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La "vie de nuit " dans la ville de Ngaoundéré au Cameroun de 1952 à  2009

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par Nicolas OWONA NDOUNDA
Université de Ngaoundéré Cameroun - Master en histoire 2009
  

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IV. TOPONYMIE DES LIEUX D'ACTIVITÉS DE LA NUIT

La toponymie est la science qui étudie les noms de lieux (toponymes). Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, mais aussi leurs transformations au fil des siècles269(*). Le mot toponymie est étymologiquement grec, de topos qui signifie lieu, et onoma, qui veut dire nom. C'est donc une science qui a pour objet l'étude de la formation et de l'évolution des noms de lieux, ou toponymes. C'est également l'ensemble des noms de lieux d'un pays ou d'une région, d'une carte ou d'une nomenclature. Il est intéressant de jeter un regard sur les noms des lieux d'activités de la nuit. On constate qu'ils sont révélateurs de la personnalité du propriétaire, de l'emplacement géographique, du public cible et constituent la première publicité de l'établissement par leur suggestivité.

En observant attentivement la carte touristique (page suivante) de la ville de Ngaoundéré, on peut remarquer que la plupart des services publics sont situés au centre ville. Les bars, boîtes de nuit, restaurants modernes, et bars sont situés à l'extérieur de l'ancienne cité essentiellement. L'emplacement géographique influence le choix du nom donné à ces commerces en fonction de la clientèle susceptible de s'y récréer. Au Centre Commercial, les noms sont assez européanisés, en fonction des premiers propriétaires qui étaient soit Libanais soit Européens, et aussi à cause de la clientèle constituée des fonctionnaires de la ville, des hommes d'affaire, des administrateurs et des touristes.

On retrouve donc ici une clientèle assez selecte. Le nom du bar ou du restaurant doit donc être la marque du sérieux de l'établissement commercial. On peut ainsi citer les restaurants Coffee Shop, Delfood, les snacks bars restaurants Marhaba (nom arabe), La Plazza, Le Saphir, Adamaoua Loisirs. On peut aussi citer du côté de l'E.H.T. CEMAC à Socaret, le bar Climat d'Afrique. Ces bars et restaurants, de par leurs infrastructures attirent une clientèle importante parmi les personnes qui veulent se mettre à l'aise tout en parlant affaire, sans avoir à se mélanger à la "populace". Et les prix qui y sont pratiqués sont aussi un baromètre qui permet de tamiser les clients les moins nantis. Ceux-ci se retrouvent à Baladji I ou à Joli-Soir, où les noms sont l'expression du milieu mais aussi du type de services proposés.

Il est important de rappeler que les quartiers Baladji et Joli-Soir ont été fondés avec les différentes vagues migratoires qui ont vu s'installer les populations du Sud du pays dans la ville de Ngaoundéré. Ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de Joli-Soir était au départ le Camp Boucarou, l'occupation de cet espace est plus ancienne que sa dénomination. Il est habité par les Mboumbabal (Laka, Sara, Gambaï, Bumpana), le long de l'axe principal actuel du petit marché jusqu'au carrefour Aladji Abbo. C'est en 1962 qu'interviennent les premiers tracés de la route par la mairie, ce qui aura pour effet de faciliter l'installation de cet espace jusque là réservé au cimetière des non-musulmans.

À sa création, le quartier Joli-Soir est occupé par des populations sans grands revenus, il s'agissait de cultivateurs, de domestiques, de cuisiniers des Blancs. Pour subvenir à leurs besoins, ils encouragent leurs femmes à vendre des boissons traditionnelles. La commercialisation est encouragée par la levée des sanctions qui pesaient sur la vente d'alcool après les indépendances. Par ailleurs, le lamido n'avait plus le pouvoir d'arrêter les populations à sa guise. Dès lors, l'alcool coule à flots et les soirs sont marqués par des danses, des bagarres, le tout rythmé aux sons des tambours. Cette ambiance nocturne fera naître le nom Joli-Soir.

Du carrefour Mini Mode à Baladji I, en passant par le carrefour Gabriel et le carrefour Jean Congo jusqu'au carrefour Aladji Abbo, une longue série de bars vous accueillent et rendent presqu'impossible la démarcation entre Baladji I et Joli-Soir. Les deux carrefours les plus importants dans les activités de la nuit dans la ville étant Gabriel et Jean Congo.

Les noms de ces deux carrefours sont aujourd'hui de véritables énigmes. Pour certains, l'un des premiers habitants du coin s'appelait Gabriel, peut-être a-t-il été l'un des propriétaires des premiers bars dans le quartier. Pour d'autres, il s'agissait d'un Bamiléké éleveur de porcs. Cette deuxième explication nous semble assez plausible du fait qu'il s'est développé à cet endroit un commerce de viande de porc cuite à la vapeur et revendue à 500 f.cfa pièce. Aujourd'hui, l'autre nom donné au porc dans la ville est justement le Gabriel.

Pour ce qui est de Jean Congo, les supputations vont dans le sens de montrer que ledit Jean Congo était certainement cordonnier270(*). Tout compte fait, ce carrefour est aujourd'hui en train de prendre un autre nom : "carrefour de la joie plus". Cela s'explique en raison du bar qui y trône Le Carrefour de la Joie + ; le plus (+) parce qu'il est inspiré de celui très célèbre déjà existant dans la ville de Yaoundé. On y retrouve des vendeurs de nourriture, des prostituées, des mototaximen... à tel point que certains superstitieux du quartier en viennent à penser que les morts enterrés dans cet ancien cimetière reviennent à la vie tant l'embouteillage est grand et rend difficile la circulation même des piétons. Les autres bars environnants prennent des noms tout aussi significatifs en raison de la publicité.

À bien observer, on constate que le nom d'un produit est parfois l'une des premières motivations justifiant son achat. Pour les lieux d'activités de nuit, la règle est aussi respectée. À Baladji I par exemple, dans la rue qu'occupe les prostituées, entre le carrefour abritant la boutique Eurocasse et le carrefour Gabriel, on peut prendre une bière à String Bar, ou encore chez son concurrent d'en face Sans Caleçon Bar. Le dessin du caleçon qui accueille le client à la porte vient compléter un tableau déjà bien fourni par les différentes prostituées qui vous accostent à l'entrée. Ces bars sont peu éclairés à dessein, on peut y boire et continuer la soirée dans une des multiples chambres que louent les prostituées dans le coin.

Un peu plus loin dans une autre rue, on retrouve le Katino Bar, coin prisé par les jeunes élèves de la ville, qui y organisent assez souvent leurs fêtes de fin d'année. La location y est raisonnable, comparativement au Marhaba et au Boucarou. Le nom donné à se bar évoque celui de l'artiste musicienne K-Tino, dont la popularité en qualité de "femme du peuple" a été acquise grâce à ses prestations scéniques osées et à ses chansons dont le sexe est souvent le thème central. Les chansons à la mode inspirent nombre de propriétaires de débits de boissons. On peut ainsi retrouver le circuit Mami Frotambo, dont le nom est inspiré d'une chanson de l'artiste musicien Petit Pays, dont la popularité n'a d'égale que celle de K-Tino déjà citée, et pour les mêmes raisons.

Si le sexe et les musiciens sont dans cette partie de la ville les principales sources d'inspiration, la qualité de l'accueil est aussi utilisée. On peut donc voir par exemple Le Cercle des Amis Bar ou le Djabama (bienvenu en fulfulde), le premier à Baladji I et le second à Joli-Soir. Cet accueil, tous les établissements commerciaux la veulent unique, et se présentent souvent aux potentiels clients comme les seuls endroits où l'on peut se mettre à l'aise (Destination Bar ; Excellence Bar ; Coin de Détente ; L'Endroit Unique) ; ou comme les seuls capables de vous garantir la discrétion dans des lieux généralement plein de monde. Il ne faut pas négliger que ceux qui sortent la nuit ne veulent justement pas être vus.

Le nom de l'établissement commercial tient aussi compte de l'origine du propriétaire. Il ne faut pas mettre de côté le fait que certains clients choisissent le lieu où ils vont se récréer en fonction de l'origine du propriétaire. Nous pouvons ainsi remarquer le Bana Bar (au carrefour Gabriel), détenu par un ressortissant de Bana à l'Ouest ; le Sawa Bar (détenu par un ressortissant du Littoral (après le carrefour Jean Congo) ou encore le Danay Bar (Extrême-Nord). Les débits de boissons sans nom sont baptisés par les populations généralement du nom du propriétaire.

Au quartier Ndelbé, le tout premier bar qui y ouvre ses portes en 1989 est le Gaduuru Bar. En fulfulde, le terme gaduuru veut dire porc. Or, il se trouve que le propriétaire élevait justement des porcs. Réputé blagueur auprès des populations du quartier, il estimait être un musulman, de surcroît un Aladji271(*). Il sera donc surnommé Aladji Gaduuru. Plus loin dans le même quartier, on retrouve le Pentagone, propriété d'un colonel de l'armée de terre camerounaise. Le nom donné au bar rappelle celui du ministère de la défense américaine.

Au regard de ce qui précède, il apparaît que les noms sont choisis soit en fonction de l'emplacement géographique de l'établissement ; soit en fonction du type et de la qualité des services que le propriétaire proposerait, donc dans une utilité publicitaire. On pourrait aussi y voir l'expression des schèmes que les médias installent dans les consciences des consommateurs à travers la musique ou le cinéma. Et enfin en fonction de l'identification de l'établissement à son propriétaire, à l'instar des boulangeries (Helou, Dabadji, Seumetem) ou de l'origine tribale de celui-ci. Les noms font en grande partie la popularité des débits de boissons, au point où l'on peut s'en servir comme repères géographiques. Il y a ainsi une inter-influence entre les noms des quartiers et les noms des débits de boisson. Malheureusement, c'est aussi cette popularité qui attire les bandits.

* 269 www.wikipedia/toponymie.fr

* 270Djiya, entretien tenu le 18 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 271 Le nom Aladji est attribué à un musulman ayant effectué le pèlerinage à la Mecque (El Hadj), mais dans la ville de Ngaoundéré et dans le Grand-Nord du Cameroun en général, ce nom est attribué aux riches commerçants musulmans. Il est possible que cette transformation dans la connotation du nom soit due au coût élevé du voyage pour la Mecque, que seules les personnes nanties pouvaient s'offrir. Être un Aladji, c'est donc être un homme riche.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon