C - Une reconnaissance
En analysant les prix qui récompensent les
créations des éditions Møtus, en faisant un détour
sur les étalages des bibliothèques et des librairies, et en
consultant les revues de littérature pour la jeunesse, nous pourrons
tester la visibilité de ses productions. Ceci constituant un des
critères pour rendre la poésie plus accessible, nous pourrons
ainsi vérifier si l'objectif est atteint.
1 - Les prix de poésie
Le nombre de prix littéraires en France, très
médiatisés pour la plupart, rythme les saisons des lecteurs et
des éditeurs. Tout est établi de façon à ce que les
sorties des ouvrages,
1Ibid.
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susceptibles de recevoir un prix, entrent dans un calendrier
annuel préétabli. La durée médiatique du livre
lauréat est courte et le prix reçu laisse la place à un
second prix programmé. A l'instar du catalogue, le prix est aussi une
vitrine pour l'éditeur et permet un accroissement des ventes
considérable de l'ouvrage sélectionné, ainsi que celui des
ouvrages nominés. Or en poésie générale, il existe
beaucoup de prix mais pratiquement aucun n'est relayé par les
médias. Ici encore, le passage de l'information se fait dans un cercle
intime de connaisseurs et d'amateurs (Prix Max jacob, Prix
Guillaume Apollinaire, Prix du Printemps des Poètes...)
relayés par des cercles de poètes, des villes, des maisons
de poésie, des sites internet qui souvent sont en même temps
à l'origine de ces prix.
Pour ce qui est de la littérature pour la jeunesse, peu
de ces prix de poésie se font le relais des publications pour la
jeunesse. D'ailleurs, il en existe peu et l'on peut se demander si la double
étiquette de « genre mineur » n'est pas dans ce domaine
presque palpable. La littérature pour la jeunesse, et la poésie
en particulier suscitent des débats vifs sur sa légitimité
qui auraient tendance à réduire aussi sa visibilité et son
besoin de reconnaissance, à côté d'une littérature
plus générale. Pourtant et grâce à des relais qui
veulent sortir la poésie de son carcan, quelques initiatives, même
rares, sont à souligner. Il faut cependant, à y regarder de plus
près, constater aussi que quelques grands prix de littérature
pour la jeunesse, de renom, ne prennent pas non plus la position de passeur de
poésie. En effet, Les prix Sorcières, par exemple qui est
peut-être le prix le plus médiatisé en littérature
pour la jeunesse ne propose pas de catégorie poésie.
Rappelons que le Prix Sorcières est un prix qui distingue chaque
année, depuis 1986, une oeuvre de la littérature jeunesse,
sélectionnée parmi les publications par l'Association des
Libraires Spécialisés Jeunesse (ALSJ) en partenariat avec
l'Association des bibliothécaires de France (ABF) depuis 1989. Pourtant,
la revue « Citrouille » de l'ASLJ publie tous les mois un magazine
d'information sur la littérature jeunesse, dans lequel apparaît la
rubrique Théâtre, Poésie, Contes. De même,
le très prestigieux Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine
Saint-Denis décerne « les pépites » du salon, prix qui
récompensent de nouvelles créations. Parmi les huit
catégories proposées, aucune ne décerne de prix pour la
poésie pour la jeunesse. Inutile de chercher dans les médias la
place de la poésie, elle ne s'y trouve pas encore de façon
très visible. Il est nécessaire de rentrer dans un cercle plus
spécifique de poésie pour y trouver des prix qui encouragent la
création poétique pour la jeunesse.
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Parmi ceux-là, le prix Poésyvelines des
collégiens est un prix départemental mis en place en 2010
par le Conseil général des Yvelines et qui prend appui sur la
Maison de Poésie de Saint Quentin en Yvelines. Ce prix récompense
un recueil de poésie contemporaine d'expression française. Un
jury de collégiens, sous la responsabilité d'un adulte, envoie
son classement à un jury départemental qui regroupe les
sélections. Le prix des découvreurs de la ville de
Boulogne-sur-mer est un prix décerné sur le même principe.
Depuis 1997, ce prix est décerné par un jury ouvert
constitué de lycéens et de collégiens de troisièmes
(plus d'un millier pour l'édition 2011) de différents
établissements volontaires de l'ensemble des académies de France.
De nombreuses initiatives encore par des médiathèques ou
bibliothèques de ville, soutenues par les villes et les
départements proposent des Prix afin de médiatiser le fonds de
poésie, de le rendre plus vivant, en proposant la lecture de
poètes contemporains et une sélection de poèmes
préférés des lecteurs. C'est le cas par exemple du prix
Mon poète à moi qui s'adresse aux plus petits (4
à 6 ans). Ces initiatives restent locales et les répercussions
nationales ne sont pas flagrantes. Il n'existe pas, par exemple, de liste des
ouvrages sélectionnés accessibles et on ne peut pas savoir si les
éditions Møtus y sont bien représentées .
On trouve aussi des initiatives plus médiatisées
: le prix poésie des lecteurs lire et faire lire initié
par l 'association Lire et Faire Lire et le Printemps des
Poètes tous les ans, depuis 2003. Le principe est de faire
découvrir quatre ouvrages de poésie, sélectionnés
par un comité de professionnels du livre, aux enfants des écoles
maternelles et primaires et des collèges. Après ces lectures, le
recueil du lauréat est choisi : les choix des lecteurs sont
recensés, par l'intermédiaire d'un bulletin de vote, au niveau
départemental puis au niveau national par Lire et faire lire.
Møtus a vu ses ouvrages nominés six fois sur treize
sélections et ces auteurs obtiennent le prix trois fois (en 2004 pour
Le rap des rats de Michel Besnier, en 2006 pour Poèmes sans
queue ni tête, d'après Edward Lear, adapté par
François David, et en 2008 pour Grand-mère arrose la
lune, de Jean Elias ) et détient, de ce fait, le palmarès
des prix obtenus sur les huit maisons d'éditions
représentées depuis 2003. Ce palmarès est une façon
de récompenser le travail de l'éditeur, confirmant ses choix et
sa volonté de se placer sur le marché d'une poésie
jeunesse vivante. L'autre prix reconnu sur le territoire français est
le prix Joël Sadeler1. Créé en
2001 à l'initiative de l'association L'épi de seigle
pour promouvoir la poésie pour la jeunesse, ce prix s'adresse aux
éditeurs francophones et récompense un
1SADELER Joël : poète sarthois
décédé en 2000.
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ouvrage de poésie jeunesse publié l'année
précédente, d'un auteur vivant. En juillet 2003, il devient, le
prix Joël Sadeler-Ville de Ballon et l'association Donner
à Voir reprend la maîtrise des contacts avec les
éditeurs, la constitution du jury, l'annonce et la publication des
résultats. Là encore, les éditions Møtus se
distinguent puisqu'en douze années de sélection, trois de leurs
ouvrages ont obtenu le prix (en 2005 pour Mes poules parlent, en 2009
pour Je dors parfois dans les arbres et en 2012 pour Un
éléphant au paradis). Fait marquant, sur les dix
éditeurs d'où proviennent ces ouvrages, aucun n'a
été nommé plus d'une fois, seules les éditions
Møtus le sont trois fois.
Outre les prix obtenus pour les publications de poésie,
les éditions Møtus ont été remarquées pour
Les bêtes curieuses (illustré par Henri Galeron) à
travers sa nomination au prix de l'illustration Hans Christian Andersen
2012. C'est le plus grand prix international qui
récompense, tous les deux ans, les auteurs et illustrateurs de
littérature pour la jeunesse. La plus haute distinction pour un auteur
de livre pour enfants parfois surnommé « le petit prix Nobel de
littérature ». Les seuls auteurs et illustrateurs français
à l'avoir obtenu sont René Guillot en 1964 avec Le grand
livre de la brousse et Tomi Ungerer en 1998. Motus a obtenu aussi le prix
Bernard Versele1 pour son recueil poétique Mes poules
parlent en 2007. L'ouvrage Noir / Voir a reçu le prix de
La Nuit du Livre2. Les illustrations d'Aude Léonard dans ce
premier recueil Le soleil meurt dans un brin d'herbe ont aussi
été remarquées. Elle figure dans le catalogue
international « Illustrarte » 2007 où près de
1500 illustrateurs venus de soixante pays sont sélectionnés
à la Biennale Internationale de l'illustration pour enfants de
Lisbonne, pour le grand prix, les mentions spéciales et la
sélection de cinquante illustrateurs pour le catalogue et l'exposition.
Lisa Nanni qui a illustré Du sucre sur la tête3
fait partie de la sélection du catalogue « Illustrarte
» 2012.
Les prix de poésie, contrairement à ce qu'ils
indiquent, ne sont pas des récompenses financières qui
permettraient à un auteur une autonomie créatrice. Par contre,
ils sont pour les auteurs et les illustrateurs une reconnaissance dans le
domaine littéraire de jeunesse et dans celui de la poésie en
particulier, un encouragement à la création. Par ces
différents prix et récompenses des auteurs ou illustrateurs que
les éditions Møtus ont accompagnés, on peut
1Le Prix Bernard Versele est prix littéraire
récompensant les oeuvres de littérature pour la jeunesse. Il a
été créé en 1979 en hommage à Bernard
Versele, psychologue qui a consacré sa vie professionnelle aux enfants.
Il récompense des ouvrages choisis par un jury composé d'enfants
de 3 à 13 ans. Ils étaient 45 000 à participer à ce
choix en 2012.
2La Nuit du Livre® est un prix
littéraire original qui célèbre la beauté dans les
livres, ces chefs-d'oeuvre qui révèlent deux talents : celui de
l'auteur, qu'il soit écrivain, photographe ou illustrateur, mais aussi
celui du fabricant.
3Op.cit.
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d'ores et déjà parler de l'éditeur comme
un « découvreur » de poésie, étape indispensable
à sa médiation.
Certes, ces prix sont impulsés par des cercles de
poésie déjà convaincus de sa nécessité, mais
ils contribuent à une représentation et une visibilité
bien réelle dans ce vaste monde de la littérature de jeunesse.
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