Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe( Télécharger le fichier original )par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012 |
Section 3. Prédiction et critique du mythe Hima-Tutsi§1. Acquisition de la notion de cohésion d'un groupe du point de vue pragmatistePour avoir conscience de l'existence d'une communauté, qu'elle soit minoritaire ou majoritaire par rapport à un autre groupe, concurrent ou non, il faut que chaque membre ait non seulement une impression d'union, de cohésion de ce groupe, mais que ce groupe ait également des représentants, des chefs ou un chef suprême qui peut être un dieu. Avec la question de la prédiction, l'opposition entre réalistes et antiréalistes déborde du domaine de l'abstraction et de la spéculation pour s'étendre à des préoccupations méthodologiques. Le pouvoir de prédiction des théories est un thème capital pour les philosophies privilégiant tout particulièrement l'action scientifique. Il soulève toutefois des problèmes dépassant le seul domaine des applications de la science. Ainsi, même quelqu'un estimant que la science vise seulement une description vraie du monde valorisera au plus haut point la justesse des prédictions. En effet, il y trouvera sans doute une confirmation indirecte de la justesse de la description conduisant à une telle prédiction. Mais quel que soit l'intérêt que l'on accorde aux prédictions, elles ne seront sans doute prises au sérieux que s'il s'agit d'extrapolations à partir de faits établis. Ainsi, on attend d'une loi, ou d'une relation causale, qu'elle soit vraie dans d'autres situations ou qu'elle s'applique à d'autres expériences que celles qui ont permis de l'établir. Sous prétexte que l'on a fait bouillir de l'eau à 100 °C tous les dimanches de l'an 2000, on ne considère pas comme une loi l'énoncé suivant : « Tous les dimanches de l'an 2000, l'eau est entrée en ébullition à 100 °C ». Il serait plus fécond de dire : « Le dimanche, l'eau bout à 100 °C », ou encore mieux : « L'eau bout à 100 °C ». Cette dernière formulation est jugée plus féconde dans la mesure où sa généralité permet d'anticiper ou de prévoir ce qui va se passer lorsque la température de l'eau atteindra 100 °C. En un sens, en étendant le pouvoir de la connaissance le caractère prédictif l'enrichit et la complète. La philosophie des sciences ne se limite pas à des thèmes aussi généraux et abstraits que les précédents. L'importance des facteurs humains transparaît surtout dans des philosophies croisant l'histoire ou la sociologie. La situation en France en donne un bon exemple pour deux raisons : d'une part, la tradition philosophique française des deux derniers siècles est fortement encline à l'histoire des idées ou au commentaire ; d'autre part, l'épistémologie française a longtemps été peu perméable au positivisme logique que l'on sait souvent radicalement anhistorique. Quelques noms prestigieux -- Pierre Duhem, Gaston Bachelard, Georges Canguilhem, Alexandre Koyré -- peuvent illustrer l'association étroite existant entre une certaine épistémologie à la française et l'histoire des sciences. Dans cette tradition, l'histoire est fréquemment au moins un accessoire méthodologique. Ainsi, la thèse la plus fameuse de Bachelard consiste à dire que ce qu'il appelle « l'esprit scientifique » progresse de manière dialectique, en s'opposant parfois à lui-même et en opérant des ruptures épistémologiques par rapport à des connaissances périmées ou mal placées. Par exemple, il serait urgent de rompre radicalement avec avis et jugements relevant de ce que Bachelard appelle « opinion » ou « sens commun ». Or, c'est en puisant largement dans l'histoire scientifique des derniers siècles qu'il entreprend d'étayer cette thèse. Un regain d'intérêt pour la dimension humaine ou sociale des sciences s'est manifesté également dans la philosophie anglo-saxonne à partir des années 1960 avec le véritable best-seller qu'est encore aujourd'hui la Structure des révolutions scientifiques (1962) de Thomas Kuhn. Les thèses de Kuhn portent surtout sur la dynamique interne de la science. En particulier, elles prétendent que les scientifiques sont engoncés dans de véritables carcans intellectuels -- les fameux « paradigmes » --, à tel point qu'en période de crise ou de polémique, leurs prises de décisions théoriques ne relèvent guère de choix rationnels mais s'apparentent plutôt à de véritables conversions. Cet ouvrage iconoclaste a stimulé une profusion de travaux. Que ce soit dans le sillage de Kuhn, dans celui de l'histoire des idées, ou en réponse aux critiques souvent corrosives d'une sociologie des sciences particulièrement prolifique dans le dernier quart du XXe siècle, de nombreux travaux philosophiques contemporains accordent une place de premier plan à la dimension humaine des sciences, qu'elle soit d'ordre politique, social ou même cognitif. Et en effet, l'essor des sciences cognitives et le regain d'intérêt pour la philosophie de l'esprit ramènent certains courants de la philosophie des sciences vers la théorie générale de la connaissance. En somme, la philosophie des sciences d'aujourd'hui ne se réduit pas à un seul courant dominant mais présente, au contraire, de multiples facettes témoignant de sa vitalité. Cela nous permet de procéder à une critique, si critique, du grec êñéíù (Krinô), dont le spectre sémantique est distinguer, juger, passer au crible, choisir et trancher, etc. Son substantif est êñéóéò (Krisis), d'après lequel toute critique est comparative et judicative. Si le terme n'apparaît qu'au XVIIe siècle, la dialectique platonicienne à l'oeuvre dans le Sophiste notamment, ainsi que la condamnation pour parricide de Zoïle sous Ptolémée Philadelphe, premier critique connu d'Homère, attestent d'emblée que tout discours -- à plus forte raison en philosophie -- comporte de facto une dimension critique issue, notamment, de la tradition judiciaire et rhétorique grecque. C'est en philologie cependant que la critique entendue comme telle acquiert ses premières lettres de noblesse. À la Renaissance notamment, l'édition des auteurs anciens ainsi que l'établissement du texte biblique selon des critères historiographiques rigoureux concourent à asseoir sa spécificité. Est-il bien prudent de parler de connaissance à la fois plus vaste et plus assurée sous prétexte que certaines prédictions sont confirmées ? Disposant d'un ensemble de données présentant telle ou telle caractéristique, qu'est-ce qui garantit la justesse de l'extrapolation que l'on va en faire à des situations jugées comparables ? Rien. C'est du moins la réponse apportée --notamment par Hume -- au problème posé par le raisonnement inductif (ou induction), opérant par extrapolation, que ce soit en étendant un résultat à un autre cas particulier, en procédant à une généralisation ou encore à une anticipation sur l'avenir. « Qu'est-ce qui me garantit que le Soleil va se lever demain ? », demande Hume. Rien, si ce n'est -- encore une fois -- l'habitude. Un raisonnement déductif, par exemple de type logico-mathématique, est mal placé pour venir compenser directement les défaillances de l'induction car, à strictement parler, il opère sur des symboles. L'application du calcul à des situations expérimentales demande des règles pratiques -- et non pas logiques ou mathématiques -- dont la détermination des conditions de validité réintroduit, de façon plus ou moins visible, des problèmes de type inductif. C'est le pragmatisme logique. Le texte de Kelsen illustre bien la situation du pragmatisme juridique. Il note que « parce qu'elle est le fondement de validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre juridique, la norme fondamentale assure l'unité de ces normes dans leur pluralité. Cette unité s'exprime aussi dans le fait qu'un ordre juridique peut être décrit en propositions de droit qui ne se contredisent pas. Naturellement, on ne peut pas nier qu'il est possible qu'en fait des organes juridiques posent des normes entre lesquelles il y ait conflit -- en d'autres termes : qu'il est possible qu'ils posent divers actes dont le sens subjectif est un Sollen et que, si l'on admet que ces actes ont la même signification objectivement aussi, si on les considère également comme des normes, il y ait conflit entre ces normes. Un tel conflit de normes existe lorsqu'une de ces normes dispose qu'une certaine conduite doit avoir lieu, alors que l'autre dispose que doit avoir lieu une conduite inconciliable avec la première. Si, par exemple, la première de ces normes disposait que l'adultère doit être puni, et la seconde, que l'adultère ne doit pas être puni ; ou si la première disposait que le vol doit être puni de mort, la seconde que le vol doit être puni de prison(597(*)) ». Comme on l'a précédemment exposé [...] ce conflit ne consiste pas en une contradiction logique au sens strict du terme, bien que l'on ait accoutumé de dire que les deux normes « se contredisent ». Car les principes logiques, et en particulier le principe de non-contradiction, sont applicables à des assertions, lesquelles peuvent être ou vraies ou fausses ; et une contradiction logique entre deux assertions consiste en ce qu'une seule d'entre elles peut être vraie, ou la première ou la seconde ; et si l'une d'entre elles est vraie, l'autre doit nécessairement être fausse. Mais une norme n'est ni vraie ni fausse, une norme est valable ou non valable. « Par contre, ce qui peut être vrai ou faux, ce sont les assertions qui décrivent un ordre normatif et qui disent qu'une norme déterminée est valable selon cet ordre, et en particulier les propositions de droit qui décrivent un ordre juridique et qui énoncent que, selon cet ordre juridique, telles et telles conditions étant données, un acte de contrainte déterminé doit être fait ou ne doit pas être fait. C'est par ce biais que les principes logiques en général, et par suite le principe de non-contradiction en particulier, peuvent être appliqués -- directement -- aux propositions de droit qui décrivent des normes juridiques, et en conséquence -- indirectement -- aux normes juridiques elles-mêmes (598(*))». Par suite, ce n'est pas tellement une déviation que de déclarer que deux normes juridiques « se contredisent » l'une l'autre. Et, en conséquence, on ne peut considérer comme objectivement valable qu'une seule d'entre elles. Il y a dans l'idée que A doit être et en même temps ne doit pas être, autant d'absurdité que dans l'idée que A est et en même temps n'est pas. Tout de même qu'une contradiction logique, un conflit de normes représente une absurdité. « Mais la connaissance du droit cherche -- comme toute connaissance -- à concevoir son objet comme un tout pleinement intelligible, et à le décrire en propositions non contradictoires ; par suite, elle part de l'idée que les conflits de normes peuvent être et doivent nécessairement être résolus dans le cadre des matériaux normatifs qui lui sont donnés -- ou plus exactement imposés --, cela par la voie de l'interprétation »(599(*)). La différence ici, c'est que le pouvoir mythique du roi est une oeuvre des hommes, qui ainsi, d'une part, est impuissante à les sauver entièrement - et, d'autre part, n'est accessible qu'à quelques hommes. Au contraire - et nous arrivons ici à l'argument fondamental de Mutuza, l'histoire est animée d'une vertu salvatrice : « En effet, s'il existe chez tous les peuples des individus qui peuvent servir de modèle à l'humanité, il n'y a pas, sur la terre des hommes, un seul peuple, une seule race ou une seule nation qui puisse servir de modèle irrécusable aux autres. Mais les mythes ont une vie longue, d'autant plus longue qu'ils répondent aux intérêts de la domination. L'histoire de l'évolution de mythe hima-tutsi est simple et cohérente. Elle obéit à la logique de la domination. C'est ce que nous apprend Bernard LUGAN pour la région de Grands Lacs, dans son ouvrage polémique et fasciste »(600(*)) S'il faut parler clair, le mythe Hima-Tutsi, très utilitariste, élaboré de la science coloniale et de ceux qui lui ressemblent a été utile à peu, si même elle leur a été utile, tandis que la manière de ceux qui, comme Mutuza, ont écrit de façon à la fois plus simple et pratique (ðñáãìáôéêþò) et capable de persuader la masse, a été utile à bien plus. La science colonial, on peut le voir, n'est dans les mains que de ceux qui paraissent philologues. Nous ne disons pas cela pour condamner la science coloniale, car elle a apporté beaucoup de belles choses aux hommes, mais pour montrer le dessein de ceux qui disent que « leur parole n'est pas dans la persuasion des paroles de mythes, mais dans la manifestation de l'histoire ». Nous voulons bien accorder que certaines valeurs sont bien communes à l'humanité, mais on n'y trouve pas la même explication pour soumettre les faibles. Nous sommes ici au fond de la question. L'histoire pour Mutuza est moins une doctrine qu'une force des doctrines qui change le cours des événements des hommes. Il est remarquable qu'en cette recherche qui oppose Mutuza à Musey, les vrais arguments de part et d'autre, ne soient pas philosophiques. Ou plutôt, cela n'est pas étonnant, car, en tant que philosophes, ils sont près d'être d'accord, mais le débat porte sur les faits. Il s'agit de savoir où l'on reconnaitra la vraie réalisation des principes sur lesquels ils sont d'accord. Musey pense que c'est dans l'archéologie, c'est-à-dire dans l'écriture que la prédiction des faits est cohérente et conteste l'historicisme qui est un mode fondamentaliste de la science. Il est donc permis à l'archéologie de faire surgir, d'après tout son mécanisme connu ou supposé, cette grande famille de faits (car c'est ainsi qu'on devrait se la représenter si cette parenté dite universelle doit avoir un fondement- au sens kantien) des traces, qui subsistent des plus anciennes révolutions des faits. Au contraire, l'argument essentiel de Mutuza, c'est l'efficacité de l'histoire pour la prise de conscience de l'homme. « L'argent de corruption perd, chez les Bantu, sa puissance magique là où le sang a été abondamment versé. Notre responsabilité est grave et nous sommes irrévocablement compromis devant la génération de demain si nous ne parvenons pas à régler aujourd'hui la guerre qui continue à sévir à l'Est de notre pays »(601(*)). Le Mythe Hima-Tutsi nous pousse encore loin dans l'analyse. A l'intérieur d'une même problématique qui est la vision du monde comme vie de l'homme, la réponse de Mutuza est différente de celle de Musey. Musey dit, avec Platon : la prédiction est possible, mais la croyance en une technologie sociale est incontestablement une croyance en une forme d'historicisme. Cependant, comme les termes que Mutuza utilise pour caractériser l'historicisme d'une part, la technologie sociale de l'autre sont quelque peu réversibles (pile la prophétie déterministe, face à un ensemble d'hypothèses prédictives accessibles au test), on peut avoir l'impression qu'ils sont à des années-lumières l'un de l'autre. Mais ce n'est le cas que parce que la même opération linguistique est décrite par Mutuza comme de la métaphysique ou comme une méthode subjective, suivant ce qu'elle prédit, ou pourquoi, ou dans combien de temps. A l'évidence, il y a des types de prophétie qui sont essentiellement impossibles à tester. « Le Royaume de Dieu viendra » ou « l'exploitation de l'homme par l'homme prendra fin » n'ont aucun contenu d'information observable. Je peux toujours prétendre que ce type de prophétie a en fait été réalisée, et personne ne peut me traiter de menteur. Citoyen Mutuza ravale ce genre de prétention au domaine de la fantaisie apocalyptique. De même, l'affirmation « la mondialisation sera finalement réalisée » ne risque jamais d'être réfutée, à la fois parce que nous ne nous sentirons peut-être jamais forcés de nous mettre d'accord sur ce qu'est la mondialisation, et ce que signifierait sa réalisation, et parce que même si nous étions d'accord, « confiture demain » demeurerait à jamais compatible avec « jamais avoir confiture aujourd'hui ». Ce truc est vieux comme Hérode, et si l'historicisme n'était jamais rien d'autre que de la prophétie irréfutable, nous pourrions aller vaquer. Mais lorsqu'une prédiction n'est plus métaphysique mais « observationnelle », s'agit-il de l'abracadabra de la prophétie historiciste ou de la prédiction scientifique de la technologie sociale ? Mutuza implique que c'est le tour de passe-passe lorsqu'elle est à grande échelle, et la science politique, lorsqu'elle porte le détail. Mais le mot-clé du « détail », dans ce contexte, n'est rien d'autre qu'un procédé-clé pour se dispenser de répondre à la question. C'est dans le même cas que nous trouvons les mots diaspora, citoyenneté transfrontalière, minorité, etc. Autant que nous ayons pu nous en assurer, Citoyen Mutuza ne définit nulle part ce que c'est qu'un « détail » ou une minorité; nous avions dit que lire le mot comme s'il se rapportait à la taille ou à l'ampleur des chantiers de réforme serait évidemment erroné ; pas à pas ou petit à petit, tout cela est bien trop subjectif et réversible pour nous laisser dire d'une mesure sociale si c'est ou non une mesure de détail. C'est donc avec les premiers Blancs qui furent venus chez nous que l'on rencontre la nuance de minorité. Mutuza et Musey le disent õðñ ôïà öÌ Þóõ÷ßáò ìÞ ðåñéóðþìåíïí (avec plus de tranquillité et moins de distraction), car, ayant vécu ce qu'il racontent, une ðß÷áñé (grâce particulière) juche sur la vie de peuple bantu avec une äõíÜìéò (vertu) de la culture de « cette région...érigée en royaumes et que ces royaumes étaient dominés par la minorité hema-tutsi. Hantés par les préjugés de l'homme blanc, créateur des civilisations et, retrouvant chez les Tutsi les « faciès » ressemblant aux leurs, ils en conclurent que cette minorité, comme eux, était faite pour dominer la majorité bantou »(602(*)). En fait, Mutuza emploie le mot minorité comme un synonyme pour négligeable. Un acte minoritaire d'ingénierie est un acte dont nous pouvons discerner et juger les effets dans un avenir fini, de préférence avant que nous ne soyons tous morts. On peut aussi le supposer qu'il est économique : « Ceci dit, nous croyons plus que quiconque à la méritocratie, mais à une méritocratie sans qualification prédéterminée, comme l'idéologie la plus appropriée pour l'établissement de la démocratie au Congo et dans les pays des Grands Lacs »(603(*)) Toutefois, Mutuza apporte ici, comme partout, sa marque personnelle. Tout le travail que nous essaierons d'accomplir sera précisément de nous efforcer de discerner dans sa croyance en l'ingénierie sociale ce qui est l'écho de la tradition politique des Tutsi et ce qui est l'influence du dehors. Nous aurons ainsi à le situer dans le courant de la vie de la communauté universitaire et dans la culture de son temps. C'est seulement ainsi que nous pourrons avoir de lui une vue exacte. Or trop souvent on a confondu les deux choses et identifié chez les Bantu discrétion et lâcheté. Nous voudrions ici, comme pour les autres questions, montrer chez Mutuza ce double aspect. C'est d'ailleurs ce que nous avons dit de Mutuza : sa croyance en l'ingénierie sociale se trouve exposée dans tous ses ouvrages sans aucune exception, puisqu'ils sont tous fondés sur l'emploi de la méthode subjective, y compris l'Apport de la Psychologie dans la formation du juriste. Toutefois, nous avons la chance de posséder un exposé systématique de la méthode subjective par Mutuza lui-même : le quatrième chapitre de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi est, en effet, consacré à la nationalité anthropologique et à son interprétation. Il y a là dedans le panafricanisme, la citoyenneté transfrontalière, la diaspora, la méritocratie des minorités, la xénophobie des Congolais, la politique de ses moyens et beaucoup d'autres thèmes dignes de prédiction sociale : la fin de l'existence des Bantu dans les pays des Grand Lacs. Il est désormais question de comprendre que les poèmes dynastiques, pour nous en tenir à l'acte héroïque fondé sur la force physique, nous permet vite de constater une similitude frappante avec les thèmes des spécialistes en Sciences Sociales entre les deux conceptions et traitements poétiques. Nous nous contenterons de citer deux extraits décrivant le même exploit, la lutte du corps à corps avec le lion : « Pareil à l'Archer qui brandit un bâton de pasteur Dont d'un coup il asséna un Lion, Qui, pour enlever les génisses, était aux aguets. Il le frappa, telle la foudre des airs, Il le fendit, une bonne fois, comme d'une hache le bois Et répandit à terre les perles de son collier. Il était bien trempé le bâton de cet Archer ! Il l'en broya comme le marteau fait le minerai, Et le Porte-crinière fut chassé par le Victorieux ! » (P. 170, p. 92) On voit bien là une hypothèse faite sur les conséquences probables d'une mesure politique publique appartenant à la technologie sociale lorsqu'elle est exposée au test du succès ou de l'échec, au tour de passe-passe lorsqu'elle ne l'est pas. Mais les deux sont historicistes en ce qu'elles présupposent une science de la société, la possibilité de savoir ce qui lui fait faire tic-tac comme ceci, aussi bien comme cela. C'est un néo-darwinisme qui se dessine. Dans ce contexte la position de Mutuza est très forte, car, comme il le remarque, c'est aux occidentaux, alliés de l'AFDL que les Bantu s'attaquent en même temps qu'aux Tutsi qui sont leurs chiens de chasse: « Considérées en elles-mêmes, les dix leçons du Programme de l'idéologie politique de l'AFDL, nous l'avons dit, est un amalgame des concepts, des propositions et des jugements juxtaposés les uns à côté des autres sans aucun raisonnement renforcé par une argumentation solide ne vienne les coordonner logiquement et systématiquement, de manière à leur faire dégager un corps d'idées clairement structurées et définies, susceptibles d'influencer la pensée et le comportement des membres de la communauté nationale c'est-à-dire, une théorie inspiratrice et justificatrice de l'agir social nouveau »(604(*)). C'est dans le cadre du consensus que Mutuza donne un tableau des moyens culturels, qu'il tire de Papadopoulos, prouvant la dépendance des Hutu et la domination (apparente) des Tutsi sur l'organisation politique, tout en donnant une valeur numérique absolument conventionnelle et illustrative. Là Mutuza montre sa position personnelle vis-à-vis de la communauté du discours. Tout conspire à faire de Mutuza un ingénieur social incontesté. Sa croyance en l'historicisme ouvre la voie à une critique du néo-darwinisme qui s'attaque au mythisme. * 597 KELSEN, H., Théorie pure du droit, trad. Cité par Eisenmann Charles, Paris, Dalloz, 1962. Obèse est cette note, nous ne le regrettons pas parce qu'elle nous a permis de comprendre le pragmatisme juridique et vu la complexité des sujets traités et notre totale dépendance de multiples sources, faire appel à des notes nombreuse et quelque fois obèses. Nous demandons au lecteur de bien vouloir nous passer condamnation sur ce poin. D'ailleurs, il peut, sans devoir aller de l'étage au sous-sol, se faire une juste idée de l'ensemble des choses, comme le dit Gustave Martelet. * 598 Idem. * 599 Idem. * 600 MUTUZA, Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 44-45. * 601 Ibidem, p. 86. * 602 MUTUZA, Ibidem, p. 78. * 603 Idem. * 604 Ibidem, p. 49. |
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