Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe( Télécharger le fichier original )par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012 |
Deuxième partie : Rétablissement du comput éthique du temps anthropologique«Tous ceux qui se querellent disent qu'ils sont dans leur droit. Ils prennent, cependant, plus de droit que ce à quoi ils ont droit, et c'est pourquoi ils sont constamment en désaccord. » (Père Païsios, Lettres, p.189) « Vouloir le règne de la loi, c'est vouloir le règne exclusif de la raison ; vouloir, au contraire, le règne d'un homme, c'est vouloir en même temps celui d'une bête sauvage, car l'appétit irrationnel a bien ce caractère bestial, et la passion du pouvoir fausse l'esprit des dirigeants, fussent-ils les plus vertueux des hommes » (Aristote, La Politique, II, 16) INTRODUCTIONL'oeuvre de Mutuza est un discours qui se trame autour des Grands Lacs(433(*)); elle s'inscrit dans une noétique à dessein brouillée et accidentellement embrouillée. Il est tributaire d'un polycentrisme à la fois indécis et imprécis dont les points de jointure demeurent a-syntoniques en raison des intentions voilées des auteurs. Loin d'être un discours polyphonique et implicite, il s'avère être bien plutôt un discours disjonctif. Mutuza est d'abord un professeur. Avant d'aborder sa pensée personnelle et la manière par laquelle il parle aux Tutsi, avant même de le voir dans ses contacts avec le milieu intellectuel de son temps, il a fallu le situer dans son milieu véritable qui est la communauté universitaire. Nous avons vu par sa vie que Mutuza avait été prêtre, professeur et homme d'Etat : toute sa vie s'écoule dans ces fonctions cérébrales. A cet égard, son oeuvre plonge dans le milieu socio-politico-intellectuel. Il est intéressant de l'envisager sous cet aspect, en voyant ce qu'elle nous apprend de la vie socio-politico-intellectuelle de son temps et ce que lui-même en pense à propos du vocable de la raison ambiante Pays des Grands Lacs. Dans cette partie, nous abordons la critique de cette raison ambiante Pays des Grands Lacs, qui s'explique par l'analyse du temps entropologique chez Mutuza, [- telle que Ngoma Binda l'a découvert, bien qu'avec plein de contradictions dans son article : textes écrits « sur l'histoire des peuples des Grands Lacs » et « même si ces textes (épars et conçus, chacun, dans des contextes différents et pour des objectifs tout différents) ont été regroupés sous l'intitulé générique d'Ethique et Développement... »(434(*)) ] - et enjeux éthiques, processus de séparation et de réunion entre l'historicisme et la prédiction,- comme -comme d'ailleurs ignoré par le même Ngoma Binda dans son analyse sur l'oeuvre de Mutuza. C'est une question liée au langage et qui se mêle à un mythe tissé par un certain nombre de préjugés phénotypiques. La raison ambiante ouvre la continuité et la discontinuité entre le monde végétal, le monde animal (valeurs matérielles) et le monde humain (valeurs intellectuelles et morales) dont le mythe Hima-Tutsi explique la divinisation du second, animal, par l'expression libre et naturelle en rapport avec un constructivisme néocolonialiste renfermé dans les poèmes dynastiques du Rwanda. Les poèmes dynastiques du Ruanda décrivent l'histoire, dans son sens premier, du grec dont la racine désigne l'action de voir: éóôïñ (l'histor) est celui qui a vu ou, si l'on veut, un témoin et ce qu'il peut ajouter à sa propre expérience n'est qu'un autre témoignage au deuxième degré, comme soulever à l'introduction générale. C'est déjà là l'ingénierie sociale. Nous avons à ce stade le devenir, l'image et l'étreinte. Les paléontologues, les ethnologues, les géophysiciens, les biologistes et les anthropologues sont clairs là-dessus : avec le devenir, le processus d'évolution biologique, qui va de l'apparition de la première cellule vivante à l'émergence de la conscience chez l'Homme, s'étend sur des milliards d'années, en regard desquelles la progression qui va des Mammifères supérieurs à l'être humain semble infime, aussi bien par sa durée que par le nombre relativement limité des modifications anatomiques et biologiques auxquelles elle correspond. Ce qui fait appel à la notion de race(435(*)). Cependant, les rapports de l'homme (histoire) avec les animaux ( prédiction et l'ingénierie sociale) sont fondés, depuis la préhistoire, sur un antagonisme initialement lié, pour les uns et les autres, aux nécessités de la survie. L'Homme, attaqué par les animaux, depuis les temps les plus reculés, a dû se défendre. D'autre part, il lui a fallu pratiquer la chasse pour assurer son existence. Les techniques qu'il a inventées, de plus en plus perfectionnées au fil des âges, lui ont permis d'assurer sa suprématie. C'est ainsi que, très tôt, le Chien a été domestiqué et dressé par l'Homme pour l'aider à capturer ses proies. Plus tard, l'élevage (tel que l'on le rencontre chez les Tutsi) ayant remplacé la chasse, c'est des animaux encore que devait dépendre la subsistance de l'être humain - surtout celle des Tutsi qui ne s'en « nourrissent presque pas ». Etant donné la dépendance totale dans laquelle ils se trouvent par rapport aux animaux, l'Homme se devait de traduire cette situation dans ses croyances religieuses et ses mythes. Les ethnologues ont d'ailleurs observé la présence privilégiée de l'animal dans toutes les mythologies des peuples « primitifs »(436(*)) existant encore aujourd'hui. Ce processus de divinisation marque le début de la rupture entre l'humanité et le règne animal, l'animal divinisé devenant finalement étranger à l'Homme. Les exigences de rentabilité augmentant à travers les siècles jusqu'à devenir la motivation essentielle de toute activité humaine, la rupture acheva de s'effectuer quand l'Homme fut amené à considérer les bêtes comme des objets utiles ou nuisibles qu'il s'arrogea le droit d'entretenir ou de détruire selon ses besoins. Aujourd'hui, le milieu artificiel créé par la société industrialisée implique une ignorance totale du monde naturel, au détriment duquel l'Homme a longtemps cru pouvoir développer sans risque une vie urbaine hypertrophiée, dont la seule finalité semble désormais être sa propre expansion. Cependant, il n'est plus possible de douter que la destruction d'espèces végétales ou animales(437(*)) ne perturbe profondément l'équilibre écologique du monde vivant, dans lequel chaque élément est nécessaire à la survie de l'ensemble, c'est la théorie fonctionnaliste. Aujourd'hui, l'Homme est amené à reconsidérer sa position au sein de la nature. Les travaux des naturalistes et fonctionnalistes ont montré que les liens qui rattachent l'Homme aux animaux supérieurs ne relèvent pas simplement de la biologie, mais qu'ils s'étendent au domaine psychologique. Entre l'instinct animal et l'intelligence humaine, il n'existe pas de rupture radicale, mais une succession de stades évolutifs au terme desquels se situe l'apparition de l'Homme, c'est encore le caractère mathématique dont la succession renvoie au nombre ð. Les trois éléments constitutifs de cette deuxième partie, tirés de l'analyse mutuziste des poèmes dynastiques, apparaissent clairement : les techniques et les structures socio-économiques et linguistiques où on traite de l'activité banyarwandaise. On trouve, comme second élément, la poésie dynastique du Ruanda et les valeurs qu'elle défend et dont le manque de correspondance et corrélation entre les ethnonymes (Hutu - Tutsi - Twa) et du glossonyme kinyarwanda laisse bien percevoir le temps entropologique. Le troisième et dernier élément se situe dans la problématique de l'intégration et de la diffusion même du mythe de l'appartenance autour de la vache et le peuple du mythe, les Tutsi. * 433 Cette présentation est clairement exposée à la préface de Des Nations sans Etat à l'Etat sans Nation. Mais Quand on s'attèle à la vision de Ngoma Binda sur l'oeuvre de Mutuza on s'aperçoit que l'on est déjà dans une réduction opératoire : « De même le professeur Mutuza Kabe a rassemblé une demie douzaine d'articles publiés, ça et là, sur l'histoire des peuples des Grands Lacs et sur les concepts de développement, de sous développement, de civilisation, etc. ». (in La formation civique et politique...p. 118. Jugement malhonnête et maladroit. Une chose est de dire que Mutuza a réfléchi sur les Pays des Grands Lacs, une autre est d'affirmer ce que Ngoma Binda fait péremptoirement et présomptueusement. * 434 NGOMA BINDA, La formation civique et politique comme préalable de la démocratie, p. 118. Ses positions si importantes soient-elles ne sont qu'historicistes et renferment de bonnes intentions d'un citoyen de bonne formation mais ne se situent pas dans une théorisation bien encragée pour que ses intentions ne fourmillent des énoncés ad hoc. * 435Nous prenons la race comme une notion en raison de sa corrélation avec l'idée abstraite de différenciation des hommes qui semble être fruit d'une construction intellectuelle. Nous pourrions même dire que le substantif race est un concept. Mais n'ayant pas pour seule caractéristique de principe général ou d'idée directrice (de quelque chose), ou encore d'idée (de produit ou de service) développée par un entrepreneur ou comme représentation mentale (de quelque chose) réduite à l'essentiel, nous tenons pour notion l'idée de race. * 436 Que l'on ne nous tienne pas rigueur à cause de l'usage du mot primitif dont les plaies ne sont pas encore bien cicatrisées depuis les blessures par l'anthropologie traditionnelle et coloniale. Primitif est ici utilisé dans le sens d'authentique tel que Bergson l'utilise dans Les deux sources de la morale et de la religion, p. 133 Où il est dit que « sous l'influence de circonstances accidentelles, tandis que le progrès de la technique, des connaissances, de la civilisation enfin, se fait pendant des périodes assez longues dans un seul et même sens, en hauteur, par des variations qui se superposent ou s'anastomosent, aboutissant ainsi à des transformations profondes et non plus seulement à des complications superficielles. Dès lors on voit dans quelle mesure nous pouvons tenir pour primitive, absolument, la notion du tabou que nous trouvons chez les « primitifs » d'aujourd'hui ». Autres références chez CAZENEUVE, in Traité de Sociologie (sous la direction de G. Gurvitch), t. II, 1960, p. 426, n. 1. Mais seulement quand Bergson parle de la présence primitive sous la surface de la société civilisée, revêt ce terme d'un sens moral péjoratif inacceptable en science anthropologique. * 437 Dans cette étude, nous sommes en face de deux civilisations : pastorale et agricole. Le danger est d'autant plus grand pour la pastorale que pour l'agricole. Nous le verrons dans la suite. |
|