit que partagent les peuples bien ordonnés,
libéraux et hiérarchiques, définit le contenu de la
théorie idéale. Il spécifie le type de
société des peuples bien ordonnés que chaque peuple doit
vouloir, ainsi que la fin régulatrice de sa politique
étrangère. Il possède comme corollaire évident
l'idée, essentielle pour nous, que les sociétés non
libérales doivent respecter les droits de l'homme.107(*)
Avec la « théorie idéale »,
Rawls essaye de fournir une conception systématique de la
société internationale. Le droit international relève
d'une « conception politique du droit et de la
justice »108(*) fondée sur les idées libérales
de la justice, elles-mêmes « similaires bien que plus
générales » à son idée centrale de la
justice comme équité présentée
dans Théorie de la justice et appliquée aux affaires
internationales. Il s'agit pour Rawls de présenter à
l'échelon international des principes de justice politique susceptibles
de faire consensus malgré le pluralisme des doctrines
compréhensives dont peuvent se revendiquer les peuples dans le choix de
leur régime politique.
Dès lors, Rawls revient à la méthode de
la position originelle. Mais ici, les parties en présence dans la
position originelle seront les « peuples » ou
sociétés, et non les individus, afin que la conception de la
justice politique qui en résultera ait une plus grande
généralité et soit ainsi acceptable pour les
sociétés non libérales et non démocratiques. Le
voile d'ignorance leur prive d'informations à propos de
« la taille du territoire, l'importance de la population et la
force relative du peuple dont ils représentent les intérêts
fondamentaux ou encore l'étendu de leurs ressources naturelles ou
le niveau de leur développement économique »109(*).
L'entente sur une conception libérale de la justice
politique internationale va de soi entre les sociétés
déjà libérales, même si elles différent par
l'énoncé de leurs principes de justices internes ; le droit
des gens qui en découle se rapproche des propositions de Kant110(*) et de maintes
théories classiques du droit international. Les éléments
de ce droit sont, entre autre, le respect des traités, non intervention
dans les affaires internes des Etats, droit d'autodéfense mais non de
guerre, respect de certains droits de l'homme. Ce droit des gens ne pourrait
obtenir l'accord des sociétés non libérales et
hiérarchiques s'il était par exemple plus exigeant concernant les
droits de l'homme. Rawls considère que aussi bien les
sociétés libérales que hiérarchiques accepteraient
ces principes libéraux pour gouverner leurs relations. Ce qui
démontre, conclut-il, que ce droit ne dépend pas d'une tradition
particulière de l'Occident, et est donc, y compris les droits de l'homme
qu'il contient, neutre politiquement.
La société internationale ainsi
créée présente ce paradoxe d'être à la fois
juste et d'inspiration libérale, même si certaines de ses
composantes ne sont pas des sociétés
« justes » dans leur ordre interne et selon cette
même conception libérale. Mais ce paradoxe s'efface une fois l'on
reconnaît que la justice entre les nations ne signifie pas la même
chose que la justice dans les nations. La théorie de la justice
globalisée n'est pas la globalité de la Théorie de la
justice.
Au demeurant la « théorie
idéale » du droit des gens présuppose une approche des
relations internationales se déployant dans une logique d'affrontement.
Le monde des « partenaires » c'est-à-dire des
entités politiques reconnaissant un droit des gens raisonnables et
s'identifiant plus ou moins au modèle politico-économique
libéral, s'oppose à l'univers des « Rong
states » ou « Etats voyous », qui sont des Etats
par nature belliqueux et expansionnistes. Cette logique d'affrontement est plus
visible dans l'usage que Rawls fait de la « théorie non
idéale. »
2. La
théorie non idéale.
La finalité de la « théorie non
idéale » est d'imposer une organisation du monde en
conformité avec un ensemble de règles politiques compatibles avec
les procédures de la démocratie libérale. A cet effet,
elle se réfère à la « théorie
idéale » comme modèle politique à
réaliser, car « faute d'un idéal identifié
au moins dans ses grandes lignes, la théorie non idéale ne peut
se référer à aucun objectif pour résoudre les
problèmes qu'elle soulève »111(*).
Les problèmes que soulève la
« théorie non idéale » sont des
« questions de transition », c'est-à-dire qu'elles
débutent dans chaque cas par l'examen de l'état d'une
société. Ensuite cherche les moyens acceptables par le droit des
gens pour aider cette société à progresser en direction de
l'objectif fixé : l'adhésion aux valeurs sociales
libérales.
Deux temps principaux caractérisent le
déploiement de la « théorie non
idéale ». Un temps qui examine les conditions de la
« non obéissance », c'est-à-dire le cas
où certains régimes politiques (les régimes hors la loi)
refusent de reconnaître un droit des gens raisonnable. L'autre temps
définit les « limitations naturelles et les contingences
historiques » 112(*) qui empêchent « les
sociétés du monde les plus pauvres et les moins
avancées technologiquement de réunir les conditions
historiques et sociales susceptibles de leur permettre d'établir des
institutions justes et valables. »113(*)
a. La « non
obéissance »
Avec l'examen des conditions de la « non
obéissance », c'est-à-dire l'attitude des
sociétés bien ordonnées face aux régimes qui ne
reconnaissent pas le droit des gens raisonnables, la « théorie
non idéale » établit une civilité internationale
fondée sur la rivalité, l'adversité. La « non
obéissance » définit une aire politique au sein de
laquelle l'autre est perçu comme un adversaire. Mais cette aire
politique exige aussi la reconnaissance de l'autre. Les peuples bien
ordonnés possèdent un devoir historique, celui de garantir le
droit et la liberté des personnes, même des personnes
évoluant sous la juridiction des régimes hors la loi. C'est la
réalisation de ce devoir qui alimente la logique d'affrontement comme
fondement de l'internationalisme rawlsien. Décrivant ce rapport
d'affrontement entre la fédération des peuples bien
ordonnés et les régimes hors la loi, Rawls écrit :
Ces peuples existent aux cotés des régimes
hors la loi dans un état de nature, et possèdent un devoir envers
l'intégrité et le bien-être de leurs propres
sociétés comme envers ceux des autres peuples qui respectent le
droit. Ce devoir existe aussi à l'égard du bien-être des
peuples assujettis aux régimes hors la loi, mais non envers leurs
dirigeants et leurs élites. »114(*)
La prémisse fondamentale qui se dégage de ce
propos pose l'état de nature comme forme principale des rapports
interétatiques. Elle s'enracine dans la pensée politique de la
modernité. Kant, s'attachant à rectifier l'opinion commune sur la
guerre, lui assigne une approche plus pragmatique, celle qui soumet la paix
internationale à la question transcendantale de sa possibilité.
C'est dans ce cadre critique qu'il faut comprendre le propos avec lequel il
achève son Projet de paix perpétuel :
Les maximes des philosophes concernant les conditions de
la possibilité de la paix politique doivent être consultées
par les Etats armés pour la guerre. »115(*)
Se mettant à la suite de Kant, Hegel pense qu'en
l'absence d'un souverain établi sur eux, les Etats entre eux sont comme
dans un état de nature.
Il n'y a pas de préteurs, écrit-il, pour
trancher les différends entre les Etats, mais tout au plus seulement des
arbitres et des médiateurs, lesquels, toutefois, ne peuvent intervenir
que de manière contingente, en accord avec la volonté
particulière de chacun des Etats
intéressés. »116(*)
Plus précisément, Hegel soutient que la guerre
est indispensable dans la sauvegarde d'un minimum de lien entre les
individualités politiques, lien qui interdit l'affirmation d'une totale
absence du droit dans les rapports interétatiques. La guerre
présuppose la reconnaissance mutuelle des belligérants117(*) et permet de
« limiter les conduites par ailleurs sans frein des Etats à
l'égard les uns des autres si bien que la paix demeure toujours
possibles »118(*).
Ainsi, pour Kant comme pour Hegel, la présence
nécessaire de la guerre dans les relations internationales fait
apparaître dans le droit naturel une antinomie qui interdit de traiter le
droit des gens dans les mêmes termes que ceux qu'on utilise pour penser
le droit interne aux communautés politiques. Par contre, bien que se
revendiquant kantien, Rawls rejette cette conception des rapports
interétatiques fondée sur la glorification de la guerre comme
nécessité historique et bien moral. L'approche qu'il donne aux
relations internationales tend plutôt vers une
« criminalisation de la guerre ». La guerre n'est plus un
épisode nécessaire pour la paix et la stabilité mondiale.
Son éradication est un objectif vers lequel Rawls veut parvenir par la
promotion de la justice. L'approche méthodique adoptée pour la
définition des principes et concepts du droit des gens est la même
que celle utilisée pour la justification des principes de justice
internes aux sociétés. Rawls affirme à cet effet :
Il n'y a aucune différence pertinente entre,
disons, la façon dont la conception de la justice comme
équité est élaborée pour les cas internes dans
Théorie de la justice et celle dont le droit des gens est
élaboré d'après les idées libérales de
justice les plus générales. Dans les deux cas, nous utilisons la
même idée fondamentale d'un procédé raisonnable de
construction dans lequel les agent rationnels équitablement
situés (...) choisissent les principes de justice pour l'objet qui est
pertinent, que ce soient les institutions propres ou le droit partagés
des peuples. »119(*)
L'universalité du droit des gens n'est plus
légitimée par un quelconque état de nature dans lequel
c'est la guerre constante entre les Etats qui conditionne la paix mondiale. Si
le droit des gens est appelé à s'imposer à tous les Etats,
c'est parce qu'il repose sur une conception libérale de la justice
élaborée afin de s'étendre et de s'appliquer au droit
international. Le droit des gens rawlsien est l'expression des principes et
concepts de la raison pratique, « étant entendu que ceux-ci
sont toujours ajustés de manière à s'appliquer aux
différents objets à mesure qu'ils se présentent, et qu'ils
sont toujours acceptés, à l'issue d'une réflexion
appropriée par les agents raisonnables auxquels les principes de justice
s'appliquent. »120(*)
En référence à la pensée
politique moderne, la légitimation de la guerre comme
nécessité historique et bien moral nous place devant une norme
suprême des relations internationales astreinte au « devoir
être ». Le droit des gens ne s'illustre comme droit applicable
aux nations qu'avec le consentement des souverains particuliers. De même
la reconnaissance mutuelle des parties en conflit limite la guerre à la
quête d'un compromis entre les parties, excluant ainsi l'hypothèse
d'un anéantissement de l'autre. On se trouve en face d'une
théorie de l'internationalisme définie comme quête d'un
équilibre entre guerre et droit.
La rupture de cet équilibre, notamment avec
l'expérience de la première et de la deuxième guerre
mondiale, a imposé une refondation du droit international, par le
dépassement de la guerre. Ce nouveau « système des
Etats » repose sur la justice, entendue comme expression d'un droit
des gens raisonnables spécifiant « le contenu
d'une approche libérale de la justice élaborée afin de
s'étendre et de s'appliquer au droit
internationale »121(*).
Dans cette perspective, le droit des gens définit une
tentative de reconstruire une théorie de la « guerre
juste » dans un contexte intellectuel où la
souveraineté et l'autonomie des Etats sont défendues. Avec la
justice au fondement du « système des Etats », le
droit à la guerre est restreint au seul cas de la défense, ce qui
permet la sécurité collective. Cette prétention à
la défense n'est valable que sous certaines conditions. Il doit s'agir
d'une défense contre une attaque armée, ou contre un
intérêt de sécurité absolument vital, tel la
violation par un autre Etat d'un traité dont le rôle est de
protéger l'Etat désormais menacé, ou encore la
décision de refuser à un Etat des ressources naturelles sans
lesquelles son économie s'effondrerait (ce que Henry Kissinger a
appelé « l'étranglement économique »).
Analysant le cas de la guerre de 1967, lorsque l'Etat d'Israël,
après la décision du président égyptien Nasser de
fermer le détroit de Tiran, décida d'attaquer l'Egypte, Michael
Walzer tire le principe suivant :
Les Etats peuvent utiliser la force militaire lorsqu'ils
font face à des menaces de guerres et que le non recours à la
force risquerait d'entraîner des conséquences graves pour leur
intégrité territoriale, ou leur indépendance
politique. »122(*)
Le paradigme de la « guerre juste » dans
la pensée politique libérale légitime, dans les relations
internationales, le recours à la force selon trois modalités.
Tout d'abord, la défense de l'autonomie politique devant la menace
expansionniste d'un Etat qui veut annexer un autre Etat. Dans ce cas, le
recours à la force peut être revendiqué par un Etat
« partenaire » à l'Etat qui subit l'agression, ou
par la communauté des Etats reconnaissant le droit des gens raisonnable.
La seconde modalité est la contre intervention. Ce concept fait appel
à un rétablissement de l'équilibre des forces entre deux
fractions d'une même entité politique qui s'affrontent, et dont
l'une bénéficie du soutien extérieur d'un régime
hors la loi.
La troisième modalité est l'intervention
humanitaire. Ici, le recourt à la force est justifié par la
nécessité de mettre fin à des actes
particulièrement atroces, tels les génocides, les
épurations ethniques, les famines délibérément
provoquées, l'asservissement des populations entières.
L'intervention d'humanité fournit la possibilité d'intervenir par
la force à l'intérieur d'un Etat pour faire respecter les droits
de l'homme. Stanley Hoffmann s'exprimant là-dessus observe que
L'intervention humanitaire s'élève pour
ainsi dire au-dessus du principe de souveraineté. Elle reconnaît
qu'il existe des droits de l'homme fondamentaux tels que le droit à la
vie, qui dépassent les limites de l'Etat. D'où la
légitimité d'interventions extérieures dans le cas de
génocide, de la famine, etc. »123(*)
La charte des Nations unis reconnaît à
l'intervention humanitaire, le pouvoir de limiter le principe de la
souveraineté des Etats au nom de la défense des droits de
l'homme. Reconnaissance qui n'a pas manqué d'entraîner de
formidables escalades. Certains Etats prenant pour prétexte la
défense des droits de l'homme, se sont rendus coupables de plusieurs
exactions à l'intérieur d'autres Etats. Parfois l'intervention
humanitaire s'est transformée en une opération de force
destinée, non pas à défendre les droits de l'homme en
général, mais la personne et les biens des ressortissants
nationaux en territoire étranger. Parfois, elle s'est transformée
en un moyen efficace pour éliminer des dirigeants
considérés comme des ennemis politiques. Bref, comme le remarque
Franck Attar,
Quelques soit le regard que l'on porte sur l'intervention
d'humanité, il faut constater que, dans la plupart des cas, elle
s'opère en violation d'une souveraineté
territoriale. »124(*)
Dans l'ensemble, l'option de la guerre dans le système
international contemporain vise la suppression de toute contradiction dans les
relations internationales. Se désolidarisant de la glorification moderne
du conflit, le droit des gens rawlsien pose une organisation du monde conforme
aux valeurs sociales et à un ensemble de règles politiques
compatibles avec des procédures propres aux sociétés
libérales. Seule la défense de ces valeurs, entre autres les
libertés de base des citoyens et l'ordre constitutionnel défendu
par des institutions politiques justes, peut justifier l'entrée en
guerre d'une société libérale ; Rawls écrit
à cet effet :
Lorsqu'une société libérale s'engage
dans une guerre d'autodéfense, elle le fait pour protéger et
préserver les libertés de base de ses citoyens et ses
institutions politiques démocratiques constitutionnelles. En effet, une
société libérale ne peut pas en justice exiger de ses
citoyens qu'ils combattent pour augmenter sa richesse économique ou pour
acquérir des ressources naturelles, encore moins pour conquérir
le pouvoir et un empire. »125(*)
Ainsi la défense des valeurs politiques de la
démocratie libérale conditionne la guerre à un
universalisme rassembleur, ayant pour fonction de renforcer les liens entre les
éléments d'un système international radicalement
hétérogène. Une conception de la guerre que Robert W.
Tucker décrit comme particulièrement américaine : la
guerre dont l'origine est moralement acceptable (la défense), mais dont
l'objectif devient rien moins que l'élimination définitive de
toutes les guerres.126(*) Cela se fait par l'ajustement au modèle
universel du libre échange, de tout autre projet politique. Aussi
l'idée d'une démocratie libérale pacifiée dans ses
contradictions internes, tout comme les droits de l'homme, en sont les
éléments clés.
La défense des peuples bien ordonnés est la
première et la plus urgente tache du droit des gens. Un autre objectif
à long terme du droit des gens est d'amener au bout du compte toutes les
sociétés à respecter ce droit et à devenir membres
autonomes et à part entière de la société des
peuples bien ordonnés et de garantir par là même et en tout
lieu les droits de l'homme.127(*)
La réalisation d'une fin aussi ambitieuse passe d'abord
par des pressions diplomatiques que les peuples bien ordonnés peuvent
exercer sur les régimes hors-la-loi. L'accord des peuples bien
ordonnés sur une politique commune envers les régimes hors-la-loi
étant un élément clé dans la stabilisation du
monde, c'est d'abord dans le cadre de forum public d'expression, tels les
Nations unies, que devra se déployer la pression diplomatique, la
dénonciation de la cruauté, de l'oppression qui
caractérisent ces régimes. Mais vue que cette pression n'est pas
suffisante par elle-même pour amener les régimes hors-la-loi
à changer leurs pratiques, Rawls pense qu'elles doivent être
renforcée par
Le refus ferme de toute aide militaire, économique
ou autre ; et les régimes hors-la-loi ne doivent pas être
admis par les peuples bien ordonnés comme membres respectables des
pratiques de coopération visant leur bénéfice
mutuels.128(*)
b. Les
« conditions défavorables »
Cette variante de la « théorie non
idéale » définit à son tour le comportement des
peuples bien ordonnés à l'égard des sociétés
aux prises avec les « conditions défavorables »,
c'est-à-dire des sociétés ne réunissant pas les
conditions permettant l'établissement d'institutions politiques et
économiques justes. Plus précisément, l'examen de la
« théorie non idéale » à ce niveau
donne à Rawls la possibilité de se prononcer sur le type de
rapport qui peut se penser entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre les
pays développé et le tiers monde, puisque les conditions
défavorables représentent :
Les conditions des sociétés qui ne sont pas
dotées de manières suffisantes de tradition culturelles et
politiques, de capital et de savoir faire humain, ni de ressources
matérielles et technologiques qui rendent possible l'existence des
sociétés bien ordonnées.129(*)
Le droit des gens à ce niveau se donne sous la forme
d'une alternative paternaliste. Il s'agit en fait d'accompagner les
sociétés qui vivent sous l'influence des « conditions
défavorables » par étapes successives, dans la voie qui
mène à des institutions sociales justes. Le but ici étant
d'ajuster à l'universalité de la démocratie
libérale par la refondation en justice des institutions politiques, le
fonctionnement des sociétés et des Etats du Tiers monde. Rawls
déclare à cet effet :
Chaque société accablée à un
moment donné par les circonstances défavorables doit finir par
être hissé au niveau des conditions qui rendent possible une
société bien ordonnée, ou du moins doit être
soutenue dans cette voie.130(*)
C'est là le fondement libéral du devoir
d'assistance comme norme de justice internationale. Ce principe intervient dans
les relations internationales et définit la justice distributive en
référence à un principe d'égalité (entre les
peuples) ne pouvant justifier un développement, notamment
économique, égal entre les peuples. Le droit des gens reste
« indifférent » au sort de la personne globalement
la plus défavorisée. L'amélioration du sort de cette
personne relèverait d'une redistribution individualiste et maximaliste
qui ne peut reposer, aux yeux de Rawls, sur une justification impartiale, dans
l'ordre international, des principes de justice fondamentaux semblable à
celle qu'il propose dans le registre intra étatique.
L'usage de la position originelle internationale comme
dispositif garant de l'impartialité semblerait commettre d'emblée
Rawls à proposer une approche de la justice distributive internationale
prenant la forme d'une globalisation du principe de différence. Pareille
aux représentants des individus qui savent que leur position dans la
société réelle pourrait être la moins avantageuse,
les représentants des Etats savent que leurs Etats peuvent de la
même façon être parmi les moins privilégiés. A
cet effet, ils choisiraient un principe de différence global qui
exigerait, dans le domaine précis des échanges, la maximisation
du sort des plus pauvres. Le politologue Brian Barry pense que les
représentants d'Etat derrière le voile d'ignorance ne peuvent
logiquement aboutir à rien d'autre qu'à un accord sur
« une sorte de maximum internationale »131(*). Dans un esprit assez
proche, le philosophe Thomas Scanlon estime que
Dès lors qu'il y a interaction économique
systématique entre les Etats, le principe de différence doit
pouvoir s'appliquer au système économique mondial dans son
ensemble.132(*)
Mais aussi alléchantes que puissent être ces
conclusions, il faut comprendre qu'elles ne s'accordent pas au droit des gens
rawlsien. Deux éléments peuvent nous aider à comprendre
cette inflexion spectaculaire de la théorie de Rawls. Le premier
réside dans la méthode du contractualisme. Elle ne se contente
pas d'appliquer à tous les cas un seul et même principe universel,
mais spécifie une procédure adaptée à chaque sujet
considéré.133(*) Ainsi, pour aboutir à une conception de la
justice internationale plus générale et acceptable pour les
sociétés libérales et non libérales, les parties en
position originelle sont les représentants des Etats, et non des
individus. Le second élément de réponse découle du
premier. Une position originelle globale qui inclurait tous les individus avant
qu'ils ne décident leur possible regroupement ou division en
« peuple » (position extrême développée
par le « cosmopolitisme » de Charles R. Beitz et Peter
Singer) ferait un usage trop large de la conception politique de l'individu
comme libre et égal. Ce qui rétrécirait d'autant plus la
base d'entente du droit des gens ; Il faut donc mettre de coté la
conception politique de la personne propre à la culture politique
libérale, ainsi que les éléments les plus
égalitaristes des idéaux libéraux de justice. C'est de
cette façon qu'on peut éviter, comme le soutient Rawls, de
préjuger de l'accord des sociétés non libérales.
Une exigence fondamentale de la méthode
constructiviste dans le choix des principes de justice est que les partenaires
derrière le voile d'ignorance ne doivent s'accorder que sur des
principes qu'ils peuvent librement honorer et respecter. Rawls soutient cette
exigence lorsqu'il conditionne la validité d'un accord au fait que les
partenaires soient en mesure de le respecter dans tous les cas de figures
possibles liés à ce domaine.134(*) Ainsi les partenaires dans la position originelle
prévoient toujours des dispositions leur permettant de faire ce à
quoi ils s'engagent. C'est le rôle du pouvoir souverain chargé de
l'application des principes de justice.
Il faut, écrit-il, établir un processus de
pénalisation et d'amendes afin de maintenir la confiance publique dans
le système supérieur du point de vue de chacun, ou
supérieur en tout cas à la situation qui règnerait en son
absence. C'est ici que la simple existence d'un souverain efficace, ou
même la croyance générale en son efficacité, joue un
rôle crucial.135(*)
Cette hypothèse d'un souverain qui assure la
stabilité sociale par la contrainte, semble se détacher de la
vision globale qui se dégage de la société et de
l'harmonie qui lui est naturellement associée. Si l'harmonie fleurit
naturellement dans les sociétés, dès lors qu'y
règnent des principes de justice rationnels, pourquoi faire appel
à une instance contraignante pour asseoir la stabilité ? Les
partenaires dans la position originelle sont conscients du fait que la
société n'est pas seulement faite de personnes disposées
à agir de façon juste. C'est pour cette raison qu'ils parviennent
à l'éventualité d'un recours à la contrainte pour
assurer le respect des principes de justice, comme nécessaire et jouant
un grand rôle dans la stabilité du système social. Mais en
réalité, Rawls minimise le rôle de la contrainte dans la
stabilisation de la société et le respect des principes de
justice. C'est à ce titre qu'il affirme :
Dans une société juste, il est raisonnable
d'admettre certaines dispositions contraignantes pour garantir
l'obéissance, mais leur principal but est d'assurer la confiance des
citoyens les uns dans les autres. Ces mécanismes seront rarement
utilisés et ne concerneront qu'une petite partie du système
social.136(*)
L'harmonie et la stabilité sociale dépendent
beaucoup plus des sentiments d'amitié, de confiance, et du sens
collectif de la justice que les partenaires cultivent les uns envers les
autres. Dès lors, malgré le fait qu'il accepte la fonction
stabilisatrice de l'efficacité du souverain, Rawls présente
comme « quelque chose d'évident le fait que les relations
d'amitié, la confiance mutuelle et l'expérience par le public
d'un sens de la justice à la fois répandu, quotidien et efficace
se traduisant par des résultats identiques »137(*).
Nous pouvons étendre la réflexion et
déceler une analogie, au sujet de l'harmonie et la stabilité
sociale, entre Rawls et Platon. Ce dernier discrédite une
stabilité sociale fondée sur un simple désir de maintenir
l'ordre. C'est l'oeuvre de l'homme despotique, qui se caractérise par le
règne absolu de la passion dans chaque parcelle de son
âme.138(*) Mais
étant donné que les différentes parties de l'âme ont
appris à obéir à la raison,139(*) de même les citoyens
de l'Etat acceptent de bon gré les fonctions de ses
protecteurs.140(*)
Platon insistait sur la tempérance, qualité de l'âme
assimilable à l'harmonie, pour montrer que la justice est utile.
De même, en soutenant que les individus dans la
société acquièrent un sens efficace de la justice, et
obéissent ainsi volontairement à ses principes, Rawls
établit que la justice s'accorde avec l'harmonie, la fraternité,
l'entente mutuelle, et par conséquent, elle est utile et avantageuse.
Rawls soutient cette idée par l'exigence qui conditionne le choix des
principes de justice, à savoir, les partenaires doivent être
capables de respecter sans contraintes les principes de justice auxquels ils
souscrivent. Considérant à ce niveau l'interaction
économique entre les Etats, on peut s'attendre à ce que
l'interrogation rawlsienne cherche à savoir si la justice est encore
utile du moment où le principe de différence est
érigé en norme de justice internationale. Mais Rawls
infléchit sa théorie et évite cette orientation. Ce qui
l'intéresse, c'est le fait de savoir si la justice a l'avantage sur les
exigences de types utilitaristes.
Le fait le plus significatif pour l'utilitarisme dans un
contexte international est qu'elle adopte la position extrême d'un
impartialisme strict. Ici, l'exigence fondamentale pose de façon
rigoureuse que les pays nantis sacrifient leurs intérêts
particuliers pour le « plus grand bonheur » global. En
d'autres termes, les pays développés doivent partager leurs
richesses avec les pays pauvres. Ce point de vue est employé par Peter
Singer dans un article célèbre sur la faim dans le monde :
d'un point de vue utilitariste, il conclut à la nécessité
pour chaque habitant des pays pauvres, jusqu'à atteindre un niveau moyen
égal pour tous.141(*) C'est la prémisse fondamentale du
cosmopolitisme pur qui résulte d'une conception de la position
originelle impliquant, sans autres précisions, tous les individus du
monde. L'objection qu'on peut poser dans l'immédiat concerne
l'importance plus ou moins instrumentale que l'on doit accorder, dans un
premier cas, au maintien de l'identité individuelle, et dans l'autre, au
statut d'une communauté, pour réaliser la distribution.142(*)
Pour Rawls, le fait le plus révélateur de sa
critique de l'utilitarisme est que cette doctrine ne reconnaît pas
l'exigence fondamentale selon laquelle les partenaires doivent être
capables d'honorer sans contraintes, les principes de justice auxquels ils
s'accordent. Voilà ce qui donne à la théorie de
la justice comme équité, un net avantage sur l'utilitarisme.
Et cette condition vient renforcer l'argument selon lequel la justice est utile
en restreignant de façon subtile au niveau international, les exigences
de la justice aux individus pour qui il est manifeste que la justice est
utile.
Cela dit, la réalisation de l'utopie jeffersonienne
d'une « démocratie des propriétaires », que
Rawls propose aux sociétés démocratiques et par extension
au reste du monde, résout le problème de l'extension du
libéralisme politique dans les rapports interétatiques. Le mode
de redistribution globale proposé par le cosmopolitisme pur ne
s'intéresse pas au problème de la capacité des individus
à convertir les ressources en libertés réelles. Pour
Rawls, la redistribution globale pose non seulement une distribution
équitable des libertés formelles, de revenus et de ressources,
mais aussi et surtout ce que Amartya Sen conceptualise aujourd'hui sous le
terme de « capabilités ».
Développer ces « modes de
fonctionnement » humain fondamentaux dans les pays du
Tiers monde, permettrait aux individus de jouir véritablement
« de la liberté de choisir le mode de vie qu'ils ont de
bonnes raisons d'apprécier »143(*).
Ainsi, pendant que Charles R. Beitz et les autres
théoriciens du cosmopolitisme pur tentent de résoudre le
problème de la pauvreté du Tiers monde par une
redistribution globale des richesses mondiales, Rawls opte pour une refondation
en justice des politiques publiques dans les pays du Sud. Et cette refondation
doit se faire sous le regard des pays du Nord, comme le veut l'adoption dans
les relations internationales du principe du devoir d'assistance. Les
« conditions défavorables » ne résultent pas
de l'absence des ressources matérielles. Le véritable fondement
de la pauvreté et de la misère dans les nations est la culture
politique dont la nation est souvent le reflet.
Les grands maux sociaux dans les sociétés
pauvres sont généralement un pouvoir oppresseur et des
élites corrompues, l'assujettissement des femmes encouragé par
une religion déraisonnable, accompagné d'une surpopulation par
rapport à ce que l'économie de la société peut
décemment supporter.144(*)
Cette affirmation exprime au mieux le contenu de la
théorie rawlsienne de la justice politique internationale pour la
conception d'une justice globale. Elle revient en effet à dire que
même si une aide peut et doit être fournie aux
sociétés défavorisées, elle ne peut se fonder sur
le critère du Maximin qui régirait les inégalités
dans le monde. Cela, d'une part parce que les sociétés aux prises
avec les « conditions défavorables » doivent leur
infortune d'avantage à une culture politique corrompue qu'à un
manque de ressources. D'autre part parce qu'il est certain que les
sociétés hiérarchiques refuseraient, pour gouverner
l'ordre international, un quelconque principe libéral de justice
distributive. Le droit des gens rawlsien se présente donc uniquement
comme une justice interétatique préoccupée, à
l'instar des théories classiques du droit international, par les
questions de paix et de sécurité entre les nations. Rawls ne
propose pas une justice globale soucieuse directement du sort des individus,
puisqu'il tolère les inégalités aussi bien entre les
nations que dans les nations, même au désavantage des plus
démunis. C'est ici le sens et la signification du droit des peuples
comme « utopie réaliste » qui consiste à
envisager les « gens » d'après les lois de la nature
et penser les lois constitutionnelles et civiles telles qu'elles pourraient
être et devraient être dans une société des peuples
juste et raisonnable.
Sous ce rapport, l'extension du libéralisme politique
dans les relations internationales se comprend à l'horizon d'un
réalisme politique et par référence à la
catégorie philosophique de l'action raisonnable.145(*) La pensée de Rawls
travaille à l'analyse des conditions et des données à
l'aide et contre lesquelles l'action politique raisonnable est possible. La
« théorie idéale », la
« théorie non idéale », le concept de
« non obéissance », de « conditions
défavorables », de « guerre juste »,
doivent leur intérêts au fait qu'ils fournissent des indications
sur la possibilité d'une action politique raisonnable. A cet effet,
l'idée de justice internationale dans la pensée de Rawls
s'annonce comme une utopie, c'est-à-dire, comme faisant un travail
spécifique sur le souhaitable. Elle présente un type de
société internationale relevant du possible, une forme de
relations internationales souhaitables par l'ensemble des
sociétés bien ordonnées.
Le possible, le souhaitable, relèvent du rêve
qui, pour Ernst Bloch, fait partie du grand ensemble de la conscience utopique.
Bloch critique la pensée freudienne qui fait du rêve une instance
qui affaiblit le moi et le tire vers l'arrière. Contre cette conception
fataliste qui encre l'action du moi dans l'inertie passéiste, Bloch
développe la notion de rêve-éveillé
(tagtraümen) orientée essentiellement vers l'avenir. Le
rêve-éveillé se rapporte étroitement de la fiction,
d'une projection vers le futur, à un avenir authentique
caractérisé par un surgissement et un déploiement du moi
vers l'avant. Ceci veut dire que l'existence humaine est dominée par un
fort élan d'agitation du non-encore qu'il faut amener à la
réalisation. Le rêve-éveillé est étroitement
lié à la praxis transformatrice du monde. Il se fonde sur la
liberté humaine,146(*) est orienté vers la transformation du
monde,147(*) et vise les
finalités de l'action humaines.148(*) C'est cette instance projectrice qu'est le
rêve-éveillé qui fonde l'utopie sur la praxis sociale.
Cette forte agitation du non-encore qu'il faut
réaliser se manifeste dans la pensée de Rawls sous la forme d'un
espoir ; espoir sur la réalisation des conditions sociales
raisonnables dans lesquelles la paix et la justice deviendraient le partage de
tous les peuples, à l'intérieur comme à l'extérieur
des frontières. A cet effet, la contradiction préétablie
dans le système international, entre un monde de
« partenaires » et l'univers des « Rong
states », laisse la place à « l'utopie
réaliste » d'un monde social affranchi de l'injustice
politique par la mise en place des politiques publiques justes. L'idée
d'une telle société des peuples est « utopiste de
façon réaliste en ce qu'elle décrit un monde social
réalisable qui combine la rectitude morale et la justice pour tous les
peuples »149(*).
Le problème de la paix et la sécurité
entre les nations ne peut plus s'en tenir exclusivement au principe de
l'équilibre entre la guerre et le droit. Si avec Hegel et Kant, c'est la
guerre qui définissait de quel coté était le
droit,150(*)
l'énigme de la politique contemporaine réside dans la tension
entre la raison et la tragédie. Mieux le défi de la philosophie
politique aujourd'hui réside dans l'effort perpétuel que doit
déployer la raison humaine pour prévenir et éviter les
conflits. Ainsi, l'urgence de sécurité dans le monde actuel exige
une réorientation du vecteur méthodologique, pour penser les
questions de justice et de solidarité entre les individus et les
nations, de façon raisonnable. Contrairement à la tendance
moderne qui allait du réel à la fiction, la philosophie politique
contemporaine se conçoit comme effort de réalisation d'une
utopie, d'un rêve-éveillé. La nécessité de
cette réorientation a été exprimée par Hubert Mono
Ndjana dans un célèbre article en ces termes :
Si Rousseau était parti du réel pour
remonter à une fiction fondatrice, l'extrême besoin de
sécurité actuel nous oblige à partir du fictif pour le
réel, à réaliser une fiction.151(*)
Cette réorientation confère à la
philosophie politique la mission de faire reculer la réflexion sur les
possibilités politiques pratiques, au delà des limites
envisageables par la réflexion humaine.
CHAPITRE III : INTERROGATION SUR LA THEORIE DE LA
JUSTICE COMME EQUITE.
Des réflexions menées dans les deux premiers
chapitres de notre réflexion, il ressort une conception implicite de
l'autonomie rationnelle d'une part, et une forte propension au conservatisme
dont Rawls fait preuve en restant relativement fidèle au droit
international en vigueur d'autre part. Il se développe au sein de cette
théorie, un dualisme principiel qui fonde la distinction politique
intérieure et politique extérieure. Le développement de ce
dualisme n'est guère satisfaisant pour la pensée, encore mois
pour une théorie globale de la justice, s'il s'avère
imposé moins par une réalité internationale que par une
certaine conception de celle-ci. Le plus important c'est de voir qu'au sein de
la théorie de la justice comme équité, l'ordre
international et l'ordre domestique sont régulés par des
principes de justice différents, et que cette distinction est un point
important dans cette théorie. Malgré sa tendance prononcée
à l'éthique politique moderne, Rawls a des éléments
de sa philosophie qui luttent pour la réalisation du non-encore, du
possible. La catégorie du possible nous permet donc de voir au sein de
cette théorie, la dialectique de l'intérieur et de
l'extérieur. Mais au fait, qu'est-ce qui explique la difficulté
qu'éprouve la théorie de la justice comme
équité à élaborer une théorie viable de la
justice ?
A.
SOUVERAINETE DU SUJET ET OBJECTIVITE DES NORMES POLITIQUES : LA QUESTION
DU RAPPORT ENTRE L'INDIVIDU ET LA COMMUNAUTE.
La première remarque à faire est d'ordre
épistémologique. Si Rawls utilise une conception non
métaphysique du sujet afin de faire échec à
l'hétéronomie dans la constitution des normes politiques et,
partant, de privilégier l'opposition entre politique et
métaphysique, ce qui est assez problématique reste le rapport
entre l'individu et le collectif. Le grand problème qui,
peut-être, empêche Rawls de penser véritablement l'autonomie
est lié à l'immédiateté de rapport entre l'individu
et le collectif.
1. Les
paradoxes de l'individualisme méthodologiques
a. Autonomie du sujet et
philosophie de la maîtrise.
La prémisse fondamentale sur laquelle s'appuie la
pensée de Rawls est l'idée que l'homme est la source de ses actes
et de ses représentations, leur fondement, ou encore leur auteur. Le
sujet politique est celui qui n'entend plus recevoir ses normes et ses lois ni
de la nature (Aristote) ni de Dieu (Platon), mais qui les fonde lui-même
à partir de sa raison. Cela est établi par la conception non
métaphysique du sujet que dévoile la position originelle. Le
voile d'ignorance sursoit les conditions contingentes qui caractérisent
le vécu social concret des individus, lorsqu'ils prennent position sur
les questions de justice de façon idéale dans la
société.
Ainsi, se développe dans la pensée de Rawls un
concept de droit subjectif posé et défini par la raison. La
société bien ordonnée se conçoit comme auto
instituée à travers le schème contractualiste. Le contrat
social chez Rawls s'inscrit dans une rupture épistémologique
d'avec la pensée moderne. Au sein de cette dernière, le rapport
entre souveraineté du sujet et objectivité des normes sociales,
mieux problème de la liberté humaine, se conçoit dans une
transition qui va de l'indépendance à l'autonomie. On cherche
à savoir comment les hommes sont sortis de l'indépendance d'un
état de nature où ils n'étaient soumis à aucune
autorité politique. La naissance du pouvoir civil exprime le passage de
cette situation à une autre forme de liberté comme autonomie,
comme soumission à un pouvoir d' « établissement
humain » qu'on s'est soi-même donné.152(*)
Chez Rawls par contre, le contrat social débouche sur
une approche de la liberté humaine en rapport avec une conception de la
loi morale antérieure au bien. Ici, l'idéal moral est un
impératif dans la mesure où la valeur éthique est ce qui
s'impose au sujet politique, quelques soient ses désirs. Rien n'est
moralement bon qui ne soit en accord avec les principes du juste. Une
conception de la société libérale qui s'impose comme
solution politique pour les sociétés où le fait du
pluralisme est admis comme fait indépassable, et où les doctrines
compréhensives du bien ne peuvent fonder un « sens
commun » de la justice qu'à partir d'un « consensus
par recoupement ». La question du droit ici s'annonce sous un angle
performatif et idéologique, puisque les principes de justice
s'accompliraient à travers la visée d'une société
entièrement « éclairée »
entièrement « transparente » au regard de la
raison.
A cet égard, la pensée rawlsienne de
l'autonomie se rallie au projet des Lumières de conjoindre l'autonomie
individuelle et l'autodétermination collective. La pensée de
l'autonomie ouvre un champ sociohistorique susceptible d'être
intégralement contrôlé par un pouvoir qui le rendrait
transparent et en rationaliserait tous les aspects. En ce sens, la promotion de
la démocratie libérale « pacifiée »
dans ses contradictions internes, tout comme la morale des droits
imprescriptibles de la personne, résultent du fantasme de la domination,
ultime et plus monstrueux visage de la promotion cartésienne de
l'individualisme méthodologique. Il s'agit pour Rawls ici, de justifier
l'universalisme du libre-échange comme forme accomplie de la gouvernance
humaine. Il s'agit en outre de stériliser l'espace domestique et d'en
faire, au travers d'un discours de la maîtrise (mettre fin à toute
dénonciation de la domination politique et économique par
l'application du principe de différence) un lieu où pourront
s'accentuer la domination et l'exploitation.153(*)
Le discours de la maîtrise tient ici du fait de la
présence dans la pensée de Rawls, du thème de la finitude
à partir duquel il analyse le mouvement de l'histoire. Avec
l'affirmation de la démocratie libérale comme forme la plus
achevée de la gouvernance humaine, l'histoire semble avoir atteint son
apogée. Mais si on considère toutefois qu'il existe une vie de la
philosophie à partir de laquelle la relation de l'homme à son
histoire ne cesse de se transformer, le conservatisme dont cet auteur fait
preuve, en restant relativement attaché à une conception
positiviste de l'histoire (l'histoire ici consiste à reconstituer le
faits tels qu'ils se sont passés) nous parait peut satisfaisant.
L'histoire de la philosophie se poserait comme simple reconstitution, aussi
fidèle que possible, des philosophies du passé. Il ne s'agit pas
de tester ces doctrines quant à leur éventuelle
fécondité intellectuelle, mais seulement d'en reconstruire la
genèse et d'en éprouver la cohérence interne.
Cette pratique occulte la dimension conceptrice de la
philosophie et focalise son travail dans la pure reconstitution de ce qui a
été pensée. Son travail se limite désormais
à un simple parcours de son histoire pour mieux se l'approprier, sans
espérer en tirer quelque chose de nouveau. La fin de l'histoire et de la
philosophie, voilà le destin vers lequel semble nous conduire
l'individualisme méthodologique de Rawls. Il élude la question du
rapport de la philosophie à nos préoccupations quotidiennes,
vis-à-vis desquelles il est possible que des systèmes
constitués nous soient d'une grande utilité, et que, parmi toutes
ces philosophies historiquement constituées, certaines ne puissent
s'adapter à nos préoccupations quotidiennes. La question de la
faillibilité de la raison est dès lors d'une importance
capitale.
Plaçant sous l'appellation « histoire
historienne » cette conception de l'histoire qui pose la mort de la
philosophie, Alain Renaut pose le constat suivant :
En neutralisant la valeur de vérité des
philosophies, l'histoire historienne manque ce par quoi certaines
pensées (...) peuvent se révéler pour nous autrement
riches d'enseignements que si nous nous contentions de les visiter comme autant
de témoignages de l'intelligence humaine. Si l'on ne veut donc pas
laisser échapper ce que peut nous apporter intellectuellement l'histoire
de la philosophie, c'est à partir de ce que sont aujourd'hui nos
problématiques qu'il faut l'interroger...154(*)
Ainsi, la pensée rawlsienne opère dans une
naïveté qui lui permet de croire que la justice se
réaliserait dans un projet démocratique axé sur la
maîtrise, dont l'origine intellectuelle est renvoyée à
l'avènement cartésien d'un sujet poursuivant la soumission du
réel à la certitude de son non savoir. Mais en acceptant
l'idée d'une vie de la philosophie, d'une histoire de la philosophie au
sein de laquelle la connaissance se veut un perpétuel travail de
renouvellement des objectifs et des interprétations, la
démocratie se révèle dans une conception non totalitaire
de la société qui échappe à ce projet de
maîtrise. L'expérience de la démocratie commence avec la
possibilité d'une « histoire dans laquelle les hommes font
preuve d'une indétermination dernière quant aux fondements du
pouvoir, de la loi, du savoir »155(*).
A la suite de cette remarque d'ordre
épistémologique, nous voulons évoquer d'autres
éléments de critique dont les plus importants viennent des
conceptions libertariennes et communautariennes du rapport entre l'individu et
le collectif.
b. Le libertarisme et
l'individualisme méthodologique.
Que ce soit dans sa défense de l'évolutionnisme
politique (Von Hayek) ou de la théorie de droits de
propriété (Nozick), le libertarisme fonde sa critique du
libéralisme politique sur le problème de la pauvreté et du
besoin. Plus précisément, la question fondamentale que se pose le
libertarisme est la suivante : jusqu'à quel point les hommes
sont-ils susceptibles de sacrifier leur liberté pour assurer leur
sécurité ; et plus particulièrement leur
sécurité sociale ?
Dans le libéralisme politique de Rawls, le rapport
entre l'individu et le collectif est absorbé par la notion
d'égalité, pesant ainsi sur la signification de la liberté
comme liberté politique. Le sujet jouit d'une protection sociale et
d'une immunité contre toutes les transformations pouvant survenir durant
sa vie. La philosophie politique est ainsi orientée vers une
socialisation du droit, légitimant l'interventionnisme de l'Etat dans la
résolution du problème de la pauvreté.
La critique juridique, politique et économique de
l'interventionnisme étatique élaborée par le libertarisme
repose sur un présupposé épistémologique. La ligne
méthodologique adoptée se focalise sur les limites de la raison,
plutôt que d'exalter ses pouvoirs. L'usage de la raison est ramené
à une place secondaire par rapport à celle qu'elle occupe dans le
cartésianisme.
Friedrich Von Hayek affronte l'institutionnalisation de la
sécurité sociale défendue par Rawls sur le terrain du
rationalisme, un rationalisme qu'il considère comme
nécessairement constructiviste. Selon lui, la faiblesse de la tradition
rationaliste réside dans sa logique inductive qui fait déduire,
à partir d'un seul principe clairement établi et par l'exercice
de la seule raison, toutes les connaissances dont l'homme a besoin pour son
action. Ce qui conduit à la croyance selon laquelle toute institution
sociale crédible est le fruit de la seule raison. F. Von Hayek voit
en cette tendance de l'esprit humain, les marques d'un archaïsme
sérieux. Les hommes veulent « sauver les
institutions » de la même manière qu'ils
cherchèrent à « sauver les
phénomènes ». Il déclare à cet
effet :
La croyance sous-jacente à ces propositions,
c'est-à-dire que nous devons toutes institutions
bénéfiques à des plans préconçues, et que
seul un tel destin les a rendu, ou peut les rendre utiles à nos fins,
est largement fausse. »156(*)
Plus bas il précise :
Cette idée est enracinée originairement dans
une propension extrêmement tenace de la pensée primitive, qui
interprète de façon anthropomorphique toute
régularité perçue dans des phénomènes, comme
provenant d'un esprit pensant.157(*)
C'est dans cette perspective que s'élabore sa critique
de la notion de justice sociale. Selon Von Hayek, parler d'une injustice dans
l'ordre social résulte d'une incompréhension du sens des mots. La
justice ou l'injustice d'une situation ne peut être affirmée qu'en
relation avec intention consciente qui serait à l'origine de cette
situation. Or, l'ordre social étant spontané, et non le
résultat d'une volonté délibérée, ne peut
faire l'objet d'une évaluation morale. La possibilité d'une
évaluation morale des actions relève de la sphère
individuelle. Elle est impensable au niveau collectif.
Cette conception de la justice
« sociale » est ainsi une conséquence directe de cet
anthropomorphisme, de cette tendance à la personnification à
travers laquelle la pensée naïve essaye de rendre compte de tous
les processus intrinsèquement ordonnés. C'est un signe de
l'immaturité de notre esprit, que nous ne soyons pas encore sortis de
ces concepts primitifs, et que nous exigions encore d'un processus impersonnel
qui permet de satisfaire les désirs humains plus abondamment que ne
pourrait faire aucune organisation délibérée, qu'il se
conforme à des préceptes moraux élaborés par les
hommes pour guider leurs actions individuelles.158(*)
L'argument en faveur de l'immédiateté de
rapport que Rawls établit entre l'individuel et le collectif se heurte
à de sérieuses difficultés. Les deux entités ne
répondant pas à la même logique, l'on ne peut envisager de
comprendre l'ordre social à partir de la subjectivité
vécue de l'individu. Cette impossibilité est affirmée, en
référence au concept de complexité sociale, contre
l'individualisme méthodologique jugé naïf. La croyance que
la raison seule peut nous dire comment nous conduire, et que tous les
êtres raisonnables devraient être capables de joindre leurs efforts
en vue d'obtenir des résultats communs comme membre d'une organisation,
est une illusion et manque de portée pratique. C'est toujours en rapport
avec des mobiles non rationnels que la raison peut fixer les normes d'action,
et sa fonction reste essentiellement liée à la conduite d'action
dont la source résulte d'autres facteurs.
Dès lors, pour que la raison puisse s'implanter comme
instrument de transformation sociale, il importe d'imposer à tous les
membres de cette société, des fins communes que la raison ne
justifie pas et qui ne peuvent être rien de plus que des décisions
de volonté particulières.159(*) Jean Pierre Dupuy signale à cet effet
que :
Le passage de l'individuel au collectif s'accompagne d'un
saut en complexité que l'analyse est foncièrement incapable de
réduire.160(*)
A l'évidence donc, le raisonnement de F. Von Hayek
rejette toute réduction de l'ordre social aux individus qui composent
cette société. Réciproquement, ces individus ne peuvent
prétendre être en possession de toutes les données dont a
besoin l'édification d'une société juste. Dès lors,
la prémisse fondamentale d'une théorie sociale se trouve dans
La découverte qu'il existe des structures
ordonnées qui sont le résultat de l'action d'hommes nombreux,
mais ne sont pas le résultat d'un dessein humain.161(*)
Ce rejet du rationalisme constructiviste à pour
conséquence le rejet des mécanismes de redistribution
étatique. F. Von Hayek démontre que l'institutionnalisation de la
sécurité sociale est préjudiciable à la
liberté, et conduit nécessairement à l'instauration de
régimes totalitaires. C'est là le fondement de la théorie
d'un Etat minimal. L'intervention de l'Etat, pour garantir à certain
membre de la société une sécurité sociale que le
marché laissé à lui seul ne peut assurer, est responsable
des inégalités sociales. Car, en agissant ainsi, l'Etat devient
un acteur privé de la vie sociale, concédant des avantages
à certains, restreignant des libertés à d'autres pour des
raisons peu objectives. Une telle action de l'Etat ne conduit pas à la
légitimation de la démocratie, puisqu'au fur et à mesure
que la société civile absorbe l'Etat, les relations entre
l'individu et l'Etat deviennent des relations de clientélisme. La
coopération sociale ne vise plus l'intérêt
général, mais se fragmentarise sur le mode même de la
relation commerciale.162(*)
Cette tendance à réduire la
légitimité de l'Etat et de ses fonctions au strict minimum se
trouve aussi développée chez Robert Nozick. A la suite de F. Von
Hayek, il cherche à démontrer, grâce à sa
théorie des droits de propriété, que la justice se
détermine par des relations d'échange s'exerçant au sein
de la société. L'objectif de l'important ouvrage qu'il publie en
1974, Anarchy, State and Utopia,163(*) est d'établir un rapport d'équivalence
et d'implication entre la justice et le marché, et de barrer la voie
à toute ingérence gouvernementale.
L'Etat ne saurait, affirme-t-il, user de contrainte afin
d'obliger certains citoyens à venir en aide aux autres, ni en vue
d'interdire aux gens certaines activités pour leur propre bien ou leur
protection.164(*)
L'argumentation de Nozick rejette l'idée rawlsienne qui
intègre la compensation des déséquilibres sociaux, mieux
la sécurité sociale, comme élément du
système étatique. Le présupposé de cette critique
tient de l'affirmation d'une autre idée ; celle qui établit
qu'un espace suffisant de liberté est nécessaire à
l'individu pour qu'il puisse se poser, selon la logique de
l'intérêt individuel propre à chacun, en vertu de la
rationalité du choix public, comme l'acteur incontournable de la
construction sociale.
Comme la plupart des théoriciens du droit politique de
son temps, Nozick se sert de la notion de choix individuel, et s'applique
à aménager un espace qui garantirait son effectivité dans
la théorie sociale. Rawls et Dworking font de cette notion un
élément crucial de la théorie sociale. Mais contrairement
à eux, Nozick ne limite pas la valeur du choix individuel en
institutionnalisant la sécurité sociale. Sa théorie du
droit de propriété accorde à l'individu un droit absolu
sur ses biens, dans le strict respect des mêmes droits pour autrui. Il en
est le propriétaire légitime et peut en faire ce qu'il veut. Il
peut les échanger pour acquérir d'autres, ou bien décider
de son propre chef de les donner à un individu ou à l'Etat. Dans
ces conditions, le droit de propriété est un droit absolu. Il
exclu tout principe social de redistribution, et par là même toute
conception distributive de la justice. Dans ce contexte, la
légitimité de l'Etat est ramenée à des fonctions de
protection contre la force, la fraude, ainsi que des fonctions visant à
imposer le respect des obligations contractuelles. C'est le sens qui semble
ressortir de ce propos :
De chacun selon ce qu'il choisit de faire, à chacun
selon ce qu'il fait pour lui-même (peut-être avec l'aide des autres
sous contrat) et ce que les autres choisissent de faire pour lui et choisissent
de lui donner. Prenant dans ce qu'il leur a donné auparavant (selon
cette maxime), ce qu'ils n'ont pas encore dépensé ou dont ils ne
s'en sont pas défait par transfert.165(*)
L'intérêt de cette exploration du libertarisme
politique, avec pur cadre théorique d'étude F. Von Hayek et
Robert Nozick réside dans la compréhension de l'orientation du
problème de la pauvreté et du besoin dans cette doctrine. Le plus
important dans la théorie sociale ici, c'est d'éviter qu'on
aboutisse à une socialisation du droit qui donnerait à
l'autorité politique le pouvoir d'intervenir dans le jeu de la
catallaxie. Ils rejettent l'institutionnalisation de la sécurité
sociale et développent une conception caritative du problème de
la pauvreté qui, d'une part, reste insatisfaisante à plusieurs
égards, et d'autre part, ignore que la préservation de la
dignité humaine est une nécessité qui interpelle le
rôle nécessaire de l'Etat dans cette distribution.
L'intégration du problème de la pauvreté dans la
réflexion libertarienne ne permet pas de donner une réponse
claire au problème de la misère comme signe de
l'inefficacité du système libéral.
Certes l'évolutionnisme socioculturel de Von Hayek
pose le développement des régimes collectivistes mixtes comme
principal responsable du déclin des sociétés
libérales. Mais en gardant la recherche perpétuelle de
l'efficacité comme fondement de l'évolutionnisme socioculturel,
il faut souligner ici, comme a su le faire François Sicard, que
l'ultralibéralisme n'est pas l'ordre social le plus efficace, puisqu'il
se dépasse lui-même par des mécanismes d'intervention
sociale qui changent sa nature166(*). F. Von Hayek, dans son analyse du problème
de la pauvreté au sein des sociétés libérales,
reconnaît à ces dernières le droit de prendre en charge
ceux qui, temporairement ou de façon définitive, ne peuvent
subvenir à leurs besoins. Malgré sa critique de la notion de
« justice sociale », il admet cependant que les
institutions sociales permettant la réalisation de cette justice,
peuvent donner un sens moral à sa perspective évolutionniste.
Il n'y a pas de raison, écrit-il, pour que le
gouvernement d'une société libre doive s'abstenir d'assurer
à tous une protection contre le dénuement extrême sous la
forme d'un revenu minimum garanti, ou d'un niveau de ressources au dessus
duquel personne ne doit tomber. Souscrire à une telle assurance contre
l'infortune excessive peut assurément être dans
l'intérêt de tous ; ou l'on peut estimer que c'est clairement
un devoir moral pour tous, au sein de la communauté organisée, de
venir en aide à ceux qui ne peuvent subsister par
eux-mêmes.167(*)
De ce propos, surgissent deux arguments en faveur de la
redistribution. Le premier valorisant l'intérêt qui pourrait, le
cas échéant, nous être utile à titre individuel,
renvoie la théorie de Von Hayek à un ordre utilitariste qu'il est
loin d'assumer. Le second argument, s'appuyant sur le concept de devoir moral,
prend en considération la dignité de la personne. Mais ici, le
devoir moral ne possède aucune effectivité. La forme de
redistribution dont il est question ici, doit se réaliser hors
marche.168(*)
Mais une des modalités philosophiques à travers
laquelle se réalise le projet moderne de l'autonomie, se rapporte au
sens de l'impératif catégorique kantien, c'est-à-dire la
position de l'être humain comme fin en soi. A ce niveau, la
défense libertarienne du droit de propriété comme droit
absolu sur un bien particulier, nous parait insatisfaisante. Car dans ses
versions développées par Von Hayek et Nozick,
l'égalité démocratique n'est envisageable que de
façon formelle, et se refuse d'admettre qu'une réduction des
inégalités sociales soit la condition réelle de la
liberté. Mais la question de l'autonomie politique exige aussi bien
l'examen des conditions de possibilité de la liberté citoyenne
que celle de l'égalité démocratique, dans le but d'une
réduction des inégalités sociales qui hypothèquent
sérieusement l'exercice de la liberté. Nous aboutissons là
à une thématisation intéressante de la solidarité
politique à partir des concepts de liberté et
d'égalité, dans laquelle la justice sociale est un moment
essentiel de la liberté.
c. la critique
communautarienne de l'individualisme méthodologique rawlsien.
Ayant examiné les contours de la critique libertarienne
du libéralisme de Rawls, nous nous tournons à présent vers
la réaction communautarienne. Cette théorie défend une
conception de la rationalité historiquement située, d'une part,
et une représentation essentiellement sociale de la nature humaine,
d'autre part, l'idée de raison ici revêt une connotation sociale
et contextuelle. Toute tentative épistémologique devant aboutir
à l'économie de la contextualisation rendrait la
rationalité, d'un point de vue pratique, incapable de juger les fins. A
cet effet, l'idée de raison souveraine et désengagée
développée par Rawls reste sans portée réelle aux
yeux des communautariens, puisqu'elle sous-estime l'importance de la
société dans la vie de l'individu.
Le motif fondamental de cette critique de la
rationalité constructiviste est le sujet individuel comme fondement de
la légitimation du droit et de l'Etat dans le contractualisme.
S'écartant du modèle contractualiste dans lequel, ce sont des
individus rationnels affranchis de tout arrière plan social qui
décident des normes gouvernant la coopération sociale,
indépendamment des pratiques sociales préexistantes, le sujet
communautarien se définit entièrement à travers la
communauté. Dans ce cas, les structures sociales dans lesquelles les
individus mènent leur existence, conditionnent et fondent
l'identité individuelle et la conception du choix rationnel.
A cet effet, l'argument classique légitimant le droit
et l'Etat sur une base individuelle, s'annonce faible aux yeux des
communautariens. Ils y voient avant tout l'idée d'un état de
nature avec des gens n'ayant aucune relation sociale préétablie
et qui, suite à un processus d'apprentissage rationnel, décident
d'entrer volontairement en société. Et même si
l'individualisme méthodologique rawlsien nous offre une théorie
constructiviste, l'idée d'une raison souveraine et
désengagé qui y est présente, en constitue le malheur.
Avec la position originelle, les sujets se présentent comme ayant une
identité présociale. C'est cette conception de la
subjectivité, ses attributs et le type de communauté humaine
à laquelle donnerait lieu une société fondée sur de
tels attributs, que les communautariens rejettent.
Michael Sandel objecte à Rawls que son sujet se
réduit et s'identifie exclusivement à sa capacité de
choix. Sa critique de l'antériorité du moi pose que
l'identité de ce dernier se fonde sur la découverte de ses
attaches, de ses liens et de tout ce qui constitue sa vie. Dès lors, en
tant que sujet qui est premier par rapport à ses choix et qui, par un
acte de volonté, décide d'être ce qu'il veut être, le
sujet rawlsien n'est qu'une « illusion »
métaphysique allemande adaptée au goût anglo-saxon.
Certes reconnaît Sandel, la conception rawlsienne du
moi apporte une définition complète du sujet de droit et lui
assure une invulnérabilité telle que
Même s'il est fortement conditionné par son
environnement, il est toujours irréductiblement premier par rapport
à ses valeurs et à ses fins, et qu'il n'est jamais pleinement
constitué par celles-ci. Il peut certes y avoir des moments où
les conditions extérieures sont toutes puissantes et ou le choix est
illimité, mais en tant que telle, la puissance souveraine d'agir qui se
trouve en l'homme ne dépend pas des conditions particulières
d'existence : elle dément garanties par avance.169(*)
Avec ce propos, Sandel dévoile une approche de la
subjectivité définie par les premiers principes de justice
rawlsien, qui ne s'intéresse pas au problème des fins ultimes de
la vie sociale. Cette approche détermine en fait de quelle
manière des individus reconnaissant la justice comme
« la première vertu des institutions sociales » se
comporteraient dans la société. Une conception
désengagée du moi, antérieur à ses choix et
affranchi de toute finalité placée au-delà
De son champ d'expérience de manière
à mettre une fois pour toute son identité en
sécurité et garantir sa liberté de construction de
principes de justice non conditionnés par un ordre de valeurs
préexistantes.170(*)
Le projet rawlsien de l'autonomie du sujet a donc, dans un
certain sens, un avantage aux yeux de Sandel. Il reconnaît même
l'urgence du moi désengagé dans la réalisation de ce
projet, et y voit une « promesse stimulante » de
l'autodétermination du sujet dont le libéralisme politique est
l'expression la plus achevée.
Pris dans son ensemble, le moi désengagé et
l'éthique qu'il inspire, amorcent une vision émancipatrice du
moi. Délivré des diktats de la nature et de la pesanteur des
rôles sociaux, le sujet humain est installé comme souverain, promu
au rang d'auteur des seules significations morales qui puissent
exister.171(*)
Mais cet avantage n'est pas de taille ériger le moi
désengagé comme base, pour l'accomplissement de l'idée
d'autonomie hérité de la philosophie des lumières, et
n'est d'aucune utilité à notre désir de donner une
dimension éthique à la vie politique. Aussi belle que soit cette
idée de sujet immunisé contre toutes transformations pouvant
survenir au cours de son existence, elle n'a aucun fondement réel dans
l'existence humaine et ne correspond à rien de concret. C'est le sens
à donner à ce propos :
Vouloir procéder comme Rawls, ce n'est pas
concevoir un être idéalement libre et rationnel, mais imaginer une
personne complètement dépourvue de personnalité et de
profondeur morale, bref une caricature. Car avoir une personnalité c'est
m'inscrire dans une histoire que je ne choisi pas et ne commande pas et qui,
néanmoins, a des conséquences sur mes choix et ma
conduite.172(*)
Se situant dans la même perspectives, Charles Taylor
conçoit l'accomplissement de l'idée d'autonomie
héritée des Lumières, c'est-à-dire la
réalisation concrète des droits et libertés citoyennes,
uniquement possible dans la perspective d'un moi situé, capable d'auto
compréhension. Pour lui la thèse du moi désengagé
ne peut conduire qu'à une définition négative de la
liberté, susceptible de dérapages si elle n'est pas soutenue par
la référence à un univers éthique. Dès lors,
il est nécessaire d'équilibrer le libéralisme politique
rawlsien par un complément républicain qui
« protège non seulement les pratiques et institutions
garantissant la liberté, mais aussi celle qui en maintiennent la
compréhension ».173(*) On voit apparaître ici ce que Macintyre a
identifié comme cause principale de l'échec du projet des
Lumières : une conception de la raison qui
(...) délogerait l'autorité et la tradition.
La justification rationnelle devait procéder selon des principes
irrécusables pour tout être rationnel et par conséquent
indépendant de toute les particularités socio culturelles que les
penseurs des Lumières considéraient comme simples
revêtements accidentels de la raison à des et en des lieux
particuliers.174(*)
Des réflexions de Macintyre, il ressort l'inaptitude de
la rationalité des modernes, ultime alternative au règne du
traditionalisme, à donner un sens à la vie morale et politique.
Il aurait été possible pour les théoriciens des
Lumières d'éviter cet affront en prenant en considération
le poids des traditions et des schèmes institutionnels, hors desquels le
langage moral ne serait qu'une pâle copie de la réalité.
Ceci leur aurait permis de mouvoir leur réflexion sur le socle solide
d'un rationalisme historiquement situé.
Dans l'ensemble, la critique communautarienne oppose à
l'individualisme méthodologique du libéralisme politique
rawlsien, une ontologie narrative du sujet politique. Cette ontologie narrative
du sujet se rapproche de l'idée gadamérienne de
l'antériorité des fins morales du sujet, et établit que
l'identité est une donnée que le sujet se doit de
découvrir par une réflexion sur soi. Pour Hans Georg Gadamer, le
sujet est produit de sa communauté, de son éducation, de son
histoire.175(*) Ce sont
les dispositifs institutionnels qui déterminent dès lors
l'identité rationnelle du sujet politique.
On pourrait objecter ici que la critique communautarienne du
libéralisme politique rawlsien développe un romantisme politique,
et échoue à édifier une véritable théorie
politique pouvant remplacer la « théorie de la justice comme
équité ». Même Macintyre, dans la brillante
critique de la tradition libérale qu'il élabore, semble limiter
ses analyses à une opposition essentielle entre morale et droit. Mais on
n'y trouve pas un authentique corpus théorique défendant une
tradition politique particulière. A moins de considérer son
rapprochement au romantisme politique comme défense d'une tradition
politique.
Si ce dernier cas est pris en compte, on comprendra mieux
pourquoi le communautarisme échoue à fournir une véritable
pensée politique, pouvant se présenter comme une alternative au
libéralisme politique contemporain. Comme critique de l'Etat
libéral moderne, le romantisme politique s'est limité à
une opposition de principe. Au principe de l'individualisme libéral, le
romantisme politique oppose la notion d' « âme
collective ». Au principe constructiviste de la société
et son ouverture sur le futur, le romantisme politique oppose le principe de
l'enracinement dans la tradition et l'ouverture sur le passé,
c'est-à-dire l'appartenance à une communauté vivante de
langue et de race.176(*)
Dans sa critique du libéralisme politique
contemporain, le communautarisme intègre en son sein des
éléments propres au rationalisme politique. On peut citer entre
autre, la valorisation tout azimut de l'individualité et de la
communauté, l'autorité de la tradition, le primat de la culture
sur le droit. Mais hors mis ce fait, on ne peut voir dans le communautarisme un
véritable corpus théorique, élément de rechange du
système rawlsien. Cette carence à amener Brian BARRY à se
montrer extrêmement radical, au point de taxer communautarisme de
critique sans importance du libéralisme.177(*)
Moins radicales seront les lectures que feront Michael Walzer
et Nancy Rosenblaum de la controverse libéralisme/communautarisme. Pour
le premier,
(...) la critique communautarienne du libéralisme
est un peu comme ce pli de pantalon : passagère, mais
inéluctablement récurrente. Elle fait partie intégrante,
quoi que de manière intermittente, de la politique libérale et
de l'organisation sociale. Son intérêt subsistera quelque soit le
succès du libéralisme. En même temps, une critique
communautarienne, si pénétrante soit-elle, ne sera jamais rien
d'autre qu'un trait passager du libéralisme.178(*)
Chez le second, le sens donné à la controverse
libéraux/communautariens parait plus constructif. Nancy Rosenblaum parle
du communautarisme comme d'une critique qui attire l'attention sur les oublis
du libéralisme, notamment des éléments qui, ne s'opposant
pas radicalement au libéralisme, contribuent efficacement à la
concrétisation de la démocratie libérale.179(*) Le libéralisme
politique ne se situe nécessairement pas à l'opposé de la
culture, de la communauté. Mais pris en considération dans la
procédure contractualiste, ces éléments favorisent
l'expression concrète du pluralisme, vue comme élément de
correction appelant à une réactualisation des principes
fondamentaux de la démocratie. Cela a été souligné
dans le cadre de la discussion Habermas-Rawls sur la justice politique
Si toute explication et toute institutionnalisation des
droits fondamentaux contient en soi un index de la situation historique, les
traces d'un conflit passé et une interprétation
déterminée des besoins et possibilités de la
société, alors le débat démocratique ne peut non
plus s'arrêter face à son propre fondement. Il n'y a en effet
aucune instance en dehors de la discussion démocratique (...) qui puisse
prendre des décisions qui seraient inattaquables et soustraites à
la critique.180(*)
Ainsi, l'éthique démocratique se conçoit
comme une défense du droit des minorités, et aussi un cadre
d'expression pour la majorité.
2. Une
défense nonchalante de la différence
La différence, comme fait politique, entre en
considération dans la pensée de Rawls à partir des
années 1985, notamment avec la publication de l'article
« Justice as Fairness : Political not
Metaphysical ».181(*) Dans cet article, Rawls introduit dans son
argumentation un nouveau concept : « le fait du
pluralisme ». Ce concept laisse entendre que les conditions de
libertés de conscience, et d'expression que l'on trouve dans les
démocraties libérales, assurent la pluralité des
conceptions raisonnables du bien humain. Ainsi, plutôt que de penser la
justification des principes de justice en parlant de principes axiologiques
à vocation universelle, c'est l'établissement d'un
« consensus par recoupement » entre différentes
conceptions du bien humain présent dans les sociétés
démocratiques, qui justifie les principes de justice.
Cette nouvelle perspective de justification des normes
sociales s'inscrit dans une option défensive, dans laquelle Rawls veut
répondre à certaines critiques, notamment celle d'un
individualisme excessif incompatible au pluralisme réel des
sociétés libérales.182(*) La conception du libéralisme politique qui en
résulte se pose comme une ligne franche morale favorisant une gestion
équitable et rationnelle des diverses approches du bien humain, par des
principes de justice. Ici, et comme le note Catherine Audard,
Toutes les occupations humaines, toutes les croyances sont
également dignes de respect, même si, bien entendu, elles ne sont
pas égales, et on ne peut les limiter ou les interdire qu'en faisant
intervenir des critères de valeur extrinsèques, comme les
principes de justice, et jamais au nom de leur peu de mérite
intrinsèque.183(*)
John Rawls lui-même affirmera plus tard ceci :
Si certaines cultures sont appelées
à disparaître et d'autres à ne faire que survivre dans un
régime constitutionnel juste, est-ce que cela veut dire que la
conception politique de la justice ne soit pas équitable à leur
égard ? (...) A première vue, elle ne parait pas injuste
à leur égard ; en effet, les influences sociales qui
favorisent certaines doctrines plutôt que d'autre ne peuvent être
évitées (...) si une conception du bien est incapable de durer
dans une société où l'égalité des
libertés de base habituelles et une tolérance mutuelle sont
garantis, c'est qu'il n'existe aucun autre moyen de la préserver d'une
manière compatible avec les valeurs démocratiques d'une
société définie comme système équitable de
coopération entre citoyens libres et égaux.184(*)
Donc il ressort du libéralisme rawlsien, un refus total
de toute implication de l'Etat dans la gestion de la différence, et
prétend qu'il revient aux groupes eux-mêmes de définir au
sein de la société civile, des pratiques de tolérance.
Cette incompatibilité de la justice avec la promotion par l'Etat d'une
culture particulière, dévoile l'exaltation d'une identité
(la culture politique libérale) posée comme vérité
fondamentale de l'être. C'est ici la manifestation de la dynamique
moderne de l'égalisation des conditions de l'autonomie politique, qui
consiste en une réduction tendancielle de la différence au rang
marginal d'une simple apparence. Cette réduction nous parait impossible
et pas souhaitable à la fois aux yeux des groupes ethnoculturels
constituant les sociétés pluralistes, et de ceux qui se
constituent par référence à la sexuation.
On peut dès lors objecter ici que la culture politique
de la démocratie libérale, à laquelle Rawls fait tellement
confiance, est loin d'être exempte de toute ambiguïté morale.
Cette confiance excessive semble cacher une vision de la politique
déjà arrêtée que l'argumentation, à travers
les principes de justice, ne fait que défendre. Cela étant, la
neutralité de la conception de la raison publique qu'il élabore,
semble contestable.
De là l'exigence d'une réflexion sur un nouveau
statut de la différence en politique, puisqu'elle ne s'inscrit ni dans
les profondeurs de l'être (statut ancien qui substantialisait et
ontologisait la différence) ni dans l'apparence (par
référence à la vision rawlsienne). Ni dans l'être,
ni dans la surface, la question de la différence en politique nous
parait plus complexe. Et l'une des voies pouvant nous permettre de mieux
scruter ce problème, consiste à passer la rationalité
philosophique du registre théorique au registre pratique. En d'autres
termes, il serait question de se démarquer du couple
réalité - apparence (dont aussi bien le statut ancien que moderne
de la différence sont restés prisonniers) pour inscrire la
différence dans la dimension pratique des valeurs.
Ainsi, nous semble-t-il, c'est en termes de valeur et de
validité, non de réalité ou d'apparence, qu'il importe de
poser le problème de la différence dans une société
démocratique. Que de se poser, comme le fait Rawls, le problème
de la différence en termes de son acceptation dans une
société libérale, il semble plus indiqué, dans
l'espoir de parvenir à une critique sociale féconde, de
s'interroger désormais sur les conditions d'attribution d'une valeur de
la reconnaissance à cette différence pour qu'elle puisse se faire
valoir comme telle.
B. LES
LIMITES DU DUALISME PRINCIPIEL DANS LA JUSTICE POLITIQUE INTERETATIQUES
Dans la théorie de la justice comme
équité, l'ordre national et l'ordre international sont
régulés par des principes différents. Cette dualité
de principe semble être déstabilisée par le
phénomène de la globalisation plus favorable à
l'effacement de la distinction politique intérieure et politique
extérieure. La globalisation ici se rapporte à un cosmopolitisme
se réclamant de l'extension internationale d'un principe libéral
de justice distributive. Mais entre le dualisme principiel de Rawls et cette
interprétation cosmopolitisante, il y a une différence :
différence entre un processus objectif établissant la
réciprocité requise par la coopération internationale,
soutenue par Rawls, et la promotion d'une norme de solidarité
internationale soutenue par le cosmopolitisme. Mais est-ce suffisant pour
fonder sur un dualisme principiel, la souveraineté étatique, la
tolérance des régimes non libéraux, et l'abandon d'une
norme de solidarité internationale ? Nous développerons
trois considérations qui nous paraissent être des limites au
dualisme principiel que Rawls introduit dans le droit des gens.
1. Le
problème du paradigme étatique dans le droit des gens
Dans le droit des gens rawlsien, le paradigme étatiste
est le point focal des relations internationales. C'est ce paradigme qui
justifie le fait que le schème coopératif dans le système
des Etats n'accepte pas d'être régulé, comme le souhaitent
Charles Beitz et Brian Barry, par un principe de justice
distributive.185(*) Mais
en rester à cette sublimation de l'Etat dans les relations
internationales dénote pour Rawls, moins d'une quête de
réciprocité que d'une profonde nostalgie de la
géopolitique bipolaire qui a caractérisée les relations
internationales pendant la guerre froide. L'ordre international pendant cette
période illustrait l'image de l'irréconciliable division
schmittienne entre l'ami et l'ennemi. Dans ce contexte, les Etats
(principalement les Etats occidentaux) étaient les seuls maîtres
du jeu international, et fonctionnaient sur le principe suivant :
Les clés de la réussite appartiennent
à ceux qui mettent entre parenthèse les considérations
prescriptives comme le droit et la morale et à
« fortiori » les émotions et les
sentiments.186(*)
Mais avec la situation d'uni polarité survenue à
l'occasion de l'effondrement du bloc communiste dans les années 1990,
l'Etat n'est plus l'unique acteur des relations internationales. A coté
du réseau interétatique, se développent d'autres
réseaux de relations internationales entièrement constitué
d'acteurs non étatiques.187(*) Ces nouveaux acteurs s'intéressent
fondamentalement dans certains cas, aux questions de morale, de justice que
Rawls semble négliger au profit des questions de paix et de
sécurité entre les nations. Avec la reconnaissance de ces
nouveaux acteurs comme partie prenante du système international, un
espace de dialogue s'organise en termes de procès entre une demande
sociale de justice et des institutions appelées à y
répondre. Ce procès se loge dans un « espace
public » qui prend la forme d'un tribunal sur lequel la demande de
justification des comportements présents et passés
s'internationalise. En fait, face à ces nouveaux acteurs, les Etats et
leurs institutions sont appelés à s'expliquer sur leurs
actions.
2. Le
problème de la prééminence du principe de tolérance
dans le droit des gens rawlsien
Avec la prééminence du principe de
tolérance dans le droit des gens rawlsien, on peut en fait contester que
l'ordre interétatique juste que défend Rawls soit vraiment
équitable, et puisse garantir un consensus. En effet, la
tolérance des régimes non libéraux appelle plus à
une compromission des principes de justice. Ce que cèdent les
sociétés libérales et démocratiques (l'extension du
principe libéral de différence en principe de justice
distributive global) pour vivre en paix avec les sociétés
hiérarchiques, est supérieur à ce qu'elles gagnent (un
respect minimal des droits de l'homme dans les sociétés
libérales). De même, le gain des sociétés
hiérarchiques non libérales (leur acceptation comme membre de la
société politique internationales) parait supérieur
à ce qu'elles perdent (assouplir les restrictions en matière
liberté personnelle). Ainsi, partant de la dualité principielle
qui régie la pensée de Rawls, l'on peut comprendre que le droit
des gens rawlsien, libéral dans son essence, est d'avantage acceptable
pour les sociétés hiérarchiques que pour les
sociétés libérales ; et il pourrait même,
d'après le raisonnement de Rawls, être acceptable dans un monde
composé uniquement de sociétés bien ordonnées non
libérales.
3. Le
dualisme principiel et le problème de l'historicisme chez Rawls
En suivant le raisonnement de Rawls, notamment l'idée
de l'historicisme qu'il développe dans Libéralisme
politique188(*) on
peut s'interroger sur la portée universelle de cette théorie. La
réponse qu'il donne à ce sujet, à savoir, que l'extension
au droit des gens d'une conception libérale de la justice, suffit
à faire preuve de son absence d'ethnocentrisme, nous parait peu
convaincante. En effet, selon Rawls, la dualité domestique/international
permet de conclure que le consensus sur le droit des gens aboutit à un
droit interétatique libéré du sceau de la tradition
occidentale.189(*) Mais
cela ne nous permet pas de conclure que l'ordre domestique
développé par sa conception de la justice politique n'est plus
marqué du sceau de la tradition politique occidentale, une fois l'Etat
engagé dans les relations internationales. Dans ce contexte, les
sociétés libérales deviennent simplement des
sociétés ayant intériorisé le droit des gens
raisonnable, au même titre que les sociétés
hiérarchiques. Ainsi, le droit des gens apparaît bien plus comme
une réadaptation internationale du libéralisme, que comme le
substitut d'une fondation métaphysique du libéralisme.
CONCLUSION
Il est évident que la catégorie d'autonomie n'a
été traitée dans la théorie de la
justice comme équité que de
manière oblique et partielle. De manière oblique, parce qu'elle
est examinée par le moyen d'un individualisme méthodologique
hérité de la philosophie cartésienne. Partielle, car aussi
bien l'individualisme méthodologique que le dualisme principiel auquel
il conduit lorsqu'on aborde la question des rapports interétatiques,
n'arrive pas à une formulation décisive de la critique sociale.
Mais ce jugement qu'il faut placer dans le cadre d'une évaluation
critique, parait fort partiel, car toute théorie, aussi fausse qu'elle
puisse se présenter, développe en son sein, et pour un travail
sur soi, des éléments propices à son propre
dépassement. Et même la fausseté d'une théorie n'est
saisissable qu'à travers son antithèse. La
théorie de la justice comme
équité bien qu'alimenté par des
éléments de la pensée kantienne et
wébérienne, n'a pas été une véritable
pensée de la liberté humaine. La théorie de la
justice comme équité est une pensée de l'autonomie
qui n'a pas écrit son manifeste pour la libération. C'est ce qui
explique le fait que malgré la présence de tous les
éléments par lesquels peut s'exprimer un vécu politique
juste et équitable chez son auteur, il n'a pas pu tirer toutes les
conséquences de son projet politique, il n'est pas allé jusqu'au
bout de la pensée d'autonomie qu'il développe, jusqu'à
l'effectuation de ses idées. Dans un contexte où le positivisme
technoscientifique fonde l'interaction entre les individus et les Etats sur une
rationalité de la domination, dans la conquête de nouveaux
marchés, dans la monté de l'extrémisme religieux et des
modes de pensée autoritaire, dans une mondialisation cosmopolitique plus
favorable à l'effacement des identités particulières, dans
cette période où la philosophie se désintéresse de
la lutte contre la pauvreté et la misère pour servir les
idéologies, la théorie de la justice comme
équité redonne au sujet la possibilité de
reconquérir son autonomie. La catégorie centrale de son auteur
est le raisonnable, mais la théorie dans son ensemble se présente
comme une utopie réaliste qui n'a pas laissé éclore toutes
ses possibilités. C'est pour cette raison que nous nous en servirons
comme aiguillon critique afin de mettre en perspective l'immanence politique
sous le double mode du raisonnable et du possible.
DEUXIEME PARTIE :
CRITIQUE SOCIALE ET MODALITE DE L'AUTONOMIE POLITIQUE
DANS LE MONDE.
LIMINAIRE
Dans la première partie de notre
travail, l'étude des différents clivages et
présupposés de l'autonomie politique nous a conduit à un
examen, à l'intérieur d'une philosophie, des problèmes
liés à ses options et choix internes. Toutefois, puisque toute
philosophie, fille de son temps, doit entretenir un rapport dialectique avec
l'histoire et partant avec la pratique sociale, la lecture d'une théorie
ou d'une catégorie ne peut être pertinente qu'en s'articulant sur
le réel historique. C'est la raison pour laquelle il nous parait
important de compléter la lecture de la théorie de la
justice comme équité (faite dans la première partie)
par une lecture de l'histoire entrain de se faire avec la théorie de la
justice comme équité. Et comme nos vues portent sur le
problème de l'autonomie, nous lirons avec la théorie de la
justice comme équité, comment l'idée d'autonomie
s'efface dans le droit international en vigueur.
Dans cette partie, il s'agit d'entrer dans le projet
général de la catégorie d'autonomie dans la pensée
de Rawls, à savoir démasquer la formulation continue de
l'hétéronomie dans les normes politiques internationales, et son
corollaire la nécessité. La nécessité de subir une
histoire universelle « irréversible », une praxis
sociale manipulatoire qui se transforme en un horizon conceptuel
privilégiant l'inertie intellectuelle, et dont la caractéristique
fondamentale est la confiance tranquille en une pensée affirmative. En
réduisant le droit international à ses principes fondamentaux
(notamment l'égalité normative entre les Etats,
l'exclusivité étatique, la souveraineté étatique),
la pensée de Rawls se rattache à la dénonciation des
manipulations du droit international.
Une mise au point doit être faite ici. Celle-ci devra
montrer comment et en quoi le registre politique concerne le sujet qui nous
intéresse, à savoir l'exploration du concept d'autonomie dans la
pensée de Rawls, et son extension au droit international. Ensuite, la
mise au point devra situer le lieu à partir duquel devra évoluer
notre analyse du système international actuel. Qu'est-ce qui peut
justifier une analyse du droit international au regard du concept d'autonomie
dans la pensée de Rawls ? Premièrement, la grande tache de
la théorie de la justice comme équité est de
mettre en rapport l'autonomie rationnelle et l'histoire en train de se faire.
Et s'occuper de la rationalité en politique suppose une mise en
perspective des multiples rationalisations par lesquelles la domination trouve
une permanence. La théorie de la justice comme
équité veut penser la consolidation de la communauté
internationale, et dévoile à travers l'immédiateté
des rapports, les médiations par lesquelles s'élabore le droit.
Mais alors une analyse du droit international dans ce sens ne peut être
que fort importante, dans la mesure où penser l'autonomie et poser la
question de la relation des Etats au droit, nous semble conforme à la
ligne tracée par Rawls.
A cet effet, la méthode qui sera utilisée pour
montrer comment la pensée de Rawls, discours de l'autonomie politique,
s'oppose au discours idéologique de l'hétéronomie des
normes internationales, se veut négative. Cette méthode est bien
présente chez Rawls quand il rejette la dissolution de l'Etat dans la
totalité universaliste, à travers le dualisme principiel qu'il
établit entre l'ordre domestique et l'ordre international. Par cette
méthode, Rawls démasque la dépolitisation permanente de la
sphère publique préconisée par l'idéologie du
cosmopolitisme fondée sur la nécessité. Cette
méthode saisie aussi bien la pensée que l'objet dans leurs
dissonances internes, refuse toute esquive liée au théoricisme,
et se propose la libération dans un contexte historique scellé
de la logique de l'identification, de la classification. Sur quoi dès
lors portera l'analyse de l'éradication de l'autonomie et de son
discours dans le système des Etats ?
L'objet du quatrième chapitre sera de saisir la
portée du libéralisme politique de Rawls dans les relations
internationales. Dans ce cas nous étudierons à la lumière
du réalisme politique de la théorie de la justice
comme équité, la question de la désunion de la
référence politique et de l'appartenance culturelle dans chaque
société, prônée par l'idéalisme moral,
individualiste et égalitaire du cosmopolitisme, à travers la
construction d'une identité post nationale. Ceci nous aidera à
formuler une critique du droit international qui, malgré l'essor des
droits de l'homme et des nouvelles catégories comme les
« crimes contre l'humanité » a structurellement peu
changé.
CHAPITRE IV : LE DROIT INTERNATIONAL : ENTRE LE
REALISME POLITIQUE DE RAWLS ET L'IDEALISME MORAL ET INDIVIDUALISTE DU
COSMOPOLITISME.
La recherche que nous entreprenons à ce niveau
est orientée par un souci, à savoir comprendre comment le
discours de l'ajustement fleurit dans l'ordre international actuel. Cet ordre
est présenté sous la forme d'une totalité culturelle et
historique, et dont l'universalité et la permanence de la structure
technique, économique et politique, est irréversible. Une
question se poserait dès lors : comment le droit, expression dans
ses principes, de l'autonomie et de la souveraineté, peut en même
temps se présenter sous une forme performative et idéologique, et
être un discours de l'ajustement ? Comment résoudre ce
paradoxe qu'un dérivé de l'autonomie s'oppose à
l'autonomie ? Il existe un usage démagogique du droit qui en fait
une catégorie heuristique dans la définition des politiques de
l'ajustement. La mise en perspective de cet usage démagogique sert de
préalable à l'orientation de notre interrogation qui sera
centrée sur deux axes.
Le premier essayera d'analyser la portée
concrète de l'idée de citoyenneté cosmopolitique
développée par l'idéologie du cosmopolitisme. Ici, nous
entendons le point de vue actuellement mis en avant par les défenseurs
d'un ordre politique mondial conçu comme une association d'individus.
Ces derniers sont les seuls à avoir une véritable valeur morale,
et leurs droits et intérêts doivent être
protégés par les institutions internationales et prévaloir
sur ceux des Etats. La conception traditionnelle de l'ordre mondial comme
association d'Etats souverains est dévalorisée. Le second axe
examine la manifestation de la dérive idéaliste du droit et de la
politique internationale dans l'élaboration des philosophies de
l'ajustement en Afrique.
A.
THEORIE DE L'IDENTITE POSTNATIONALE ET LA QUESTION DE LA CONSOLIDATION DE LA
COMMUNAUTE INTERNATIONALE.
L'optique favorable à la construction d'une
identité post nationale en vue de la consolidation du système des
nations repose sur deux thèses. La première insiste sur
l'importance d'une « structure de base globale »190(*) et des principes de justice
distributive globaux débordant les frontières des Etats-nations.
On rejette ainsi le principe de l'autosuffisance économique
interne.191(*) La
seconde thèse insiste sur la nécessité de fonder la
solidarité internationale sur un ordre démocratique
supranational, visant à maîtriser les effets néfastes de la
mondialisation des marchés.192(*) Cette fois, c'est le principe qui fait des
Etats-nations les principaux acteurs de la scène internationale qui est
rejeté.
1. Le
rôle d'une justice distributive entre les peuples.
La justice distributive est essentiellement liée
à l'expérience du pluralisme mieux à la gestion des
conflits identitaires dans la société. Que l'on se
préoccupe de la bonne distribution des avantages et
charges de la coopération sociale,193(*) ou plus particulièrement de la bonne
distribution des ressources économiques,194(*) la priorité est
accordée à la sphère interne de la société.
A ce niveau, le dénominateur commun aux différentes
théories contractualistes de la société se résume
en un cadre communément partagé d'une identité
institutionnelle qu'on imposerait à l'ensemble des individus.
Mais une fois envisagée à l'échelle
mondiale, la justice distributive fait face à un dilemme fondamental
issue, non seulement de la dialectique des identités culturelles
originaires/historiques et des cultures politiques nationales, mais aussi la
dialectique des cultures nationales et de la culture mondiale, cette
dernière se voulant le point culminant, la fin des autres. Et compte
tenu de la marche irréversible de la dissolution des cultures locales
dans la culture mondiale, la norme de conduite imposable aux Etats est le
respect des droits de l'homme. Erigée en critère de
légitimation politique dans les relations internationales, la
catégorie des droits de l'homme créée une plate forme
politique favorisant le surgissement d'un concept de personne cosmopolitique
communément partagé. Dès lors, malgré le fait que
les sociétés non libérales n'ont aucune expérience
historique de la conception politique de la personne et de l'éthique de
la discussion, concept propres à la tradition politique libérale,
leurs citoyens s'imprègnent de ces concepts au fur et à mesure
qu'ils intègrent le système international. Ils acquièrent
ainsi, eux aussi, le statut de citoyens cosmopolitiques, et peuvent être
favorablement disposés à l'égard des principes du
libéralisme politique.
Cette exploration des principes du libéralisme
politique à l'échelle internationale, avec pour moment clé
le surgissement du concept de personne cosmopolitique, se fonde sur le principe
de l'individualisme moral égalitaire. Il se propose d'articuler les
valeurs de liberté et d'égalité pour tous les hommes,
quelques soient leurs lieux de naissance. Ici, au sein de la
« structure de base globale » où se déplorent
les relations internationales, la méthode de la position originelle
s'applique à tous les individus. Cette idée d'une extension de la
position originelle à l'échelle mondiale est présente dans
la pensée de Rawls.
Mais Rawls conçoit l'idée d'une
« structure de base globale » comme irrecevable. Car
l'objet de la justice est la structure de base de la société,
c'est-à-dire l'ensemble des institutions sociales, politiques et
économiques fondamentales de la société. Et les seules
institutions de base existantes se relient à des sociétés
organisées en « communauté nationales
indépendantes ».195(*) Ainsi, lorsque Rawls tire de sa théorie des
principes de justice internationale, la position originelle concerne, non pas
des individus proprement dits, mais des représentants des Etats. Et
bien que se mouvant aussi derrière le voile d'ignorance, ces
représentants d'Etat indépendants ne souscrivent pas à un
quelconque principe de redistribution, et ignorent en particulier le principe
de différence.
Cependant, la globalisation de plus en plus
accélérée de l'économie et des moyens de
communication semble être un fait qui échappe à Rawls. Il
existe de plus en plus d'institutions supra étatiques,
c'est-à-dire d'organisation économiques et politiques supra
nationales et des organisations civiques non gouvernementales qui, dans les
faits, remettent en cause le rôle privilégié de l'Etat dans
les relations internationales. L'intuition de base ici suggère que les
effets de la mondialisation, à savoir l'ouverture des économies,
l'intégration des marchés et des firmes à l'échelle
internationale, les politiques de libéralisation qui facilitent la
circulation des biens et facteurs, tout cela doit conduire à la
« dévalorisation des frontières. »196(*) Ce qui a conduit certains
théoriciens de l'économie politique internationale comme Robert
Reich et Karl Ohmae à proposer, soit la suppression dans le vocabulaire
économique de la notion de « balance de payement d'un
pays » parce qu'elle constitue un anachronisme dans l'économie
mondialisée, et à prédire l'avènement d'un monde
sans frontières (a borderless world). C'est à cette intuition
qu'on doit la dynamique intellectuelle ayant conduit au développement du
concept de « structure de base globale ». Ce dernier
envisage la possibilité à l'échelle internationale, d'une
diversité irréductible de conceptions compréhensives de la
personne, et pose les jalons nécessaires à la réalisation
des conditions favorables à la mise en place du libéralisme
politique à l'échelle internationale. On admet ici une seconde
ronde au sein de la position originelle, ronde qui inclue l'ensemble des
individus de la communauté internationale.
Ainsi donc, l'usage de la position originelle comme
dispositif garant de l'impartialité et de l'universalisme juridique
semble commettre un certain libéralisme politique à
définir le droit international sous la forme d'une globalisation du
principe de différence. On applique au système international le
raisonnement ayant permis de choisir le principe de différence comme
principe de justice sociale. Dans le soucie d'établir un schème
coopératif suffisant dans le système des Etats, les
représentants des nations choisiraient un principe international de
différence pour s'assurer le meilleur sort possible au sein de la
communauté internationale. Le politologue Charles R. Beitz justifie ce
choix et accorde au principe international de différence le statut d'un
(...) principe de redistribution des ressources qui
donnerait à chaque société une chance équitable de
développer des institutions justes et une économie capable de
satisfaire les besoins fondamentaux de ses membres.197(*)
Ceci est possible par le fait que ce principe international de
redistribution
Procure aux individus dans les pays pauvres en ressources
l'assurance que leur mauvaise fortune ne les empêchera pas de remplir les
conditions économiques suffisantes pour soutenir les institutions
sociales justes et protéger les droits de l'homme.198(*)
On peut lier ce raisonnement à la vision
modérée du cosmopolitisme défendue par Thomas
Pogge,199(*) David
Held200(*) ou Michael
Keating.201(*)
L'objectif ici est de repenser la nature et la portée du concept de
souveraineté au sein des Etats-nations. Ils proposent un concept
polycentrique et différencié de la souveraineté où
l'Etat-nation doit composer avec des instances supranationales de
redistribution des richesses. Une conception interactive de la
souveraineté dans laquelle, les différents centres du pouvoir
politique, à l'échelle locale, nationale et internationale, se
partageraient les responsabilités, selon les types de problèmes
à résoudre. A cet effet, David Held voit dans l'Etat-nation un
lieu d'auto législation des citoyens parmi tant d'autres, qui devra
continuer à jouer un rôle dans la scène internationale.
Dans son ouvrage Democracy and the Global Order, il affirme :
Il ne peut plus y avoir une prise en compte de l'Etat
démocratique moderne sans un examen du système global, mais il ne
peut non plus y avoir un examen du système global sans une prise en
compte de l'Etat démocratique.202(*)
Plus loin, dans le même ouvrage, il
déclare :
Sur l'arrière plan d'un ordre politique
cosmopolite, l'Etat-nations, en temps opportun, s'atrophierait, mais cela ne
veut pas dire que les Etats et les communautés nationales deviendraient
redondants. Il y a plusieurs bonnes raisons (...) de douter des fondements
empiriques et théoriques des prétentions à l'effet que les
Etats-nations disparaîtront.203(*)
On objectera très bien ici que le concept polycentrique
de souveraineté placé au coeur de la justice globale, convient
très bien aux pays puissants. Il est difficile aux pays pauvres, en
proie à des conflits armés internes, à la ruine des
institutions politiques et sociales, à la faiblesse des gouvernements,
de résister aux mécanismes d'ajustement proposés par les
pays riches, puissants et les institutions financières internationales,
se présentant comme des partenaires au développement. Cela se
fait par le biais des conditionnalités politiques, économiques et
sociales, dont les effets pratiques se voient dans l'ouverture des
frontières et la privatisation des actifs et biens publics, la
stabilisation des structures macro-économiques, financières,
monétaires, budgétaires, l'intrusion de la société
civile internationale dans la vie intime des Etats, le contrôle
exercé par des groupes d'affaires multinationaux sur les ressources
naturelles des Etats, etc.
A cet effet, cette extension du libéralisme politique
au droit international pourrait en effet passer pour une forme d'expansionnisme
idéologique. Aussi Rawls l'écarte-t-il de sa conception
contractualiste de la justice internationale. Pour lui, cette démarche,
dite cosmopolite, fait face à un dilemme issu du fait qu'elle cherche
à construire des principes de justice pour un monde comprenant une
diversité de cultures et de tradition, en partant de prémisses
normatives fondamentalement libérales. Elle ne prend pas en compte dans
ses analyses, le fait du pluralisme à l'échelle
internationale, et risque d'être intolérante vis-à-vis des
sociétés non libérales en exigeant d'elles qu'elles
deviennent membre d'un système cosmopolitique libéral.
Les tenants de ce cosmopolitisme modéré
pourront répliquer sans doute que le concept de souveraineté
polycentrique ou partagé qu'ils proposent, s'inscrit dans une
stratégie de renforcement des pays pauvres sur la scène
internationale. Cela peut être vrai. Mais il n'en demeure pas moins vrai
que le statut d'un Etat puissant, en vertu de sa reconnaissance internationale,
reste préférable au statut d'un pays pauvre. Et c'est là
une des raisons pour lesquelles la souveraineté de l'Etat-nation demeure
un point important pour l'émancipation des pays faibles et pauvres.
2.
Solidarité internationale et démocratie supranationale : Le
cosmopolitisme radical de Jürgen Habermas.
Une conception plus radicale du cosmopolitisme apparaît
dans l'interrogation habermassienne sur la forme que pourrait revêtir une
théorie de la justice globale. Son analyse de la justice internationale
s'inscrit dans une critique des idées kantiennes où l'Etat-nation
est l'acteur principal de la scène internationale. Rappelons que les
préoccupations kantiennes sur la possibilité d'un ordre
cosmopolitique juste revêtent un caractère ambivalent. Dans ses
premiers écrits sur le cosmopolitisme, Kant semble plus à l'aise
avec l'idée d'un ordre politique et juridique transcendant et global,
auquel seraient soumis les Etats-nations.204(*) Mais les derniers textes sur le sujet semblent
adopter l'idée d'un « congrès », d'une
« ligue » des nations, d'un arrangement volontaire et
révocable entre les Etats-nations souverains. Et ceci en raison de la
prise de conscience du fait que la souveraineté de l'Etat-nation
apparaît à son époque comme un élément
incontournable et indispensable de la scène internationale.205(*)
Habermas pense qu'il est essentiel de substituer à
l'idée kantienne d'un ordre politique et juridique global conçu
comme une association d'Etats-nations souverains, l'idée d'un
cosmopolitisme conçu comme une association d'individus. Ces derniers
sont les seuls à avoir une véritable valeur morale, dont les
droits et les intérêts doivent prévaloir sur ceux des
Etats-nations et être protégés par des institutions
supranationales.206(*)
Cette survalorisation des droits individuels sur le droit des peuples permet de
définir les conditions adéquats pour un contrôle juridique
des relations externes entre les Etats, et des relations internes entre les
Etats et les individus (autant ceux dont ils sont citoyens que eux dont ils ne
sont pas citoyens). La simple conformité des relations entre Etats,
entre les Etats et leurs citoyens, aux traités révocables du
droit international n'est plus soutenable. Il faut la remplacer par une
conformité des relations interétatiques et des relations entre
les Etats et leurs citoyens, à des normes constitutionnelles
fondamentales et universellement valables, c'est-à-dire à un
véritable droit cosmopolitique. En conséquence, le droit
cosmopolitique doit fournir des moyens institutionnels, des pouvoirs et des
sanctions qui permettront aux institutions internationales d'asseoir leur
légitimité et de contraindre les Etats rebelles à
respecter les obligations morales minimales que pose le droit cosmopolitique
véritable. C'est pourquoi la protection des droits individuels
fondamentaux relève désormais du ressort des institutions
internationales.
Les considérations habermassiennes sur la nouvelle
forme que devrait revêtir un cadre institutionnel cosmopolitique, ont
inspiré diverses perspectives favorables aux revendications d'une
réforme des principales institutions de l'Organisation des Nations Unies
(O.N.U.). Notamment la création d'une seconde chambre reliée
directement aux régions et aux localités, non plus seulement aux
Etats-nations. La reforme du conseil de sécurité des Nations
Unies de façon à permettre à certains régimes ou
parlements régionaux (comme l'Union Européenne) d'avoir un
pouvoir décisionnel effectif, l'extension des compétences
juridictionnelles de la Cours internationale de justice de La Haye dans le sens
d'une institution permanente, dotée d'une force exécutive
permettant d'assurer le respect des droits humains et, ainsi, des moyens
d'intervention nécessaires en cas de violation de ces droits.
L'attrait de cet idéal cosmopolitique sur la
scène internationale peut s'expliquer par le fait qu'il est jugé
plus « réaliste », et ceci sous trois angles au
moins. Premièrement, ce modèle semble refléter les
conditions sociologiques d'un ordre cosmopolitique. Ce que Kant semble ne pas
tenir en compte. Habermas fonde ses réflexions sur un fait social :
le développement d'une « conscience cosmopolitique »
incarnée par des mouvements sociaux, politiquement engagés au
sein des sociétés civiles nationales (mouvements
écologistes, pacifistes, féministes, etc.) Ces mouvements
semblent programmés pour faciliter l'émergence d'une
citoyenneté démocratique transfrontalière, susceptible
d'avoir des ramifications aussi bien à l'échelle régionale
que globale.207(*) Il
n'est plus question de montrer, comme le faisait Kant, comment la paix mondiale
se réalisera aux forceps, malgré la nature belliqueuse des Etats,
en fondant l'ordre politique sur l'hypothèse d'une heureuse
coïncidence entre les finalités de la raison et les
finalités de la nature. Pour Habermas, l'ordre cosmopolitique n'est
envisageable que grâce à l'existence des mouvements sociaux ayant
leur siège dans des sociétés civiles nationales, et
favorable à un tel ordre. Aussi, nécessite-t-il l'investissement
des citoyens et des organisations dans le processus de décisions
politiques, tant dans la sphère nationale qu'internationale.
Le second angle se rapporte à une adéquation
entre le modèle cosmopolitique habermassien et l'ordre politique
international qui a émergé après la seconde guerre
mondiale. La politique internationale a connu des transformations qui indiquent
la phase transitoire dans laquelle l'Etat-nation est entrée. Ces
transformations peuvent être évaluées au moins à
quatre niveaux. Au niveau du droit international qui impose désormais la
prise en compte des droits individuels au détriment du droit des
peuples. Au niveau de l'internationalisation croissante de la prise de
décision politique et l'émergence d'organisation oeuvrant
à des échelons supranationaux (Banque mondiale, F.M.I.). Au
niveau de la globalisation des marchés et la perte de contrôle par
les Etats de leurs politiques économiques et monétaires internes.
En fin, au niveau de la perte des repères identitaires traditionnels et
la dissolution des souverainetés culturelles, en raison de la diffusion
planétaire d'une culture de masse (en bonne partie
véhiculée par le cinéma américain).208(*) Ces transformations
rentrent, de façon concrète, dans la politique internationale qui
a émergée après la seconde guerre mondiale. Et le
cosmopolitisme habermassien se révèle être une tentative
d'arrimage des institutions internationales, ainsi que les principes politiques
et juridiques qui régissent les relations internationales avec les
transformations que nous venons de décrire.
Le troisième angle se rapporte à la nature des
menaces qui pèsent sur le monde. L'internationalisation de certaines
menaces, comme le terrorisme, écarte le traditionnel schéma des
relations « ami/ennemi » gouvernant la logique de la guerre
entre les Etats.209(*)
Le terrorisme, tout comme les problèmes environnementaux, les
épidémies, la prolifération nucléaire,
nécessitent des mesures et des mécanismes de coordinations
provenant d'institutions supranationales. A ce niveau, la pensée
habermassienne parait plus réaliste, en ce qu'elle saisit à la
fois la nature des problèmes à régler et les faiblesses
des institutions internationales.210(*)
En somme, l'analyse de l'ordre juridique et politique qui
doit fonder le système des nations dans la pensée de Habermas,
laisse paraître un rejet du rôle privilégié
qu'occupait l'Etat sur la scène internationale. Le droit des peuples se
voit clairement soumis aux droits individuels et à leur protection. Ce
modèle de justice globale représente, à coté du
modèle de Pogge, Held ou Keating, une tentative de fonder la
solidarité internationale sur la défense des droits de l'homme.
C'est pourquoi les réformes opérées au sein des
principales institutions de l'O.N.U, inspirées par la pensée de
Habermas, se sont radicalement orientées vers l'aménagement d'une
appartenance directe des citoyens à un ordre politique global. Mais tout
comme le cosmopolitisme modéré de Thomas Pogge, Charles Beitz ou
Michael Keating, le cosmopolitisme habermassien échoue à rendre
véritablement compte du statut de la justice globale dans un monde
où l'Etat-nation est en transition.
La principale erreur que commet Habermas est qu'il
considère l'Etat-nation comme un obstacle à l'émergence
d'une citoyenneté cosmopolitique et démocratique. Ceci à
cause du principe de l'autodétermination des peuples mis en avant par
l'Etat-nation et sur lequel il fonde son autonomie sur la scène
internationale. Dans un tournant d'esprit proche de Pogge et Beitz, Habermas
estime l'auto affirmation des peuples, entendu comme autodétermination
des nations dans la scène internationales, incompatible avec la
défense des droits de l'homme sur laquelle doit se fonder un ordre
démocratique global. Il semble dès lors se méprendre sur
le véritable statut de l'Etat-nation dans un cadre politique global. Il
nous parait à ce jour, juste de soutenir que l'Etat-nation est à
la fois modèle d'auto législation démocratique, et lieu de
protection et de valorisation des traditions locales, dans un cadre politique
global.
A ce titre, l'Etat-nation est à la fois
communauté démocratique et communauté nationale. En tant
que communauté démocratique, l'Etat-nation a le rôle de
promouvoir l'intégration politique de ses membres, c'est-à-dire
d'accorder à chaque individu, sans distinction de couleur, de tribut ni
de sexe, le statut de citoyen permettant de surmonter les particularismes
ethniques. Comme communauté nationale, l'Etat-nation se doit de
créer un cadre politique favorable à la protection des
identités culturelles. Aussi lui revient-il entièrement la
mission de l'intégration culturelle, qui consiste à compenser le
modèle abstrait et utopique d'une citoyenneté purement
cosmopolitique, par un nationalisme tout à fait compatible avec un
ordre démocratique global protégeant les droits de
l'homme.
Certes l'Etat-nation ne peut plus, de nos jours être vu
comme le seul acteur de la scène internationale. Mais c'est un tort de
penser la citoyenneté cosmopolitique sur fond d'exclusion de
l'Etat-nation. Il est difficile dans les faits, d'envisager une quelconque
citoyenneté, fut-elle transnationale, sans au préalable poser les
jalons d'une citoyenneté nationale. De même, les espaces publiques
nationaux demeurent les cadres appropriées à l'intérieur
desquels la pratique de la démocratie à toutes les chances de se
réaliser, avant sa manifestation réelle dans les espaces publics
transnationaux. Ce point de vue trouve une justification aux yeux de Thomas
Nagel par le fait que
(...) les individus s'identifient fondamentalement
à ce genre de groupe, et une part assez essentielle de leur expression
est empruntée s'ils ne peuvent contribuer à l'auto
définition politique et au développement du groupe où
s'enracine leur identité. Il est impossible d'ignorer ce
phénomène, même si l'on a un sens de l'identification
nationale moins fort que la moyenne, ce qui est souvent le cas des
intellectuels cosmopolitiques.211(*)
Ce refus de théoriser l'exclusion de l'Etat-nation et
son apport pour la construction d'un ordre global juste, nous le trouvons dans
la critique rawlsienne du cosmopolitisme. Pour lui, la citoyenneté
transnationale comme identité politique, aussi générale et
abstraite qu'elle puisse être, demeure psychologiquement
douteuse.212(*) Si on
comprend bien ce propos, on peut dire que contre les forces colossales de
l'ajustement collectif qui se dégagent de la mondialisation, on peut
opposer l'idée qu'une éventuelle délibération
publique, à propos des problèmes de justice internationales,
aurait plus de chances d'être authentiquement participative et moins
élitiste à l'intérieur des frontières nationales
qu'à des échelons supranationaux.213(*) L'activisme transnational ne
saurait créer les conditions d'une véritable
délibération publique et d'une prise de décision
collective, telle qu'on peut les retrouver à l'intérieur des
frontières nationales. Même en réaction à des
problèmes internationaux (guerre, environnement, etc.) on voit
difficilement comment la participation à une société
civile globale favoriserait l'émergence d'une forme de
citoyenneté cosmopolitique authentiquement démocratique. Dans ce
cas, la possibilité d'une extension effective des vertus civiques
acquises à l'intérieur des frontières nationales, vers des
instances supranationales, nous parait porteuse d'un gain de pensée
important.
B.
MODERNITE AFRICAINE ET L'AJUSTEMENT A LA MONDIALISATION NEOLIBERALE : LES
ENJEUX POLITIQUES DU POST COLONIALISME214(*).
La marque de l'épanouissement du discours de
l'ajustement dans les relations internationales, est assez significative dans
l'orientation que prend la problématique de la liberté en Afrique
au début des années 80. Ici, la dérive idéaliste du
droit et de la politique internationale s'observe dans l'idée d'une
insertion pure et simple des Etats africains au droit cosmopolitique
général et universel. Ce discours est fort présent dans la
philosophie de la « modernité négro
africaine »215(*) véhiculée par le « post
colonialisme ». Nous proposons dans cette section d'examiner les
thématiques structuratrices portant sur le statut des Etats africains
à l'ère de la mondialisation, nous tenterons de montrer comment
le discours de la modernité négro africaine s'érige en
discours de l'ajustement, obturateur de l'autonomie. Il s'agira de
répondre à cette question : comment le discours de la
modernité négro africaine, initialement projet
d'émancipation, s'affirme en réalité comme discours
d'accompagnement à l'alternative hégémonique non
négociable de l'ajustement ? Comment et en quoi dans le post
colonialisme, l'émancipation se tourne-t-elle en son contraire ?
Comment comprendre que la mise en perspective de certains schèmes de
pensée n'était qu'une mise en forme de la domination ?
1.
Philosophie de l'ajustement : un contrepoids idéologique aux
revendications africaines pour la restructuration de l'ordre économique
et politique mondial.
S'agissant de la revendication pour la restructuration de
l'ordre économique et politique mondial, il est difficile de comprendre
la portée d'une telle lutte en se basant sur l'hypothèse que ce
que réclamait la conscience africaine, c'était une
redéfinition des rapports avec l'Occident. On court ici le risque de se
renfermer dans de simples conclusions erronées. En fait, comme l'ont
soulignés de nombreux spécialistes de la pensée politique
africain, la lutte que menait la conscience africain pour la restructuration de
l'ordre politique et économique mondial, avait en vue un
idéal : l'idéal de liberté conçue dans la
perspective de l'auto-centration. La liberté ici est avant tout le
pouvoir de décider de son sort, de son présent et de son avenir,
du point de vue politique, économique, culturel. C'est le dessein
fondamental vers lequel est orientée les revendications, en vue d'un
nouvel ordre international : faire parvenir l'Afrique à la
« liberté, c'est-à-dire une Afrique autocentrée
et puissante. »216(*) A cet effet, les perspectives intellectuelles
développées en vue de ce dessein, laissent apparaître un
intérêt particulier pour la lutte, la fondation, l'institution, la
totalité, et l'historicité.
Mais à partir des années 80, l'insertion de
l'Afrique dans le monde est marquée par le phénomène de
l'ajustement. Les premières marques de cette nouvelle donne des
relations internationales apparaissent au Sénégal, en Cote
d'ivoire où seront appliquées pour la première fois en
Afrique, ce qu'on a nommé « les programmes d'ajustement
structurel. » Il s'agissait ici d'organiser l'activité
politique, économique et culturelle de ces Etats autours de l'exigence
de la stabilité socio-économique et historique, où se
trouve exclue tout retour à la contradiction, à la
négation, à l'historicité, à l'institution.
Donc l'ajustement génère un nouveau cadre
conceptuel qui signifie le passage de la dialectique de l'histoire vers sa
stabilisation, sa fin, et son appropriation217(*). Dans le développement et l'adoption de
cette nouvelle donne des relations entre les Etats africains et l'Occident
capitaliste et néolibéral apparaît le concept de structure
comme point focal de la pensée. Il fut préalablement
énoncé par Fabien Eboussi Boulaga, réduisant la logique de
contradiction entretenue dans la pensée africaine traditionnelle,
à ce qu'il a appelé « la dialectique de
l'authenticité ». Voici l'explication qu'il donne de ce
concept :
On ne veut pas dire par là que la suppression des
contradictions soit vaine, puisqu'il y en a toujours, puisqu'elles sont la
condition de la vie de l'homme ou de la vie de l'esprit. L'esprit n'a
qu'à résoudre les contradictions qui se présentent
à lui, et non la contradiction en général, c'est par
là qu'il se conquiert et se possède.218(*)
De ce propos, il ressort une nouvelle orientation de
l'activité philosophique, dont Eboussi se veut l'instigateur. La
pensée se détourne de l'exaltation de la contradiction et de la
mise en place des systèmes et totalités, pour s'intéresser
à la question de la pacification des sociétés
démocratiques pluralistes. Ainsi, le concept de structure rend
obsolète le mode traditionnel de philosopher, c'est-à-dire sa
quête de cohérence, son intérêt pour la logique de la
démonstration, en vue de parvenir à un fondement, à la
genèse, à une identité qui serait le socle d'une
totalité. C'est dire que Fabien Eboussi Boulaga refuse toute idée
de fondement stable des Etats africains. La vie de l'esprit faisant
difficilement bon ménage avec les fictions et fixations identitaires, le
philosophe camerounais dénonce la vacuité, dans un monde
globalisé, d'un « projet d'englobement ou
d'universalisation d'une identité unique. » Il refuse de
partir d'une fiction identitaire pour en faire le socle de l'Etat en Afrique.
L'option à laquelle il souscrit, pour définir la manière
d'être des Etats africains dans le monde globalisé est le recourt
à la distorsion et à la subversion des institutions
établies. Car pour lui l'injustice dont sont victimes aujourd'hui les
Etats africains dans la scène internationale, ne peut être le
résultat des seules contraintes extérieures. « La
servitude initiale ne peut être attribuée uniquement à des
forces extérieures »219(*). Dans ce cas, la reconnaissance du droit
à l'auto détermination des peuples d'Afrique s'obtiendra, non pas
par la lutte (comme cela a été théorisé par Franz
Fanon, Marcien Towa), mais par le biais des
« tactiques qui recourent à la ruse (...)
avec ses occasions favorables ».
On peut donc dire que le concept de structure dans la
pensée de Fabien Eboussi Boulaga, soumet la reconnaissance de l'auto
détermination des peuples africains à une logique de la ruse
politique qui se déroulera en deux étapes. D'abord l'acceptation
de l'ordre du monde, en jouant le jeu stratégique des forces
extérieures. Ensuite, l'adoption d'une manière d'être au
monde fluctuante opposée à toute idée de fondation. A
partir de ces prémices, va se développer tout un discours
philosophique qui essayera de relativiser, mieux de disqualifier l'importance
de la contrainte extérieure dans la situation des Etats africains dans
le monde. On soupçonne l'optique révolutionnaire de Fanon, Towa,
Césaire, d'être un discours de maîtrise et d'autoritarisme.
On théorise plutôt au travers du concept de structure, la
défondation de toute conception d'une finalité
systématique de l'histoire africaine, conçue en vue de
l'autonomie comme dessein final. La description que fait Jean Godefroy Bidima
du discours révolutionnaire de la théorie sociale africaine est
révélatrice à ce sujet :
Une autre forme susceptible de piéger la
cohérence, c'est une écriture continue se voulant rigoureuse qui
enchaîne, de manière soit inductive, soit déductive des
raisons et des causes, une écriture qui tient compte de la mesure dans
la bonne tradition apollinienne. De cette écriture est proscrite la
césure de l'incohérence. L'allure de ces textes est souvent
apodictique, l'auteur y écrit un discours du genre démonstratif
et (...) même réfutatif (...) cette cohérence des
chaînes de raisons est un discours total, c'est-à-dire clos sur
lui-même.220(*)
Dans un esprit assez proche, Achille Mbembe rejette les
courants de philosophie africaine préoccupés par le rêve
d'une Afrique « autocentrée et puissante »,
pour une raison simple :
Progressivement, un univers fait de fragments, de signes
flottants, de textes ouverts, d'économie flexibles, de sens en constante
mobilité s'affirme à notre conscience.221(*)
Avec le concept de structure, se développe la
théorisation des systèmes statiques, finalistes, non dynamiques
dans le discours philosophique. Et avec sa défense, apparaissent dans
l'espace public africain, les motifs fondamentaux du post colonialisme comme
discours convergent avec l'ajustement. Se voulant critique de la philosophie
africaine, le post colonialisme dénonce au sein de cette philosophie, la
théorisation de la violence révolutionnaire, et par ricochet la
légitimation du crime (la mort), dans le cas où celui-ci est
commis en vue de donner un sens à l'histoire.222(*) On refuse ici les
conceptions dialectiques qui légitiment le droit de lutter et de
guerroyer, et le placent au fondement de la reconnaissance. La lutte
légitime une « logique du suicide », même si
elle est menée pour la liberté. Dès lors, la loi
souveraine qui doit gouverner l'intersubjectivité exige de
« donner la mort à la mort ». Pour Achille Mbembe,
la présence nécessaire au monde de l'Afrique passe par
l'acceptation des règles du monde globalisé et la défense
de la différence sur le plan culturel, politique et économique,
la complexité des frontières et l'ouverture à
l'altérité. Car lutter, c'est entrer « dans une logique
de circulation régie, la plupart du temps, par la loi de la
répartition inégale des armes. »223(*) Et comme on ne peut donner
la mort à un ennemi surarmé sans risquer dans le même temps
sa propre vie », la sagesse demande plutôt de
« changer ses désirs (plutôt) que l'ordre du
monde. »224(*)
Essayant de dégager la pertinence chronologique du terme
« post colonie », le philosophe congolais Jean P. Mpele
observe que cette notion, dans la philosophie africaine,
Permet d'articuler identité et différence
d'intérêts économiques et géopolitiques, et permet
de penser la possibilité des rapports conflictuels. C'est cette
articulation, que le passage à la phase néolibérale de la
mondialisation rend encore plus complexe, qui permet de comprendre les crises
actuelles pensées comme uniquement africaines, c'est-à-dire comme
l'expression automatique d'un archaïsme ou d'un atavisme traditionnel
précolonial ou pré-moderne.225(*)
Dans ce cas, on peut déceler une convergence discursive
entre l'impératif d'ajustement commun ici est la thèse d'une
identité fluctuante et infondée qui définit la philosophie
sous le mode de l'antinomie entre le global et le local. Achille Mbembe
réduit le dessein de l'auto centration de l'Afrique au projet
totalitaire de la « société fermée »
qui ne reste aujourd'hui qu'un pâle souvenir. Aussi affirme-t-il que
La légalité propre des
sociétés africaines, leurs propres raisons d'être et leur
rapport à rien d'autre qu'à elles-mêmes s'enracinent dans
une multiplicité de temps, de rythmes et de rationalités qui,
bien que particuliers et, parfois locaux, ne peuvent pas être
pensés en dehors d'un monde qui s'est, pour ainsi dire,
dilaté. »226(*)
« Un monde qui s'est
(...) dilaté », fragmenté, voilà la
conception instantanéiste du monde que propose le post colonialisme.
Dans ce discours, tout projet de conjonction des droits individuels aux droits
collectifs est réduit à un songe creux : « Le
songe creux de l'émancipation politique et la rhétorique de
l'autonomie culturelle»227(*). La construction des normes politiques dans les
Etats africains doit se focaliser essentiellement sur la reconnaissance des
droits individuels et leur valorisation, au détriment des droits
collectifs. L'individu posé comme métaphore de la liberté,
voilà le fondement de la vision instantanéiste du monde
développé par le post colonialisme. Avec ce discours, se
développe toute une philosophie qui déplace aux forceps
l'histoire du monde du centre vers la périphérie, avec pour
catégorie essentielle le « kairos ». En tant que
mode de conceptualisation de la temporalité, le
« kairos » est le moment de la ruse, de l'opportunisme en
politique.
Achille Mbembe adoptera le rapport d'identité entre
subjectivité et temps, développé par Gilles Deleuze, pour
rendre compte de l'insertion de l'Afrique dans la mondialisation à
travers le moment du « kairos ». Aussi rejette-t-il
l'idée de totalité comme horizon de l'avenir et mode d'insertion
de l'Afrique dans la mondialité. Mbembe saisit l'avenir de l'Afrique
dans la mondialisation à travers un concept de temps fragmenté,
et interstitiel. Ainsi, la présence de l'Afrique dans le monde
trouverait son sens dans la figure politique du cosmopolitisme et dans
l'ajustement des identités locales à l'identité globale.
C'est là le sens du concept de « post colonie »
qu'il développe. Il le définit sur la base du rejet du projet
d'autonomie rationnelle des lumières et définit la
temporalité de l'Afrique comme un « emboîtement de
présent » fondé sur la négation d'un horizon de
l'avenir et d'un horizon du passé spécifiquement africain. Mbembe
considère le passé de l'Afrique fait de luttes, de
conquêtes... comme étant des figures du particulier, du local, du
nationalisme, opposées à la figure du global, de l'universel, du
monde.
De ce point de vue, élaborer un discours
cohérent sur l'Afrique est une entreprise périlleuse, voir
difficile, au grand regret de ceux qui estiment, au moyen de la fondation, de
la totalité, tracer un avenir pour l'Afrique, par la lecture de son
passé. Car l'histoire africaine contemporaine présente des
sociétés historiques échappant à toute
nécessité de présence dans le monde, à toute
logique de centralisation, d'équilibrage. Ecoutons une fois de plus
Achille Mbembe :
Or ce à quoi l'histoire des sociétés
africaines nous renvoie, c'est à l'idée d'une pluralité
d'équilibres et au fait qu'en tant que sociétés
historiques, les formations africaines ne convergent pas vers un point, une
tendance ou un cycle unique, mais qu'elles recèlent en elles des
trajectoires fractionnées, ni convergentes, ni divergentes, mais
imbriquées et paradoxales (...). Ce qui distingue l'expérience
africaine contemporaine des autres, c'est le fait que ce temps à
l'état naissant est en train de surgir dans un contexte où
l'horizon d'avenir est, aujourd'hui, apparemment fermé, alors même
que l'horizon de passé s'est, apparemment,
éloigné.228(*)
Ce point de vue est plus explicite chez Jean Godefroy Bidima
et Bourahima Ouattara. Ici, le moment « kairos », vue comme
« temps (de l'Afrique) à l'état naissant »
est définit comme « le moment pour les vaincus de faire leur
histoire»229(*).
Bidima le place au fondement du possible dans la conscience africaine, un
possible qui se lit en termes de « débrouille », de
« détournement », de « coups »
au sein du marché universel. Ce moment interpelle plus la conscience de
la jeunesse et la paysannerie africaine, à la conquête du possible
indéterminé. Ainsi, à la question de la nature des lieux
propices à l'éclosion du possible dans les sociétés
africaines, Bidima répond ainsi :
La conscience « anticipante » et
détectiviste nous indique la jeunesse et la paysannerie (...) lieu
propice du changement, puisque cette jeunesse, à cause de la
« conjoncture internationale » est parfois
« l'exclue » du système
administrativo-économique (...) les paysans africains (...) appauvris
(...) vivent aujourd'hui dans une crise économique (...) leur rapport au
temps signifierait compter sur une conception qui explore ces « lieux
propices » au non-encore. Le « kairos » est le
lieu propice, mais (aussi) le « temps » de la
décision (...) le lieu qui n'entretient pas un rapport instrumental au
temps est bien en Afrique le milieu des exclus (les chômeurs, les
ménagères au foyer, les « voyous ») qui est
un terreau de possibilités pour un pouvoir vivre autrement. Comment les
« conjoncturés » essayent, à travers leur
mode de vie, de piéger le fonctionnalisme (...) leur rapport au temps
est celui de l'instant. Instant décisif (kairos) de survie (...) instant
de la débrouille. Instant décisif où l'imagination (survie
oblige) pousse l'Etre à persévérer dans l'Etre à
travers l'art de « faire des coups ».230(*)
Chez Bourahima Ouattara, la
« débrouillardise », comme manière
d'être spécifique de l'Afrique au monde, se traduit dans les faits
par l'inscription de « l'informel » dans le cadre d'une
critique de la rationalité instrumentale et technocratique. Le
développement du secteur informel dans les économies africaines,
manifeste la nécessité pour l'Afrique de se positionner dans le
marché universelle, comme un continent « en -
tiers » qui résiste au système par le biais d'une
identité fluctuante et d'une « consciente fragmentée
des univocités et des unilatéralités ». Cette
position de l'Afrique comme continent « en - tiers »,
c'est-à-dire, comme identité fluctuante et consciente
fragmentée du monde, génère des espaces de libertés
favorables à toute singularité et à toute
particularité. Dans ce propos, le philosophe burkinabé ouvre un
espace réflexion :
La résistance au système qui est l'une des
manifestations de l'être - en - tiers est visible tant au plan social,
politique qu'au niveau économique ; à ce niveau, ce que l'on
appelle « économie informelle » est la traduction
pratique de cette résistance (...) Il y a chez l'être - en - tiers
un décrochage entre la fluidité de sa manière d'être
au monde et les logiques qui voudraient l'organiser, fussent-elles
endogènes ou exogènes ; un décrochage entre le monde
et le monde vécu par l'être - tiers. En soustrayant l'Afrique
négro africaine de ces ratiocinations, en faisant
l'altérité de l'ordre conceptuel, nous ouvrons là un
espace philosophique. En lui s'origine l'idée d'un continent en tiers.
Etre en tiers, Etre en décrochage, c'est apparaître comme la
conscience fragmentée des univocités et des
unilatéralités (...). Il y a dans l'être - en - tiers une
sorte de liberté inhérente à toute singularité,
à toute particularité : singulière
liberté.231(*)
Au total, si l'on comprend bien la réaction post
colonialiste au besoin de penser l'Afrique comme une totalité
historique, un centre d'autopromotion, on peut dire que le post colonialisme
est une émulation tropicale de l'idée d'un droit cosmopolitique
universel, condition de l'affirmation de la mondialisation économique
néo libérale. Face au risque de ségrégation et de
séparation que porte le dessein d'une « Afrique
autocentrée et puissante », l'alternative post colonialiste
est « l'utopie radicale » d'un monde pacifié, sans
violence, ayant pour finalité la réalisation du
« projet radical qui consiste à donner la mort à la
mort»232(*). Que ce
soit chez Fabien Eboussi Boulaga, Achille Mbembe, Jean Godefroy Bidima,
Bourahima Ouattara, la lutte et la violence doivent être
éradiquées de la politique internationale des Etats africains. Il
convient plutôt de chercher les voies et moyens pouvant conduire à
une appropriation de la logique économique néolibérale,
condition de possibilité d'une insertion réussie dans la
mondialisation. Ses voies et moyens, on peut les résumer en une
adhésion au sens de l'opportunité. Chez Eboussi Boulaga tout
comme chez Bidima, on parvient à une théorisation de la
sophistique, légitimant la ruse et l'opportunisme dans les relations
internationales. Cette méfiance vis-à-vis de la
rationalité scientifique dans la théorie sociale, s'observait
déjà chez Eboussi Boulaga à la fin des années 70.
A cette époque, il proposait une pratique de la philosophie
« à la manière des sophistes »233(*). Et cette pratique de la
philosophie « à la manière des sophistes » a
été adoptée par les théoriciens du post
colonialisme, leur préoccupation étant de conduire les Etats
africains à l'appropriation de la révolution économique
néolibérale.
2.
Authenticité politique et autonomie sociale.
L'analyse post colonialiste de la relation entre les
Etats-nations d'Afrique et le monde, conditionne l'autonomie des
sociétés africaines à leur ajustement passif au
« marché universel ». Cette philosophie invite les
citoyens nationaux à émerger à la cosmocitoyenneté,
et les Etats-nations à rendre leur existence plus concrète en
assumant l'ordre mondial, sous peine de disparition. Cet arrimage non
éthique au droit cosmopolitique et à la mondialisation pose un
sérieux problème car occulte le niveau d'influence de
l'infrastructure économique dans la détermination de l'avenir
politique des nations africaines. Dès lors, penser l'autonomie politique
de l'Afrique, à travers une instrumentalisation de la démocratie
libérale et du droit cosmopolitique, est un leurre. Pourtant, c'est ce
que propose l'universalisme « afro mondialiste » d'Achille
Mbembe quand il propose comme mesure pour assurer la reconnaissance des
Etats-nations africains dans la mondialisation, une « utilisation
habile et une instrumentalisation du nouveau lexique international (lutte
contre la corruption, transparence, Etat de droit, bonne
gouvernance) ». Ce n'est pas à dire que ces concepts ne soient
pas porteurs d'un intérêt politique important dans la quête
de justice au sein des sociétés africaines. Mais c'est la
dimension formelle de leur utilisation, fondement de l'interreconnaissance des
citoyens nationaux des Etats-nations entre eux, qui est contestable. Dans ces
conditions le mode formaliste de l'ouverture au monde capitaliste,
défendue par le post colonialisme, rejoint la finalité du
modèle post politique habermassien, qui est, tout simplement, une
politisation libérale du monde.
Comme on le voit, le post colonialisme défend un
ajustement passif de l'Afrique à un processus historique en
marche : la mondialisation. La démocratie libérale ici se
mue en norme politique prescriptive de l'ajustement à la totalité
politique d'un monde dont les principes sont ceux d'une raison instrumentale
dépourvue de préoccupation éthiques. Dès lors, quel
sens pour la solidarité internationale quand les principes qui fondent
l'organisation du monde sont des principes dont l'éthicité est
loin d'être effective ?
C'est dans l'idée de nation d'un point de vue
cosmopolitique qu'il nous parait souhaitable d'envisager la reconnaissance
universelle du droit à l'autodétermination des peuples. Cette
idée se fonde sur un décentrement anthropologique, une
philosophie de la variation de soi par le regard de l'autre, en
continuité avec un polycentrisme ethnologique. Par un point de vue
cosmopolitique sur la nation, le fait du pluralisme dans le monde
(diversité des nations, des cultures, des coutumes) apparaît comme
la manifestation d'autant de point de vue possible sur le même monde. Le
monde ici se présente comme signe de l'ouverture et de
l'intérêt qu'on porte aux questions internationales, à
l'intérieur de chaque nation. A cet effet, les relations internationales
ne s'envisagent pas dans une optique historique (en termes de participation des
nations à la même histoire, la mondialisation en marche), mais
d'un triple point de vue sur l'individu. D'abord le point de vue de la
représentation de l'individu comme un être singulier (dont la
personnalité ne peut être aliénée, sacrifiée
sous quelques motifs que ce soit, par le collectif). Ensuite, le point de vue
de la représentation de l'individu comme citoyen d'un Etat (Il est une
personne libre et égale aux autres, un membre pleinement actif de la
société, parce qu'il participe à la coopération
sociale toute sa vie durant. Ce qui l'oblige à respecter et à
exercer les divers droits et devoirs en vigueur dans cette
société, et à bénéficier des avantages
liés à la coopération sociale). Enfin, le point de vue de
la représentation de l'individu comme homme.
Toutefois, le lien entre la diversité des points de
vue sur le monde et l'identité de ce monde, doit être
préservé. En fait, l'on peut même dire que, puisque dans le
cas où ce lien est préservé, c'est la diversité,
c'est-à-dire le processus de variation des points de vue sur le monde,
qui met en évidence l'essence idéale du monde, chaque nation doit
définir la façon avec laquelle elle se rapporte aux autres
nations, sous peine de réduire l'idée d'universalité
à une signification spatiale ayant une connotation privative,celle d'un
monde clos, d'une société fermée que chaque nation
constituerait pour elle-même. Ayant pour soucis la préservation
des identités (soucis qui parait louable), cette attitude rend les
sociétés étrangères les unes aux autres et conduit
à traiter les communautés politiques comme autant
d'espèces différentes. Mais avec la prise en compte de la
diversité et de la relativité des cultures, le statut cosmopolite
de l'homme est mis en évidence, statut qui est prioritaire par rapport
au caractère national.
Cette valorisation de l'humain sur le national, à
travers l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique, gouverne le
cosmopolitisme rawlsien. Mais ses racines s'abreuvent dans le cosmopolitisme de
Montaigne. Ici, la relation au monde se traduit dans une invitation au voyage
qui ne relève pas seulement d'une sensation de l'agréable, mais
aussi d'une expérience de la variation. Le voyage conduit à
l'expérience de la variation de soi, on s'éloigne de l'opinion
qu'on a de soi-même pour se voir à travers le regard de l'autre.
Cette philosophie de la variation de soi par le regard de l'autre ressort des
réflexions de Montaigne sur les cannibales :
Or je trouve (...) qu'il n'y a rien de barbare et de
sauvage en cette nation (...) sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est
pas de son usage.234(*)
Plus loin, nous lisons :
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu
égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard
à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.235(*)
Dans ces propos, Montaigne veut relever la dimension plurielle
du terme barbare, sans pour autant en dissoudre le sens, car pour lui, le
caractère cosmopolite de l'homme dérive de l'essence universelle
de la raison. Montesquieu mettra en scène cette
célébration de la variation de soi par le regard de l'autre, dans
un propos où il joint le cosmopolitisme ancien à l'humanisme
moderne.
Non parce que Socrate l'a dit, mais parce qu'en
vérité c'est mon humeur, et à l'aventure non sans quelque
excès, j'estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un
polonais comme un français, postposant cette liaison nationale à
l'universelle et commune.236(*)
Plus loin, Montesquieu se veut plus claire :
La diversité des façons d'une nation
à l'autre ne me touche que par le plaisir de la variété.
Chaque usage à sa raison (...). J'ai honte de voir nos hommes
enivrés de cette sotte humeur, de s'effaroucher des formes contraires
aux leurs : il leur semble être hors de leur élément
quand ils sont hors de leur village. Où qu'ils aillent, ils se tiennent
à leurs façons et abominent les
étrangères.237(*)
Cette valorisation de l'humain sur le national peut aussi
s'originer dans Descartes en correspondance avec la conjonction essentielle
entre décentrement anthropologique et l'idée d'une essence
universelle de la raison. Ecoutons Descartes :
Il est vrai que, pendant que je ne faisais que
considérer les moeurs des autres hommes, je n'y trouvais guère de
quoi m'assurer, et que j'y remarquais quasi autant de diversité que
j'avais fait auparavant entre les opinions des philosophes. En sorte que le
plus grand profit que j'en retirais était que, voyant plusieurs choses
qui, bien qu'elles nous semblent fort extravagantes et ridicules, ne laissent
pas d'être communément reçues et approuvées par
d'autres grands peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de
ce qui m'avait été persuadé que par l'exemple et par la
coutume (...).238(*)
Et depuis, en voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui
ont des sentiments forts contraires aux nôtres ne sont pas pour cela
barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent autant ou plus que nous de
raison, (...).239(*)
Ces assertions se déduisent de l'universalité de
la raison et l'identité de l'esprit humain. Ainsi, la conscience de
l'universalité résulte de la conscience des différences
entre les nations ; par simple constatation de ces différences,
mais véritable effort de représentation de ces différences
comme variation d'une même réalité. Ce qui conduit
inexorablement à une diversité de référentiels,
avec lesquelles il faut composer pour asseoir une solidarité
internationale. Et comme le remarque Raymond Aron, la diversité de
référentiels n'est pas un obstacle à
l'établissement des mesures communes, de même que la
diversité des langues, parlées ou « mortes »
n'empêche pas la traduction de l'une dans l'autre, car l'homme est un
être parlant avant d'être quelqu'un qui parle dans une langue
déterminée. « L'homme est un être
qui parle, mais il y a des milliers de langues différentes. Quiconque
oublie un des deux termes retombe dans la barbarie »240(*).
Ainsi, la solidarité internationale dépend de
l'institutionnalisation des foyers d'universalité, des pôles
d'extraterritorialité au sein des Etats-nations, comme le sont les
ambassades de pays étrangers. Par leur finalité, ces foyers
d'universalité doivent traduire le statut transcendantal d'une
solidarité internationale où l'humanité de l'individu est
prioritaire sur sa nationalité. Cela passe par le développement,
au sein des Etats-nations des secteurs importants comme l'éducation, car
l'éducation vise beaucoup plus le développement, non du sentiment
nationaliste, mais de l'esprit humain, et introduit un point de vue
cosmopolitique dans les rapports de l'individu avec ces concitoyens, qu'avec
les étrangers. L'éducation provoque cette mise en perspective de
soi avec soi, de soi avec les autres que soi. A cet effet, il devient possible
de dire l'universel en partant du national.
Dans ce chapitre, il était question de montrer comment
le discours de l'ajustement fleurit dans l'ordre international actuel. Dans ces
principes, le droit international en vigueur s'oppose à l'autonomie
politique des peuples, et se présente sous une forme performative et
idéologique pour être un discours de l'ajustement. Pour cela, le
discours universalisant actuel développe des concepts originaux,
à l'instar de la citoyenneté cosmopolitique qui sert de postulat
à la construction d'une identité post nationale. Le jeu et
l'enjeu de cette construction d'une identité post nationale se
déploient à travers la théorisation d'une justice
distributive entre les peuples et d'une démocratie supranationale d'une
part, et la théorisation d'un ajustement passif des Etats-nations
africains au marché universel d'autre part. D'où la
légitimation de la ruse et de l'opportunisme en politique. Ces options
légitimées par le post colonialisme, s'inscrivent dans une
critique radicale de l'optique révolutionnaire défendue par
Martien Towa, Franz Fanon, Aimé Césaire.
L'avantage d'exposer les axes où se déploient
la construction de l'identité post nationale, c'est de mettre en
lumière la démagogie qui fait du droit international, une
catégorie heuristique dans la définition des politiques de
l'ajustement. Dès lors, comment penser un environnement international
où les principes du droit assureront l'équité et
l'autodétermination des peuples ?
C'est dans l'optique de l'idée de nation d'un point de
vue cosmopolitique que nous trouvons les orientations susceptibles de fournir
aux principes du droit international, l'éthicité que le
cosmopolitisme mondialiste lui a privé. Cette idée
privilégie l'ouverture à l'universel, au lieu de son
assimilation. Cela parce que le point de vue cosmopolitique sur la nation
valorise pose comme valeur suprême, la dimension humaine de l'individu,
par rapport à la dimension citoyenne.
CHAPITRE V : LES DROITS DE L'HOMME DANS LA POLITIQUE
INTERNATIONALE : QUELLE PLACE POUR LA SOUVERAINETE ?
Plus que jamais, les droits de l'homme semblent être un
objet de passion. Les hommes en on fait le motif essentiel de la
coopération internationale, ceci par respect d'un impératif de
pacification des rapports inter étatiques datant de la fin de la seconde
guerre mondiale. Désormais, un président peut être traduit
en justice (au niveau national ou international) pour des crimes
perpétrés à l'encontre de ses citoyens ; un Etat peut
être discrédité et refoulé dans l'univers des
« Etats voyous » parce que certaines populations
minoritaires se plaignent d'être victimes de discrimination. La paix et
la guerre, l'ordre et le désordre internationaux paraissent tenir tout
entier de l'ambition d'aménager ou de réaménager
l'exigence du respect des droits de l'homme. Dans cette perspective, le
président américain Georges Bush proclamait avec enthousiasme
à la fin de la guerre du Golfe (Janvier- Mars 1991)
(...) l'avènement d'un
« nouvel ordre mondial » où les Nations Unies,
libérées de l'impasse de la guerre froide, seraient en mesure de
réaliser la vision historique de leurs fondateurs : un monde dans
lequel la liberté et les droits de l'homme seraient respectés par
toutes les nations241(*)
Pourtant l'incertitude est grande. L'affirmation en certains
lieux de la solennité des droits de l'homme, contribue ailleurs au
déploiement d'une logique de contestation de la domination de
l'impérialisme occidental, dont les droits de l'homme seraient le canal.
L'exigence absolue du respect des droits de l'homme comme condition de toute
légitimation politique, place les Etats dans une situation où ils
constatent leur souveraineté remise en cause par certaines nations
précurseurs des droits de l'homme, et par des organismes non
gouvernementaux à caractère humanitaire. A cet effet, la
conception de l'urgence du respect des droits de l'homme comme manifestation de
l'impérialisme occidental, devient l'alternative qui permet aux Etats
faibles de rassoire leurs souverainetés.
Cette banalisation des relations internationales
malmène les droits de l'homme, maltraite la souveraineté des
Etats et dévalorise leur rôle politique dans le
développement d'une justice cosmopolitique. Que dire en outre des
ambiguïtés qui s'accumulent sur la notion même de droit de
l'homme? L'universalisation de ces derniers est déjà source de
malentendus. Au lieu d'unifier le monde autour d'une grammaire commune des
relations internationales, les droits de l'homme divisent plutôt, et de
façon irrémédiablement dissensuelle. La notion de droits
de l'homme n'est plus seulement de nos jours en procès. Ses multiples
divergences engendrent des cacophonies, des discours qui, faute de s'inscrire
dans le même registre, ne s'accordent jamais, débouchant sur des
conflits qui risquent alors d'être sans solution. En bref, de vecteur
éthique de la justice cosmopolitique, les droits de l'homme tendent
à devenir proprement aporique.
Cette pathologie rencontrée dans les droits de l'homme
rend cette notion floue, complexe et confuse. Les apories des droits de l'homme
résultent du fait que
Certains considèrent d'abord que les droits
de l'homme sont à peu près les droits que les citoyens
possèdent dans un régime démocratique constitutionnel
raisonnable ; cette position ne fait qu'étendre la classe des
droits de l'homme de façon à inclure tous les droits que les
gouvernements libéraux garantissent.242(*)
Pourtant, les droits de l'homme doivent être
respectés par tous à cause de leur essence. Ils sont universels,
et leur universalité se traduit par le fait qu'
Ils sont
intrinsèques au droit des peuples et ils ont un effet politique (moral),
qu'ils soient ou non soutenus localement. En d'autres termes, leur force
politique (moral) s'étend à toutes les sociétés et
ils obligent tous les peuples et sociétés, y compris les Etats
hors la loi.243(*)
C'est pourquoi il nous parait nécessaire, en
vue de saisir les enjeux des droits de l'homme dans le monde contemporain, de
se limiter aux droits fondamentaux de l'homme comme le fait Rawls.
En réalité, même si on s'en défend
souvent, les droits de l'homme sont mieux appréhendés lorsqu'ils
sont restreints aux droits fondamentaux de l'être humain. Suivant John
Rawls, on peu établir que la notion de droits de l'homme fait sens sur
le plan politique en tant que « norme minimale d'institutions
politiques bien ordonnées pour tous les peuples, à une juste
société politique des peuples»244(*). Une société
acquiert ainsi une légitimité politique et participe à la
coopération internationale lorsqu'elle
(...) garantie pour tous les individus au moins
certains droits communs aux moyens de subsistance et de sécurité
(droit à la vie), à la liberté (droit de résistance
à l'esclavage, à la servitude et aux occupations forcées)
et à la propriété (personnelle) ainsi qu'à
l'égalité formelle qui s'exprime par les règles de la
justice naturelle... 245(*)
Avec cette restriction normative, Rawls n'eut aucun mal
à ponctuer sa réflexion en éthique et relation
internationale d'une solide référence à la vie, à
la liberté, à la propriété, à
légalité, qui devinrent en même temps des
éléments constitutifs de la théorie tout comme de la
philosophie des relations internationales. Cette restriction normative est une
traduction de ce que Stanley Hoffmann a appelé
« l'impératif d'acceptabilité ». Telle que
formulée ci-dessus, la liste des droits fondamentaux de l'homme est
taillée sur mesure, dans le but d'être acceptée par les
sociétés non libérales. Dans ce cas, leur respect
apparaît comme élément thérapeutique en vue de
soigner les relations entre Etats. En d'autres termes, la restriction
rawlsienne des droits de l'homme répond à impératif
pragmatique : la stabilité et la pacification de la
société des nations.
Pris comme tel, les droits de l'homme sont en crise.
Stéphane Chauvin illustre bien cette crise lorsqu'il dévoile que
la restriction rawlsienne des droits de l'homme offre une approche des droits
de l'homme qui
N'est plus liées à une conception de la
personne humaine et de ses besoins fondamentaux, mais elle dérive de la
seule exigence qui stipule que les nations doivent vivre en paix et former une
société stable et équitable des nations libres.246(*)
Ainsi se formule le problème au centre des enjeux
politiques et éthiques des droits de l'homme dans le monde
contemporains. Les droits de l'homme, réduits à leurs simples
principes fondamentaux, peuvent-ils défendre efficacement la
dignité et le bien être de l'homme ?
A- LE
LIBERALISME POLITIQUE RAWLSIEN ET LA QUESTION DE LA REARTICULATION DES DROITS
DE L'HOMME.
La recherche à ce niveau suppose d'entrer au coeur
même de la confusion qui enveloppe les droits de l'homme, notamment le
statut distinct de ses principales composantes que sont les droits
libertés et les droits créances. Cette confusion s'origine dans
le fait que l'homme, principal acteur et bénéficiaire des droits
de l'homme, s'est trouvé pris en otage par deux idéologies
politiques dont l'une, s'accrochant aux valeurs de l'humanisme, accorde la
priorité aux droits libertés: c'est le libéralisme.
L'autre définit les droits créances comme l'idéal
régulateur de l'action politique : c'est le socialisme. Cette
séquestration idéologique de l'homme s'est
matérialisée dans la tumultueuse guerre froide qui opposait le
libéralisme au socialisme, chaque idéologie se revendiquant du
respect des droits de l'homme.
Ainsi donc, la notion de droit de l'homme n'est
plus un donné, mais un construit. Son usage comme instrument de l'action
politique correspond à une histoire, à un ensemble
d'inventions ; son rôle social dérive d'un impératif
de définition des conditions d'un espace politique démocratique.
Représentation du socle éthique de la démocratie, la
notion des droits de l'homme n'est intelligible dans le domaine politique
qu'à travers sa contribution historique tenant à la
spécificité de la fonction qu'elle accomplie dans la construction
des principales catégories de l'imaginaire politique libéral et
socialiste. Suivant Alain Renaut, on peut établir que dans le
débat entre libéralisme et socialisme, il s'agit principalement
de répondre à la question suivante: « dans quelle
mesure la proclamation des droits de l'homme comme valeurs suprêmes du
l'univers démocratique, implique-t-elle une prise en compte d'une
exigence de justice sociale ? »247(*). L'exigence de justice
sociale dont il est question ici se rapporte aux droits créances ou
droits sociaux que les citoyens d'un Etat peuvent et doivent exiger de cet
Etat.
Un espace philosophique s'ouvre en une problématique
politiquement pertinente, dès l'ors que sa configuration se lie à
la controverse que suscite la légitimité politique de cette
demande de justice sociale. Est-elle compatible avec les droits de
l'homme ? De qu'elle(s) présupposé(s) et implication(s) le
projet d'une prise en compte politique des revendications de justice sociale
est-il porteur ? Alain Renaut nous averti d'avance :
Ce que la philosophie peut
éclairer, c'est au fond ce que présuppose une telle demande, dans
qu'elle représentation de la société et de l'Etat elle
s'enracine. En faisant apparaître de tels présupposés et en
cherchant à déterminer s'ils sont intellectuellement assumables
ou non (et à quelles conditions), il devrait être envisageable de
clarifier quelques uns des tenants et aboutissants des débats relatifs
à cette question.248(*)
1- La revendication sociale comme problème
politique : genèse et enjeux.
La demande de justice sociale devient un problème
politique non pas naturellement, mais d'une prise de conscience de l'existence
des droits sociaux que l'homme est en droit d'exiger de l'Etat. Elle s'impose
comme élément central dans la réflexion sur le contenu ou
les composantes des droits de l'homme. D'un point de vue chronologique, la
succession des différentes déclarations des droits l'homme
(américaine, française, soviétique) a déconstruit
la thématique même des droits de l'homme. La proclamation de 1789
avait balisée le chemin à la justice politique en insistant
fondamentalement sur les droits libertés de l'individu vis-à-vis
de l'Etat. On met l'accent sur les potentialités intellectuelles de
l'individu (liberté de penser, liberté d'expression, de culte...)
et les potentialités physiques (liberté de travail, de commerce,
de réunion...). Mais avec la révolution industrielle et le
problème de la condition ouvrière qui s'en est suivi, et sous
l'influence idéologique du marxisme et du catholicisme social, les
limites de la déclaration de 1789 se sont rendues manifestes. Pour
palier à ces insuffisances, la constitution française de 1848
ouvre un nouveau champ de réflexion sur les droits de l'homme, en
affirmant les droits sociaux comme droits créance. Il s'agit là
d'un progrès significatif sur le contenu des droits de l'homme en ce
qu'
on a parfois perçu le principe d'un autre
type de droit, définissant non des pouvoirs d'agir opposables à
l'Etat, mais des pouvoirs d'obliger l'Etat a un certain nombre de services,
autrement dit, des droits créances de l'homme sur la
société.249(*)
Les droits sociaux ou droits créances
revendiqués ici consistent dans les
Droits au travail, au
repos, à la sécurité matérielle, à
l'instruction, à un niveau de vie suffisant etc. Toute l'histoire
contemporaine des droits de l'homme voit aussi s'accomplir une évolution
qui n'est pas seulement quantitative, mais engage la nature même des
droits proclamés. Parallèlement, cette évolution engage la
représentation de l'Etat démocratique.250(*)
Donc du sein de son évolution historique, la
notion de droit de l'homme est capricieuse. Il serait prétentieux de
dire que la déclaration de 1789 a inauguré un ordre politique
rigoureux qui ne souffrit ensuite d'aucune remise en cause. Le propos serait
naïf, d'autant plus que la justice politique issue d'une théorie
potentiellement libérale qui cherche à imposer certaines limites
à l'intervention de l'Etat dans les activités des citoyens, et la
justice sociale comme réponse au problème de la condition
ouvrière dans la société industrielle, se sont
entrecroisées et ont apporté des modifications importantes dans
la conception des rapports entre l'Etat et le citoyen. Pourtant, durant
près de deux siècles, la conception libérale des droits de
l'homme a été clairement dominante et, pourrait-on dire,
fédératrice d'un ordre social. Support exclusif de l'action
politique, marque essentielle de la légitimité de l'Etat,
instrument efficace et reconnu de l'intervention humanitaire, base
incontournable et légitimatrice de la désobéissance
civile, les droits de l'homme apparaissent dans cette histoire comme
fédérateurs de l'ordre politique libéral. Ils aident
à définir toutes les catégories dont se nourrit le droit
internationale : Etat-nation, souveraineté, sécurité,
paix, guerre... c'est dire que le droits de l'homme sont plus qu'une simple
notion politique, et qu'ils valent mieux qu'un simple mot pour désigner
un mode d'organisation politique.
Pris comme tel, les droits de l'homme se présentent
à bien des points vue comme matrice d'un libéralisme
dépassé. Mais personne ne pourrait prétendre que ce
libéralisme est purement et simplement aboli : même si les
défis et les critiques sont sévères, ce libéralisme
extrême, partisan d'une philosophie de la mort de l'Etat, résiste
et s'impose encore en bien des domaines. Conservateurs par essence, frileux et
inquiet devant les risques d'innovation politique, les défenseurs de ce
système normatif pérennisent, sans trop d'état
d'âme, une mémoire politique dont la déclaration de 1789 a
codifié les principes. Ils en font un usage peu critique, souvent
contraire à leur histoire et à leur culture. La philosophie de la
mort de l'Etat se caractérise par le refus de toute prise en compte de
la demande sociale, réduisant l'action de l'Etat à une
interprétation de la loi de l'offre et de la demande inscrite dans la
nature des choses. Alain Renaut observe que dans ces conditions,
Le politique doit alors se borner à
créer la « société de droit » :
l'Etat y donne seulement naissance au cadre juridique où le jeu de
l'offre et de la demande, source des informations sera le plus possible. Il
s'agira donc de présenter avant tout la liberté individuelle sans
viser à la réalisation de prétendus « droits
sociaux.251(*)
Ceci n'interdit pas de considérer l'empreinte de ce
libéralisme extrême sur les principales notions ou
catégories de notre imaginaire politique contemporain. Il n'est non plus
permis d'admettre les droits-libertés comme ultime
fédérateur de l'ordre social démocratique. Il n'est certes
pas sûr que le système normatif issu de la déclaration de
1789 puisse s'accommoder aisément avec la revendication sociale des
droits-créances, pour composer avec elle un nouvel ordre social stable.
Ce qui est évident en revanche, c'est que les limites dont font preuve
les droits-libertés dans la valorisation de la personne humaine ne
peuvent être sous estimées, ni simplement
interprétées par le recourt à la théorie de la
régulation systémique de l'économie, ou à une
adaptation incrémentale. Les droits-libertés ne sont
désormais qu'un aspect du contenu des droits de l'homme, fait aussi des
droits- créances qui ont trait à certains biens sociaux,
économiques et culturels.
Cela est largement conforté par la
déclaration universelle des droits de l'homme qui accorde une place de
choix, à coté des droits-libertés, au droit à
l'éducation, au travail, à la sécurité sociale, au
loisir, à un niveau de vie en rapport avec le bien-être de chacun.
Même si c'est au XXe siècle que ses revendications sociales ont
prit de l'importance dans l'histoire des droits de l'homme, leur statut du
point de vu politique suscite également des inquiétudes. Si
aussi ces droits ont un statut universel, le problème de leur
réalisation universel se pose. La réalisation des
droits-créances est essentiellement liée au niveau de
développement économique d'un pays, et la capacité
à satisfaire telle et talle revendication sociale dépend des
moyens dont dispose le gouvernement sollicité. Aussi dans les faits, le
statut universel des droits sociaux demeure ambiguë, comme le note le
propos suivant :
De nombreux pays du tiers monde n'ont pas les moyens de
fournir les biens nécessaires au respect de ces droits. N'est-il pas
absurde de dire eux gens qu'ils ont droit à des biens qu'on ne peut pas
leur fournir ? N'est-il pas absurde également d'accorder des droits
de l'homme différents à des peuples différents selon
diverses parties du globe ou selon les époques ? L'autre aspect
discutable des droits de l'homme en matière économique et
sociale est que la responsabilité de fournir tel ou tel bien à
tel individu incombe à un gouvernement particulier ; le droit
à ce bien apparaît alors comme étant celui des citoyens
dans tel ou tel pays plutôt que celui de l'espèce
humaine »252(*).
Cela étant, la dualité
droits-libertés et droits-créances caractéristique de
l'évolution historique des droits de l'homme, ne cesse de
révéler de douloureux malentendus. L'exigence universelle de leur
respect suggère des impasses aux quelles conduisent les
inégalités économiques constitutives de la
communauté internationale. Ce qui pose le problème des conditions
de possibilité du respect des droits de l'homme dans le monde. Stanley
Hoffmann, réfléchissant sur cette question en rapport avec les
droits libertés, demande une modération dans l'exigence du
respect des droits de l'homme, en fonction de la qualité des
institutions politiques et du niveau de développement économique
des Etats, sous peine de verser dans l'impérialisme culturel. Il
insinue à cet effet qu'
Exiger d'Etats qui se battent contre la famine et le
chao une protection pleine et entière des droits civiques et politiques
constituerait une forme d'impérialisme culturel.253(*)
La complexité inhérente au respect des
droits de l'homme demeure. Croyant se doter d'un arsenal éthique
à travers son dualisme pour s'imposer universellement, les droits de
l'homme se présentent plutôt comme le support d'un compromis
politique entre deux idéologies : le libéralisme et le
socialisme. Comment sortir les droits de l'homme de cette impasse ? Alain
Renaut nous offre une orientation intéressante :
Pour que la défense des droits
de l'homme ne soit pas simplement le support de compromis politiques, il
faudrait aujourd'hui tenter d'en reconstruire avec rigueur la notion, en ne
masquant plus le problème posé par la dualité des deux
types de droit. 254(*)
Cette reconstruction rigoureuse de la notion de droits de
l'homme passe nécessairement par une réarticulation de la justice
politique et de la justice sociale. Alain Renaut fonde ce projet politique
dans le génie du philosophe américain John Rawls, qui a su
articuler droits-libertés et droits-créances. Il se justifie dans
le propos suivant :
Ce n'est du tout en disciple que je voudrais
évoquer Rawls mais plutôt parce que je vois dans cette philosophie
politique un témoignage, parmi d'autre, que si elles partagent certaines
convictions (...), les philosophies politiques contemporaines nous conduisent
nécessairement vers l'exigence de réarticuler liberté et
justice.255(*)
2-Rawls et la réarticulation des droits libertés
et des droits créances.
La réarticulation des droits-libertés et des
droits-créances répond à un impératif
éthique : la valorisation de la personne humaine. Rawls n'eut alors
aucun mal à ponctuer la réflexion sur l'organisation sociale
d'une solide référence au « fait du
pluralisme » qui devint en même temps l'un des
éléments constitutif de sa sociologie de l'Etat. Il pouvait
s'appuyer su l'existence d'une pluralité de conceptions raisonnables
mais incompatibles de la personne humaine ; conceptions qui rendent
problématique les sociétés contemporaines, sans remettre
en cause l'existence possible d'une juste constitution politique garantissant
les libertés des citoyens et leur bien commun. Le discourt politique
contemporain s'est, depuis, fortement enrichi, insistant volontairement sur la
possibilité sur la possibilité d'une société
pluraliste, stable et harmonieuse, préférant, en outre,
réfléchir en terme de souveraineté et de diversité
de mode de la conception de la personne humaine. Voici comment Rawls formule la
problématique d'une telle réflexion :
Comment est-il possible
qu'existe et se perpétue une société juste et stable,
constituée de citoyens libres et égaux, mais profondément
divisés entre eux en raison de leurs doctrines compréhensives,
morales, philosophiques et religieuses, incompatibles entre elles bien que
raisonnables ?256(*)
Une telle recherche suppose d'insister sur la
pluralité des modes de conception de la personne humaine et sur
l'incertitude de leur rapport à la modernité. En tant
qu'instrument de l'action politique, la société bien
ordonnée n'est plus le résultat de convictions morales,
religieuses ou philosophique, mais la résultante d'une conception
politique de la justice, d'un consensus qui n'est pas imposé par des
doctrines et convictions particulières. C'est le résultat d'un
accord initial raisonnable auquel aboutissent toutes les conceptions de la
personne humaine. Ainsi, « le fait du pluralisme » s'impose
comme principe politique, fondement de l'accord sur les principes de justice
équitables à partir des quels les citoyens sont
considérés comme des personnes libres et égales. Ces
principes de justice supposent que le rôle du politique consiste à
créer les conditions de possibilité d'un vivre ensemble des
cultures et de groupes très divers. L'organisation politique ne peut
dès lors acquérir sa légitimité que si elle
garantie le bien être de l'homme. C'est le postulat fondamental de la
réarticulation rawlsienne des droits-libertés et de
droits-créances. Ces deux de droits s'articulent dans la pensée
de Rawls en ceci que
Deux statuts bien distincts leurs sont
conférés par la manière dont Rawls les
hiérarchise : pour une politique animée par les valeurs de
l'humanisme, les droits-libertés correspondent à un
véritable impératif et ils définissent la condition sine
qua non d'un espace politique démocratique, la prise en compte des
créances définie plutôt, si nécessaire qu'elle soit,
un idéal régulateur. 257(*)
a- Politique et
valorisation de la personne humaine
En suivant la logique de Rawls, on s'aperçoit que la
politique accède à son sens, dès lors qu'elle fait de la
pacification des différences, la stabilisation et l'harmonie sociale,
des impératifs fonctionnels. Que ce soit dans la politique interne des
Etats ou dans la politique internationale, la raison publique, cadre conceptuel
où se déploient les questions politiques fondamentales, ne
saurait émaner d'une vision unilatérale du monde. L'enjeu de
cette vision à laquelle on se réfère aujourd'hui
consciemment ou inconsciemment, est d'affirmer le bien être de la
personne humaine comme finalité de l'action politique, d'affirmer les
droits-créances comme composante des droits de l'homme à
coté des droits libertés, de montrer sur un plan éthique
que la justice sociale ne peut s'allier à la morale utilitariste qui
légitime le sacrifice d'une personne d'une personne ou d'un groupe
minoritaire pour la maximisation du bonheur du plus grand nombre. La politique
est un effort de justification publique et acceptable des institutions morales
fondamentales que reconnaissent comme valeurs communes, les différentes
doctrines compréhensives d'une société à un moment
donné. Dans ce sens elle se veut un effort de synthèse entre les
différentes visions du monde, pour aboutir à des principes de
justice politique qui respectent la dignité de la personne humaine.
Dès lors l'espace publique n'est plus le terrain d'expression de la
pensée unique, mai le lieu de manifestation d'un pluralisme
idéologique d'où jailli, à travers un consensus par
recoupement, une éthique républicaine et une éthique des
relations internationales. Catherine Audard observe à cet effet que
Le problème du politique s'est donc
transformé dans les démocraties libérales et il est devenu
celui de l'unification par la persuasion d'une société
pluraliste, du consensus entre croyances individuelles divergentes et principes
politiques.258(*)
Cette perspective consensuelle à laquelle se
réfèrent de diverses manières les démocraties
constitutionnelles et le droit international public, repose sur un
constructivisme politique dont la méthodologie définie une
procédure de choix rationnel entre les théories en
présence. Les individus peuvent être en désaccord sur leurs
visions du monde, leurs doctrines religieuses et philosophiques, mai dans le
débat politique, ils doivent orienter leurs réflexions sur les
principes éthiques qui valorisent la personne humaine.
C'est ainsi que, affirme Rawls, la théorie de la
justice ne commence pas par présenter une procédure de
justification des principes de justices, mais s'ouvre, non sans une certaine
majesté, par l'affirmation de
l' « inviolabilité » de la personne et de la
non substituabilité des individus les uns aux autres. Le
déploiement de la théorie (antiutilitariste et «
républicaine ») précède dans l'ordre des raisons
celui de sa fondation.259(*)
C'est dire que dans le constructivisme politique de
Rawls, l'homme est le point de départ et la finalité de l'action
politique. Le respect des droits de l'homme constitue l'élément
fédérateur vers lequel convergent tous les systèmes
juridiques. Les individus tout comme les sociétés qui veulent
appartenir à la communauté des peuples, doivent s'attacher
à la paix, poursuivent leurs buts légitimes à travers la
diplomatie, le commerce, et d'autres moyens pacifiques. Ils doivent respecter
la souveraineté des autres Etats, et ces derniers ont le devoir de
respecter les droits de l'homme. Cette forme de coopération se fonde sur
la conviction que
La mission d'être de toute politique est le
service de l'homme (...) Toute politique, nationale et internationale, vient
de l'homme, s'exerce par l'homme et est pour l'homme. Et dans la mesure ou elle
prend ses distances et s'en écarte, elle perd une grande partie de sa
raison d'être, elle peut même tomber en contradiction avec
l'humanité elle-même.260(*)
b- La
tolérance : un principe politique.
Cette conception humaniste de la politique conduit à
lier politique et tolérance dans le processus de formation des
sociétés. Que ce soit au niveau national ou international, la
coopération ne devient possible que si les différents groupes
humains font le choix de la tolérance comme modalité fondamentale
du vivre ensemble. Tolérer dans ce contexte politique veut dire
respecter non seulement la dignité de l'autre, mais aussi ce qu'il a de
différent. Michael Walzer se veut plus explicite à ce
sujet :
La tolérance n'est pas seulement une notion de
philosophie ; elle est aujourd'hui, plus que jamais, un principe de
politique. Traiter de la tolérance, c'est analyser la coexistence
pacifique, précisément rendue possible par l'exercice de la
tolérance des groupes humains qui relèvent d'histoires, de
cultures et d'identités différentes.261(*)
John Rawls reviendra plus tard sur cette notion, en
faisant d'elle un facteur déterminant de la justice
cosmopolitique.
Ici, tolérer
n'équivaut pas seulement à s'empêcher d'exercer des
sanctions politiques, militaires, économiques ou diplomatiques pour
pousser un peuple à modifier sa conduite. Tolérer signifie
également reconnaître que ces sociétés non
libérales sont des membres en règle de la société
des peuples, égaux aux autres et titulaires de certains droits et
obligations, dont le devoir de civilité exigeant qu'ils proposent aux
autres peuples, pour justifier leurs actions des raisons publiques
appropriées à la société des peuples.262(*)
Partant de cette vision, la légitimation d'une action
sociale ne peut s'opérationnaliser que si cette action respecte la
dignité de l'autre et sa différence. Toute initiative politique
ne peut avoir de légitimité sociale que si elle reconnaît
la tolérance comme un principe politique. Réciproquement, toute
crise sociale ou internationale ne peut qu'être le résultat d'un
manque de tolérance entre les différents groupes humains. Pris au
pied de la lettre, cet argument conforte la thèse redoutable selon
laquelle, la politique sans tolérance conduit inexorablement à
l'instabilité sociale. D'un coté, les groupes forts et puissants
chercheront à imposer leur volonté sous le manteau de valeur
juridique universelle. De l'autre, les faibles se sentant opprimés et
laissés pour compte, se tourneront vers le terrorisme comme moyen de
revendication et de résistance face à ce qu'ils
considèrent comme valeurs étrangère à leur vision
du monde.
3- Du
non droit du droit d'ingérence humanitaire
Cette analyse de la portée de la réarticulation
rawlsienne des droits de l'homme serait incomplète si on n'abordait pas
ici les problèmes que suscite le droit d'ingérence humanitaire en
politique internationale.
Le principe d'ingérence humanitaire s'impose en
politique internationale comme une exigence morale en vue d'asseoir le respect
des droits de l'homme en tout lieu. Il exprime en fait la réaction
mondiale face aux crimes, massacres, génocides, tortures, à
toutes les atrocités qui amoindrissent l'homme et bafoue sa
dignité. En l'intégrant dans la perspective de la création
de l'O.N.U, la communauté internationale a démontré que
les droits de l'homme suscitaient une préoccupation internationale. A
cet effet, on évitait d'utiliser le
terme « ingérence ». Comme le précise le
protocole additionnel à la convention de Genève de 1949, relatif
à la protection des civiles pendant les conflits armés et les
catastrophes naturelles (protocole 1), les offres de secours à
caractère humanitaire impartial ne doivent pas être
considérées comme des actes d'ingérence au sein des Etats.
Mais les malentendus inhérents au droit
d'ingérence humanitaire résultent d'une tension entre ce qui
devrait être fait et ce qui est fait. D'après Caroline Fleuriot,
ceux qui se servent de ce droit pour justifier leur non respect des
souverainetés étatiques, estiment que le devoir
d'ingérence humanitaire est une exigence morale codifiée par les
textes de l'O.N.U.
Ils s'appuient
généralement sur deux résolutions de l'Assemblée
Générale des Nations Unies (AGNU) : celle du 8
décembre 1988 (n°43/13) relative à «l'assistance
humanitaire aux victimes catastrophes naturelles et situations d'urgence du
même ordre » et celle de 1990 (45/100) qui autorise
l'établissement des couloirs d'urgences.263(*)
Dans les deux résolutions, il ressort pourtant que
l'Assemblée Générale de Nations Unis appelle à une
collaboration entre les gouvernements en situation de détresse et les
organismes ou Etats chargés d'acheminer l'aide humanitaire. Elle ne pose
pas le mépris des souverainetés étatiques comme norme de
coopération internationale. Mais dans les faits, ce qu'on observe
généralement est que certaines organisations et Etats,
évoquant des raisons humanitaires, se revendiquent d'un droit
unilatéral à intervenir dans un autre Etat. Et cela est largement
conforté par ce que le conseil de sécurité des Nation Unis
a qualifie de « situation de menace à la paix », et
par l'instauration en 2000, par Koffi Anan, d' « une exigence
morale faite au conseil de sécurité d'agir au nom de la
communauté internationale contre les crimes contre
l'humanité ».Et même si cela fut rejeté par la
sous commission des droits de l'homme de l' O.N.U en 1999, certains
continuent de prendre l'exigence morale faite au conseil de
sécurité d'agir contre les crimes contre l'humanité, comme
un prétexte légitimant le droit d'ingérence humanitaire.
Ainsi, les incohérences issues du droit
d'ingérence humanitaire partent de différentes
interprétations de deux résolutions de l'assemblée
Générale des Nations Unies. A cela, il faut ajouter le fait qu'il
y a un vide juridique sur le sens réel du droit d'ingérence
humanitaire et sur la nature des acteurs susceptibles d'y recourir. A cet
effet, Caroline Fleuriot pense que le défit posé par le principe
d'ingérence humanitaire au conseil de sécurité et aux
organismes de sécurité régionale consiste à
définir si les violences graves du droit
mettent en danger la paix et la sécurité internationale et
peuvent justifier le recours au chapitre VII pour lancer une intervention
humanitaire. Il reste également à définir la vraie nature
de la protection que l'O.N.U peut offrir dans ces situations aux
populations.264(*)
Sous ce rapport l'ingérence humanitaire reste
dépourvue d'existence légale et demeure un concept flou. Une
situation qui semble bien convenir aux grandes puissances membres du conseil
de sécurité de l'O.N.U, qui dictent leurs lois dans l'usage de ce
principe en politique internationale. Le droit d'ingérence humanitaire
est soumis au jeu des intérêts économiques,
géopolitiques et géostratégiques à défendre.
Et l'action du conseil de sécurité des Nations Unies est
dominée par cette logique d'intérêt à
défendre. Les Etats ayant un droit de veto l'utilisent, soit pour
sauvegarder leurs intérêts économiques, soit pour nuire aux
autres. La politique internationale s'effectue d'après une logique
d'opportunité, sacrifiant la dignité humaine sur l'autel des
intérêts à défendre. Cela peut se vérifier
dans le marchandage politico-économique entre la Chine et le Soudan, une
fois le conseil de sécurité sur l'envoie d'une force
internationale au Darfour, avec pour mission de mettre fin aux massacres des
populations chrétiennes par les milices arabes progouvernementales. Le
gouvernement soudanais, déterminer à continuer sa politique
d'épuration ethnique, demande à la Chine d'user de son droit de
veto pour que cette force onusienne ne foule pas le sol soudanais. En retour la
Chine devra bénéficier d'importante largesse dans l'exploitation
du pétrole soudanais. Bernard Badié qui semble s'être
penché sur la logique d'opportunité en politique internationale,
note également ceci :
La diplomatie restaure inévitablement
l'argument d'opportunité, pourtant inconciliable avec la défense
des droits de l'homme. Le gouvernement chinois fut amnistié des
massacres de Tien An Men dès que les Etats-Unis eurent besoin de
l'abstention du responsable de Pekin au conseil de sécurité pour
la fameuse résolution 678 put être adoptée et que
l'opération « Tempête du désert» put se
dérouler normalement.265(*)
Ce marchandage diplomatique, dont parle avec beaucoup de
conviction Badié, fait partie d'un phénomène plus
général. Le comportement des Etats sur la scène
internationale laisse voir que c'est l'idéologie commerciale qui oriente
la politique internationale. Et dans ce jeu, ce sont les superpuissances qui
définissent la mesure de l'universalisme des droits de l'homme. Le
respect des droits de l'homme est utilisé comme une rhétorique
incantatoire qu'on impose aux Etats faibles lorsqu'ils sollicitent de l'aide au
niveau international, et comme instrument politique au service des
superpuissances. Des lors, il n'est pas possible de voir certaines
superpuissances signer des contrats commerciaux avec des Etats rendus
célèbre par leur mépris des droits de l'homme. Dans ce cas
le respect des droits de l'homme est souvent placé parmi les
« sujets qui fâchent », comme si les droits de
l'homme étaient nécessairement incompatibles avec les
échanges économiques. Stanley Hoffmann observe à cet
effet :
En politique internationale le
principe de l'égalité des Etats est accepté comme une
norme formelle mais non comme une norme de comportement. La politique mondiale
en limite étroitement les conséquences pratiques et reste
dominée par le jeu de la puissance et de la richesse : ce sont les
grands qui tendent a imposer ou à rédiger la loi.266(*)
Le jeu de la puissance et de la richesse à
partir duquel opère la politique internationale, fonde la
coopération entre les Etats sur une injustice criarde, eu égard
à l'universalité des droits de l'homme. Certains Etats se
trouvent assujettis à l'impératif du respect des droits de
l'homme, ayant pour conséquence la perte de leurs souverainetés.
D'autres part, contre s'en servent comme instrument politique pour conforter
leur leadership dans le monde. C'est cet état de chose qui a
poussé certains théoriciens du droit international à voir
dans l'universalité des droits de l'homme une idéologie au
service des superpuissances. Kenneth Anderson, ancien militant actif des droits
de l'homme affirme :
Etant donné que ce sont les
intérêts de la classe internationale qui mènent le jeu, la
prétention à l'universalisme est un mensonge. L'universalisme en
question n'est qu'un globalisme et c'est le capitalisme qui lui a dicté
ses mots clés.267(*)
C'est aussi dans ce sillage qu'il faut situer l'analyse de
Jean-Marc Tetaz. Dans sa pertinente étude, cet auteur s'insurge aussi et
à juste titre contre cette option universaliste des droits de l'homme,
qui en fait n'est qu'un globalisme masqué.
En matière des droits de l'homme, toute
position universaliste serait ainsi idéologique, au sens où elle
ferait l'impasse sur les conditions de sa propre validité, où
elle renoncerait à faire valoir pour soi les exigences qu'elle adresse
à autrui. La thèse de l'universalité des droits de l'homme
ne serait guère qu'une affirmation positionnelle simplement aveugle, ou
oublieuse de sa propre particularité.268(*)
Il semble donc qu'un examen plus judicieux du problème
de la justification universelle des droits de l'homme, et de l'exigence de les
respecter s'impose. Loin d'épiloguer sur ce que font les
théoriciens du globalisme et du mondialisme, il apparaît important
de poser le problème de la réhabilitation des droits de l'homme
en termes plus claires et plus explicites. Pour Stanley Hoffmann, il faudrait
essayer de répondre objectivement à un certain nombre de
questions dont les solutions aideront à juguler la crise dans la quelle
sont empêtrés les droits de l'homme. La plus importante de ces
questions est la suivante :
Peut-on faire des droits de
l'homme la priorité des priorités, comme si la politique
étrangère n'était autre chose que la mise en oeuvre par
l'Etat de ses obligations juridiques ?269(*)
Cette question est d'autant fondamentale que dans le monde
contemporain, on s'accorde difficilement sur une éthique universelle
définissant les restrictions que les gouvernements devraient observer
envers d'autres Etats, et envers les étrangers au-delà des
frontières. Pourtant il est vital pour l'humanité de parvenir
à de telles restrictions, au risque de maintenir la coopération
internationale dans une situation d'instabilité où
les « gros poissons mangent les petits ». A Hoffmann
d'ajouter :
Pourtant, si nous n'abaissons
pas cette barrière, si nous n'avançons pas peu à peu vers
la reconnaissance de telles restrictions et obligations positives
au-delà des frontières, le monde restera une jungle où les
arrangements du droit international seront des artifices temporaires.270(*)
Mais cette formulation de Hoffmann semble ignorer certains
éléments de base pourtant indispensables à la
résolution de la crise des droits de l'homme. Dans l'ensemble, le monde
actuel se compose d'agoras multiculturelles et métaphysiquement
disparates. Et ce « choc des civilisations » qui
caractérise notre monde, avec les conflits idéologiques, les
inégalités des richesses de richesses, les disparités
économiques qui l'accompagnent, font qu'on se trouve avec une liste non
exhaustive des droits de l'homme, qui varient d'un espace géographique
à un autre. A cet effet, la quête de justification universelle des
droits de l'homme nous pousse à nous interroger sur la nature de ces
droits et de l'instance susceptible de veiller à leur respect. Est-ce la
communauté internationale ? Que représente-t-elle ?
Stéphane Chauvin considère que, eu égard au pluralisme qui
caractérise notre monde, la question de la justification universelle des
droits de l'homme doit se poser en ces termes :
Peut-on produire une
justification des droits de l'homme qui soit adaptée à des agoras
multiculturelles et métaphysiquement disparates ?271(*)
L'avantage d'une telle formulation réside dans le fait
qu'elle intègre, au sein du grand débat sur l'universalisation
juridique des droits de l'homme, l'idée d'une harmonisation des droits
de l'homme par le relativisme culturel. La justification universelle des droits
de l'homme est un travail qui exige une prise en compte équitable des
différentes variations et interprétations de ces droits. Une
telle démarche conduit nécessairement à une
redéfinition des droits de l'homme, plus particulièrement
à une redéfinition du rapport entre le droit et l'homme. A partir
de ce travail essentiel, le consensus conduit à une conception des
droits de l'homme dépouillée de tout attribut
métaphysique, pour parvenir à des droits dont la jouissance
permet à tous les membres de la société de participer
à la coopération sociale et à l'exercice du pouvoir
politique, donnant ainsi pour finalité à la
société, quel que soit son régime, le bien commun de ses
membres. A la quête de justification universelle des droits de l'homme,
l'idée d'une harmonisation par le relativisme culturel nous conduit
à une évidence :
Nous vivons dans un monde pluriel, fait de
cultures dont les arguments doivent être pris en considération
d'une façon équitable, dans le grand débat sur ce que nous
pouvons et ne pouvons pas faire, devons et ne devons pas faire à un
être humain. Dans ce débat, il pourrait bien y avoir qu'un tout
petit terrain d'entente : tout juste l'intuition fondamentale que ce qui
est une souffrance et une humiliation pour vous est un souffrance et une
humiliation pour moi.272(*)
En effet, les diverses cultures, traditions religieuses,
philosophiques et morales peuvent avoir des divergences sur le sens des droits
de l'homme ; mais il y a un point sur lequel elles peuvent trouver un
terrain d'entente : l'universalité axiologique de la vie humaine.
Tout ce qui porte atteinte à la vie, en quelque lieu que ce soit, est
une menace pour toute l'humanité. On peut à cet effet
déterminer avec aisance le rôle de la communauté
internationale dans la préservation et la promotion des droits de
l'homme. Loin de se réduire uniquement à l'O.N.U, dont les
lourdeurs administratives et les querelles idéologiques compromettent
sérieusement les missions d'intervention pour la défense des
droits de l'homme dans le monde, la communauté internationale
intègre aussi les opinions politiques se présentant comme un
contrepoids politique au jeu des intérêts qui caractérise
l'action des superpuissances membres du conseil de sécurité.
Comme le remarque Ernest Marie Mbonda,
Elle existe comme un concept qui subsume minimalement
l'ensemble de l'humanité, idéalement un certain nombre de valeurs
communes, et éthiquement un principe de solidarité sans lequel la
notion même de communauté n'aurait aucun sens. C'est à ce
titre qu'on peut discuter de sa responsabilité dans toutes les
situations qui affectent l'humanité de l'homme ou la dignité
humaine.273(*)
A cet égard, la communauté internationale se
présente comme un construit. Elle n'est intelligible politiquement qu'en
recevant une définition stricte, tenant de la spécificité
de la fonction qu'elle accomplie ; à savoir intervenir lorsque la
dignité de l'homme est bafouée en quelque lieu. Mais vue que la
liste des droits de l'homme n'est pas exhaustive, sur qu'elle base la
communauté internationale doit-elle fonder son action ? Dans
qu'elle(s) situation(s) peut-on dire de façon consensuelle que les
droits de l'homme ne sont pas respectés ?
Accordons nous donc sur le point suivant,
répond Michael Walzer : les crimes de masse, le nettoyage ethnique
et l'établissement de camps de travail forcé ne sont pas
seulement des actes barbares et inhumains, mais des violations des droits de
l'homme auxquelles une intervention militaire, si cela est possible et en
dernier ressort, menée par les Etats voisins, une coalition d'Etats ou
une force internationale, se doit d'y remédier. Accordons-nous
également sur la nécessité d'écarter du pouvoir les
auteurs de telles violations des droits et de les mener si possible devant une
cour internationale (comme la cour pénale
internationale).274(*)
On peut établir un parallèle avec Rawls :
les deux auteurs rattachent la justification des droits de l'homme à
l'intuition fondamentale selon laquelle « ce qui est une
souffrance et une humiliation pour vous est une souffrance et une humiliation
pour moi ». Cependant Rawls focalise sa réflexion sur la
cohabitation pacifique entre les nations. Dans ce cas, la justification des
droits de l'homme n'est pas orientée vers la définition d'un
ensemble de droits que chaque Etat doit garantir à ses citoyens, mais
les droits que chaque Etat doit respecter pour être en bons termes avec
les autres Etats. A cet effet, les droits de l'homme sont réduits
à une dimension fondamentale par la mise en évidence du droit
humain à la vie, à la liberté, à la
propriété, à l'égalité formelle.
Cette réduction à un triple
avantage. D'abord elle permet une redynamisation des droits de l'homme dans le
processus de leur défense et leur respect. Ensuite, cette
réduction des droits de l'homme aux droits humains fondamentaux permet
de mieux apprécier la dimension strictement politique des droits de
l'homme. Leur respect conditionne la légitimité politique et
juridique d'un régime, et leur universalité trouve son terrain
d'expression dans l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme par
le relativisme culturel.
Enfin, cette réduction permet à
Rawls de définir une conception de l'organisation sociale envisageable
et acceptable, à la foi dans les sociétés libérales
et dans les sociétés non libérales. Rawls observe à
cet effet que :
Les droits de l'homme constituent une
catégorie spéciale des droits urgents, comme la liberté
vis-à-vis de l'esclavage et du servage, la liberté de conscience
(mai pas nécessairement égale pour tous) et la
sécurité des groupes ethniques par rapport aux meurtres de masse
et aux génocides. La violation de cette catégorie de droits est
également condamnée par les peuples libéraux raisonnables
et par les peuples hiérarchiques décents.275(*)
Avec ce commentaire, Stéphane Chauvin se veut
plus claire :
Restreindre le noyau dur des droits de l'homme, c'est
en fait d'un coté se donner les moyens de contredire ceux qui ne
verraient dans ces droits qu'un produit de la tradition occidentale ou
l'expression d'une de ces traditions métaphysiques : le
libéralisme politique n'est plus universalisé et les droits de
l'homme sont déduits des conditions qu'une société doit
remplir pour agir sur la scène internationale comme un Etat soucieux de
défendre le bien commun interne.276(*)
CONCLUSION
L'élucidation de la crise dans la quelle se
trouvent les droits de l'homme montre la situation trouble et apparemment sans
issue dans laquelle se trouvent la souveraineté de l'Etat-nation. Non
seulement ce dernier est victime de pressions extérieurs au nom des
droits de l'homme, mais encore à l'intérieure, les revendications
sociales et leurs conséquences, le jeu des intérêts
économiques et les replis identitaires, les divisions entre Etats et
leurs fragilités, sont autant de problèmes qui semblent concourir
à interdire à l'Etat-nation une place dans le monde aujourd'hui.
Comment peut-on envisager l'avenir dans un tel
monde ? L'Etat- nation est-il condamné à un
dépérissement certain ? Rawls répond avec
netteté à cette question primordiale et fondamentale dans la
réhabilitation de l'autonomie dans la constitution des normes
politiques internationales. Sa réarticulation des droits de l'homme se
veut une thérapeutique : l'Etat-nation doit s'affirmer dans le
monde contemporain en faisant du bien de tous ses membres l'objectif
fondamentale de l'action politique. Ceci passe nécessairement par une
prise en compte équitable du pluralisme idéologique qui
caractérise les sociétés actuelles. C'est de la rencontre
des différences que jaillissent une éthique républicaine
et une éthique des relations internationales dont la base est
l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme par le relativisme
culturel. Quelles conditions pouvons- nous donc tirer des questions
discutées dans cette partie ?
La pensée de Rawls envisage la justice
internationale à travers la réhabilitation de l'autonomie
politique dans la constitution des normes de politique internationale, et donc
par la réhabilitation du rôle de l'Etat-nation dans le monde. En
effet, la vue générale de l'oeuvre de John Rawls, à
travers le projet général de la catégorie d'autonomie, a
permis de saisir dans qu'elle mesure le philosophe américain prend ses
distances avec la théorie de l'identité post-nationale et les
philosophies de la mort de l'Etat. Rawls essaie de traduire politiquement la
question de la justice internationale et de donner sens à son destin
dans un contexte de pluralisme idéologique et de « choc des
civilisations ».
Ainsi, suivant la marche de l'histoire en train de
se faire, Rawls exprime une analyse profonde de la complexité des
sociétés contemporaines, et parvient aisément à
rendre compte du statut de l'Etat-nation dans un monde post-westphalien. Il
essaie de définir la politique internationale par un
multilatéralisme fondé sur l'idée d'une harmonisation des
droits de l'homme à travers le relativisme culturel. Toute fois si
l'explication de ce contenu est riche en elle-même, la recherche d'une
signification plus profonde du destin de l'autonomie comme catégorie
politique s'impose pour comprendre à la fois sa valeur et sa
portée.
TROISIEME PARTIE : REINVESTIR LA THEORIE DE LA JUSTICE
COMME EQUITE : PHILOSOPHIE DE LA JUSTICE ET HUMANISME DE JOHN RAWLS.
Tant que les Etats existeront -et auront donc des
intérêts à défendre, des rivalités à
surmonter -, le spectre de la guerre ne s'éloignera pas tout à
fait. Mais parallèlement, lorsque les Etats s'affaiblissent ou sont
contestés, ils laissent la place à des guerres civiles ou
inter-ethniques encore plus sanglantes. Il n'y a pas d'autres solutions que de
s'attaquer aux racines réelles du mal : injustice, absence de
démocratie, inégalités, etc...277(*)
Liminaire.
La théorie de la justice comme équité ne
peut s'envisager comme critique sociale que dans la mesure où elle sert
à réinvestir au sein de l'immanence social, la possibilité
de penser la politique autrement. Cette possibilité s'envisage à
deux niveaux. D'abord elle se veut critique d'une histoire qui a
érigée l'hétéronomie et l'efficacité en
normes suprêmes de l'organisation sociale. Ensuite elle se veut ouverture
vers une promesse de « vie meilleure » qui traverse les
écrits de John Rawls. La priorité du juste sur le bien, la
primauté de la justice politique sur l'efficacité
économique, que réclame Rawls pour rendre cette « vie
meilleure » accessible à tous, constituent les voies plus ou
moins sure de frayer le chemin du bonheur à tous les citoyens. Quelles
sont les conditions successibles, dans l'optique de la théorie de la
justice comme équité, de déclencher l'effectuation de
cette promesse de « vie meilleure » à travers la
coopération sociale ? A quel prix la politique peut-elle encore
susciter de l'espoir ?
Le premier moment de cette réflexion examinera les
conditions sans lesquelles cette promesse de « vie
meilleure » à travers la coopération sociale, ne peut
trouver son effectuation. Ces conditions elles même ne sont pertinentes
que si elles sont soudées aux possibilités par les quelles la
pensée d'un nationalisme libéral peut s'établir. Reste que
ces positions ne sont que des hypothèses révisables,
dépassables, parce que n'ayant aucun contenu déterminé.
CHAPITRE VI : AUTONOMIE ET OBJECTIVITE DES NORMES
POLITIQUES
A- LA
LIMITATION DE L'INDIVIDUALITE
La pensée de Rawls présente un univers politique
qui, eu égard aux divers aspects qui le composent, reste inscrit sur le
terrain de la modernité, c'est -à- dire sur le terrain d'une
philosophie de la subjectivité, où l'objectivité, tant
théorique (le vrai) que pratique (le juste, le bien), ne se
définissent que par et pour le sujet. A cet effet, l'institution des
normes sociales objectives (c'est-à-dire cette figure inédite
d'une transcendance dans l'immanence qu'exprime au plan juridico-politique,
l'exigence démocratique selon laquelle les restrictions imposables aux
membres d'une société doivent résulter d'une discussion
publique) présuppose, en vue de rendre possible la cohésion des
différentes individualités dans la société, une
certaine transcendance vis-à-vis de la simple affirmation de
l'individualité. Ainsi donc, la limitation de l'individualité
étant une condition primordiale et nécessaire à la
définition des normes sociales objectives, il est important de
s'interroger sur le principe politique qui peut soutenir cette exigence
intrinsèquement démocratique que l'humanité soit
elle-même la source de ce à quoi elle se soumet.
Ce principe, nous le trouvons dans la conviction que l'essence
de l'organisation sociale réside, non pas prioritairement dans le fait
d'« élargir les libres déterminations du
sujet », mais bien plus dans le fait
de « délivrer la vie de la destruction ou de la
domination »278(*). Cette position fondamentale émerge de la
philosophie politique à travers cet effort pour séparer, par
référence aux exigences englobantes de la vie, l'idéal
d'autonomie et le principe d'individualité, dont l'intrusion dans la
pensée moderne a été porteuse d'une inspiration
anti-humaniste. En suivant cette voie, l'éthique politique rawlsienne se
présente comme solution au subtil problème de l'affrontement
entre le principe objectif d'autonomie et principe subjectif
d'indépendance individuelle, qui a caractérisé la
dynamique humaniste de la modernité depuis son enclenchement.
1-
L'individualisme et le déclin de l'humanisme moderne
L'individualisme s'affirme comme une figure de l'humanisme
moderne, puisque son développement a nécessité un
environnement intellectuel où l'homme entend désormais être
la source de ses lois et de ses normes politiques. Alain Renaut est on ne peut
plus claire à ce sujet.
Pour que pût advenir, contre le principe
ancien, la valorisation (proprement individualiste) de l'indépendance
à l'égard de collectif, il fallait certes déjà que
ce fut effondré la vision d'un univers où l'être humain
n'était aucunement tenu pour la source de ses normes et de ses lois. Cet
effondrement (...) fait émerger la modernité, à travers
l'irruption de l'humanisme, entendu comme la conception de la valorisation de
l'humanité en tant que capacité d'autonomie.279(*)
Dans cette perspective, l'individualisme constitue une
composante de l'humanisme moderne, mais une composante fatale à cet
humanisme. Nul n'aurait pu exprimer cela mieux que Benjamin Constant et Alexis
de Tocqueville, dont les réflexions sur les conditions de
possibilité de la démocratie laissent paraître un fort
intérêt pour une culture politique qui ne s'accommode plus de la
limitation du moi imposée par le principe d'autonomie, mais vise
l'affirmation pure et simple du moi comme valeur fondamentale.
Si l'on s'en tient à cette lecture de l'humanisme
politique de la modernité, il ressort que la recherche d'une
communication autour des normes consensuelles, véhiculée par la
normativité auto fondée de l'autonomie, tend à se faire
substituer par un pure et simple soucis de soi, par la scission du public et du
privé et son corollaire la désertion de l'espace public, par le
culte des bonheurs particuliers. Cette dérive progressive d'une
éthique de l'autonomie vers une éthique de l'indépendance
impose désormais de lier à la traditionnelle opposition binaire
de la liberté des anciens et la liberté des modernes qui a
défini la dynamique politique de la modernité, l'autonomie et
l'indépendance, l'humanisme et l'individualisme.
Cela dit, à compter du moment où l'orientation
politique de la pensée moderne s'est caractérisée par
l'irruption des valeurs de la subjectivité et de l'autonomie, le
principe de l'individualité est entré en concurrence avec
l'autonomie, véhiculant la perspective d'une nouvelle relation à
la lois ou à la norme. Cette relation s'exprime par la séparation
entre le droit et l'idée d'une pluralité de choix, condition de
pensabilité du droit. La conséquence profonde ici est la
dissolution de la culture, sphère de normativité supra
individuelle autour de laquelle l'humanité cherchait à se
définir comme intersubjectivité. L'individualisme comme principe
politique dans la pensée politique moderne tendait à saper
l'exigence d'autonomie et l'idée de sujet qui exprime cette exigence, en
érigeant au rang de valeur suprême l'affirmation du moi.
Naturellement tout ceci s'inscrit dans le retour en force chez
les intellectuels du déterminisme naturel comme ce qui donne sens au
droit, à l'existence, à la vie. De ce point de vue, le spinozisme
se présente comme un effort intellectuel alléchant. Dans les
Tractatus Théologico-Politicus, nous lisons ceci :
La nature,
considérée en elle-même, jouit d'un droit souverain sur
tout ce qui est en son pouvoir. C'est-à-dire que le droit de nature
s'étend jusqu'aux bornes de sa puissance (...) Mais la puissance globale
de la nature entière n'étant rien de plus que la puissance
conjuguée de tous les types naturels, il s'ensuit que chaque type
naturel a un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir ;
autrement dit le droit de chacun s'étend jusqu'aux bornes de la
puissance limitée dont il dispose.280(*)
Ce propos se présente comme un argument qui prend la
défense de la dissolution de la spécificité humaine dans
l'universalité de la nature, c'est-à-dire l'idée que la
vie est persévérance dans l'être. Ceci part d'une
distinction entre le possible et le réel. Ici, le possible,
c'est-à-dire la tendance à exister, converge vers le sens
déterminé par un Dieu tout puissant, principe déterminent
de toute existence. La réalisation de cette tendance à exister
n'est possible que par la détermination de ce Dieu omnipotent en qui
tout est possible. Dans ce sens le possible existe par la suprême
puissance de Dieu, et l'idée même d'un possible non
réalisé est un non sens. Tout ce qui ne se réalise pas
relève de l'impossible.
A cet effet, le sens du problème fondamental de la
philosophie politique, celui de la légitimité du pouvoir
politique, se comprend dans une scission du droit d'avec l'idée d'une
pluralité des choix possibles. Spinoza inscrit la vie politique des
Etats dans la modalité d'une pensée unique, un
unilatéralisme dont l'autorité du droit n'a d'égal que
l'autorité incontestable de Dieu. L'histoire du monde est une histoire
unilatérale, et exister c'est s'insérer et
persévérer dans cette histoire universelle.
Spinoza croit, tout comme Hegel, qu'une institution comme
l'Etat affirme son destin historique en entrant et en persévérant
sur la scène de l'histoire universelle. Il y a néanmoins une
différence entre les deux philosophes. Pendant que Spinoza
privilégie l'insertion, mieux la persévérance dans
l'être comme modalité d'action sur la scène de l'histoire
universelle, Hegel opte pour la guerre. S'inspirant des thèses
d'Héraclite, Hegel pense que la guerre règne sur toute chose, et
de ce fait, elle est juste. L'histoire mondiale est aussi le tribunal mondial.
A cet effet, pour exister et entrer dans la scène de l'histoire, l'Etat
doit se lancer à la conquête de sa liberté en combattant
les autres Etats. A l'inverse, un Etat qui subit la domination tant politique
qu'économique est un Etat qui fonde son activité politique sur la
préservation de la vie, et non sur la conquête de la
liberté. Affirmation qu'on peut rapprocher de celle de Platon, selon
laquelle les hommes libres sont ceux craignent l'esclavage, la domination plus
que la mort.
Certes il est possible de trouver dans cette vision
historiciste une part de vérité, à savoir que ne peuvent
perdre leur liberté que ceux qui ne sont pas déterminé
à se battre pour elle. Mais le revers de cette vision, porteur
d'inspiration antihumaniste, pose que dans cette lutte pour entrer dans la
scène de l'histoire, un Etat qui succombe devant une force
supérieure ou un Etat surarmé, est déterminé par la
nature à demeurer sous la domination et mérite son sort.
Théorie qui, voulant privilégier la conquête de la
liberté, semble plutôt s'ériger en ennemi de la
liberté.
Ainsi, en posant le déterminisme naturel, historique,
comme ce qui donne sens au droit, à l'existence, à la vie, le
système philosophico-culturel de la modernité semble provoquer
plus d'effets pervers que ceux qu'il prétendait éviter. Aussi
peut-on envisager la déconstruction de cette inspiration antihumaniste
à travers le paradigme biopolitique, support du renouveau humaniste
d'aujourd'hui.
La mobilisation du paradigme biopolitique tel qu'on l'observe
chez Michel Foucault et Gilles Deleuze, essaie de déconstruire le
système philosophico-culturel de l'humanisme en exprimant la philosophie
politique sous le principe foucaldien selon lequel « (...) le droit
doit être la forme même du pouvoir et que le pouvoir devrait
toujours s'exercer dans la forme du droit »281(*). Il s'agit là d'une
réplique à la tentative spinoziste de réduire la
spécificité humaine dans l'universalité de la vie, et dont
la conséquence politique est la séparation entre le droit et
l'idée d'une pluralité de choix. En réinscrivant l'homme
dans la nature, Spinoza semble éluder un fait : la
spécificité de l'homme ne se manifeste pas dans sa
réduction au déterminisme naturel, mais dans sa capacité
à pouvoir se distancer de la nature par la production de la culture.
L'homme est certes vie, mais il a aussi cette particularité de pouvoir
se détacher du cycle de la vie. Bref l'homme est un être libre et
autonome, capable d'auto législation. Dans ce cas, l'idée de
droit s'accorde manifestement avec le principe de la liberté de choix.
Il devient donc difficile d'envisager le droit dans une scission d'avec
l'idée de pluralisme. Dans ce propos, Fichte dénonce
l'antijuridisme qui émane de la critique spinoziste de l'idée de
sujet.
Qui nie la liberté de la volonté, doit pour
être conséquent nier aussi la réalité du concept de
droit, comme c'est le cas par exemple chez Spinoza, chez qui le droit signifie
seulement le pouvoir de l'individu déterminé par le
tout282(*).
2- Biopolitique et humanisme
Le paradigme biopolitique, en référence aux
exigences englobantes de la vie, et dans le but de déconstruire
l'inspiration antihumaniste qui anime la confrontation moderne entre
l'idéal démocratique d'autonomie et le principe
d'individualité, considère le respect de la vie et du pluralisme
qui la caractérise comme fondement éthique de toute politique
humaine. La vie est ici ce qui donne sens à l'agir humain, le champ
d'action où se déploient les deux facultés que Rawls
reconnaît à l'homme, à savoir le raisonnable et le
rationnel. Bref ce qui fonde la transcendance de la personne humaine,
transcendance ici signifiant comme le veut Jean Lacroix, « mouvement
vers », entendu ici au sens de mouvement vers l'autre. Ce propos
d'Edgar Morin nous instruit d'avantage :
Rappelons une dernière fois que chacun vit une
pluralité des vies, sa propre vie, la vie des siens, la vie de la
société, la vie de l'humanité, la vie de la vie. Chacun
vit pour garder le passé en vie, vivre le présent, donner vie au
futur.283(*)
Cette interprétation de la transcendance de
la personne humaine peut déjà trouver une référence
dans l'impératif catégorique de Kant, qui veut l'extension de la
responsabilité du sujet rationnel qui vaut pour lui-même, à
tout sujet possible et à tout le réel. Ce réel constitue
un patrimoine commun à tout l'humanité, et dont la gestion doit
se conformer à l'exigence éthique et rationnelle qui commande de
traiter le sujet comme une fin et jamais comme un moyen. Cette exigence de
transcendance, Kant la pose comme impératif pratique dans la maxime
suivante : « Agis de telle sorte que tu traite
l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout
autre toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen ».
De cette maxime découle la théorie kantienne de l'autonomie du
sujet. Quelle en est la conséquence ? Tout simplement que notre
responsabilité à l'égard d'autrui est une
responsabilité à l'égard d'une personne qui nous est
égale, et qui est au même titre que nous un sujet libre et
autonome. Seulement, Kant croit que le principe suprême de toutes les
lois de la volonté, véhiculé par l'impératif
catégorique, se cache dans l'expérience de la morale populaire.
Et pour y accéder, il faut simplement remonter à la source de la
morale populaire et en élucider le principe fondamentale qui est le
devoir. Et le problème qui peut se poser ici est celui du type de
rapport qu'entretiennent l'impératif catégorique et la
réalité culturelle.
Même si l'on parvient à remonter
à la source de l'expérience morale populaire, il est difficile
de déboucher sur une conception immanente de la praxis sociale. Ceci
parce que l'analytique transcendantale (remonter à la source de la
morale populaire) qui explicite les principes, ne peut aboutir à une
modification du réel par l'acte de la volonté. La volonté
pour Kant est envisagée d'un point de vue formel, et même
lorsqu'il envisage l'étude des conditions de l'agir moral dans les
impératifs hypothétiques, c'est pour réduire ces derniers
à leur aspect formel, à leurs maximes pratiques.
Au contraire, il nous parait évident que
l'effort pour fonder la transcendance de la personne humaine et définir
la possibilité d'un renouveau humaniste aujourd'hui, ne doit pas se
faire de façon abstraite, formelle, théorique. Le problème
de la transcendance humaine se définit comme problème du rapport
de l'homme à l'homme, dans la culture qui est son domaine de
définition. Ce rapport de l'homme à l'homme est de nature
éthique. La transcendance de l'homme se déploie au sein de son
être comme un être autonome, pas seulement comme un
élément de la nature en général. Cette
capacité d'autonomie fait de l'homme un être en situation,
c'est-à-dire d'un être capable à la fois d'une analyse et
d'une synthèse de la situation dans laquelle il se trouve, un être
capable de changer sa situation en se choisissant.
Ceci nous amène à reconnaître
la transcendance de l'homme dans sa capacité à se détacher
de la nature par la production culturelle. La société, en tant
que produit de l'autonomie humaine, est la sphère qui
élève l'individualité physique de l'homme à sa
valeur comme personne morale. Ceci introduit le problème de la
reconnaissance d'autrui comme personne morale. Le problème de la
transcendance de la personne humaine devient, dès lors, celui de son
rapport à la société, correspondant ainsi à la
tache critique de la reconnaissance de l'homme dans la
société : il faut construire une société telle
que la valeur de la personne, en tant qu'être rationnel et raisonnable, y
soit reconnue.
Se situant dans cette voie, Rawls souligne
significativement que toute sa recherche présuppose « la
conception des personnes comme des être libre et égaux, capable
d'autonomie »284(*). Ainsi la société n'est elle pas
seulement un instrument de praxis, elle est elle-même
récupérée dans la synthèse du rapport de l'homme
à la culture qui est son sol, sa terre d'habitat, et sans laquelle il
n'est rien d'autre qu'une abstraction. La reconnaissance de l'autre comme
personne morale ne doit cesser d'orienter la vie politique, il faut la ramener
de l'analytique kantienne à la synthèse dynamique de la culture,
c'est-à-dire la responsabilité dans la présence au monde
de l'autre, au monde culturel, social, politique, économique. Tel est le
sens de la limitation de l'individualité dans le vécu social.
Cette conception de la limitation de
l'individualité, Rawls l'étudie dans la congruence du juste et du
bien, qui ôte toute antinomie entre l'autonomie et l'objectivité
des normes sociales. L'artisan de cette compatibilité est la position
originelle dont l'action consensuelle reste le gage de l'objectivité des
normes sociales.
Dans la doctrine du contrat, les notions d'autonomie
et d'objectivité sont alors compatibles, il n'y a pas d'antinomie entre
la liberté et la raison. Toutes deux sont caractérisées
d'une manière conséquente par la référence à
la position originelle. L'idée d'une situation initiale est centrale
pour toute la théorie et les autres notions de base y sont
définies dans ses termes. Agir de manière autonome, c'est donc
agir à partir des principes auxquels nous consentirons en tant
qu'êtres rationnels, libres et égaux, et que nous devons
comprendre de cette façon. Ainsi ces principes sont objectifs285(*).
Dans un texte plus récent, Rawls étudie
la responsabilité dans la présence au monde d'autrui à
travers la complémentarité entre le juste et le bien.
Une conception de la justice
politique doit en quelque sorte contenir en elle-même un espace suffisant
afin que certains modes de vie obtiennent un soutient sans faille. En bref, la
justice délimite, le juste révèle la raison d'être.
Ainsi le juste et le bien sont complémentaires, ce que la
priorité du juste sur le bien ne nie en rien. Sa signification
générale est que bien qu'une conception politique de la justice
doivent ménager, pour être acceptable, un espace suffisant pour
certains modes de vie que les citoyens peuvent défendre, les conception
du bien sur lesquelles elle s'appuie doivent correspondre aux limites
fixées (l'espace autorisée) par cette conception politique
même286(*).
La responsabilité dans la présence au
monde d'autrui se présente comme une quête permanente, un devoir
éthique qui pousse tout homme à aspirer à un monde social
fondé sur le respect de la vie. Ce que qu'Edgar Morin considère
comme un impératif pratique valable « non seulement pour soi,
mais pour la tache la plus grande jamais rencontrée par l'homme :
la lutte simultanée contre la mort de l'espèce humaine et pour la
naissance de l'humanité »287(*). Elle intègre au plus profond
d'elle-même le respect et la sauvegarde du patrimoine commun à
l'humanité, comme la terre, la nature, et tout ce qui contribue à
rendre agréable la vie de tout être vivant. Dans ce sens Rawls
dévoile la dimension marxiste de sa pensée. Sa conception de la
politique comme défense de la vie se rapproche de l'idée marxiste
d'économie d'énergie qui voit le principal défaut du mode
de production capitaliste dans le fait qu'il détruit la source
principale de la richesse humaine, la terre. De manière tout aussi
marxiste, Rawls fait de l'homme un être amphibie, puisqu'il est libre
mais reste soumis à la nécessité sociale. En cela, Rawls
reste le support intellectuel du renouveau humaniste d'aujourd'hui, un partisan
de l'autonomie politique et individuelle.
CHAPITRE VII : NATIONALISME ET POLITIQUE DE
RECONNAISSANCE A L'ECHELLE MONDIALE
Quel peut être le fondement d'une politique de la
reconnaissance à l'échelle mondiale ? Comment organiser les
différentes conceptions du bien autour d'une théorie de la
justice internationale en dépit de leurs différences
axiologiques ?
Dans ce chapitre, nous voulons esquisser une approche de la
justice internationale qui résulterait de l'idée de nation d'un
point de vue cosmopolitique. Cette conception retient l'idée que la
justice internationale est incompatible avec un gouvernement mondial. Elle
retient également l'idée que l'Etat-nation ne peut plus de nos
jours, être vu comme le principe des relations internationales. Cette
approche développe une conception ambivalente de l'Etat-nation : ce
dernier est à la fois communauté démocratique et
communauté nationale.
Dans sa première dimension (communauté
démocratique) l'Etat-nation apparaît comme solution d'une
antinomie entre la conception libérale (rejet des droits
créances) et la conception marxiste (suspension au moins provisoire, des
droits libertés) des droits de l'homme. La justice internationale
s'accorde avec l'imposition de certaines restrictions à la
souveraineté des Etats. Il faut s'opposer fermement aux Etats souverains
qui ne garantissent pas les droits fondamentaux des personnes. Dans ce cas le
dénominateur commun aux différents défenseurs du
libéralisme politique qui ont réfléchi sur le droit
international est l'insistance sur l'importance des droits de l'homme, et sur
l'importance d'un pouvoir interventionniste des organisations supranationales
à l'intension des individus.
Dans sa seconde dimension (communauté nationale)
l'Etat-nation est le lieu de valorisation des cultures locales. A cet effet,
notre approche milite pour l'introduction, dans le droit international, d'un
régime de droits collectifs dont les principaux
bénéficiaires seraient les peuples. Les réticences
observées jusqu'ici à l'endroit de cette sphère de droit
se justifient par le fait que, pendant longtemps, le droit des peuples s'est
trouvé confondu au droit de l'Etat homogène. Pourtant, même
si dans plusieurs cas les frontières de l'Etat coïncident avec les
frontières du peuple, la confusion entre le droit du peuple et le droit
de l'Etat qui est sensé le représenter est sans valeur. A
côté des Etats, les peuples doivent être les
détenteurs d'un régime de droit.
Cette conception du droit international reconnaît le
pluralisme axiologique comme constituant fondamental de la structure de base de
l'Etat-nation. Elle est incompatible à un attachement à
l'individualisme moral pur. Certes les grands théoriciens de la
pensée libérale nous ont appris que même dans un contexte
de pluralisme raisonnable de conception du bien commun, la primauté
absolue de l'individu sur la collectivité est toujours soutenable et
peut faire l'objet d'un consensus autour des principes de justice individuelle.
Elle rejette également la thèse de la partialité nationale
défendue par le collectivisme moral. Car si la collectivité est
seule porteuse de toutes les valeurs, surtout une forme de celle-ci comme la
nation, les sensibilités aux réclamations des peuples peuvent
bien contribuer à définir une approche du droit international
orientée exclusivement vers les revendications des peuples. A travers
l'idée de nation d'un point de vu cosmopolitique, nous reconnaissons
que la justice est un impératif politique qui s'applique aussi bien aux
peuples qu'aux personnes, aussi bien à l'échelle locale
qu'à l'échelle internationale. Cela veut dire qu'à
l'échelle internationale, les sujets de droits doivent autant être
les peuples que les personnes. Dès lors l'approche de la politique de
reconnaissance que nous envisageons à l'échelle mondiale, cherche
à réaliser un équilibre entre le régime des droits
individuels et le régime des droits collectifs, deux ordres de droits
qui doivent se contraindre mutuellement.
A cet effet, l'hypothèse qui soutient notre approche
pose qu'une théorie de la justice politique élaborée sous
la forme d'un emboîtement des régimes de droits individuels et
collectifs, offrirait un gain de pensée important dans la quête
de solution à la problématique fondamentale du cosmopolitisme
aujourd'hui : à savoir rendre compte du statut de la justice dans
un monde où l'Etat-nation est en transition. L'orientation donnée
par l'idée de nation d'un point de vu cosmopolitique s'inspire du
libéralisme politique de Rawls. En refusant de s'engager dans la voie de
l'individualisme pure, Rawls nous offre une version du libéralisme qui,
au lieu de subordonner le droit des peuples aux droits individuels, concilie
plutôt les droits libertés de la personne avec le droit des
peuples et, par voie de conséquence, permet de réconcilier le
libéralisme et la politique de la reconnaissance, et pourrait même
réconcilier nos idéaux cosmopolitiques et nationales.
Dans la quête de vérification de notre
hypothèse, notre réflexion connaîtra trois moments. Nous
allons d'abord montrer en quoi le cadre théorique du libéralisme
politique rawlsien rend possible la formulation cohérente d'un
nationalisme tout à fait compatible avec un ordre politique global
protégeant les droits de l'homme. Ce moment connaîtra une
discussion autour de l'idée rawlsienne de la tolérance à
l'égard des sociétés hiérarchiques. Le moment
clé de cette discussion sera l'examen du rapport entre l'autonomie et
la tolérance. Après cette discussion nous essayerons de
comprendre comment s'articule l'idée de nation d'un point de vu
cosmopolitique sur le plan de la justice distributive. Enfin il faudra bien
fournir une justification philosophique qui légitime l'accord du
régime des droits des peuples avec les exigences du libéralisme
politique.
1.
Libéralisme politique et nationalisme libéral
L'explication la plus vraisemblable du libéralisme
politique repose sur la conviction que les notions de personne et de peuple,
les principes de justice sociale ainsi que le droit des peuples
résultent d'une conception politique de la justice. Comme l'a bien
montré Rawls288(*) , on ne peut aboutir à des
considérations de justice et d'équité dans la politique
internationale qu'en adoptant une conception politique de la personne. Cette
conception de la politique internationale ne peut être acceptable que si
la position originelle concerne des personnes situées dans des cultures
sociétales nationales, c'est-à-dire des Etats. Dans ce cas, les
principes de justice se révèleront plus réalistes, car
tenant compte de la stabilisation des personnes au sein d'une
société nationale. A l'inverse, il n'est pas envisageable
d'identifier les principes de justice interne à une politique de
partialité nationale. Le libéralisme politique repose sur une
conception politique des peuples et sur l'égalité entre les
peuples.
C'est dans cette perspective que le libéralisme
politique se distingue de l'individualisme moral. Ce dernier s'affirme comme
une doctrine compréhensive au fondement de la théorie de
l'identité post-nationale. L'individualisme moral défend trois
thèses fondamentales. La première pose que les individus sont en
soi rationnellement autonomes par rapport à toute finalité. La
deuxième établit que l'individu est la source ultime de
revendications légitimes. La troisième et dernière
thèse établit que le seul libéralisme philosophiquement
soutenable est celui qui repose sur l'autonomie individuelle. Ainsi
considérée d'un point de vue général, cette
théorie offre deux options qui compliquent toute tentative de
réconciliation possible entre le nationalisme et le
cosmopolitisme289(*). La
première option qui semble situer la théorie libérale dans
le modèle classique de l'Etat-nation homogène, rejette toute
idée de droit collectif. La deuxième option cherche à
dériver les droits collectifs à partir des droits individuels
fondamentaux de la personne. Elle se présente dans la théorie des
droits différenciés par le groupe (group differentiated right) de
Will Kymlicka. Ce dernier part de l'idée que les droits
différenciés par le groupe sont des droits uniquement applicables
aux individus, réclamables par les individus uniquement, et ne peuvent
autoriser aucune contrainte raisonnable à l'égard des
individus290(*). Aussi
la théorie juridique de Kymlicka, sensée être plus
conciliante, n'a pas grand-chose à voir avec les droits collectifs.
Pourtant les droits collectifs sont applicables aux
collectivités, réclamables par celle-ci et peuvent être
raisonnablement contraignantes vis-à-vis des individus. Le
libéralisme politique de Rawls possède des ressources
intellectuelles pouvant défendre cette thèse. Le
libéralisme politique défend trois thèses qui prennent le
contre-pied de l'individualisme moral et ménagent une place aux droits
collectifs des peuples. La première thèse pose que les personnes
puissent se définir indépendamment de leurs fins. Alors que
l'individualisme moral définit les personnes antérieurement
à leurs fins, le libéralisme politique table sur un pluralisme
axiologique en admettant différentes conceptions métaphysiques de
la personne. Dans une société libérale juste, la personne
est définie politiquement comme un citoyen et c'est seulement en tant
que tel qu'on peut l'envisager indépendamment de ses fins. Le citoyen
est en mesure de se définir indépendamment des ses fins dans la
société, malgré le fait que sur un plan
métaphysique, il se considère comme étant défini
par une conception particulière du bien.
Ces considérations sur le statut politique de la
personne s'appliquent aussi à la conception politique du peuple. La
conception politique définit le peuple comme une « structure
de culture » soumise à des influences diverses et offrant un
« contexte de choix »291(*). Il s'agit d'une « culture
sociétale » une « structure de culture ».
En tant que tel le peuple se définit politiquement par l'ensemble des
options morales, politiques culturelles, sociales et économiques qui
sont offertes dans les institutions de base de la société, et non
à partir d'un ensemble de finalités et croyances
particulières admises au sein du groupe à un moment donné
de son histoire.
Ainsi conçu, le peuple est pensé exclusivement
à partir de sa personnalité institutionnelle et politique. Et peu
importe la façon qu'ont les peuples de se définir au plan
métaphysique, il faut en prendre acte en tant qu'organisation politique,
c'est-à-dire le fait qu'ils agissent dans la réalité
politique en faisant intervenir une conception d'eux-mêmes. Leur
présence dans l'espace public est d'une importance capitale. C'est
pourquoi on se sent obligé de les considérer comme des agents
moraux et d'admettre une seconde position originelle dans laquelle ils
agiraient comme des participants à part entière.
Cela ne veut pas dire que la définition politique du
peuple entraîne obligatoirement le sacrifice des valeurs et
finalités particulières propres à ce peuple. Il est
soutenable qu'un peuple puisse entretenir à son sujet une certaine
conception métaphysique de lui-même, sans que cela l'empêche
de se définir de façon purement politique. Mais la
priorité lexicale de la conception politique sur la conception
métaphysique permet d'introduire, dans la problématique de la
justice internationale, un conception du peuple qui ne doit rien à une
ontologie sociale partiale, puisqu'il s'agit d'une conception politique et non
métaphysique du peuple.
Dans ses écrits. Rawls, a reconnu la place centrale
qu'occupe la société dans les rapports interindividuels. Il la
définit comme un système équitable de coopération
organisée en vue de l'avantage mutuel. A cet effet, il la distingue des
associations qui ne sont que des agrégats d'individus, et des
« communautés politiques » qui sont des groupes
partageants un ensemble de valeurs communes292(*). Ce qui est un peut gênant avec Rawls c'est
qu'il a limité sa conception de la société au
modèle le simplifié d'un Etat souverain, d'un Etat ethnoculturel
homogène. Les membres d'une telle société sont
décrit comme appartenant à un seul groupe ethnonational dont la
culture se reproduit de génération en
génération293(*). Vraisemblablement, Rawls semble n'avoir pas
développer un intérêt particulier à l'endroit des
Etats multinationaux réel et s'est contenter de caractériser le
fonctionnement des Etats en fonction des modèles simplifiés. Dans
ce cas, on peut confondre l'identité institutionnelle d'un peuple avec
l'appareil gouvernemental d'un Etat. On peut confondre les personnes politiques
avec les citoyens réels, les peuples politiques avec des Etats souverain
réels. Mais si l'on considère les sociétés dans
leur complexité, telle qu'elles se présentent aujourd'hui, cette
confusion n'a pas sa raison d'être. Car dans une société
complexe, les peuples peuvent avoir une identité institutionnelle sans
être des Etats souverains294(*).
Un tel droit des peuples pourra garantir des protections
institutionnelles favorables à une politique de multiculturalisme dont
les principaux bénéficiaires seraient les minorités
nationales qui sont des extensions des majorités voisines et des groupes
qui entretiennent des liens avec un pays lointain ou une culture d'origine ne
se trouvant pas dans le territoire. Ces deux groupes nationaux sont en quelque
sorte des parties de peuples. Et en tant que diasporas, ils se laissant
comprendre comme des parties de peuples, et doivent faire l'objet de certaines
protections.
La deuxième thèse, se posant comme
conséquence logique de la première thèse, établit
les personnes et les peuples comme des sources équivalentes et autonomes
de légitimation morale. Elle s'oppose ainsi au libéralisme
individualiste qui ne reconnaît de légitimité qu'aux
réclamations individuelles. Rawls développe à cet effet
deux positions originelles applicables à ces deux ensembles de droits.
La première position originelle, qui concerne les individus proprement
dit, admet le principe de différence comme principe de justice sociale.
La seconde position originelle, élaborée en vue des principes de
justice internationale ne souscrit pas à une quelconque exigence de
justice distributive entre les peuples et ignore en particulier le principe de
différence. Le libéralisme politique fait des peuples des sujets
de droits collectifs, et dissipe par là même les
inquiétudes que peuvent susciter les conceptions ontologiques et
métaphysiques. L'on est plus contraint de trouver une justification
individualiste des droits collectifs. Le peuple apparaît comme un sujet
de droit tout à fait légitime à côté de la
personne. Ainsi le libéralisme politique rend possible l'adjonction d'un
seconde source de réclamation morale valide.
La troisième thèse pose la tolérance
comme la valeur politique par excellence. Cela entraîne obligatoirement,
comme la si bien montré Rawls, la formulation d'un droit des peuples
à travers lequel les sociétés non libérales
participent activement à la coopération internationale. La double
axiologie qui fonde l'adoption de ces deux ordres de droit impose la
tolérance vis-à-vis des nations non libérales, et à
l'égard des minorités non libérales vivant à
l'intérieur des nations libérales. Mais au de là de
l'opposition libéral / non libéral, le problème de la
tolérance se pose au sein même sociétés
multinationales. Comment assurer dans de telles sociétés le
respect des rapports que la personne peut entretenir avec le peuple ? Le
principe de tolérance exige l'institution d'un mode d'organisation
sociale qui puisse garantir la pérennité des rapports entre les
personnes et les peuples.
Cette interprétation du libéralisme politique
rawlsien correspond dans ses grandes lignes à la critique que Charles
Larmore adresse à l'individualisme moral295(*). Selon lui, l'individualisme
moral aboutit à une sorte de cécité morale lorsqu'elle
accorde l'autorité suprême à l'individu, car elle
empêche le citoyen de voir d'autres choses encore plus meilleures. Selon
Larmore, c'est le souci d'appliquer le principe de tolérance au coeur
même de la philosophie politique qui conduit Rawls à faire du
libéralisme une doctrine essentiellement politique. Il s'agit ici de
donner une valeur intrinsèque à la reconnaissance, au respect
que l'on doit aux personnes et aux peuples. La reconnaissance apparaît
comme une condition préalable à la délibération
rationnelle et ne peut faire l'objet d'une délibération. Il
s'agit là d'un point où Rawls se révèle plus
marxiste.
On a pu croire pendant longtemps que pour Marx, la
reconnaissance vient à la fin de l'histoire. Ce qu'il nous paraît
juste soutenir, c'est que le principe de reconnaissance doit être
posé au départ. Il s'agit du point de départ
déductif qui légitime et fonde la critique des mécanismes
économiques. La dialectique historique de Karl Marx répond
à une exigence de reconnaissance principielle de l'homme par l'homme, de
l'homme comme l'homme dans la société. Ainsi le propre de l'homme
se réduit à cette nécessité de reconnaissance, qui
est en même temps une récupération historique de sa
personne morale à travers le moment de l'aliénation où il
se trouve dans le capitalisme. Cette nécessité de la
reconnaissance d'autrui est idée directrice de l'histoire et par la
même exigence de transcendance. Mais c'est au sein de l'immanence des
mécanismes économiques (rapport des forces de production et des
moyens de consommation), que Marx veut découvrir cette transcendance. Le
principe de reconnaissance est au fondement de la méthode dialectique
de Marx.
En tout cas, il semble paradoxal de poser la reconnaissance et
le respect des personnes et des peuples comme des exigences morales ne pouvant
être sujettes à discussion. Mais l'on doit cependant
reconnaître que la reconnaissance et le respect s'imposent à notre
imaginaire social comme des catégories politiques indispensables, parce
que nos sociétés sont caractérisées par une
variété irréductible et raisonnable de conceptions de vie
bonne et de bien commun. Ainsi, face à la confrontation parfois violente
et répétée des points de vues moraux, raisonnables et
métaphysiques, la tolérance s'impose comme respect et
reconnaissance des personnes et des peuples.
2.
Quelques amendements sur le libéralisme politique de Rawls
Il va sans dire que la constitution d'un droit des peuples,
c'est-à-dire un ensemble de normes politiques et morales qui
régissent la société politique des peuples, est
primordiale dans le libéralisme politique de Rawls. On a ainsi un
système international organisé sur la base deux ordres juridiques
correspondants à deux sphères d'application : la
sphère domestique et la sphère internationale. Les principes de
justice applicables dans la sphère domestique « interviennent
dans le cadre simplifié d'une société que Rawls
définit comme une « communauté nationale
indépendante »296(*). Pour la sphère internationale, les principes
qui s'y appliquent interviennent dans le respect de la souveraineté de
chaque Etats.
Mais ce libéralisme politique mérite
d'être révisé quant au privilège qu'il accorde
à l'Etat souverain. Le dualisme institutionnel qui définit la
théorie rawlsienne de la justice ne répond pas seulement à
une simple exigence de simplification méthodologique. Il
développe un ordre de priorité qui conditionne en même
temps les droits des personnes et des peuples selon les domaines d'application.
Même lorsque la complexité inhérente aux
sociétés contemporaines est prise en compte, il va de soi que les
personnes n'ont toujours pas à l'échelle internationale les
même droits qu'elles détiennent dans les sociétés
libérales. La même remarque s'applique aux peuples sans Etats qui
se trouveraient lésés face aux peuples possédant un Etat
souverain. Donc, dans la perspective rawlsienne, les droits individuels
possèdent une priorité sur le droit des peuples dans un contexte
national ; alors que dans la sphère internationale, les peuples ont
plus d'importance que les individus. C'est le privilège accordé
à l'Etat souverain qui pousse Rawls à adopter une attitude de
tolérance vis-à-vis des Etats qui ne reconnaissent pas aux
personnes les droits que leurs garantissent les sociétés
libérales. Même lorsque Rawls veut réfléchir au
sens du droit de sécession ainsi qu'aux règles gouvernant la
fédération des peuples, il y a lieu de penser que ces droits sont
moins importants que ceux qui s'appliquent aux peuples disposant d'un Etat
souverain.
C'est là un inconvénient fondamental qui ne
cadre pas avec ce que postule l'idée de nation d'un point de vue
cosmopolitique. Car même si elle admet l'ambivalence de l'Etat-nation,
elle ne souscrit pas à une distinction entre les sphères
internationales et domestiques. L'idée de nation d'un point de vue
cosmopolitique soutient une contrainte mutuelle entre les deux régimes
de droits. Ces deux régimes de droits s'appliquent autant dans la
sphère domestique que dans la sphère internationale. Cela dit, le
« droit à l'indépendance » qu'est soutenu par
le libéralisme politique rawlsien ne doit pas être vu comme une
étape primordiale pour les peuples sans Etats de revendiquer un possible
droit de sécession. Plutôt, le droit des peuples doit consister en
des principes généraux ayant des signification et des incidentes
différentes, selon qu'il s'applique aux peuples qui ont un Etat ou aux
peuples sans Etats. Le droit des peuples à la souveraineté est
un droit inaliénable, mais il doit avoir des incidences
différentes selon qu'on se trouve en face d'un peuple détenant
une souveraineté étatique ou non.
Dans ce cas les principes généraux du droit des
peuples prennent l'allure des principes généraux d'une charte des
droits de la personne. De même que l'égalité des personnes
se décline différemment et adopte des incidences
particulières en fonction des contextes de son application297(*), les principes du droit des
peuples doivent être compris dans leur généralité
pour pouvoir s'appliquer de façon équitable à l'ensemble
des peuples, et des règles bien précises qui valent pour tous les
peuples, qu'ils aient des Etats souverains ou en soient dépourvus. Mais
ne sommes-nous pas en train de nous éloigner de l'humanisme du
libéralisme politique rawlsien pour nous rapprocher de l'individualisme
moral ? Le prétexte individualiste s'affirme à
première vue. Car en établissant les principes
généraux du droit des peuples sur le modèle des principes
généraux d'une charte des droits de la personne, nous semblons
soutenir que le droit des peuples doit s'identifier à un système
de droits et libertés civiques et politiques promus par des institutions
véritablement démocratiques. Ce qui revient à
reconnaître une certaine priorité à l'autonomie
individuelle. On pourra être tenté de réduire la
tolérance aux sociétés démocratiques et dire que
les deux régimes de droits doivent, pour paraphraser Habermas,
être « co-originaires » et fondés sur une
procédure de délibération sans entraves des citoyens
libres dans leurs consciences et dans leurs opinions. Autrement dit, nous
accordons implicitement un privilège à l'autonomie
individuelle.
Mais tel n'est pas le cas. Notre défense de deux
régimes de droits, individuels et collectifs, se veut respectueuse d'un
équilibre entre les deux régimes de droits. Elle évite la
subordination d'un régime à un autre. Et ce dualisme juridique
offre un cadre institutionnel permettant à chaque individu de
poursuivre ses fins rationnelles en fonction du rapport particulier qu'il
choisit avoir avec son peuple. Les personnes qui privilégient les
valeurs individuelles trouvent leur compte, et celles qui accordent une plus
grande valeur à leur encrage communautaire ne se sentiront pas
lésées car ce cadre institutionnel impose en même temps un
ensemble de droit collectif s'appliquant aux peuples. Donc à
première vue, on croit que la priorité est accordée
à l'autonomie individuelle. Mais au fond, c'est une attitude de
tolérance que nous traduisons entre deux façons de concevoir le
rapport de l'individu à la société. Cette tolérance
à l'égard des différents modes de vie axées sur les
valeurs communautaires et individuelles est assurée en imposant
côte à cote deux régimes de droits à l'intention des
personnes et des peuples.
Ainsi l'objection individualiste évoquée,
repose sur une triple méconnaissance. D'abord, elle
méconnaît les deux procédures de délibération
politique que sont, la procédure individuelle et la procédure
collective. Elle méconnaît ensuite la distinction entre les
critères de rationalité individuelle et collective qui
interviennent dans ces deux procédures de délibération.
Enfin, elle méconnaît la distinction entre les deux règles
d'approbation qui accompagnent ces deux procédures de
délibération : le consentement individuel et la règle
de la majorité. Il y a donc deux procédures de
délibération ; l'une impliquant les groupes, l'autre les
individus ; on a ensuite deux sortes de représentation politique,
la représentation individuelle et la représentation
collective ; et deux sortes de ratification, le consentement individuel et
la règle de la majorité. Et c'est la tolérance qui nous
force à respecter les différences entre ces deux sortes de
procédures délibératives.
3-
L'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique et la question de la
justice distributive à l'échelle mondiale.
Pour comprendre si l'idée de nation d'un point de vue
cosmopolitique peut impulser une interprétation du libéralisme
politique pouvant conduire à une approche progressiste susceptible
d'universaliser le principe de différence, peut être faudrait-il
commencer par préciser en quoi consiste le principe de
différence.
En tant que principe de justice distributive, le principe de
différence offre deux aspects importants. Il offre une
sécurité sociale et une obligation morale de maximiser le
minimum. Ceci s'applique aux individus comme aux peuples. Il prend chez Rawls
la forme d'un principe de justice maximum pouvant s'appliquer dans le cadre
d'une économie capitaliste et d'une économie socialiste. Dans le
cadre socialiste, il prend la forme du « socialisme
libéral ». Dans le cadre capitaliste, il prend la forme d'une
« démocratie des propriétaires ». Ici, la
justice distributive doit maximiser le transfert du capital, des moyens de
production et des pouvoirs de décision. Les objets de distribution
appartiennent à la structure de base de la société et
à la société internationale. A cet effet le transfert des
ressources naturelles n'intervient pas comme objet de justice distributive.
Dans ce cas l'inégalité des ressources
naturelles entre les peuples ne doit pas être considérée
comme une injustice. Si ces différences de ressources naturelles ne sont
pas causées par des facteurs de développement inégal au
sein de la société internationale, il s'agit
d'inégalités qui ne sont nécessairement pas injustes.
Ainsi, la justice distributive ne cherche pas à corriger les
inégalités résultantes du comportement volontaire et
coupable des individus ou des peuples. Ces questions sont du ressort des Etats
souverains. Cela dit on peut lire l'injustice sur un double plan en rapport
avec la justice. Sur le plan procédural, on peut lire l'injustice dans
l'application d'une procédure de libération faisant intervenir,
dans les débats portants sur la justice sociale et la justice
internationale, la considération de nos talents et de nos ressources
naturelles. Sur le plan substantiel, on peut lire l'injustice dans
l'acceptation des inégalités au niveau du capital, des moyens de
production et des pouvoirs de décision. La justice exige la dotation des
ressources financières et des capacités de développement
infrastructurelles et des pouvoirs de décisions permettant aux peuples
de développer au maximum les ressources dont ils disposent.
Cette interprétation de la justice distributive nous
oblige à réévaluer l'interprétation qui a souvent
été faite du principe de différence. Il est souvent
affirmé, et de façon orthodoxe, que le principe de
différence justifie les inégalités uniquement si elles
servent à maximiser le minimum. Cela peut s'interpréter de deux
manières. Tout d'abord on peut entendre ici que de façon
général, les inégalités quelles qu'elles soient, ne
sont justifiables que si elles sont utilisées comme des instruments au
service de l'amélioration des conditions des plus démunis. Mais
on peut aussi dire que la justification des inégalités ne
s'applique qu'aux biens affectant le développement optimal de la
structure de base de la société locale ou de la
société internationale, sans tenir compte des
inégalités résultant des talents et des ressources
naturelles. Autrement dit, seuls les inégalités relatives aux
talents individuels et aux ressources naturelles sont justifiables, même
si elles ne sont pas mises au service de la maximisation du sort des plus
défavorisés. Cela est valable pour les individus comme pour les
peuples, pour les Etats comme pour la société internationale.
Ainsi, on n'affirme plus religieusement qu'avec le principe de
différence, les seules inégalités justifiables sont
celles qui résultent de la volonté de maximiser le sort des plus
démunis. Certes, les inégalités relatives aux talents
individuels et aux ressources naturelles engendrent des
inégalités dans les biens appartenant à la structure de
base de chaque société. Mais ces biens doivent ensuite être
distribués à l'avantage des plus défavorisés et
dans des conditions qui n'entravent pas la permanence d'une telle distribution.
Le principe de différence, dégagé de la simplicité
de l'interprétation égalitariste traditionnelle, pose que la
répartition maximale est celle qui n'entrave pas la possibilité
d'une maximisation du minimum à long terme. En plus de cela, il soutient
que le transfert des biens institutionnels (capital, moyen de production,
centre de décision) doit s'effectuer jusqu'à ce que les individus
et les peuples parviennent à un niveau de développement qui est
fonction des talents et des ressources dont ils disposent. Tel est le sens
profond du principe de différence.
Cependant, une remarque mérite d'être faite.
Elle concerne l'idée que dans le sens profond du principe de
différence, les inégalités entre les individus et les
peuples au niveau des talents et des ressources naturelles ne sont pas
nécessairement injustes. Une interprétation simpliste du principe
de différence établit que Rawls défend la thèse
selon laquelle les talents individuels et les ressources naturelles sont des
faits moralement arbitraires, et pour lesquels les individus et les peuples ne
sont pas moralement responsables. A cet effet, ils doivent être
considérés comme des possessions collectives298(*). Mais en
réalité, la thèse essentielle de Rawls est que les talents
et les ressources naturelles ne sont pas les objets pour lesquels il y aurait
des propriétaires. Les talents ne sont pas eux-mêmes des objets
nécessitant une distribution égalitaire. C'est plutôt la
distribution des talents qui doit être traitée comme s'il
s'agissait d'un bien commun. Ainsi, il ne s'agit pas d'envisager une
distribution égalitaires des talents, mais plutôt
d'apprécier le fait que leur complémentarité est un bien
collectif. On peut dire la même chose pour ce qui est des ressources
naturelles qui constitue un patrimoine commun à l'humanité, et
non les ressources elles-mêmes.
A cet effet le principe de différence devient moins un
principe de réparation, et plus une manière particulière
de gérer ce bien commun qu'est la distribution et la
complémentarité des talents et des ressources naturelles. Il est
l'expression d'un consensus portant sur le bien commun de la diversification et
de la complémentarité des ressources naturelles de
l'humanité entière.
De cette interprétation du principe de
différence, nous aboutissons à une conception de la justice
distributive qui s'applique aux individus et aux peuples, et qui se situe en de
ça et au delà des principes de liberté des personnes et
des peuples. Cette conception possède une dimension charitable, en ce
qu'elle pose le devoir d'assistance aux individus et aux peuples en situation
de détresse, à l'échelle locale comme à
l'échelle internationale. Mais au-delà de ce seuil
charité, il faut chercher à maximiser le capital, les moyens de
production, et les pouvoirs de décisions aux individus et aux peuples,
à l'échelle locale et internationale. On contribue ainsi à
réaliser au sein de la société, à l'échelle
nationale et internationale, le maximum pour que les individus et les peuples
parviennent à un plein développement, en fonction des ressources
dont ils disposent. A ce niveau, les seules inégalités pouvant
être justifiables seraient celles requises pour le maintient d'une
richesse pouvant servir les objectifs d'une redistribution juste et celles
relatives aux talents et aux ressources naturelles.
On a une approche de la justice distributive qui unit le
nationalisme et le cosmopolitisme au profit de la justice sociale. Elle rejette
aussi bien la sublimation des droits individuels que la primauté des
droits collectifs. Elle procède d'un pluralisme axiologique et se base
sur une conception cosmopolitique et nationaliste de la personne et des
peuples, inscrivant ainsi le nationalisme dans un combat pour la justice
sociale tout en interpellant le cosmopolitisme sur la nécessité
d'une autonomie des peuples au plan national. Elle tranche sur le débat
entre nationalisme et cosmopolitisme, débat qui oppose la vision
partiale nationaliste du rapport au monde à la vision impartiale
cosmopolitique.
Certains défenseurs du nationalisme, comme David
Miller, soutiennent que la justice sociale exige des conditions confiance
solidaire qui ne peuvent être garanties que par la
nationalité299(*). Ainsi le nationalisme implique
nécessairement un point de vue partial à l'égard de se
membres, et s'oppose au cosmopolitisme qui considère de manière
impartiale les droits des individus. Mais ce débat nous semble mal
posé, puisque de nos jours, dans le cadre d'un droit des peuples juste
et raisonnable, il est possible pour les individus de faire preuve de
partialité à l'endroit de leurs proches, en acceptant les
contraintes raisonnables issues du droit des peuples. A cet effet, le
nationalisme comme l'entend Miller est contestable. Le nationalisme peut aussi
adopter une position impartiale qui affirme les droits collectifs de tous les
peuples et non seulement de son propre peuple. Dans ce cas, la défense
de son propre peuple doit se faire dans le but d'appliquer
l'égalité des peuples comme principe politique, et non dans un
but égocentrique de privilégier son propre peuple.
Un nationalisme prenant la forme impartiale de l'affirmation
des droits collectifs de tous les peuples n'entre pas en contradiction avec le
cosmopolitisme. Inversement, si le cosmopolitisme ne s'appuie pas sur un
individualisme moral, il peut être compatible avec le nationalisme. Dans
ce cas, la solidarité cosmopolitique suppose, d'une part que soit
établi la reconnaissance mutuelle et le respect entre les peuples.
D'autre part, la justice cosmopolitique ne peut être envisageable sans la
reconnaissance du droit qu'ont les peuples à un développement
égal et à une infrastructure adaptée à leurs
besoins.
4-
Justification philosophique de l'accord entre un régime de droit des
peuples et le libéralisme politique.
Quel argument philosophique pouvons-nous évoquer pour
justifier l'adoption d'un système de droits collectifs dont les
bénéficiaires seraient les peuples, et qui peut parfois
restreindre raisonnablement les libertés individuelles ? Peut-on
raisonnablement contraindre les libertés individuelles par un ensemble
de droits collectifs ? Le libéralisme politique se
caractérise par la primauté du juste sur le bien, affirmant ainsi
la primauté du droit sur les obligations morales particulières.
Dans ce cas, le droit ne résulte pas d'une obligation de respect
à l'égard des capacités métaphysiques des personnes
et des peuples. Et la justice internationale ne s'affirme pas sous la forme
d'une reconnaissance des objectifs collectifs, mais des droits collectifs. Par
conséquence le libéralisme politique doit s'ouvrir à la
reconnaissance des droits collectifs, car c'est le seul moyen d'assurer une
politique de la reconnaissance entre les peuples. Cela conduit à
l'adoption de deux régimes de droits, individuels et collectifs, que
l'on cherche à équilibrer et qui se restreignent mutuellement.
Mais il faut noter qu'il y a une différence
fondamentale entre les restrictions provenant des libertés individuelles
et celles provenant des droits collectifs. La différence tient du fait
que dans le cas des libertés individuelles, les droits et
libertés limitent déjà entre eux, et on peut penser que,
de cette manière, on accroît la liberté individuelle de
tous. La liberté d'expression est limitée par les politiques
contre la littérature extrémiste. Le droit à la vie est
limité par le droit de procéder dans certains cas à
l'avortement ou à l'euthanasie. Le droit public à l'information
est limité par le droit à la vie privée. La liberté
d'association par les lois contre les associations des malfaiteurs.
A cela, l'individualisme moral ajoute que les libertés
politiques positives (libertés des anciens) contraignent les
libertés civiques négatives (liberté des modernes). Cela
signifie que la liberté d'un individu est limitée par ses
obligations citoyennes, les obligations qui se traduisent par la participation
citoyenne aux pouvoirs de délibération d'élection, ainsi
qu'aux pouvoirs législatifs et exécutifs au sein de la
société. Ainsi, la mise en place au sein de la
société d'un système de libertés positives se
justifie par le fait qu'elle représente une valeur instrumentale pour la
satisfaction des libertés individuelles civiques. Les libertés
politiques viennent limiter les libertés civiques, ceci pour favoriser
dans l'ensemble la liberté individuelle300(*). Voilà comment peut
s'exprimer, de façon essentielle, la différence entre les
contraintes liées au système des droits individuels, et les
contraintes liées à une approche qui favorise
l'aménagement d'un système de droits collectifs pour les
peuples.
Ainsi interprété du point de vue individualiste,
le libéralisme accordera au droit des peuples une valeur instrumentale
pour la satisfaction des libertés individualistes. Selon Kymlicka, les
cultures sociétales complètes, que sont les peuples, doivent
être valorisées d'un point de vue libéral parce qu'elles
sont les conditions de possibilité de l'exercice de la liberté
individuelle. L'individu considère sa culture sociétale comme un
cadre d'exercice essentiel pour sa liberté. A cet effet, il accorderait
à sa propre culture sociétale le statut d'un bien social premier
et lui ferait jouer un rôle important dans l'estime qu'il a de
lui-même. Non seulement on affirme que la culture sociétale aurait
un rôle crucial à jouer et constituerait un bien social premier,
on prétend aussi que les individus traitent leur propre culture
sociétale nationale comme un bien social premier jouant un rôle
important sur l'estime soi. L'individu est encore une fois la seule source, la
source ultime de revendication légitime. Les droits collectifs des
peuples seront les droits détenus, réclamés et
justifiés par les individus.
Le problème avec cette justification individualiste est
qu'elle reste trop superficielle. Les individus n'ont pas tous, dans la
réalité, une telle opinion de la valeur de leur propre culture
sociétale nationale, ou mieux, ils ne considèrent toujours pas
leur culture sociétale comme un bien social premier jouant un rôle
important dans la liberté individuelle, mais les individus peuvent
refuser d'accorder à leur propre culture sociétale, la
première place dans leur palmarès d'allégeance. Ce qui
place l'individualisme moral dans une situation délicate : en
considérant ce fait, on peut soit continuer à accorder aux
groupes une valeur dérivée à partir de celle qui leur est
accordée par les individus ou se trouver obliger de tout
reconnaître les droits collectifs. Mais, ces deux approches nous
paraissent insatisfaisantes.
Il est possible de parvenir à une justification
libérale des droits collectifs sans s'accrocher à un
individualisme moral supposant une préférence rationnelle
partagée et liée à l'estime de soi. De plus on peut y
parvenir sans reconnaître à tous les groupes et non seulement aux
peuples, une valeur équivalente. Pour cela, il faut que deux conditions
soient remplies. D'abord il faut admettre que les personnes se
représentent majoritairement comme des membres de cultures
sociétales nationales particulières. Ensuite, il faut que ces
personnes veuillent que leur culture sociétale continue d'exister, et
qu'elles consentent à ce qu'elles soient protégées. Ces
conditions sont compatibles avec le fait que certaines personnes n'accordent
pas beaucoup d'importance à leur propre culture sociétale. Ainsi
notre justification ne suppose pas l'unanimité sur le rôle
fondamental que joue la culture sociétale dans l'estime que les
individus se font d'eux-mêmes. La culture sociétale nationale peut
occuper une place différente dans les différents palmarès
d'allégeance individuelle.
A cet effet, on peut évoquer l'argument de la
diversité culturelle dans la société internationale. Il
s'agit d'un argument emprunt d'un réalisme minimal, qui s'appuie sur la
raison publique et n'exploite que les ressources du libéralisme
politique. La société internationale reste en grande partie
personnifiée par les cultures sociétales nationales. Certes le
modèle classique de l'Etat-nation et le principe de la
souveraineté étatique sont de plus en plus contestés. Pour
cette raison, la société internationale ne se définit plus
en référence au modèle simplifié de l'Etat nation
souverain. On lui admet désormais différents modèles
d'organisation politique, qui peuvent être les Etats-nations, mais aussi
des Etats multinationaux, des fédérations multinationales, des
fédérations d'Etats-nations, des confédérations
d'Etats souverains, ou des organisations internationales regroupant des Etats
souverains. Mais reste que dans tous ces modèles d'organisations
politiques, la culture sociétale reste présente. Et les cultures
sociétales nationales revêtent même le statut d'Etats
fédérés dans les fédérations
multinationales. Ce qui confirme l'importance des cultures sociétales
nationales dans la société internationale. Dans ce cas on peut
adopter le principe de la valeur de la diversité culturelle comme
argument de justification d'une politique de la reconnaissance prenant la forme
d'un double système de droits, collectifs et individuels, se
contraignant mutuellement.
L'argument politique évoqué ici respecte la
diversité irréductible des points de vue résultant des
théories compréhensives, en mettant en selle seulement des faits
pertinents aux sujets de la culture politique internationale. C'est de cette
manière qu'on parvient à une justification des droits collectifs
compatible avec le libéralisme politique. Mais cette argumentation n'est
pas circulaire. En invoquant la valeur de la diversité culturelle, nous
optons pour un régime normatif de protections collectives
destinées aux diverses cultures sociétales nationales tout en
cous éloignant de l'individualisme moral. C'est en invoquant un argument
réaliste au sujet d'une tendance observée au sein de la
communauté internationale que nous parvenons à justifier la
valeur de la diversité culturelle.
C'est Thomas Nagel qui a pu présenter une version
audacieuse de cette justification. Il montre que cette justification tient lieu
au pluralisme naturel de l'humanité et à la
nécessité de favoriser une expression politique et individuelle
de ce pluralisme. Cela y va même de la continuité historique de
certaines nations et peuples dont l'expression collective doit se
matérialiser « par un choix collectif de lois de politiques et
d'institutions, par un processus auquel participent les différentes
composantes de ces peuples ou de ces nations »301(*)
L'on ne peut plus concevoir une politique de la reconnaissance
ou penser la question de la justice internationale sous la modalité de
l'hétéronomie de la moralité. La pondération qui
accompagne l'adoption d'un régime normatif de protections collectives
destiné aux diverses cultures sociétales nationales, exige la
reconnaissance d'une valeur morale particularités et aux
partialités. Mais cette reconnaissance doit se faire dans les limites de
l'exigence d'impartialité, c'est-à-dire qu'elle doit valoir pour
toute communauté similaire. Dans ce cas la validité morale des
frontières n'est plus instrumentale, mais intrinsèque et doit
être prise en compte dans la détermination des limites plausibles
à une solidarité envahissante
CONCLUSION GENERALE
La double interrogation qui a orienté toutes les
réflexions menées dans ce travail se présentait ainsi:
quelles sont les conditions de possibilité d'une émancipation du
vécu politique des carcans de l'injustice? L'autonomie rationnelle
peut-elle aider à la déconstruction, mieux à la
refondation des systèmes de répression par lesquels
l'idéologie capitaliste néolibérale a conditionné
la justice cosmopolitique (Banque mondiale, F.M.I et autres organismes
internationaux)?
Tant une vague idéologique tente d'extraire
de l'espace public les considérations prescriptives de la morale et du
droit, pour fonder le rapport au monde, mieux la coopération sociale et
internationale sur une rationalité de la domination. Les effets pervers
de cette dernières sont visibles au quotidien: oppression,
répression, mystification démagogique du politique issue du
cynisme technocratique, l'extorsion continue de la plus-value des pays du
centre à ceux qui se trouvent dans la périphérie du monde,
entraînant ainsi le mal vivre, la souffrance, l'ajournement continu de la
promesse de vie meilleure.
Quelle attitude faut-il adopter face à
une globalisation qui impose la domination comme modalité de l'action
politique? Faut-il se résigner à la démission et sombrer
dans la voie d'un pessimisme axiologique ou est-il encore possible d'entrevoir
dans l'univers sombre des "dominés", la beauté d'un horizon
porteur d'un projet de libération? Les enjeux de telles interrogations
posent le problème de l'autonomie politique, et celui ci suppose la
prise en considération des choix politiques des individus et des
peuples. L'autonomie introduit le choix, c'est l'affirmation de soi face au
réel et responsabilité face à l'être au monde de
l'autre. Certes aux yeux de certains, l'existence d'un monde social affranchi
de la domination est une utopie, mais la catégorie d'autonomie dans la
réalité des institutions sociales, et même dans la vie
collective, des perspectives permettant une critique franche des abus et des
injustices.
Comment s'articule donc dans la théorie
de la justice comme équité, le problème de l'autonomie? Et
dans quelle mesure cette articulation peut-elle s'envisager comme critique
d'une histoire qui a fondée la coopération sociale et
internationale sur des normes hétéronomes? La pensée de
Rawls fournie une lecture non homogène de l'autonomie. Cela s'explique
par le fait qu'à l'intérieur de cette pensée, il y a une
discontinuité entre l'Etat-nation démocratique et le monde, entre
le national et l'international. Au niveau national, l'autonomie politique ouvre
la perspective de l'égalité démocratique
interprétée en terme d'équité, c'est-à-dire
la quête d'un équilibre entre la maximisation du sort des plus
défavorisés et la préservation des intérêts
des plus nantis. En fait il s'agit pour Rawls de parvenir à une forme
d'organisation sociale qui intègre l'amélioration des conditions
de plus démunis comme modalité fondamentale de l'action
politique. Et cela passe par une redéfinition du rapport entre justice
distributive et efficacité économique. Au niveau international,
la modalité de justice distributive définie au niveau national
cède la place à une politique de la tolérance, de la
charité paternaliste et de la guerre juste. A cause de son souci
d'équilibre social et par son rapport à l'utopie, la
pensée de Rawls est importante pour envisager l'effectivité de la
possibilité d'un monde meilleur. L'attention accordée au
problème de la misère dans le monde est plus qu'important pour
nous: la solution rawlsienne s'oppose à justice distributive
internationale et milite pour la refondation en justice des espaces publics des
pays du Tiers monde.
Evaluer la théorie de la justice comme
équité revient à évaluer dans celle-ci un versant
critique et un versant politique. Le problème de l'autonomie politique
tel que le résout Rawls, nous a servi sur un plan critique, dans la
déconstruction du discours de l'ajustement au monde fondé sur
l'hétéronomie des normes politiques. Mais cette solution au
problème de l'autonomie politique reste insatisfaisante sur la
stratégie de transformation globale qu'elle propose. Mai même si
son orientation de politique globale reste insatisfaisante, la théorie
de la justice comme équité, en tant que critique d'une histoire,
pose néanmoins les jalons pour une conception de l'autonomie politique
qui peut être un véritable fondement pour une politique de
libération.
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INDEX
A
Adorno, 3
adversité, 47
Afrique, 3,
60, 79,
88, 89,
90, 91,
92, 93,
94, 95
ajustement, 6, 21, 51, 79,
83, 87, 88, 89, 91, 92,
95, 98
Attar, 51
Audard, 4, 6,
7, 13,
21, 22,
23
autonomie, 6,
7, 8,
9, 10,
12, 13,
14, 15,
16, 18,
19, 24,
31, 33,
34, 37,
41, 49,
50, 59,
60, 66,
68, 69,
72, 75,
77, 79,
86, 88,
90, 92,
95, 98,
116, 117,
120, 121,
123, 124,
125, 126,
128, 129,
133, 134,
137
rationnelle, 8,
10, 12,
77
autonomie complète, 7, 10, 12,
31
autonomie doctrinale, 8, 10, 41
autonomie individuelle, 60, 134
B
Barry, 53,
70, 73
Beitz, 53, 56, 73
Benjamin CONSTANT, 121
Bidet, 26
biens premiers, 22, 23
biens publics, 29, 40, 83
C
capitalisme, 39,
40, 112,
132
Cassirer, 17
citoyen, 26, 29, 30, 38,
40, 43, 86, 96, 103, 129,
131
citoyenneté cosmopolitique, 79, 86,
87, 98
civilité, 43, 47,
108
Cohen, 28, 29
commerce, 45, 102, 108
communication, 13, 18, 81,
121
concurrence, 7, 39, 40,
121
conditions défavorables, 52,
56, 57
conscience démocratique, 32
consensus, 14, 28, 29, 30,
46, 60, 71, 72, 74, 75,
106, 107, 113, 127, 136
constitution, 4, 13, 17, 19,
22, 23, 31, 32, 59, 85,
102, 106, 116, 132
constructivisme politique, 20, 107
cosmopolitisme, 14, 53, 55,
56, 73, 78, 79, 82, 83,
84, 85, 86, 87, 91, 92,
96, 97, 98, 128, 129,
136, 137
cosmopolitisme ouvert et infini, 14
critique, 3,
6, 9,
10, 12,
14, 17,
19, 20,
21, 22,
24, 27,
30, 31,
32, 40,
41, 43,
48, 55,
57, 62,
63, 65,
66, 67,
69, 70,
71, 73,
75, 78,
83, 87,
88, 90,
91, 93,
98, 103,
112, 119,
123, 125,
131, 132
Critique sociale, 10
D
débat consensuel, 24
débat critique, 24
décisionnisme politique, 9, 15,
16
délibération rationnelle, 25, 26,
27, 31, 131
démocratie constitutionnelle, 7, 20,
23, 37
démocratie des propriétaires, 39,
40, 56, 134
démocratie libérale, 13, 15,
16, 20, 24, 25, 31, 37,
42, 47, 51, 52, 60, 61,
70, 72, 95
désobéissance civile, 28, 29,
103
devoir, 17, 19, 47, 48,
49, 53, 56, 66, 108, 109,
124, 126, 136
devoir d'assistance, 44
diplomatie, 45, 108, 111
doctrines compréhensives, 20, 24,
46, 60, 106, 107
domination, 3, 13, 15, 35,
40, 60, 75, 77, 88, 99,
120, 122
droit, 3, 5, 6, 8,
13, 15, 16, 18, 19, 20,
22, 23, 24, 32, 33, 43,
44, 45, 46, 47, 48, 49,
50, 51, 52, 53, 56, 58,
59, 60, 62, 65, 66, 67,
69, 70, 71, 73, 74, 75,
77, 78, 79, 81, 83, 84,
85, 86, 87, 88, 90, 91,
94, 95, 98, 99, 100, 101,
102, 103, 104, 105, 107,
109, 110, 112, 113, 115,
120, 121, 122, 123, 126,
127, 128, 129, 130, 131,
132, 133, 134, 137, 138
Droit des gens, 43, 44, 45,
47, 52, 56, 100, 116,
130
droit des peuples, 43, 44, 57,
85, 127, 128, 133, 137
droits de l'homme, 29, 44,
46, 50, 51, 52, 74, 78,
80, 82, 86, 99, 100, 101,
102, 103, 104, 105, 107,
108, 109, 110, 111, 112,
113, 114, 115, 116, 117,
120, 127, 128
E
économie de marché, 38, 39
efficacité, 6, 8, 22,
27, 28, 38, 39, 54, 65,
119
efficacité économique, 38, 119
Egalité, 87, 140
équilibre réfléchi, 24
espace public, 74
Etat, 3, 6, 12, 15,
19, 23, 26, 28, 29, 31,
32, 33, 34, 35, 36, 38,
39, 42, 43, 44, 50, 53,
55, 60, 62, 64, 65, 67,
70, 72, 73, 74, 75, 78,
80, 81, 82, 83, 85, 86,
87, 89, 95, 96, 99, 102,
103, 104, 106, 110, 112,
115, 116, 117, 122, 127,
128, 129, 130, 132, 133,
139
état de nature, 26, 48, 49,
60, 67
Etat social, 20
Etat-Nation, 12, 86, 87
éthique normative, 23
Europe, 3
expérience de pensée, 27,
29
F
fédération des peuples, 47,
133
G
globalisation, 8, 53, 73, 81,
85
guerre juste, 49, 50, 57
H
HABERMAS, 80, 83, 84, 85,
86, 133
Harsanyi, 20, 21
Hegel, 48, 58
Heidegger, 17
hétéronomie, 6, 16, 18,
41, 59, 77, 119
Hobbes, 15, 26, 27, 33
Hoffmann, 50
humanité, 3, 78, 110,
126
Hume, 27
I
idéologie, 8, 24, 78,
79, 101, 111, 112
immanence, 10, 12, 13, 14,
24, 30, 58, 75, 119, 120,
132
impératif catégorique, 16, 17,
23, 24, 66, 124
individu, 5, 13, 14, 15,
21, 22, 29, 35, 38, 53,
59, 61, 62, 63, 64, 65,
67, 86, 92, 95, 98, 102,
104, 123, 127, 129, 131,
134, 138
individualité, 13, 14, 22,
33, 70, 120, 121, 123,
124, 125
inégalité, 6, 31, 35,
36, 135
injustice, 7, 8
institutions politiques, 7, 31, 33,
37, 38, 39, 44, 51, 52,
82, 100, 105
institutions sociales, 4, 8, 29,
30, 32, 41, 52, 66, 68,
81, 82
internationalisme, 43, 47, 49
intersubjectivité, 13, 17, 36,
91, 121
J
Jaffro, 21
juste, 2, 4, 5, 6,
15, 19, 20, 28, 30, 35,
36, 38, 39, 41, 45, 46,
54, 57, 60, 64, 69, 72,
74, 75, 83, 86, 87, 100,
106, 112, 114, 119, 120,
122, 125, 126, 129, 131,
136, 137
justice, 1, 2, 3, 4,
5, 6, 7, 8, 9, 10,
12, 13, 14, 15, 16, 18,
19, 20, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29, 30, 31,
32, 33, 34, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44,
45, 46, 47, 49, 50, 51,
52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59, 60, 61, 63, 64,
65, 66, 68, 69, 71, 72,
73, 74, 75, 77, 78, 79,
80, 81, 82, 83, 86, 87,
95, 98, 99, 100, 102,
103, 105, 106, 107, 108,
116, 119, 125, 127, 128,
130, 131, 132, 134, 135,
136, 137
justice distributive, 53, 56, 73,
74, 131, 134
justice internationale, 55, 81, 83,
116, 127, 131, 135
K
Kant, 7, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 23, 24, 26,
33, 41, 46, 48, 58,
124
L
Lalande, 19, 43
le juste, 125
Libéralisme politique, 7, 13,
19, 24, 31, 32, 34, 53,
72, 74, 101, 106, 113,
116, 128
liberté, 4, 5, 6, 7,
17, 18, 19, 20, 21, 22,
25, 26, 30, 31, 32, 33,
34, 35, 36, 37, 38, 41,
43, 47, 56, 57, 60, 62,
63, 64, 65, 66, 68, 69,
74, 75, 80, 88, 91, 92,
94, 99, 100, 102, 104,
105, 115, 121, 122, 123,
125, 136, 138, 139
libertés individuelles, 22, 37,
137, 138
lien social, 38, 40, 41
M
marché, 38, 39, 40,
41, 64, 93, 95, 98
MARX, 131
Maximin, 22, 56
MBEMBE, 90, 91, 92, 93,
94, 95
métaphysique, 6, 7, 16,
20, 23, 24, 59, 67, 69,
75, 101, 107, 113, 129,
130
monde intelligible, 7, 17, 18,
19
monde sensible, 7, 17, 18
N
Nasser, 50
normes éthiques, 8
normes politiques, 14, 26, 45,
59, 77, 92, 116, 120
normes sociales, 14, 29, 60,
71, 120, 125
Nozick, 8, 9, 62, 64,
65, 66
O
Occident, 3, 15, 44, 46,
88, 89
ordre international, 44, 53, 56,
59, 73, 78, 79, 88, 98
P
paix internationale, 48
partenaire, 50
participation politique, 34, 35, 36,
37
personne, 5, 13, 18, 19,
21, 22, 24, 27, 28, 33,
34, 43, 51, 53, 54, 60,
66, 68, 80, 81, 96, 101,
103, 104, 105, 106, 107,
123, 124, 125, 128, 129,
131, 132, 133, 136
philosophie de l'histoire, 18, 83
philosophie de la conscience, 29
philosophie du contrat, 29
philosophie morale, 16, 19, 21,
23, 31
philosophie politique, 2, 4, 9,
12, 14, 25, 30, 36, 43,
58, 62, 70, 105, 120,
121, 122, 123, 131
Platon, 2, 13, 55
plein emploi, 39
pluralisme raisonnable, 16, 41, 45,
127
politique internationale, 45, 46, 56,
79, 81, 85, 88, 94, 107,
109, 110, 111, 116, 117,
128, 139
position originelle, 5, 21, 24,
25, 26, 27, 30, 32, 46,
53, 54, 55, 59, 67, 80,
81, 125, 128, 130, 131
pression diplomatique, 52
principe de différence, 4, 5,
22, 29, 30, 34, 36, 37,
39, 40, 53, 55, 60, 81,
131, 134, 135, 136
priorité lexicale, 37, 130
proposition synthétique, 17
propriété privée, 27, 38,
45
R
raison délibérante, 26
raison pratique, 13, 17, 18,
19, 24, 25, 29, 49
raison publique, 14, 15, 16,
20, 43, 44, 51, 72, 100,
107, 115, 139
raisonnable, 7, 9, 18, 25,
26, 27, 33, 44, 47, 49,
50, 54, 57, 58, 75, 100,
106, 123, 125, 129, 132,
137
rapports inégaux, 2
rapports marchands, 40, 41
rationnel, 9, 22, 23,
25, 26, 27, 30, 33, 37,
43, 67, 68, 69, 107, 123,
124, 125
Rawls, 2, 3, 4, 5,
6, 7, 8, 9, 12, 13,
16, 17, 18, 19, 20, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46,
47, 48, 49, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 59, 60,
61, 62, 63, 65, 67, 68,
71, 72, 73, 74, 77, 78,
79, 101, 105, 106, 107,
113, 116, 125, 126
relations internationales, 12, 44, 47,
48, 49, 50, 51, 53, 56,
57, 58, 73, 74, 75, 78,
80, 81, 85, 88, 89, 94,
95, 99, 101, 107, 111,
116, 127
Rousseau, 26, 31, 33, 58,
60
S
Scanlon, 53
Schmitt, 15, 16
secteur privé, 33, 34, 35
secteur public, 33, 34, 35
Sen, 21, 56
séquence des quatre étapes, 31
socialisme, 37, 39, 41, 101,
102, 105, 106, 134
socialisme d'Etat, 39
socialisme démocratique, 39
société, 3, 4, 9,
10, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 19, 23, 24, 25, 26,
28, 29, 31, 32, 33, 35,
37, 38, 39, 40, 41, 42,
43, 44, 45, 46, 47, 51,
52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59, 60, 61, 63, 64,
66, 67, 68, 70, 71, 72,
73, 74, 78, 80, 81, 83,
87, 91, 96, 100, 101,
102, 103, 104, 106, 107,
108, 113, 115, 116, 120,
124, 125, 128, 129, 130,
132, 134, 135, 136, 138,
139
société bien ordonnée,
53
société civile, 64
société démocratique, 4,
28, 30
société idéale, 30
société internationale, 135,
139
société libérale, 45, 51,
73
sociétés africaines, 6,
60, 91, 92, 93, 95
sociétés hiérarchiques, 44,
45, 56, 74, 75, 128
souveraineté, 3, 15, 16,
17, 41, 49, 50, 51, 60,
73, 77, 79, 82, 83, 84,
99, 103, 106, 108, 116,
127, 132, 133, 139
Stuart-Mill, 21
sujet de droit, 20, 23
sujet moral, 17, 19, 23
sujet nouménal, 20, 23
sujet politique, 5, 20, 59,
60, 69
T
théorie contractualiste, 29, 44
théorie des institutions, 32
théorie idéale, 44, 45,
46, 47, 57
théorie non idéale, 44, 47,
52, 57
théorie normative, 43
théorie politique, 8, 13, 16,
19, 37, 69
théorie sociale, 14, 64, 65,
90, 94
transcendance, 7, 14, 15, 18,
19, 24, 120, 123, 124,
132
Tropiques, 3
Tucker, 51
U
utilitarisme, 6, 9, 20, 21,
22, 24, 27, 30, 31, 38,
55
utilité, 8, 21, 22,
28, 30, 31, 68, 111
utilité marginale, 21
utilité totale, 21
utopie, 12, 41, 43, 56,
57, 58, 75, 94
V
valeurs, 3, 4, 13, 14,
16, 19, 21, 24, 30, 33,
47, 51, 67, 68, 72, 73,
80, 85, 101, 102, 106,
107, 109, 114, 121, 127,
130, 134
violence, 28, 29, 91, 94
voile d'ignorance, 5, 20, 21,
23, 25, 27, 29, 30, 31,
32, 46, 53, 54, 59, 81
W
Walzer, 50, 70
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS
II
RESUME
III
ABSTRACT
IV
INTRODUCTION GENERALE
1
I- Présentation du travail
2
II- Problématique
8
PREMIERE PARTIE
11
ENJEUX DU CONCEPT D'AUTONOMIE DANS
LA THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE
11
CHAPITRE I : DE L'ETAT-NATION
DEMOCRATIQUE...
13
A. DE L'AUTONOMIE DOCTRINALE D'UNE
CONCEPTION DE LA JUSTICE...
13
1. L'idée de Raison
Publique
14
2. De la notion de position
originelle.
25
B. À L'AUTONOMIE POLITIQUE DES
CITOYENS D'UNE DEMOCRATIE.
31
1. Nature des institutions politiques
justes.
33
2. Les institutions économiques
justes.
38
CHAPITRE II : AU MONDE
43
A. LE PROBLEME DE LA JUSTICE INTERNATIONALE
COMME EXTENSION DU LIBERALISME POLITIQUE DANS LES RAPPORTS
INTERETATIQUES.
44
1. La théorie idéale
45
2. La théorie non
idéale.
47
CHAPITRE III : INTERROGATION SUR LA
THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE.
59
A. SOUVERAINETE DU SUJET ET OBJECTIVITE DES
NORMES POLITIQUES : LA QUESTION DU RAPPORT ENTRE L'INDIVIDU ET LA
COMMUNAUTE.
59
1. Les paradoxes de l'individualisme
méthodologiques
59
2. Une défense nonchalante de la
différence
71
B. LES LIMITES DU DUALISME PRINCIPIEL DANS
LA JUSTICE POLITIQUE INTERETATIQUES
73
1. Le problème du paradigme
étatique dans le droit des gens
73
2. Le problème de la
prééminence du principe de tolérance dans le droit des
gens rawlsien
74
3. Le dualisme principiel et le
problème de l'historicisme chez Rawls
74
CHAPITRE IV : LE DROIT
INTERNATIONAL : ENTRE LE REALISME POLITIQUE DE RAWLS ET L'IDEALISME MORAL
ET INDIVIDUALISTE DU COSMOPOLITISME.
79
A. THEORIE DE L'IDENTITE POSTNATIONALE ET
LA QUESTION DE LA CONSOLIDATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE.
79
1. Le rôle d'une justice distributive
entre les peuples.
80
2. Solidarité internationale et
démocratie supranationale : Le cosmopolitisme radical de
Jürgen Habermas.
83
B. MODERNITE AFRICAINE ET L'AJUSTEMENT A LA
MONDIALISATION NEOLIBERALE : LES ENJEUX POLITIQUES DU POST
COLONIALISME.
88
1. Philosophie de l'ajustement : un
contrepoids idéologique aux revendications africaines pour la
restructuration de l'ordre économique et politique mondial.
88
2. Authenticité politique et
autonomie sociale.
95
CHAPITRE V : LES DROITS DE L'HOMME
DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE : QUELLE PLACE POUR LA
SOUVERAINETE ?
99
A- LE LIBERALISME POLITIQUE RAWLSIEN ET LA
QUESTION DE LA REARTICULATION DES DROITS DE L'HOMME.
101
1- La revendication sociale comme
problème politique : genèse et enjeux.
102
2-Rawls et la réarticulation des
droits libertés et des droits créances.
105
3- Du non droit du droit d'ingérence
humanitaire
109
TROISIEME PARTIE : REINVESTIR LA
THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE : PHILOSOPHIE DE LA JUSTICE ET
HUMANISME DE JOHN RAWLS.
118
CHAPITRE VI : AUTONOMIE ET OBJECTIVITE
DES NORMES POLITIQUES
120
A- LA LIMITATION DE
L'INDIVIDUALITE
120
1- L'individualisme et le déclin de
l'humanisme moderne
120
CHAPITRE VII : NATIONALISME ET
POLITIQUE DE LA RECONNAISSANCE A L'ECHELLE MONDIALE
127
1.
Libéralisme politique et nationalisme
libéral
128
2. Quelques amendements sur le
libéralisme politique de Rawls
132
3- L'idée de nation d'un point de
vue cosmopolitique et la question de la justice distributive à
l'échelle mondiale.
134
4- Justification philosophique de l'accord
entre un régime de droit des peuples et le libéralisme
politique.
137
CONCLUSION GENERALE
141
BIBLIOGRAPHIE.
143
INDEX
150
* 1La justice véhicule
l'idée d'un principe harmonisant qui met ensemble trois instances et qui
produit l'unité d'une pluralité. Au niveau individuel, il s'agit
de trois instances psychique : « L'épithumia »
ou partie désirante, le « Thumos » ou partie
colérique, le « Nous » ou partie rationnelle. Au
niveau social, ces trois instances psychiques correspondent aux trois classes
qui composent la cité idéale : les producteurs, les
gardiens, les gouvernants. Cf : Platon, La République,
livre IV, 433 et 441c, in OEuvres complètes, tome 1, trad. L.
Robin, Paris, NRF, 1950.
* 2 Théodore W. Adorno,
La Dialectique négative, trad. Collège international de
philosophie. Paris, Payot, 1978, p. 286.
* 3 Alain Renaut, Histoire
de la philosophie politique, tome v, Les Philosophies
politiques contemporaines, Paris, Calmann, Levy, 1999, p. 9.
* 4 John Rawls,
Théorie de la justice, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil,
1987, p. 29.
* 5 Ibid., p. 33.
* 6 Ibid., p. 341.
* 7 Ibid., p. 68.
* 8 Ibid., p. 341.
* 9 John Rawls, Justice
et démocratie, trad. Catherine Audard, Paris, seuil, 1993, p. 160.
Pourtant c'est le contraire que semble soutenir un certain utilitarisme dont
les thèses fondent la théorie de l'ajustement structurel
défendue par le postcolonialisme. L'efficacité économique
étant le fondement de la mondialisation ultralibérale, les
sociétés africaines qui ne sont pas dotées d'une
économie compétitive doivent payer un prix fort pour
s'insérer dans le monde global. Ceci se fait par la perte de leur
autonomie, soit dans les violences ethno-raciales et purificatrices, soit dans
la soumission à un processus de gestion responsable et
démocratique des capitaux internationaux. Cette gestion s'évalue
en fonction de son adéquation aux conditionnalités fixées
par les « Bailleurs de fond ». Ainsi, pour hâter
l'insertion des économies africaines à la mondialisation,
Achille Mbembe propose aux leaders politiques africains « une
utilisation habile et une instrumentalisation du nouveau lexique international
(lutte contre la corruption, transparence, Etat de droit, bonne
gouvernance) ». Cf : « Essai sur le politique en tant
que forme de la dépense », cité par Charles Romain
Mbélé, in : « Pensée critique et devenir
des sociétés. Examen des philosophies africaines de l'ajustement
à la mondialisation », conférence donnée au
Centre culturel François Villon de Yaoundé, le 13/12/2007, p. 2,
inédit.
* 10 John Rawls,
Théorie de la justice, op. cit., p. 341.
* 11 Ibid.,p p. 287-288.
* 12 Catherine Audard (dir.)
John Rawls, politique et métaphysique, Paris, PUF,
2004, p. 17.
* 13 Ibid., p p. 15-16.
* 14 John Rawls,
Théorie de la justice, op.cit. , p. 289.
* 15 Robert Nozick,
Anarchy, state and utopia, New york, Basic books, 1974, p .183.
* 16 John Rawls,
Théorie de la justice, op. cit., p. 49.
* 17 Voir Ernst Bloch, Le
Principe espérance, tome1, trad. F.Wuilmart, Paris, Gallimard,
1976.
* 18 Nous mettons dans cet
ordre, les modèles de pensées d'inspiration platonicienne qui
exigent de lire la vérité scientifique à l'image des
normes mathématiques, c'est-à-dire affirmer la quête d'un
bien à l'image de l'éternité selon laquelle Dieu
crée le monde. Pour Platon, le Bien est la norme éternelle, le
soleil des idées qui nous interpelle et qui nous permet de nous
détacher de la vision des passions attachées à un corps
mortel. Ainsi, l'éternité du Bien, en correspondance avec les
idéalités mathématiques donne à la
géométrie une place de choix dans l'éducation et la
formation des philosophes gouvernants, chargés d'assurer la
thérapeutique sociale dans la visée du Bien.
* 19 Cette approche de la
normativité sociale est plus visible chez Marx qui considère le
droit public comme manifestation des intérêts de la classe
dominante, c'est-à-dire de la bourgeoisie capitaliste.
* 20 Ces conceptions
essentiellement liées à la démocratie libérale,
présentent les différents membres de la société
(personnes) comme libres et égaux et la société
elle-même étant un système équitable de
coopération, organisé en vue de l'avantage mutuel. Cf. John
Rawls, Libéralisme politique, trad. C. Audard, Paris, PUF,
1997, p. 133.
* 21 Voir Marcel Gauchet,
Le Désenchantement du monde. Une histoire de la religion,
Paris, Gallimard, 1985. Cet auteur remarque que le tournant politique de la
modernité se caractérise par l'abandon de la
référence à l'au-delà au profit d'une organisation
politique dans laquelle les hommes eux-mêmes décident en commun
des lois et des institutions qui les gouvernent. Voir aussi Jürgen
Habermas pour qui, contrairement aux sociétés traditionnelles, le
désenchantement qui caractérise les sociétés
modernes fait que les normes politiques ne peuvent désormais y
acquérir leur légitimité qu'à travers un consensus
obtenu par échange d'arguments, dans le cadre d'une discussion publique.
Cf. Théorie de l'agir communicationnel, tome 1, rationalisation de
l'agir et rationalisation de la société, Paris, Fayard,
1987, p. 17 ; et Théorie de l'agir communicationnel, tome 2,
Pour une critique de la raison fonctionnaliste, Paris, Fayard, 1987, p.
88.
* 22 Alain Renaut,
L'ère de l'individu, contribution à une histoire de la
subjectivité, paris, Gallimard, 1989, p. 61. Voir aussi Edmund
Husserl, Méditations cartésiennes, trad. G. Pfeifer et
E. Levinas, 1953, p. 89
* 23 Carl Schmitt,
La Notion de politique, trad. et préface de Julien
Freund, Paris, Calmann-Levy, 1972.
* 24 Carl Schmitt,
Théologie politique, trad. J. L. Schlegel, Paris, Gallimard,
1988, p. 15.
* 25 Ibid., p p.
11-14.
* 26 Carl Schmitt,
Parlementarisme et démocratie, trad. J. L. Schlegel, Paris,
Gallimard, 1988.
* 27 John Rawls,
Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, Paris, La
découverte, 2002, p. 262.
* 28 Martin Heidegger,
Qu'est-ce qu'une chose ?, trad. J. Reboul et J. Taminiaux,
Paris, Gallimard, 1971, p. 67.
* 29 Erns Cassirer,
Individu et cosmos dans la philosophie de la renaissance, trad. P.
Quillet, Paris, Ed. Minuit, 1983, p. 160.
* 30 Alain RENAUT, Kant
aujourd'hui, Paris, Aubier, 1997, p. 107.
* 31 Dans La critique de
la raison pure, Kant établit que tout jugement synthétique
nécessite un troisième terme pour les deux termes entre lesquels
s'opère la synthèse. Ainsi, pour la connaissance
théorique, ce troisième terme c'est la nature du monde sensible
tel qu'il s'offre à l'intuition. Dans l'ordre pratique, c'est la
liberté du sujet qui fournit le terme intermédiaire pour
résoudre le problème de la distinction des
phénomènes et des choses-en-soi.
* 32 Dans l'introduction
à sa traduction de la Critique de la faculté de juger,
Paris, Vrin, 1996, A. Philonenko souligne la place centrale du thème de
la communication chez Kant. Dans le domaine de la connaissance
théorique, c'est la médiation du concept qui rend possible la
communication. Dans la connaissance pratique, c'est la loi morale dans
l'interaction humaine qui rend possible la communication. Dans le jugement
esthétique, se développe l'idée d'une communication
directe, immédiate, où le sujet humain éprouve dans le
sentiment esthétique, que ce qu'il ressent dépasse le cadre
isolé de son moi pour le faire rejoindre autrui.
* 33 John Rawls,
Théorie de la justice, op. cit., p. 293.
* 34 Alain Renaut, Kant
aujourd'hui, op.cit., p. 378.
* 35 John Rawls,
Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, op.cit., p.
273.
* 36 John Rawls,
Libéralisme politique, op.cit., p. 134.
* 37 Emmanuel Kant,
Doctrine du droit, in : OEuvres philosophiques, tome3,
Paris, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la pléiade, p. 579.
* 38 André Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1962,
p. 304.
* 39 Emmanuel Kant,
Doctrine du droit, op. Cit., p. 281.
* 40L'idée du voile
d'ignorance semble être d'inspiration kantienne. Kant, lorsqu'il invite
le sujet à éprouver les maximes de ses actions en se demandant ce
qui se produirait si elle devenait des lois universelles de la nature, suppose
certainement que le sujet est ignorant de sa place dans ce système
imaginaire de la nature.
* 41 Dès les
premières pages de Théorie de la justice, Rawls situe
ses analyses dans l'optique d'une conception de la justice qui pallierait aux
contradictions de l'utilitarisme : « mon but est
d'élaborer une théorie de la justice qui représente une
solution de rechange à la pensée utilitariste en
général et donc à toutes les versions différentes
qui peuvent exister. » écrit-il. p. 49.
* 42 Voir John Harsanyi,
« Morality and the Theory of Rational Behaviour », in
Catherine Audard, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme,
vol III, Paris, PUF, 1999, p. 42-65 ; Amartya Sen, Ethique et
économie, trad. Sophie Marnat, Paris, PUF, 1993, p. 192.
* 43 Amartya Sen,
Ethique et économie, p.193.
* 44 Le principe
d'utilité est le maillon central de la doctrine utilitariste. Bien qu'il
ait été forgé par S. Hutcheson (cf. An Inquiry
Concerning Moral Good and Evil, 1725), ce principe connaît un
développement plus crédible dans la pensée de Bentham,
où il est entendu comme « le principe qui approuve ou
désapprouve une action quelconque selon la tendance qu'elle parait avoir
à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie
intéressée. » cf. René Le Senne,
Traité de morale générale, Paris, PUF, 1961, p.
221. Voir aussi Geremy Bentham, Déontologie ou système de
moral, trad. B. Laroche, Paris, PUF, 1962, p. 328, Léon Jaffro,
Le sens moral : une histoire de la philosophie morale de Locke à
Kant, Paris, PUF, 2000, p. 19.
* 45 John Stuart-Mill,
L'utilitarisme, Paris, Flammarion, 1998, p. 56.
* 46 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 93.
* 47 Avec cette idée
de la priorité de la liberté sur les avantages économiques
et sociaux, Rawls reprend un principe traditionnel, religieusement
consigné dans la constitution américaine qui, selon Bernard R.
Boxill, prévoit qu' « un gouvernement ne doit pas toucher aux
libertés individuelles pour des raisons d'utilités. »
cf. Les noirs et la justice sociale aux Etats-Unis, trad. Bernard
Vincent, Presse universitaires de Nancy, 1988, p. 29. Herbert Hart a
essayé de contester la validité de cette thèse, en
attribuant à Rawls une « interprétation
naturelle » du droit. cf. « Entre utilité et les
droits », trad. Inédite de Jean-Fabien Spitz, in Catherine
Audard, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, vol. III,
p. 236.
* 48 John Rawls, Justice et
démocratie, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil, 1993, p. 205.
* 49 Ibid., p. 208.
* 50 Idem.
* 51 A ce niveau, la
pensée rawlsienne marque sa rupture d'avec l'idéalisme de Kant.
Rawls ambitionne fonder une éthique du débat consensuel sur des
principes rationnels ; Voir A. Berten, « John Rawls, Jürgen
Habermas, et la rationalité des normes » in J. Ladrière
et P. Van Parijs, Fondements d'une théorie de la justice,
Louvain-la-neuve, 1984, p. 183-184.
* 52 Paul Ricoeur,
Philosophie de la volonté. Finitude et culpabilité, tome
III, La symbolique du mal, Paris, Aubier Montaigne, 1960, p. 23.
* 53 John Rawls, Justice
et démocratie, p. 10-11.
* 54 John Rawls,
Libéralisme politique, p. 129.
* 55 John Rawls, Justice et
démocratie, p. 86.
* 56 Jacques Bidet, John
Rawls et la théorie de la justice, Paris, PUF, 1995, p. 49.
* 57 John Rawls, La Justice
comme équité, une reformulation de théorie de la
justice, trad. Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2003, p.
36-37.
* 58 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 44.
* 59 Idem.
* 60 John Rawls, La Justice
comme équité, op.,cit, p. 119.
* 61 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 412.
* 62 Marshall Cohen,
« Liberalism and Disobedience », in Philosophy and
Public Affairs, vol. 1, n° 3, printemps 1972, p. 298.
* 63 Idem.
* 64 John Rawls, La Justice
comme équité, p. 124-128.
* 65 John Rawls, Justice et
démocratie, p. 63.
* 66 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 204.
* 67 Ibid., p. 221.
* 68 John Rawls,
Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, p.272.
* 69 Les quatre
étapes sont : le choix des principes premiers de justice
sociale ; le choix des institutions conformes au premier principe de
justice sociale ; le choix des institutions conformes au second
principe ; le respect des règles par les citoyens.
* 70 John Rawls,
Libéralisme politique, p.340. Voir aussi Théorie de
la justice, p.296 et, Justice et démocratie, p.199.
* 71 John Rawls, La Justice
et démocratie, p p. 158-159.
* 72 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 258.
* 73 Thomas Hobbes, Le
Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 136. On
rencontre aussi cette idée chez Rousseau, notamment dans ce
célèbre énoncé : « On le
forcera à être libre ». cf. : Du contrat
social, liv.1, chap. VII ; Chez Kant aussi, dont Alexis Philonenko
résume ainsi la pensée : « La seule contrainte
liée au droit est celle par laquelle je puis contraindre autrui à
entrer avec moi dans l'Etat civil. » cf. :
Métaphysique des moeurs, t.1, p. 45.
* 74 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 240. Il explique plus cette
notion dans La Justice comme équité, p. 204.
* 75 Rawls corrige la
première formulation du principe de libertés égale qui
parlait du « système le plus étendu » des
libertés (cf. Théorie de la justice, p .91) par
l'expression « schème pleinement adéquat »
des libertés (cf. Libéralisme politique, p. 29).
* 76John Rawls, La Justice
comme équité, p. 205.
* 77 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 104.
* 78 Ibid., p. 266.
* 79 Ibid., pp. 266-267.
* 80 Benjamin Constant,
« De la liberté des anciens comparée à celle des
modernes », in Ecrits politiques, textes choisis et
présentés par Marcel Gauchet, Paris, Poche/pluriel, 1980, p.
491-515.
* 81 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 268.
* 82 Ibid., p. 287.
* 83 Ibid., p. 269.
* 84 Ibid., p. 284.
* 85 John Rawls, Jürgen
Habermas, Débat sur la justice politique, Paris, Cerf. 1997. On
peut aussi voir Individu et justice sociale, autour de John Rawls,
Paris, Seuil, 1998, p. 280. Ici Rawls estime que sa théorie exprime de
façon cohérente, l'esprit démocratique contemporain, celui
qui inspire les constitutions occidentales. Les principes visent la structure
de base d'une démocratie constitutionnelle moderne.
* 86 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 300.
* 87 Ibid., p p. 312-313.
* 88 John Rawls, La Justice
comme équité, p. 188.
* 89 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 321.
* 90 Ibid., p. 14.
* 91 Ibid., p p. 316-318.
* 92 Karl Marx, Le
Capital, Ed. Sociales, t.6, p.47.
* 93 Karl Marx,
Grunrisse, Ed. Sociales, p. 188.
* 94 Voir Jean-Marie Harribey,
« Les vertus oubliées de l'activité non
marchande », in Le monde diplomatique, n°658, novembre
2008.
* 95 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 321.
* 96 Ibid., p. 37.
* 97 Ibid., p. 29.
* 98 André Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1968,
p. 304.
* 99 John Rawls,
Théorie de la justice, p p. 34.
* 100 John Rawls, Droit
des gens, trad. Bertrand Guillarme, Paris, Esprit, 1996, p. 42.
* 101 Serges Sur,
«Système international et utopie», in Archives de
philosophie du droit, V.32, Paris, Sirey, 1987, p. 34.
* 102 John Rawls, Paix et
démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, trad.
Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2006, p. 153.
* 103 Paul Valery, Orient
et Occident. Regard sur le monde actuel, Paris, Stock, 1931.
* 104 John Rawls, Paix et
démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, op.cit., p.
154.
* 105 John Rawls, Droit
des gens, p. 87.
* 106 Ibid., p. 67.
* 107 Ibid., p. 63.
* 108 Ibid., p. 39.
* 109 Ibid., p. 55.
* 110 Voir Jürgen
Habermas, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée
kantienne, trad. R. Rochlitz, Paris, Cerf, 1996.
* 111 John Rawls, Droit
des gens, p. 80.
* 112 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 282.
* 113 John Rawls, Le Droit
des gens, p. 53.
* 114 Ibid., p. 81.
* 115 Emmanuel Kant,
Projet de paix perpétuel, p. 49.
* 116 G. W. F. Hegel,
Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1975, p. 330.
* 117 Ibid. p. 333.
* 118 G. W. F. Hegel,
Encyclopédie des sciences philosophiques, Paris, Gallimard,
1970, p. 547.
* 119 John Rawls, Le droit
des gens, p. 73.
* 120 Ibid., p. 42.
* 121 Ibid., p. 51.
* 122 Michael WALZER, Just
and Unjust Wars, New-York, Basic books, 1977, p. 85. ( C'est nous qui
traduisons).
* 123 Stanley Hoffmann,
Une morale pour les monstres froids. Pour une éthique des
relations internationales, Paris, Seuil, 1982, p p. 74-75.
* 124 Franck Attar, Le
Droit international, entre ordre et chaos, Paris, Hachette, 1994, p.
229.
* 125 John Rawls, Paix et
démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, p. 113.
* 126 Robert W. Tucker,
The Inequality of Nations, New-York, Basic books, 1977.
* 127 John Rawls, Le Droit
des gens, p. 82.
* 128 Ibid., p. 82.
* 129 Idem.
* 130 Ibid., p. 84.
* 131 Brian Barry, The
liberal Theory of Justice, London, Oxford University press, 1978, p.
133.
* 132 Thomas Scanlon,
«Rawls' Theory of Justice», in Reading Rawls, New-York,
Basic books, p. 302.
* 133 Voir John Rawls,
Libéralisme politique, p. 46.
* 134 Voir John Rawls,
Théorie de la justice, p. 176-177.
* 135 Ibid. p. 310.
* 136 Ibid., p. 618.
* 137 Idem.
* 138 Platon, La
République, Livre IX.
* 139 Ibid., Livre IV.
* 140 Idem.
* 141 Peter Singer,
«Famine, Affluence, and Morality», in Philosophy and Public
Affairs, 1971, vol.1, p. 229-243
* 142 Pour le
développement de cette critique, voir James Fishkin, «Theories of
Justice and International Relations: the limits of Liberal Theory» in A.
Ellis (ed.), Ethics and International Relations, Manchester university
press, 1986, p. 1-12.
* 143 Amartya Sen,
L'économie est une science morale, Paris, La Découverte,
2003, p. 29.
* 144 John Rawls, Le Droit
des gens, p. 87.
* 145 Voir Eric Weil,
Philosophie politique, Paris, Vrin, 1956, p. 13.
* 146 Ernst Bloch, Le
Principe d'espérance, tome 1, trad. F. Wuilmart, Paris, Gallimard,
1976, p. 111-114.
* 147 Ibid., p. 116.
* 148 Ibid., p. 121.
* 149 John RAWLS, Paix et
démocratie, p. 18.
* 150 Puisque en
matière de relations internationales il ne s'agit pas de dire lequel des
droits affirmés par les belligérants est le véritable, une
idée commune aux systèmes hégéliens et kantiens
soutient que c'est la guerre qui tranche, entre les systèmes juridiques
en opposition, lequel doit céder la place à l'autre. Kant, dans
le Projet de paix perpétuel, souligne que dans la guerre,
c'est « l'issue qui décide de quel coté se trouve le
droit » (p.9). A l'appui de ce constat, il évoque le jugement
de Dieu. Hegel semble donner à l'histoire ce que Kant reconnaît
à Dieu, lorsqu'il soutient que l'histoire mondiale est la seule instance
qui puisse juger les relations entre les Etats. Ce qui semble plus
réaliste si l'on considère l'immanence de la justice dans le
règlement des conflits interétatiques. Dans Les principes de
la philosophie du droit, Hegel dit : « il n'y a pas de
préteur pour régler les conflits. Le préteur suprême
est uniquement l'Esprit universel existant en soi et pour soi, l'Esprit du
monde. » (p.339). Ce qui veut dire que l'idée universelle doit
toujours attendre la fin d'une guerre pour s'incarner.
* 151 Hubert Mono Ndzana,
«Guerre d'Irak et nécessité d'un contrat mondial», in
Jean Emmanuel Pondi (dir.), Une lecture africaine de la guerre en
Irak, Paris, Maison neuve et Larose, 2003, p. 179.
* 152 Robert Derathé,
Jean Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris,
Vrin, 1970, p.33.
* 153 Analysant le
problème du rapport des forces dans les sociétés
africaines, Jean-François Bayart pense que la bourgeoisie dans ce
continent accédera à son «concept» lorsqu'elle sera
à même de « (...) trouver des dominés, de les
contraindre à demeurer dans un espace social domestique où pourra
s'exercer la domination » cf. L'Etat au Cameroun, (1979),
Paris, Presses de la Fondation des sciences politiques, seconde édition
revue et augmentée, 1985, p. 257. Voir aussi L'Etat en Afrique. La
politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 309.
* 154 Alain Renaut,
L'ère de l'individu. Contribution à une histoire de la
subjectivité, Paris, Gallimard, 1989, p. 10.
* 155 Claude Lefort,
Essais sur le politique, XIX-XX siècle, Paris, Seuil, 1986, p.
16-17.
* 156 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et liberté. Tome 1. Règles
et ordre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 10.
* 157 Idem.
* 158 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et liberté. Tome 2. Le mirage de la
justice sociale, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 76.
* 159 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 36-37.
* 160 Jean-Pierre Dupuy,
Le sacrifice et l'envie. Le libéralisme aux prises avec la justice
sociale, Paris, Calmann-Levy, 1992, p. 246-247.
* 161 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 43.
* 162 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et Liberté. Tome 3. L'ordre
politique d'un peuple libre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p.
117.
* 163 Robert Nozick,
Anarchy, State and Utopia, New York, Basic books, 1974, trad. Fr.
Evelyne d'Auzac de Lamartine et Pierre Emmanuel d'Auza, Anarchie, Etat et
Utopie, Paris, PUF, 1988.
* 164 Ibid. p. 9.
* 165 Ibid., p. 200.
* 166 François Sicard,
« La justification du libéralisme selon F. Von
Hayeck », in Revue française de sciences
politiques, 1989, n°1, vol.39, p. 178-199.
* 167 Friedrich Von Hayek,
Droit, Législation et Liberté, Tome 2, p. 105.
* 168 Idem.
* 169 Michael Sandel, Le
Libéralisme et les limites de la justice, trad. Jean-Fabien Spitz,
Paris, Seuil, 1999, p. 50-51.
* 170 Michael Sandel,
« La République procédurale et le moi
désengagé », in A.Berten, P.Da Silveira, H. Purtois
(ed.), Libéraux et communautariens, Paris, PUF, 1996, p
.262-263.
* 171 Ibid., p. 264.
* 172 Ibid.,pp. 268-269.
* 173 Charles Taylor,
« Le bien et le juste », in Revue de
métaphysique et de morale, vol.93, 1988, p. 176.
* 174 Alasdair Macintyre,
Quelle justice ? Quelle rationalité ?, trad.
Michelle Vignaux D'Hollande, Paris, PUF, 1993, p. 6-7. Voir aussi
Après la vertu. Etude de théorie morale, trad. Laurent
Bury, Paris, PUF, 1997, p.206
* 175 Hans Georg Gadamer,
« Sur la possibilité d'une éthique
philosophique », in L'art de comprendre. Ecrit II, Paris,
Aubier-Montaigne, 1991, p. 33.
* 176 Voir Alain Renaut,
« Les deux logiques de l'idée de nation », in
Etat et Nation. Cahier de philosophie politique et juridique, vol.14,
1988, p. 157.
* 177 Brian Barry,
« Michael Sandel, Liberalism and the Limits of Justice »,
in Ethics, vol.94, p. 523-525.
* 178 Michael Walzer,
« La critique communautarienne du libéralisme », in
Libéraux et communautariens, op. cit. p. 311.
* 179 Nancy Rosenblaum,
« Another Liberalism. Romanticism and the Reconstruction of the
Liberal Thought », Cambridge (Mass), London, Harvard University
press, 1987, p. 152-186.
* 180 John Rawls, Jürgen
Habermas, Débat sur la justice politique, cité par A.
Wellmer, « Condition d'une culture démocratique. A propos du
débat entre libéraux et communautariens », in
Libéraux et communautariens, op.cit., p. 384-385.
* 181 John Rawls,
« Justice as Fairness: Political not Metaphysical » in
Philosophy and Public Affairs, n°14, 1985, p. 223-251.
* 182 Cette critique a
été formulée par Thomas Nagel, voir « Rawls on
Justice », in Reading Rawls, Norman Daniels,( ed.), Oxford,
1975, p. 10.
* 183 Catherine Audard,
« Pluralisme et consensus : une philosophie pour la
démocratie ? », in John Rawls : Justice et
Liberté, Critique, juin-juillet, 1989, p. 144.
* 184 John RAWLS,
Libéralisme politique, op. cit., p .241-242.
* 185 Charles Beitz,
Political Theory and International Relations, op. cit., p. 125-175;
Brian Barry, «Humanity and Justice in Global Perspective», in
Nomos, n°24, p. 219-252.
* 186 Ariel Colomo,
« Les années 1990 : quelle rupture
morale ? », in Esprit, n°298, Octobre 2003, p.
39.
* 187 Ces réseaux
peuvent être d'un ordre culturel, économique, éthique. A ce
sujet, on peut lire : Daphné Josselin, William Wallace (eds),
Non State Actors in World Politics, Palgrave, 2000 ; James
Rosenau, Turbulence in World Politics, Princeton university press,
1990.
* 188 John Rawls,
Libéralisme politique, op. cit., p. 44
* 189 Ibid., p.48.
* 190 Allen Buchanan,
«Rawls's Law of Peoples: Rules for a Vanished Wesphalian World»,
Ethics, 110/4, 2000, p. 697.
* 191 On retrouve cette
idée dans les écrits de Brian Barry, Charles Beitz, Thomas Pogge.
De Brian Barry, on peut consulter les textes suivants : Theories of
Justice : a Treatise on Social Justice, vol.1, Hemel Hempstead,
Harvester Wheatsheaf, 1989; «International Society from a Cosmopolitan
Perspective», in D.Mapel and T. Nardin (dir.), International Society:
Diverse Ethical Perspectives, Princeton, University Press, 1999, p.
144-163. De Charles Beitz, on peut consulter entre autre: Polical Theory
and International Relations, Princeton, University Press, 1979;
«International Liberalism and Distributive Justice: a Survey of Recent
Thought», in World Politics, 51/2, 1999, p.269-296. De Thomas
Pogge, on peut consulter entre autre: Realizing Rawls, Ithaca, Cornell
University Press, 1989.
* 192 Cette thèse se
rapporte aux travaux de Jürgen Habermas sur la question du nationalisme,
publiés dans l'Intégration républicaine, Paris,
Fayard, 1998, et Après l'Etat-nation, Paris, Fayard, 2000.
* 193 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 33.
* 194 Bull Hedley, The
Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 1977, Chap.4.
* 195John Rawls,
Théorie de la justice, p. 499.
* 196 François Perroux,
L'Europe sans rivages, Grenoble, P.U.G, 1990, p. 271.
* 197 Charles R. Beitz,
Political Theory and International Relations, op.cit., p.141.
* 198 Ibid, p.142.
*
199Cf: «Cosmopolitanism and Sovereignty» in
Ethics, 103, 1992, p. 48-75.
* 200Cf: Democracy and the
Global Order. From Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford,
University Press, 1995.
* 201Cf: «Nations without
States: the Accomodation of Nationalism in the New State Order», in M.
Keating and Mc Garry (dir.), Minority Nationalism and the Changing
International Order, Oxford, University Press, 2001, p.19-43.
* 202 David Held,
Democracy and the Global Order, op. cit., p. 27.
* 203 Ibid., p. 233.
* 204 Nous nous
référons ici à « l'idée d'une histoire
universelle au point de vue cosmopolitique », in Emmanuel Kant,
La Philosophie de l'histoire, trad. S. Pioletta, Paris, Aubier, 1947,
p. 59-79 ; « Sur l'expression courante : il se peut que ce
soit juste en théorie. En pratique cela ne vaut rien » in
Emmanuel Kant, Théorie et pratique. Le droit de mentir, trad.
L. Guillermit, Paris, Vrin, 1967, p. 9-59.
* 205 Ici nous nous
référons à : Emmanuel Kant, Projet de paix
perpétuelle, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1990 ;
Métaphysique des moeurs, trad. A. Renaut, tome II, Paris,
Garnier-Flammarion, 1994.
* 206 Jürgen Habermas,
« La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée
kantienne », in L'intégration républicaine,
op. cit. p. 161-204 ; « The European State and the
Presures of Globalisation », New Left Review
n°235,1999, p.46-59. Charles Beitz défend une position analogue eu
égard au fait que les individus seuls, non les nations et les cultures,
sont considérés comme ayant une valeur intrinsèque. Dans
ce cas, la redistribution des richesses devrait être confiée
à des instances supranationales, et non aux Etats dont les individus
font partie.
* 207 A l'échelle
régionale, Habermas s'attarde sur l'avènement possible d'un Etat
fédéral européen ayant une constitution
démocratique et un système de partis politiques dont les
idéaux se conforment aux valeurs sociales européennes. Les essais
regroupés dans la seconde partie de L'intégration
républicaine sous le titre « L'Etat-nation a-t-il un
avenir ? » sont explicites à ce sujet. A l'échelle
globale, Habermas essaie de mettre en perspective l'intervention de plus en
plus grande et nécessaire des citoyens ou des organisations non
étatiques (Amnesty International, Greenpeace, les organismes alter
mondialistes dénonçant la politique ultra libérale de
l'O.M.C) dans les espaces démocratiques nationaux. Ce qui contribuerait
à l'émergence progressive d'une citoyenneté
démocratique cosmopolitique. Cf. « La paix
perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne »,
op. cit. p.174-175.
* 208 Pour une analyse plus
détaillée de ces transformations, voir David Held, Democracy
and the Global Order, op. cit. p. 5-6.
* 209 Cf. Paul
Dumouchel, « Le terrorisme entre crime de guerre ou de
l'empire », in Stéphane Courtois (dir.), Enjeux
philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, Sainte-Foy,
Presse de l'université de Laval, 2003, p. 25-39.
* 210 Jürgen Habermas,
« La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée
kantienne », p. 178-181.
* 211 Thomas Nagel,
Egalité et partialité, trad. Claire Beauvillard, Paris, PUF,
1994, p. 189.
* 212 John Rawls, Droit
des gens, p. 112-113.
* 213 Cet argument est
développé par Will Kymlicka, dans son Politics in the
Vernacular, Multiculturalism and Citizenship, New York, Oxford university
Press, p. 213-216, 226-227, 325-326.
* 214 Les idées
développées ici s'inspirent d'une conférence donnée
le 13/12/2007 au centre culturel François Villon de Yaoundé par
Charles R. Mbele, sur le thème : « Pensée critique
et devenir des sociétés. Examen des philosophies africaines de
l'ajustement à la mondialisation ». Inédit.
* 215 Jean Godefroid Bidima
présente la philosophie de la « modernité négro
africaine » comme une alternative au « discours de la
maîtrise » porté par l'opposition traditionnelle entre
ethnophilosophie et la tendance dite de la révolte. Cette
dernière est un discours de la maîtrise » parce
qu'elle se présente comme un « discours suffisant,
où le philosophe, mieux l'intellectuel, ignorant la
méconnaissance qui se loge dans tout dire, dicte et prescrit le devenir
de l'Afrique. Cf. Théorie critique et modernité
négro africaine. De l'école de Francfort à la
« Docta spes africana », Paris, Publication
de la Sorbonne, 1993, p.205.
* 216 Marcien Towa, Essai
sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle,
Yaoundé, Clé, 1981, p. 56.
* 217 Le N.E.P.A.D
résumera plus tard le processus de l'ajustement comme l'appropriation de
« révolution économique néo
libérale »
* 218 Fabien Eboussi
Boulaga, La Crise du Muntu, Paris, Présence africaine, 1977, p.
229.
* 219 Ibid, p.154.
* 220 Jean Godefroid Bidima,
Théorie critique et modernité négro africaine,
op.cit. p. 202.
* 221 Achille Mbembe, De
la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique
contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p. 28.
* 222 Achille Mbembe,
« Politique de la vie et épreuve du fratricide »
(Avant propos à la seconde édition) in De la postcolonie.
Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris,
Karthala, 2005, p. 12.
* 223 Ibid., p. 15.
* 224 René Descartes,
Discours de la méthode, Paris, Bordas, 1984, p, 86.
* 225 Jean P. Mpele,
« Identité et cosmopolitisme en Afrique
subsaharienne », in Raisons politiques, n° 21, 2006, p.
73-74.
* 226 Achille Mbembe, De
la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique
contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p. 21.
* 227 Achille Mbembe,
« A propos des écritures africaines de soi », in
Politique africaine, n°77, 2000, p. 30.
* 228 Achille Mbembe, De
la postcolonie, op. cit., p. 37.
* 229 Jean Godefroid
Bidima, Théorie critique et modernité négro
africaine, op. cit., p. 241.
* 230 Ibid, p.240-241.
* 231 Bourahima Ouattara,
Penser l'Afrique, Paris L'harmattan, 2002, p. 44-45.
* 232 Achille Mbembe,
« Politique de la vie et épreuve du fratricide »,
op. cit., p.16.
* 233 Fabien Eboussi
Boulaga, La Crise du Muntu, op. cit., p. 89.
* 234 Montaigne,
Essais, Livre I, chap. XXXI, Des cannibales, in OEuvres
complètes, Paris, Gallimard, p. 203.
* 235 Ibid., p. 208.
* 236 Montesquieu, OEuvres
complètes, Livre III, chap. IX, De la vanité,
Paris, Gallimard, 1949, p. 950.
* 237 Ibid., p. 964.
* 238 René Descartes,
Discours de la méthode, op. cit., p. 57-58
* 239 Ibid., p. 68.
* 240 Raymond Aron,
Histoire et politique, Paris, Julliard, 1985, p. 478.
* 241 Pascal Boniface, Les
Guerres de demain, Paris, Seuil, 2001, p. 13
* 242 John RAWLS, Paix et
démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, trad.
Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2006, p. 98.
* 243 Ibid., p. 100.
* 244 John Rawls, Droit
des gens, p. 74.
* 245 Ibid., p. 67.
* 246Stéphane Chauvin,
« Libéralisme politique et universalisme juridique :
droit des gens et droits de l'homme selon Rawls », in Revue de
métaphysique et de morale, Paris, puf, 1998, p. 185.
* 247 Alain Renaut,
« Libéralisme et socialisme, philosophie et
expérience », in Concurrence et solidarité,
Paris, E.S.F, 1992, p. 35.
* 248 Ibid., p. 38.
* 249 Ibid., p. 37.
* 250Idem.
* 251 Ibid., p. 41.
* 252 Dictionnaire de la
pensée politique. Hommes et idées, Paris, Hatier, 1989, p.
201.
* 253 Stanley Hoffmann,
Une Morale pour les monstres froids, p. 113.
* 254 Alain Renaut,
« libéralisme et socialisme, philosophie et
expérience », op. cit., p. 40.
* 255 Ibid., p. 43.
* 256 John Rawls,
Libéralisme politique, p. 19.
* 257 Alain Renaut,
« Libéralisme et socialisme, philosophie et
expérience », p. 49.
* 258 Catherine Audard,
« John Rawls et le concept du politique » in John
Rawls, Justice et démocratie, p. 23.
* 259 John Rawls,
« La réconciliation par l'usage de la raison
publique » in Catherine AUDARD (dir.), John Rawls, politique et
métaphysique, Paris, Puf, 2004, p. 47.
* 260 Paul Poupard,
« Respecter les droits de chaque nation ; la pensée
internationale de Jean Paul II », in Communio, Paris,
Fayard, 1981, p. 96.
* 261 Michael Walzer,
Traité sur la tolérance, Paris Gallimard, 1998, p.
147.
* 262 John Rawls, Paix et
démocratie, p. 76.
* 263 Caroline Fleuriot,
« Droit d'ingérence, ou en est-on ? », in
Le Monde diplomatique, n°654, Septembre 2008, p. 32.
* 264 Idem.
* 265 Bernard
Badié, La Fin des territoires, essai sur les désordres
internationaux et sur l'utilité sociale du respect, Paris, Fayard,
1995, p.264.
* 266 Stanley Hoffmann,
Une Morale pour les monstres froids. Pour une éthique des relations
internationales, p. 14.
* 267 Cité par Michael
Ignatief, « Droits de l'homme, la crise du
cinquantenaire », in Esprit, Paris, Seuil, 1999, p. 12.
* 268 Jean-Marc
Tetaz, « Identité culturelle et réflexion
critique. L'universalité des droits de l'homme au prise avec
l'affirmation culturelle », in Etudes théologiques et
religieuses, Paris, Labord et Fides, 1999, p. 124.
* 269 Stanley Hoffmann,
Une Morale pour les monstres froids, p. 119.
* 270 Ibid., p. 9.
* 271 Stéphane
Chauvin « Libéralisme politique et universalisme
juridique : droit des gens et droits de l'homme selon Rawls » in
Revue de métaphysique et de morale, Paris, PUF, 1998, p.
184.
* 272 Michael
Ignatief, « Droit de l'homme, la crise de la
cinquantaine », op. cit., p. 23.
* 273 Ernest Marie
Mbonda, « Guerres modernes » africaines et la
responsabilité de la communauté internationale,
Yaoundé, Presse de l'U.C.A.C, 2007, p. 20.
* 274 Michael
Walzer, « Au-delà de l'intervention humanitaire :
les droits de l'homme dans la société globale », in
Esprit, Paris, Seuil, 2004, p. 68.
* 275 John Rawls, Paix et
démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, p. 98.
* 276 Stéphane
Chauvin, « Libéralisme politique et universalisme
juridique. Droit des gens et droits de l'homme selon John Rawls » p.
184.
* 277 Pascal Boniface, Les
Guerres de demain, Paris, Seuil, 2001, p. 14.
* 278 Blandine Kriegel,
Les Droits de l'homme et le droit naturel, Paris, PUF, 1989, p. 96.
* 279 Alain Renaut,
Histoire de la philosophie politique, tomme 2, Naissance de la
modernité, Paris, Calmann-Levy, 1999, p. 19.
* 280 Baruch de Spinoza,
OEuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque la
Pléiade, pp.824-825.
* 281 Michel Foucault,
Histoire de la sexualité, tome 2, La volonté de
savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 116
* 282 Fichte, Fondement du
droit naturel, trad. Alain Renaut, Paris, PUF, 1985, pp134-135.
* 283 Edgar Morin, Pour
sortir du xxeme siècle, Paris, Fernand Nathan, 1981, p. 373.
* 284 John Rawls,
« La théorie de la justice comme
équité », in Collectif, Individu et
justice sociale. Autour de John Rawls, Paris, Seuil, 1988, p. 310.
* 285 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 560.
* 286 John Rawls,
« La priorité du juste et les conceptions du Bien »
in Archives de philosophie du droit, vol 33, La
philosophie du droit aujourd'hui, Paris, Sirey, 1988, p. 40.
* 287 Edgar Morin, Pour
sortir du xxeme siècle, op cit, p. 372.
* 288 John Rawls,
Libéralisme Politique, p. 54.
* 289 L'individualisme moral
est le cadre théorique dans lequel les défenseurs d'une
théorie de l'identité post-nationale tirent leurs arguments.
* 290 Will Kymlicka, La
citoyenneté multiculturelle, trad. Patrick Savidan,
Montréal, Boréal, 2001.
* 291 Les expressions
tels « contexte de choix », « culture
sociétale », « structure de culture » sont
empruntées à Will Kymlicka.
* 292 John Rawls,
Libéralisme Politique, p 67.
* 293 Ibrd. p.43.
* 294 Rawls fait
référence à de tels peuples dans le Droit des
gens, p.82.
* 295 Charles Larmore,
« The Moral basis of Political liberalism » in Journal
of Philosophy, 96, 12, 1999, pp. 599-625.
* 296 John Rawls,
Théorie de la justice, p. 499
* 297 C'est le cas lorsqu'on
considère le cas spécifique des droits du foetus, de l'enfant,
des immigrants, des réfugiés, des personnes âgées
des travailleurs, des personnes handicapés.
* 298 - On se
réfère souvent à La Justice comme
équité. Une réinterprétation de théorie de
la justice, pp. 74 -79.
* 299 David Miller. On
Nationality, Oxford, Clarendon Press, 1995, p.140.
* 300 Cette argumentation
s'inspire de l'article d'Alan Patten, « The Republican Critique of
Liberalism », British Journal of Political science, vol.26,
n°1, 1996, PP.25-44.
* 301 Thomas Nagel,
Egalité et partialité, trad. Claire Beauvillard, Paris,
PUF, 1994.P.189
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