Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe( Télécharger le fichier original )par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012 |
§2. Domination et temps anthropologique face à la notion universelle de l'infiniL'étude comparative des monuments littéraires brièvement analysés est l'étude comparative des civilisations que ces monuments représentent ou, plutôt, dont ils font parti. Une confrontation de deux civilisation sur le plan anthropologique entraîne inévitablement des jugements de valeur, car la notion même de civilisation est une de valeurs entendues tant objectivement que subjectivement. Cette constatation éveille immédiatement chez l'observateur la problématique non seulement de l'étude comparative des civilisations, mais aussi celle des civilisations étudiées en elles-mêmes et par rapport à leur évolution historique. C'est toute une problématique de valeurs qui déborde le domaine strict de la science positive, l'avions-nous déjà dit plus haut, et qui contraint à la spéculation philosophique. Dans l'examen comparatif des valeurs rencontrées dans les poèmes dynastiques nous avons constaté des inégalités lesquelles, pour éviter de se laisser entraîner dans le domaine des jugements de valeur, nous situons provisoirement dans la catégorie quantitative. Et c'est notamment dans le domaine des valeurs matérielles, morales et intellectuelles que nous avons constaté l'inégalité. La place quasi exclusive que le bétail bovin occupe dans l'échelle des valeurs matérielles(636(*)) donne la mesure de la limitation du monde de ces valeurs par rapport à la gamme considérablement plus étendue que nous rencontrons dans la civilisation des Hutu. Cette inégalité considérée dans le temps chronologique conventionnel soulève des difficultés graves surtout par rapport à la théorie classique de l'évolution des civilisations dans le temps. Si le sociologue français G. Gurvitch a analysé les différentes formes de « temps sociaux » exprimés au sein des groupements particuliers comme dans celui des types de sociétés globales, nous croyons que les individus prennent conscience des événements ou des avènements personnels ou collectifs en vivant de temps différents (le psychologue parlera plutôt de durées polydimensionnelles) selon la structure des collectivités. Celles-ci sont déterminées par le milieu géographique ambiant (exemple des saisons, des moissons, etc.), ou par le caractère des civilisations proprement dites ou selon les groupements particuliers dont les activités se superposent ou se combinent avec la société globale. En analysant les éléments psychodynamiques de chaque société ou de chaque groupement nous trouvons une identité qui se dessine par une entropie sociale. C'est une affliction, et la vraie dimension du temps devient la désintégration. Ce qui nous rassure d'introduire une dimension nouvelle du temps que nous appelons temps entropologique. Peut-on définir ce qu'est le temps ? Il est impossible de définir le temps dans ses trois dimensions (passé, présent et avenir) ; définir le temps, ce serait dire : « le temps, c'est... ». Or, on ne peut demander ce qu'est le passé (qui n'est plus) ou l'avenir (qui n'est pas encore) : seul le présent est, mais le présent n'est pas la totalité du temps. Plus qu'une chose à définir, le temps est la dimension de ma conscience, qui se reporte à partir de son présent vers l'avenir dans l'attente, vers le passé dans le souvenir et vers le présent dans l'attention (Saint Augustin). En quoi la conscience est-elle temporelle(637(*)) ? Edmund Husserl montre comment la conscience est toujours conscience intime du temps. Si je regarde à l'intérieur de moi, je n'y trouve pas une identité fixe et fixée d'avance, mais une suite de perceptions sans rapport entre elles (le chaud puis le froid, le dur puis le lisse par exemple). C'est alors la conscience du temps qui me permet de poser mon identité : la conscience du temps me permet de comprendre que dans cette suite de perceptions, ce n'est pas moi qui change, mais c'est le temps qui s'écoule. Mon identité est donc de part en part temporelle. Surtout, la perception suppose que ma conscience fasse la synthèse des différents moments perceptifs : j'identifie la table comme table en faisant la synthèse des différentes perceptions que j'en ai (vue de devant, de derrière, etc.). Or, cette synthèse est temporelle : c'est dans le temps que la conscience se rapporte à elle-même ou à autre chose qu'elle. Si le temps n'est pas une chose, qu'est-il ? Selon Emmanuel Kant, le temps n'est ni une intuition (une perception), ni un concept, mais plutôt la forme même de toutes nos intuitions : cela seul explique que le temps soit partout (tout ce que nous percevons est dans le temps) et cependant nulle part (nous ne percevons jamais le temps comme tel)(638(*)). Nous ne pouvons percevoir les choses que sous forme de temps et d'espace ; et ces formes ne sont pas déduites de la perception, parce que toute perception les suppose. La seule solution consiste donc, pour Kant, à faire du temps et de l'espace les formes pures ou a priori de toutes nos intuitions sensibles : le temps n'est pas dans les choses, il est la forme sous laquelle notre esprit perçoit nécessairement les choses. Quelle est la solution proposée par Bergson ? Ni le passé, ni l'avenir ne sont : seul l'instant présent existe réellement, et le temps n'est que la succession de ces instants ponctuels de l'avenir vers le passé. Quand nous essayons de comprendre le temps, nous le détruisons en en faisant une pure ponctualité privée d'être. Henri Bergson montre ainsi que notre intelligence comprend le temps à partir de l'instant ponctuel : elle le spatialise, puisque la ponctualité n'est pas une détermination temporelle, mais spatiale. Le temps serait alors la succession des instants, comme la ligne est une succession de points. Notre intelligence comprend donc le temps à partir de l'espace : comprendre le temps, c'est le détruire comme temps. À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps ou « durée ». À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps, ou « durée » : la durée, c'est le temps tel que nous le ressentons quand nous ne cherchons pas à le comprendre. Elle n'a pas la ponctualité abstraite du temps : dans la durée telle que nous la vivons, notre passé immédiat, notre présent et notre futur immédiat sont confondus. Tout geste qui s'esquisse est empreint d'un passé et d'un avenir : se lever, aller vers la porte et l'ouvrir, ce n'est pas pour notre vécu une succession d'instants, mais un seul et même mouvement qui mêle le passé, le présent et l'avenir. La durée n'est pas ponctuelle, elle est continue, parce que notre conscience dans son présent se rapporte toujours à son passé et se tourne déjà vers son avenir. La durée non mesurable, hétérogène et continue est donc le vrai visage du temps avant que notre intelligence ne le décompose en instants distincts. Sous quel signe le temps place-t-il notre existence ? Non seulement le temps place notre existence sous le signe de l'irréversible, mais il éveille en nous la possibilité d'une conscience morale : je me reproche mon passé parce que je ne peux rien faire pour annuler les erreurs que j'ai commises. Parce que le temps est irréversible, je crains mon avenir et je porte le poids de mon passé ; parce que mon présent sera bientôt un passé sur lequel je n'aurai aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie. Selon Martin Heidegger, c'est même parce qu'il est de part en part un être temporel que l'homme existe. Les choses sont, mais seul l'homme existe (au sens étymologique) : l'homme est jeté hors de lui-même par le temps. Être temporel, ce n'est donc pas simplement être soumis au temps : c'est être projeté vers un avenir, vers du possible, avoir en permanence à choisir et à répondre de ses choix (ce que Heidegger nomme le souci). Le temps fait-il de la mort notre horizon ? Si je ne savais pas d'avance que je vais mourir un jour, si je n'étais pas certain de ne pas avoir tout le temps, je ne me soucierais pas de ma vie. Ce n'est donc pas la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui nous vient de la mort (Heidegger). Je ne meurs pas parce que je suis un être temporel et soumis aux lois du temps, au contraire : le temps n'existe pour moi que parce que la perspective certaine de ma mort m'invite à m'en soucier. Et comme personne ne pourra jamais mourir à ma place, personne ne pourra non plus vivre ma vie pour moi : c'est la perspective de la mort qui rend chacune de nos vies uniques et insubstituables. Pour bien comprendre cette vocation, les ouvrages marxistes se devaient de montrer le monde capitaliste sous le jour le plus haïssable, technique impérieuse pour préparer la force psychologique de combat de la masse prolétarienne. Il était cependant inopportun de prétendre que tous les patrons ou propriétaires d'entreprises, ou de toute organisation commerciales « à but lucratif » ne pouvaient qu'abuser des salariés dans un but exclusif de lucre au mépris de tout humanisme. C'est le problème réel de la domination que l'on rencontre dans les études de Mutuza. Ses affirmations nous poussent à la recherche du contenu du concept domination. La domination des Tutsi sur les Hutu qu'on nous présente ressemble à une mécompréhension des termes. Puisque les mauvais trafiquants entreprennent de rendre le phénomène social de mauvais aloi, en obscurcissant la clarté du concept par un mélange avec des pensées hérétiques et fausses, par ignorance de la culture ainsi observée, soit parce qu'ils les reçoivent - et c'est mal - comme bon leur semble, ils le tirent dans le sens qui vient au secours de leur propre méchanceté, et disent, pour détruire le Ingoma des Hutu, que la vache comme valeur matérielle s'accorde à leur pensée : la soumission de Hutu, puisqu'une telle compréhension de la soumission manifeste une certaine idée de consensus des deux communautés. C'est pourquoi il a paru nécessaire d'examiner avec soin une telle idée de domination qui touche à ce sujet, afin de montrer que la culture des Hutu est véritablement pure de toutes souillures, exempte de toutes les considérations occidentales de la soumission ou de la domination, sans mélange avec elles. * 636 POPPER, K., La Connaissance objective, p. 336. * 637 Kant, écrit Popper, a fait une « distinction tranchée (...) entre l'intuition et la pensée discursive n'est pas soutenable. L'intuition, quoi qu'on désigne sous ce nom, est en grande partie le produit de notre développement culturel de notre pratique de la pensée discursive. Il est difficile d'accepter l'idée kantienne d'un modèle unique d'intuition pure qui nous serait commun à tous ... » (La Connaissance objective, p. 218). * 638 Kant a profondément souffert d'un cauchemar et il échoué dans sa tentative d'y échapper ; voir l'excellente présentation que fait Compton de « l'échappatoire kantien » dans The Freedom of Man, pp. 67sq. Qu'on nous permette de préciser ici que Popper n'approuve pas tout ce que Compton a à dire dans le domaine de la philosophie des sciences. Voici quelques exemples de conceptions qu'il ne partage pas : l'approbation par Compton du positivisme ou du phénoménalisme de'Heisenberg (The Freedom of Man, p. 31) ; et certaines remarques reprises à Carl Eckart : bien que Newton n'ait pas été lui-même, semble-t-il, un déterministe. |
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