Le régime juridiques des ententes anticoncurrentielles( Télécharger le fichier original )par Nisrine NASSIRI Faculté des sciences juridiques économiques et sociales de Salé Maroc - Licence en droit privé 2012 |
IntroductionDans le processus de modernisation du droit marocain des affaires, la loi sur la liberté des prix et de la concurrence a constitué un moment essentiel puisqu'il s'agissait de protéger la concurrence afin de stimuler l'efficience économique, améliorer le bien-être des consommateurs, assurer la transparence et la loyauté dans les relations commerciales. Il s'était également agi de s'inscrire dans le cadre de la dynamique de convergence réglementaire avec l'acquis communautaire, induite par l'accord d'association liant le Maroc à l'Union européenne. Une dynamique renforcée par le statut avancé qui accorde au rapprochement des législations une place prioritaire. La création et la mise en place effective de la loi n°06-99 sur la liberté des prix et la concurrence, promulguée par le Dahir du 5 juin 2000, est entrée en vigueur en juillet 2001. Ceci coïncide avec l'entrée en vigueur de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc en mars 2001. La loi 6-99 institue, donc, le principe d'interdiction des ententes et des abus de positions dominantes (titre III de la loi) ainsi qu'un contrôle des concentrations (titre IV de la loi). Nous nous limiterons, à la réglementation des ententes. En vertu de l'article 6 de ladite loi, fortement inspiré des articles 81 Amsterdam (ancien 85 du traité de Rome), 36§a de l'accord d'association et 7 de l'ordonnance française de 1986, «sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit (...)». Le Conseil de la concurrence, en tant qu'instance de régulation, ont confirmé l'intérêt des pouvoirs publics pour une saine application des règles de la concurrence. Elles traduisent également une évolution dans le mode de production du droit économique qui désormais implique les partenaires, au côté de l'Etat, dans la confection d'avis et de recommandations destinés à aider à la prise de décision. La nouvelle Constitution a consolidé cette évolution. En effet, elle fait peser sur l'Etat l'obligation de garantir la liberté d'entreprendre et la libre concurrence, en sanctionnant le trafic d'influence et de privilèges, l'abus de position dominante et de monopole, et toutes les autres pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques. Le Conseil de la concurrence est érigé au rang d'entité constitutionnelle chargée, dans le cadre de l'organisation d'une concurrence libre et loyale, d'assurer la transparence et l'équité dans les relations économiques, notamment à travers l'analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole. "Insensiblement, et au delà des volontés politiques, le tentaculaire droit de la concurrence ne cesse de renforcer son emprise sur la théorie générale du contrat "1(*). Cette remarque est révélatrice de la façon dont le droit de la concurrence est perçu par les autres disciplines juridiques. Cependant, au sein des pratiques anticoncurrentielles, l'entente cristallise les inquiétudes car le contentieux qui l'entoure est abondant, controversé et conquérant. L'intervention des autorités régulatrices affriole la défiance. La vocation quasi-universelle du droit des ententes perturbe et exaspère. Il suffit pour s'en convaincre d'être attentif aux réactions doctrinales que suscite chacune des décisions par lesquelles le Conseil de la concurrence étend son champ d'action. Le Conseil condamne-t-il une clause séparée d'une convention collective? Soumet-il à son contrôle les personnes privées chargées d'une mission de service public? Le droit des obligations semble particulièrement menacé car le contrat constitue souvent le principal vecteur d'ententes anticoncurrentielles. En voulant obvier à des dysfonctionnements du marché, l'on intervient nécessairement dans les contrats. Ceux-ci sont annulés au nom d'une logique qui n'est pas la logique contractuelle ; le contenu des conventions est remodelé par le jeu des exemptions. Les instruments mis à la disposition des autorités de la concurrence façonnent les conventions 2(*) de façon plus ou moins despotique, mais avec une précision jusqu'alors inconnue. L'on en déduit que le contrat est pris d'assaut. L'on craint, une nouvelle fois, pour sa survie. Droit boulimique, droit irrespectueux, droit sans fondement stable et sans légitimité, les qualificatifs qui accompagnent le droit des pratiques anticoncurrentielles font donc de lui un mal aimé. Le droit de la concurrence est mal perçu parce méconnu. Curieusement, alors que la doctrine a fait de l'entente un thème de cogitation privilégié, les interférences entre droit de la concurrence et droit des obligations ont été peu étudiées. Lorsqu'il est apparu que le contrat pouvait constituer le moyen de confisquer les richesses au profit d'un petit nombre, l'attention s'est obliquée vers d'autres mécanismes. L'utilité du contrat n'a pas été réfutée, mais l'on a commandé sa surveillance. Tant que la confiscation et l'organisation du marché sont restées un phénomène marginal, ce fut seulement une surveillance pénale. A mesure qu'elles se sont sophistiquées, généralisées et internationalisées, la surveillance est devenue administrative. L'on peut dire, par une simplification sans doute réductrice, que le droit de la concurrence au sens actuel a été le fruit de cette évolution. Né aux Etats Unis, il s'est développé en Europe sous l'impulsion des Communautés européennes. Pour ce qui est des autorités de la concurrence : autorités de régulations : le terme régulation est utilisé de nos jours pour le démarquer du terme réglementation, lequel en anglais se révèle être un faux ami. Le terme régulation en anglais reçoit en matière juridique le sens de réglementation en français, c'est-à-dire des dispositions unilatérales et impératives émanant des pouvoirs publics, ce que nous serions tentés d'appeler public Policy. Comme l'a montré J. Chevallier, il ne faut pas confondre déréglementation et dérégulation. Au contraire, la déréglementation appelle la régulation. La déréglementation n'opère pas un passage vers la liberté totale, la liberté sauvage, sans contrôle. C'est la régulation, avec une législation abondante, qui se substitue à la réglementation. Il est certain que le concept de régulation permet de décrire le retrait de l'Etat de la régulation sinon sociale, du moins économique. L'Etat n'est plus le seul régulateur. Il y a d'autres modes de régulation que les modes étatiques, associant notamment les acteurs économiques. Cependant, ces autorités de concurrence ne disposent pas du pouvoir d'annuler les conventions. Cela relève de la compétence exclusive des magistrats et des arbitres. La nullité est une sanction plus respectueuse de la volonté contractuelle mais son usage dans le contentieux concurrentiel s'avère complexe. Prétendre embrasser l'ensemble des relations unissant le droit des pratiques anticoncurrentielles et le droit des contrats nous a semblé une gageure. Nous avons préféré circonscrire le champ de nos recherches. Le plan de l'étude sera conforme à la double démarche de l'encadrement juridique et processuel des ententes anticoncurrentielles * 1 J. MESTRE, chronique de droit des obligations, R.T.D.Civ. 1987, p.307. * 2 Le terme de convention est ici employé comme synonyme de contrat. Les deux notions sont parfois distinguées. La convention est définie comme un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, en vue de produire (créer, transmettre, éteindre) des effets de droit. Le champ du contrat apparaît plus étroit. Il ne pourrait que créer des effets de droit |
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