§2. Sens et interprétation du mythe
Dès l'origine, le mythe soulève
un problème de sens et d'interprétation. Les controverses se sont
accumulées quant à sa valeur et à son statut.
v Mythe, histoire et raison
Dans la Grèce archaïque,
ìýèüò (mythos) et
ëüãïò (logos) ne
s'opposent pas. Tous les deux désignent un récit sacré
concernant les dieux et les héros. Pourtant Xénophane, Platon et
Aristote exaltent la raison et dénient au mythe la capacité
d'appréhender le réel. À la notion de mythe, la tradition
judéo-chrétienne oppose celle de l'histoire : le Dieu des
Hébreux et des chrétiens est révélé à
l'humanité à travers son histoire ; Dieu a été
révélé à Moïse dans l'Égypte des
pharaons. Bien que fondamentales, ces distinctions entre raison et mythe, entre
mythe et histoire, ne furent jamais tout à fait absolues.
À propos de certains mythes, Aristote vieillissant
conclut que ìýèüò
(mythos) et ëüãïò
(logos) peuvent, dans certains cas, se chevaucher. Platon utilise le
mythe à titre d'allégorie et comme procédé
littéraire lui permettant de développer un argument. Enfin,
mythe, raison et histoire coexistent dans le prologue de l'Évangile
selon saint Jean : « Au commencement était le Verbe
et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était
Dieu. »
Néanmoins, la place du mythe et de
l'histoire dans la Bible a été l'objet d'âpres
débats de la part des premiers théologiens.
· Mythique et
réalité
La question de savoir si c'est le mythe, la
raison ou l'histoire qui exprime le mieux la réalité des dieux,
des humains et de la création s'est prolongée dans la culture
occidentale. Adoptés et assimilés par les Romains, les mythes
grecs continuent d'inspirer écrivains, philosophes et artistes de la
Renaissance ou de l'ère romantique. Des éléments de
mythologies païennes persistent en tant que substrat folklorique de
diverses cultures européennes.
Le siècle des Lumières et le romantisme
renouvellent, à travers l'élaboration des théories
évolutionnistes et la promotion de nouvelles disciplines,
l'intérêt pour le mythe. Bien que rationaliste, le siècle
des Lumières s'intéresse à toutes les formes d'expression
humaine, y compris à la religion et à la mythologie. Soucieux de
donner un sens aux mythes, en apparence irrationnels et fantastiques, les
philosophes « éclairés » considèrent
les mythes comme l'expression d'un effort intellectuel pour expliquer le monde,
comme une étape dans l'évolution de la pensée humaine,
allant de l'ignorance et de l'irrationnel vers le rationnel.
Ils voient également dans les mythes un aspect de
l'évhémérisme, c'est-à-dire de la divinisation des
vertus d'un être humain. Toutefois, plus important qu'aucune des
théories sur les mythes, reste le développement de disciplines
consacrées à la mythologie : en anthropologie sociale et
culturelle, comme en histoire des religions, les chercheurs commencent à
prendre en compte les mythes extra-européens et envisagent la mythologie
dans une perspective universelle.
Avide de nouvelles sources culturelles et
intellectuelles, le romantisme se tourne vers les mythes indo-européens
et, considérant le mythe comme une forme irréductible
d'expression humaine, lui prête, en tant que mode de pensée et de
perception, un prestige égal si ce n'est supérieur à la
compréhension rationnelle de la réalité.
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