UNIVERSITÉ DE NGAOUNDÉRÉ
UNIVERSITY OF NGAOUNDÉRÉ
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Faculté des Arts Lettres et
Faculty of Arts, Letters and
Sciences Humaines
Social
Sciences
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Département d'Histoire
Department of History
Chapitre 7 LA "VIE DE NUIT" DANS LA VILLE DE
NGAOUNDÉRÉ DE 1952 À 2009
Thèse de Master's Degree d'Histoire
Présentée par
OWONA NDOUNDA Nicolas N.C.
Maître ès Sociologie
Sous la direction du
Pr. SAIBOU ISSA
Maître de Conférences
Année académique 2008-2009
DÉDICACE
À Mme Ndounda Bernadette Alphonsine, veuve
Tsoungui
À Nganso Vérane
À Akamba Ndzié Emmanuelle
Et à tous ceux qui, à cause des vicissitudes
de la vie,
sont obligés de gagner leur pain pendant la
nuit.
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont à l'endroit de toutes les
personnes qui m'ont apporté leur aide et leur soutien dans la
réalisation de ce travail de longue haleine. Je pense ici :
Au Pr. Saïbou Issa, qui a accepté de diriger ce
travail en dépit de ses occupations, et pour les vertus qu'il a fait
naître en moi, à savoir la patience et la
persévérance.
À tous mes enseignants en Master d'Histoire, Pr.
Hamadou Adama, Dr. Mbengué Nguimé Martin, Dr. Mokam David, et le
Dr. Nizésété Bienvenu-Denis pour leur contribution
à ma formation d'historien ; ainsi que le Dr. Fadibo Pierre pour
son apport méthodologique.
À toutes les personnes que j'ai interviewées et
qui n'ont pas hésité à me consacrer leur temps, je tiens
à exprimer ma profonde gratitude.
J'exprime aussi ma reconnaissance à ceux qui m'ont
accompagné sur le terrain malgré les risques encourus dans la
nuit. Je pense ici à Ware Grégoire, Kaïmangui Mathias, Sadou
Dewa, Fonko Joël, Njock Nkembé Azarias.
Je remercie également tous les membres de ma famille,
et très spécialement ma mère Ndounda Bernadette, pour
leurs encouragements et leur affection inconditionnelle.
À tous mes collègues et amis du collège
St. Eugène de Mazenod pour leur assistance et leurs encouragements,
particulièrement le Principal, l'abbé Karlo Prpic pour son esprit
de compréhension, le préfet des études, M. Danbaga
Djonwé Évariste, MM. Bone Mbang Jean-Louis, Yong David, Emini
Lucas, Haïrou Adamu, Tanlaka Kilian Lamtur, Bolé Samuel et Mlle
Nkeng Odile pour leur aide multiforme.
Enfin, toute ma reconnaissance à mes amis et camarades
de Master d'Histoire, en particulier Doua Sodéa Célestin et Bouba
Ibrahim pour leur amitié. Que ceux et celles qui ont contribué
à l'élaboration de ce travail et qui n'ont pas été
désignés nommément, trouvent ici l'expression de ma
gratitude infinie.
RÉSUMÉ
Devenue aujourd'hui ville cosmopolite,
Ngaoundéré s'est ouverte au monde, en quelque sorte, avec sa
prise en 1901 par les Allemands. Dès cette période, la "vie de
nuit" dans cette cité n'a cessé de subir des modifications. Sous
influence islamique, elle se veut pourtant le socle d'une certaine morale, qui
ne laisse pas s'exprimer ouvertement les comportements de perversité
à l'instar de la prostitution ou de l'alcoolisme. C'est dans les
années 1940, avec les premières grandes vagues migratoires
constituées d'abord de commerçants bamiléké, que la
ville change de visage dans la nuit. L'afflux d'"immigrés" venus de
l'intérieur du pays conduit finalement à la création du
quartier Baïladji en 1952, devenu en 1964 Baladji. Avec la création
de ce quartier, on assiste à un changement de moeurs dans la ville,
à travers une informalisation des activités de nuit, la
multiplication des bars etc., facilitées par des éléments
tels que l'inauguration du chemin de fer Transcamerounais, la création
de l'université et l'érection de la ville en chef-lieu de
Province. Par ailleurs, l'instabilité politique au Tchad et en
République Centrafricaine, permet d'augmenter une population
d'étrangers déjà bien fournie par les Levantins, les
Européens et les ressortissants d'Afrique de l'Ouest. L'impact de ces
populations sur la ville de Ngaoundéré n'a pas qu'un effet
positif. Leur installation est pervertie par la crise économique qui
mine le Cameroun depuis la fin des années 1980.
Mots clés : Ngaoundéré, nuit,
migration, secteur formel, secteur informel, criminalité.
ABSTRACT
Having become a cosmopolitan town today, Ngaoundere has
opened up to the world in some way with her overcoming by the Germans in 1901.
From that time, night's life has been continuously changing in this city. Under
Islamic influence however, the town is supposed to be the base of
certain ethics that do not allow or tolerate any public expression of
misbehaviour such as prostitution or alcoholism. It is as from the 1940s with
the first great waves of migration, made up firstly of Bamileke businessmen,
that the town changed its night outlook. In order to find accommodation to the
«immigrants» coming from all over the country, the quarter
Baïladji is then created in 1952, and renamed Baladji in 1964. Then we
witnessed a change in lifestyle in the town, through the informalisation of
night's activities, the increasing of bars etc., made easier with some elements
like the launching of the Transcameroonian railway line, the erection of the
town as provincial headquarter and the creation of the University. Furthermore,
political instability in Chad and Central African Republic increased the town's
population, already made up of Northerners, Europeans and migrants from West
Africa. The impact of these people in the town does not only have positive
aspects. Their settlement is perverted by economic crisis which affected
Cameroon at the end of the 1980s.
Key words: Ngaoundéré, night,
migration, formal sector, informal sector, criminality.
SOMMAIRE
Pages
DÉDICACE...............................................................................................i
REMERCIEMENTS
....................................................................................ii
RÉSUMÉ...................................................................................................iii
ABSTRACT................................................................................................iii
SOMMAIRE..............................................................................................iv
TABLES DES
ILLUSTRATIONS...................................................................vii
LISTE DES SIGLES ET
ABRÉVIATIONS....................................................viii
INTRODUCTION
GÉNÉRALE.....................................................................1
I. Constat et formulation du
problème..........................................................3
II. Cadre théorique et
conceptuel..................................................................5
III. Cadre
géographique..............................................................................13
IV. Limites
chronologiques.........................................................................15
V. Intérêt de la
recherche............................................................................17
IV.1. Intérêt académique et
scientifique..........................................................17
IV.2. Intérêt
économique............................................................................19
IV.3. Intérêt culturel
.................................................................................19
VI. Revue de la
littérature...........................................................................20
VII.
Problématique.................................................................................22
VIII. Objectifs de la
recherche.........................................................................22
IX.
Méthodologie..........................................................................................23
IX.1.
Sources........................................................................................
23
IX.2. Méthodes de collecte des
données..........................................................24
IX.2.1. Observation
participante...............................................................24
IX.2.2. Entretiens et
interviews................................................................25
IX.2.3. Exploitation
documentaire........................................................... 26
IX.3. Méthode d'analyse des
données............................................................
26
IX.4. Difficultés
rencontrées.......................................................................
27
X. Plan du
travail.........................................................................................28
Pages
CHAPITRE I : LA VIE DE NUIT
À NGAOUNDÉRÉ :
ENTRE TRADITION ET
MODERNITÉ....................................29
I. Représentation traditionnelle et religieuse
de la nuit..........................................30
1. La nuit selon les peuples
"autochtones".......................................................30
2. Représentation religieuse de la
nuit........................................................... .34
2.1. La nuit
musulmane...........................................................................34
2.2. La nuit
chrétienne............................................................................
37
2.2.1 La nuit pour les
Protestants...........................................................37
2.2.2 La nuit pour les
Catholiques..........................................................40
2.2.3 La nuit selon les Églises
réveillées....................................................42
II. Quelques activités de nuit sur le plan
traditionnel..............................................44
1. Le Soro, un rituel traditionnel du
mariage....................................................44
2. Le
hiirde............................................................................................47
2.1
Définition........................................................................................47
2.2 Le hiirde et ses
acteurs........................................................................48
2.3 La disparition du hiirde
.......................................................................50
3. Les
adjaba'en.....................................................................................
50
III. Les changements de la vie de nuit : de la
tradition à la modernité...........................54
1. L'arrivée des "immigrés"
camerounais..........................................................54
2. Les autres vagues
migratoires....................................................................
56
3. L'électrification de la
ville....................................................................
....62
4. L'impact des immigrés sur la vie
traditionnelle............................................... 63
IV. Les nouveaux loisirs de
nuit...........................................................................74
1. Les snack-bars et les boîtes de
nuit...............................................................74
2. Les
circuits.............................................................................................78
3. Autres loisirs de
nuit................................................................................79
CHAPITRE II : LES
TRAVAILLEURS DE LA NUIT.........................................83
I. Distinction entre le secteur formel et le secteur
informel,
et situation dans la ville de
Ngaoundéré........................................................84
II. Les activités de la nuit relevant du
secteur formel...........................................91
1. Le secteur de la
santé...........................................................................91
2. Le secteur
agroalimentaire....................................................................
96
3. Le secteur de l'enseignement : les cours du
soir............................................99
4. Le secteur
hôtelier..............................................................................100
5. Les
télécommunications........................................................................101
6. Les
transports..................................................................................104
7. La
sécurité.......................................................................................107
Pages
III. Le secteur informel à
Ngaoundéré..............................................................
113
1. Le secteur
agroalimentaire.....................................................................113
2. Les
call-box......................................................................................121
3. Les vendeurs
ambulants.........................................................................123
4. Les activités à la gare
ferroviaire..............................................................
125
5. Le commerce du
sexe...........................................................................127
IV. Toponymie des lieux d'activités
de nuit........................................................ 131
Chapitre 7 CHAPITRE III : LES PROBLÈMES
LIÉS A LA VIE DE NUIT
ET LES ACTIONS DES
AUTORITÉS...........................................................136
I. Les problèmes liés à la vie de
nuit................................................................137
1.
L'insécurité.......................................................................................137
2. La consommation de
drogue....................................................................140
3. La dépravation des
moeurs......................................................................144
II. Les actions menées par les
autorités.............................................................150
1. Les autorités
traditionnelles.................................................................151
2.
L'administration................................................................................152
3. La
police..........................................................................................153
Ø CONCLUSION
GÉNÉRALE..............................................................155
Ø SOURCES ET RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES......... ...................158
I. Sources
orales..................................................................................159
II. Ouvrages
généraux............................................................................161
III.
Articles........................................................................................162
IV. Thèses et
mémoires...........................................................................164
V.
Rapports.......................................................................................165
VI. Dictionnaires et
encyclopédie...............................................................166
VII. Documents
divers............................................................................166
VIII. Sites internet
consultés.....................................................................167
Ø
ANNEXES.....................................................................................168
I. Guide d'entretien de Mballa
Romiald..............................................169
II. Guide d'entretien de Temde
Joseph..................................................169
III. Guide d'entretien de Patchami Guy
Bertrand......................................170
IV. Le décret N°90/1483 du 9 novembre 1990, fixant
les conditions et les modalités d'exploitation des
débits de boissons................172
V. Exemplaire d'une licence de vente de boissons
hygiéniques
à consommer sur
place........................................................................178
TABLES DES ILLUSTRATIONS
I. Carte
· Carte de
localisation et étapes de la croissance de
Ngaoundéré.............................2
II. Tableaux
· Tableau I : Tableau représentatif du niveau
de vie et du taux des actifs
dans la ville de
Ngaoundéré..................................................................85
· Tableau II : Évolution du nombre de
rôtisseries par groupes ethniques
À
Ngaoundéré.................................................................................
119
III. Photos
· Photo 1 : Groupe de jeunes regardant un match
télévisé sur la terrasse
du bar Le Fhalimar au quartier Joli
Soir......................................................14
· Photo 2 : Les trois employées du restaurant
traditionnel
de Hadidja et leurs
enfants......................................................................54
· Photo 3 : Le Marhaba VIP Night
Club....................................................... 75
· Photo 4 : Le snack bar restaurant la Plazza au
centre commercial de
Ngaoundéré.............................................................77
· Photo 5 : Le "circuit" Mami Frotambo au quartier
Baladji I...............................79
· Photo 6 : Groupe de jeunes jouant au Babyfoot au
quartier Joli Soir.....................80
· Photo 7 : Calendrier 2008 de la répartition
des gardes des
pharmacies de la ville de
Ngaoundéré........................................................95
· Photo 8 : L'auberge Le Temple d'Or, situé
à côté de la boîte
de nuit du même nom au quartier Joli
Soir......................................... ........101
· Photo 9 : L'intérieur du cybercafé de MTN
au centre commercial de
Ngaoundéré........................................................103
· Photo 10 : De jeunes veilleurs de nuit
au petit marché de
Ngaoundéré...............................................................109
· Photo 11: Mme Ngan dans son
"bureau"...................................................115
· Photo 12 : Restaurant de trottoir devant la
société HYSACAM
au quartier Tongo
Pastorale..................................................................116
· Photo 13 : Des cabarets de vente de bili
bili au quartier Joli Soir.........................118
· Photo 14 : Point de vente de "soya" de foetus de
vache
au quartier
Joli-Soir.............................................................................120
· Photo 15 : Vendeurs ambulants de médicaments
au carrefour Jean Congo au quartier Joli
Soir..............................................124
· Photo 16 : Des prostituées dans la
pénombre
du bar Carrefour de la joie plus au carrefour Jean
Congo.................................130
· Photo 17 : "Ampoule Rouge" signalant la
présence
d'une auberge au carrefour
Tissu...............................................131
· photo 18 : Vente de beignets et bouillie au carrefour
An 2000......................... 142
· Photo 19 : Échantillon des
stupéfiants les plus
vendus à
Ngaoundéré...............................................................144
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
· R.P. : Révérend Père
· Rév. : Révérend.
· I.N.S. : Institut National de la Statistique
· E.H.T. C.E.M.A.C : École d'hôtellerie
et de Tourisme de la Communauté Économique et Monétaire de
l'Afrique Centrale
· E.N.I.E.G. : École Normale des Instituteurs
de l'Enseignement Général
· I.D.H. : Indicateur du Développement Humain
· N.M.S. : Norwegian Missionnary Society
(Société des Missions Norvégiennes)
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Carte de localisation et les quartiers les plus
actifs de nuit dans la ville de Ngaoundéré.
Conception : Owona Nicolas
Réalisation : Fofire E., février
2010
I. CONSTAT ET FORMULATION DU PROBLÈME
Notre sujet de recherche s'intitule "La vie de nuit"
dans la ville de Ngaoundéré, de 1952 à 2009. Il
s'inscrit dans le cadre de la sociohistoire. La ville de
Ngaoundéré se présente comme une ville sous influence
islamique, avec des moeurs qui ne conviennent pas à «la vie de
nuit» telle que conçue par des non-musulmans, c'est-à-dire
avec ses excès et son libertinage. Notre travail consiste à
examiner comment la ville a pu concilier les paramètres qui lui ont en
quelque sorte, été imposés par les différents flux
migratoires, et sa propre culture. Tous ces paramètres s'inscrivent dans
un modèle évolutif qui va connaître plusieurs moments,
depuis la création des quartiers Baladji en 1952, l'ouverture du chemin
de fer Transcamerounais en 1974, ainsi que la création du centre
universitaire en 1977, jusqu'à l'érection de la ville en chef
lieu de Province en 1983 et aujourd'hui de Région.
Il faut dire que certaines formules de politesse,
« Bonsoir ! », « Bonne
nuit ! » « Avez-vous bien dormi ? »
sont des rituels quasi universels. Quand la nuit n'est pas le domaine des
sorciers par exemple ou des esprits maléfiques, elle est tantôt
associée à des images positives (
repos,
amour,
rêves,
promenades romantiques sous le clair de lune, acte sexuel...), tantôt
associée au danger (l'obscurité peut cacher des dangers
réels ou alimenter la peur et le fantasme), ou à la
méditation. Les contes et légendes, les mythes puis le roman et
le cinéma évoquent souvent la nuit, pleine de mystères ou
chargée d'angoisse. La nuit est donc un cadre apprécié
pour les histoires évoquant les pouvoirs maléfiques, une certaine
magie, des
créatures fantastiques : korrigans, gnomes, vampires ou les
loups-garous et
autres esprits ou monstres, dont les noms et la constitution varient d'un
endroit à l'autre de la planète selon la culture.
La nuit revêt donc une grande importance dans toutes les
civilisations. Le dictionnaire Encyclopédique Quillet
présente ainsi l'aspect mythologique de la nuit : « Les
Anciens [Grecs] avaient fait de la Nuit une divinité. Suivant
Hésiode et les poètes postérieurs, elle était fille
du Chaos, la soeur de l'Érèbe, et la mère du Sommeil, des
Songes, de la Mort, des Parques, de Némésis, etc. Cette
déesse avait des temples en Grèce et on lui sacrifiait des brebis
noires, des coqs, des hiboux. »
Psychologues et psychanalystes ont à traiter des
angoisses, cauchemars ou phobies nocturnes généralement
liés à des traumatismes plus ou moins refoulés. Nous
pouvons ainsi citer la nyctophobie, définie comme la crainte excessive
de l'obscurité1(*).
Pendant longtemps, la nuit a été considérée comme
une période de repos, l'absence de lumière empêchant toute
activité. On sait maintenant que le sommeil est indispensable à
la santé et que l'alternance jour/nuit régule la production de
mélatonine, hormone essentielle sécrétée par
l'épiphyse et qui joue un rôle important dans le
déclenchement de la puberté2(*).
Avec toutes ces caractéristiques qui font de la nuit un
moment particulier pour les animaux en général et pour les hommes
en particulier, notre travail de recherche va donc s'intéresser à
ceux qui font de la ``nuit'' leur «jour». Ceux pour qui la nuit
représente l'espace de temps consacré au travail. D'emblée
trois types de métiers font surface, à savoir d'une part ceux qui
travaillent exclusivement à la nuit tombée (gérant de
boîte de nuit), ceux dont l'activité commence en journée et
s'achève dans la nuit (gérant de call-box) et ceux qui alternent
les moments nuit/jour (policiers). De plus, ces activités peuvent
être divisées selon qu'elles appartiennent au secteur formel, ou
au secteur informel.
Par ailleurs, en journée, il existe certains types de
marchés reconnus par les mairies, où les activités cessent
si ce n'est complètement, du moins dans leur partie visible, dès
la tombée de la nuit. Tout à côté, nous en avons
d'autres qui naissent presqu'immédiatement après, soit aux
mêmes endroits, soit à des endroits différents et toutes
les populations savent où se diriger lorsqu'elles ont besoin d'un
service. Dans le cas de la ville de Ngaoundéré, ces faits ne sont
pas négligeables.
En effet, il s'est créé tout au long de
l'histoire de cette ville, une véritable scission entre l'ancienne
ville, représentée par des quartiers tels que Bali, Boumdjere,
Yarmbang ou Maloumri, où la nuit est silencieuse et presque
taciturne ; et, à l'opposé, les quartiers dits non-musulmans
tels que Baladji I, Joli Soir, où la vie tout court, ne prend tout
son sens que dans la nuit justement avec tous les problèmes que cela
implique. Un aspect n'est pas à négliger à savoir
qu'à l'exception de la vieille ville, les nouveaux quartiers de
Ngaoundéré sont habités par des populations diverses,
constituées de nationaux et d'expatriés. Les populations venues
de l'Extrême-Nord et du Nord, du Centre, de l'Est, de l'Ouest et de plus
en plus des originaires du Sud-ouest, du Nord-Ouest voire du Sud du Tchad et de
l'Ouest de la R.C.A. cohabitent sans heurts3(*). Ainsi, à la base de cette distinction dans la
manière de vivre des deux parties de la ville, nous retrouvons des
aspects religieux, ethnoculturel et surtout historique.
II. CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL
Notre travail se consacre à l'étude des
interactions sociales à l'intérieur de la ville, en accordant une
grande importance à l'évolution des activités
socio-économiques et culturelles de celle-ci pendant la nuit
spécifiquement, nous le situons donc dans la ligne théorique de
l'École de Chicago et du Subaltern Studies Group (S.S.G.).
En effet, la première école de Chicago s'attache
à étudier les relations interethniques et la délinquance
dans les grandes
villes aux États-Unis.
On parle alors de laboratoire social, qui permet d'étudier les
nombreuses transformations des milieux urbains. Les représentants de
cette première école sont notamment William I. Thomas et Robert
E. Park.
Dès les
années
1940, les chercheurs de
l'École de Chicago se consacrent un peu plus à l'étude des
institutions et des milieux professionnels. Nous avons comme principaux
représentants Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss et Eliot
Freidson.
Bien que ces sociologues aient utilisé de nombreuses
méthodes
quantitatives et qualitatives, historiques et biographiques, ils sont reconnus
pour avoir introduit, en sociologie, une nouvelle méthode
d'investigation, largement inspirée des méthodes ethnologiques,
celle de l'observation participante, méthode dont nous nous sommes
largement inspiré dans notre travail. Celle-ci leur permet de comprendre
le sens que les acteurs sociaux donnent aux situations qu'ils vivent.
La
sociologie de l'École de Chicago a été fertile. Elle a
fortement contribué à l'étude des villes (sociologie
urbaine, urbanisme et études sur les
migrations,
écologie urbaine), à l'étude de la déviance
(criminologie), à l'étude du travail et des métiers ainsi
que de la culture et de l'art.
La sociologie urbaine peut
être définie comme une branche de la
sociologie qui tend
à comprendre les rapports d'interaction et de transformation qui
existent entre les formes d'organisation de la société et les
formes d'aménagement des villes à savoir :
- la morphologie sociale, ensemble des
formes qu'une société prend dans l'espace. - la
morphologie urbaine, ensemble des formes de la ville avec son habitat, ses
monuments, ses décors, et en général tous ses
aménagements.
La connaissance de la réalité des interactions
entre une morphologie sociale et une morphologie urbaine permet d'une part, de
favoriser la vie sociale dans les villes existantes et, d'autre part, de mieux
concevoir les nouveaux ensembles urbains ou architecturaux (programmation).
Nous ne saurions étudier les villes sans parler de
l'urbanisation. Il s'agit d'un mouvement historique de transformation des
formes de la société que l'on peut définir comme
l'augmentation de ceux qui habitent en ville par rapport à l'ensemble de
la population.
Nous nous
sommes donc théoriquement fondé sur l'École de Chicago
dans la logique de l'étude des villes. En effet, il s'agit pour nous de
relever l'évolution de la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré, les interactions entre les populations, l'influence
des immigrés dans ladite ville, camerounais et étrangers, et la
mise en place des structures sociales depuis 1952.
Par ailleurs, nous nous intéressons aux
différentes activités qui font la société de
Ngaoundéré, que ce soit dans le secteur formel ou informel. Nous
avons mis un accent sur leur impact dans la vie communautaire et sur
l'évolution de la ville. Il apparaît aujourd'hui qu'avec la crise
économique qui dure depuis la fin des années 1980 au Cameroun,
90,4% des actifs exercent dans le secteur informel4(*). La dépendance sociale
entre le secteur formel et ce dernier doit donc être prise en compte.
Examiner le lien intrinsèque entre les différents métiers
de la nuit, leur lien avec les personnes qui sont sensées faire "la vie
de jour" est aussi une de nos tâches. Certes cette démarche
emprunte beaucoup à la sociologie, mais elle est aussi à
rattacher aux historiens du Subaltern Studies Group (S.S.G.).
Le S.S.G., encore appelé le Subaltern Studies
Collective (S.S.C.), est une école constituée par un groupe
d'universitaires asiatiques avec à leur tête, l'historien Bengali
Ranajit Guha (né en 1923). Ce courant fait référence :
« To any person or group of inferior rank and station, whether
because of race, class, gender, sexual orientation, ethnicity, or religion. The
S.S.G. arose in the 1980s, influenced by the scholarship of Eric Stokes, to
attempt to formulate a new narrative of the history of India and South
Asia.5(*) »
Au départ, le S.S.G. est une série de volumes
collectifs publiée par l'Oxford University Press - Delhi à partir
de 1982. Prévue pour ne comprendre que trois publications, on en compte
plus d'une dizaine à ce jour. Les volumes portent le sous-titre
Writings on South Asian History and Society. Le succès
international de la série fut alimenté par les débats
théoriques et méthodologiques qu'elle a suscités dans le
milieu de la recherche en sciences sociales, en Inde d'abord puis dans les pays
anglo-saxons. Les volumes de I à VI, publiés entre 1982 et 1989,
ont eu pour maître d'oeuvre Guha lui-même, le fondateur,
l'inspirateur et l'animateur de ce collectif de six, puis de dix chercheurs,
responsables de l'entreprise. L'orientation intellectuelle initiale
était un marxisme critique dont les affinités se situaient du
côté de Gramsci6(*). Guha a ensuite passé la main, laissant la
direction des recueils suivants à des équipiers plus jeunes, sans
cesser pour autant de collaborer au travail commun7(*).
L'expression Subaltern Studies désigne donc
l'étude de la société par le bas, c'est à dire la
construction de la société par l'apport des masses et non de
l'élite. Il s'agissait donc de rétablir le peuple comme sujet de
sa propre histoire en refusant de le concevoir comme simple masse de manoeuvres
manipulée par les élites, et en rompant avec les
téléologies (études de la finalité) qui le
transforment en agent passif d'une mécanique historique universelle. Il
fallait donc reconnaître son importance historique réelle à
la capacité d'initiative libre et souveraine de ce peuple,
redécouvrir sa culture propre, s'intéresser enfin
sérieusement à son univers de pensée et
d'expérience et pas seulement à ses conditions matérielles
d'existence. Il fallait faire admettre en somme qu'il existe un domaine
autonome de la politique du peuple distinct de celui de l'élite, dont
les idiomes, les normes, les valeurs sont enracinées dans
l'expérience du travail et de l'exploitation sociale. Le peuple, selon
le manifeste programmatique publié par Ranajit Guha en entête du
premier volume des Subaltern Studies, est constitué par
«les classes et groupes subalternes qui constituent la masse de la
population laborieuse et les couches intermédiaires des villes et des
campagnes»8(*). Il
s'agit donc de mettre un accent sur les catégories inférieures de
la petite bourgeoisie.
Ce qui définit les subalternes, c'est la relation de
subordination dans laquelle les élites les tiennent, relation qui se
décline en termes de classe, de caste, de sexe, de race, de langue et de
culture. En examinant en profondeur cette catégorie, Guha mettait en
tout cas au centre de sa perspective historique une vision dichotomique de la
société partagée entre dominants et dominés. Et
s'il entreprenait de corriger la vision élitiste de l'histoire de l'Inde
jusqu'alors prédominante, c'est au nom de la conviction que les
élites indiennes exerçaient certes sur le peuple des subalternes
leur domination (matérielle), mais non pas leur hégémonie
(c'est-à-dire leur suprématie culturelle). C'est ce domaine
autonome de la pensée et de l'initiative des subalternes,
systématiquement occulté par l'historiographie élitiste,
qu'il fallait ressusciter. Dans le but, non seulement de réparer
l'injustice qui lui a été faite et lui rendre sa dignité,
mais aussi pour exposer en pleine lumière le rapport de forces interne
à un mouvement d'indépendance dont seules les élites
avaient récolté les fruits. Et enfin pour éclairer, en vue
des luttes futures, les raisons profondes de cet échec historique de la
Nation à réaliser sa destinée qui constitue le
problème central de l'historiographie de l'Inde coloniale9(*).
Notre étude trouve sa particularité dans
l'analyse des personnes qui, par leur travail pendant la nuit, contribuent
à leur manière au développement. Lorsque nous examinons
les travailleurs de nuit, force est de constater que ce n'est pas toujours de
gaieté de coeur qu'ils en arrivent à ces travaux. Mais, leur
importance est telle qu'ils deviennent une véritable
nécessité dans l'équilibre social. Notre tâche est
donc de réfléchir à la place de ces travailleurs de nuit
dans l'évolution historique de la ville de Ngaoundéré.
Pour cela, il s'agit tout d'abord de définir le concept même de
"nuit", même s'il est vrai que cette notion est conçue
différemment selon notre emplacement géographique.
Nous disons avec Le Petit Larousse Illustré
2008, que le terme nuit (jemma en fulfulde10(*)), vient du latin nox,
noctis ; il s'agit d'un nom féminin qui désigne
« la durée comprise entre le coucher et le lever du soleil en
un lieu donné ». Dans une autre logique, Le Nouveau Petit
Robert 2008 le conçoit comme l'«obscurité
résultant de la rotation de la terre lorsqu'elle dérobe un point
de la surface à la lumière solaire. » Ces deux
définitions confirment celle qu'en donnait déjà le
Dictionnaire Encyclopédique Quillet en
1962 : « Espace de temps pendant lequel le soleil reste
sous l'horizon d'un lieu et pendant lequel il règne une obscurité
plus ou moins complète. » Plus loin, le même
dictionnaire précise que ce terme est synonyme de l'obscurité ou
des ténèbres ainsi, « la nuit est la cessation du jour,
c'est-à-dire le temps où le soleil n'éclaire
plus. »
Sur la Terre, la nuit, au sens traditionnel, couvre à
tout instant une moitié de la planète. Ainsi lorsqu'il fait nuit
sur une moitié de la planète fait-il jour sur l'autre
moitié. Du fait de la rotation de la Terre autour de son axe, il fait
alternativement jour et nuit, les deux formant une journée de 24 heures
environs. Les nuits sont d'autant plus longues en hiver et plus courtes en
été au fur et à mesure qu'on se rapproche des pôles.
Ceci vaut pour les hémisphères nord et sud, mais les saisons sont
inversées. Autour des équinoxes de printemps et d'automne, le
jour et la nuit sont exactement de même durée. Les
solstices
d'été et d'hiver marquent respectivement la nuit la plus courte
et la nuit la plus longue de l'année.
L'obscurité peut ne pas être totale ou même
ne pas exister aux alentours du solstice d'été quand on se
rapproche des pôles. La durée de la nuit varie selon la saison
mais aussi selon l'endroit où l'on se situe. Plus on se trouve proche du
Pôle Nord ou du Pôle Sud, plus la durée des nuits varie. A
l'équateur, zone qui nous intéresse dans notre travail, au regard
de la situation géographique de la ville de Ngaoundéré,
nuit et jour sont presque toujours égaux. En fait, après
l'équinoxe, les différences de durée entre le jour et la
nuit changent plus rapidement aux pôles que dans les régions
situées entre le tropique du Cancer et le tropique du Capricorne.
Près des pôles, chaque année, il y a une période
estivale où il n'existe qu'une période diurne, le Soleil ne se
couche pas, et une période hivernale où seule la nuit
règne.
En effet La
nuit polaire est une période de l'année durant laquelle
l'obscurité dure plusieurs mois. Ce phénomène est
observable dans les régions polaires au-delà des cercles polaires
Arctique et Antarctique. Par contre le jour polaire, encore appelé
soleil de minuit, est une période durant laquelle le soleil reste
constamment visible à une hauteur d'un peu plus de 23° dans le
ciel.
Le nombre de jours de 24 heures pendant lesquels ce
phénomène a lieu augmente avec la
latitude. Il atteint son
minimum, un jour, au niveau du cercle polaire et son maximum, six mois, au
pôle et a lieu en
automne et en hiver : d'octobre à mars dans
l'hémisphère nord, de janvier à septembre dans
l'hémisphère sud. Pendant plusieurs semaines après
l'équinoxe d'automne et avant l'équinoxe de printemps, aux
pôles et dans les régions s'en rapprochant, on peut ainsi assister
à un crépuscule permanent qui dure jusqu'à ce que le
soleil atteigne une hauteur suffisante sous l'horizon : 6° pour le
crépuscule civil, 12° pour le crépuscule nautique.
Ainsi, du fait de l'
inclinaison de l'axe de
la
Terre sur le
plan de
son
orbite, toutes les
régions de la Terre ne sont pas éclairées de la même
façon par le Soleil au cours de sa révolution annuelle. Entre
l'équinoxe de mars et septembre dans l'hémisphère Nord, le
Soleil éclaire le pôle Nord en permanence. Le même
phénomène se produit au
pôle Sud entre
l'équinoxe de septembre et mars.
Mais, si on appelle nuit l'intervalle durant lequel
l'obscurité est totale, il s'agit de la période où
l'intensité de la lumière solaire diffusée par les hautes
couches de l'atmosphère est inférieure à la
luminosité intrinsèque des étoiles. Cet intervalle est
séparé du coucher du Soleil par le crépuscule et de son
lever par l'aube.
L'aube se
définit comme le moment de la
journée où
apparaissent à l'
horizon
Est les premières lueurs
du jour, avant le lever du soleil, c'est-à-dire avant le moment
où le Soleil franchit l'horizon à l'Est pour commencer sa course
(l'inverse du
coucher de
soleil). C'est à ce moment que sont censées être
interprétées les aubades11(*). C'est également à ce moment que la
première prière obligatoire de la journée (Fajr)
doit être prononcée par le
musulman pratiquant, selon
l'
Islam. Dans la liturgie
catholique, c'est l'heure de prime12(*).
L'aube (babbol en
fulfulde13(*)) correspond
au
crépuscule du
matin et précède le lever du soleil. Elle se caractérise
par la présence de lumière du jour, bien que le soleil soit
encore au-dessous de l'horizon. L'aube ne doit donc pas être confondue
avec le
lever du soleil, qui
est le moment où le bord supérieur du soleil apparaît
au-dessus de l'horizon. À Ngaoundéré, le soleil se
lève de manière générale entre 05h56min et 06h22min
au plus tard, et il se couche entre 18h14min et 18h19min ; et l'aube et le
crépuscule durent en moyenne une dizaine de minutes.
Ceci peut nous permettre d'ores et déjà de
circonscrire l'espace de temps pendant lequel nous aurons à travailler.
Pendant longtemps, l'imagerie populaire a voulu situer le lever du jour
à 06h00 et le coucher de soleil à 18h00. C'est ainsi par exemple
que dans la religion catholique, les heures de messes sont
généralement comprises à partir de 06 heures pour la
matinée et celles du soir à partir de 18 heures. Pour
l'abbé Benoît Zé, « Les messes du samedi soir
comptent déjà pour dimanche car, pour les juifs, le jour
d'après commence à 18 heures, en fait au coucher du soleil. Donc
dans la tradition juive la nuit est déjà comprise dans la
journée suivante. »14(*) Et l'idée que la Bible se fait de la nuit va
justement dans ce sens, en considérant la comme une partie du jour
à venir.
Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. Et la
terre était désolation et vide, et il y avait des
ténèbres sur la face de l'abîme. Et l'Esprit de Dieu
planait sur la face des eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit. Et
la lumière fut. Et Dieu vit la lumière, qu'elle était
bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les
ténèbres. Et Dieu appela la lumière Jour ; et les
ténèbres, il les appela Nuit. Et il y eut soir, et il y eut
matin : - premier jour. 15(*)
La considération que les populations de
Ngaoundéré se font de la nuit a grandement évolué
depuis 1952. En effet, la ville est passée d'une vie de nuit quasi
traditionnelle à une modernité qui laisse la place à tout
type de métiers et d'excès. Parlant de tradition justement, il
est nécessaire de définir ce terme et surtout de le distinguer de
la modernité.
La tradition peut se définir comme :
La transmission continue d'un contenu culturel à
travers l'histoire depuis un événement fondateur ou un
passé immémorial (du latin "traditio", "tradere", ou de "trans"
qui signifie « à travers » et "dare" qui veut dire «
donner », « faire passer à un autre, remettre »). Cet
héritage immatériel peut constituer le vecteur d'identité
d'une communauté humaine. Dans son sens absolu, la tradition est une
mémoire et un projet, en un mot une conscience collective : le souvenir
de ce qui a été, avec le devoir de le transmettre et de
l'enrichir. Avec l'article indéfini, une tradition peut désigner
un mouvement religieux par ce qui l'anime, ou plus couramment, une pratique
symbolique particulière, comme par exemple les traditions
populaires.16(*)
Dans un sens sociologique, la tradition est une coutume ou une
habitude qui est mémorisée et transmise de
génération en génération, même si très
souvent la jeune génération la considère toujours comme
une affaire de vieilles personnes. Il faut dire que, lorsqu'une
société se construit, elle le fait en bâtissant un ensemble
de coutumes et de manières de faire, socle même de sa
civilisation. Si ces traditions sont mises en place et subsistent avec le
temps, c'est sur la base de la croyance en leur efficacité.
Évidemment, cette foi en nos coutumes fait que bien souvent, la
nouveauté, autrement dit, la modernité, est
considérée comme une menace.
La modernité en effet, est un mode de civilisation
caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition,
c'est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou
traditionnelles. Elle implique un changement de mentalité. La
modernité naît de certains bouleversements profonds de
l'organisation économique et sociale, elle s'accomplit au niveau des
moeurs, du mode de vie et de la quotidienneté17(*). Nous pouvons préciser
qu'elle « innove, agit, élargit, invente et
réinvente »18(*)
La modernité est donc l'ensemble des conditions
historiques matérielles qui permettent de penser l'émancipation
vis-à-vis des traditions, des doctrines ou des idéologies
données et non problématisées par une culture
traditionnelle. Or, lorsque nous parlons de l'émancipation, nous devons
y voir un changement, parfois radical. Une scission qui s'opère entre
deux générations. Celle-ci n'intervient très souvent que
sur l'influence d'éléments nouveaux qui viennent agir sur
l'ancienne communauté, à travers de nouvelles cultures
apportées par des immigrés ou par le canal des médias.
Dans la ville de Ngaoundéré, le conflit entre le moderne et le
traditionnel a d'abord donné lieu à une répulsion des
populations de l'ancienne cité à l'égard des nouvelles
religions, ou l'école apportée par les Occidentaux19(*). En fait, il faut dire que
nous considérons comme dangereux, « ceux qui ont l'esprit fait
autrement que nous et immoraux ceux qui n'ont pas notre
morale »20(*).
C'est donc ce problème de morale qui aurait conduit à la
création du quartier Baladji, consécutive à l'expulsion
des ressortissants du Grand-Sud du pays de l'ancienne cité de
Ngaoundéré en 195021(*). C'est aussi à ce moment que les
activités de la nuit passent d'une quasi clandestinité à
une certaine impudicité. Cette vie connaît aussi de profonds
bouleversements avec l'indépendance du pays, l'électrification de
la ville, son érection en chef-lieu de province, et enfin le centre
universitaire devenu Université.
III. CADRE GÉOGRAPHIQUE
Ngaoundéré est une ville du
Cameroun, chef-lieu de la
région de l'Adamaoua. La ville se situe au nord de la région sur
le plateau de l'Adamaoua. C'est un carrefour important du commerce
régional puisque c'est un passage obligé du transport routier
entre les villes du Sud du pays et les villes du Nord jusqu'au Tchad. Elle est
la ville terminus du train. Ngaoundéré se démarque par un
mont sur lequel est assis un rocher arrondi, ce qui fait dire aux populations
qu'elle est le nombril de l'Adamaoua.
C'est par le décret N°83/390 du 22 août 1983
que Ngaoundéré devient le chef-lieu de la nouvelle province de
l'Adamaoua. Le 12 novembre 2008, le décret N°2008/376 fait de cette
ville le chef-lieu de la région de l'Adamaoua. Enfin, le 17 janvier
2008, la
communauté
urbaine de Ngaoundéré est créée.
Les
Peuls constituent le groupe
ethnique le plus important, ayant comme langue le fulfulde
(prononcé en français foulfoulde). Ce peuple est
présent dans toute l'Afrique de l'Ouest, au Cameroun, au
Tchad, au
Soudan, et un peu en
République Centrafricaine, au
Congo et
plus rarement en République Démocratique du Congo.
En effet, c'est un peuple qui a vécu essentiellement de
l'élevage jusqu'aux conquêtes coloniales de la fin du XXe
siècle. À ce moment-là, ils avaient
déjà fondé deux grands empires : l'empire peul du
Macina et l'empire peul de Sokoto. La localité de
Ngaoundéré est organisée en lamidat. Il existe
donc :
Toute une "structure gouvernementale" au sein du lamidat et,
à la tête duquel se trouve un chef suprême, un lamido, voire
un "chef d'État musulman". « Tel qu'on peut le constater, le
lamidat est un Etat au sens fort du terme ». Le lamido préside
aux destinées des populations de son unité de commandement. Il
est le souverain. Le chef politico-religieux de l'ensemble de la
communauté. Il est assisté dans ses hautes et prestigieuses
fonctions par un conseil de notables dénommé faada ou
fada.22(*)
Ngaoundéré est ainsi sous la tutelle d'un
Lamido, dont le premier fut Ardo Ndjobdi. Cette ville est sous une forte
influence islamique, ce qui impose un type de mentalités conservatrices,
susceptibles d'influencer la vie de nuit.
Le climat est presque tempéré puisque cette zone
de
savane arborée est
située en hauteur. Les variations de températures sont
plutôt importantes en saison sèche. Le climat comprend
principalement deux saisons : une saison sèche et une saison pluvieuse.
La saison sèche est marquée par un vent sec venant du Nord
(l'harmattan), qui se transforme en un vent sec et chaud. Quand à la
saison des pluies, elle est marquée par des pluies parfois violentes et
discontinues. Cette saison constitue l'un des problèmes majeurs des
travailleurs de nuit. En effet, les pluies sont ici très abondantes et
installent un climat très froid qui obligent les populations à
rester chez elles. Les activités de la nuit connaissent donc un certain
ralentissement.
C'est en 1884 que les Allemands signent avec les chefs duala
le traité de protectorat qui fait du Kamerun un territoire sous
domination allemande. Mais la progression à l'intérieur de ce
territoire se fait doucement. Ainsi, c'est en 1901 qu'ils font la
conquête de la cité de Ngaoundéré. Dès lors,
elle devient, avec la démolition de la barrière qui la
fortifiait, une ville ouverte au monde et à toutes les influences. Mais,
à ce moment-là, les traditions ici ne sont pas
véritablement bousculées en ce qui concerne la vie de nuit. Il
faut attendre l'arrivée des Français en 1915 et la perte de
l'influence du pouvoir traditionnel qui s'en suit, pour assister à ces
changements.
En 1952, les premiers changements de la vie de nuit dans la
ville s'opérent véritablement. Ils sont consécutifs
à la création du quartier Baladji. Ce quartier est
créé grâce aux premiers "immigrés"
bamiléké qui s'installent dans la ville, motivés par la
curiosité de découvrir les terres d'origine des personnes avec
lesquelles ils font des échanges depuis longtemps et par la
volonté d'étendre leur zone de commerce23(*).
Photo 1: Groupe de jeunes regardant
un match télévisé sur la terrasse
Du bar Le Fhalimar au quartier Joli
Soir.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
La population de la ville de Ngaoundéré n'a
cessé d'augmenter depuis 1952. Le 1er Recensement
Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1976
estimait la population à 38 800 âmes. Le 2e R.G.P.H. de
1987, à 78 000 et les projections pour l'année 2007 à 190
000 (marge d'erreurs possiblement grande en l'absence de résultats du
3è R.G.P.H. de 2005)24(*). Il faut remarquer que cette population est assez
jeune et désoeuvrée.
IV. LIMITES CHRONOLOGIQUES
Le cadre chronologique de notre étude va de 1952
à 2009. En effet, 1952 représente l'année de
reconnaissance officielle du quartier Baïladji comme domaine de
l'État. Pour faire notre examen de l'évolution de la vie de nuit
dans la ville de Ngaoundéré, nous nous attardons sur le quartier
Baladji car aujourd'hui, il s'agit d'un haut lieu d'activités lorsque
nous parlons de la vie de nuit. Et surtout, un creuset qui a donné
naissance aux autres quartiers influents dans la nuit, notamment Joli-Soir et
Baladji II, avec lesquels la limite n'est jamais vraiment nette en termes de
découpage territorial. Sa création a marqué une
véritable mutation dans les comportements des populations de
Ngaoundéré et leur considération de la vie de nuit.
Il faut dire que les commerçants
bamiléké entretenaient depuis les années 1900 des
relations commerciales avec les ressortissants de Ngaoundéré. Et
dans leur élan non seulement de découverte mais aussi
d'étendre leur secteur d'activité, ils découvrent cette
cité décrite comme circulaire par un voyageur25(*) vers les années 194026(*). Ils sont accueillis au quartier
Bali dans l'ancienne cité27(*). Mais sont expulsés vers Baïladji par le lamido
Mohammadou Abbo (1948-1957).
Les raisons de cette expulsion sont à la fois
politiques et religieuses. En effet, les français doivent faire face
à la rébellion de l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C.),
qui ne cessait de faire des émules parmi les ressortissants de la
région de l'Ouest. D'autre part, il faut signaler le passage de Ruben Um
Nyobe, un des leaders de ce mouvement comme fonctionnaire à
Ngaoundéré dans les années 194028(*). En plus d'après les témoignages des premiers
habitants de Baïladji29(*), les
comportements de ces nouveaux habitants ne cadraient pas avec la morale
musulmane : consommation d'alcool, de viande de porc, etc.
Mais, ne pourrions-nous pas voir à travers cette
mise à l'écart des étrangers une spécificité
des villes musulmanes ? En effet, plusieurs villes sous forte influence
islamique sont bâties selon deux parties : une, qui laisse la place
à tout type d'influence, et l'autre, plus conservatrice, qui ne laisse
entrer aucune nouvelle culture et se veut le socle même de l'Islam. Entre
les deux villes, on retrouve très souvent une scission
créée par un cours d'eau. Nous pouvons ainsi citer en exemple les
villes de Damas en Syrie et du Caire en Égypte.
À Damas, la vieille ville se trouve sur la rive
Sud de la rivière Barada. À l'intérieur des remparts se
trouvent plusieurs monuments comme la mosquée des Omeyyades, le palais
Al Azem ou encore le caravansérail Khan Assad Basha. Des rues ou ruelles
couvertes et bordées de boutiques, les souks (souk Al-Hamidiyya, souk
Medhatt Basha, souk Bzouriye) pénètrent la vieille cité,
principalement à l'ouest de la mosquée des Omeyyades. Pour le
sud-est, nord et nord-est, elle est entourée de banlieues. Ces nouveaux
quartiers ont été d'abord colonisés par des soldats kurdes
et des réfugiés musulmans des régions européennes
de l'Empire ottoman, qui avaient été reconquises par les
chrétiens. Aussi prirent-ils les noms d'al-Akrad (les Kurdes) et
d'al-Muhajirin (les migrants). Ces quartiers se situent à environ deux
ou trois kilomètres au nord-ouest de la vieille ville. Dès la fin
du XIXe siècle, un moderne centre administratif et commercial a
commencé à voir le jour à l'ouest de la vieille ville,
autour du Barada, centré sur la zone connue sous le nom de al-Marjah ou
la Prairie. Al-Marjah est rapidement devenu le nom de ce qui était
initialement la place centrale du Damas moderne, autrement connue sous le nom
de place des Martyrs, où a d'ailleurs été
édifié l'hôtel de ville. Au XXe siècle, de nouvelles
banlieues se sont développées au nord du Barada, et dans une
certaine mesure, au sud, envahissant l'oasis de la Ghouta (de l'arabe al-Guta
qui signifie oasis)30(*).
La ville du Caire quant à elle, se situe sur la
rive Est du Nil ainsi que sur quelques îles adjacentes, dans le Nord de
l'Égypte, symbolisant le sud où la rivière quitte la
vallée limitrophe au désert pour se diviser en deux bras dans la
basse région du delta du Nil. La plus ancienne partie de la ville se
trouve à l'Est du fleuve. La ville s'est peu à peu
déployée vers l'Ouest, englobant les terres cultivables autour du
Nil. Ces quartiers Ouest, bâtis sur le modèle de la ville de Paris
par Ismaïl le Magnifique au milieu du XIXe siècle, sont
caractérisés par de larges boulevards, des jardins publics et de
nombreux espaces ouverts. La vieille ville à l'Est est très
différente : sa croissance plus hasardeuse qu'ordonnée en a fait
un endroit riche de petites ruelles et de vieux habitats surpeuplés.
Alors que le Caire de l'Ouest concentre les bâtiments officiels et une
architecture moderne, la moitié Est se révèle, quant
à elle, riche de centaines de vieilles mosquées, véritable
patrimoine historique31(*).
Ainsi on croirait, en entrant dans une ville musulmane,
voir deux villes distinctes : l'une traditionnelle et l'autre moderne.
Tout compte fait, cette expulsion des "immigrés, loin de les mettre
à l'écart, les galvanise au contraire. Très vite, on
retrouve d'autres groupes ethniques dans ce nouveau quartier : Bamoun,
Gbaya, Dii, Mbum-Baba, Tchadiens, Centrafricains, Maka, Béti...C'est par
la délibération N°179/52 du 24 octobre 1952, rendue
exécutoire par l'arrêté N°78 du 3 janvier 1953, que
Baïladji est classé domaine de l'État. Finalement, c'est en
1964 que le nom Baladji est officiellement attribué au quartier32(*).
On peut donc aisément dire que la
création du quartier Baladji est un fait décisif dans les
mutations que connaît la nuit d'aujourd'hui à
Ngaoundéré. Pour mieux comprendre cette évolution, il est
logique d'analyser les raisons de la création de ce quartier en 1952,
au-delà des idées arrêtées qui pourraient
très facilement n'y voir qu'un fait de rejet culturel. Nous prenons pour
limite 2009, année pendant laquelle cette étude est menée,
afin de mettre en exergue la situation actuelle de la vie de nuit dans la ville
de Ngaoundéré.
V. INTÉRÊT DE LA RECHERCHE
IV. 1. Intérêts académique et
scientifique
De prime abord notre travail, est d'ordre académique
dans la mesure où il est présenté en vue de l'obtention du
diplôme de Master's d'histoire. Il trouve son intérêt
scientifique dans le fait qu'il relève de la sociohistoire. En effet,
l'originalité de la sociohistoire repose sur la combinaison des
"principes fondateurs" de l'histoire et de la sociologie. Relevons que nous
assistons à une multiplication, depuis quelques années, de
recherches estampillées « sociohistoire ». Mais la
diversité des chercheurs et des travaux se déclarant proches de
ce courant a rendu nécessaire une tentative d'unification et de
définition33(*).
Fondée dès l'origine comme discipline distincte
de l'histoire, la
sociologie s'est
vue enfermée dans l'étude des états actuels des mouvements
et des phénomènes sociaux. En effet, cette dernière
procède par l'observation de terrain, entretiens ou statistiques qui
réduisent la société à un ensemble de faits
contemporains et qui conduisent à des explications de type
interactionniste. Ainsi, la sociologie historique d'Élias tente de
replacer les phénomènes sociaux dans leur épaisseur
historique, pour faire apparaître les différents contextes dans
lesquels ils se sont développés et avec lesquels ils
entretiennent un rapport permanent.
La sociologie historique n'est pas une branche de l'histoire,
c'est-à-dire l'étude sociologique d'une époque
passée : elle est toujours à la fois comparative et
transhistorique. Elle considère que les formes passées de la
société ne disparaissent pas avec leurs époques, mais que,
comme dans la langue, elles restent contenues et actualisées dans leurs
formes présentes. Moins portée vers l'étude d'archives que
l'histoire et vers l'étude de terrain que la sociologie, elle recourt
plutôt à de vastes analyses documentaires ou bibliographiques pour
mettre en place de larges enquêtes comparatives.
La sociohistoire est aussi différente de l'histoire
sociale d'un Christophe Charle qui, elle, s'intéresse à
l'histoire de la société ou d'une de ses composantes. Et enfin de
la micro-histoire d'Alain Corbin, qui se place aussi sous le double patronage
de l'histoire et de la sociologie.
De l'histoire, la sociohistoire reprend la méthode
critique telle qu'elle a été fixée à la fin du
XIXe siècle, c'est-à-dire l'étude des "traces"
laissées par le passé (archives notamment) afin de retrouver,
derrière, les individus en chair et en os. La sociohistoire construit
ses questionnements à partir du monde contemporain. Elle a pour vocation
de comprendre le monde contemporain, et pour cela se tourne vers le
passé, d'où l'importance accordée à la
genèse des phénomènes.
De la sociologie, la sociohistoire reprend la démarche
de déconstruction des entités collectives (l'État, les
entreprises, les classes sociales, etc.) pour retrouver le lien social. Comme
le sociologue, le sociohistorien analyse le lien social en termes de relation
de pouvoir, et s'intéresse surtout à la transformation historique
de ces relations de pouvoir (domination comme solidarité) par le
développement des "relations à distance" (relations
médiatisées par des objets, par opposition aux "relations de
face-à-face"). Une fois ce cadre théorique clarifié, la
sociohistoire emprunte donc des concepts au sociologue ou à l'historien
afin de résoudre un problème empirique précis.
Ce travail aborde aussi l'anthropologie historique. Elle se
définit comme «l'étude de l'évolution des
sociétés humaines en fonction de leurs composantes
biologiques.34(*)»
Parmi les domaines qu'elle aborde, nous pouvons citer les rites et
les croyances, le culturel et le politique. En recherchant la manière
à laquelle la vie de nuit a évolué au regard du contexte
social de la ville de Ngaoundéré, il s'agit ici de relever
l'impact social d'une religion, l'islam, qui, dès son implantation dans
le Grand-Nord du Cameroun, est très rapidement devenu psychologiquement
dominant et socio-politiquement influent. Mais, cette influence a
considérablement baissé avec la colonisation et les
conséquences qui ont suivi, tant sur le plan culturel que politique.
IV.2. Intérêt
économique
Notre travail étudiera aussi la question de l'apport
économique de la nuit. Grâce à ses activités, elle
est un véritable socle sur lequel le "jour" prend appui. Nous montrerons
donc quelle est l'importance de la nuit dans les interactions sociales. Nous
nous attellerons à mettre en exergue la spécificité des
métiers de la nuit et à expliquer le pourquoi de leur existence
justement pendant cette période. Avec près de 90,4% des actifs
camerounais travaillant dans le secteur informel, et 92,5% de la population de
Ngaoundéré y exerçant35(*), il apparaît à l'observation que la
plupart de ces activités informelles se déroulent de nuit.
IV. 3. Intérêt culturel
Nous étudions la société de
Ngaoundéré et ses populations, tant "autochtones"
qu'"immigrées". Cette étude prend donc en compte les cultures,
les religions, les traditions et les moeurs en général. Nous ne
négligeons pas le fait que la vie dans une région est toujours le
reflet de l'ensemble des croyances qui la caractérisent. La vie tout
court, et celle que nous nous proposons d'étudier, à savoir celle
de la nuit, revêt toujours une considération différente
d'une région à l'autre. Nous faisons donc une comparaison entre
la considération que les premières populations de la ville de
Ngaoundéré ont de la nuit et celle des populations qui s'y sont
installées pendant et après la colonisation. D'autre part, c'est
cette considération qui conditionne la manière de vivre la nuit.
Examiner comment la conception de la nuit a évolué d'une
époque à l'autre représente notre intérêt
culturel.
VI. REVUE DE LA LITTÉRATURE
Les différentes études que nous avons pu
recenser, et qui ont été menées sur la ville de
Ngaoundéré, sont essentiellement d'ordre historique,
géographique et sociologique. En effet, il est difficile d'imaginer une
étude sur une ville aussi contrastée, sur les plans humain (une
population multiethnique et multiraciale), religieux (une forte influence
islamique et une communauté chrétienne de plus en plus
croissante) et culturel, sans cette multidisciplinarité. Cependant,
certains travaux de recherche méritent d'être cités, car
ils ont abordé des aspects importants de la vie en général
dans cette ville.
Ainsi le travail de Mohamadou Lamine36(*) s'intéresse à
l'évolution de la ville de Ngaoundéré. En effet,
il présente le peuplement de la ville, sa constitution, tout en
évoquant les différentes migrations, l'essor du commerce et
l'urbanisation, sans omettre les conséquences qui en ont
découlées. Cette thématique est proche de celle de Babarou
Abbagana37(*) qui
examine l'évolution et l'organisation socio-économique des
quartiers dits populaires dans le Nord-Cameroun et principalement dans la ville
de Ngaoundéré. S'il impose à son travail une vision
historique, il ne faut pas négliger l'analyse de Nkoumba Eyoum
Paul38(*),
géographe qui s'attache à étudier la croissance de la
ville, avec les mutations des modes et des formes d'organisation de
l'espace.
Sur un plan économique, Ossoko Serge39(*) étudie les
différentes activités du secteur informel ainsi que la
densité de la population dans certains quartiers de
Ngaoundéré. Mais aussi les principaux axes marchands de cette
ville, tout en mettant l'accent sur l'évolution de la population. Ce
dernier aspect est aussi pris en compte par Lamanou Monique
Débina40(*), qui
étudie, en plus de l'évolution de la ville, la création
des Grand et Petit Marchés de Ngaoundéré. Hawa
Djibring41(*) quant
à elle, aborde les phénomènes d'urbanisation, de
déséquilibres sociaux et leurs conséquences
socio-économiques sur la ville de Ngaoundéré.
Nous évoquerons enfin, en ce qui concerne les
recherches académiques faites sur la ville de Ngaoundéré,
les travaux de Kemfang Hervey42(*). Notre attention est interpellée car,
l'étudiant consacre son travail à la création des
quartiers Baladji I et II, leurs habitants et au commerce du sexe qui y
sévit, particularités qu'il s'agit de prendre en
considération dans l'étude de la vie de nuit.
Plusieurs contributions d'articles portent sur la ville de
Ngaoundéré et sur les stratégies d'adaptation des
populations qui y arrivent. C'est ainsi que Trond Wagge jette un regard sur les
jeunes Centrafricains et Tchadiens qui s'installent dans cette ville, pour
tirer la conclusion que :
Youths hopes and dreams to a large extent are similar
despite different ethnic, religious, national, economic and social background.
Very general they dream about a brighter future, implying better living
standards and a more predictable life. Despite a cultural diversity, young
people in Ngaoundéré look for a future that is very similar. But
their strategies to reach there are very different.43(*)
Et, pour atteindre cet objectif, les jeunes, étrangers,
ou simplement issus de l'exode rural et des migrations à
l'intérieur du pays, se reversent dans le secteur informel, comme le
montre Ndame44(*).
Tous ces travaux, dont nous ne manquerons pas de nous
inspirer, vont dans une logique qui tient compte de l'évolution de la
ville, des populations, de leurs activités, et même du
problème de l'insécurité45(*). Notre travail est certes une étude de plus
sur la ville de Ngaoundéré, mais il se démarque par les
différents problèmes qu'il relève en jetant un regard
historique sur la réalité sociale de la nuit (les acteurs de la
vie de nuit, la mise en place de celle-ci). Et surtout parce qu'il met en
exergue les différentes activités de la nuit. En effet, l'espace
de temps que constitue la nuit n'a jusqu'ici pas fait objet de recherche de
manière spécifique, puisque la nuit est en principe le moment
consacré au repos, donc une cessation de toute activité qui
donnerait lieu à une ville silencieuse. Et pourtant, il existe une vie
de nuit.
VII. PROBLÉMATIQUE
Notre problème naît donc de la contradiction qui
existe dans le rapport entre vie et nuit. Si la nuit est un
moment de quiétude, qu'est-ce qui explique les activités humaines
qui fleurissent au moment même où les hommes sont censés
dormir ? Quel est l'impact économique de ces activités sur
la ville ? Ont-elles un rapport avec les flux migratoires qui ont
marqué l'histoire de Ngaoundéré ? Il est
indéniable qu'elles font partie de notre environnement et font
naître l'idée d'un prolongement de la journée de travail.
De fait, quels types de mouvements pouvons-nous observer de nuit ? Comment
se comportent les populations, avec leurs spécificités
culturelles, dans la nuit et quelle évolution peut-on relever dans ces
activités et dans la conception de la nuit depuis 1952.
VIII. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
Notre travail porte sur la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré depuis 1952. Pour cela, nous étudions d'abord
la représentation que les populations locales se font de la nuit. Il
s'agit des Mboum, des Peuls, et des Gbaya principalement. Cependant, il faut
dire que cette conception varie aussi avec les considérations
religieuses. Avec l'arrivée des Occidentaux, l'idée que ces
peuples ont de la nuit a aussi évolué, passant ainsi d'un
caractère traditionnel à un caractère dit moderne. La
différence entre ces deux aspects est notable dans les activités
qui meublent la nuit. Nous examinons donc le passage de la vie de nuit
vécue traditionnellement à la nuit moderne, transition qui ne
s'est pas effectuée sans heurts.
Dès lors, il nous sera plus aisé de jeter un
regard sur les travailleurs de nuit. On peut les distinguer en deux secteurs
d'activités : le secteur formel et le secteur informel. Dans une
ville comme Ngaoundéré où la situation économique
laisse la place à la débrouillardise, il apparaît que
chaque activité du secteur formel semble avoir son clone dans le secteur
informel, mais avec la même finalité (restaurant dans le secteur
formel, points de vente des beignets et de poissons cuits à la braise
dans le secteur informel par exemple). Notre objectif est donc, à
travers cette recherche, de montrer leur évolution dans la ville de
Ngaoundéré, et comment ils sont vécus aujourd'hui.
Mais, ces activités, expression de la pauvreté
économique qui s'est accentuée dans le pays en
général et dans la ville de Ngaoundéré en
particulier depuis les années 1990, transportent avec elles un ensemble
de problèmes : criminalité, drogue, dépravation des
moeurs entre autres. D'où la nécessité de faire un bilan
de la vie de nuit, en abordant ce qui fait son lien avec la vie de jour et les
perspectives d'avenir, c'est-à-dire voir ce qu'il est indispensable de
faire dans le sens de l'amélioration des conditions de vie dans la
ville.
IX. MÉTHODOLOGIE
IX.1. Sources
Ce travail se fixe pour objectif de comprendre comment et
pourquoi la vie de nuit a évolué depuis 1952 dans la ville de
Ngaoundéré, d'étudier de quelle manière cette
société sous influence islamique est passée d'une vie de
nuit quasi taciturne et très pudique, à une situation aujourd'hui
caractérisée par l'expression de tous les excès. Pour ce
faire, nous avons utilisé des sources écrites, des
témoignages oraux et des documents iconographiques. Nous nous sommes
aussi appesanti sur les informations trouvées sur le réseau
internet.
Comme sources écrites, nous avons utilisé
principalement les thèses, mémoires, rapports et ouvrages
généraux en rapport avec la vie dans la ville de
Ngaoundéré ainsi que son évolution. Cela nous a permis
d'avoir une connaissance panoramique des faits historiques qui ont
marqué la ville. Les bibliothèques de la Faculté des Arts
Lettres et Sciences Humaines de l'Université de
Ngaoundéré, de Ngaoundéré Anthropos, du Cercle
Histoire-Géographie-Archéologie de l'Université de
Yaoundé I, et du collège de Mazenod de Ngaoundéré
nous ont servi de socle pour l'obtention de ces documents. Nous avons aussi
consulté les documents des archives régionales de
Ngaoundéré et de la Présidence de la République du
Cameroun, qui nous ont aidé dans la connaissance des lois qui
règlementent quelques unes des activités de la nuit, et celles
mettant en place les structures administratives de Ngaoundéré.
La synthèse des résultats recueillis de ces
documents a facilité l'élaboration et l'orientation de la
deuxième étape qui consistait en la descente sur le terrain, dans
les différents quartiers de la ville de Ngaoundéré :
Joli-Soir, Sabongari, Onaref, Socaret, Bamyanga, Marza, Dang, et les quartiers
de l'ancienne cité peule. Dans notre travail de recherche, nous nous
sommes servi des renseignements que nos informateurs nous ont procurés.
Ces informateurs nous ont renseigné par le biais d'entretiens et de
questionnaires portant sur la vie de nuit et son évolution dans la ville
de Ngaoundéré. Très peu d'informations concernant la vie
de nuit sont répertoriées dans les rapports administratifs. Il
était donc nécessaire de faire appel à ceux qui ont fait
ou qui font la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré. Afin
d'établir un échantillon représentatif, nous avons
rencontré nos informateurs sur la base de leur âge, leur quartier
d'habitation, la durée de leur installation dans la ville de
Ngaoundéré et leur activité. Pour cela, quelques histoires
de vie des travailleurs de nuit nous laissent entrevoir les conditions dans
lesquelles ils ont mis de côté le repos et le sommeil propres
à la nuit, pour prendre un travail à ce moment-là, quelque
dégradant soit-il sur le plan social. Enfin nous avons pris en compte
ceux qui constituent la clientèle des commerces de nuit, pour comprendre
les motivations qui les amènent vers ces comptoirs pas toujours d'une
grande moralité.
IX. 2. Méthodes de collecte
des données
IX.2.1. L'observation
participante
Quand on
fait référence à l'École de Chicago, on pense tout
de suite à son innovation méthodologique qui s'approche un peu
plus de la sociologie qualitative : l'observation participante. Il n'est
pas étonnant qu'on retrouve chez les sociologues de Chicago la posture
méthodologique d'obédience interactionniste qui prend en effet
toujours appui sur diverses formes d'observation participante. Patricia et
Peter Adler distinguent 3 grandes catégories de positions de recherche
sur le terrain :
· rôle
« périphérique » : le chercheur est en
contact étroit et prolongé avec les membres du groupe mais ne
participe pas (soit en raison de croyances épistémologiques, soit
parce que moralement il s'interdit de participer aux actions
délinquantes, ou parce que ses propres caractéristiques
démographiques ou socioculturelles l'en empêchent).
· rôle « actif » : le
chercheur prend un rôle plus central dans l'activité
étudiée. Participation active, prend des responsabilités,
se conduit avec les membres du groupe comme un collègue.
· rôle de membre complètement
« immergé » : le chercheur a le même
statut, partage les mêmes vues et les mêmes sentiments, poursuit
les mêmes buts. Fait l'expérience des émotions...
Dans le cadre de notre recherche, nous avons utilisé la
première méthode. En effet, nous nous sommes limité au
seul cas de l'observation sans prendre de part active et ce, à temps
partiel.
Il est abusif d'employer l'expression observation
participante pour le simple fait d'aller sur le terrain. Park insistait
pour que le scientifique observe mais ne participe pas, il recommandait une
attitude détachée. Position qui peut paraître surprenante
si on considère que l'École de Chicago a été le
modèle théorique et méthodologique de l'observation
participante. Park pensait ainsi en réaction au courant dominant
précédant dans la sociologie naissante d'alors :
l'enquête sociale.
L'observation participante est un dispositif particulier de
recherche au sein de l'ethnographie, mais elle implique que le chercheur joue
un rôle pour comprendre de l'intérieur la vision du monde et la
rationalité des actions des êtres qui constituent la
société.
IX.2.2.
Les entretiens et les interviews
Nous avons eu recours aux entretiens semi directifs, qui sont
une des techniques qualitatives les plus fréquemment utilisées.
Ils permettent de centrer le discours des personnes interrogées autour
de différents thèmes définis au préalable par les
enquêteurs et consignés dans un guide d'entretien. Ils peuvent
venir compléter et approfondir des domaines de connaissance
spécifiques liés à l'entretien non directif, que nous
utilisons aussi selon les contextes, et qui se déroule très
librement à partir d'une question. Ainsi, nous avons fait appel aux
services d'un interprète. En effet, le chercheur ne s'exprimant pas en
fulfulde, la communication aurait été impossible. Ce
type d'entretien (semi directif) apporte une richesse et une précision
plus grandes dans les informations recueillies, grâce notamment à
la puissance évocatrice des citations et aux possibilités de
relance et d'interaction dans la communication entre interviewé et
interviewer. Malheureusement, nous avons été confronté aux
réticences des personnes interviewées à donner leurs noms.
Certains, pour préserver leur vie privée, ont
préféré donner uniquement un prénom, dont nous ne
pouvons garantir la fiabilité. Dans l'imagerie populaire, vivre de nuit
c'est faire preuve d'immoralité, nous comprenons donc pourquoi les noms
ne sont pas divulgués. Plusieurs de nos informateurs ont aussi
évoqué le fait qu'ils ne savent pas qui est susceptible de lire
le travail, donc leur vie pourrait être dévoilée.
Nous avons aussi fait usage d'entretiens directifs, avec un
protocole de questions préétablies. Sans pouvoir chiffrer
précisément dans quelles proportions tel jugement ou telle
manière de vivre et de s'approprier quelque chose peut influencer les
projections sociales, l'avantage principal de l'entretien par rapport au
questionnaire, est qu'il révèle souvent l'existence de discours
et de représentations profondément inscrits dans l'esprit des
personnes interrogées et qui ne peuvent que rarement s'exprimer à
travers un questionnaire.
IX.2.3. L'exploitation documentaire
Les historiens font un usage intensif des informations
indirectes. Il s'agit, en général, de diverses sortes de
documents : des récits de vie, des rapports cliniques ou judiciaires,
des documents personnels, des sources journalistiques ou d'autres sources
publiées. Le chercheur peut réaliser une analyse de contenu de ce
genre de corpus. Dans certains cas, cette analyse a une dimension quantitative,
et comporte l'utilisation de logiciels d'analyse de textes. Ainsi, dans notre
étude, nous mettons l'accent sur certaines données telles que :
plans, cartes de ville, données des recensements, archives, rapports
municipaux, travail social.
IX.3. Méthode d'analyse des données
Tout au long de notre recherche, nous nous sommes fondé
sur la technique d'analyse de contenu. L'analyse de contenu, autre
méthode qualitative utilisée dans les sciences sociales, consiste
en un examen systématique et méthodique de documents textuels ou
visuels. Dans une analyse de contenu le chercheur tente de minimiser les
éventuels biais cognitifs et culturels en s'assurant de
l'objectivité de sa recherche.
Pour Mucchieli, il s'agit d'«un examen objectif,
exhaustif, méthodique et si possible quantitatif, d'un texte ou d'un
ensemble d'informations en vue d'en tirer ce qu'il contient de significatif par
rapport aux objectifs de la recherche.46(*)» L'analyse de contenu renvoie donc à un
ensemble de techniques d'analyse des communications visant à obtenir des
indicateurs quantifiables ou non, par des procédures
systématiques et objectives de description du contenu des messages,
permettant l'inférence des connaissances relatives aux conditions de
production ou de ces messages.
IX.4. Difficultés rencontrées
Dans notre travail sur la vie de nuit, nous avons
été confrontés à plusieurs problèmes. Tout
d'abord, il faut noter que certains de nos informateurs étaient
analphabètes et donc, ne pouvaient s'exprimer qu'en fulfulde. Or, il se
trouve que c'est une langue que nous maîtrisons mal sinon très
peu. Nous avons donc fait appel à des interprètes malgré
ce que cela représente comme risques en termes de fiabilité de
l'information et de confiance entre l'interviewer et l'interviewé, et au
Vocabulaire français-foulfoulde de Werner Kammler.
D'autre part, faire une étude sur la nuit et ses
acteurs, c'est se confronter à l'hostilité et à la
méfiance des uns et des autres. En effet, la plupart des acteurs de la
nuit vivent de nuit justement pour ne pas être vus. Profitant de
l'obscurité de cet espace de temps, ils peuvent laisser libre cours
à tous les instincts. Faire une étude sur eux ou les
photographier, c'est violer leur intimité. Les prostitués par
exemple, considèrent comme du voyeurisme le fait de sillonner autour de
ce qu'elles appellent leurs « bureaux », sans rien
« acheter ». Ainsi, pour mieux les connaître il faut,
soit devenir client, soit monnayer leurs informations. Mais, lorsque s'est
déjà établie une certaine confiance entre l'observateur et
l'une d'entre elle, tout devient plus facile. Les propriétaires de
circuits dans lesquels Venus et Bacchus font ménage, par crainte de la
concurrence et des impôts, préfèrent quant à eux
n'accorder aucune interview, et sont très discrètes. Cette
méfiance se lit aussi chez les vendeurs de stupéfiants, qui ne
servent que sur la base du faciès et de l'apparence. Nous avons donc
utilisé un intermédiaire qui s'est chargé de nous procurer
quelques unes des informations nécessaires pour notre travail. Client
fidèle, il lui était plus facile de les obtenir.
Il faut ajouter au nombre de ces problèmes, les risques
d'agression pendant les observations de nuit. Pour y remédier, nous nous
sommes allié à des patrouilles policières et de temps en
temps nous nous faisions accompagner d'un ami ou deux quand c'était
risqué, par exemple pour observer la vie de nuit à la gare et
dans ses environs (quartier Sabongari-gare entre autres).
X. PLAN DU TRAVAIL
Notre travail de recherche se présente en trois
chapitres. Il s'agit tout d'abord de comprendre le processus évolutif
qui a fait passer la ville de Ngaoundéré de la tradition à
la modernité dans la vie de nuit. En effet, cette dernière
était, jusqu'aux premières vagues migratoires, enrichie par des
activités ludiques, militaires et religieuses. Dans ces mouvements de la
nuit, on ne voit pas la nécessité de rechercher des moyens de
survivance, mais plutôt l'expression culturelle des peuples de
Ngaoundéré. Les mutations vont s'opérer avec les grands
flux migratoires ; les difficultés économiques qui ont
marqué les années 1980-1990 et la grande récession
économique des années 2000 ; nous ne saurions
négliger l'impact des médias sur la jeune
génération de la ville. Tous ces facteurs vont redéfinir
la conception de la nuit que les populations avaient, et laisser la place
à de nouvelles activités et loisirs pendant cet espace de temps.
Dès lors, le deuxième chapitre ambitionne de
montrer la manière à laquelle les activités de nuit se
déploient à Ngaoundéré. Il s'intéresse
particulièrement à la typologie des travailleurs de la nuit et
leurs problèmes. Si le secteur formel est assez présent, c'est le
secteur informel qui emploie pourtant le plus de personnes. Il faut noter que
les activités de la nuit sont caractéristiques du quartier
où l'on se trouve. Cette influence du milieu se reflète aussi
à travers les noms donnés aux établissements commerciaux
tels que les bars, dont l'essentiel des clients évoluent dans la
nuit.
Lorsque de nouvelles mentalités s'imposent à un
peuple, les mutations qui s'en suivent ne sont pas toujours positives. Avec le
pouvoir traditionnel établit à Ngaoundéré avant
l'arrivée des Français en 1915, certains comportements immoraux
étaient contenus. Mais cette baisse de l'influence du pouvoir
traditionnel et les excès qui s'en suivent, donne lieu à de
multiples problèmes. Dans le chapitre trois, nous examinons ces
derniers, ainsi que les solutions apportées par les différentes
administrations.
CHAPITRE I : LA VIE DE NUIT À
NGAOUNDÉRÉ :
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
REPRÉSENTATION TRADITIONNELLE ET RELIGIEUSE DE
LA NUIT
La nuit selon les peuples "autochtones"
Les peuples de l'Adamaoua en général et ceux de
Ngaoundéré en particulier conservent une vision de la nuit assez
particulière. Tout d'abord le peuple Mboum, reconnu comme le premier
à s'être installé dans le plateau de l'Adamaoua47(*), a une forte tradition
liée à la nuit.
En effet, l'étude de l'origine du peuple Mboum montre
que leur pouvoir est lié aux fétiches. Chassé de Badar par
le Prophète Mohamed, le peuple Mboum a évolué à la
recherche de ses fétiches qui avaient été dispersés
par les disciples de celui-ci. C'est donc cette recherche qui constitue le
motif principal de leur migration jusqu'au plateau de Ngaoundéré.
La légende raconte que c'est au cours d'une nuit que ces fétiches
redescendirent sur terre à l'endroit où campaient les
frères Mbéré, Mana, Mvoussa ou Mboussa, et Mvoum ou Mboum.
Parmi ces fétiches, le plus important, le faa wen a gun nday,
fut saisi par le cadet Mvoum qui automatiquement devint le chef suprême
de tout le reste48(*).
L'importance de la nuit chez les Mboum va au-delà de
leur origine. Bertrand Lembezat, ancien administrateur de la France d'Outre-mer
au Nord-Cameroun, décrit le rite d'initiation chez les Mboum.
Après deux jours de festin avec comme principale ressource le mil, les
serviteurs portent les enfants sur leurs épaules et vont les
présenter au Belaka, le chef des Mboum. Le troisième
jour, ils sont conduits en brousse et dansent toute la nuit avec le chef des
circoncis. Ce dernier est en général le fils du Belaka ou d'un
dignitaire. Pendant une longue période où ils reçoivent
les enseignements nécessaires pour leur vie dans la
société et les rites protecteurs, ils doivent tous les jours
à l'aube aller se baigner dans la rivière49(*). Ce rite initiatique est
confirmé par Adji Temba, lui-même Mboum et initié50(*).
La nuit ici est donc le moment par excellence du mysticisme,
de la création en quelque sorte et du pouvoir par extension. La
société Mboum est très ancrée dans les pratiques
mystiques et celles-ci trouvent leur moment d'expression dans la nuit
essentiellement. Une autre illustration de l'importance du mysticisme nocturne
dans les traditions des peuples de l'Adamaoua nous est donnée par le
R.P. Jean-Marie Malassis.
Le R.P. Jean-Marie Malassis, arrive au Cameroun dans la fin de
l'année 1963. S'il est affecté ici afin de créer la
mission catholique d'Atta, il ne manquera pas de faire une observation
anthropologique des Mambila, un des peuples de l'Adamaoua. Pour lui :
Ils [les Mambilas] croient avant tout en un monde spirituel
plus réel pour eux que le monde matériel. Ce monde est
peuplé d'une foule d'êtres et de forces surnaturelles qui agissent
sur le monde naturel. Et comme ils ne connaissent pas les causes
intermédiaires et les mécanismes du monde matériel, ils
expliquent tout phénomène naturel par l'action directe d'une
force surnaturelle. C'est le rôle des fétiches et des esprits qui
sont au coeur de l'animisme africain.51(*)
Ce qui nous intéresse dans ce constat est surtout le
bilan que dresse le prélat sur le rapport de la nuit avec ces esprits.
En effet, la nuit est considérée comme leur moment de
prédilection et leur « chasse gardée ».
Chez les Gbaya, la considération de la nuit comme un
moment de libre expression des esprits existe aussi. Koulagna, grand chasseur
gbaya révèle : « Si jamais vous me rencontrez en
brousse au moment où je chasse, vous ne me reconnaîtrez plus. Je
suis à la fois lion et singe, serpent et oiseau. C'est pourquoi je
préfère chasser de nuit, le temps où les sorciers
opèrent.52(*)»
La nuit est donc le domaine des sorciers et tout ce qui semble
maléfique. Ainsi, vivre la nuit devient un fait totalement hors du
commun. C'est ce qui explique le fait que la plupart des rites initiatiques
dans l'Adamaoua se font en grande partie de nuit. Parmi les rites initiatiques
qui meublent la culture Gbaya, nous pouvons citer le
lábì, rite initiatique des garçons. Ce rite se
déroule sur une durée de trois ans, passés dans des camps
à l'extérieur du village. Cette période peut être
divisée en deux, la première, qui dure deux ans, dans un premier
camp, est appelée le kéé ndìnbà.
Elle est marquée par des épreuves aussi difficiles les unes que
les autres, épreuves qui se caractérisent par la brutalité
et l'humiliation. Le deuxième camp, le dèyè?,
dure relativement une année. Pendant cette deuxième
période, les femmes sont tolérées dans le camp. Parmi les
activités du lábì, nous retrouvons la chasse, la
danse commune pour éduquer à la cohésion du groupe,
l'apprentissage sexuel. Elles se déroulent dans leur essentiel dans la
nuit53(*).
Avec l'arrivée des Foulbé et l'islamisation, la
nouvelle cité sous influence peul-islamisée redéfinit la
conception de la nuit. Les activités ne sont plus essentiellement
mystico-religieuse, mais s'organise autour du Lamidat. Ainsi, sous le
règne d'Ardo Issa, la cité de Ngaoundéré
était un véritable camp de guerre et « lorsqu'il
rentrait de guerre et venait descendre dans son palais, la nuit ses guerriers
munis de torches géantes formaient un cercle de feu autour de son
Sare ; se servant de leur bouclier pour couverture ils passaient la nuit
sur place tout armés. 54(*)»
La nuit est ainsi parée d'une certaine
solennité, que l'on retrouve aussi dans les manifestations marquant
l'intronisation du lamido, mais cette fois, teintée de
réjouissances. Froelich décrit ces manifestations en rappelant
que pendant trois jours ou plus, les fêtes continuent et, chaque nuit,
les serviteurs et les païens dansent. Cependant, les Foulbé ne
dansent jamais, seuls les jeunes Mbororo, garçons comme filles se
mêlent à la danse55(*).
Par ailleurs, pendant la période de Ramadan, quelques
marchandises sont vendues pendant la nuit tels le lait, le mil, de la bouillie
et des beignets au Grand Marché à l'intérieur de
l'ancienne cité peule, à l'heure de mettre fin au
jeûne ; c'est-à-dire vers 18h. Ces produits sont vendus aux
étrangers essentiellement56(*). La muraille qui entourait la ville,
édifiée sous le règne d'Ardo Issa57(*) était fermée,
selon Adji Temba dès la nuit tombée. Et la vie s'arrêtait
pratiquement. Comme dans une sorte de couvre feu, toute la population se
retirait et la cité était comme sans vie si ce n'est autour du
palais de l'Ardo. Il régnait un climat de peur et de crainte qui faisait
de la nuit un instant tabou.
Il faut ajouter que la nuit est aussi le moment choisi par les
femmes pour rendre visite à leurs amies, à leurs parents, parce
que ne pouvant sortir de jour. Par exemple, s'il y a un deuil parmi leurs
connaissances, elles vont présenter leurs condoléances dans la
nuit. Pour Mohammadou Djaouro, cela s'explique par le fait que les femmes
devaient s'occuper des tâches ménagères en journée
(pilage des céréales et cuisine entre autres). Elles n'avaient
donc pas un moment à elles, si ce n'est dans la nuit. Sans omettre le
fait qu'une femme mariée ne doit pas être vue en journée se
pavanant dans la ville, de crainte de susciter des calomnies ou de montrer une
image peu honorable d'elle, ce qui serait insultant pour son époux. En
effet, le comportement de la femme est calqué sur l'éducation que
lui donne ses parents et celle que lui donne son mari.
Le terme « debbo », nous dit
Djingui, équivalent du mot français
« femme », est formé de la racine
« rew- ». Cette racine est également
utilisée pour exprimer :
- la soumission à Dieu : « O dorewi
Allah », « il est soumis à
Dieu » ;
- le fait de suivre quelque chose : « O do
rewi laawol maako », « il suit son
chemin »
Donc, la racine « rew-» signifie
« suivre », « se
soumettre ». Le mot « debbo » veut
dire : « celle qui suit » ou
« celle qui se soumet ».58(*)
Ainsi, une femme se doit d'être soumise. Si elle est
trop bavarde ou trop libertine, ce serait la preuve de l'incapacité de
son mari à la « mater »59(*). De plus, la loi islamique
voudrait que la femme reste dans son foyer conjugal et n'en sortir qu'avec la
permission de son mari. Le Saint Coran recommande donc aux femmes de rester
dignement au foyer, de ne point s'exhiber avec coquetterie comme des femmes
païennes, de baisser pudiquement leurs regards et de protéger leur
vertu, en ne faisant pas étalage de leurs parures, à l'exception
de celles qu'on ne peut tenir cachées60(*). On peut ainsi les voir sortir dans certains
quartiers tels que Tongo ou Bali, munies d'une lampe à pétrole
dans la nuit.
La nuit est aussi un moment réservé au sommeil,
au repos, et où toutes sortes de créatures étranges
prennent le pouvoir. On peut ainsi voir dans ce sommeil une sorte de cachette,
puisque très souvent les esprits ne s'attaquent de nuit qu'à ceux
qui les "voient" généralement. Si les esprits sont en principe
invisibles aux yeux des profanes, il faut donc avoir des yeux d'initiés
pour les voir et courir le risque d'en être attaqué. Le sommeil
rend ainsi l'homme aveugle à ce qui se passe de manière
métaphysique dans la nuit. La segmentation de cet espace de temps montre
aussi que, pour les hommes de Ngaoundéré, la nuit a plusieurs
périodes. Nous avons ainsi le terme nuit qui se dit en fulfulde
jemma (are)/jemmaaje ;
l'obscurité : nyibre/nybbenga ; l'aube :
babbol ; le crépuscule : mangariba
(soir) ; tout ceci diffèrent du jour qui est :
nyalde-nyalde, nyande-nyande, nyalawmaare-nyalawmaarje 61(*).
La nuit se particularise par le fait qu'elle est pleine de
mystères et incite à toutes sortes de spéculations sur ce
qui la caractérise. La vie de nuit bien avant 1952 se vivait aussi
à travers des soirées passées autour d'un feu, les femmes
près d'une hutte et les hommes près des troupeaux, les jeunes
d'un côté et les vieux de l'autre. On s'asseyait en cercle autour
d'une calebasse de nourriture. Quelques jeunes filles par la suite, se
mettaient à chanter en battant des mains et en esquissant des pas de
danse. Autour d'un autre feu, les hommes parlent, en profitant d'un repos bien
mérité après une journée passée en brousse
avec comme seul compagnon le bétail. On se renseigne sur le prix du
bétail et sur l'état des pâturages. Tandis que de jeunes
hommes se commentent les plaisanteries qu'ils ont mises en place en
journée et leurs exploits amoureux62(*). Cependant, pour les musulmans pratiquants, la nuit
est moins mystique, moins ludique et un peu plus réservée
à la méditation en la faveur du calme qui la
caractérise.
3. Représentations religieuses de la
nuit
Dans la ville de Ngaoundéré, la première
religion dite révélée que l'on retrouve est l'Islam. Cette
religion s'est installée dans la région en la faveur des
conquêtes d'Ousman Dan Fodio. La création du Lamidat de
Ngaoundéré par Ardo Ndjobdi n'est alors que la logique de cette
expansion. Mais avec la colonisation, le Christianisme à travers le
Catholicisme et le Protestantisme, arrivent et occupent une place assez
importante dans la ville. La libéralisation des cultes qui intervient en
1990 permet une installation plus facile de toutes sortes de cultes et des
"églises de réveil". Nous examinons donc la conception de la nuit
pour les musulmans et les chrétiens.
3.1 La nuit musulmane
La religion musulmane est la première religion
monothéiste à s'être implantée dans l'Adamaoua. Ses
piliers sont la foi en un seul Dieu et en son prophète Mohamed, la
prière, l'aumône, le pèlerinage et le jeûne du mois
de Ramadan. Cette religion implique aussi certains principes de vie à
l'instar de la pudicité. Les cinq prières obligatoires de la
journée sont :
1. Fajr (la prière de l'aube), doit être
faite à un moment quelconque entre l'aube et le lever du soleil.
2. Zuhr (la prière du début de
l'après-midi), doit être faite à un moment quelconque entre
midi et le milieu de l'après-midi.
3. 'Asr (la prière de la fin de
l'après-midi), doit être faite à un moment quelconque entre
la fin de l'après-midi et le coucher du soleil.
4. Maghrib (la prière du soir), doit
être faite à un moment quelconque entre le coucher du soleil et
les dernières lueurs.
5. 'Ichâ (la prière de la nuit), doit
être faite à un moment quelconque de la nuit.63(*)
La prière tient une place très importante pour
les musulmans. Pour l'Imam Mohammadou Djaouro, la nuit est l'instant propice
pour la méditation. Le calme qui caractérise ce moment permet de
mieux se concentrer pour la prière64(*). Abou Darda affirme que les motifs qui devraient
donner la joie au musulman sont : le jeûne, la prosternation au
cours de la nuit et la compagnie des gens qui ne prononcent que les meilleures
des paroles65(*). Par
ailleurs, la nuit est entrecoupée de prières au cas où le
pratiquant se réveillerait. Ainsi, en psalmodiant qu'« Il n'y
a de divinité que Dieu, l'Unique, sans associé. À lui la
Royauté et les louanges. Nul dieu que Dieu, Dieu est le plus grand.
Point de puissance ni de force que par Lui...», il peut faire ses voeux.
Celui qui se réveille la nuit et dit cette prière aura ses voeux
exaucés66(*).
L'une des périodes les plus importantes pour le
musulman est le mois de Ramadan. Pendant le jeûne qui marque ce temps de
méditation, il doit éviter de boire, de manger et d'avoir des
rapports sexuels, choses qui pourraient rompre son efficacité. Par le
jeûne, il témoigne sa soumission à Dieu et demande sa
grâce. Et pendant le mois de Ramadan, l'intention de prière est
exprimée dans la nuit peu avant l'aube67(*). La période d'abstinence est comprise entre la
pointe de l'aube et le coucher du soleil.
Avec cette privation en journée, la nuit devient
importante. Le moment où la vie reprend en quelque sorte, dans la
préparation de la journée de jeûne. La nuit est
marquée par la prière. On peut ainsi entendre le muezzin
appelé à la prière à partir de 19 h, à 20 h
et très tôt à l'aube (3 heures et 4 heures du matin). Le
repas le plus important est pris après minuit. À cet effet, le
restaurant traditionnel tenu par Hadidja au quartier Tongo Pastorale fonctionne
de 18h à 23h, et de 2h à 5h du matin pendant le mois de
Ramadan68(*).
Il faut ajouter que, à l'instar de Yaoundé et
Douala, Ngaoundéré a vu naître plusieurs associations
oecuméniques, appelées zikru Allah. Elles ont pour but
d'encadrer ses membres à une meilleure psalmodie de la
shahâda69(*)
et des formules panégyriques pour sanctifier, en tout et en tout
lieu Allah, le Dieu Unique70(*). Ces associations comptent plusieurs membres et
généralement un bureau directeur constitué d'un
président, un secrétaire général et des
commissaires dont le rôle est de maintenir la discipline dans le groupe.
Les réunions se déroulent en week-end, et commencent après
la prière de l'ichâ (prière de la nuit). Il s'agit
de longues cérémonies incantatoires. Très souvent, elles
se terminent tard dans la nuit, parfois après minuit. Les participants
viennent drapés de vêtements blancs, et se séparent
après une longue prière rituelle et un repas austère. Le
but de ces assemblées nocturnes est « De rendre le culte
à Dieu agréable et attractif afin d'intéresser davantage
la jeunesse dans l'objectif de la soustraire des voies de la débauche
(les bars, les clubs, etc.) qui aux yeux des responsables de ces associations,
sont habituellement des lieux de mixité et potentiellement, de
déviation morale et religieuse.71(*)»
La religion musulmane impose donc des règles de vie
à ses pratiquants. Les qualités de celui qui a une noble nature
sont : la grande pudeur, le refus de causer le moindre mal, la
véracité, la piété, être peu bavard,
très laborieux, discret, bienfaiteur, agréable,
indulgent...72(*) Parmi
ces règles, celle qui attire notre attention est la pudeur. La nuit
devient l'instant réservé aux pratiques sexuelles par exemple. En
effet, l'homme ne doit jamais trahir le secret de sa femme, ni
révéler ses défauts. Il doit être son homme de
confiance73(*). Donc, pour
ne pas avoir à révéler les défauts de sa femme, il
est nécessaire de ne pas la voir, même pendant l'acte sexuel. Il
est ainsi interdit à l'homme « de porter son regard sur son
sexe [celui de la femme], cela le conduira à le haïr.74(*)» D'où l'importance
de l'obscurité que procure la nuit.
Pour la religion musulmane, la nuit est donc le moment de
repos ou de méditation. Cette idée est partagée par les
autres religions qui se sont installées dans la ville de
Ngaoundéré, à savoir les religions catholique et
protestante, toutes deux chrétiennes. Par ailleurs, les
"immigrés" camerounais qui s'installent dans la ville permettront la
venue des églises dites réveillées. Celles-ci se sont
facilement installées dans les quartiers Baladji, acquis aux
étrangers.
3.2 La nuit chrétienne
Nous avons, en ce qui concerne la nuit chrétienne,
examiné les protestants, les catholiques et les églises de
réveil.
3.2.1 La nuit pour les protestants
Que ce soit au Nigeria, où l'Angleterre
pratiquait l'administration indirecte en donnant plus de pouvoir aux
autorités traditionnelles dans la gestion des affaires locales afin
d'éviter les troubles, au Kamerun où l'Allemagne pratiquait
l'administration directe, les conséquences furent les mêmes pour
les missions chrétiennes en général, elles n'obtinrent pas
facilement la permission de s'installer en zones musulmanes (Nord du Nigeria et
Nord-Cameroun). En effet, en 1903 déjà, le gouverneur Allemand
von Puttkammer refusa aux catholiques l'installation en Adamaoua pour des
raisons politiques concernant les relations avec les musulmans du Nord.
D'autres demandes eurent la même suite défavorable pour la
même raison ou simplement parce que l'administration n'était pas
établie et qu'elle ne pouvait pas garantir la sécurité75(*).
Les missionnaires luthériens avaient aussi
rencontré beaucoup de problèmes pour leur installation. En plus
des réticences de l'administration allemande, il fallait après la
guerre faire face à la France. Mais celle-ci, au regard des conditions
du mandat, ne pouvait refuser l'accès dans les territoires aux citoyens
de tout pays, membre de la Société des Nations. Cependant, les
missionnaires eurent le droit de s'installer en zone musulmane, sans toutefois
mettre sur pied une oeuvre missionnaire. Käre Løde cite ainsi les
pasteurs Kaardal et Revne qui se virent imposer cette condition avant de
s'installer à Léré, et aussi les tentatives de barrer la
voie à l'installation des missions protestantes dans le Nord de la part
du gouverneur Delafosse et de l'évêque de Brazzaville. Ces
éléments vont plutôt contribuer à renforcer la
détermination de ces luthériens, qui se sentent investis de la
mission de « barrer la route à l'expansion de
l'Islam 76(*)».
Le premier luthérien à avoir fait un
passage dans l'Adamaoua était l'étudiant en théologie
Ralph Hult. Américain d'origine, il reçut de l'Augustanasynode
des États-Unis la mission de se rendre au Soudan, au Bornou ou à
tout autre endroit convenable pour assurer à son église un champ
de mission. Après un passage au Nigeria, à Ibi (3 mois), ensuite
à Garoua (3 mois), et un an chez les Sara au Tchad, il arriva à
Ngaoundéré en 1921, et rentra s'installer au Nigeria sous le
couvert de la Sudan United Mission (S.U.M.).77(*)
L'évangélisation de l'Adamaoua fut
cependant l'oeuvre d'Adoulphus Eugene Gunderson. Il arriva à
Ngaoundéré avec sa femme le 22 mai 1923 sous le couvert d'une
mission indépendante : la Sudan Mission. Mais, par
négligence, la concession qui leur fut accordée à
Ngaoundéré leur a été retirée. C'est
à partir de ce moment que les norvégiens de la Mission
Protestante Norvégienne rentrent en scène. Elle arriva à
Ngaoundéré le 6 mars 1925, après moult tracasseries78(*).
L'Église Évangélique
Luthérienne du Cameroun (E.E.L.C.) qui commence à peine, se voit
attribuer un terrain considéré par les populations locales comme
maudit, et où des détritus en tout genre sont
déversés. Cette attribution de terrain, qui équivalait
presque à un refus de s'installer, avait justement pour sombre but de
faire partir ces missionnaires pas vraiment désirables. Mais ils ont
tenu et on peut compter 3 paroisses dans la ville aujourd'hui
(Baladji II ; Centre Commercial et Sabongari Norvégien).
De nos jours à Ngaoundéré, les
Églises protestantes comptent aussi dans leurs rangs l'Église
Fraternelle Luthérienne du Cameroun (E.F.L.C.). Si l'E.E.L.C. a sa base
en Norvège, l'E.F.L.C. a la sienne aux États-Unis. Son
organisation au Cameroun prévoit à partir du bas de
l'échelle, les annexes, les paroisses, toutes deux sous la direction
d'un catéchiste. Ensuite viennent les districts, les consistoires, les
régions, et enfin les synodes, tous sous la direction de pasteurs. Le
synode de l'E.F.L.C. du Cameroun est à Garoua. Dans la ville de
Ngaoundéré, on compte deux secteurs : le premier comprend
les paroisses des quartiers Gadamabanga, Baladji II, et Burkina. Le second
secteur comprend les paroisses des quartiers Dang et Vogzom (sur la route de
Touboro)
Dans l'E.F.L.C., les célébrations sont de
trois ordres :
- Les
rassemblements
Il s'agit ici de rencontres entre les
différents membres communiants, pour un culte ou une étude
biblique. Ces rassemblements ont lieu à Ngaoundéré le
samedi de 15h à 17h. Ces horaires se comprennent lorsque nous savons que
se sont les étrangers à la ville qui constituent les effectifs de
cette église. Or, pour la plupart, ils sont en ville pour des raisons
liées au travail. C'est donc une journée où les membres
sont libres de tout engagement. À l'Extrême-Nord, par exemple, ces
rencontres ont lieu le mardi et le jeudi79(*).
- Les cultes
du dimanche, qui se tiennent de 9h à 12h.
- Les
soirées de prières
Généralement dirigées par un
pasteur, un ancien de l'église ou un catéchiste, les
soirées de prières sont organisées sur des thèmes
de la vie quotidienne en rapport avec la spiritualité. Une soirée
de prière est précédée d'une journée de
jeûne préalable. Il apparaît que certains membres de
l'Église passent même la journée à la paroisse80(*). Ces moments de prière sont
ponctués par des lectures de méditation ou d'exhortation, suivies
de prières d'intention de grâce, qui consiste pour les membres
à exprimer leurs intentions de prière. Cette seconde étape
est entrecoupée de chants et de cantiques. Les soirées de
prière commencent donc à 18h et s'achèvent à 22h,
mais peuvent parfois aller jusqu'au matin.
La nuit est ici un moment de choix parce que c'est
l'instant par excellence du dialogue entre l'humain et le divin. Il faut noter
que les Fraternels Luthériens prient les yeux fermés,
l'explication étant qu'il faut se concentrer et éviter de voir
tout ce qui serait susceptible de perturber le dialogue avec Dieu81(*). La nuit est donc plus importante
car le calme règne dans la ville, les prières sont donc moins
perturbées par des éléments extérieurs. À
cela, il faut ajouter la dimension proprement mystique de la nuit qui veut que
ce soit un moment de tous les dangers auxquels la prière seule peut nous
aider à nous prémunir.
- Les
veillées
Les veillées diffèrent des
soirées de prière en ceci qu'il s'agit de la
célébration d'un culte ordinaire comme cela se fait de
manière classique le dimanche. Ces célébrations ont lieu
lors des fêtes religieuses de Pâques et de Noël ; ainsi
que lors des deuils. Comme leurs noms l'indiquent, les veillées se
déroulent dans la nuit. Elles peuvent aussi être organisées
dans le cadre d'un mariage. Dans ce cas, elle est essentiellement festive et
mis en place par les jeunes de la paroisse. Elle est agrémentée
de chants et de danses des différentes chorales.
Pour les Fraternels Luthériens, la nuit est
donc le moment choisi pour la méditation tel que nous l'observions
déjà avec les musulmans. C'est aussi le cas avec les
catholiques.
3.2.2 La nuit pour les catholiques
Même si ce sont les luthériens qui furent
les premiers à s'installer à Ngaoundéré, les
missionnaires catholiques n'étaient pas en reste. En juin 1914, le
vicaire apostolique pour l'Afrique Centrale, Mgr Geyer reçut la
première autorisation de faire un passage à
Ngaoundéré, sous la condition de cacher le motif de son voyage
qui était de considérer les possibilités de commencer une
oeuvre missionnaire dans l'Adamaoua. Mais, cette autorisation n'eut pas de
suite à cause de la guerre82(*).
Il faut signaler qu'avec les fonctionnaires et
travailleurs indigènes sous l'administration coloniale, les catholiques
s'installaient peu à peu dans la ville malgré les
problèmes qu'ils rencontraient. Pierre Mëbë,
diplômé de l'École Normale (École Supérieur
des pères Pallotins Einsielden, de Buea, pour la formation des
catéchistes), fut moniteur-catéchiste dans la ville de
Ngaoundéré en 1923. Il fait état de ces problèmes
dans un cahier de souvenirs à l'intention d'Yves Plumey, écrit le
9 avril 1961 :
Je trouvais à Ngaoundéré des
moniteurs et leurs femmes catholiques, des soldats Yaoundé,
Wouté, Sanaga, baptisés à Fernando Poo avec leurs enfants.
Je commençais à les réunir le dimanche pour réciter
le chapelet. Je traduisais les épîtres et les explications des
évangiles dans le livre Goffiné que Monseigneur Vogt m'avait
envoyé. Mais tout cela, je le faisais en privé. Heureusement, le
Révérend Père Pédron vint de Berbérati pour
acheter des boeufs. Je lui avais soumis cette question qu'il nous est
défendu de pratiquer publiquement notre religion catholique.83(*)
C'est donc le R.P. Pédron qui, après
avoir rencontré l'administrateur Portales, permet aux catholiques de
pratiquer leur culte en toute liberté. Il organise aussi les quelques
catholiques pratiquants de Ngaoundéré en une véritable
association chrétienne avec comme catéchiste, Pierre
Mëbë ; secrétaire, Henri Nkoulou ; et comme
surveillant, Marc Omgba. Tous, à en juger par leurs noms, originaires du
Centre. Ces premiers fonctionnaires vont poser les jalons de la mission
catholique dans la ville de Ngaoundéré. Lorsque la
préfecture apostolique de Foumban sous la direction de Mgr Bouque se
voit confier la région du Grand-Nord, c'est le R.P. Lequeux qui, pendant
4 ans, de 1942 à 1946, va poursuivre l'oeuvre missionnaire
commencée à Ngaoundéré, avec des passages tous les
mois, jusqu'à l'arrivée des Oblats de Marie Immaculée
(O.M.I.)84(*).
La mission au Nord-Cameroun et au Tchad a
été confiée aux O.M.I. par la Congrégation de la
Propagation de la Foi du Vatican, dans une lettre de Mgr Constantini
adressée à Hilaire Balmès, vicaire général
des O.M.I., le 21 mars 194685(*).
Ainsi, la première équipe, sous la direction du R.P. Yves Plumey
arrive à Ngaoundéré la même année. Depuis,
l'église catholique s'est assez bien installée dans cette ville.
Une observation rapide permet de constater qu'elle représente
aujourd'hui l'une des religions qui comptent le plus d'adeptes dans la ville.
Ceux-ci mettent en pratique leur foi par le biais de veillées de
prière.
Les veillées de prière trouvent leur
importance dans la croyance que les esprits maléfiques agissent de nuit.
« Ils reviennent le soir, ils grondent comme des chiens86(*).» Ailleurs, dans les Saintes
Écritures, plusieurs évènements incitent à
considérer que la nuit est importante et surtout le moment où les
esprits mauvais se déploient. Tout d'abord, c'est dans la nuit que
Jésus lava les pieds de ses disciples87(*), ensuite le dernier repas qu'il partagea avec eux
était un dîner88(*),
enfin lorsque vient la nuit, les esprits maléfiques « errent
ça et là cherchant leur nourriture. Et passent la nuit sans
être rassasiés.89(*) » La foi chrétienne catholique tient dans
la croyance en la mort de Jésus Christ et à sa
résurrection. Or, ces différents évènements se sont
déroulés dans l'après-midi et dans la nuit. Partant de
là, ce dernier moment est donc celui où les âmes sont
sauvées du péché. « C'est le moment où
Jésus, de par sa résurrection, a sauvé l'humanité
du péché originel.90(*) »
Il est conseillé, pendant la nuit, de prier
pour le combat spirituel, afin de faire face au péché et de le
refouler. Ainsi, entre minuit et 3h du matin, les prières
conseillées sont les suivantes : la protection de Dieu ;
contre ceux qui nous veulent du mal, contre le clavier satanique, contre tout
jugement en cours, contre l'héritage des sectes
ésotériques 91(*).
D'autres intentions peuvent être associées à
celles-là. La nuit est donc un moment de combat contre les mauvais
esprits, un moment où on peut se racheter de ses fautes.
À cela, nous pouvons ajouter les
différentes célébrations qui ont lieu dans la nuit. Trois
fois par an, les catholiques célèbrent des messes de nuit :
pour le réveillon de Noël, afin de marquer l'attente de la
naissance du Christ Sauveur 92(*); et pendant la période de Pâques (le Jeudi
Saint, dernière nuit de Jésus avec ses disciples, le Samedi
Saint, veille de Pâques, dans l'attente de la résurrection).
Au regard de ce qui précède, la nuit est
pour le chrétien catholique un moment de méditation, de
prière et de combat contre les esprits mauvais. Il faut ajouter à
cela l'aspect de l'attente que ce soit à Noël, ou à
Pâques. Ces aspects sont aussi pris en compte par les "églises de
réveil", qui sont à l'observation, généralement
bâties par des transfuges du Catholicisme.
3.2.3 La nuit pour les églises
"réveillées"
C'est dans les années 1990 que les premières
Églises dites réveillées ou de réveil apparaissent
dans la ville de Ngaoundéré. Au regard de leur nombre sans cesse
croissant et de leurs similarités, notre étude se porte donc sur
l'une d'entre elles, la Mission de l'Église Évangélique du
Cameroun (M.E.E.C). Installée dans la ville en 1995, elle compte deux
lieux de culte, l'un à Bamyanga et l'autre tout près de
l'abattoir municipal au quartier Baladji II93(*).
La nuit ici revêt plus ou moins la même importance
que pour les autres religions que nous avons déjà
abordées. C'est-à-dire un moment de méditation, de
concentration, de prière et de repos. Mais, cette église,
à l'instar d'autres églises de réveil de la ville94(*), tient tous les vendredis de
chaque fin du mois, une nuit de prière.
Cette nuit de prière se tient à ce
moment-là pour plusieurs raisons. Tout d'abord, c'est un moment
où tout est calme. La nuit offre une possibilité de mieux faire
son introspection et donc de dire, de présenter à Dieu toutes les
sollicitations. Ensuite, la nuit de vendredi marque le début de
week-end. Les participants à la prière sont libres de toute
occupation. Cela offre une tranche de 6h d'horloge libre, que l'on exploite par
la prière. Enfin, l'insécurité présente dans la
nuit à Ngaoundéré fait que ceux qui viennent à 22h
ne seront pas tentés de rentrer à tout moment. Donc, lorsqu'on
commence c'est jusqu'au matin. On est obligé de supporter de peur de
mettre sa vie en danger. Ces nuits de prières commencent à 22h et
se terminent entre 5 h30 et 6 h. bien avant de décider de cet horaire,
il apparaît que la nuit de prière prenait fin vers 4h. Mais, le
risque d'agression faisait que les fidèles ne pouvaient rentrer
immédiatement, d'où la prolongation jusqu'à 5h30, pour
permettre à tout le monde de rentrer dans une relative
sécurité à un moment où le jour commence à
poindre.
Pendant la nuit de prière, les fidèles
débutent par des louanges à Dieu. L'objectif étant ici de
se mettre en condition de prière et exalter Dieu. Ensuite, c'est
l'adoration, ensemble de prières pour signifier la grandeur de Dieu, et
enfin la prière proprement dite, agrémentée de chants pour
réveiller les éventuels dormeurs, ou s'empêcher de dormir.
La nuit est donc le moment de prière par excellence, le moment de
présenter à Dieu toutes les intentions que l'on peut avoir dans
son coeur. À ces nuits de prière, il faut ajouter que la M.E.E.C.
tient tous les mercredis un culte fait de louanges et de prières entre
17h et 19h.95(*)
Si la nuit est donc le moment de repos, de méditation
et celui propice pour les rapports charnels pour les différentes
religions que nous avons étudiées, elle est aussi l'instant
choisi pour de nombreux rites tels que ceux pratiqués pour les
initiations. À cela, on peut ajouter les rites symboliques
pratiqués pour le mariage (le Soro par exemple) et les
activités ludiques (le hiirde).
V. QUELQUES ACTIVITÉS DE NUIT SUR LE PLAN
TRADITIONNEL
Sans pouvoir établir un bilan de toutes les
activités de nuit sur le plan traditionnel, notre travail aborde
quelques uns des aspects qui nous semblent marquant et l'expression de ce que
la nuit est pour les peuples de l'Adamaoua. Ainsi, nous analysons le
soro, le hiirde, et les différentes activités
des femmes libres, appelées adjaba'en en fulfulde.
4. Le soro, un rituel traditionnel du
mariage
Le soro est une coutume peule très ancienne du
mariage qui se déroule le soir du troisième jour après que
la mariée eût gagné le domicile conjugal, en fait, avant la
consommation de celui-ci. Les mariés doivent en être à leur
premier mariage. L'essentiel des cérémonies s'étant
déjà déroulé, les principaux acteurs du
soro sont : les deux époux et leurs parrains
(appelés ici baaba'en, ce qui signifie en foulfoulde
pères). Le jeune homme a pour parrain l'homme du village
le plus anciennement initié au soro et la jeune femme,
celui qui vient immédiatement après (uniquement des hommes).
Peuvent aussi y assister, tous les autres hommes du village et des
villages voisins, ainsi que les invités formés des
représentants des différentes fractions peules, tous
déjà initiés96(*).
Tout commence le soir au coucher du soleil par un
grands repas offert à tous les participants vers 18h30. Cependant, les
jeunes mariés, qui ne peuvent y prendre part, sont
représentés par leurs parrains. Ceci est dû au fait que,
trois jours durant, le marié vit chez un de ses amis de la même
classe d'âge, et la mariée est recluse dans sa case en compagnie
de jeunes demoiselles. En journée, la famille du garçon aura pris
soin d'égorger un taureau dont la moitié sera
préparée en sauce pour accompagner le couscous de mil, et l'autre
moitié sera grillée. En fin de repas, sont distribués
friandises et gâteaux de mil.
Lorsque le repas tire à sa fin, vers 20h30, les deux
parrains, chacun en ce qui le concerne, vont chercher les mariés
discrètement pour les entraîner à travers les champs dans
la brousse, afin de prendre de l'avance et arriver à l'endroit où
aura lieu le rituel. Le repas achevé, les autres participants
ratissent la brousse environnante pour tenter de les rattraper avant
qu'ils ne parviennent à l'endroit, situé à quelque
distance du village.
Le premier à le faire lance un cri de ralliement, ce
qui permet à ses compagnons d'accourir rapidement. On cherche alors
à battre avec des verges les deux jeunes époux tandis
que leurs parrains tâchent de s'y opposer. Si les poursuivants ne
parviennent pas à les rattraper, ils se fustigent entre eux en
s'administrant les coups originellement destinés aux jeunes
époux, avec cette différence que ces coups sont
limités aux membres inférieurs (des genoux jusqu'aux
pieds). Mais ces coups ne sont pas distribués au hasard : chacun
ne peut battre que ceux qui sont moins anciens que lui dans le
soro et ne reçoit de coups que de ceux qui sont plus
anciens. C'est-à-dire que le plus ancien dans le soro
peut battre tout le monde tandis que le plus récemment
initié est battu par tout le monde. Finalement, les uns et les
autres arrivent tant bien que mal à gagner l'endroit où
va se dérouler la cérémonie vers 22 h.
La cérémonie est constituée de trois
temps forts, elle se déroule dans un endroit assez
dégagé mais que ne vient éclairer aucune
lumière sauf celle de la lune lorsqu'elle apparaît. Elle dure
entre trois et cinq heures d'horloge.
Tout commence par la danse des mariés qui sont les
personnes à initier (les soroobe). Les parrains les invitent
à se dévêtir. La femme se met totalement nue, tandis que
l'homme se couvre le sexe avec un morceau d'étoffe. On les fait asseoir
tous deux à même le sol au bout de l'aire de jeu. Ils s'asseyent
l'un à côté de l'autre, épaule contre épaule,
et la femme à gauche de l'homme. Ils font face à l'Est, les
jambes jointes et allongées, les mains serrées entre les cuisses,
la tête baissée. Immédiatement devant eux, se placent
leurs parrains respectifs, ils font tous face aux participants, ceux-ci
tiennent toujours le bâton dont ils se sont déjà
servi et vont continuer à se servir toute la nuit.
Dès lors commence pour les soroobe une
danse, sans accompagnement musical, pendant laquelle les vagues d'hommes
armés de bâtons arrivent successivement au contact des
parrains qu'ils cherchent à déborder pour atteindre les
jeunes époux assis derrière. Lorsqu'ils arrivent à
proximité, ils leur donnent des coups de baguette, sur le
crâne, les épaules, le dos, les jambes, tandis que leurs parrains
font tout leur possible pour les dévier et en protéger les
mariés. Pendant qu'on cherche à frapper les jeunes époux,
on peut continuer à se frapper entre participants tel que nous l'avons
déjà présenté plus haut. Cette danse dure environ
une demi-heure et peut être reprise au gré des participants selon
le même schéma après une pause.
les jeunes époux se trouvant maintenant assis pas
terre, leurs parrains empoignent chacun un bout du pagne de la jeune
femme et le tendent entre eux verticalement. Chaque participant, passant
entre le couple et 1'écran formé par le pagne, doit
contourner les parrains par derrière pour revenir se placer
devant eux après être passé sous le pagne. Deux
files indiennes sont ainsi formées, mais pas au hasard : les
premiers à passer sous le pagne, et donc à se ranger
immédiatement devant l'un des parrains, sont les plus anciens
dans le soro, les derniers, les plus récemment
initiés. À mesure que les deux files s'allongent, les hommes
déjà rangés, frappent les autres à leur passage. Et
ceux qui viennent d'être battus prennent place aux
extrémités des deux files et battent à leur tour tous ceux
qui passent devant eux.
Ensuite, les jeunes époux, le mari en premier, seront
les derniers à passer, et ce sont donc eux qui reçoivent
le plus grand nombre de coups. Ils subissent même un sort
particulier puisqu'ils doivent passer à trois reprises entre les
soroobe et donc par trois fois, être roués de coups.
Les seuls à ne pas passer dans le "couloir", et donc à ne
pas être battus, sont les deux plus anciens dans le soro,
c'est-à-dire les parrains.
L'attitude des jeunes époux est observée avec
attention, surtout celle du jeune homme qui ne doit pas se plaindre de quelque
façon que ce soit. Il doit supporter cette multitude de coups de fouets
dans la plus grande indifférence, marcher sans hâte en recevant
les coups. Et s'il se permettait de gémir sous un coup dont la
brutalité serait plus grande que les autres, il deviendrait la
risée du village et sa renommée en serait à tout jamais
ternie. Et si, par extraordinaire, il perdait contenance et s'enfuyait,
il devrait s'exiler.
À la fin de cette partie marquée par la
bastonnade, les deux parrains font asseoir les mariés, toujours nus
à l'opposé de l'endroit où ils étaient assis, et
cette fois-ci face à l'Ouest. Les participants commencent à se
fustiger entre eux, mais cette fois en épargnant les époux.
Lorsque la nuit tire à sa fin, les parrains viennent trouver les
époux afin de leurs prodiguer des conseils relatifs au mariage et dont
les règles dépendent de la pulaaku, l'ensemble des
principes de vie des foulbé. À la jeune femme par exemple, on
recommandera de bien aider sa belle-mère dans ses travaux, on
la menacera de lui faire subir à nouveau l'épreuve de la
bastonnade si elle fait la moindre fugue, un des moyens utilisée
par les femmes pour punir leurs maris. Quant au mari, il se verra rappeler
qu'il est maintenant un homme accompli, tout comme son père,
avec tout ce que cela implique de responsabilités aussi nouvelles
que lourdes qu'on énumérera, d'égards et de respect
envers les anciens, en particulier les aînés dans le
soro.
À l'aube, c'est la dernière étape, le
retour au village. Les mariés se rhabillent. Les parrains obligent la
jeune femme à porter ou tenter de porter son mari sur le dos. Ensuite
c'est au tour de l'homme d'en faire pareil. Tous deux arrivent au village et
gagnent une case qui leur est réservée dans le domicile des
parents du garçon. Sont autorisés à les y accompagner,
leurs parrains et quelques intimes du mari (trois au maximum), un
dernier rituel attend les conjoints.
À la jeune mariée, on remet une minuscule braise
avec laquelle elle se doit d'allumer le foyer. Quant au mari, il se couche
sur le dos et il lui est demandé de compter les branches
tressées qui forment les cercles horizontaux reliant la charpente
du toit à la case. Après cela, on soulève les jambes du
mari, toujours étendu sur le dos, et on les dépose sur
celles de son épouse à qui on enjoint de les masser et par
la suite, de oindre de beurre tout le corps de son mari. On peut
également lui demander d'apporter de l'eau à boire à son
mari. Puis on les laisse seuls. Alors commence la vie commune du couple dont
c'est souvent le premier contact intime.
En définitive, le soro est
considéré comme une affaire d'hommes. Il commence au début
du nycthémère97(*), qui coïncide aussi avec le jour peul98(*). La nuit étant la
première partie du jour, le début de la nuit est
doublement symbolique, en tant qu'il est le début du
commencement ; mais aussi parce qu'il est placé sous le signe de
la confusion, et tout se passe en effet dans le plus grand
désordre, à la faveur de l'obscurité 99(*). Il consiste à initier
les mariés aux vicissitudes de la vie de couple et à apprendre
à se supporter mutuellement, ceci dans le strict respect des
règles de vie peule (pulaaku). Il s'agit d'amener la femme
à supporter l'épreuve de l'accouchement sans gémir, et
à l'homme de supporter la circoncision. Le soro marque donc le
passage d'une classe, celle des adolescents, des enfants, à la classe
des hommes, des adultes, où on n'a plus le droit de se comporter comme
un inconscient. C'est une leçon de vie qui est donnée aux jeunes
époux, avec tout le sérieux qui sied au mariage, sans toutefois
revêtir le caractère essentiellement ludique du hiirde.
5. Le hiirde
5.1 Définition
Littéralement, le mot sukaajo signifie
indistinctement jeune ou serviteur selon le contexte d'emploi.
Sukaaku ou jeunesse renvoie certes à une classe d'âge
mais dans le fond, ce vocable renferme les attributs physiques et
comportementaux permettant à un jeune homme de se distinguer, de faire
la différence parmi ses pairs100(*). L'une des occasions idoines pour cela est le
hiirde.
Le hiirde se définit comme une
réjouissance en soirée pendant laquelle les hommes montrent leur
habileté au langage et surtout font étalage de leurs biens. Le
terme hiirde vient du verbe hiirgo, qui signifie passer la
soirée en se divertissant. Ainsi, le hiirde se vit de trois
manières possibles :
- Il peut désigner le fait de passer la soirée
dans la rêverie solitaire, ou dans la causerie en groupe ;
- il peut aussi s'agir d'une manifestation de
réjouissance collective organisée en soirée.
D'après Saïbou N., cette manifestation peut se rapporter au
mariage, au baptême, à l'intronisation du lamido...réunie
très souvent par un lamido ou un homme fortuné, « elle
est essentiellement une fête collective nocturne. » 101(*)
Ce jeu se déroule dans la nuit et ne l'excède
pas. Si d'aventure le hiirde commence en journée sa
durée ne dépasse pas la nuit attenante à cette
journée-là. Il se déroule soit à l'air libre,
à l'extérieur de la case de la personne qui a organisé le
hiirde (hiirde-fijirde), soit à l'intérieur de la case.
Le jeu regroupe plusieurs personnes du village, hommes, femmes (de
préférence libres), et surtout des musiciens.
Une autre forme de hiirde se déroule dans la
case (hiirde-Sukaaku) et regroupe un public mixte et jeune.
L'entrée dans la case étant payante pour les hommes, il n'est
donc pas ouvert à tous. Les femmes sont choisies en fonction de leurs
avantages physiques. Ce dernier type est une compétition pour obtenir la
faveur des femmes. Il peut aussi s'appeler le Sukaaku ou jeunesse. Il
représente une épreuve que traverse l'homme pour conquérir
une femme, ou inversement. Le jeu consiste à faire plus de
dépense que l'autre et à se montrer maître de la parole
plus que son rival.
5.2 Le hiirde et ses acteurs
Le hiirde est une sorte de compétition qui est
censée mettre en exergue les habiletés linguistiques des
participants et leurs richesses. Le but est de chercher à se distinguer
les uns des autres, « entrent dans l'arène de jeu ;
interpellent les musiciens, tiennent des propos dans un style recherché
sur des sujets divers ; commandent à prix d'importants cadeaux
(argent, vêtement, taureaux) leurs propres louanges, celles de leurs
amis. »102(*)
C'est cette volonté de se voir mettre en avant qui crée les
rivalités entre personnes, pouvant aller jusqu'aux rivalités
entre villages.
Les acteurs du hiirde sont donc des hommes, des
femmes libres, et des musiciens (l'orchestre de Dummbo). Le chef
d'orchestre, ardo, joue à la guitare moolooru. Mais,
cet instrument de musique n'est pas figé. Le jeu peut aussi se pratiquer
avec des poètes chanteurs, avec le wommbere, sorte de
flûte que l'on associe aux tambourinements des calebasses
retournées ; ou encore avec l'algayta, flûte que
l'on associe aux tam-tams.
Les personnages les plus importants du hiirde sont
les musiciens et les femmes. En effet, les musiciens galvanisent la foule par
des chants mélodieux et poétiques, inspirés des
expériences de la vie présente et passée des spectateurs.
Ils excitent la foule et jettent les joueurs dans l'action : faire des
cadeaux en tout genre et exprimer ses talents oratoires. Quant à la
femme, elle a pour rôle d'être le centre d'intérêt des
joueurs. Beaucoup d'hommes s'y lancent dans l'espoir de gagner les faveurs des
femmes ou pour se faire une bonne image auprès d'elles. Parfois pour la
femme, les hommes sont capables de se ruiner complètement. «
La présence de la femme, l'idée que l'homme se fait d'elle,
poussent le joueur au sacrifice, au dépassement de
soi. »103(*)
Adji Temba fait état dans les années 1950 de
quelques hiirde qui furent convoqués par le lamido, et qui se
sont déroulés devant son palais. Il parle de véritables
fêtes, dans le respect mutuel. Pendant une période où il
n'existait pas de criminalité d'après lui.104(*)
La description que nous en fait Mohammadou Djaouro105(*) est plus illustrative. En
effet, il rapporte que dans les hiirde que l'on organisait à
Ngaoundéré, les jeunes se donnaient rendez-vous à un
endroit. Ils devaient courtiser des femmes libres, selon le rituel que nous
avons déjà décrit plus haut. Celui qui gagnait avait le
droit de prendre ladite femme pour la nuit. Mais si des jeunes de deux
quartiers se disputaient une femme, et que celle-ci avait une
préférence pour l'un, le jeu pouvait se transformer en bagarre
opposant, non plus les deux protagonistes, mais leurs quartiers respectifs.
Ainsi, un autre rendez-vous nocturne était donné cette
fois-là pour une bataille entre quartiers. Les parents en étaient
souvent informés mais, les jeunes passaient outre les interdictions de
sortir. Ces batailles pouvaient durer plusieurs nuits avec des rendez-vous
différents et des endroits différents. C'est le lamido,
assisté des dignitaires des quartiers qui y mettaient fin, soit par des
amendes, soit par des bastonnades publiques, pendant lesquelles les
différents "combattants" recevaient une série de coups de fouets.
Malheureusement, ce jeu n'est plus pratiqué aujourd'hui.
5.3 La disparition du hiirde
Les raisons de la fin du hiirde sont essentiellement
d'ordre politique. Saïbou Nassourou, pense qu'elle est due au climat de
morosité qui s'est installé dans le pays tout entier, et dans le
Grand-Nord en particulier, à la suite des évènements du 06
avril 1984, marquant le coup d'État manqué contre le
président Paul Biya, et dont les Nordistes ont été tenus
pour responsables106(*).
Si les activités du hiirde étaient
déjà rares à ce moment-là, même
l'écoute en privé des cassettes audio enregistrées
à partir des jeux n'était plus pratiquée dans la peur des
représailles policières. En effet, les chants des griots qui
animaient le hiirde étaient faits de louanges en l'honneur des
personnes physiques, parmi lesquelles figurait l'élite politique du
Nord. Sans oublier que l'ancien président Ahidjo était justement
de la région. À Ngaoundéré, nul ne peut
véritablement situer la période de la disparition du
hiirde, ni les raisons qui y ont présidé.
Ce jeu apparaissait donc comme une menace pour le nouveau
pouvoir et comme l'expression d'une allégeance à l'ancien
régime. Mais, ne pourrait-on voir dans le déclin du
hiirde, quelques effets de la modernité ? En effet, les
jeunes délaissent de plus en plus ces jeux traditionnels pour
s'intéresser aux boîtes de nuit, aux bars... Par ailleurs, le
départ de la scène politique des hommes qui avaient connu le
hiirde, et l'arrivée de ceux qui en étaient insensibles
a aussi contribué à la fin de ce jeu dont les participants les
plus importants étaient les femmes libres, encore appelés les
adjaba'en.
6. Les adjaba'en
Le commerce du sexe n'est pas un phénomène
né à Ngaoundéré avec les migrations des nationaux
dans cette ville, même s'il apparaît qu'il a pris de l'ampleur avec
eux. Ketil Fred Hansen écrit: « Dr Passarge appears to
have spent a good night, though. He and his followers were given plenty of food
and fourteen young girls for the night »107(*)
Cela montre qu'en 1894 déjà, au moment de
l'arrivée des premiers explorateurs Allemands, le plus vieux
métier du monde était utilisé dans le lamidat de
Ngaoundéré pour permettre la détente des étrangers
ou des invités de marque. Sous la colonisation, des actes de
prostitution sont relevés dans la cité et sont même
reconnus et réglementés. En effet, chaque femme exerçant
dans ce métier devait justifier d'un domicile fixe et être
répertoriée dans le registre tenu par les autorités, avoir
un carnet de santé et se présenter régulièrement
aux contrôles médicaux108(*).
Froelich J.-C. parle d'une prostituée de race peule,
tirant le principal de ses revenus de la vente de vin et de bière. Avec
des clients diurnes et nocturnes, qui se rendent parfois chez elle. Ses clients
payaient avec des étoffes ou parfois des billets de 1000
francs109(*). Il parle
aussi de certaines, soumises à l'autorité d'un protecteur et
à qui elles reversent leurs revenus110(*).
Il faut dire que cette prostitution est assez sournoise et
nous amène à redéfinir le terme prostitution
lui-même. En effet, les femmes dites libres (adjaba'en, pluriel
de ajabaajo) sont courtisées par les hommes qui les prennent
pour la nuit. Il ne s'agit pas d'un échange dans lequel la femme perd
toute dignité. Ici, elle est prise avec respect et les cadeaux qu'elle
reçoit sont souvent comparables à ceux que les hommes donnent
à leurs femmes à la maison. Le problème des femmes libres
se pose aussi avec la crise matrimoniale qui sévit dans la Grand-Nord en
général et à Ngaoundéré en particulier.
Chez les musulmans de Ngaoundéré, le mariage est
considéré comme un contrat liant des individus et non des
groupes. I1 rend légale l'union d'un homme et d'une femme par le
don d'un douaire111(*)
appelé dewra ou garantie de mariage, versé à
l'épouse par l'époux, et correspondant au sadaq du
Coran. À la garantie de mariage proprement dite peuvent s'ajouter des
versements complémentaires dont le rôle est beaucoup moins
clairement défini. Mais, bien que le mariage foulbé ne concerne
en principe que les individus, la famille joue encore un rôle très
important dans le choix du conjoint. En effet, chez les Peuls du Grand-Nord du
Cameroun comme chez les Arabes, la coutume de conclure le mariage des jeunes
gens sans leur consentement a survécu à l'islamisation. Le
premier mariage d'un jeune homme ou d'une jeune fille a donc longtemps
été arrangé par les pères des futurs
époux112(*). Nous
insisterons sur le fait que seul le premier mariage est arrangé, parce
que là est certainement la cause de l'instabilité matrimoniale
chez les Foulbé et chez les autres musulmans de
Ngaoundéré.
Le rôle très important de la famille lors des
premières unions empêche les jeunes filles d'exprimer leur choix.
De plus, elles sont contraintes au mariage dès la puberté, avant
d'avoir assez de maturité pour assumer leur rôle. Enfin, alors
même qu'elles sont considérées comme
émancipées par un premier divorce et responsables
d'elles-mêmes, les femmes sont contraintes à un remariage trop
rapide pour qu'il leur soit possible de choisir véritablement leur
conjoint. Le mariage ici n'a donc généralement au départ
aucune base affective. I1 n'a pas non plus pour but la création d'une
nouvelle cellule économique, puisque en théorie le mari pourvoit
seul aux besoins du ménage113(*).
Notons que les bouleversements sociaux et économiques
qui ont suivi 1'Indépendance sont venus renforcer la fragilité
intrinsèque des unions foulbé : l'éclatement de plus en
plus fréquent de la famille étendue et la perte de pouvoir des
chefs de famille ont encore affaibli les valeurs morales sur lesquelles le
mariage reposait. Ces bouleversements amènent les femmes à avoir
d'autres ambitions que celle de rester cloîtrer dans un mariage qu'elles
ne font que subir. Le mariage devient donc un "passeport vers la
liberté". À peine est-elle mariée que la femme demande
déjà le divorce. Si après un mariage raté, les
parents n'ont plus grand-chose à dire à leur fille, c'est donc
l'occasion de vivre cette liberté de l'adolescence dont elle a
été privée par une union arrangée.
Les femmes libres sont néanmoins discriminées,
puisque la société musulmane tient en haute estime le mariage.
Elles ne sont pas respectées et sont malheureusement prêtes
à tout pour avoir un homme. Tel est le cas de Hadidja, jeune femme
musulmane Mandara, âgée de moins de 30 ans, tenancière d'un
restaurant traditionnel dans le quartier Tongo Pastorale.
Hadidja vit à Ngaoundéré depuis 5
années. Arrivée dans la ville à la suite de l'expulsion de
son mari du village. Elle s'en est séparée depuis deux ans car
celui-ci passait plusieurs jours sans rentrer à la maison. Il serait
devenu, à ce qu'elle nous en dit, un des plus grands fournisseurs de la
ville en drogue, principalement le Tramol. Après ce mariage
raté, elle ouvre un restaurant dans une maison qu'elle loue au quartier
Tongo, afin de gagner sa vie. Pour elle, quelque soit l'homme qui se
présenterait, elle serait partante si celui-ci peut subvenir à
ses besoins. Il est remarquable de constater que très peu de personnes
dans le quartier savent qu'elle n'est pas mariée. En effet, si tel
était le cas dit-elle, elle ne serait pas respectée. Elle emploie
3 de ses soeurs, pour la cuisine et 2 garçons pour la plonge. Et toutes
ces femmes ne veulent qu'une chose : se marier. À la question de
savoir pourquoi elles insistent tant à se mettre en couple alors
qu'elles ont déjà de quoi subvenir à leurs besoins, elles
vous répondent que « c'est à l'homme de le faire, si
nous étions mariées, nous n'aurions pas à faire ce type de
travail » 114(*). Dans la tradition peule, « le mariage
signifie ascension sociale pour la femme.»115(*) En effet,
« l'image du mariage véhiculée par la langue peule,
à travers le terme « bangal » est
associé à une idée de grandeur, de hauteur, d'ascension. A
ce stade, nous pouvons dire que le mariage est vécu, par les Peul, comme
un mouvement vers le haut. »116(*) Elle est aujourd'hui une daada suudu, une
femme à la tête des adjaba'en.
Dans son restaurant, elle travaille de 08h à 23h, et
pendant les périodes de jeûne de Ramadan, c'est entre 18h et 23h
qu'elle prend la première tranche de travail, et de 2h à 5h pour
la deuxième tranche. Elle y vend des ignames, du couscous, du riz, de la
bouillie et différentes sauces. Malgré tout, on peut remarquer
quelques enfants qui jouent à même le sol dans la maison. Chacune
des filles en a un et affirme que les hommes viennent, « disent
"je t'aime" » et s'en vont sitôt qu'ils ont eu ce qu'ils
voulaient. Ils ne veulent pas se marier. Toutes les nuits, il y en a un
nouveau, plus amoureux que celui de la veille, mais jamais ne veulent
s'engager.
Ce sont donc ces femmes qui sont considérées
comme des prostituées sur le plan traditionnel. Mais prostituées
qui, on peut le constater, le font dans le sombre espoir de trouver parmi leurs
courtisans, non plus des clients, mais des maris. La situation du mariage
aujourd'hui, marquée par les différentes influences
étrangères amène les femmes à réviser leurs
avis sur cette institution. La prostitution traditionnelle des
adjaba'en est encore très pudique. Cette activité
commencera à être pratiquée à ciel ouvert avec les
premières populations sudistes. En effet, Les vagues migratoires qui
s'accentuent dès les années 1950 et dont la plus grande
illustration est la création du quartier Baladji, apportent de
réels changements de moeurs. L'arrivée des populations du
Sud-Cameroun démontrait la possibilité d'une promotion sociale,
et leurs valeurs culturelles marqueront les consciences. Cela va conduire
à un changement de mentalités. Ngaoundéré devient
donc une ville qui vit entre tradition et modernité.
Photo 2 : Les trois employées du
restaurant traditionnel de Hadidja et leurs enfants ;
(Elle-même a refusé de se faire
prendre en photo, prétextant n'être pas
présentable)
Cliché : Owona, le 22 août 2009.
III. LES CHANGEMENTS DE LA VIE DE NUIT : DE
LA TRADITION À LA MODERNITÉ
Ces différentes activités connaissent un certain
ralentissement sinon un déclin depuis 1952. En effet, avec les grandes
vagues migratoires et les changements politiques au Cameroun, plusieurs
changements interviennent et modifient la manière à laquelle la
nuit se vivaient jusque là. Il est donc nécessaire, pour mieux
comprendre ces mutations, de jeter un regard sur les différentes
migrations qui ont émaillées l'histoire de cette ville, afin
d'examiner les nouvelles activités et loisirs de la nuit.
5. L'arrivée des "immigrés"
camerounais
En dehors des peuples anciennement installés
sur le plateau de l'Adamaoua, à savoir les Mboum, les Gbaya, les Dii,
soumis par les Foulbé, les premières populations camerounaises
qui se sont retrouvées dans la cité de Ngaoundéré
étaient pour la plupart des esclaves. En effet, les Lamibé de
Ngaoundéré ont bâti leur pouvoir en conquérant les
villages environnants, en razziant et en pillant117(*). Nous pouvons ainsi citer les conquêtes de Mohaman
Ndjobdi (1830-1838), qui réduisit une partie des Mboum à
l'esclavage à la suite de la bataille de deux mois qui l'opposa au
Belaka de Ngaoukor. Celles de son successeur Lawan Hamman (1838-1853), qui
envoya quelques expéditions contre les Gbaya. Sans oublier Ardo Issa qui
repoussa les frontières de Ngaoundéré jusqu'aux
frontières de l'actuelle R.C.A. ; Haman Gabdo (1877-1887) qui
soumit les villages Dii, Ngaouyanga, Dek et Gonkora118(*). Mais elles se sont
arrêtées avec l'arrivée des Allemands en 1901.
Il faut noter que l'administration allemande est l'un
des moteurs de l'immigration dans la cité de Ngaoundéré.
À leur arrivée, ils vont entrer de force dans la ville
après plusieurs jours de siège. Le mur de fortification qui
entourait la ville sera détruit. Non par les Allemands tels que certains
témoignages le relèvent, mais par les populations locales
elles-mêmes. En effet, avec l'entrée de ces Européens et
leurs coups de feu, les populations dans leur fuite, vont briser certaines
parties du mur. Ces dernières ne seront jamais reconstruites et c'est
ainsi que le mur va finalement disparaître119(*). Le mur brisé, la ville est donc grande ouverte
à toute sorte d'influence et de pénétration
étrangère. En plus des commerçants, l'administration
allemande fera venir d'autres populations sudistes, pour le besoin de faire
asseoir son autorité. Cette méthode sera poursuivie par
l'administration française.
Les premiers sudistes que l'on retrouve à
Ngaoundéré semblent être les Bamiléké120(*). À la fin du XIXe
siècle, ceux-ci entretenaient des relations commerciales avec les
populations du Nord-Cameroun. Ce commerce était principalement
centré sur les kolas121(*).
Il faut ajouter à ces produits les boeufs qui sont acheminés vers
Dschang et Foumban122(*). Pour
Kemfang, en plus de ces produits commerciaux, il ajoute lait, peaux
séchées et tissus123(*).
Les sudistes seront appelés à
Ngaoundéré pour servir principalement dans l'administration, dans
l'éducation, la santé et l'agriculture. Même si leur apport
à partir de 1952 dans la construction est moins important du fait qu'ils
ne s'adonnaient que très peu à ces travaux124(*). On relève surtout comme
populations sudistes présentes à Ngaoundéré pour le
compte de l'administration, les tendances ethnologiques suivantes : les
Béti (Ewondo, Bulu, Eton), les Bafia, les Bamiléké et peu
de Douala125(*). Cette
présence des travailleurs sudistes dans l'administration coloniale a
été rendue possible grâce notamment, au rôle qu'ont
joué les écoles missionnaires dans le Sud dès les
années 1901. Ces écoles missionnaires avaient la faveur des
différentes administrations coloniales en ceci qu'elles étaient
de véritables vecteurs de l'idéologie européenne. Il faut
ajouter qu'en ce qui concerne l'administration française, c'est le 22
juillet 1922 que le mandat de la Société des Nations (S.D.N.) est
accordé à la France. Mais déjà, en 1915, des
témoignages relevaient la présence des travailleurs sudistes au
compte de la France126(*).
6. Les autres vagues migratoires
Parmi les premiers Africains non-Camerounais
arrivés à Ngaoundéré, les communautés
d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale sont certainement les plus
importantes.
Les communautés d'Afrique de l'Ouest ont
été depuis très longtemps en contact avec les
Foulbé. Il faut rappeler que tous les Foulbé sont originaires de
l'Afrique de l'Ouest avec une souche arabe. Ainsi, les premiers ressortissants
de cette zone de l'Afrique à s'installer dans la ville de
Ngaoundéré étaient les Haoussa et les Kanouri. Leur
installation semble effective dans l'ancienne cité dès le XIXe
siècle en même temps que la conquête de ce territoire par
les Peul127(*). Ces deux peuples
sont originaires du Nigeria et sont réputés pour leur talent de
commerçant, d'érudit, et d'infatigable voyageur.
Depuis le XVIIIe siècle, les Haoussa partaient
du Nigeria et parcouraient le Nord-Cameroun, s'infiltrant dans les
Hauts-Plateaux de l'Ouest Cameroun jusqu'au Centre, en se soumettant aux chefs
locaux. C'est sans doute une des raisons qui explique que les populations du
Sud-Cameroun, jusqu'aujourd'hui, continuent de considérer comme Haoussa
toute personne issue de la zone septentrionale du pays. En effet, parmi les
premiers commerçants ambulants avec lesquels elles ont été
en contact, on dénombre les Haoussa.
Par ailleurs, Ousman Dan Fodio et son lieutenant
Adama font recours aux Haoussa et aux Kanouri pour renforcer la cavalerie
peule. Avec la prise de Ngaoundéré par Ardo Ndjobdi, les
commerçants Haoussa et Kanouri feront de cette cité un grand
comptoir d'esclaves, commerce qui permettait au lamidat de vivre dans une
certaine opulence en payant au prix fort les marchandises qui lui
étaient proposées128(*). Ils vendaient au départ du sel et du natron,
produits utilisés pour l'élevage que pratiquaient les Peul. Mais
avec les razzias, ces produits vont se diversifier et laisser la place aux
esclaves, à l'ivoire et aux tissus Bornouans.
L'installation des Haoussa et des Kanouri s'est faite
progressivement. Les principales raisons étaient : le
commerce, l'enseignement des préceptes de l'Islam, ou simplement pour
répondre aux sollicitations du lamidat, de mettre à son service
leurs talents d'occultisme. À l'intérieur de l'ancienne
cité, ils créent le Quartier Haoussa, situé à l'Est
du palais du Lamido.
Notons que les Kanouri sont aussi originaires de
Boundang comme les Foulbé de Ngaoundéré. Il faut dire
qu'ils voyageaient presque toujours ensemble. Et lorsque Ndjobdi envoya la
première expédition de Foulbé en mission de reconnaissance
sur le plateau de Ngaoundéré, il lui enjoignit quelques marabouts
à savoir Maloum Moungouma, Maloum Aliyam, Maloum Djetawa, Maloum
Ibrahima, Maloum Kadir, Maloum Mouktamou, Maloum Moustapha, Maloum Moussa,
Maloum Firna, et Maloum Youssoufa. Leur rôle était
d'établir la première mosquée dans la nouvelle
localité. Par la suite, ils créent le quartier Maloumri. Les
Kanouri, conduits par un chef du nom de Korma, vont aussi créer le
quartier Kormari 129(*).
Aujourd'hui encore, les Kanouri et les Haoussa sont fondamentalement
installés dans la ville de Ngaoundéré, avec une forte
présence dans la Faada, instance dirigeante du lamidat. Grâce aux
mariages intercommunautaires, ils vont se fondre dans le groupe d'habitants et
bénéficier de privilèges dans la gestion des affaires de
la cité. Ainsi, c'est le Maï Borno, chef des Kanouri, qui
enturbanne le lamido lors de son intronisation. Il est aussi le seul à
le taquiner ou à blaguer avec lui130(*).
Ces premières vagues d'immigrés venant
d'Afrique de l'Ouest, ont ouvert la voie à d'autres migrations,
cependant plus tardives. En effet, les commerçants eux, avaient
continué leurs rotations saisonnières. Mais avec les
indépendances, les pays d'Afrique de l'Ouest ont connu un certain nombre
de problèmes politique, économique et social. Les
Nigériens et les Maliens par exemple fuient les dictatures militaires en
vigueur dans leurs pays. La guerre civile (1966-1970) au Nigeria fera augmenter
le nombre de ses ressortissants dans la ville. Il faut ajouter aux
communautés suscitées, les Burkinabé, les Ghanéens,
et les Togolais. Tous ces étrangers, en majorité des hommes au
départ, s'installent aux quartiers Tongo, Aoudi, Bali, et Joli-Soir.
Les communautés d'Afrique Centrale quant
à elles sont depuis très longtemps en contact avec celles de
Ngaoundéré. Mais, c'est aussi avec les problèmes post
indépendances que leur nombre augmentera dans la ville. Il n'est pas un
secret que l'Afrique contemporaine apparaît comme l'un des continents les
plus instables de la planète. Depuis les années 60, les conflits
n'ont pas cessé d'un bout à l'autre du continent131(*). Parmi les communautés
d'Afrique Centrale, nous nous intéresserons aux Centrafricains qui
partagent la frontière avec l'Adamaoua, et les Tchadiens qui, faute de
littoral font transiter leurs marchandises par le Cameroun via
Ngaoundéré. L'instabilité politique de ces deux pays a
provoqué dans la population un état de pauvreté qui
incitait tout naturellement les habitants à chercher de meilleures
conditions de vie.
Tout d'abord en ce qui concerne le Tchad, il faut
dire que c'est avec les évènements de 1979 et la bataille de
N'Djaména, ensuite le retour de Hissène Habré, que le
territoire tchadien est devenu le théâtre de plusieurs
affrontements. Cette situation en territoire tchadien a même valu
à cette communauté le sobriquet de
« rescapé » (Dadi-Kartou en fulfulde)132(*). Depuis le déclenchement
des hostilités le 12 février 1979, accompagné du clivage
Nord-Sud et la multiplication des formations politiques, la stabilité du
pays devient précaire. Ce processus de violence commença en 1966
et obligea des milliers de Tchadiens à se déverser dans les pays
voisins. Entre février 1979, mars 1980 et juin 1982, plus de deux cent
mille réfugiés arrivèrent au Cameroun133(*).
La prise du pouvoir par Hissène Habré
en 1982, lui-même renversé par Idriss Déby en 1990, la
flambée des violences, des exactions et des règlements de compte
ont contribué à faire sortir massivement les Tchadiens de leur
pays. Aujourd'hui encore, le Tchad est le lieu de rébellions
répétées et à intermittence surtout depuis la
découverte de la manne pétrolière dans le pays durant la
décennie 1990. Sans oublier que sous le règne d'Hissène
Habré, les armes circulaient parmi la population assez facilement et
favorisaient la chasse aux sorcières134(*).
Le Cameroun et le Tchad entretiennent des relations
de coopération depuis aussi longtemps que remonte la colonisation. C'est
aussi l'un des pays à véritablement profiter du chemin de fer qui
relie Ngaoundéré à Douala. Le transit des marchandises,
les échanges commerciaux, le transport, ont facilité depuis 1974
l'installation des Tchadiens dans la ville de Ngaoundéré.
C'étaient donc au départ, des commerçants, des
transporteurs, des travailleurs, des chauffeurs et des mécaniciens. La
guerre a contribué à faire entrer d'autres types d'individus,
bien moins nantis et qui se livrent à toute sorte d'activités
(prostitution, banditisme...), sans oublier l'ouverture de l'université
de Ngaoundéré qui accueille une importante communauté
tchadienne.
Les Centrafricains quant à eux vivent des
tensions politiques marquées par des coups d'État à
répétition. Depuis 1964, la R.C.A. a connu 4 coups d'État,
en 1965 avec Bokassa qui chassa David Dacko, et s'autoproclama empereur, en
1979 avec le retour de David Dacko qui chassa à son tour Bokassa ;
André Kolingba renversa ensuite David Dacko en 1981. Et plus
récemment en 2004, François Bozizé a pris le pouvoir au
détriment d'Ange Félix Patassé.
De 1996 à 1998, l'on a pu décompter 3
mutineries en Centrafrique, sans oublier les grèves, et les
répressions sanglantes dans les prisons de Berengo et de Ngaraba 135(*). Ce qui a contribué
à créer un état de psychose permanente dans la population
et à les inciter à l'exil.
Que ce soit la communauté tchadienne, ou celle
centrafricaine, elles se sont, au fil du temps, organisées avec des
chefs de communautés reconnus par l'administration. Les musulmans de
celles-ci ont pu très aisément se fondre dans la masse en
adoptant un mode de vie islamo-peul. Pour les autres ils vivent pour la plupart
dans les quartiers populaires tels que Baladji ou Joli-Soir. Les centrafricains
ont plusieurs associations dans la ville et une cellule de prière sous
le couvert de l'Église Luthérienne, une des deux tendances
religieuses qui se sont installées à Ngaoundéré
grâce aux migrations européennes et américaines.
C'est à partir de 1892 que l'on retrouve les
traces des premiers européens qui sont passés par la ville de
Ngaoundéré. Dermais présente bien ces différents
passages.
Des Européens y [à
Ngaoundéré] ont pénétré à plusieurs
reprises. Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Mizon y a séjourné
du 4 au 29 janvier 1892. Monsieur Ponel, Administrateur Colonial, envoyé
en 1893 par Monsieur de Brazza auprès du sultan Jouveoro à Yola,
traversa Ngaoundéré à l'aller et au retour de son voyage.
Les deux allemands, Von Uchtritz et Passarge sont restés 9 jours dans le
voisinage de la ville, en janvier 1894. Et enfin, quelques mois après,
Monsieur Goujon, Administrateur Colonial y a fait un séjour
prolongé.136(*)
Même si nous savons avec Ketil Fred Hansen, que
la mission Deutsche Kamerun-Komitee conduite par le Dr Passarge est
effectivement entrée dans la cité de Ngaoundéré et
ne se sera pas contenté de rester « dans le
voisinage ». Arrivée dans la cité le 28 janvier 1894,
elle est reçue par le lamido Mohammadou Abbo (1887-1901)137(*). À cette même
époque, sans donner de date précise ni de nom, Mohammadou E.,
parle aussi d'un Blanc qui y aurait séjourné. Il s'agissait d'un
« Français vêtu d'une djellaba et coiffé d'un
turban tel un arabe »138(*).
Ces premiers explorateurs augureront la prise de la
cité par les Allemands. Ceux-ci y arrivèrent après avoir
pris Yoko et Tibati, tuant beaucoup de personnes. Il s'agissait de deux ou
trois Blancs suivis d'une vingtaine de soldats tous armés de fusils.
Face au refus du lamido de se soumettre, ils donnèrent l'ordre de tirer
sur la population en progressant vers le palais du lamido. Ils le
tuèrent lorsqu'il tentait une sortie vers-le sud. C'est à cette
date là (1901), que la muraille fut détruite à cause de la
fuite des populations qui pour la première fois, entendaient des coups
de fusils et surtout à cause du massacre qui s'en suivi.139(*)
C'est en la faveur de la première guerre
mondiale que les Français arrivèrent à
Ngaoundéré en 1915. Le mandat de la S.D.N. (Société
Des Nations) leur sera confié le 22 juillet 1922. Ils restèrent
au Cameroun jusqu'à l'indépendance en 1960.
Dans l'histoire de la ville de
Ngaoundéré, nous retrouvons parmi les grands commerçants
et les transporteurs des Levantins. Il s'agit d'individus originaires des pays
du Levant140(*). L'expression
"levantin" désigne tout particulièrement « la
population mêlée, qui n'est ni turque ni arabe, des côtes de
l'Asie et de l'Égypte.141(*)» On retrouve dans cette dénomination les
Libanais et les Syriens.
L'arrivée des Libanais et des Syriens dans la
ville de Ngaoundéré se serait déroulée en deux
phases, celle allant de 1941 à 1965 et celle à partir de
1975142(*).Ces grandes vagues
migratoires des levantins dans la ville de Ngaoundéré peuvent se
comprendre par l'histoire même de ces deux pays.
En effet, ces deux pays n'ont cessé de
connaître des guerres. De part leur situation stratégique ouverte
à la mer rouge, ils étaient des pôles stratégiques
du commerce. Avec l'effondrement de la Syrie et la prise de pouvoir des
Abbassides en l'an 750143(*), la
Syrie perd sa position dominante dans la région du Levant. Dès
lors, elle est soumise à des influences diverses. Tout d'abord, sous le
règne des Fatimides, les turcs Seldjoukides font la conquête de la
Perse et prennent Damas en 1075. Mais les querelles des Seldjoukides permettent
une incursion facile des croisés menés par le chef turc Zenghi
Atabeg au cours des années 1130-1140144(*). Ainsi la Grande Syrie s'effondre en 1291.
La Syrie va passer entre les mains de plusieurs
puissances étrangères : les Mamelouks (1303-1516), les Turcs
ottomans (de 1516 à 1916), et enfin les Français à partir
de 1916 avec les accords secrets entre Français et Anglais, accords de
Sykes-Picot, qui situent la Syrie à l'intérieur de la zone
d'influence française. Les soldats du général Gouraud,
face à l'hostilité de l'émir Fayçal, entre dans la
ville de Damas le 25 juillet 1920, avec comme argument de poids, le mandat de
la Société Des Nations145(*).
C'est avec cette annexion que les problèmes de
la Syrie moderne commencent véritablement. Les premières
années de l'occupation française furent assez calmes. Mais,
dès 1925, éclate la révolte du Djebel Druze, conduite par
le Sultan pacha Al-Attrache, et qui peu à peu s'étend à
tout le pays. Elle a pour principales causes l'opposition des dignitaires au
mandat, et l'absence d'institutions réellement représentatives du
haut-commissariat. Cette révolte conduira aux bombardements de Damas par
deux fois, en octobre 1925 et en mai 1926146(*).
En 1930, l'assemblée constituante est dissoute
et le haut-commissaire donne, de sa propre autorité une constitution
à la Syrie. Toute activité parlementaire est indéfiniment
suspendue en 1934147(*). Cette
attitude essentiellement répressive de la France entraînera de
fortes émigrations, et le début de la deuxième guerre
mondiale en 1939, n'arrangera pas les choses. C'est ainsi que commence la
première vague de migration des levantins en 1940 vers
Ngaoundéré. L'histoire du Liban est plus ou moins liée
à celle de la Syrie. Mais c'est surtout la guerre avec Israël en
1948 qui entraînera l'exode des Libanais. Dès 1975, de nouveaux
syro-libanais arrivent à Ngaoundéré, motivés par la
guerre civile qui sévit dans cette zone148(*).
Les principales familles libanaises que l'on peut
recenser dans la ville de Ngaoundéré sont : Omaïs,
Kairy, Nassif, Fayed, Zattar, Dabadji, Damien. Si elles s'installent avec
femmes et enfants, elles investissent dans le commerce d'objets divers, dans
l'exploitation forestière et aurifère, dans le transport des
marchandises et dans les boulangeries.
7. L'électrification de la
ville
L'électrification de la ville représente un
instant important dans l'évolution de la vie de nuit. Il est vrai qu'au
moment de l'installation des premiers réseaux électriques dans la
ville par la société E.D.C. (Électricité Du
Cameroun) en 1968149(*),
seuls quelques quartiers stratégiques du point de vue sécuritaire
étaient alimentés. Il s'agissait de l'axe allant de
l'aéroport au Centre Commercial (pour la facilitation des transmissions
des communications aux PTT), la station de distribution d'eau, le Petit
Séminaire (en raison des châteaux d'eau qui alimentent la ville)
en passant par le quartier fonctionnaire et administratif, par la suite
l'ouverture de la gare ferroviaire en 1974 permettra aussi l'installation des
câbles électriques dans cette zone150(*). Aujourd'hui encore, on peut
reconnaître les premiers poteaux électriques qui ont
été installés dans la ville de Ngaoundéré
par le fait qu'ils sont en béton. Les poteaux en bois sont plus
récents et relèvent des travaux effectués par la SO.N.EL.
(Société Nationale d'Électricité), qui arrive
à Ngaoundéré en 1974151(*).
En effet, avec l'E.D.C., la ville n'était pas assez
éclairée. Seuls les lieux stratégiques tel que nous venons
de le montrer sont éclairés, et même l'É.P.
(Éclairage Public) n'existe que dans ces quartiers-là. Il faut
préciser que l'alimentation électrique de la ville est
assurée avant 1974 par deux centrales thermiques (groupes
électrogènes), qui fonctionnaient au gasoil. Elles furent
installées dans la station électrique située sur l'axe de
l'aéroport en passant par le Collège de Mazenod. Celles-ci
représentaient un véritable gouffre d'argent puisqu'il fallait
plusieurs personnes pour l'entretien, l'achat du carburant, des pièces
de rechange, de l'huile de moteur, n'était pas à négliger
non plus. C'est en 1993 que la SO.N.EL. se connecte à la station de
Lagdo. Le barrage hydroélectrique permet d'alimenter la ville avec 110
kilovolts, de manière plus économique et plus efficace152(*).
La vie de nuit connaît de réels bouleversements
avec l'arrivée de l'électricité. En effet, malgré
la difficulté à s'alimenter en électricité,
certains quartiers populaires tels que Baladji seront connectés au
réseau électrique. Ce qui permettra l'ouverture en 1976 de la
première boîte de nuit de la ville, le Babouka.
Cependant, le nombre de bars est loin d'être ce qu'il est aujourd'hui.
C'est justement à partir de 1993 avec la connexion au barrage
hydroélectrique de Lagdo, que les choses vont s'accélérer.
Dans l'échantillon des bars que nous avons étudié, la
plupart ont ouvert dans cette décennie. Nous pouvons ainsi citer le
Gaduuru Bar, le Pentagone, tous deux au quartier
Burkina ; le bar Mbambé à Socaret, le New
Satellite, Belle Époque, Chez Sheriff, au quartier
Onaref. Tous ces débits de boissons sont situés hors du Centre
Commercial, où on retrouve des snacks bars plus anciens à
l'instar de La Plazza.
La vulgarisation de l'électricité et de
l'É.P. permettent une plus grande facilité de déplacement.
Il faut noter que, même si c'est l'obscurité qui donne envie de
sortir, lorsqu'elle est trop dense, elle fait peur et limite les mouvements.
Les années 2000, le périmètre de couverture de
l'É.P. est augmenté, ce qui facilite aussi la création
d'autres petits métiers tels que le taxiphone, les salons de coiffure,
les discothèques, les cybercafés, etc. Ainsi, plus de gens
veulent sortir de nuit, surtout les jeunes.
Malgré tout, certains quartiers restent mal
éclairés. En effet, il est difficile de faire installer l'E.P.
dans toutes les artères de la ville. Pour un seul point de lampadaire,
il faut comptait environs 300 000 f.cfa153(*). Ajoutons à cette somme, celles de
l'entretien et des factures, qui sont à la charge de celui qui fait
installer le lampadaire. La Communauté Urbaine de
Ngaoundéré qui doit s'en charger est elle-même incapable
d'y arriver en raison du manque de moyens financiers. Pour des lampadaires qui
fonctionnent de 18h à 6h, il faut compter plusieurs millions de francs
de facture à la fin du mois, si toute la ville devait être
alimentée. Notre informateur, sans donner de date précise, nous
rappelle que l'É.P. a été interrompu à
Ngaoundéré pendant à peu près 3 ou 4 ans pour cause
de factures impayées154(*).
Nous pouvons donc comprendre que, l'arrivée de
l'électricité dans la ville a eu un impact décisif dans la
vie de nuit à travers la multiplication des bars et la facilitation des
métiers du bord de rue (restaurants de trottoir, taxiphone...). Mais,
elle a aussi localisé la criminalité, qui est plus
accentuée dans les zones peu éclairées de la ville. Pour
cela, certains points d'É.P. sont souvent vandalisés pour laisser
le champ libre aux criminels. Ce problème de vandalisme s'ajoute donc au
manque de moyens financiers pour le payement des factures et l'entretien
systématique du réseau électrique.
8. Impact des immigrés sur la vie
traditionnelle
Il ne serait pas superflu de penser que deux grandes
vagues de changement ou de modernité ont marqué la région
qui aujourd'hui est connue comme étant la ville de
Ngaoundéré. En effet, après l'installation des Mboum, le
premier changement intervient avec la conquête de ce territoire par les
Peul, et le second par l'arrivée des Européens et tout ce qui
suivra, colonisation, indépendance, migrations, etc.
Avec le Jihâd d'Ousman Dan Fodio et les
campagnes guerrières qui l'ont marquée, les Peul occupent une
grande partie du septentrion camerounais. Dans leur stratégie
d'installation et d'administration, ces conquérants
accélèrent le brassage ethnique et apportent des institutions et
des traits culturels nouveaux. Ainsi, va se créer un
« phénomène subtil d'acculturation,
d'intégration ethnique et culturelle.155(*)» Petit à petit, les mentalités des
populations locales changeront au profit des principes de la pulaaku156(*). L'Islam, l'un des traits
fondamentaux de la culture peule, va aussi modeler les cultures "autochtones"
de Ngaoundéré. Les populations Kirdi, par une identification
psychologique et sociale, se transforment grâce à certaines
stratégies utilisées par les Peul : « Une habile
stratégie matrimoniale, la polygamie, pratique de règle dans
cette société islamisée, permettait non seulement d'avoir
autant de concubines esclaves qu'on le voulait mais accrut aussi, par voir de
conséquence, le nombre de ceux qui, culturellement, se
définissent comme Peuls.157(*) »
Le premier moment de "modernisation" apparaît
donc avec la conquête de Ngaoundéré par les Foulbé
et la transformation culturelle qu'ils y occasionnent. On peut
déjà y voir une certaine modernité car en effet, le
moderne implique un passage d'un état ancien vers un état
nouveau. Il s'agit d'y voir l'impulsion « de réalisations
prodigieuses et rationnelles dans la configuration actuelle des cadres de vie
de tout un chacun. 158(*)» Tout est ici placé sous le signe de la
nouveauté.
Le second moment, celui qui est à
l'observation, à la base de la situation actuelle de la vie de nuit dans
la ville de Ngaoundéré, est la prise de cette cité par les
Allemands. Depuis la prise de Ngaoundéré en 1901, les changements
n'ont cessé de s'opérer dans la vie de cette ville de
manière générale et dans celle de la nuit de
manière spécifique.
Tout d'abord, les esclaves étaient
utilisés pour les travaux champêtres jusqu'à cette date.
Or, la colonisation va mettre fin aux razzias. Froelich rapporte que sous le
règne du Lamido Issa Maïgari (1904-1922), une dernière
expédition contre les Laka fut menée discrètement sous le
commandement de Djabo Sambo, qui ramena des esclaves. Cette expédition
fut appelée la « guerre sans tambour »,
(danebaya)159(*). Le lamido de
Kontcha n'eut pas la même chance. S'étant emparé de 80
enfants Koutin, il les garda pour son usage, en donna et vendit quelques uns.
Mais il fut déposé et les enfants rendus à leurs
familles160(*). L'administration
française qui arrive en 1915 ne reconnaît pas le statut d'homme
non-libre, ces anciennes distinctions disparaissent et tous les hommes
deviennent égaux.
Dépourvus d'esclaves et dédaignant les
travaux champêtres, les Foulbé de l'Adamaoua vont se verser dans
l'exode rural. Il concerne surtout les jeunes qui avaient grandi
jusque-là dans une "société du loisir"161(*). Cette société,
fondée sur l'élevage des bovins, est alors obligée de
modifier ses traditions. Plusieurs raisons expliquent l'attrait des jeunes pour
la ville :
- Le fait de
ne plus vouloir se plier aux travaux de la brousse pénibles et
dégradant ;
- Le
reproche fait par les jeunes aux anciens de ne pas vouloir les
récompenser de leur travail de gardiennage de bétail. Or, de
l'autre côté, les anciens leurs font le reproche de dilapider
celui-ci et de vouloir seulement l'argent qu'il procure.
-
L'épizootie de peste bovine de 1928, qui fait perdre beaucoup de
bêtes aux pasteurs Foulbé, contraignant les jeunes à aller
chercher du travail dans la ville162(*).
Cet exode rural aura pour effet d'augmenter la
population de jeunes sans emploi dans la ville. En effet, ceux qui arrivent des
villages, généralement, ont des rêves plein la tête
mais ne savent rien faire. Ils se muent donc en mototaximen, en taximen ou tout
simplement en vendeurs ambulants, pour ceux qui ont le plus de chance. Pour les
autres c'est très souvent le banditisme et sa spirale de passages en
prison. Il faut ajouter que, ces jeunes qui s'adonnent à l'exode rural
sont à la recherche de conditions de vie meilleure. Ils sont donc
près à tout pour vivre mieux que d'où ils viennent.
Boutrais montre que c'est à partir des années 1930 que les jeunes
Foulbé commencent à délaisser la brousse et le
bétail pour s'installer à Ngaoundéré, ville qui
commençait de plus en plus à se moderniser163(*).
Lancée dans cette vague évolutive, la
cité de Ngaoundéré sort lentement mais sûrement de
la tradition. Le fulfulde, langue dominante ici laisse peu à peu place
au français avec la création des premières écoles.
Malgré les réticences des autochtones vis-à-vis de la
nouvelle école, celle des «Blancs». En effet, dans un contexte
de forte islamisation, la nouvelle école était
considérée comme le vecteur de la religion chrétienne.
La rencontre avec les Européens fut d'abord
marquée par une sympathie mutuelle avant d'évoluer vers une
méfiance réciproque presque instinctive pour finalement se
transformer en un conflit ouvert embrasant toute la région [...].
L'administration coloniale était alors perçue par les chefs
musulmans comme le bras séculier de l'église chrétienne
venue combattre l'Islam jusque dans leur pays. Cette perception du
christianisme par les musulmans est à la base du refus de l'école
du Blanc que ces populations ont entretenu tout au long de la période
coloniale et qui a laissé des séquelles bien après la fin
de la colonisation.164(*)
L'histoire de Mohammadou Djaouro est assez
illustrative de cet état d'esprit165(*). Ce fils de Kanouri dont les grands-parents faisaient
partie des premiers arrivants à Ngaoundéré à la
suite d'Ardo Ndjobdi, s'est retrouvé à l'école sous la
contrainte. En effet, chaque famille avait obligation d'envoyer certains de ses
fils à l'école nouvelle. Or, très souvent, les parents
envoyaient les enfants pour qui ils n'avaient pas d'affection ou encore,
substituaient leurs enfants par ceux de leurs esclaves. Envoyer son enfant
à l'école était considéré comme perdre
celui-ci, car cela signifiait qu'il irait en enfer.
Un jour, jouant tout seul dans une voiture
abandonnée à l'endroit aujourd'hui connu sous le nom de Carrefour
Mini-Mode, il est appâté par un des serviteurs du lamido (les
Dugari) qui était chargé de capturer les enfants et de les amener
à l'école. Il lui proposa un beignet. Intéressé par
la proposition et alléché à l'idée d'avoir un
beignet, il accourut auprès de l'individu. Celui-ci le tint par la main
et commença à l'entraîner. Constatant que la distance se
faisait longue de plus, il voyait au loin un groupe d'enfants
déjà capturés, il comprit ce qui se passait. Pris de
panique, il dit au serviteur qu'en tout cas, il ne voulait plus de
« ce beignet-là !». À ces mots, l'homme
l'agrippa plus fortement et sortit le fouet dont il était muni. C'est
ainsi qu'il se retrouva inscrit à « l'école des
Blancs ».
De retour chez lui, il trouva les femmes de son
grand-père en pleurs. Même son grand-père, pourtant d'un
naturel réservé, avait les yeux humides : « son
petit fils irait en enfer ». Mais il y avait encore de l'espoir. En
effet, un homme au lamidat était chargé de recevoir ceux dont les
enfants étaient capturés, et qui voulaient négocier leur
"libération"166(*). La
libération était conditionnée par le don d'un boeuf ou de
tout autre fortune. Son grand-père négocia sans grand
succès, allant même jusqu'à trois boeufs, sans
réussir à infléchir le dignitaire du lamidat. Il faut
noter que les deux hommes étaient déjà en conflit.
C'était donc l'occasion d'une vengeance. L'enfant ne fut jamais
libéré. Aujourd'hui infirmier retraité, il ne regrette pas
d'être allé à l'école. Il considère
même cela comme une chance qu'il a eue et en remercie Allah, qu'il sert
par ailleurs comme Imam.
À l'instar de Mohammadou Djaouro, la jeunesse
de Ngaoundéré commence justement à se moderniser
grâce à la nouvelle école. Mbengué Nguimé
souligne qu'il se crée une différenciation comportementale entre
les élèves de l'école coranique, fleurons de la tradition,
et les élèves de l'école moderne, celle des
Français. Les premiers considérant les seconds comme des vendus
et des égarés. Même si ce mépris est
réciproque, il souligne cependant la scission qui se met en place
à cause de la modernité. En effet, les jeunes commencent de plus
en plus à ressentir un amour pour la France. « La jeunesse
moderne aspire à un meilleur devenir, en se référant au
statut socioprofessionnel des premiers
« évoluées ». Ses préoccupations
matérielles relèvent aussi des perspectives d'émancipation
énormes et quasi satisfaisantes qu'offre la formation à
l'européenne dans une région où les scolarisés sont
appelés à remplacer les colonisateurs
européens. »167(*)
L'école française, dont la
première est crée à Ngaoundéré en 1917168(*), va effectivement entraîner
la francisation, l'aliénation culturelle et l'acculturation des
populations169(*). On peut noter
aussi une différence sur la manière d'éduquer les enfants.
Les parents scolarisés à la française sont plus prompts
à envoyer leurs enfants sans distinction de sexe à l'école
moderne. De plus, leurs filles ont plus de liberté que celles des
parents demeurés dans la logique traditionnelle. Mohammadou Djaouro nous
confie justement qu'il est normal pour lui que ses filles sortent, qu'elles se
sentent libres parce que « les temps ont évolué et la
"vie" ne viendra pas les trouver sur place à la maison.»170(*) Il nous fait même remarquer
que de plus en plus de parents permettent à leur fille de quitter la
maison familiale en ville et de vivre seule dans les chambres universitaires
à Dang, ce qui était impensable il ya quelques années. La
fille quittait la maison parentale pour celle conjugale.
Tout cela nous permet de comprendre que le but que
s'était fixé l'administration française à travers
la scolarisation, fut véritablement atteint. En effet mettre fin
à l'emprise de la tradition religieuse sur les populations était
dans une large mesure l'objectif de la nouvelle école française.
« L'étude du français est le meilleur moyen qu'on
puisse employer contre la fanatisme [religieux] et l'expérience nous
enseigne que les musulmans qui parlent notre langue nous causent moins de
préjudice que ceux qui ne connaissent que l'arabe. »171(*)
Une autre conséquence de l'école
française sera la perte de l'autorité traditionnelle. La
nomination de Ndoumbé Oumar, l'un des produits de cette nouvelle
école, en 1958 comme maire de Ngaoundéré n'arrangera pas
les choses. Mboum de Ngaoundéré, chrétien islamisé
mais tout de même considéré comme un serviteur par les
Foulbé, sa nomination va lui conférer un pouvoir plus grand que
celui du Lamido. L'une des mesures qu'il devra exécuter sera la
fermeture de la prison du lamidat. Jusque-là, il existait une prison
dans le lamidat, qui permettait de réguler les comportements des
habitants172(*). Ceux qui
étaient pris en train de consommer de l'alcool étaient, soit
expulsés de la cité, soit enfermés. Et les
prostituées subissaient le même sort. Or, le 25 juillet 1961, le
préfet ordonne la dissolution de la prison du lamido173(*). La fin de cette prison va laisser
la place à tout type d'excès dans la vie de nuit, surtout avec
les mutations de plus en plus grandes apportées par la nouvelle
école mais aussi par l'augmentation des fonctionnaires dans la
ville.
Si avant l'indépendance, il existait 14
services administratifs, le nombre de fonctionnaires va presque tripler
après174(*). Et cela
implique pour ces nouveaux arrivants, un déplacement avec femmes et
enfants. Ainsi, en 1950, on pouvait déjà dénombrer sur une
population de 13 481 âmes, 1088 qui n'étaient pas du lamidat,
et étaient constitués de Gbaya, de Sénégalais, de
Bamiléké et autres originaires du sud 175(*). De plus, la construction du
chemin de fer et son inauguration en 1974, faciliteront encore plus les
migrations.
La gare va faire émerger de nouvelles
habitations et un nouveau quartier (Gadamabanga). Un camp Régi est
construit près de la gare au quartier Sabongari, il est
réservé aux employés de la compagnie des chemins de fer,
avec 70 logements pouvant accueillir 300 personnes en moyenne,
c'est-à-dire 4 personnes par maison. Par ailleurs, des métiers
telle que la manutention, feront naître un exode rural continu des
campagnes de l'Adamaoua à l'instar de Meiganga, Tibati, Tignère
et Banyo. La conséquence à cette évolution sera la
construction de nouvelles habitations au quartier Madagascar.
La gare ferroviaire aura permis une sérieuse
évolution de la population. Ainsi, le 1er Recensement
Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1976
estimait la population à 38 800 âmes. Le 2e Recensement
Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1987,
à 78 000 et les projections pour l'année 2007 à
190 000176(*). Mais cette
croissance de la population n'est certainement pas due uniquement à la
gare ferroviaire et à la route bitumée. Même si nous devons
leur reconnaître une grande importance comme facteur motivant de
migrations. Il faut ajouter à cela l'érection de la ville en
chef-lieu de province et à la construction du centre universitaire en
mai 1977.
C'est en effet en mai 1977 que quatre centres
universitaires sont créés par l'État camerounais. Il
s'agit de Douala, Dschang, Buea et Ngaoundéré. Jusque-là,
la seule véritable université d'État était celle de
Yaoundé. Cependant le centre universitaire comptait à
l'époque une seule école : l'École Nationale des
Industries Agroalimentaires du Cameroun (E.N.S.I.A.A.C.). Elle fut
créée par l'arrêté n°433/CAB/PR du 4 octobre
1982 et ouvrit ses portes le 15 novembre 1982. Son site est à Dang, dans
une zone périphérique de la ville de Ngaoundéré, ce
qui a permis une extension rapide de la ville. Et en 1992 est
créée l'université de Ngaoundéré.
Notons que le centre universitaire et plus tard
l'université, draineront quantité de personnes dans la ville.
Déjà pour la construction des infrastructures devant abriter
l'institution, et ensuite par les étudiants qui s'y installent. Ainsi,
durant l'année académique 1982-1983, le centre universitaire
comptait 82 étudiants. L'année suivante, ces effectifs ont
presque triplé passant à 237. En 1991-1992, au moment de la
création de l'université, nous avons 306 étudiants, avec
un pic de 563 l'année précédente177(*).
La création de ces différentes
institutions à l'extérieur de l'ancienne cité de
Ngaoundéré, aura pour conséquence la naissance de nouveaux
corps de métier tels que les taxis et les mototaxis. Ce d'autant plus
que l'université ne fera qu'accroître la clientèle avec en
1993-1994 : 441 étudiants et dix ans plus tard 9774178(*). Il apparaît selon la
répartition des effectifs par régions en 2000-2001 que la
majorité des étudiants de l'université de
Ngaoundéré sont non originaires de l'Adamaoua, et
représentaient près de 88,80 %179(*).
Cet afflux de personnes fera naître le quartier
de Dang avec une population essentiellement estudiantine. Il représente
aussi une opportunité d'affaire pour les investisseurs dans
l'immobilier.
Ce qui précède nous permet de constater
que les migrations apportent des éléments nouveaux dans la ville
de Ngaoundéré. Il est indéniable qu'un individu est la
représentation même de son milieu et le reflet de la culture qui
l'a fait grandir et l'a socialisé. Ces nouvelles populations vont
permettre une certaine rupture avec l'hégémonie peule. Plus
encore, elles aideront aux modifications de la vie de nuit, même si cela
n'est s'est pas passé sans heurts, en témoigne la création
du quartier Baladji.
Certes Baladji n'est pas le premier quartier construit
à l'extérieur de l'ancienne cité de
Ngaoundéré. En effet, le quartier administratif avait
déjà été fondé par les administrateurs
Allemands, en marge de l'ancienne cité. La ville de
Ngaoundéré densément peuplée à
l'arrivée des Allemands, excluait l'installation des Européens en
son sein, la seule solution possible fut celle qui avait primé en
Afrique du Nord, c'est-à-dire la construction d'une nouvelle ville
européenne complètement à l'écart de la ville
ancienne180(*). Par ailleurs, les
subalternes sudistes de l'administration vont se voir attribuer quelques
logements qui feront le «camp fonctionnaires».
D'autre part, il faut noter l'installation à
Ngaoundéré des missionnaires norvégiens en mars 1925,
après un premier passage problématique de la Sudan Mission dans
la zone en 1923181(*).Ceux-ci se
verront attribuer un terrain jusque-là réservé aux
détritus en tout genre. Terrain considéré par les
autochtones comme maudit, avec le sombre espoir qu'il fera partir les nouveaux
arrivants et surtout la nouvelle religion pas vraiment la bienvenue dans une
zone sous forte influence islamique. Ainsi le futur quartier Sabongari va
naître.
Ces populations développent de nouvelles formes
d'activités qui leurs permettront de vivre. Ainsi se déploient
les débits de boisson en tout genre, des maisons de joie, des circuits
et autres gargotes où tout a un prix. La vie de nuit n'en sera que
chamboulée. L'extension du quartier Baladji fera naître tout
à côté le quartier Joli-Soir, qui n'en est que la
continuation de sur le plan comportemental et ethnique. Ainsi que le quartier
Baladji II, qui sera réservé aux résidences de quelques
nantis de la ville ; bien avant le quartier Haut Plateau
créé en 1994.
Par ailleurs, ces communautés auront un impact
considérable à maints titres. Tout d'abord sur le plan culturel,
elles véhiculeront avec elles de nouvelles pratiques religieuses ;
ou simplement faciliter l'intégration de celles-ci dans la ville. En
effet, le catholicisme par exemple, au moment de l'arrivée d'Yves
Plumey, s'est fortement appuyé sur les populations du Sud pour la
vulgarisation de son idéologie, avec des moniteurs catéchistes
comme Pierre Mëbë dont nous avons déjà parlé. Et
l'augmentation de la population des ressortissants du Sud n'arrangera pas
vraiment la menace qui pesait sur l'Islam, jusque-là religion la plus
influente dans la région. D'autre part, les Dii, les Gbaya, et les
Mboum, originaires de l'Adamaoua, n'étaient pas encore tout à
fait convertis à l'Islam. Cet état de chose laissait donc le
champ libre aux différentes religions chrétiennes que sont le
protestantisme, représenté par la mission norvégienne
luthérienne, et le catholicisme romain, avec la mission Tchad-Cameroun
des O.M.I. Ainsi, l'essentiel de leurs ouailles se comptait à
l'intérieur de ces populations du Sud et des quelques non convertis
à l'Islam de la région de l'Adamaoua.
Ajoutons à cet aspect culturel des
comportements nouveaux. En effet, les sudistes sont organisés en
sociétés dans lesquelles le chef n'a pas autant d'importance que
dans les sociétés du Nord. Ainsi, vouloir les soumettre à
une autorité aussi rigoureuse était oeuvre délicate. Dans
le camp Baïladji qui leur est attribué, ils pourront enfin laisser
éclater leur véritable nature, faite de liberté, sinon de
libertinage. Ce qui va se propager au quartier Joli-Soir. Voici ce qu'en dit un
journal local :
Il est 19 heures. Nous sommes au carrefour Jean Congo,
en plein «Joli Soir». Pour un premier samedi du mois, les nombreux
bars et buvettes affichent pleins. Et ce ne sont pas les clients qui manquent
pour combler les éventuels vides. Ce n'est plus un secret pour personne,
pour quiconque veut prendre du bon temps dans la ville de
Ngaoundéré, il n'y a pas mieux que le quartier Joli-Soir.
Populaire et populeux à la fois, Joli Soir s'est forgé au fil des
années une belle réputation de grand carrefour de la joie.182(*)
Il faut préciser tout de même que dans
cet élan de mutations, il ne s'agit pas uniquement des populations du
Sud. On y retrouve aussi celles du Grand Nord et des communautés
africaines. Elles se sont spécialisées dans la vente des boissons
locales, bili bili, arki...qui font la joie des consommateurs de tous
âges et à toutes heures.
Les communautés étrangères de la
ville de Ngaoundéré représentent un maillon important dans
la vie en général et dans celle de la nuit en particulier. Tout
d'abord, il faut dire que c'est sous l'impulsion des étrangers que la
ville s'ouvrira aux influences extérieures. En effet, avec la prise de
Ngaoundéré par les Allemands, la cité perd sa muraille
protectrice et par là même son inviolabilité. C'est aussi
cette perte du pouvoir par les autorités locales au profit des
Européens et plus tard de l'administration nationale qui motivera les
mutations structurelles de la vie de nuit. La nécessité de faire
naître une nation, concept qui se veut assimilateur de toutes les parties
sociales d'un État, obligera ainsi les Foulbé à laisser
une certaine liberté d'action aux nouveaux peuples qui arrivent.
L'impact des communautés
étrangères peut se lire de manières différentes
avec le temps. Les Tchadiens par exemple étaient assez pauvres au
début de leur migration vers le Cameroun au milieu des années
1970. Comme nous l'avons souligné plus haut, ils s'attèlent au
travail de transporteurs, de mécaniciens (réparateurs de pneus ou
ferrailleurs) ou simplement de gardiens de nuit. Les femmes permettront aussi
le développement du secteur informel avec le brassage de la bière
de mil et la vente des condiments, parfums et produits de beauté. Leur
état de pauvreté a contribué à rendre disponible
dans la ville une main d'oeuvre pour des services en tout
genre. « En général, nous dit Saïbou
Issa, les réfugiés furent employés à des
travaux agricoles et de construction ainsi qu'à des tâches
domestiques. Il s'agissait d'une main d'oeuvre abondante, laborieuse,
disponible et bon marché. »183(*) La gent féminine, pour la plupart des femmes
seules, se déploie aussi dans la restauration et la prostitution.
Cette entrée massive des populations d'un pays
en guerre implique aussi la recrudescence de nouvelles formes de banditisme,
pouvant entraîner une contamination sociale au niveau des jeunes
camerounais.
Il n'est plus rare aujourd'hui de recueillir des
témoignages d'étudiants qui disent avoir été
menacés d'une arme à feu par un Tchadien. En effet, les
différents conflits au Tchad ont permis une perméabilité
des frontières entre ce pays et le Cameroun, à tel point que les
armes à feu se répandirent dans une population qui très
souvent, à cause des horreurs de la guerre, a perdu le minimum
d'humanité qui empêcherait un individu de tuer. Il apparaît
que, selon le marchandage et la valeur de l'arme proposée, les prix
variaient de 1000 FCFA, pour un pistolet automatique à 25 000f.cfa,
pour une Kalachnikov184(*). On
remarque donc une augmentation des agressions et des meurtres dans la ville
depuis les années 80, ajouté à cela une population
camerounaise jeune, oisive et affamée qui, en mal de repère et de
modèle identitaire, qui contribue grandement à cette
insécurité. Ahanda, dans un article paru dans le quotidien
Cameroon Tribune, écrit à propos de ces vols et de ces meurtres
que : « personne n'accuse les réfugiés
d'être à l'origine de ceux-ci, mais l'oisiveté et (...) la
faim peuvent faire naître bien de vices ».185(*)
Généralement, lorsque les
réfugiés arrivaient au Cameroun, ils n'avaient strictement rien
et devaient chercher des moyens de survivance. Ainsi, que ce soit le
tchadiennes ou les centrafricaines, et les nigérianes s'en sont
mêlées, ont chacune à leur niveau contribué à
la dépravation des moeurs. Il fallait trouver un repas à
n'importe quel prix. Des jeunes filles, des veuves ou des femmes seules se
livrèrent massivement dans la prostitution faute de mieux.
Notons aussi que, de nos jours, il s'est
développé à Ngaoundéré une nouvelle forme de
bourgeoisie tchadienne, issue des retombées de la manne
pétrolière, et qui contribue à l'augmentation des prix de
l'immobilier. À Dang par exemple, pour une chambre qui au départ
coûtait 10 000 F.cfa., ils sont capables de payer 5 fois plus, et
cash même si la chambre est déjà occupée. Cette
surenchère de l'immobilier pose d'énorme problème de
logement aux étudiants camerounais qui, eux, ne peuvent suivre le
rythme.
Cependant, si nous parlons de
Ngaoundéré comme d'une ville qui vit entre tradition et
modernité, c'est qu'il demeure une tranche de la société
ancrée dans la tradition et qui n'a pas été touchée
par la modernité. En effet, il existe une distinction claire entre les
quartiers de l'ancienne cité et les nouveaux quartiers. Les premiers se
caractérisent par leurs habitations semi-modernes, c'est-à-dire
des maisons traditionnelles avec un peu de ciment pour les solidifier. On y
remarque le manque d'éclairage et l'absence se bars. Ici, les
activités cessent quasiment à la tombée de la nuit. Tout
au plus peut-on remarquer des femmes qui vont d'une maison à l'autre, ou
des hommes installés dans un salon, assis sur des tapis, la porte
ouverte, passant la soirée devant des tasses de thé. Ce qui
n'est pas le cas des nouveaux quartiers qui prennent vie en quelque sorte dans
la nuit.
En définitive, les immigrés ont
grandement contribué à la modification socioculturelle de la
ville. Avec l'ouverture par les Libanais des salles de cinéma, des
boulangeries, et des stations services. Les Tchadiens passent aussi pour de
très bons clients dans les boîtes de nuit de la ville. Mais tout
cela a des revers, criminalité, banditisme et dépravation des
moeurs. Qu'à cela ne tienne, les étrangers ne sont pas les seuls
acteurs de la vie de nuit.
IV. LES NOUVEAUX LOISIRS DE NUIT
Les nouveaux loisirs de nuit à Ngaoundéré
sont très européanisés. En effet, il s'agit aujourd'hui de
soirées passées entre amis dans un bar, de celles passées
en boîte de nuit, ou autres circuits, des soirées dansantes et
culturelles.
4. Les boîtes de nuit, les snack-bars et les
cabarets
Les boîtes de nuit se sont développées
dans la ville de Ngaoundéré dans les années 1970. La plus
ancienne semble être le Babouka au quartier Joli-Soir186(*). Depuis plusieurs autres se
sont développées. Nous pouvons citer entre autres le
Printemps (Centre Commercial, fermé depuis 2 ans), le
Tamantha (Baladji II, fermé depuis 3 ans), le Boucarou
(Hôtel Transcam), le Temple d'or (Joli-Soir), et le
Marhaba VIP night club (Centre Commercial), toutes trois
toujours fonctionnelles. Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes
penché sur le cas du Marhaba, reconnu comme la plus en vue
aujourd'hui.
Le complexe Marhaba est né en 1993 des cendres du bar
La Girafe. Ce dernier appartenait à un Européen qui l'avait
fermé 6 mois auparavant187(*). Le bar est donc repris par Sandjo, originaire de la
région de l'Ouest. Il le transformera au fur et à mesure. Le
nouveau bar est ainsi rouvert en 1993 sous le nom de Marhaba, qui veut dire
"bienvenu" en arabe selon notre informateur Kouamen-Tavou, le directeur adjoint
du complexe. Ce nom aurait été proposé au
propriétaire actuel par un de ses collègues musulmans. En 1996
sont ouverts l'auberge et la boîte de nuit. Le cabaret suivra un an plus
tard.
Il apparaît que le bar présentait l'avantage
d'être au Centre Commercial, considéré comme une
« zone neutre » sur le plan religieux188(*). Aujourd'hui, il emploie 11
personnes, toutes des femmes. L'explication en est que les femmes sont plus
disposées à mettre le client à l'aise, puisqu'ils viennent
pour se détendre. Il faut noter qu'en général, la
majorité des clients est de sexe masculin. Le bar, de première
catégorie 1ère classe, selon la classification
établie par la loi n°90/1483 du 9 novembre 1990189(*), comporte en activité
annexe une salle de jeux. La terrasse est l'endroit
préféré des clients, avec ses fauteuils et depuis deux
ans, le vidéoprojecteur qui permet aux clients une meilleure relaxation,
en regardant un match, ou des clips vidéo de musique. Tout à
côté, nous avons la boîte de nuit : le Marhaba VIP
Night Club.
Photo 3 : le Marhaba VIP Night Club,
située au Centre Commercial de
Ngaoundéré.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
La boîte de nuit du complexe Marhaba est donc ouverte
en 1996. Elle fonctionnait de mercredi à dimanche. Mais depuis quelques
années, ayant constaté le nombre peu élevé de
clients le mercredi, la direction a dû opter pour des ouvertures à
partir de jeudi. Elle ouvre dès 22h, et ferme au moment où s'en
vont les derniers clients, généralement à l'aube. Cette
partie du complexe emploie quant à elle 6 personnes (2 femmes comme
barmaids, et 4 hommes pour la sécurité). Les prix d'entrée
varient entre 1000 f.cfa et 2500 f.cfa selon le jour : le dimanche est
fixé à 1000 f.cfa, le jeudi à 1500 f.cfa, et le vendredi
et le samedi en raison de la forte affluence, les prix d'entrée sont
fixés à 2500 f.cfa. Les jours de fête sont tout aussi
particuliers, le 11 février (fête de la jeunesse), le 20 mai
(fête nationale), le 24 décembre (réveillon de Noël),
le 31 décembre (réveillon du nouvel an) ; il faut ajouter
à cela les jours des fêtes musulmanes telles que la fin de la
période de Ramadan ou la fête du mouton. Notons que de temps
à autres, des artistes musiciens sont invités, à cette
occasion, les prix sont fixés selon la popularité de l'artiste.
La "boîte de nuit" tire son nom du fait qu'elle est
généralement bâtie dans un espace réduit, qui permet
plus de contacts entre les personnes présentes s'il y a affluence. Les
lumières sont tamisées et circulaires. Ici, les distinctions
sociales se brisent facilement et laissent la place à des personnes qui
veulent uniquement s'amuser. Les jours fastes, il est très facile de
ressortir de la boîte de nuit et de découvrir qu'il fait
déjà complètement jour. En effet, la boîte de nuit
est construite comme un bunker, où aucune lumière
extérieure ne pénètre et d'où aucun son ne peut
s'échapper, puisque les décibels sont contenus dans cet espace
réduit. Le client de la BT (sigle pour désigner la boîte de
nuit dans un langage "jeune") est entraîné par la musique et
l'alcool, dont les prix sont fixés en fonction du prix
d'entrée ; si l'entrée est fixée à 1000 f.cfa,
le prix de la boisson mis à part le whisky, est aussi de 1000 f.cfa. La
moyenne d'âge des clients est de 30 ans190(*).
Les problèmes dénoncés dans le Night
Club sont ceux causés par l'alcool et les disputes à cause des
femmes. La drogue est un sujet tabou dans le milieu, on sait qu'elle circule,
mais il est préférable de ne pas la mentionner, au risque de voir
l'informateur se rétracter. Ainsi, pour le directeur adjoint du Marhaba,
le problème ne se pose pas et ne s'est jamais posé dans son club.
Cependant, il faut noter qu'à l'extérieur, les vendeurs ambulants
de médicaments, les principaux fournisseurs de drogue de la ville font
le pied de grue une bonne partie de la nuit à l'extérieur de la
boîte de nuit, à côté des mototaximen, toujours
prompts à raccompagner un client. Mais avant de continuer la
soirée au Night Club, on peut d'abord se détendre en regardant
les danseuses du cabaret mettre en valeur leurs talents de contorsionnistes.
Le cabaret Marhaba Village, rappelons-le, ouvre ses portes en
1997191(*). Il s'agit
d'un espace culturel où viennent se produire des artistes en live. Il
comporte une partie restaurant et un bar. Le strip-tease, spectacle
pendant lequel de une ou plusieurs personnes se déshabillent d'une
façon lente et suggestive, est interdit ici en raison de la situation
culturelle de la région192(*). Cependant, les danseuses, dans des tenues qui
cachent peu de chose, sont payées en fonction de la consommation
d'alcool des clients, puisque l'entrée est gratuite. Ainsi, le prix de
ces boissons est augmenté de 200 f.cfa par rapport aux prix
pratiqués dans le snack bar. Les activités du cabaret commencent
à 8h du matin. Sont fonctionnels le volet restaurant et le volet bar.
Les spectacles quant à eux commencent à 18h et s'achèvent
à 22h. Le seul autre cabaret de la ville est La Plazza, construit par la
famille Dabadji au Centre Commercial, même si celui-ci est en perte de
vitesse depuis deux ans. Il faut noter que quelques fois, l'espace du Marhaba
Village est loué par des associations féminines ou des jeunes de
la ville pour des soirées culturelles.
Photo 4: Le Snack bar restaurant La Plazza
au Centre Commerciale de Ngaoundéré
Cliché : Owona, le 21 août 2009
Les soirées culturelles sont un moment de
détente pendant lequel des artistes se produisent. Les résultats
des différents travaux des organisateurs peuvent aussi être
exposés. Ces soirées sont surtout organisées pendant la
fête de la jeunesse par les élèves des
établissements scolaires de la ville, regroupés autour de
coopératives scolaires. On peut aussi citer les soirées
culturelles organisées par les femmes de la ville pendant la
journée qui leur est consacrée le 8 mars. Elles y exposent de la
nourriture du terroir, et se livrent à des prestations de danses
traditionnelles. Mais l'espace du complexe Marhaba n'est pas le seul
utilisé pour ce type de manifestations. Les salles de fête du
Lycée Classique et Moderne de Ngaoundéré et du
Collège de Mazenod sont assez souvent sollicitées, même
pour les fêtes de mariage et autres réceptions. La boîte de
nuit du Boukarou, tout comme la boîte de nuit du Marhaba servent aussi
d'espace pour les soirées dansantes.
Les soirées dansantes sont généralement
organisées par des groupes de jeunes dynamiques qui, profitant d'un
évènement majeur telle que la fin des examens, louent une salle
propice à la fête et font danser leurs congénères
jusqu'à l'aube. On peut ainsi citer des groupes de jeunes
élèves et étudiants tels que le Parlement
9, ou le Bluetooth, qui se sont spécialisés
dans l'organisation des "Spécial Bac", "Spécial Probatoire",
"Spécial BEPC", tout cela selon le public cible. Les affiches
publicitaires sont ainsi placardées dans la ville jusqu'à Dang.
Ces soirées permettent de rompre avec les virées dans les bars et
les soirées dans les cabarets.
Les snacks bars dans la ville se sont
développés comme des champignons à partir des
années 1952 et la création du quartier Baladji. Avant cette date,
l'alcool est prohibé et vendu de manière frauduleuse dans le
Lamidat. L'expulsion des "immigrés" camerounais installés dans
l'ancienne cité permettra la libéralisation de la vente d'alcool.
Les bars vont donc se développer dans presque tous les quartiers en
dehors de l'ancienne cité de Ngaoundéré. Cet état
de chose amènera la naissance d'activités annexes autour des
bars : vente de nourriture (poisson cuit à la braise, porc,
soyas...), prostitution, et racolage des serveuses des bars, ces
dernières sont très souvent l'élément de
fidélisation de la clientèle. Les soirées dans les bars se
passent généralement en groupe. « L'alcool
consommé en solitaire perd de sa saveur », nous confie un
fidèle client du bar Mbambé au quartier Socaret. Il
préfère offrir de la bière à quelqu'un plutôt
que de lui donner de l'argent : avec l'argent il s'en irait
immédiatement, or avec la bière, il reste sur place et la
soirée est agrémentée de causeries sur les faits
d'actualité du pays, de la ville et surtout du football. Les bagarres
dans les bars sont légions, et les motifs aussi fantaisistes que
saugrenus pour qui regarde de l'extérieur. On se bat pour une
bière, une femme, un point de vue non partagé. On peut se
rappeler par exemple cette bagarre qui éclata au bar Djabama au
quartier Joli-Soir, dans la nuit du 5 avril 2008, parce que les deux boxeurs en
herbe ne parvenaient pas à s'accorder sur qui d'Eto'o Fils ou de Drogba,
était meilleur footballeur. Ces problèmes sont les mêmes
que ceux vécus dans les circuits et cabarets de vente de bili
bili.
5. Les "circuits"
Le "circuit" est une sorte de restaurant dans lequel sont
proposés aux clients, des boissons alcoolisées, mets, et surtout
des plaisirs sexuels par l'intermédiaire de filles officiant par
ailleurs comme serveuses. Parmi les circuits les plus en vue dans la ville de
Ngaoundéré, nous pouvons citer celui de Mami Frotambo au quartier
Baladji I. Tenu par deux femmes ressortissantes de l'Est, ce circuit est ouvert
depuis 2 ans et connaît un franc succès au regard de la
qualité et de la quantité de clients qu'il accueille. Ouvert
selon les heures de fonctionnement d'un débit de boisson à
consommer sur place (06h-24h), l'une des propriétaires reconnaît
que le circuit peut fermer à plus de minuit selon l'affluence.
« Nous ne pouvons quand même pas mettre les clients
dehors ! » se défend-elle193(*). Les services offerts sont
la boisson et la nourriture. Pour les propriétaires, la prostitution ne
fait pas partie de leur registre de travail. Pourtant, les serveuses
n'hésitent pas à racoler les clients.
À la question de savoir quel est le nombre
d'employées dans l'établissement, elles vous répondent
qu'elles n'ont pas d'employées. En effet, elles n'en n'ont pas dans le
sens où les serveuses ne sont pas rémunérées. Elles
sont prises en charge par les clients. Lorsque vous venez consommer chez Mami
Frotambo, vous pouvez rentrer avec une des serveuses, moyennant des sommes dont
les taux sont négociés avec ladite serveuse
(généralement à partir de 2000 f.cfa). Cette somme est
entièrement encaissée par la serveuse, elle n'a aucun compte
à rendre aux propriétaires du circuit. Il s'agit d'un
échange de bons procédés puisque chacune est gagnante dans
le deal. Les propriétaires en raison des boissons consommées, les
serveuses, muées en prostituées, en raison de la clientèle
selecte qu'elles peuvent avoir et la protection contre les intempéries
dont souffrent leurs collègues du bord de la route. Il faut ajouter que
cette méthode permet de n'avoir pas à déclarer
d'impôts, puisqu'il n'y a pas d'employés.
Photo 5 : Le circuit Mami
Frotambo au quartier Baladji I.
Cliché : Owona, le 24 août 2009.
6. Autres loisirs de nuit
Face à tous ces nouveaux types de loisirs, ils en
existent d'autres plus privés telles que les soirées pyjamas.
Généralement l'apanage des jeunes filles, il s'agit de se
retrouver entre amies chez l'une d'entre elles et de passer la plus grande
partie de la nuit dans des causeries, dont le sujet central est presque
toujours les garçons. Elles peuvent aussi se faire des tresses,
s'échanger des recettes de maquillage, écouter de la
musique...Ces soirées se passent particulièrement chez les
personnes nanties, et de plus en plus entre les jeunes filles Foulbé de
la haute société de la ville qui n'ont pas la possibilité
d'aller en boîte de nuit.
Si ce type de loisirs est le propre d'une jeunesse nantie.
Les jeunes issus de familles moins nantis se contentent de loisirs simples tels
que le babyfoot ou les jeux vidéo. Le babyfoot est
généralement installé devant un domicile privé. Au
départ, il est placé dans un bar pour distraire les clients qui
viennent consommer. Mais, après l'acquisition d'autres jeux plus
modernes tels que le billard ou le pinball (encore appelé dans
le langage courant le "Taper-Taper"), le babyfoot est mis de côté.
Celui que nous avons observé au quartier Joli-Soir est une relique d'un
bar tombé en faillite.
Photo 6 : Groupe d'enfants jouant au
babyfoot au quartier Joli-Soir
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
Quant aux jeux vidéos, il s'agit pour les jeunes,
généralement des garçons comme dans le cas des babyfoots,
de se regrouper autour de plusieurs écrans téléviseurs et
de jouer à la Playstation ou à la Nintendo. Les
jeux et les écrans sont la propriété d'une personne qui
perçoit un tribut à chaque nouveau jeu entamé par les
enfants. La somme à débourser est presque toujours de 25 f.cfa.
Dans la ville, nous avons pu en recenser deux : l'un avant le Carrefour
Mini-Mode, en venant du Centre Commercial. L'endroit tient lieu de boutique
où sont vendus des jeux vidéo en tout genre. Et l'autre au
quartier Madagascar, il s'agit d'une sorte de kiosque aménagé
pour permettre la distraction des jeunes du quartier et rapporter de l'argent
au propriétaire, un jeune débrouillard âgé de 26
ans. Ces loisirs sont assez récents. Ils datent des années 1990
pour les babyfoots et les années 2000 pour les jeux vidéo. Le
propriétaire de la salle de jeux du Carrefour Mini-Mode est un
Nigérian installé dans la ville depuis 5 ans. Il a ouvert sa
boutique il y a 3 ans déjà194(*).
À l'endroit même où la boutique des jeux
vidéos est installée, les joueurs de damier et de
"Jambo" se regroupent de temps en temps depuis 2 ans, du matin
jusqu'au soir. Certaines parties peuvent même durer jusqu'au lendemain.
Lorsque vous arrivez sur place, les "célébrités" du coin
sont ici vénérées comme des dieux. Au compte de ces
légendes vivantes, on compte un certain Caillou. Ce
ressortissant de la Région de l'Ouest, tenancier d'un restaurant de
trottoir, doit son surnom au fait qu'il est imbattable au Jambo. En
effet, les anecdotes à son sujet sont interminables. Il se raconte que,
pour les parties, il n'avait pas de concurrent. À tel point que,
lorsqu'il devait parier, il laissait son adversaire le faire à hauteur
de 1000 f.cfa et lui, plaçait 10 000 f.cfa. Mais jamais personne ne
réussissait à lui prendre son argent. Un jour, alors qu'il avait
été exclu du club, puisque n'ayant aucun concurrent, un homme
vint demander à jouer une grosse partie. Il faut préciser qu'il
venait à peine de toucher une cotisation, et ses avoirs
s'élevaient à 350 000 f.cfa. Les complices de Caillou firent
appel à lui. Naturellement, il dépouilla pendant toute la nuit le
pauvre ignorant. À l'aube, lors de la dernière partie qu'il
perdit, l'homme sortit un pistolet. Mais les spectateurs firent une
intervention musclée. Ce sont les suppliques de l'homme qui se plaignait
de ne savoir quoi dire à sa femme, qui décidèrent Caillou
à lui céder 100 000 f.cfa, avec l'interdiction formelle pour
l'homme de revenir jouer.
Quant au damier, les tableaux sont la propriété
d'un vieil homme arrivé à Ngaoundéré dans les
années 1970. Pour chaque pari, il gagne un pourcentage, lui-même
n'est pas joueur. Les clubs se sont constitués en fonction des paris. Il
y a le club de 500, de 1000 et de 5000 f.cfa. Ce qui lie ces personnes
c'est l'amour du jeu et surtout l'oisiveté. Cette activité est
pour certain le seul gagne-pain. Au nom de la devise « pas de risque
pas de plaisir », c'est l'appât du gain qui fait durer les
parties jusqu'au matin. L'argent passe d'une main à l'autre. On se dit
toujours que cette fois est la bonne, ou que l'on partira une fois l'adversaire
ruiné complètement. Et le temps passe, avec comme seule
nourriture quelques kolas, bita kola, ou des cigarettes que des
enfants, vendeurs ambulants proposent dans la rue passante jusqu'à 20h.
La plupart des nouveaux loisirs de nuit offrent un
échantillon des modifications culturelles qui se sont
opérées dans la société de Ngaoundéré
avec les différentes vagues migratoires. Il faut se rendre à
l'évidence qu'un peuple qui se déplace draine avec lui sa
culture. Ainsi, nous pouvons évoquer certaines cérémonies
traditionnelles des peuples du Sud, la présentation du fiancé
dans la belle famille se fait toujours de nuit195(*). Il s'agit d'une
cérémonie au cours de laquelle la famille du jeune homme vient
symboliquement "frapper" à la porte de la famille de la fille. Ce n'est
pas encore la dot proprement dite, mais si le fiancé en a les moyens il
peut, en venant demander officiellement la main de la fille, verser ce tribut
à sa future belle famille. Cette tradition a survécu aux
différentes migrations. Aujourd'hui, il faut néanmoins regretter
la perte de la signification de la nuit dans ce cas précis.
L'ouverture culturelle et l'européanisation progressive
de la ville laissent la place à toute sorte de comportements dans la
nuit. Le fait le plus remarquable est que, les activités qui se sont
développées doucement ont connu deux périodes fastes. En
effet, dès les années 1980, les activités du secteur
formel se sont de plus en plus mises en place, la fin des années 1990 et
le début des années 2000 ont quant à elles
été propices au secteur informel. Cette situation nous
amène à nous intéresser aux travailleurs de nuit dans la
ville de Ngaoundéré.
CHAPITRE II : LES TRAVAILLEURS DE LA NUIT
V. DISTINCTION ENTRE LE SECTEUR FORMEL ET LE
SECTEUR INFORMEL, ET SITUATION DANS LA VILLE
NGAOUNDÉRÉ
Le secteur formel peut être considéré
comme le secteur de l'économie sous le contrôle des structures
économiques de l'État. On y retrouve des entreprises publiques,
privées ou parapubliques. Mais, quelques soit le type d'entreprise, elle
est recensée au niveau de la comptabilité Nationale. En ce qui
concerne le privé, les opérateurs payent des taxes à
l'État pour pouvoir exercer librement. A côté, disons qu'il
existe plusieurs définitions du concept de secteur informel.
Créée par le Bureau International du Travail, cette expression
peut être considérée comme l'ensemble des activités
économiques qui se réalisent en marge de législation
pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la
Comptabilité Nationale. Ou comme l'ensemble des activités qui
échappent a la politique économique et sociale, et donc à
toute régulation de l'État. Dans tous les cas, les deux
définitions se recoupent puisqu'elles soulignent l'idée de
fraude.
Paradoxalement, on aurait pu penser que ce secteur
d'activité, censé se soustraire au contrôle de
l'État, pourrait se pratiquer dans la clandestinité. Et pourtant,
il fonctionne allègrement au vu et au su de tous. Des trois secteurs
économiques connus (primaire, secondaire, tertiaire), il est difficile
de classer l'informel dans un secteur particulier. En effet, toutes les
activités des trois secteurs y sont représentées. On y
retrouve des banques traditionnelles à travers les tontines, des
ateliers de réparation, et même de la médecine de
proximité. Le développement du chômage urbain,
conséquence logique de la crise économique, s'est
accompagné de l'émergence et de l'essor du secteur informel.
C'est une question de survie de ces populations refusées par le secteur
formel. Le secteur informel joue un rôle d'adoption des migrants et un
rôle d'accueil des agents économiques exclus du secteur officiel.
Plusieurs raisons pourraient expliquer l'ascension de ce
secteur. Tout d'abord, la fin du troc qui y a poussé la population
rurale faute d'être captée par la fonction publique. Ensuite la
baisse sans cesse croissante des salaires des travailleurs exerçant dans
le secteur formel. Ce qui a pour effet d'inciter les ménages à
rechercher des revenus complémentaires dans le secteur informel pour
joindre les deux bouts du mois. L'adoption et la mise en oeuvre des politiques
d'ajustement structurel avec leurs effets pervers (réduction des
salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des
entreprises d'État...) ont aussi contribué à la
dévalorisation du secteur public et donc au gonflement du nombre
d'agents opérant dans le secteur informel. Bref, il y a un
dédoublement du secteur formel en secteur informel ou chaque
activité dite "en règle" a une réplique ; les
restaurants modernes dans le formel, les points de vente des poissons à
la braise dans l'informel, pour ne citer que ce cas de figure. Tout se passe
comme si l'économie des pays d'Afrique en général et le
Cameroun en particulier, affichent deux faces. L'informel et le formel sont
donc intimement liés. On peut penser que c'est l'incapacité de
l'État à répondre aux besoins fondamentaux de la
population dans les domaines de l'emploi, de la santé, du logement et de
l'éducation qui est à l'origine de la montée en puissance
du secteur informel.
Certains critères caractérisent le secteur
informel :
1. la facilité d'accès aux
activités ;
2. l'utilisation de ressources locales ;
3. la propriété familiale des entreprises ;
4. l'échelle restreinte des opérations ;
5. l'utilisation de techniques simples et le nombre
réduit de travailleurs ;
6. des qualifications qui s'acquièrent en dehors du
système scolaire officiel ;
7. des marchés échappant à tout
règlement et ouvert à la concurrence.196(*)
Dans la ville de
Ngaoundéré, le secteur informel obéit à ces
différents critères. Il n'a cessé d'évoluer depuis
1952, d'où la nécessité de s'intéresser à la
situation économique de la ville de Ngaoundéré par rapport
au pays tout entier, et surtout par rapport à sa population.
Niveau de vie des populations de l'Adamaoua (la
région est prise en compte en l'absence de données
précises sur la ville de Ngaoundéré)
|
Pourcentages
|
Sources
|
Observations
|
Taux de pauvreté (% de la population vivant en dessous du
seuil de pauvreté) dans la province/région de l'Adamaoua
- en 2001
- en 2007
|
48,4
53,0
|
Enquêtes camerounaises auprès des ménages
(E.CA.M. II de 2001 et E.CA.M. III de 2007)
|
NB : Au niveau national, taux de pauvreté d'environ
40% en 2001 et en 2007.
|
Taux de chômage élargi des personnes
âgées de 10 ans et + en 2005 dans la province /région
de l'Adamaoua
|
3,6%
|
E.E.S.I. 2005 (Enquête sur l'emploi et le secteur
informel)
|
Il s'agit du pourcentage de personnes âgées de 10
ans et plus, qui n'ont pas travaillé au cours de la semaine de
référence, qui ont cherché ou non du travail, et se
déclarent disponibles pour travailler
|
% des actifs occupés en 2005 exerçant
-dans le secteur informel
-dans le secteur formel
- Total
|
92,5%
7,5%
100%
|
E.E.S.I. 2005 (Enquête sur l'emploi et le secteur
informel)
|
Est classée ici dans le secteur informel toute
unité de production de biens et services, qui n'a pas de numéro
de contribuable et/ou ne tenant pas de comptabilité formelle
NB/ 90,4% des actifs occupés au niveau national y
exercent
|
Tableau I : Tableau
représentatif du niveau de vie et du taux des actifs dans la ville de
Ngaoundéré.
(Source : Joseph Tedou, I.N.S.)
La situation du travail à Ngaoundéré est
à l'image de celle du pays tout entier. En effet, on peut
aisément observer dans cette ville les conséquences des
problèmes économiques qu'a connus le pays depuis plus d'une
vingtaine d'années. Il faut préciser déjà que le
Cameroun est parmi les pays d'Afrique subsaharienne qui ont un taux
élevé d'emplois en secteur informel, et cette forte
"informalisation" de l'économie camerounaise va de pair avec un taux
moyen de scolarité des actifs, élevé par rapport aux
autres pays de la région. Il existe donc un paradoxe camerounais qui
écarte de prime abord toute interaction directe entre types d'emploi
occupés et niveaux de formation197(*).
Rappelons que le Cameroun a connu une relative
prospérité jusqu'en 1984, soutenue par la hausse des cours des
matières premières. Il a dû faire face, depuis la fin des
années 1980, à une période de forte récession, avec
des taux de croissance oscillant entre - 7,82 % et - 1,82 % entre 1987 et
1994198(*). Depuis 1994,
le PIB (Produit Intérieur Brut) camerounais connaît
néanmoins une reprise soutenue (de l'ordre en moyenne de 46 % par an),
ce qui fait du Cameroun le pays moteur de la croissance de la CEMAC
(Communauté économique et monétaire de l'Afrique
centrale), avec une contribution oscillant autour de 45 % du PIB
sous-régional. Ce dynamisme est notamment dû aux abondantes
ressources minières, agricoles et forestières dont
bénéficie le pays. Ainsi, la croissance du PIB réel
s'établissait à 4,2 % en 2002 pour atteindre 4,5 % en
2003199(*). La
production pétrolière contribue également largement au PIB
national. Selon le FMI (Fonds Monétaire International), celle-ci
s'élevait à 90 000 barils par jour en 2004 et contribuerait
à hauteur de 10 % du PIB et de 40 % des exportations200(*).
Dès lors, considéré sous l'angle de
l'indicateur du développement humain, le Cameroun a des défis
importants à relever. Inscrit au 148ème rang sur 177 pays au
classement de l'I.D.H. en 2003, le pays connaît une pauvreté qui
touche environ 17,1 % de sa population. L'analyse de l'I.D.H. au cours des
dernières années, laisse entrevoir une évolution en termes
de développement en dent de scie, l'I.D.H. étant passé de
0,514 en 1990 à 0,494 en 1995 pour s'établir à 0,497 en
2003201(*).
Ainsi confronté à une crise économique
due à la chute des prix des matières premières et de sa
production de pétrole au début des années 1990, le
Cameroun s'est tourné vers les bailleurs de fonds internationaux, qui
lui ont imposé des Programmes d'Ajustement Structurel (P.A.S.). Ces
politiques, en visant une réduction importante des dépenses
budgétaires publiques, ont entraîné l'arrêt
progressif des projets d'investissement en cours, une forte rationalisation du
personnel de la fonction publique et ont impulsé un mouvement de
privatisation. Elles ont profondément affecté l'emploi,
forçant le pays à passer d'une organisation où
l'État était le principal pourvoyeur d'emplois, à une
organisation où le secteur privé devait en assurer la
relève. Selon un rapport du département de la Stratégie
sur l'emploi de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) à
Genève, les 14 coupes réalisées dans les emplois de la
fonction publique se seraient traduites par le licenciement de 60 000
fonctionnaires entre 1989 et 1997 et une chute drastique du taux de
salarisation, qui est passé de 63,9 % à 22,1 % entre 1983 et 1993
dans le secteur de l'industrie et de 20,6 % à 12,6 % dans le secteur du
commerce202(*).
Selon le Rapport de prévisions macro-économiques
des pays de la zone franc (Rapport Jumbo)203(*) , un certain ralentissement économique serait
apparu à partir de 2004 et se serait accentué en 2005, le taux de
croissance passant de 4,3 % en 2003 à 3,8 % en 2004 pour
s'établir à 2,6 % en 2005, soit le taux le plus bas
observé depuis 1995. Cet essoufflement serait notamment lié au
ralentissement de la consommation privée, à l'augmentation des
prix (notamment de l'énergie et de certains biens de consommation) et
des taxes, et à la baisse de la consommation publique, qui auraient
conduit à une érosion du pouvoir d'achat.
La situation économique du Cameroun a un impact
considérable sur la vie de nuit. En effet, elle va développer le
sous-emploi visible. Il concerne les personnes travaillant de façon
involontaire moins de 35 heures par semaine. Il toucherait 12,1 % des actifs
occupés, et ce majoritairement en zone urbaine. Par contre le
sous-emploi invisible, qui désigne « les travailleurs dont la
rémunération est inférieure au minimum horaire garanti
» (23 500 f.cfa par mois pour 40 heures de travail), atteint
69,3 % des actifs occupés, dont 78,6 % de ruraux et 45,7 %
d'urbains204(*).
Globalement, le sous-emploi affecte 75,8 % des actifs occupés, dont 16,7
% des actifs employés dans le secteur public et 23,7 % des actifs
occupés du secteur privé formel. Il est par ailleurs moins
prononcé chez les scolarisés que chez les non-scolarisés
et est fortement représenté parmi les actifs du secteur informel
(70,6 % des actifs du secteur informel non agricole et 86,8 % des actifs du
secteur informel agricole sont concernés par le
phénomène). L'ampleur du sous-emploi pousse les Camerounais
à mettre en oeuvre des stratégies d'accroissement de revenus. On
remarque ainsi la prédominance du taux de pluriactivité, de
l'ordre de 37 %.
Il faut déplorer le fait que le secteur privé
soit trop peu développé pour prendre en charge l'afflux de
main-d'oeuvre arrivant sur le marché du travail. On assiste alors
à la croissance du secteur informel et à une plus grande
précarisation de l'emploi. La structure du marché du travail
camerounais montre clairement que le secteur primaire reste de loin celui qui
occupe le plus de Camerounais (55,7 %), devant celui des services (31,2 %) et
de l'industrie (14,1 %)205(*). La dynamique d'évolution de ce marché
permet de constater une décroissance constante, depuis le début
des années 1980, des emplois en secteur public et une urbanisation des
emplois. On constate par ailleurs une recomposition progressive de
l'activité en secteur agricole puisque, jusqu'en 2003, les emplois
étaient essentiellement créés dans le secteur informel
agricole, date à partir de laquelle le secteur informel non agricole a
pris le relais. Cette évolution est majoritairement imputable à
l'instabilité croissante des revenus liée à la
dégradation des cours mondiaux des matières
premières206(*).
L'arrêt des recrutements dans la fonction publique, la
crise économique, les licenciements, la dévaluation du Franc CFA,
les baisses drastiques des salaires ont eu pour conséquences majeures
une rupture entre le projet professionnel et l'insertion
socioprofessionnelle. Très peu de Camerounais choisissent leur
emploi. Ils s'y retrouvent et s'y adaptent. La recherche du "matricule" de la
fonction publique est devenue la règle depuis la reprise des concours en
1998. La situation de multi-emploi s'exprime à travers les
expériences de certains fonctionnaires, enseignants en semaine par
exemple et gérant d'échoppe le weekend. Les jeunes quant à
eux se résignent face à la difficulté de réussir
ces concours. La rupture dont nous faisons ici état se lit à
travers les choix que les étudiants font des filières à
l'université, et les emplois qu'ils occupent par la suite. Il est de
plus en plus courant de voir des licenciés en Droit se reverser dans
l'enseignement de l'Histoire par exemple, comme vacataires dans les
établissements secondaires de la ville. La nuit devient un espace
clé dans la mesure où la journée de travail change
littéralement de sens. La nuit devient avec la conjoncture en vigueur
dans le pays un simple prolongement de cette journée. La prostitution
prend une autre ampleur, plus accrue, plus présente dans les villes en
général, plus violente par les méthodes que ces
commerçantes d'un autre genre utilisent, plus ouverte parce que de plus
en plus considérée comme normale. Des témoignages dans les
bars du Centre Commercial font état d'hommes qui finissent par
prostituer leurs femmes faute de mieux. Parfois, c'est en échangeant
quelques mots avec un mototaximan que l'on s'aperçoit qu'il n'est
certainement pas un illettré.
La situation économique du pays introduit de nouvelle
forme de migrations. Les populations se déplacent de plus en plus dans
les villes de moindres importances pour y trouver de meilleures conditions de
vie. En effet, ces villes représentent l'avantage d'être encore
des terrains d'expérimentation de certains métiers. En 2002, au
moment de l'ouverture du premier cybercafé dans la ville de
Ngaoundéré, à Yaoundé par exemple, il y en avait
déjà une pléthore. Investir dans ce secteur
d'activité vous garantissait le monopole. Les villes
éloignées des deux grandes métropoles deviennent donc des
lieux prisés par le fait que des métiers qui à
Yaoundé et à Douala par exemple ne rapportent plus
véritablement, nourrissent assez bien leur homme ici. L'activité
de taxiphone en est un autre exemple. Pendant que dans ces grandes
métropoles le coût de la communication est de 75 f.cfa en 2008, il
est de 100 voire de 125 f.cfa par endroit à Ngaoundéré, et
pourtant le service demeure le même, les opérateurs les
mêmes.
C'est donc cet état de chose qui augmente aussi l'exode
rural, puisque les populations rurales ne parviennent plus à vivre de
leur travail. Dans la ville de Ngaoundéré, il est
intéressant de constater que la plupart des actifs dans le secteur
informel dans la nuit sont originaires du Grand-Sud. Que ce soit dans la vente
des beignets, du poisson à la braise, ou des fruits. Les ressortissants
du Grand-Nord se sont spécialisés dans la vente des arachides
grillées, des soyas, dans le colportage des marchandises
(médicaments, chaussures en tout genre...). Le secteur formel quant
à lui emploie très peu de personnes dans la santé, les
télécommunications (les cybercafés et cabines
téléphoniques), l'agroalimentaire (bars, restaurants et
boulangeries), l'enseignement (cours du soir) et l'hôtellerie.
Malgré tout, il est à noter que, dans le secteur formel, se sont
surtout les entreprises privées qui emploient de nuit. Dans le public,
on retrouve juste l'hôpital régional, la police et la
gendarmerie.
II- LES ACTIVITÉS DE LA NUIT RELEVANT DU
SECTEUR FORMEL
Comme nous l'avons montré dans la partie
précédente, la vie en général dans la ville de
Ngaoundéré, et celle de la nuit en particulier, a connu de
grandes mutations dont la principale cause est la situation économique
que connaît le Cameroun depuis les années 1980. A cela, il faut
ajouter les conditions de sécurité déplorables dans les
pays voisins que sont le Tchad et la République Centrafricaine, dont
l'histoire récente est marquée par des guerres civiles. Tout cela
a pour effet de permettre le développement de deux secteurs
d'activités, dont la limite de démarcation n'est pas souvent
très nette, tant ils se confondent. Il s'agit donc dans notre travail,
de cibler quelques uns des secteurs d'activités clés, tant dans
le formel que dans l'informel.
1. Le secteur de la santé
Le secteur de la santé regroupe les hôpitaux, les
cliniques et les pharmacies. Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes
penché sur le cas de l'hôpital protestant de
Ngaoundéré principalement207(*).
C'est en 1931 que le couple Endressen arrive à
Ngaoundéré en provenance de Madagascar où il était
en mission depuis 1922. M. Endressen était pasteur et sa femme
infirmière. Cette dernière a tout de suite commencé une
oeuvre médicale à Ngaoundéré. Cette oeuvre
médicale consistait à rendre visite aux malades à domicile
et à les traiter. Compte tenu du nombre impressionnant des malades qui
affluaient vers elle, elle a eu à demander à la Mission de lui
construire une salle où elle pourrait hospitaliser ceux qui
nécessitaient une mise en observation. Une case en paille de deux
chambres lui fut construite. L'une des salles servait de salle
d'hospitalisation pour hommes et la deuxième pour femmes. Elle a
également commencé un programme d'éducation sanitaire dans
les quartiers. Elle enseignait notamment l'hygiène, la prévention
de certaines maladies courantes comme le paludisme, la tuberculose, les vers
intestinaux et les maladies sexuellement transmissibles (MST). Malheureusement,
elle tomba malade en 1935 et fut évacuée d'urgence en
Norvège. Pendant ce temps le dispensaire resta fermé. Elle revint
3 ans plus tard, c'est-à-dire en 1938 et reprit ses activités au
dispensaire.
En 1947, la N.M.S. (Société des Missions
Norvégiennes) décida d'envoyer un médecin pour renforcer
le travail de Mme Endressen. Le Dr Bernt Sigurd Bjaanes est donc arrivé
au Cameroun avec sa femme Helene Ofstad au mois de février 1947. Un an
plus tard, et précisément le 1er juin 1948, M. John Fosse fut
envoyé. Il était infirmier et diacre. Il faut rappeler que la
S.M. (Sudan Mission) avait déjà émis en 1945 l'idée
de collaborer avec la N.M.S. et la Mission Fraternelle Luthérienne
(M.F.L.) au Nord du Cameroun pour la création d'un hôpital commun,
parce qu'elle avait reçu suffisamment d'argent pour la construction d'un
hôpital. Celui-ci devrait être bénéfique non
seulement pour la population autochtone mais aussi pour la prise en charge des
missionnaires des trois missions (N.M.S., S.M., M.F.L.). Seulement, la M.F.L.
trouva que le choix de la ville de Ngaoundéré ne pouvait pas leur
être bénéfique dans la mesure où il se situait loin
de leur champ d'action. Toutefois, elle participa avec une somme de 2000
dollars US sans être impliqué dans le projet. Cependant, la N.M.S.
qui traversait une période de turbulence financière accepta
plutôt l'idée que l'hôpital soit créé à
Meiganga. Mais seulement à ce moment-là, le gouvernement avait
entrepris la construction d'un hôpital à Meiganga et n'entendait
pas voir ériger un autre hôpital dans la même ville. Le
projet échoua. Un an plus tard, c'est-à-dire en 1946, c'est au
tour de la N.M.S. de revenir sur le sujet. Le Surintendant norvégien, le
Rév. Endressen proposa de nouveau Meiganga, car il était
convaincu que l'administration coloniale s'opposerait à la
création d'un hôpital à Ngaoundéré en raison
des relations peu sympathiques qu'elle avait avec la Mission.
Le Surintendant américain, le Pasteur Andersen quant
à lui souhaitait que cet hôpital soit à
Ngaoundéré. Pour mettre fin à leur discussion, ils
étaient allés rendre visite à l'Administrateur colonial
qui était, contre toute attente favorable à la création
d'un hôpital à Ngaoundéré. La direction Centrale de
la N.M.S. fut très ravie de cette décision et entreprit
aussitôt le recrutement du personnel. Seulement, les missionnaires
américains qui étaient bloqués aux États-Unis
pendant la guerre et qui n'avaient pas participé aux discussions se sont
opposés de façon énergique à l'idée d'avoir
un hôpital à Ngaoundéré au lieu de Meiganga. Il
fallait encore laisser tomber cette décision à la grande
indignation de la N.M.S. qui avait décidé de s'engager seule
malgré ses difficultés financières.
En 1948 le dispensaire de Ngaoundéré fut
effectivement lancé, avec la présentation aux autorités
coloniales du plan du dispensaire. Jusque là le "dispensaire de Mme
Endressen" n'était pas encore reconnu officiellement par les
autorités. Ce plan fut présenté par le Surintendant
norvégien le Pasteur Endressen. De plus, l'équipe sanitaire
était bien renforcée avec l'arrivée du Dr Bjaanes,
médecin généraliste et de M. John Fosse, infirmier et
diacre. Trois camerounais se sont ajoutés à cette équipe.
Il s'agit de MM. Okala de tribu Béti venant du Sud du Cameroun,
Mbardouka et Hamaselbé qui étaient tous deux Dii, originaires de
l'Adamaoua. Malheureusement Mbardouka va mourir un an plus tard et sera
remplacé par M. Moussa Martin. Ces trois camerounais feront partie de la
première promotion des élèves infirmiers de 1954.
Le terrain sur lequel l'hôpital de
Ngaoundéré a été construit a été
attribué à la Mission Norvégienne par
l'arrêté n°353 du 24 juin 1949. Les travaux ont
été dirigés par M. Ove Aasen. Sur la demande faite au
Gouverneur de la France d'Outre-mer, Haut Commissaire de la République
du Cameroun résidant à Yaoundé le 4 septembre 1952 et
conformément au plan qui lui a été présenté
par M. Endressen, il était question de construire : une maison
d'habitation et dépendances, un dispensaire (bâtiment central),
quatre cases d'hospitalisations, une case de stérilisation, trois cases
pour le personnel Noir et l'installation de l'eau et des sanitaires.
En 1956 la Fondation Young208(*) avait donné au total une somme de 48 800
dollars qui a permis de construire un pavillon chirurgical, une clinique
dentaire, la résidence du dentiste, la maison de M. Aasen, l'annexe de
l'hôpital, deux maisons pour infirmiers, une cuisine pour le pavillon
chirurgical, une salle pour le groupe électrogène, dix chambres
d'hospitalisation et un bureau. Le tout pour une valeur de 41 600 dollars.
Aujourd'hui, le nombre des services de l'hôpital est de 24. Ils
travaillent tous en journée. Mais, dans la nuit, il y en a qui ne sont
pas du tout fonctionnels ; d'autres qui utilisent des équipes
d'astreinte, c'est-à-dire un personnel de garde réduit auquel on
peut faire appel uniquement en cas de nécessité ; enfin ceux
qui sont fonctionnels 24h/24. La répartition est donc la
suivante 209(*):
Ø Les services fonctionnels uniquement en
journée :
- Service de kinésithérapie
- Service de l'Aumônerie Hospitalière
- Service Social
- Unité de Prise en charge des Personnes Vivant avec le
VIH/SIDA (U.P.E.C.)
- Prévention de la Transmission Mère-Enfant
(P.T.M.E.)
- Programme de lutte contre la tuberculose
- Programme Élargi de Vaccination
- Service de Statistiques
- Service d'Entretien
Ø Les services fonctionnels avec une équipe
d'astreinte dans la nuit :
- Service d'Imagerie Médicale (radiographie,
échographie, mammographie, endoscopie)
- Service de Laboratoire
- Service du Bloc Opératoire
- Service de Maintenance Biomédicale
- Santé Maternelle et Infantile
Ø Les services fonctionnels de jour comme de
nuit :
- Service de chirurgie
- Dispensaire
- Service de médecine
- Service de Maternité
- Service Néonatalogie
- Service de Pédiatrie
- Service de Réanimation
- Service des Brûlés
- Service des Urgences
- Service de la Pharmacie et Caisse
Cette répartition nous permet de faire la distinction
entre "l'hôpital de jour" et "l'hôpital de nuit". En effet, le
premier implique le fonctionnement de tous les services existant dans un
hôpital (1, 2 et 3), et le second implique les services d'astreinte (2)
et ceux de nuit (3). Les services opérationnels uniquement en
journée le sont de lundi à vendredi, de 07h30 à 15h30.
C'est aussi le cas avec les services d'astreinte. Mais, les services
fonctionnels de jour comme de nuit organisent leur personnel selon des tranches
de 8h (de 7h30 à 13h30 ; de 13h30 à 19h30 ; de 19h30
à 7h30). Ainsi, supposons un employé A : il prend son
service le samedi à 7h30, il arrête le même jour à
13h30. Le lendemain dimanche, il est de garde de 19h30 à 7h30. Le lundi,
il a une journée de repos et revient travailler le mardi de 13h30
à 19h30. Le mercredi, il travaille de 7h30 à 13h30 ; et il
est donc logique qu'il soit de garde de nuit le vendredi. Cette
répartition se fait selon un ordre bien précis. En effet, en
dehors des équipes de médecins qui se relayent, les infirmiers
sont organisés selon un organigramme qui place à la tête de
l'équipe, le plus gradé des infirmiers et un aide soignant pour
le seconder.
Cette répartition des tâches permet au personnel
de ne pas se sentir saturé par le travail. Les cliniques quant à
elle travaille avec des équipes de garde dans le cas où des
malades sont hospitalisés. Leur rôle est de veiller que les
malades n'ont pas de complications dans la nuit. Le cas échéant,
le médecin peut être appelé d'urgence. Les médecins
des cliniques ne travaillent véritablement que sur des urgences dans la
nuit.
Les cas de maladies auxquels les travailleurs de nuit des
hôpitaux font face sont très souvent :
- Les accidents de la circulation (motos surtout et quelques
fois des voitures)
- Les accouchements
- Les urgences chirurgicales (hernie, appendicite, grossesse
extra-utérine, césarienne)
Les pharmacies des hôpitaux (Régional et
Protestant) fonctionnent toutes 24h/24. Mais, les autres pharmacies de la ville
se répartissent les gardes selon un calendrier bien établi.
Pendant ses journées de garde, la pharmacie est opérationnelle
24h/24. La garde commence le samedi et s'achève le vendredi suivant. Les
pharmacies de la ville de Ngaoundéré sont : Adama, Le Sare,
Grand-Marché, Oxygène, La Vina, Espérance, Aoudi. Cette
dernière est la plus récente et n'est pas présente dans la
répartition des gardes de 2008. Mais, lorsque la pharmacie n'est pas de
garde, elle ferme à 19h, et fonctionne du lundi au vendredi.
Photo 7 : Calendrier 2008 de la
répartition des gardes des différentes pharmacies de la ville de
Ngaoundéré.
Prise de vue : Owona Nicolas.
L'importance du secteur de la santé est aujourd'hui
comprise pas les populations. Il faut dire que cela n'était pas acquis
au moment de la création des hôpitaux. Tout d'abord,
l'hôpital protestant était conçu comme le reflet de la
religion chrétienne. En effet, lorsque le pasteur Andresen demande au
Lamido de lui trouver où il peut s'installer, on lui montre la brousse
infestée par des hyènes. Cet endroit- là, était une
forêt, il n'y avait personne.
L'intention voilée à travers cette « offre
insolite », était, semble t-il, de décourager le nouvel
arrivant, en le poussant à partir. Car ne pouvant supporter ces
compagnons d'un autre genre. De cet endroit infesté de bêtes
sauvages et dangereuses en son temps, les missionnaires vont s'investir pour en
tirer un meilleur parti. La stratégie adoptée était la
suivante : parmi les missionnaires américains ou norvégiens
qui venaient, il y avait des enseignants, des docteurs etc. Chacun d'entre-deux
créait des structures dans son domaine. Ainsi, vont sortir de terre,
tour à tour, un dispensaire, la première église en
matériau définitif, un collège pour l'éducation des
relais de l'évangélisation. Le temps aidant, les collaborateurs
indigènes des missionnaires vont s'établir tout autour du camp de
la mission protestante.210(*)
Aujourd'hui, cette idée de la médecine moderne
est révolue, si ce n'est entièrement, en grande partie du reste.
Ainsi, les hôpitaux ne désemplissent presque pas. Malgré
tout, il faut regretter les agressions et les coups de vol dont la nuit est
souvent le moment de prédilection.
2. Le secteur agroalimentaire
Dans le secteur agroalimentaire, nous retrouvons l'ensemble
des activités relatives à l'élaboration, la transformation
et le conditionnement des produits d'origine principalement agricole,
destinés à la consommation humaine et animale. La vie de nuit
dans ce secteur concerne surtout les restaurants, les bars et les boulangeries
pour ce qui est du secteur informel.
Les restaurants sont des établissements publics
où l'on sert des repas moyennant paiement. Dans la ville de
Ngaoundéré, il en existe surtout de manière informelle.
Ceux qui parviennent à vivre de manière formelle sont peu et
vivent une véritable précarité économique. Pour Mme
Moussa Mbélé, propriétaire du restaurant Coffee
Shop, cette précarité est due au milieu et à la
suspicion des populations et à un pouvoir d'achat très
limité. Il faut donc compter sur d'éventuels touristes. Cette
situation est si délicate que la propriétaire avoue être
« souvent surprise par les périodes fastes. » Il
faut cependant noter une évolution dans les moeurs de la jeunesse qui
s'intéresse de plus en plus au restaurant. 211(*)
En ce qui concerne le restaurant Coffee Shop, il est
créé en 1993. Sa propriétaire, Gbaya de l'Adamaoua, en a
l'idée puisque technicienne en hôtellerie. En fait, le nom
véritable du restaurant est Le Meilleur. L'expression
Coffee Shop avait pour but de signifier un type de restauration,
c'est-à-dire que l'établissement est un café. Le
restaurant est ouvert tous les jours de la semaine. Mais, de lundi à
vendredi, il est ouvert de 7h30 à 16h et de 19h à 22h. Le samedi
et le dimanche, il ouvre de 12h à 16h et de 19h à 22h30.
En plus des problèmes culturels déjà
spécifiés plus haut, Mme Moussa note qu'au début, elle a
éprouvé des difficultés liés au financement du
projet, l'établissement des papiers administratifs, à l'absence
d'informations dans le domaine fiscal. Pour cela, elle s'est rapprochée
de la délégation régionale du tourisme qui délivre
les autorisations d'exploitation des restaurants et de l'administration
fiscale212(*). Mais en
ce qui concerne la nuit, il est à noter qu'elle n'a jamais eu de
véritable problème (agression, vols de la part de personnes
venues de l'extérieur...). Le restaurant est situé dans une zone
assez fréquentée par la population, de plus, depuis quelques
années, les banques (SGBC et BICEC) s'y sont installées.
Celles-ci sont surveillées par des policiers armés à toute
heure. Ce qui garantit la sécurité des lieux.
Depuis 1993, année à laquelle Mme Moussa a
ouvert son restaurant, d'autres ont ouvert leurs portes dans la ville : le
Feu de Bois, E.H.T. CEMAC (École d'Hôtellerie et de
Tourisme de la Communauté Économique et Monétaire de
l'Afrique Centrale), Épi d'Or. Ils se sont ajoutés au
restaurant La Plazza qui fait aussi dans les activités de snack
bar et le cabaret. Plusieurs autres snacks bars offrent les services de
restauration à l'instar du Complexe Marhaba. Cela permet de maintenir le
client plus longtemps en lui permettant de consommer de l'alcool tout en
mangeant.
Le bar est un débit de boissons, « un lieu ou
local aménagé pour la vente, aux fins de consommation ou
d'enlèvement, de boissons hygiéniques, de vins ou de boissons
alcooliques.213(*)»
Au regard de cette définition, il apparaît donc comme une
entreprise agroalimentaire. Les bars s'étaient déjà
développés dans la ville de Ngaoundéré au Centre
Commercial à l'époque de la colonisation française, sans
grande précision de date exactement. Ils étaient la
propriété des Libanais et des commerçants
Européens214(*).
C'est vers 1958 que le premier bar tenu par un Camerounais
(Bamiléké) est ouvert au quartier Baïladji. Depuis cette
date, il n'a cessé d'en apparaître dans la ville, la plupart dans
les années 1990. Aujourd'hui, le sous-préfet de l'arrondissement
de Ngaoundéré I se dit même incapable de déterminer
le nombre de bars dans la ville de Ngaoundéré. Il ne faut pas
négliger le fait qu'ils poussent de manière
incontrôlée et dans la plupart du temps sans
autorisation215(*).
Nos différentes enquêtes sur le terrain au
quartier Baladji I et Joli-Soir, dans lesquelles nous retrouvons le plus grand
nombre de bars, montre que la majorité des propriétaires de ces
établissements se sont installés à
Ngaoundéré dans les années 1990. Les raisons de leur
migration dans la ville le plus souvent évoquées sont entre
autres, les compressions dans la fonction publique camerounaise,
consécutives aux Plans d'Ajustement Structurels imposés au pays
par le FMI (Fonds Monétaire International) ; la
précarité des emplois dans le secteur privé ; et les
difficultés liées au coût de la vie qui ont fait suite
à la dévaluation du Franc CFA. Ainsi, ces anciens fonctionnaires
et autres travailleurs dans des entreprises privées, se sont
retrouvés à Ngaoundéré pour quitter une vie de plus
en plus difficile dans les grandes capitales que sont Yaoundé et Douala.
Les bars sont donc ouverts grâce aux économies personnelles,
puisque les banques avaient du mal à prêter de l'argent à
des personnes sans emplois. Ou encore grâce aux primes de licenciement
dont bénéficient les anciens employés d'entreprises. Nous
pouvons enfin ajouter les initiatives personnelles de personnes toujours en
fonction dans la ville, et qui ouvrent des bars dans le souci d'augmenter les
gains mensuels. Nous pouvons à titre d'exemple citer le
collectif de travailleurs qui ouvre en 1998 le bar New Satellite au quartier
ONAREF216(*). Ces
hommes, tous originaires du Nord-Ouest, sont enseignant, fonctionnaire ou tout
simplement commerçant.
Dans les bars, ont retrouve des travailleurs dont le portrait
est assez commun d'un bar à l'autre. Ce sont très souvent des
femmes dont le niveau moyen d'éducation scolaire ne dépasse que
rarement le primaire. Elles sont choisies selon le critère de
disponibilité, de l'âge et de la situation matrimoniale.
La disponibilité s'observe sous deux plans : le
temps et la personne. Le temps intervient ici dans la mesure où la
personne choisie doit pouvoir tenir du matin au soir, dans des conditions
salariales qui varient généralement entre 15 000 f.cfa et
25 000 f.cfa pour les établissements à forte affluence. Le
travail de la serveuse commence à 7h du matin et s'achève
à la fermeture vers 22h ou 1h du matin selon les jours de la semaine et
les périodes du mois. Les week-ends et les fins de mois apparaissent
comme les moments d'intenses activités. Dans certains quartiers tels que
Joli-Soir, les bars fonctionnent parfois 24h/24. La disponibilité de la
personne s'entend comme la possibilité de supporter tous les
excès des clients (attouchements, traitements dégradants...). Les
serveuses sont très souvent considérées comme des
prostituées par les clients. Cette considération s'explique par
le fait qu'elles sont généralement célibataires ou femmes
libres (veuves ou divorcées). De plus, les clients ne se
préoccupent pas véritablement de savoir si elles le sont ou non.
Par ailleurs, les serveuses elles-mêmes se muent souvent en racoleuses,
et n'hésitent pas à faire des avances aux clients. Un rapide
sondage auprès de quelques clients du Temple D'or au quartier
Joli-Soir révèle que les serveuses et leur attitude sont les
principales motivations pour un client de revenir dans un bar. Kouamen Tavou
nous rappelle que les clients sont très souvent des hommes, et leur but
est la détente217(*). À ce titre, la serveuse devient un
personnage important dans le bar et doit être choisie avec beaucoup de
soin. On comprend aisément la politique de certains circuits comme le
Mami Frotambo, qui offrent toute liberté à leurs
serveuses qui, en guise de salaire, doivent se contenter de ce que les clients
leur donnent en échange de quelques services d'ordre sexuel.
En plus des serveuses, on retrouve dans les bars des agents
d'entretien et des serveurs dont les caractéristiques sont presque les
mêmes que celles relevées pour les serveuses : niveau
d'étude relativement bas et disponibilité. On retrouve ces
employés masculins dans quelques bars au Centre Commercial (Adamaoua
Loisirs par exemple). Il faut noter qu'avec l'activité de
taxiphone, les femmes préfèrent de plus en plus cela, où
elles sont autonomes et à l'abri des humiliations des
alcooliques218(*).
3. Le secteur de l'enseignement : les cours
du soir
C'est en 1976 que les premiers et unique cours du soir de la
ville voient le jour, sous l'impulsion d'un enseignant du nom de Tsimi Lazare,
originaire de la région du Centre 219(*). D'après notre informateur, ce serait pour
attirer les populations locales que le nom Adama est attribué aux cours.
De plus, il faut noter que le site est en face du cinéma Adamaoua, dans
les locaux de l'École Primaire Annexe.
Aujourd'hui tenus par Mballa Romiald, enseignant dans la ville
de Ngaoundéré et proviseur du tout nouveau lycée de
Ngangassaouo, les cours du soir Adama fonctionnent de 18h à 21h. Ils ont
été déplacés au Lycée Classique de
Ngaoundéré entre 1992 et 1996. La raison en est que, Mballa
Romiald qui les reprend à ce moment là, y est affecté
comme censeur. Les quelques problèmes décriés ici sont
surtout les visites de quelques bandits qui de temps en temps viennent attendre
les élèves à la sortie des cours. Cette situation aurait
été réglée en grande partie par la construction de
la barrière et par l'électrification de l'établissement
scolaire.
Les élèves sont de tous âges. Très
souvent, ils sont eux-mêmes leurs tuteurs et payent leurs frais de
scolarité par l'argent qu'ils gagnent en travaillant en journée.
Cette situation est avantageuse dans la mesure où ces
élèves, conscients de ce qu'ils veulent sont plus responsables
que ceux des cours du jour, où ce sont les parents
généralement qui dépensent. Cet avantage a aussi son
revers car les élèves sont très souvent absents, à
cause de la fatigue de la journée de travail ou des
responsabilités familiales. Il faut ajouter à cela les payements
qui tardent souvent à arriver. Ce qui met les enseignants en
difficulté à plusieurs titre, le rattrapage des cours et des
écarts qui se créent entre les élèves absents et
ceux très souvent présents. Par ailleurs, les enseignants
étant payés à la fin de chaque semaine, les retards de
payement démotivent le personnel.
Ces enseignants sont recrutés sur le volet parmi le
personnel enseignant de la ville. Ils sont fonctionnaires dans les
lycées et collèges de la ville, vacataires dans les
établissements privés tels que le collège de Mazenod ou le
collège Protestant, ou inspecteur pédagogique dont le rôle
est de palier à l'absence d'enseignant dans les établissements.
Le salaire est fixé à 500 f.cfa l'heure de cours
dispensée.
Notons que d'autres cours du soir ont vu le jour depuis les
années 1995 dans la ville, mais ont dû refermer à cause du
manque d'enseignants et de moyens. Le principal avantage du directeur actuel
des cours du soir Adama se révèle être son appartenance au
corps enseignant.
7. Le secteur de
l'hébergement
La situation des auberges dans la ville de
Ngaoundéré est telle que, l'idée même d'y passer une
nuit est considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs. Et
pourtant, par définition, il s'agit d'un établissement simple et
sans luxe, situé à la campagne et offrant le gîte et le
couvert pour une somme modique220(*). Dans cette définition, les auberges de la
ville ont conservé le côté simple et sans luxe offrant le
gîte pour une somme modique. Elles parviennent à peine à
joindre les deux bouts. À l'auberge du Temple d'Or, on reconnaît
bien volontiers que seules les locations des prostituées et de leurs
clients garantissent la survie de ces établissements. Les touristes
préfèrent se diriger vers les hôtels (Transcam...) ou vers
les foyers d'accueil (Espérance au Petit Séminaire et
Charité sur la route qui mène au Collège de Mazenod par
exemple).
De nos observations sur le terrain, il ressort que les
auberges sont situées le plus souvent dans les quartiers populeux et
populaires à l'instar de Baladji I, II et Joli-Soir, plus
précisément à proximité des bars. Mais, pour celles
qui sont installées dans des quartiers retirés (Posada Style, en
face du Collège de Mazenod), elles bénéficient d'une
notoriété et d'une relative discrétion très utiles
quand on considère que la plupart des clients des auberges ne veulent
pas être vus.
Photo 8 : L'auberge Le Temple d'Or,
situé à gauche de la boîte de nuit du même nom au
quartier Joli Soir.
Cliché : Owona, le 23 août 2009
Tout à côté des auberges,
particulièrement actifs de nuit, l'hôtel se définit un
établissement commercial qui loue des chambres ou des appartements
meublés pour un prix journalier221(*).
8. Les
télécommunications
Les cybercafés sont des espaces dans lesquelles les
clients ont à leur disposition des ordinateurs qui leur permettent
d'accéder au réseau internet. Ces espaces sont mis à la
disposition d'un public de plus en plus jeune, constitué
d'élèves, d'étudiants, de travailleurs. Mais, les
cybercafés au Cameroun n'ont pas la même connotation qu'en Europe,
où ils sont à l'origine, de véritables cafés,
c'est-à-dire des établissements dans lesquels on sert des
boissons ou de la restauration légère, et qui peuvent de temps en
temps servir de cadre pour des rencontres (café littéraire, par
exemple)222(*). Dans le
langage populaire au Cameroun, on peut entendre très souvent le terme
"cyber" uniquement, peut-être parce que le volet "café" n'existe
pas dans ces endroits. On y retrouve des ordinateurs mis à la
disposition du public moyennant une somme variant entre 300 et 500 f.cfa, selon
la durée que l'on choisie pour "surfer" sur internet. Le gérant
s'occupe de manager les actions et les demandes des clients.
Dans notre pays, ces espaces ont pris une connotation de plus
en plus péjorative à cause des mariages facilités avec les
Occidentaux. De jeunes femmes, parfois sans grande instruction, et au nom de la
recherche d'un mieux être, s'abonnent aux sites de rencontres en ligne et
trouvent des maris. Malheureusement, il est à déplorer le sort
parfois triste de ces filles qui, une fois en Europe, deviennent des
prostituées à la solde de ce mari.
À Ngaoundéré, le premier cybercafé
a ouvert ses portes en 2002223(*), par Djommo Lin Valère oeuvrant avec
l'opérateur de téléphonie mobile M.T.N. Cet
opérateur économique ne s'est pas limité à
l'ouverture d'un cybercafé. Depuis, il a amélioré les
capacités de son agence, et aujourd'hui, il est chargé de
l'abonnement des clients au réseau internet, de la
câblodistribution de Canalsat Horizons.
Précisons que le cybercafé ouvre ses portes au
Centre Commercial, pour les raisons de sécurité et surtout afin
d'attirer l'attention des populations de la ville. D'après son directeur
général, c'était le tout premier cybercafé dans
tout le Grand-Nord du Cameroun. Pendant les 16 premiers mois de fonctionnement,
le nouveau cybercafé restait ouvert 24h/24. Mais, le problème
majeur qui va se poser est celui de l'insécurité. Le
gérant était donc dans l'obligation de faire intervenir la police
pendant les tranches de nuit, c'est-à-dire entre 18h et 6h.
À cause du manque de clients, certainement dû
à l'insécurité qui sévit dans la ville pendant la
nuit, le cybercafé a réaménagé ses horaires et
ouvre à 7 h 30 min et ferme désormais à 22h. Les
employés sont au nombre de deux généralement par
journée. Le premier prend service de 7h30 à 15h et le second, de
15h à 22h. Les qualités requises pour ce type d'emploi
sont : être titulaire d'un BEPC ou équivalent,
maîtriser l'outil informatique, être endurant entre autres. Tout
cela pour un salaire de 15 000 f.cfa, qui n'arrive
qu'épisodiquement. Ainsi, Bakary, employé du cybercafé
pendant trois ans, a jeté l'éponge pour ouvrir une petite
école de formation en informatique. Pour lui, les conditions salariales
ne permettaient pas de vivre décemment, même en réduisant
ses désirs au minimum. Cette précarité de l'emploi et
l'instabilité salariale font que les employés changent presque
tous les ans. Cet état de chose ne semble pas vraiment gêner le
propriétaire pour qui « il y aura toujours des candidats pour
remplacer les partants.224(*)»
Photo 9 : L'intérieur du
cybercafé de M.T.N. au centre commercial de
Ngaoundéré.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
Nous ne saurions négliger les métiers de
l'information, et surtout le fonctionnement de la station de radiodiffusion de
la CRTV225(*) Adamaoua,
dont le siège est au quartier administratif de Ngaoundéré.
En effet, cet office émet 24h/24. Pour la directrice des programmes
radio, c'est dans la tranche du soir que les émissions propres à
la région de l'Adamaoua sont diffusées sur les antennes.
En effet, lorsque les différentes stations
régionales sont crées, c'est dans le but déjà de
rapprocher les populations du pays du pouvoir central localisé à
Yaoundé. Ainsi, la station de radiodiffusion de Ngaoundéré
ouvre en 1983 en raison de la création de la Province de l'Adamaoua, et
de l'érection de ladite ville en chef-lieu. A ce moment là on
parle de la R.D.C., Radiodiffusion du Cameroun. C'est en 1985 qu'elle devient
la CRTV.
Jusqu'en 1998, les émissions de nuit étaient
essentiellement constituées de programmes de variétés
musicales. Mais aujourd'hui, la prolifération des
téléphones amène les journalistes à mettre sur pied
des émissions interactives, pendant lesquelles les insomniaques peuvent
s'exprimer autour de sujets divers qui font l'actualité du pays :
politique, santé, sport, éducation...si ces émissions sont
programmées dans la nuit, c'est bien parce qu'en journée, les
potentiels auditeurs sont au travail, ou occupés à autre chose
qu'à l'écoute de la radio. De plus, les émissions qui sont
retransmises en journée proviennent en grande partie du poste nationale,
donc de la maison mère de Yaoundé. C'est véritablement
vers 18h30 que la station de radiodiffusion de l'Adamaoua prend son autonomie,
avec des émissions en langues locales (Dii, le lundi et le
mercredi et le vendredi; Haoussa, le mardi et le jeudi ;
Mboum le dimanche).
Après le journal de 20h, diffusé à
partir de Yaoundé, les autres émissions portent entre autres sur
la santé des hommes et du bétail (Infos agropastorales,
diffusée le mercredi à 20h30 ; Santé
magazine, le mardi à 21h30) ; sur la religion ( Savoir en
Islam, Eglise en marche, toutes les deux le lundi à partir de
21h30 ; La voix du Salut, Feu de joie, Fréquence
Luthérienne les trois émissions se succèdent le
dimanche à partir de 20h30). Il faut noté que cette connotation
religieuse a aussi pour but de faire concurrence à la radio Sawtu
Linjiila, fondée par les luthériens, dont le nom en fulfulde
signifie « Voix de l'Evangile », avec un accent très
religieux. Les émissions d'informations et de divertissements sont aussi
prévues pour ne négliger aucune tranches d'âges (Le
droit, Sahel Horizons, Cameroun Sports, Soudou Baba, Saturday night fever,
Sports dans l'Adamaoua, Bal des Vétérans...).
Les émissions de la station CRTV Adamaoua
s'arrêtent à minuit, et le relais est passé une fois encore
au poste national qui propose à cette heure-là des
émissions interactives pendant lesquelles les auditeurs de tout le pays
peuvent participer. A Ngaoundéré, seule une équipe
technique d'astreinte reste sur place afin de veiller à la bonne
qualité de la retransmission. Elle est remplacée le matin par une
nouvelle équipe.
9. Les transports
Dans la ville de Ngaoundéré, les transports sont
assurés par les taxis autos, les mototaxis, et les agences de voyages
assurant le transit des passagers entre Ngaoundéré et les villes
du Grand-Nord, ou les villes du Grand-Sud.
En ce qui concerne les taxis autos, il faut dire qu'ils
desservent les lignes Ngaoundéré-Dang, Bamyanga-Centre
Commercial. En effet, jusqu'en 1995, les taxis roulaient dans la
ville226(*). Mais, la
multiplication des mototaxis et la qualité des routes ont obligé
les autorités municipales à mettre fin à la circulation
des taxis dans la ville de Ngaoundéré. Dans cette décision
la qualité des routes n'est pas à négliger. Dans certains
quartiers, elles sont de très mauvaise qualité et freinent les
élans des taximen qui hésitent à s'y rendre. Au Centre
Commercial, elles sont de plus en plus petites pour un parc automobile en
constante augmentation. Il ne leur est donc réservé uniquement la
route de Dang, et quelques courses à effectuer en ville, pour
déplacer des objets que les motocyclettes ne peuvent transporter.
Dès lors, un stationnement est créé à
côté du stade Ndoumbé Oumar, pratiquement à la
sortie de la ville.
La multitude de syndicats qui se développera dans le
stationnement occasionnera moult problèmes dont la solution viendra du
préfet du département de la Vina en 2006. Décision sera
prise de sectionner la ville en différents stationnements en fonction
des syndicats. Ainsi, le SYN.E.T.CAM. (Syndicat des Exploitants de Taxi du
Cameroun), voit ses taxis dotés d'une bande bleue. Il leur est
attribué un espace à la Place des Fêtes de
Ngaoundéré. Le Syndicat National des Chauffeurs et
d'Employés de Taxi du Cameroun obtient la bande verte et s'installe au
Grand-Marché ; enfin le Syndicat National des Chauffeurs de Taxis,
avec sa bande rouge, occupe l'espace entre le Petit-Marché et le Stade
Ndoumbé Oumar.
La plupart des stationnements fonctionnent jusqu'à 22h.
Passée cette heure, les différents taximen peuvent continuer
à faire la navette entre la ville et Dang, mais à leur risques et
périls. L'organisation des stationnements est telle qu'il ya un ordre de
départ à respecter. Cet organigramme n'est respecté que
jusqu'à cette heure. Les problèmes qui se posent justement sont
les agressions qui rendent plus difficiles le transit à partir de 18h.
Dans la nuit, les clients s'amenuisent. Ce qui explique qu'il n'existe pas un
échelonnement des prix en fonction des heures. Depuis la
séparation de 2006, le prix du taxi pour partir de la ville pour Dang
est de 250 f.cfa. Avant cette date, il était de 300 f.cfa. Malgré
l'augmentation du prix du carburant, les chauffeurs parviennent tout de
même à trouver leur compte. C'est le cas de Ismaëla Issa,
taximan dans la ville de Ngaoundéré depuis 7 ans, il a
commencé comme simple chauffeur, aujourd'hui il est propriétaire.
L'activité de mototaxi est plus accrue dans la nuit.
Rappelons que, c'est en 1988 que Haman Daligama, jeune homme de 32 ans
installé à Ngaoundéré depuis une dizaine
d'années eût l'ingénieuse idée de transporter sur sa
moto de marque Honda CG 175 les habitants d'un des nouveaux quartiers,
moyennant une modeste récompense 227(*). Il faut noter qu'à cette période, la
population de plus en plus grande, a des besoins que les taxis autos ne
parviennent plus à satisfaire. « Pour les habitants, l'attente
d'un taxi pouvait durer des heures, surtout que certains conducteurs refusaient
d'exercer sur les routes non bitumées ou de se rendre dans les quartiers
périphériques nouvellement créés à la faveur
de l'élargissement de la ville. Le transport urbain est devenu une
véritable équation difficile à
résoudre 228(*)»
Il apparaît qu'au début, les conducteurs de taxi
moto circulaient dans la zone périurbaine, parce que d'une part le
centre ville était desservi par le taxi auto, et d'autre part, leur
activité relevait de la clandestinité. Avec le décret du
premier ministre du 2 février 1994 fixant les modalités
d'exploitation à titre onéreux des motocycles, entraîne une
formalisation des mototaxis et la croissance rapide de cette activité
dans la ville. Dans le secteur des transports à
Ngaoundéré, les mototaxis semblent être les plus dangereux.
Pour y exercer, on peut compter des hommes de tous âges,
propriétaires ou simples employés, ces derniers peuvent aussi
faire de la sous-traitance et engager à leur tour d'autres chauffeurs
parmi leurs connaissances, dans le but de leur venir en aide.
Les chauffeurs de mototaxis ont malheureusement gagné
une mauvaise réputation à cause de la recrudescence des accidents
dont ils sont très souvent la cause, sans oublier les agressions
auxquelles ils participent comme complices ou comme auteurs. Cette
généralisation est regrettée par Augustin, mototaximan
dans la ville de Ngaoundéré depuis 2 ans229(*).
Augustin est un jeune père de famille, apparemment
âgé d'une trentaine d'années, sa vie est un long chapelet
de misères. Mboum de Ngaoundéré, il se plaît
à penser qu'il est parmi les derniers de cette tribu à proclamer
haut et fort leurs origines, pendant que les autres s'estiment Foulbé.
C'est en 1984 qu'il perd son père. À ce moment-là, la
famille vit à Garoua. S'en suivront un ensemble de problèmes
liés au partage de l'héritage. Pour s'en éloigner, il
revient s'installer à Ngaoundéré, son village natal. Au
départ, c'est comme cordonnier qu'il gagne sa vie. Il ouvre donc un
atelier de cordonnerie près de El Blanco Bar au quartier
Joli-Soir, après le carrefour Jean Congo. Les revenus qu'il tire de
cette activité lui permettent de se marier, de construire une maison au
quartier Mbideng et d'élever ses quatre enfants. Ce débrouillard
ne recule devant aucun travail honnête. Il a appris la maçonnerie
et la menuiserie. Grâce à ce background, il peut inscrire
ses enfants à l'école. Son aîné est au lycée
technique de Garoua, ses deux filles au Collège Protestant de
Ngaoundéré et la cadette au cours élémentaire
II.
C'est donc en 2007 qu'il fait l'achat d'un motocycle.
D'après lui, les chauffeurs que l'on recrute ne savent pas très
souvent quelle est l'importance de l'engin et les souffrances subits par le
propriétaire pour l'acheter. Ainsi, il s'organise : dès 5h,
il saute sur sa moto et travaille jusqu'à 8h. À cette heure
là, il rentre chez lui prendre le petit déjeuner. À 9h, il
se rend dans son atelier de cordonnerie, et sa femme, à qui il a
réussi à payer une formation de couturière, reste
travailler à domicile. Vers 15h, si le travail à l'atelier n'est
pas très exigeant, il reprend la moto et travaille jusqu'à 20h,
heure à laquelle il doit rejoindre sa famille pour une prière. Il
faut préciser qu'en activité annexe, Augustin est
catéchiste de l'Église Presbytérienne. Pour lui, tout est
question d'organisation.
Son activité de mototaxi n'occupe pas la nuit
entière parce que pour lui, la famille passe avant tout.
L'insécurité dans la ville est telle qu'il serait risqué
de travailler pendant cette période, avec des risques d'embuscades,
d'accidents, et les mauvaises conditions climatiques. Ainsi, c'est sa situation
matrimoniale qui ne lui permet pas de travailler de nuit, au-delà des
risques que cela représente. La situation d'Augustin est tout à
fait différente de celle de Jean-Vincent.
Cet habitant du quartier Ndelbe, âgé d'une
vingtaine d'années est célibataire sans enfants à charge.
Il vit chez ses parents. Cependant, ce qui l'amène à travailler
de nuit c'est, dit-il le besoin d'argent et la volonté de satisfaire ses
différentes compagnes. Il est employé par un de ses amis du
quartier qui lui a confié sa moto. À la question de savoir s'il
n'a pas peur des bandits, il vous répond aisément « on
se connaît !»230(*).
10. La sécurité
L'insécurité est depuis les années 1990
une préoccupation majeure dans la ville de Ngaoundéré. Les
mouvements qui ont émaillé le processus de démocratisation
dans tout le pays ont eu ici un terrain d'expression favorable. Ce contexte est
venu s'ajouter à une situation qui était déjà
prédisposée à une certaine insécurité. En
effet, les pays voisins que sont le Tchad et la Centrafrique connaissaient
depuis les années 1970 une certaine instabilité politique. Les
ressortissants de ces pays étaient obligés d'aller chercher un
coin paisible ailleurs. Pour Temde Joseph, c'est un peu comme si les Tchadiens
et les Centrafricains n'ont qu'un objectif : « venir à
Ngaoundéré ou mourir »231(*). Ces immigrés
n'avaient rien à faire et se sont reversés dans l'exercice de
métiers dédaignés par les Camerounais, à l'instar
de celui de gardien de nuit.
Il faut noter que ce métier est assez récent
dans la ville et n'a fait que s'adapter à une mentalité qui
n'accepte que très difficilement un tel étalage de richesse. En
effet, avoir un "gardi" (le gardien de nuit en fulfulde), c'est
affirmer que l'on a quelque chose à protéger, et même
montrer que l'on n'a pas envie de la partager. Le mot utilisé en
fulfulde pour désigner ce métier est lui-même
inspiré de la langue française, preuve de l'inexistence de cette
activité dans les moeurs des populations de Ngaoundéré.
C'est donc avec les Européens et les fonctionnaires de la nouvelle
administration camerounaise des années 1960, que la
nécessité des veilleurs de nuit se pose. Mais, la
criminalité n'était véritablement accrue comme
aujourd'hui232(*). L'un
des facteurs qui influence donc leur mise en place sera cette vague migratoire
venu des pays voisins dans laquelle on retrouve à la fois les gardiens
et les voleurs. En effet, cette dernière catégorie apparaît
à cause de la pauvreté qui caractérise ces populations
immigrées, et les armes légères avec lesquelles ils
traversent la frontière et qu'ils utilisent dans les braquages.
Mais il serait inapproprié de penser que seuls les
immigrés des pays voisins sont les seuls acteurs dans ce secteur. Que ce
soit du côté des voleurs que de celui des veilleurs de nuit, on
retrouve aujourd'hui des ressortissants de presque toutes les régions du
Cameroun. Le métier de gardien de nuit est à diviser en deux
types : un qui se déroule presque de manière informelle et
l'autre formel.
C'est dans le type informel que l'on retrouve justement les
ressortissants des pays voisins et du Grand-Nord. Ce sont ces jeunes gens vers
qui l'on se tourne pour garder les comptoirs et les boutiques au Petit
Marché par exemple. La nuit venue, ils se mettent derrière des
sacs étalés, qu'ils accrochent autour des entrées des
boutiques surveillées. Ces sacs un pour rôle de dissuader les
éventuels brigands. Ainsi, il arrive que parfois, le gardien ne soit
même pas dans ce hangar de fortune, mais les sacs en donnent
l'impression. Ce sont malheureusement ces comportements irresponsables de la
part de certains gardiens de nuit, doublés aux problèmes de plus
en plus marqués d'alcoolisme, de consommation de stupéfiants et
de vol, qui amènent les sociétés importantes de transfert
d'argent ou les banques par exemple, à faire recours aux
sociétés spécialisées dans le gardiennage ou la
police, nonobstant le fait que les problèmes sont souvent les
mêmes.
Photo 10 : Quelques jeunes gardiens de
nuit au petit marché de Ngaoundéré.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
Les sociétés de gardiennage ont pour rôle
de suppléer la police dans la protection des hommes et de leurs biens.
Ainsi, pour mettre sur pied une société de ce type, il faut
adresser une demande auprès du Ministère de l'Administration
Territoriale et de la Décentralisation, dossier dans lequel on doit
justifier de sa bonne moralité. Il doit être accompagné
d'une forte "caution". Après étude de ce dossier, c'est par
décret présidentiel que l'agrément est accordé
à l'individu de fonder une société privée de
gardiennage.
Il faut dire que c'est avec les années 1990 que la
possibilité est donnée aux particuliers de mettre sur pied des
sociétés privées de gardiennage. C'est pourtant avec la
loi n°97/021 du 10 septembre 1997, relative aux activités
privées des sociétés de gardiennage, qu'une
réglementation claire est fixée à ce propos. Il leur est
interdit par exemple de posséder des armes à feu. À
Ngaoundéré, nous pouvons citer les sociétés telles
que : DAK Surveillance, RADAR, SACUR, et Africa Security.
La société privée de
sécurité Africa Security est installée à
Ngaoundéré depuis 1999233(*). Elle assure la protection des entreprises mais
aussi des particuliers. Parmi ses prérogatives, elle peut aussi
être utilisée pour servir d'appui à la police dans le cadre
du convoyage d'argent. Cependant, comme le déplore le chef d'agence de
la société à Ngaoundéré, les agents
succombent très souvent à la tentation et se muent en voleur.
Pour remédier à cet état des choses, il s'agit pour les
chargés de missions sur le terrain, dont le rôle est de superviser
le travail des agents, de multiplier les contrôles inopinés. Mais,
le travail le plus important se passe à la base, c'est-à-dire au
recrutement.
Avec le manque d'emploi, de plus en plus de jeunes se font
embaucher comme gardien de nuit. Ce travail était avant les
années 2000 véritablement dédaigné par les
populations. Être « vigile » était le signe de
notre niveau intellectuel bas, et de notre pauvreté matérielle.
Cela s'explique par le fait que les agents de sécurité
étaient recrutés dans une population peu encline à la
scolarisation. De plus, le salaire était et demeure l'épine
dorsale de ces travailleurs de nuit. Oscillant généralement entre
30 000 et 40 000 f.cfa de salaire mensuel selon les agences, beaucoup
de jeunes n'osaient donc pas prendre le risque d'exposer leur vie pour une
somme aussi dérisoire. On ne saurait oublier le problème des vols
et agressions dans lesquels les agents de sécurité sont souvent
immédiatement étiquetés comme complices, à tord ou
à raison. Ainsi, la paupérisation de la population camerounaise a
rendu le recrutement dans les agences de sécurité plus
difficile.
Tout d'abord, les candidats doivent fournir un dossier
constitué des pièces suivantes :
- Un extrait de casier judiciaire
- Une photocopie de la C.N.I.
- Un certificat de domicile
- Une copie d'acte de naissance
- 4 photos 4x4
- Une demande manuscrite
D'autres conditions s'ajoutent à celles-là,
à savoir être Camerounais, savoir parler l'une des deux langues
officielles du Cameroun, avoir entre 21 et 40 ans, mesurer au moins 1,70 m. Si
ces conditions sont réunies, les candidats qui répondent aux
critères subissent un examen médical afin de déterminer
leur aptitude aux efforts (état des poumons, état du squelette,
tension artérielle, capacités visuelle et auditive). Les signes
d'alcoolisme et de toxicomanie sont aussi vérifiés. À
l'issue de ces examens médicaux, viennent les examens intellectuels.
C'est la réussite à ces épreuves qui permet au postulant
d'accéder à la formation au centre militaire de la
société. Les notes de 11/20 au stage et 10/20 aux tests physiques
et intellectuels permettent donc au candidat d'être embauché comme
gardien de nuit dans la société Africa
Security, avec cependant une période d'essai de 3 mois
234(*).
Si les sociétés privées de
sécurité sont tolérées, c'est souvent parce que la
police manque cruellement d'effectifs. En effet, le rôle de la police est
d'assurer le respect, la protection des institutions, des libertés
publiques, des personnes et de leurs biens, la Sûreté Nationale
concourt aussi à la défense nationale, à l'exercice de la
police administrative et de la police judiciaire235(*). Les services de la police
aux Cameroun sont assurés par les fonctionnaires de la
Sûreté Nationale. Ils sont de temps en temps assistés dans
leurs missions par quelques éléments de la gendarmerie et des
militaires. À cet effet, des patrouilles mixtes sont mises sur pied.
À Ngaoundéré, la gendarmerie épaule la police
très rarement si ce n'est dans le cas des rafles, ou du bouclage d'une
opération menée conjointement. Ce manque de coopération se
justifie par le fait que cette force estime être en concurrence avec la
police236(*). Ce sont
cependant les militaires qui prêtent souvent main forte aux policiers
pendant les périodes les plus délicates de l'année,
à savoir : avant les fêtes de Ramadan et de Tabaski, pendant
les fêtes de fin d'année, les saisons des pluies, les vacances
scolaires, et à la rentrée scolaire237(*).
Rappelons tout de même l'évolution de la police
au Cameroun. C'est en 1947 que la direction de la sûreté est
créée par le Haut Commissaire Français au Cameroun. Elle a
pour rôle de surveiller l'immigration et la situation des
étrangers tout en suivant l'évolution et les manifestations des
associations politiques et syndicales238(*). Mais, la gestion et le commandement des polices
urbaines relevaient de la gendarmerie. Cette dernière est aujourd'hui
considérée comme la force de l'ordre des zones rurales. Lorsque
s'installe la Police, en principe, elle doit lui laisser la place et continuer
dans de nouvelles zones plus reculées239(*).
Le 25 juin 1951, par la décision n°3055 du Haut
Commissaire, un directeur est nommé à la tête de la police
camerounaise ; c'est à cette période que sont
installées les premières véritables unités de
police dans les différentes régions du pays240(*). À
Ngaoundéré, un commissariat spécial est installé,
ainsi qu'un poste de sûreté. Le rôle de la police est
d'assurer la sécurité des hommes et de leurs biens. Dans la ville
de Ngaoundéré, elle s'y efforce tant bien que mal, en utilisant
deux types de méthodes, celles préventives et celles
répressives.
Les actions préventives de la police se notent par une
occupation du terrain, par la présence effective sur le terrain, les
contrôles, et les patrouilles. À Ngaoundéré, on
compte trois grands secteurs de sûreté :
- Le commissariat du 1er arrondissement, qui couvre
le centre Commercial et Administratif, l'E.H.T. CEMAC.
- Le commissariat du 2e arrondissement qui occupe
l'espace le plus vaste avec les quartiers Joli-Soir, Baladji I et II,
Madagascar, Tongo, Gadamabanga, Troua Malla, CIFAN Nord.
- Le 3e arrondissement s'occupe quant à lui des
quartiers Bamyanga, Haut Plateau, et Burkina.
Temde Joseph, le commissaire central de la ville de
Ngaoundéré, précise que le poste de
sécurité publique de Dang est jusqu'ici un poste virtuel, il a
des éléments de police et fonctionne comme tout autre
commissariat, mais il n'a pas encore d'existence officielle.
Cette présence sur le terrain s'accompagne de la mise
en fonction de réseaux de renseignements criminels, de planques,
d'embuscades, de bouclages de certains quartiers (action fréquemment
menée à Dang), ainsi que des rafles241(*). Pendant les villes mortes
de 1991, ce sont les renseignements généraux qui ont permis de
maintenir la paix, en appui aux actions de choc menées sur le terrain
par les B.A.G. (brigades antigangs).
Les actions répressives sont plus brutales dans une
ville qui très souvent a été classée au
3e rang de la criminalité urbaine au Cameroun, après
Douala et Yaoundé. Ces actions se manifestent par la traque sans
relâche des criminels. Elles peuvent être augmentées en
fonction du taux de criminalité. On peut ainsi citer quelques cas
où cette mesure a été nécessaire.
En 1992, les mouvements des villes mortes ont fait
naître un gangstérisme urbain sans précédant
à Ngaoundéré. La mise sur pied d'unités mixtes
d'antigangs a permis de juguler le mal. Le couvre-feu a été
instauré. À partir de 19h, on ne devait pas voir de
présence humaine dans les rues. Tout contrevenant était
traité comme suspect. Les mêmes mesures ont été
prises lors du déploiement du Commandement Opérationnel. En 2003,
l'opération "Harmattan" a pu mettre hors d'état de nuire des
hors-la-loi. Cette opération n'aura pourtant duré que 16 jours.
Des policiers venus de Yaoundé ont pu mettre fin aux actions des groupes
de criminels tel que le groupe Kotto Bass, spécialisé
dans le vol de motocyclettes 242(*). Le travail de cette unité pendant ces 2
semaines consistait à infiltrer, ratisser et boucler certains quartiers
dangereux de la ville. À une heure avancée de la nuit, tout
noctambule était interpellé. Le succès de
l'opération a été tel que le Gouverneur de la Province a
demandé la prolongation d'une semaine de l'opération.
Malheureusement, la police en général et les
services de Ngaoundéré en particulier connaissent multiples
problèmes dans l'exercice de leurs fonctions :
- Le manque d'effectifs et de postes de proximité. Le
commissaire central propose ainsi la création de nouveaux postes dans
les quartiers Gadamanga, Burkina, Baladji II.
- Le manque de matériels, cette situation est plus
délicate lorsque les criminels installés à
Ngaoundéré reçoivent de l'aide d'hommes de pouvoir de la
ville et d'immigrés des pays voisins qui connaissent la guerre, et
où les armes circulent aisément243(*).
- La présence d'éléments dangereux dans
les rangs même de la police. Il apparaît aujourd'hui que les jeunes
deviennent policiers non plus par vocation mais pour avoir un travail et
surtout un salaire.
- Enfin, Temde Joseph dénonce la loi du silence en
vigueur à Ngaoundéré. Personne ne se permettrait de trahir
son voisin, même si tout le monde sait qu'il est un individu suspect par
son comportement ou sa manière de vivre. Et les appels à
témoin ne servent à rien, puisque personne n'y répondra.
Il faut dire que le problème des populations est d'abord celui de
l'analphabétisme et le défaut de carte d'identité. La
crainte de se voir emprisonner pour cela fait que beaucoup
préfèrent rester dans le mutisme et supporter, en se disant que
tant que ce n'est chez moi, ça va !
III. LE SECTEUR INFORMEL À
NGAOUNDÉRÉ
6. Le secteur agroalimentaire
La plupart des activités du secteur informel ont donc
pris racine à Ngaoundéré à partir des années
1990. La vente des beignets est une pratique très ancienne dans la
ville. En effet, Mohammadou Djaouro rappelait déjà que vers les
années 1950, des femmes venaient vendre des beignets et de la bouillie
sur la place du Grand Marché dans l'après-midi et se retiraient
vers 18 heures. Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes
fondé sur une "étrangère" à la ville de
Ngaoundéré : Mme Ngan Jeanne, vendeuse de beignets au
quartier Onaref, où elle vit avec ses enfants244(*).
Mme Ngan est une femme âgée de 46 ans,
mère de 7 enfants et de 4 petits-enfants. Bassa de la Région du
Centre, elle s'est retrouvée contrainte de migrer vers
Ngaoundéré à cause des problèmes conjugaux, cela
depuis 9 ans. Il faut dire que son mari, toxicomane, mort il y a moins d'un an,
était devenu très violent. Il n'hésitait pas à
menacer sa famille de les tuer tous à coups de machette. Face à
cette situation, sa fille aînée fut la première à
quitter la maison familiale et à s'installer à
Ngaoundéré. Elle eut la chance de trouver un emploi comme
temporaire à la Délégation Provinciale de la Pêche
et de l'Élevage. Avec son salaire de 25 000 f.cfa, elle rentra
voir sa mère au village trois mois plus tard. En lui remettant quelques
économies qu'elle avait réalisées (80 000 f.cfa),
elle lui demanda de commencer un petit commerce pour survivre. Cependant, sa
fille aînée retourna sur Ngaoundéré avec ses autres
frères et soeurs. Au départ, dit-elle, elle voulait faire la
navette sur Kribi afin d'acheter du poisson et le revendre au village. Mais
elle se dit que ce serait désastreux pour les enfants d'être
à Ngaoundéré, le père lui au Centre et la
mère entre le Sud et le Centre. Elle prit donc la décision de les
suivre à Ngaoundéré.
Arrivée à Ngaoundéré en 2000, elle
se consacre d'abord à la vente de bananes pour nourrir ses enfants. Tous
les jours dit-elle, elle quittait de Bamyanga où elle s'était
installée et se rendait au carrefour Banane à la gare. Avec un
capital de départ de 2000 f.cfa, elle achetait un régime de la
banane qu'elle dépeçait et, sur un plateau qu'elle transportait
sur la tête, proposait sa banane le long de la route du retour pour
Bamyanga. Avec le bénéfice de ses ventes, elle augmentait petit
à petit son capital. 500 f.cfa étaient utilisés pour la
nutrition. De 2000 f.cfa, elle est très rapidement passée
à 3500, puis 7000 f.cfa. Après deux ans passés à
pratiquer cette activité, son fils aîné lui conseilla de
faire des beignets de maïs, au lieu de continuer à jeter la banane
invendue, qui de surcroît ne pouvait être conservée
longtemps en raison du climat chaud. Malheureusement, elle ne savait pas les
faire. Elle commença petit à petit à en faire tout de
même. Lorsqu'elle revenait de la gare, elle ne jetait plus la banane mais
préparait des beignets qu'elle vendait aux élèves qui
rentraient des classes. À sa grande surprise, le commerce des beignets
se déroulait sans problèmes, et ceux-ci étaient
appréciés par les clients. C'est une de ses connaissances, un
médecin, qui lui donna l'idée de développer ce commerce,
et d'aller s'installer en ville. Mais avant de le faire, elle demanda conseil
à une cousine installée dans la ville de
Ngaoundéré, sur la manière de confectionner et de bien
préparer ces beignets tant prisés et dont l'ingrédient
principal est la banane. Maîtrisant l'art des beignets de maïs, elle
vint donc s'installer au quartier Onaref, derrière le Lycée
Classique et Moderne.
C'est d'abord devant le chez elle qu'elle installe son foyer
pour la cuisson des beignets. Mais, elle constata que le marché
était stagnant. Or, à quelques lieux de son domicile, il y a une
série de bars (au carrefour Onaref), qui représente aussi une
chance du point de vue de la clientèle. Elle vint rencontrer, pour
obtenir un espace de travail, le chef de ce bloc, M. Abdoulaye,
propriétaire du bar éponyme au quartier Onaref, devant lequel
elle eut le droit d'installer son foyer de cuisson de beignets.
Photo 11 : Mme Ngan dans son "bureau"
au quartier Onaref, aidée par son fils Prado qui sert le
haricot
Prise de vue : Owona, le 02 septembre 2009.
Aujourd'hui, aidée très souvent par l'un de ses
fils (Prado) ou sa fille (Nyango) pendant les vacances, et
par une de ses nombreuses cousines pendant les jours de classe, elle vend des
beignets de maïs et de farine de blé, accompagnés du haricot
et de la bouillie.
Mme Ngan commence son travail vers 12h. En effet, il s'agit
d'abord de préparer les différents mélanges,
l'installation au lieu de vente est à 16h généralement et
les premiers clients sont reçus vers 17h. La vente se déroule
jusqu'à 22h, quelque soit la qualité du marché. Les
quelques problèmes rencontrés par elles sont les
réclamations des clients, les intempéries, les jalousies des
autres vendeuses de plus en plus nombreuses (en face de la Cathédrale,
en face du Complexe Marhaba, au Carrefour An 2000...). Aujourd'hui, cette
femme, veuve depuis quatre mois, n'a aucun regret. Elle a pu élever ses
enfants, elle loue une grande maison très moderne et parvient à
subvenir à tous ses besoins. La migration à
Ngaoundéré s'est bien déroulée. Elle encourage
même ses soeurs à quitter les grandes villes que sont
Yaoundé et Douala où le travail devient de plus en plus difficile
à trouver, et à se reconvertir dans les petits métiers qui
rapportent dans les autres villes.
Photo 12 : Un restaurant de trottoir
devant la société HYSACAM
au quartier Tongo Pastorale de
Ngaoundéré.
Cliché : Owona, le 21 août 2009.
Mais le secteur de l'agroalimentaire ne se réduit pas
à la vente des beignets dans la nuit. Il s'étend aux restaurants
de trottoirs où quelques jeunes hommes vendent du lait, du thé,
du pain, des oeufs...Ces restaurants de trottoirs se rencontrent
essentiellement dans l'ancienne cité (Carrefour Texaco près du
Grand Marché, à Tongo Pastorale en face de la
société HYSACAM) ; mais aussi au Centre Commercial (en face
du jardin public, et en face du cinéma Adamaoua). Ces restaurants sont
tenus par des musulmans originaires de Ngaoundéré, pour ceux dans
l'ancienne cité, et du Grand-Nord pour le reste.
Les ressortissantes du Grand-Nord se sont aussi
spécialisées dans la vente du bili bili, sorte de
boisson traditionnelle faite à base de mil. Cette boisson est
introduite dans la ville de Ngaoundéré avec les Laka,
capturés dans les conquêtes foulbé. Elle sera par la suite
vulgarisée par les Toupouri, dont l'installation dans la ville
remonterait aux années d'indépendances. Les premières
fabricantes de bili bili sont les femmes des militaires. Il
apparaît que c'est justement dans ce quartier qu'en 1965 commence la
commercialisation de des boissons traditionnelles que sont : afouk,
ngboryanga, arki, nkpata, hankoua, ou kouri, ceci dans quatre
domiciles privés245(*). La production n'a cessé de croire depuis
1970, en la faveur du flux migratoire des populations du Nord et de
l'Extrême-Nord. Ajoutons à ces populations celles du Tchad qui
viennent accroître le nombre de vendeuses de bili bili dans la
ville à partir de 1979. Ainsi, de plus en plus de femmes se consacrent
à cette activité au point où une rue au quartier Joli-Soir
s'est transformée en un véritable repère de cabarets.
Ceux-ci se reconnaissaient au « drapeau rouge ou par une bouteille
remplie d'eau au dessus de laquelle sont placées des fleurs
marguerites 246(*)»
La nuit dans ces cabarets traditionnels peut être
considérée comme un moment de rencontre entre les
différents consommateurs de la ville. Il existe de plus en plus de
cabarets. En plus de ceux déjà présents à
Joli-Soir, on en trouve aussi à ONAREF (derrière la
Cathédrale Notre Dame des Apôtres), où on peut aussi
consommer du vin de palme ; à Socaret ; Sabongari
Norvégien ; Burkina et Gadamabanga.
Ces points de vente ont connu une certaine évolution
depuis 1965. En effet, face à la recrudescence des points de vente de
boissons traditionnelles, les autorités procèdent en 1987
à un deuxième tracé du quartier Joli-Soir. Ce tracé
contribue à aérer un quartier qui devenait de plus en plus exigu
pour la population qui était installé et pour les consommateurs
dont le nombre ne cessait d'augmenter. À cette nouvelle
répartition s'ajoute une volonté de réglementer le
commerce des boissons. De nouveau quartier sont créés et les
Mboumpana s'installent à Onaref, Burkina et Marza247(*). Dès lors, la vente
se fait en fonction des jours de commerce et des prix consensuels. Les
brasseuses quant à elles s'organisent en groupe de quatre pour louer des
locaux commerciaux et arrêter de vendre de l'alcool dans leurs domiciles.
Il faut noter que cette mesure n'a pas vraiment eu l'effet escompté,
puisque plusieurs femmes ont continué à vendre dans leurs
domiciles et les jours de vente n'ont été respectés que
quelques temps. Aujourd'hui, la vente de boissons traditionnelles se fait tous
les jours et toutes les nuits, dans les domiciles privés ou dans des
locaux que louent les vendeuses. Elle commence vers 8h et s'achève
à la fin du fût de vin, environ entre 21h et 23h. La location des
locaux peut se faire à hauteur de 2000 f.cfa par jour auprès
d'une tenancière248(*). Pour la vente de bili bili, elle se fait
deux jours par semaine en raison de la complexité de la
préparation. Pour palier au manque à gagner des autres
journées, les vendeuses se mettent en répartissent les jours de
sorte que chacune aie un jour de vente249(*).
Dans les cabarets, on retrouve essentiellement des femmes
comme brasseuses. Elles sont plusieurs par cabaret et s'organisent selon des
systèmes de rotation de vente. Contrairement aux domiciles où les
propriétaires sont autonomes, les cabarets fonctionnent avec une
tenancière principale du lieu de vente qui se fait assister de 3 ou 4
brasseuses. Et c'est auprès de la tenancière qu'elles reversent
leurs contributions quotidiennes. Toutes ces femmes sont réunies en
différentes tontines selon les quartiers et les communautés
ethniques. La solidarité entre les brasseuses s'exprime dans les cas
où les clients consomment sans payer, ou lorsque les prix du mil sont
trop élevés. Mais, dans certains quartiers tel que Joli-Soir, on
retrouve très souvent dans le même secteur plusieurs cabarets. Cet
état de chose fait souvent naître des jalousies.
Les problèmes rencontrés dans les cabarets
traditionnels sont les bagarres, les règlements de compte entre clients
qui peuvent souvent exposer la vie des vendeuses. Ainsi, ces lieux sont de
véritables milieux d'insécurité où "tout peut
arriver". Il faut noter les risques d'empoisonnement pour le client. Celui-ci,
sous l'effet de l'alcool peut perdre tout contrôle. Il se
désinhibe et peut traiter la vendeuse de manière
inconsidérée. Face à cela, nous ne devons pas exclure la
responsabilité des vendeuses elles-mêmes qui sont très
souvent des femmes libres. Si les consommateurs se rendent dans les cabarets
à la recherche d'une compagne pour la nuit, ils savent pouvoir en
négocier le prix autour d'une calebasse. Les exploitantes de cabarets se
livreraient donc à la débauche dont les revenus sont plus
importants que dans la vente de la boisson250(*).
Photo 13: Des cabarets de vente de bili bili
au quartier Joli Soir. On peut remarquer quelques clients au fond à
droite et, un peu plus en avant les fûts qui servent à la
préparation de la boisson.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
La prostitution ne cesse de se développer dans
l'univers des débits de boissons traditionnelles. En effet, il est
à noter qu'il se développe depuis quelques années le
"pari-vente". Il consiste en l'organisation d'un bal nocturne payant,
où sont invités des consommateurs nantis et des femmes choisis en
fonction des affinités qu'ils entretiennent, certaines peuvent aussi
être ciblées par les clients eux-mêmes. Ce sont
généralement des moyens pour permettre à ces personnes
d'avoir une occasion de se retrouver en dehors de leurs foyers conjugaux par
exemple. Les boissons vendues à ces occasions sont de tout genre, et les
prix de celles traditionnelles sont doublés. Certains témoignages
recueillis au quartier Joli-Soir où ces rencontres sont
organisées révèlent que certains des couples se livrent
à des rapports sexuels dans les coins obscurs du quartier.
À l'observation, on constate que le secteur
agroalimentaire est celui qui emploie le plus de personnes de nuit dans la
ville de Ngaoundéré. En plus des vendeuses de beignets et des
brasseuses de boissons traditionnelles, nous pouvons y ajouter les vendeuses de
poissons à la braise, d'arachide, de fruits251(*), les vendeurs de
soya252(*), de
porc.
Un commerce se développe de plus en plus dans la ville
de Ngaoundéré, celui des soyas de foetus de vache. Pourtant
prohibé, ce commerce est l'apanage des ressortissants de la
région de l'Extrême-Nord, qui se sont majoritairement investis
dans la vente des soyas et des brochettes de viande dans la ville comme nous
l'indique le tableau en dessous.
Années
Origine
Des rôtis-
seurs
|
1970-1976
|
1976-1982
|
1982-1988
|
1988-1994
|
1994-2000
|
2000-2006
|
Années de création non
maîtrisées
|
Fréquence (%)
|
Total
|
Montagnards
|
-
|
1
|
1
|
1
|
7
|
8
|
12
|
81,58
|
31
|
Autres ethnies camerounaises
|
2
|
-
|
1
|
-
|
1
|
1
|
1
|
13,16
|
5
|
Ethnies non camerounaises
|
-
|
-
|
-
|
1
|
-
|
-
|
1
|
5,26
|
2
|
100
|
38
|
Tableau 2 :
Évolution du nombre de rôtisseries par groupe ethniques à
Ngaoundéré253(*).
Dans les premières années de la vente du soya
par les "immigrés" des monts Mandara à Ngaoundéré,
ils se heurtent aux problèmes d'ordre religieux. Ceux-ci ont
amené beaucoup de Montagnards à s'islamiser, plus par
réalisme économique, dans un contexte de forte influence
islamique, que par leur propre gré. L'exemple typique de feu Sani
d'origine Mafa semble justifier ce point de vue. Sani qui arrive à
Ngaoundéré dans les années 1980 est un Mafa qui respecte
les us et coutumes qui lui ont été inculqués par ses
parents. De ce fait, Sani se devait de continuer avec la religion des Mafa qui,
pendant longtemps, ont fui les plaines pour aller trouver refuge dans les
massifs de Mandara pour pouvoir garder leur culture, et surtout ne pas
s'islamiser et être gouvernés par les Foulbé 254(*). Mais le désir
d'améliorer son statut social à travers la vente du soya dans une
région où les clients sont à majorité musulmans l'a
amené à s'islamiser.
Le commerce des foetus de vache se passe donc dans la
clandestinité, au profit de la nuit et surtout du manque de vigilance
des acheteurs, parmi lesquels bon nombre ne sait pas ce qu'il achète.
Lorsque vous demandez de quoi il s'agit, le vendeur vous répond
promptement que ce sont les « tripes ». Le foetus n'est pas
une viande à maturité d'une part, et d'autre part, dans un
contexte islamique, il est interdit pour le musulman de manger tout animal mort
naturellement, y compris l'animal étouffé, assommé, mort
à la suite d'une chute ou d'un coup de corne, ou qu'un fauve a
dévoré 255(*). Dès lors, il est logique que ce commerce se
passe essentiellement dans les quartiers hors de l'ancienne cité
(Joli-Soir, Baladji I ou en face de la boutique NZIKO au Centre Commercial).
Toujours devant les bars, les consommateurs d'alcool, qui représentent
la clientèle principale, prétextent que la forte teneur en
graisse de ces foetus permet d'éviter l'ébriété.
Photo 14 : Point de vente de soyas de foetus
de vaches au quartier Joli-Soir.
Cliché : Tanlaka Kilian Lamtur, Tirga Albert et Gnebora
Oumarou, le 26/12/05.
7. Les "call-box"
L'activité du taxiphone ou "call box", selon
l'expression rendue populaire au Cameroun, prend son envol pour des
raisons économiques. La téléphonie mobile qui arrive
à peine dans ce pays à la fin des années 1990,
n'était pas à la portée de tout le monde et les
communications coûtaient encore plus chères (environ 1000 f.cfa.
la minute d'appel selon l'opérateur). Pour pallier à cette
situation, ce sont les opérateurs de téléphonie mobiles
eux-mêmes qui ont l'idée des call box. Aujourd'hui dans presque
toutes les grandes villes et même les villages, les jeunes
opérateurs économiques en ont fait tout un métier. Ils se
font appeler call boxeur ou call boxeuse. Ainsi, parmi les
activités du secteur informel les plus en vue actuellement au Cameroun
figurent en bonne place les call box. Cette activité occupe de milliers
de jeunes. Le moins que l'on puisse dire est que les call box ont le vent en
poupe. Les call boxeurs et call boxeuses rencontrés au cours de nos
enquêtes de terrain, disent gagner dignement leur vie grâce
à ce métier.
Pour Viviane, une call boxeuse au Centre Commercial de
Ngaoundéré depuis 2007, « c'est à cause du
chômage que je fais ce métier, le monde de l'emploi est tellement
difficile surtout que tu peux travailler pour quelqu'un aujourd'hui et demain
il te met à la porte ou alors l'entreprise peut faire faillite. Ici je
suis ma propre patronne et je ne me plains pas 256(*)». Pour monter sa petite
entreprise il lui a fallu trouver une somme de 100 000 f.cfa. une table, un
tabouret et un banc pour ses clients, deux téléphones portables
ayant chacun une puce commerciale de l'un des opérateurs de mobile en
activité au Cameroun. À cela, il faut ajouter un crédit de
communication d'au moins 30.000 f.cfa. Elle tient également un cahier
pour noter les différents appels émis par les clients et le
montant payé par ceux-ci. Ainsi, elle travaille de 8h à 15h, et
de 17h à 23h. Si au départ les coûts des appels
étaient fixés à 250 f.cfa., ces prix ont été
revus à la baisse. Aujourd'hui un appel émis (de 0 à 59
secondes) coûte 100 f.cfa, voire 75 f.cfa. Ces prix subissent des
mutations à cause de la concurrence.
L'avantage à Ngaoundéré est que les
opérateurs de call box ne payent pas la taxe de l'Occupation Temporaire
de la Voie publique (O.T.V.P.) aux services de la communauté urbaine
comme cela se fait à Yaoundé par exemple à hauteur de 2000
f.cfa par mois. Elle avoue donc que chaque jour, elle peut faire un
bénéfice de 2000 francs, ce qui revient à 60 000
f.cfa par mois. Certains call boxeurs, les plus futés vendent
également d'autres accessoires comme les cigarettes, les bonbons, les
arachides, les caramels etc.
Quelques mètres plus loin, nous retrouvons les
mêmes installations, mais l'acteur cette fois est un jeune homme, la
trentaine bien entamée. Pierre a ouvert son
« entreprise » après s'être essayé
à plusieurs autres petits métiers. « Lorsque j'ai eu
un peu d'argent, j'ai pensé à ouvrir un call box que je devais
gérer moi même pour pouvoir gagner ma vie 257(*)» se souvient-il.
Pierre résume l'essentiel de son activité en quelques
phrases : « les clients appellent à partir de mon
téléphone. La minute d'appel coûte 100 Francs CFA. Je vends
également des cartes de recharges téléphoniques et je fais
des transferts de crédits d'appel de mon téléphone vers
celui du client ». Pour une durée équivalente, un appel
passé à partir d'un téléphone classique coûte
entre 150 f.cfa et 250 f.cfa en fonction de l'opérateur et des options
d'appel choisis. Pour pouvoir pratiquer de tels tarifs, Pierre comme d'autres
gérants de call box achète des cartes téléphoniques
à des prix préférentiels et bénéficie ainsi
de minutes de communications gratuites. Pour un crédit de communication
de 5.000 f.cfa acheté, il reçoit l'équivalent de 9.000 f.
L'investissement de Pierre porte des fruits. Les bénéfices
tirés de cette activité lui permettent de se loger et de payer
les frais de scolarité de sa fille et de ses frères.
L'activité de ce jeune nécessite toutefois de
l'endurance et de la patience : « je travaille tous les jours de
7h à 21h parfois 22h. Je peux même dire que je ne me repose pas
vraiment car même à la maison, mes voisins viennent cogner
à ma porte après 22h pour passer des appels urgents.» Il
faut dire qu'il est Gbaya de Garoua Boulaï. C'est en 1997 qu'il arrive
à Ngaoundéré, nanti d'un probatoire. Face à la
situation difficile du monde du travail, il est passé par le
métier de mototaximan, ensuite de veilleur de nuit. Mais à chaque
fois, il se sentait exploité par ses patrons. Pour la moto, il
n'était qu'intérimaire, c'est-à-dire qu'il
remplaçait de temps en temps un de ses cousins installé dans la
ville. Cela à l'insu du propriétaire de la moto.
Ce qui a conduit à des problèmes qui ont bien
failli les mener son cousin et lui en prison. En qualité de veilleur de
nuit, il gagnait à peine 15 000 f.cfa pour un métier dont
les risques ne sont pas à préciser dans une ville où
l'insécurité est grande. Ainsi, avec le peu d'argent qu'il avait
réussi à économiser, il a pu mettre sur pied sa petite
entreprise en 2005. Depuis, il a fait et réussi le concours de
l'École Normale des Instituteurs de l'Enseignement Général
(E.N.I.E.G.). Sa formation a pris fin cette année, et maintenant, il est
dans l'attente de l'affectation, qui très souvent arrive après un
an que le nouvel instituteur soit sorti de l'école de formation. Pour ne
pas avoir à mourir de faim, il est retourné sur le trottoir,
plein d'espoir en l'avenir.
Les problèmes rencontrés par Pierre sont communs
à la plupart des call boxeurs de la ville. La gestion des humeurs des
clients pose toujours problème. Il y en a qui, à la fin de leurs
appels se rendent compte qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour
régler leur facture et veulent s'enfuir. D'autres qui refusent de payer
parce que l'appel a été transféré sur un
répondeur ; ceux pour qui le gérant est responsable des
problèmes de mauvaises communication ; ceux qui composent un
mauvais numéro de téléphone et refusent de payer la
communication ; et même ceux qui tentent de s'enfuir avec le
téléphone du gérant du call box. Ce dernier
problème explique la qualité souvent médiocre du
téléphone utilisé par les call boxeurs. Dans un cas comme
dans l'autre, Pierre utilise tous les moyens possibles pour rentrer en
possession de son argent y compris ses poings. À tout cela, il faut
ajouter les intempéries et les agressions. Viviane avoue avoir
été un jour surveillée par deux bandits qui, la nuit quand
elle rentrait, l'ont suivie et agressée. Ils lui ont pris tout son
argent et ses téléphones. À ce moment-là, elle
exerçait au quartier Baladji II. Elle a été obligée
de déplacer son activité au Centre Commercial. Elle
précise qu'elle a eu beaucoup de chance d'avoir été
secourue lorsqu'ils ont essayé de la violer. Mais les bandits n'ont
jamais été arrêtés.
8. Les vendeurs ambulants
Les colporteurs se définissent comme étant des
marchands qui vont de place en place pour proposer leurs marchandises. Cette
activité n'est pas récente dans la ville de
Ngaoundéré, elle existait déjà bien avant
l'arrivée des Allemands et était l'apanage des Kanouri et de
Haoussa. Avec la crise économique qui touche le Cameroun depuis la fin
des années 1980, les bouleversements sociopolitiques des années
1990 et la récession plus récente des années 2000, cette
activité emploie de plus en plus de monde, des jeunes et des moins
jeunes venus d'horizons divers. Il est assez difficile de dire aujourd'hui que
le colportage concerne une seule ethnie. On y retrouve des Sudistes, des
Nordistes, des étrangers (Centrafricains, Nigériens et quelques
ressortissants de l'Afrique de l'Ouest).
Ces personnes commencent leurs activités très
tôt le matin, et s'arrêtent vers 19h-20h. Les produits souvent
proposés sont des chaussures, des compacts discs (C.D.), des
vêtements, des montres, des fers à repasser, des ustensiles de
cuisines, des médicaments...
Les vendeurs de médicaments par exemple commencent la
vente de leurs produits au carrefour Texaco en journée, et lorsque vient
la nuit, se retrouvent au carrefour Jean Congo où ils peuvent vendre
jusque très tard dans la nuit 21h ou même minuit en fonction de
l'affluence dans le secteur. Ils proposent des médicaments divers, sans
que le client n'ait besoin de présenter une quelconque ordonnance.
Généralement peu instruits, ils ne savent que rarement quelle est
la posologie des médicaments qu'ils vendent. Renommés par les
populations « les pharmaciens des pauvres », ces vendeurs
ambulants de médicaments proposent aussi des stupéfiants tels que
le Tramol et ses variantes ; le Diazépam ; l'Exol 5 ; la
Passion... Si l'activité s'est autant développée en peu de
temps c'est aussi en raison du coût élevé des produits en
pharmacie. Par ailleurs, ces dernières ne vendent pas en détails,
on ne peut y acheter un unique comprimé de Paracétamol, il faut
acheter une dose pour un traitement, c'est-à-dire à partir de la
dizaine. Dès lors, les "pharmacies ambulantes" deviennent des solutions
de repli. En raison du poids assez élevé de leurs marchandises,
les vendeurs de médicaments ne se déplacent pas beaucoup,
contrairement aux autres colporteurs.
Photo 15: Vendeurs ambulants de
médicaments au carrefour Jean Congo au quartier Joli
Soir.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
Dans la nuit, ce sont les bars qui sont la cible de ces
vendeurs grâce aux flux de clients potentiels qu'ils
génèrent. Les colporteurs, sur le chemin du retour après
une journée passée à sillonner les quartiers et à
écumer les marchés, passent de bars en bars pour proposer leurs
marchandises. Les clients des débits de boissons peuvent aisément
discuter le prix d'une paire de chaussures ou d'une montre à une somme
qui aurait été le double pour le même produit dans une
boutique. On peut ainsi acheter un fer à repasser à vapeur
à 6000 f.cfa, alors qu'en journée, le vendeur vous le proposerait
à 18 000 f.cfa. Cela s'explique dans la mesure où, le soir
venu, les vendeurs ont en idée de rentrer chez eux. Après les
fortunes diverses rencontrées en journée et la fatigue
accumulée, il s'agit de trouver quelque chose pour ne serait-ce que
nourrir la famille, payer le loyer ou la scolarité. Les prix de vente ne
sont donc plus très élevés et l'objectif est de retrouver
le prix d'achat et un bénéfice de 500 f.cfa par exemple. Si on
les retrouve un peu partout dans la ville, aux endroits les plus bruyants,
certains se déplacent en groupe, soit pour plus de
sécurité, soit pour l'initiation des nouveaux arrivants. Beaucoup
se retrouvent aussi à la gare-voyageurs au départ du train.
9. Les activités à la gare
ferroviaire
Depuis sa création en 1974, la gare ferroviaire de
Ngaoundéré est divisée en deux partie : l'une pour
les marchandises et l'autre pour les voyageurs. En ce qui concerne la
gare-voyageurs, les activités y ont toujours été
interrompues dès 18h. Or, la gare-voyageurs fonctionnait jusqu'à
20h20 min, heure de départ du second train quotidien258(*).
En fonction des gares, des marchés se sont aussi mis en
place. Celui de la gare marchandise se trouvait aux abords du bureau de la
douane, sur le terrain de la REGI.FER.CAM. On pouvait trouver des restaurants,
des boutiques, des téléboutiques, des débits de boissons,
des ateliers de coutures ou de blanchissage. En effet, les services
proposés sont fonction du type de clients auxquels on a affaire. Il
s'agit pour l'essentiel, des camionneurs Tchadiens en transit, les
manutentionnaires, les employés des sociétés de transit et
des personnes venues de la ville. C'est en 1984 que ce marché est
reconnu par les autorités municipales et reversent des droits à
la commune. Ils sont ainsi relogés à l'ouest de la gare
marchandises, de l'autre côté de la route, sur un terrain
appartenant à la commune259(*). Les activités ici commencent à 6h et
s'achèvent vers 18h. Dans la nuit, cette gare devient un
véritable repère de bandits, que côtoient les enfants de la
rue. Il est donc compréhensible que cet endroit soit un lieu de
recrutement pour les gangs de la ville. Il faut tout de même signaler que
certains blanchisseurs y passent parfois la nuit afin de terminer un travail
urgent qui aurait été proposé par un camionneur
pressé par le temps.
Un peu plus loin, se déploie la gare-voyageurs. Avant
la décision de la CAM.RAIL. de réduire à un seul voyage
quotidien les déplacements du train, la gare connaissait une grande
effervescence à partir de 17h, heure à laquelle les voyageurs et
leurs familles commençaient à arriver pour attendre le train. Cet
afflux de clients a permis le développement de petits commerces dont la
clientèle est constituée de cheminots, d'agents de
sécurité et de policiers, d'agents de sociétés de
transport, de manutentionnaires, de passagers, de visiteurs, et même de
personnes venus de la ville juste pour profiter de l'ambiance que suscite la
masse de personnes ainsi rassemblées.
Ces activités commerciales aident bien des familles
à subvenir à leurs besoins quotidiens. On retrouve en plus de ces
petits commerces (restaurants, boutiques, débits de boissons), des
taxiphones, des vendeurs de soya, des vendeuses de poissons à la braise,
d'eau, de chaussures, que l'on rencontre même à l'intérieur
du quai d'embarquement. Ces activités se sont développées
en face du bâtiment principal de la gare-voyageurs, et forment par leurs
baraquements, une ligne. Elles sont reconnues par la commune à qui les
gérants reversent annuellement des frais d'installation. Cependant,
cette mesure ne s'applique pas aux marchants ambulants qui y évoluent de
manière informelle.
Dès le départ du train, les activités
s'arrêtent et tout le monde se dirige vers la ville. Le poste de police
et quelques veilleurs de nuit assurent la sécurité ici. Mais,
avec le départ du train désormais fixé à 18h 15
min, les activités à la gare-voyageurs s'arrêtent plus
tôt et il ne reste plus pour les commerçants, que l'espoir d'un
départ retardé ou un déraillement qui cloueraient les
voyageurs sur place. Cette situation arrive assez souvent. Nous pouvons ainsi
nous rappeler des évènements récents en fin août et
pendant le mois de septembre, évènements consécutifs au
déraillement qui eut lieu à l'entrée de la ville de
Yaoundé, et dont les conséquences se firent ressentir
jusqu'à Ngaoundéré.
Pendant cette période, le train partait de la gare vers
1h du matin, parfois 4h. Ce qui avait pour effet d'obliger les voyageurs
à rester sur place. La situation était telle que si un voyageur
s'en allait il courait le risque de perdre sa place ou tout simplement de rater
le train. Le nombre de wagons avait été réduit et la
vitesse des trains baissée au minimum afin d'éviter tout risque.
Ces retards, qui n'ont pas commencé cette année, expliquent en
grande partie le développement du secteur agroalimentaire. On y retrouve
essentiellement des femmes, venus pour la plupart du Sud du pays, par le train
qui les fait vivre aujourd'hui. Nous pouvons ainsi citer Mâ Pau, femme
Nanga Eboko d'une quarantaine d'années, qui tient un restaurant dans un
des hangars de la gare-voyageurs.
Arrivée à Ngaoundéré depuis une
vingtaine d'années, elle s'est installée à la gare et loue
une maison à Sabongari. Dans son restaurant, qui jouxte l'avant-dernier
bar en allant vers l'Est du marché, elle vend du poisson, du poulet, de
la viande de brousse (malgré les interdits de la CAM.RAIL. à ce
propos). Les prix varient entre 1000 f.cfa et 1500 f.cfa en fonction du mets.
De temps en temps, elle se fait aider par une de ses nièces, venue du
village pour cette fin. Pour elle, les déraillements sont une aubaine
commerciale. Certes c'est dangereux, mais précise-t-elle, « ce
n'est pas de sa faute »260(*).
Malheureusement, on peut aujourd'hui se faire dérober
facilement le porte-monnaie, le téléphone portable ou tout autre
objet précieux. Tout cela peut être imputé à la
crise économique qui provoque un exode rural massif. Si les
garçons se muent en voleurs, les jeunes filles quant à elles font
du commerce du sexe leur principal gagne pain.
10. Le commerce du sexe
Avec l'indépendance, la prostitution est purement et
simplement réprimée par la loi, à travers les articles 294
et 343 du code pénal camerounais entre autres. Dans une ville où
les lois islamiques et la tradition sont aussi dominantes que dans la ville de
Ngaoundéré, il était presque inadmissible de parler ou de
pratiquer vertement la prostitution. Elle se pratiquait donc de manière
très discrète. Parfois sans rémunération en argent,
puisque les clients offraient essentiellement des cadeaux en nature, pagnes par
exemple.261(*) Mais, le
commerce du sexe prend véritablement de l'ampleur avec l'arrivée
des étrangers dans la ville de Ngaoundéré, principalement
des Bamoun et la création du quartier Baladji. Elles passent pour
être les premières à avoir ouvert des circuits où
elles vendaient des boissons alcoolisées, des mets et bien sûr
leurs corps dans ce quartier.262(*) Il faut pourtant attendre l'inauguration et la mise
en service du chemin de fer Transcamerounais pour que l'activité prenne
l'allure que nous lui connaissons aujourd'hui.
Plusieurs raisons expliquent le fait que ce commerce se soit
autant développé au fil des années. Tout d'abord, il faut
dire que la prostitution la plus flagrante se développe dans des
quartiers cosmopolites où l'on retrouve plusieurs groupes ethniques et
plusieurs nationalités (Baladji I et Joli-Soir en sont des illustrations
patentes). Ensuite, dans ces zones, il prospère des débits de
boissons, que les boissons soient modernes ou traditionnelles. Le dicton ne
dit-il pas que Bacchus mène à Venus ? On retrouve parmi les
personnes pratiquant l'activité de prostituées, plusieurs
nationalités, camerounaise, nigériane, centrafricaine,
tchadienne. Parmi les camerounaises recensées au cours de nos descentes
sur le terrain, on peut énumérer certains groupes ethniques les
plus représentés à savoir : les Makia, des Nanga
Eboko, et les Kaka. Leur grand nombre peut se comprendre par le taux
d'alphabétisation très bas dans la province de l'Est, le plus
faible du pays.263(*) Il
apparaît en effet que la majorité des prostituées issues de
cette région a un niveau intellectuel qui, très souvent, ne
dépasse pas le primaire. L'autre raison motivante est le niveau de vie
des populations dans cette zone, très bas. La région de
Ngaoundéré représente ainsi une sorte non pas d'Eldorado,
mais de tremplin vers un avenir un peu plus radieux. Il ne faut sans doute pas
négliger l'impact du chemin de fer qui passe par Belabo et Nanga
Eboko. Ces deux gares intermédiaires facilitent les déplacements
de la population qui, généralement ne paye pas les frais de
transport, au profit d'un «arrangement à l'amiable» avec le
contrôleur.
On retrouve aussi d'autres groupes ethniques dans ce
melting pot d'individus, les Béti en général, les
Bamiléké, les Bamoun, et aujourd'hui, il serait difficile de
faire l'exclusion d'une ethnie en particulier, tant il est vrai qu'on les
retrouve presque toute. Au-delà des raisons déjà
évoquées, nous pouvons y ajouter les mauvaises conditions de vie
des populations qui n'ont pratiquement pas d'autre issue face à la
pauvreté ambiante depuis les années 80-90. Avant cette
période, les prostituées étaient essentiellement
d'âge mûr. Aujourd'hui, l'âge moyen a considérablement
baissé. Il n'est pas rare de retrouver de jeune collégienne de
13-16 ans à peine, se livrer à cette activité. Souvent
pour nourrir une famille que le père a désertée et face
à la maladie d'une mère, impuissante face à cette
dégradation du corps de sa fille aînée.
Telle est le cas de Mélanie, élève au
C.E.S. (Collège d'Enseignement Secondaire) de Sabongari, qui ne cache
pas le fait qu'elle a deux noms, celui du jour et celui de la nuit, celui
qu'elle nous donne, nous dit-elle, est celui de la nuit. Elle est
âgée de 16 ans et tient un «comptoir» au
carrefour de la joie à Joli-Soir. Son père s'en est allé
lorsqu'elle avait l'âge de 10 ans, abandonnant une femme et quatre
enfants. Sorti un matin, il n'est plus jamais revenu. Sa mère a dû
pendant quelque temps se livrer au commerce des vivres, mais sans un
véritable fond, elle a très vite baissé les bras pour se
mettre au commerce du sexe. Atteinte aujourd'hui d'une maladie que sa fille n'a
pas voulu préciser, elle ne peut continuer ses activités. C'est
donc à sa fille, jeune Gbaya, que revenait la lourde
responsabilité à 15 ans de s'occuper de la famille. Grâce
aux multiples tontines (sorte de coopérative traditionnelle où on
reverse et reçoit de l'argent selon une périodicité
définie), qu'elle parvient, non seulement à nourrir la famille,
mais aussi à les inscrire à l'école. Cette jeune fille,
devenue femme avant d'avoir vécue l'adolescence, reconnaît
néanmoins l'importance de l'école, pour que sa jeune soeur,
âgée de 12 ans, ne suive pas ses traces et celles de leur
mère.264(*)
En fait, le cas de la mère de cette jeune fille n'est
pas isolé, la plupart des prostituées reconnaissent que c'est
à la suite de l'abandon de leurs maris ou de divorce dont elles ne vous
diront jamais les raisons exactes, qu'elles ont dû se plier à se
commerce.265(*) Cette
raison était déjà évoquée par Froelich :
« La femme interrogée est d'origine peul ; elle est
mariée, mais son mari est parti à Bangui depuis longtemps et n'a
pas réapparu (c'est l'explication classique). »266(*) Il faut ajouter
à tout cela le fait que les femmes déjà bien
installées dans la ville et avec une clientèle
régulière, font venir celles qui sont restées au village,
soeurs, cousines...pour la même activité.
Le commerce du sexe n'exclut pas de religion. On retrouve
parmi les prostituées toutes les obédiences. Il faut dire que les
clients aussi sont de toutes les obédiences. En effet, la
clientèle des prostituées est aussi variée que la
population de la ville elle-même. On y retrouve toutes les
catégories socioprofessionnelles. Seuls les expatriés
«blancs» ne viennent pas à Baladji, préférant
être «servis» dans leurs chambres d'hôtels ou
d'auberges.267(*) Cette
attitude met en exergue plusieurs formes de prostitution dans la ville de
Ngaoundéré.
Dans cette ville, on peut tout d'abord citer les
prostituées de la route, celles qui font le «trottoir» ou le
«poteau» (expressions qui tiennent au fait qu'elles sont toujours
soit au bord de la route, soit accoudées à un poteau
électrique dans l'attente d'un éventuel client).
Généralement, elles sont plusieurs à habiter dans une
maison, où elles reviennent dans la nuit de temps à autre avec un
client. Une fois la besogne terminée, elles sont payées et
retournent au trottoir. On les retrouve au quartier Joli-Soir entre le
Carrefour Gabriel et le Carrefour de la Joie, mais aussi entre le carrefour
tissu et le Carrefour de la Joie, sans oublier qu'entre ce même carrefour
jusqu'au carrefour à l'entrée sud du Petit Marché, on peut
être accosté par une fille de joie à n'importe quelle heure
de la nuit. Même si elles disent de prime abord que les prix
pratiqués sont à partir de 1000 f.cfa, tout dépend en fait
de l'aspect physique du client, de l'allure et de l'âge. Car, ce prix
peut très vite dégringoler à 500 f.cfa, voire 300 f.cfa ou
alors grimper jusqu'à 5000 f.cfa.
Photo 16 : Quelques prostituées
dans la pénombre du bar "Carrefour de la Joie plus" au carrefour Jean
Congo ; en par-dessus gris, on peut distinguer leur "protecteur"268(*).
Cliché : Owona, le 23 août 1009.
Ensuite nous avons celles qui louent des chambres dans des
auberges et qui s'entendent pour une rémunération avec le
propriétaire. A la fin de chaque mois, elles lui reversent des
dividendes. Ces auberges de joie se reconnaissent assez facilement à la
lumière rouge qui s'allume à l'extérieur à partir
de 21 heures ou 22 heures. Il s'agit d'un code pour tout initié. Cette
lumière vaut justement le surnom d'«ampoule rouge»
à ces auberges. Toujours dans le même style, nous avons des
prostituées employées dans des circuits. Elles y viennent pour la
nuit, y ont une chambre et s'y installent. Elles sont sous le couvert d'une
matrone, gérante et propriétaire, chargée de l'accueil et
de l'orientation des clients, à qui l'on doit reverser la recette contre
salaire et protection sociale. Un circuit classique est constitué d'un
espace réservé aux consommateurs d'alcool, avec un bar attenant.
Il est aménagé des espaces pour une certaine intimité des
consommateurs tout à côté ; et enfin les chambres
où se trouvent les filles de joie. Il faut, dans ce cadre,
détenir à partir de 2000 f.cfa. Celles de cette catégorie,
une fois le travail terminé vers 2 ou 3 heures du matin, selon les
périodes, rentrent dans leurs domiciles, où elles avouent que
leurs enfants ne savent pas ce qu'elles font pour les nourrir.
Photo 17 : "Ampoule Rouge" indiquant la
présence d'une auberge au carrefour Tissu.
Cliché : Owona, le 23 août 2009.
Il y a à côté de ces prostituées,
celles qui se font appeler elles-mêmes «poules de luxe», on ne
les trouve pas à Baladji et s'adressent à une clientèle
très sélecte. Elles sont en contact avec des hommes d'affaires,
des administrateurs, en fait la haute société de la ville. C'est
à elles que les hôtels font appel pour égayer les nuits des
clients importants. Pour elles, les prix sont indéterminés, juste
très élevés pour le Camerounais moyen, c'est-à-dire
à partir de 10 000 f.cfa.
Citons aussi les «petites prostituées très
embêtantes» (P.P.T.E.) comme on les appelle dans le milieu, et qui
baissent gravement les prix de l'avis de Ma Henriette, qui se fait nommer ainsi
à cause de son âge avancé, plus de 25 ans de
«service» à son compteur. Ces P.P.T.E. sont en
général des étudiantes, des élèves et des
nigérianes. À cause de leurs corps encore très avantageux,
elles ravissent toute la clientèle en mal de chair fraîche.
Enfin, il s'est développé une forme de
prostitution assez hypocrite qui se cache sous le couvert de la vente ambulante
de produits alimentaires. Certes celle-ci est essentiellement diurne, mais il
s'agit du même vice. Les prostituées, pour se protéger,
peuvent faire recours aux services d'un protecteur (voir photo 17) ou
simplement user de la solidarité qui existe entre elles, lorsque l'une
est en danger, elle crie et toutes les autres viennent à son secours, ce
cri est strident, comparable aux youyous des peuples de la Région du
centre Cameroun.
IV. TOPONYMIE DES LIEUX
D'ACTIVITÉS DE LA NUIT
La toponymie est la science qui étudie les noms
de lieux (toponymes). Elle se propose de rechercher leur signification, leur
étymologie, mais aussi leurs transformations au fil des
siècles269(*). Le mot
toponymie est étymologiquement grec, de topos qui signifie lieu, et
onoma, qui veut dire nom. C'est donc une science qui a pour objet
l'étude de la formation et de l'évolution des noms de lieux, ou
toponymes. C'est également l'ensemble des noms de lieux d'un pays ou
d'une région, d'une carte ou d'une nomenclature. Il est
intéressant de jeter un regard sur les noms des lieux d'activités
de la nuit. On constate qu'ils sont révélateurs de la
personnalité du propriétaire, de l'emplacement
géographique, du public cible et constituent la première
publicité de l'établissement par leur suggestivité.
En observant attentivement la carte touristique (page
suivante) de la ville de Ngaoundéré, on peut remarquer que la
plupart des services publics sont situés au centre ville. Les bars,
boîtes de nuit, restaurants modernes, et bars sont situés à
l'extérieur de l'ancienne cité essentiellement. L'emplacement
géographique influence le choix du nom donné à ces
commerces en fonction de la clientèle susceptible de s'y
récréer. Au Centre Commercial, les noms sont assez
européanisés, en fonction des premiers propriétaires qui
étaient soit Libanais soit Européens, et aussi à cause de
la clientèle constituée des fonctionnaires de la ville, des
hommes d'affaire, des administrateurs et des touristes.
On retrouve donc ici une clientèle assez
selecte. Le nom du bar ou du restaurant doit donc être la marque du
sérieux de l'établissement commercial. On peut ainsi citer les
restaurants Coffee Shop, Delfood, les snacks bars restaurants Marhaba (nom
arabe), La Plazza, Le Saphir, Adamaoua Loisirs. On peut aussi citer du
côté de l'E.H.T. CEMAC à Socaret, le bar Climat d'Afrique.
Ces bars et restaurants, de par leurs infrastructures attirent une
clientèle importante parmi les personnes qui veulent se mettre à
l'aise tout en parlant affaire, sans avoir à se mélanger à
la "populace". Et les prix qui y sont pratiqués sont aussi un
baromètre qui permet de tamiser les clients les moins nantis. Ceux-ci se
retrouvent à Baladji I ou à Joli-Soir, où les noms sont
l'expression du milieu mais aussi du type de services proposés.
Il est important de rappeler que les quartiers
Baladji et Joli-Soir ont été fondés avec les
différentes vagues migratoires qui ont vu s'installer les populations du
Sud du pays dans la ville de Ngaoundéré. Ce qui est aujourd'hui
connu sous le nom de Joli-Soir était au départ le Camp Boucarou,
l'occupation de cet espace est plus ancienne que sa dénomination. Il est
habité par les Mboumbabal (Laka, Sara, Gambaï, Bumpana), le long de
l'axe principal actuel du petit marché jusqu'au carrefour Aladji Abbo.
C'est en 1962 qu'interviennent les premiers tracés de la route par la
mairie, ce qui aura pour effet de faciliter l'installation de cet espace jusque
là réservé au cimetière des non-musulmans.
À sa création, le quartier Joli-Soir est
occupé par des populations sans grands revenus, il s'agissait de
cultivateurs, de domestiques, de cuisiniers des Blancs. Pour subvenir à
leurs besoins, ils encouragent leurs femmes à vendre des boissons
traditionnelles. La commercialisation est encouragée par la levée
des sanctions qui pesaient sur la vente d'alcool après les
indépendances. Par ailleurs, le lamido n'avait plus le pouvoir
d'arrêter les populations à sa guise. Dès lors, l'alcool
coule à flots et les soirs sont marqués par des danses, des
bagarres, le tout rythmé aux sons des tambours. Cette ambiance nocturne
fera naître le nom Joli-Soir.
Du carrefour Mini Mode à Baladji I, en passant par le
carrefour Gabriel et le carrefour Jean Congo jusqu'au carrefour Aladji Abbo,
une longue série de bars vous accueillent et rendent presqu'impossible
la démarcation entre Baladji I et Joli-Soir. Les deux carrefours les
plus importants dans les activités de la nuit dans la ville étant
Gabriel et Jean Congo.
Les noms de ces deux carrefours sont aujourd'hui de
véritables énigmes. Pour certains, l'un des premiers habitants du
coin s'appelait Gabriel, peut-être a-t-il été l'un des
propriétaires des premiers bars dans le quartier. Pour d'autres, il
s'agissait d'un Bamiléké éleveur de porcs. Cette
deuxième explication nous semble assez plausible du fait qu'il s'est
développé à cet endroit un commerce de viande de porc
cuite à la vapeur et revendue à 500 f.cfa pièce.
Aujourd'hui, l'autre nom donné au porc dans la ville est justement
le Gabriel.
Pour ce qui est de Jean Congo, les supputations vont dans le
sens de montrer que ledit Jean Congo était certainement
cordonnier270(*). Tout
compte fait, ce carrefour est aujourd'hui en train de prendre un autre
nom : "carrefour de la joie plus". Cela s'explique en raison du
bar qui y trône Le Carrefour de la Joie + ; le plus (+)
parce qu'il est inspiré de celui très célèbre
déjà existant dans la ville de Yaoundé. On y retrouve des
vendeurs de nourriture, des prostituées, des mototaximen... à tel
point que certains superstitieux du quartier en viennent à penser que
les morts enterrés dans cet ancien cimetière reviennent à
la vie tant l'embouteillage est grand et rend difficile la circulation
même des piétons. Les autres bars environnants prennent des noms
tout aussi significatifs en raison de la publicité.
À bien observer, on constate que le nom d'un produit
est parfois l'une des premières motivations justifiant son achat. Pour
les lieux d'activités de nuit, la règle est aussi
respectée. À Baladji I par exemple, dans la rue qu'occupe les
prostituées, entre le carrefour abritant la boutique Eurocasse et le
carrefour Gabriel, on peut prendre une bière à String
Bar, ou encore chez son concurrent d'en face Sans Caleçon
Bar. Le dessin du caleçon qui accueille le client à la porte
vient compléter un tableau déjà bien fourni par les
différentes prostituées qui vous accostent à
l'entrée. Ces bars sont peu éclairés à dessein, on
peut y boire et continuer la soirée dans une des multiples chambres que
louent les prostituées dans le coin.
Un peu plus loin dans une autre rue, on retrouve le Katino
Bar, coin prisé par les jeunes élèves de la ville,
qui y organisent assez souvent leurs fêtes de fin d'année. La
location y est raisonnable, comparativement au Marhaba et au
Boucarou. Le nom donné à se bar évoque celui de
l'artiste musicienne K-Tino, dont la popularité en
qualité de "femme du peuple" a été acquise
grâce à ses prestations scéniques osées et à
ses chansons dont le sexe est souvent le thème central. Les chansons
à la mode inspirent nombre de propriétaires de débits de
boissons. On peut ainsi retrouver le circuit Mami Frotambo, dont le
nom est inspiré d'une chanson de l'artiste musicien Petit Pays,
dont la popularité n'a d'égale que celle de K-Tino
déjà citée, et pour les mêmes raisons.
Si le sexe et les musiciens sont dans cette partie de la ville
les principales sources d'inspiration, la qualité de l'accueil est aussi
utilisée. On peut donc voir par exemple Le Cercle des Amis Bar
ou le Djabama (bienvenu en fulfulde), le premier
à Baladji I et le second à Joli-Soir. Cet accueil, tous les
établissements commerciaux la veulent unique, et se présentent
souvent aux potentiels clients comme les seuls endroits où l'on peut se
mettre à l'aise (Destination Bar ; Excellence
Bar ; Coin de Détente ; L'Endroit
Unique) ; ou comme les seuls capables de vous garantir la
discrétion dans des lieux généralement plein de monde. Il
ne faut pas négliger que ceux qui sortent la nuit ne veulent justement
pas être vus.
Le nom de l'établissement commercial tient aussi compte
de l'origine du propriétaire. Il ne faut pas mettre de côté
le fait que certains clients choisissent le lieu où ils vont se
récréer en fonction de l'origine du propriétaire. Nous
pouvons ainsi remarquer le Bana Bar (au carrefour Gabriel),
détenu par un ressortissant de Bana à l'Ouest ; le Sawa
Bar (détenu par un ressortissant du Littoral (après le
carrefour Jean Congo) ou encore le Danay Bar (Extrême-Nord). Les
débits de boissons sans nom sont baptisés par les populations
généralement du nom du propriétaire.
Au quartier Ndelbé, le tout premier bar qui y ouvre ses
portes en 1989 est le Gaduuru Bar. En fulfulde, le terme
gaduuru veut dire porc. Or, il se trouve que le
propriétaire élevait justement des porcs. Réputé
blagueur auprès des populations du quartier, il estimait être un
musulman, de surcroît un Aladji271(*). Il sera donc surnommé Aladji Gaduuru. Plus
loin dans le même quartier, on retrouve le Pentagone,
propriété d'un colonel de l'armée de terre camerounaise.
Le nom donné au bar rappelle celui du ministère de la
défense américaine.
Au regard de ce qui précède, il apparaît
que les noms sont choisis soit en fonction de l'emplacement géographique
de l'établissement ; soit en fonction du type et de la
qualité des services que le propriétaire proposerait, donc dans
une utilité publicitaire. On pourrait aussi y voir l'expression des
schèmes que les médias installent dans les consciences des
consommateurs à travers la musique ou le cinéma. Et enfin en
fonction de l'identification de l'établissement à son
propriétaire, à l'instar des boulangeries (Helou,
Dabadji, Seumetem) ou de l'origine tribale de celui-ci. Les
noms font en grande partie la popularité des débits de boissons,
au point où l'on peut s'en servir comme repères
géographiques. Il y a ainsi une inter-influence entre les noms des
quartiers et les noms des débits de boisson. Malheureusement, c'est
aussi cette popularité qui attire les bandits.
CHAPITRE III : LES PROBLÈMES LIÉS
À LA VIE DE NUIT ET LES ACTIONS DES AUTORITÉS
III. LES PROBLÈMES LIÉS À LA VIE DE
NUIT
La nuit se révèle très souvent être
un moment où tout est permis. En la faveur de l'obscurité qu'elle
procure, les hommes sont enclins à se livrer à tous les
excès. Cet état de chose a naturellement des conséquences
allant de l'insécurité à la pollution, en passant par la
drogue.
4. L'insécurité
C'est dans les années 1990 que la criminalité a
véritablement pris une tournure critique dans la ville de
Ngaoundéré272(*). En effet, les mouvements politiques qui ont lieu
à la suite de la légalisation du multipartisme, trouvèrent
ici un écho favorable. Ajoutés à la pauvreté et la
sous-scolarisation de la jeunesse, l'exode rural et le manque de perspective
d'avenir, la ville et ses environs deviennent donc de véritable lieu
d'insécurité urbaine, qui ne laisse aucun cercle inviolé.
Même les lieux de culte et les religieux sont aujourd'hui la cible des
malfaiteurs. On peut se souvenir de l'assassinat d'Yves Plumey dans la nuit du
2 au 3 septembre 1991273(*).
Une précision est tout de même nécessaire,
à savoir que le banditisme se présente de nos jours comme une
alternative de métier. Si être bandit est un métier, ce que
la société attend de ceux qui font ce choix c'est
d'en :
Assumer les conséquences, même capitales, comme
on en tire les dividendes, plus lucratives que la plupart des activités
honnêtes. Tout ce que la conscience collective demande au bandit, c'est
de mourir dignement, sans se renier, sans pleurs, sans suppliques. A titre
posthume, son "courage" rejaillira sur ses proches parents qui, tout de
même, auront compté dans leurs rangs un homme
célèbre.274(*)
La criminalité évolue dans la ville, ce d'autant
plus qu'il y existe ce que l'on pourrait appeler une culture du courage.
« Pour ne prendre que la période postcoloniale, un rapide
examen exhume des noms célèbres, intrépides. Ce sont
très souvent des individus dont les personnes âgées parlent
avec émotion, leur attribuant une certaine dimension chevaleresque.
Autour de certains, se sont construites de véritables
épopées, louanges à la gloire posthume d'hommes
assurément exceptionnels 275(*)».
Cette vision des bandits ne peut qu'encourager les jeunes
désoeuvrés, au nom de la loi devenue maintenant populaire :
« vivre heureux et mourir jeune », puisque la mort est
inévitable. Les actions des bandits sont malheureusement
encouragées par les parents qui, conscients du fait que leur enfant est
sans emploi, ne s'inquiètent pas de la provenance de ses revenus, ou
tout simplement font mine de ne rien voir. Parfois, ils sont eux-mêmes
dans la peur de la réaction de leurs fils, qui pourraient leur
ôter la vie. Le travail de la Police n'es est que plus difficile. En
effet, les parents et les habitants des quartiers ont tellement peur de
dénoncer ces bandits, qu'ils connaissent pourtant très bien. Les
représailles pourraient être très sanglantes.
L'action de la police est elle-même freinée par
une implication de ses éléments dans le gangstérisme
urbain. Tout récemment encore, dans la nuit du 19 au 20 janvier 2009 un
cambriolage dans les locaux du commissariat central impliquait un inspecteur de
police. Les bureaux du commissaire central et de son adjoint avaient
été "visités". Le butin se constituait d'une somme de 4
pistolets automatiques, plus de 250 munitions et 408 000 f.cfa276(*). La mission d'enquête
conduite par l'inspecteur N°3 à la délégation
générale à la sûreté nationale et
composée de deux éléments de la direction de la
sécurité publique, quatre de la direction de la police
judiciaire, et du groupement spécial d'opération a conduit trois
jours durant les enquêtes en collaboration avec la division
régionale de la Police judiciaire de l'Adamaoua. Des enquêtes qui
avaient conduit à l'interpellation de neuf personnels de la
sûreté nationale, tous de faction le jour du cambriolage.
À l'issue des enquêtes, huit des policiers
gardés à vue ont été relâchés tandis
qu'un inspecteur de police a été transféré à
Yaoundé. Il s'agissait de l'inspecteur Mbarkao Mbanga Daniel. Par
ailleurs, le scénario envisagé par l'enquête fait
état de ce que le suspect qui était de service ce jour là,
était de mèche avec les voleurs qui seraient venus de
l'extérieur. En fait l'inspecteur Mbarkao Daniel aurait ainsi ouvert la
porte de secours proche des bureaux cambriolés aux malfrats.
Après ce forfait, il serait retourné distraire ses copains de
garde qui se trouvaient à l'entrée principale. Le suspect aurait
déserté son poste la nuit du cambriolage et serait revenu aux
alentours de 02h du matin. Heure à laquelle l'on a découvert que
la porte de secours était ouverte277(*).
Ce qui précède permet de constater que la police
est malheureusement complice dans la montée du banditisme. Cependant, il
faut dire que les grandes vagues migratoires dans la ville ne sont pas en
reste. En effet, pour Mohammadou Djaouro278(*), il est maintenant impossible pour lui de
reconnaître la moitié des enfants qui jouent devant sa porte, tant
ils sont nombreux. Autrefois dit-il, la ville était petite et tout le
monde se connaissait. On savait que tel jeune vient de Tongo ou de Bali. Mais
cela est aujourd'hui difficile. Il précise aussi que les parents sont de
plus en plus irresponsable te abandonne leurs enfants à la rue. Ceux-ci
grandissent en s'éduquant eux-mêmes. Ainsi, ils commencent tous
par se faire enfants de la rue où ils sont exposés à la
drogue, et en la faveur de quelques passages en prison, ils se muent en
véritables bandits279(*).
Pour Mme Ngodjock Bernadette, affectueusement appelée
Mâ Berna', habitante du quartier Sabongari Gare, les nuits de pluies sont
très délicates. Il faut dormir pendant cette période d'un
oeil parce qu'à tout moment votre porte pourrait être
cassée par un voleur. Au cours d'une nuit dit-elle, elle ne fut
sauvée que parce que le bandit l'entendit causer au
téléphone. Profitant des promotions faites par les
opérateurs de téléphonie mobile pour les appels de nuit,
elle causait avec sa fille. Aux sons des pas à l'extérieur, elle
éleva la voix afin que l'intrus sache qu'elle était
éveillée. Employée au collège Mazenod, cette dame,
bassa et mariée à un bassa islamisé, a perdu son fils en
2008. Devenu bandit lui-même, il a été assassiné
d'une balle dans la tête, apparemment par les autres membres de son gang.
Mais, l'usage des armes à feu dans les braquages et
autres actes de banditisme est un phénomène assez récent.
Bien avant les années 1990, on ne dénombre pas d'agressions avec
usage d'armes. Les couteaux et les poignards apparaissent avec les mouvements
politiques auxquels nous avons déjà fait référence,
et la vulnérabilité des forces de police pendant cette
période280(*).
Ces outils, les plus fréquemment dénoncés par les
personnes agressées, ne cessent de faire des victimes. À la
moindre réticence, les bandits n'hésitent pas à
poignarder. Les périodes de jeûne de Ramadan sont aujourd'hui
réputés comme étant les plus dangereuses dans la ville,
puisque les hommes doivent nourrir un peu plus la famille, et acheter les
vêtements neufs pour les femmes et les enfants281(*). Même si les
non-musulmans profitent de ce temps de terreur et du laxisme apparent de la
police pour commettre leurs méfaits.
Dès 2000, l'augmentation du nombre de motos dans la
ville réoriente les activités des malfrats. Avec leurs couteaux,
ils sèment des embuscades, arrachent les motos qu'ils revendent sans
peine. Aujourd'hui, il faut préciser que même les conducteurs de
mototaxis sont eux-mêmes impliqués dans les agressions. Il est de
plus en plus risqué d'emprunter une moto dans la nuit. De l'avis de
Fouda Guy282(*), entre
2002 et 2003, les bandits s'arrangeaient à transporter les passagers
vers des destinations qu'ils n'avaient pas désiré. Ainsi, on vous
amenait dans le bosquet situé entre le Collège de Mazenod et la
Centrale SONEL, vous étiez dépouillé, au risque d'y
laisser la vie. L'endroit étant obscur, et peu fréquenté,
la nuit devient donc un moment de tous les dangers. Cette partie de la ville
n'est pas la seule où ce type de problème se pose. On peut citer
la route longeant le Champ de Prière, ou celle qui traverse l'Alliance
Franco-camerounaise, ou le carrefour Douze Poteaux au quartier Sabongari.
Les vols et agressions avec l'usage d'armes à feu se
font aussi de plus en plus récurrents. Mais, ces personnes s'attaquent
difficilement aux petites gens, que l'on pourrait qualifier de pauvres. Cette
tranche de la population est l'apanage de ceux armés de couteaux et de
poignards en général. Ceux qui sont pourvus d'armes à feu
s'attaquent aux personnes nanties ou à des entreprises. On peut ainsi se
rappeler de l'attaque de l'agence de la société de transfert
d'argent Express Union en 2007. Attaque qui a donné lieu
à des échanges nourris de coups de feu qui a en pour
conséquence la mort d'un inspecteur de police.
Face à cela, devrait-on éviter les motos
lorsqu'on sait qu'aller à pieds est tout aussi dangereux ? La seule
solution serait certainement d'être chez soi avant 19h et d'éviter
de sortir de nuit. Mais, comme nous l'avons vu, même chez soi, rien ne
garantit la sécurité. Le problème du banditisme est donc
une véritable épine dans le pied de la ville de
Ngaoundéré. La criminalité à
Ngaoundéré est en grande partie due au problème de drogue
auquel les autorités ont du mal à stopper.
5. La consommation de la drogue
Selon une enquête menée en 2002 par Emmanuel
Wansi 283(*) sur un plan
national, près de 25% de jeunes âgés de 15 ans consomment
la drogue. Chez les adultes, près de 33% des femmes
quadragénaires tentent l`expérience, contre à peine 15%
des hommes du même âge. On note, en outre, des disparités
socioprofessionnelles parmi les consommateurs. Seulement 8% de personnes ayant
reçu une éducation supérieure ont pris des drogues avant
l`âge de 16 ans, contre 22% de ceux qui n`ont pas pu poursuivre leurs
études. La consommation de la drogue est particulièrement
accentuée dans les maisons d`arrêt. Les principales raisons
évoquées sont les difficultés de la vie, les ennuis
financiers, la curiosité ou simplement pour se sentir bien. Il est vrai
que les drogue vendues dans la ville sont diverses, mais il convient de
s'attarder sur une en particulier : le Tramol.
Le Tramol, encore appelé Tramadol,
est un analgésique central ayant une activité proche de celle de
la codéine, car il est un analogue de celle-ci. Il peut entraîner
une dépendance. Ses modes d'actions ne sont pas encore
complètement connus, en plus de son action analgésique due au
fixement sur les récepteurs morphiniques, il semble également
empêcher la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline, selon les doses utilisées. Il peut être
utilisé par voie veineuse. Les doses utilisées sont de 50
à 100 milligrammes. Sa demi-vie est de cinq à sept heures, son
élimination est essentiellement rénale. Les effets secondaires
sont : nausées, vertiges, douleurs d'estomac, hypoglycémies,
anxiété, crise d'angoisse, dépression (sur le long terme).
Une dose trop importante de Tramadol (plus de 400 milligrammes en une
prise) peut entraîner un collapsus284(*) suivi de spasmes et contractions musculaires
importantes, la crise ressemblant symptomatiquement à
l'épilepsie. Il n'est pas recommandé de prendre plus de 400
milligrammes par 24 heures285(*).
Le centre commercial de la ville de
Ngaoundéré a été pendant longtemps un haut lieu de
distribution de Tramol. L'un des principaux points où il
était consommé était le lieu de la vente de thé et
de bouillie et de chaï (sorte de thé local) au carrefour
dit An 2000. L'étranger à la ville ne s'imaginerait
même pas ce qui s'échange à cet endroit. Au levé du
jour et à la tombée de la nuit, on y retrouvait une multitude de
motocyclettes, destinées au taxi. Leurs chauffeurs, accroupis, assis
à même le sol ou sur un banc de fortune, se réchauffaient
avant d'entamer une journée ou une nuit de travail. Autour des tasses,
une dizaine de jeunes gens prennent leur «remontant»
agrémenté de Tramol.
Avec la nomination du nouveau délégué du
gouvernement, l'endroit a été assaini. Mais la consommation elle,
continue. Le soir venu, en face du studio photo Fujifilm, des vendeurs
de bouillie et de beignets se chargent de ravitailler en drogue les mototaximen
qui prennent le service de nuit. De l'autre côté de la route, le
même service avec cette fois du lait, des oeufs, du thé et du pain
pour nourrir les différents clients, qui profitent de cet espace de
temps pour prendre leur dose quotidienne de stupéfiants.
Photo 18 : Vente de beignets et
bouillie au carrefour An 2000 à côté du studio photo
Fujifilm.
Cliché : Owona, le 21 août 2009.
Le fief du Tramol est tenu, selon notre informateur,
par un certain Issa dit Longuè Longuè. Son
entrepôt serait situé au Grand Marché. Il faut dire que cet
individu se ravitaille au Nigeria essentiellement. Ses revenus sont
estimés à plus de 20 000 f.cfa par jour. La marchandise est
acheminée sur le territoire camerounais par des motos qui empruntent des
voies de contournement. D'autres importateurs la dissimulent soigneusement dans
des camions ou des véhicules personnels.
Pour acheter du Tramol, les codes sont multiples. Par
exemple, vous pouvez demander au vendeur de vous donner le
« mbaï » (le manioc). Le manioc ici
étant réputé procurer la vigueur à l'homme. Ou
encore demander le « biriiji » (l'arachide). Les
comprimés sont essentiellement vendus auprès de tous les vendeurs
ambulants de médicaments. Et parfois auprès des call-box en
fonction du quartier (à Bali par exemple). D'autres drogues telles que
le cannabis ou le chanvre indien s'acquiert principalement à la
gare-voyageurs. Mais, pour tout achat, la maitrise du fulfulde est
impérative. Les vendeurs sont assez méfiants.
Le prétexte que les consommateurs de Tramol
brandissent est, le plus souvent, celui de l'entrain et de la
résistance à la tâche. « On peut travailler
pendant des heures sans être fatigué. Je prends 45
comprimés par jour, par vague de 10 toutes les 3 heures. Cela me permet
de travailler pendant deux jours et deux nuits
d'affilée. » Confie un mototaximan de la ville.
Même si cela cause des pertes d'appétit et une soif constante. Ce
médicaments, dont les variétés sont multiples (Trumol,
Tramadol, Tralam, Tromal...), est surtout utilisé pour ne pas
dormir. Une des propriétés qui intéresse
particulièrement les mototaximen, surtout ceux qui travaillent de nuit.
Cela leur permet de travailler longtemps sans dormir et surtout sans se
fatiguer. Le Tramol est aussi mis à contribution pour des
rapports sexuels à longue durée. Pendant un sondage informel
auprès des élèves du Collège de Mazenod de
Ngaoundéré, il apparaît que c'est pour cela que les jeunes
en consomment, le but étant de montrer sa valeur à sa petite
amie.
Mais le Tramol n'est pas le seul stupéfiant
que l'on retrouve dans la ville de Ngaoundéré, même s'il
est le plus consommé d'après notre informateur. Ce
"succès" du Tramol est dû au fait qu'il est facile
à trouver et les effets sont à longue durée, pour un prix
assez dérisoire. Les autres stupéfiants pharmaceutiques sont le
Diazépam, appelé sur le marché le
« Bleu », reconnu pour être utilisé
dans le traitement des malades psychotiques généralement en proie
aux difficultés de sommeil. Il est justement utilisé à ces
fins par les consommateurs, qui en prennent parfois trois d'un coup pour dormir
durant de longues heures. Notre informateur, qui nous avoue en consommer de
temps en temps, affirme que ces comprimés sont aussi utilisés en
boîte de nuit par de jeunes garçons qui veulent faire le
« rallye ».
Le « rallye » est une expression
pour désigner le fait pour un groupe de garçons de coucher avec
une même fille durant la même soirée. Cela implique que la
fille doive être consentante. Et si elle ne l'est pas, les garçons
versent un stupéfiant dans son verre à son insu. Par la suite, le
forfait se poursuit dans le bosquet le plus proche, à l'abri des
regards, puisque aucun des garçons ne doit l'emmener chez lui, par peur
de représailles.
La Passion, semblable à un cocktail, est
vendue au vu et au su de tous. Contrairement aux autres comprimés que
l'on cache, celui-là est tout simplement exposé. Il doit
être dilué dans un jus ou de l'eau pour faire de l'effet. Mais,
celui-ci n'est pas assez fort, ainsi avons-nous pu entendre d'un jeune
consommateur rencontré en boîte de nuit, apparemment
élève de la classe de terminale, « toutes les passions
ne sont pas condamnables ». Pour dire que l'on peut en prendre autant
que l'on veut, c'est juste pour agrémenter la soirée.
Photo 19 : Échantillon de quelques uns
des stupéfiants les plus vendues à
Ngaoundéré286(*).
Cliché : Owona, le 14 août 2009.
La marijuana est un produit plutôt rare sur le
marché et l'apanage de quelques initiés. Elle est de moins en
moins sollicitée à cause des traces qu'elle laisse sur le
consommateur, notamment l'odeur qui s'incruste sur les vêtements. Il est
délaissé au profit des comprimés qui ne laissent pas de
traces et dont les effets sont plus durables.
Les points de vente les plus connus sont : le Grand
Marché, le Carrefour Ministre au Quartier Bali, la Gare (pour la
marijuana), le Petit Marché, le Quartier Haoussa, et en face de la
pharmacie la Vina. Il faut dire que ces drogues sont vendues dans la nuit au
carrefour de la Joie à Joli Soir et devant les boîtes de nuit, le
Marhaba au centre commercial principalement. Les vendeurs de
médicaments sont chargés de la vente.
6. La dépravation des moeurs
Les difficultés financières ont grandement
contribué à la dépravation des moeurs des populations de
la ville de Ngaoundéré depuis les années 1952. La baisse
de l'influence des autorités traditionnelles consécutives
à la colonisation et la mise en place d'un État Camerounais,
n'ont fait qu'accentuer ce malaise.
La prison du Lamido servait à réguler les
comportements dans la ville. La prostitution telle que pratiquée
aujourd'hui à ciel ouvert au vu et au su de tous, était
prohibée. La consommation d'alcool aussi. Sa destruction le 27 juillet
1961 par Ndoumbé Oumar a pour effet de laisser croître ce
phénomène qui n'épargne aucune classe d'âge. Le
commerce du sexe s'étend et recrute ses meilleurs éléments
dans une jeunesse de plus en plus influencée par le modèle de vie
européen.
Pendant les vacances scolaires de juillet à septembre
2009, un fait était à remarquer, à savoir que les
différentes boîtes de nuit de la ville étaient en quasi
cessation d'activité faute de clients. En effet, cette période de
l'année est particulièrement marquée par des migrations
vers le Sud du pays. Cette observation permet de comprendre que ce sont les
élèves qui sont les principaux clients des boîtes de nuit,
ce qui est inquiétant lorsque nous savons qu'elles sont en principe
interdites aux mineurs. Malheureusement, ces dérives touchent aussi les
bars, où les jeunes sont livrés à la merci de tous les
pervers en mal de plaisirs et de chairs fraîches.
Laissons de côté les raisons d'ordre
économique qui pourrait justifier les dérives dans la vie de
nuit, pour réfléchir à la déchéance d'une
société où les jeunes s'engagent de manière
incontrôlée dans la vie active. Une société
marquée par une banalisation du sexe et une occidentalisation à
outrance. Cette perte de modèle au profit d'une vie que l'on envie et
où la télévision se mue en parent. La prolifération
du câble amène nos enfants à envier l'Europe, on veut
ressembler à tel ou tel comédien de série
télé, sans trop se soucier de la manière d'acquérir
des biens que l'on voit. L'envie et les rivalités entre filles, qui
conduisent souvent à des paris inimaginables. Tel a un
téléphone portable plus onéreux que le mien, il m'en faut
un autre. Et là est peut-être le moindre mal. Lorsque des filles,
d'un collège confessionnel de la ville, se livrent, au sortir d'une
boîte de nuit, le défi de voir l'une et l'autre le nombre de
garçon avec lesquels elles peuvent supporter de coucher en une
soirée. Et qu'à la fin, elles sont toutes les deux
abandonnées à l'hôpital par lesdits garçons qui se
sont fait passer pour les héros qui les ont trouvées
inconscientes dans la rue en passant. Résultat du défi :
plusieurs points de couture au niveau des lèvres vaginales, sans compter
les maladies vénériennes.287(*) Ce n'est peut-être pas de la prostitution,
mais le symptôme d'une société à la
dérive.
Pour le pasteur Kä Mana :
Si les femmes africaines sont aujourd'hui victimes ou agents
d'une prostitution massive à l'échelle mondiale, cela est le
signe que notre culture et nos civilisations d'Afrique ont subi une mutation
pathologique qui nous a littéralement anéantis dans notre
humanité. Cette mutation est due sans doute à l'inscription
calamiteuse de nos pays dans l'ordre économique mondial depuis l'aube
des temps modernes. Cet ordre a un impact négatif sur nos
systèmes de désirs. Ceux-ci sont tellement aliénés,
tellement extravertis qu'ils ne trouvent leur accomplissement que dans le mode
de vie moderne fondé sur l'accumulation des biens matériels. Pour
accumuler ces biens et nous inscrire dans la logique d'enrichissement,
l'Afrique est prête à tout, jusqu'à vendre son propre
être.288(*)
Les garçons ne sont pas en reste dans cette spirale
dégradante. Ils se retrouvent au centre de la prostitution homosexuelle,
même si encore embryonnaire dans la ville de Ngaoundéré.
De plus en plus, les jeunes sont mus par la recherche constante de la
facilité.
En Afrique, dans l'idée que chaque femme pouvait avoir
d'elle-même, la perspective de se vendre aux hommes et de vivre d'un tel
commerce s'inscrivait dans les marges honteuses de la société. La
valorisation du mariage jouissait d'un tel éclat qu'il était
préférable de bénéficier du statut de femme
mariée dans un foyer polygamique que d'être seule, livrée
aux lubies des hommes et condamnée à une prostitution
déshonorante et déshumanisante. La prostitution ne saurait donc
être envisagée du point de vue des relations d'échanges et
encore moins assimilée à une relation à caractère
humain, pas plus qu'une forme de sexualité.
Le fait de subir ces rapports sexuels de manière
répétitive et non désirée entraîne une
dissociation psychique afin de pouvoir départager les deux univers de la
personne, et surtout protéger le domaine privé des atteintes
vécues dans le versant prostitutionnel en se coupant de ce qui est
vécu dans ce dernier. Ce versant en question n'est que simulation,
totalement factice où toute relation humaine est artificielle. Les
sentiments et les émotions n'y ayant pas place, ils sont refoulés
car perçus comme des obstacles par le client de services sexuels.
Rappelons ici le cas de la jeune Mélanie qui vit avec deux
identités, celle de la nuit et celle du jour. Et les conséquences
d'un tel comportement peuvent être multiples pour une fille de son
âge. Déjà pour les personnes plus âgées ce
n'est pas facile. Elles qui sont obligées de se purger avec du tabac
afin de ne pas laisser le sexe se dégrader
complètement.289(*)
Si nous pouvons, sans excuser le fait, comprendre la
prostitution des immigrées tchadiennes et centrafricaines, du fait de la
guerre dans leurs pays, comment expliquer celle des camerounaises ?
L'absence d'emplois, facteur déterminant, peut encore permettre de
pardonner les plus âgées. Mais comment comprendre la prostitution
des camerounaises plus jeunes. Des enfants dont les familles n'ont pas de
problèmes d'argent, puisqu'ils ont les moyens de les inscrire dans les
établissements scolaires les plus coûteux de la ville. Peut-on y
voir une libido débordante ? Sans oublier que la drogue se
mêle à l'échantillon des problèmes de cette jeunesse
laissée à elle-même en quelque sorte, par des parents qui,
dépassés, ont démissionné de leur rôle. Cette
situation n'est en rien contrecarrée par l'administration qui
n'hésite pas à avouer son incapacité290(*).
Ces activités trouvent donc dans la nuit un moment et
un espace d'expression propices. La commercialisation de la drogue devient dans
la ville une affaire de tous et ce ne sont pas les forces de l'ordre qui sont
épargnées par la vague de propagation de ces produits illicites.
Il se pose le problème de l'incapacité des autorités
à y mettre fin, faute de moyens humains. À
Ngaoundéré, on consomme de la drogue pour se donner du courage,
pour avoir la puissance sexuelle, pour passer une nuit agréable. La
consommation de la drogue pourrait être considérée comme
une des raisons qui expliqueraient le peu de considération que certains
jeunes ont pour la vie. Ils se livrent à tous genres de défis
dans lesquelles leurs vies est sans cesse en danger : défis de
vitesse et d'agilité sur des motos, défis de consommation de
drogue. On peut ainsi citer le pari qui a causé la mort d'Issa, soudeur
dans la ville de Ngaoundéré.
Issa était âgé d'une trentaine
d'années. Il gagnait sa vie comme soudeur de pneus au quartier
Mbibar à Ngaoundéré. Suite à une dispute
avec son ami Harouna, les deux amis décident de se lancer des
défis. Issa se vantait de pouvoir consommer 100 comprimés de
Tramol sans tituber, défi que son ami Harouna pense pouvoir relever. Les
deux amis décident alors de faire le pari et commencent d'abord par la
moitié : celui qui finit le premier 50 comprimés de Tramol
recevra de l'autre la somme de 5000 f.cfa. Au terme de cette première
épreuve, Issa sort vainqueur et empoche les 5000 francs de son ami
Harouna. Ce dernier, ne voulant pas admettre sa défaite double la mise.
Celui qui finit encore 50 comprimés de Tramol percevra cette
fois-là de l'autre une somme de 10 000 f.cfa. Appâté par le
gain facile, Issa avalera les 50 autres comprimés en un laps de temps.
La réaction ne se fera pas attendre puisque quelques minutes seulement
après, il va ressentir des malaises aigus. Il est immédiatement
transporté à l'hôpital provincial de
Ngaoundéré. C'est là qu'il rendra l'âme quelques
minutes plus tard291(*).
Dans la même logique, de plus en plus de personnes
fréquentent les bars, sans distinction de sexe, d'âge, ni de
statut social. Les causes de l'alcoolisme sont multiples. Il n'existe pas des
traits universels valables, mais du point de vue psychique, certaines
caractéristiques sont plus souvent rencontrées chez les personnes
dépendantes d'alcool :
- La tendance d'éviter les problèmes
indifférents de la capacité réelle de les
résoudre.
- L'incertitude dans les perspectives de la vie et
l'inhibition.
- La dépendance aux autres.
- La capacité réduite de se contrôler, de
supporter des déplaisirs ou d'attendre une récompense (la
tolérance réduite à la frustration).
- Autocontrôle exagéré et refoulement des
sentiments.
- Des difficultés dans la satisfaction de la
nécessité d'attachement et d'appropriation.
- Souvent une mal-disposition et un état de confort
psychique réduit. 292(*)
En plus des causes psychiques, nous pouvons aussi parler des
causes professionnelles. Le chômage est un facteur de stress qui
pousserait à l'alcoolisme. L'attitude du public influence aussi les
jeunes dans leur attitude à l'égard de l'alcool. En effet,
pendant que l'alcoolique est méprisé comme étant ivrogne,
on admire ceux qui, à une fête, réussissent à boire
le plus. La consommation temporaire excessive d'alcool, par exemple à
l'occasion des fêtes diverses, est considérée comme un
signe de virilité. Un vrai homme est celui qui supporte le plus d'alcool
et, au contraire, celui qui ne boit pas du tout ou peu, est
considéré faible ou un "casse-fête".
Dans cette large acceptation de l'alcool, l'opinion publique
supporte la consommation d'alcool et promeut involontairement le péril
et l'installation dans l'alcoolisme. En minimalisant la consommation
élevée d'alcool, la société aide en fait celui
menacé de devenir un alcoolique de s'illusionner pour longtemps que le
péril dans lequel il se trouve n'est pas si grand.
Enfin, chaque conflit dans la famille ou au travail peut
être déclencheur pour l'abus d'alcool. Mais la consommation
d'alcool élevée est aussi à son tour la cause de
difficultés familiales et de problèmes professionnels, de sorte
que les conflits augmentent et se compliquent. Il devient de plus en plus fort
le désir d'éviter ces conflits et de cette manière on peut
constater comment ce cercle vicieux se ferme, et après un certain temps,
ne peut plus être rompu qu'avec beaucoup d'effort.
La dépravation des moeurs dans la ville de
Ngaoundéré trouve son meilleur terrain d'expression à
travers la vie de nuit. À l'image des principales villes du pays, cette
dépravation s'exprime plus ou moins de la même façon,
rendant tristement célèbres des quartiers où sont mis en
exergue des comportements de débrouillardise, devenus très vite
de haut lieu où l'on peut noyer les soucis d'une vie fade et sans
perspectives d'avenir. Ne peut-on voir à travers ces comportements
l'expression d'une société en mal de repères ? En
effet, lorsque l'on arrive à Douala, on est dirigé vers les lieux
tels que la "rue de la joie" ou le carrefour "J'ai raté ma vie" ;
à Yaoundé, pourtant capitale politique, le visiteur n'a que
l'embarras de choix face aux multiples propositions : Mini Ferme Melen,
Ngoa Ekelle Bonamoussadi, Carrefour de la Joie, Hôtel de
ville... À Ebolowa, le Carrefour Tamsou est là pour vous
égayer ; à Maroua, vous devez vous diriger vers Avion Me
Laisse ou vers Domayo ; et comme nous l'avons vu à
Ngaoundéré, Joli-Soir et Baladji I sont les
références en ce qui concernent les distractions de nuit. Notre
objectif n'est pas de souhaiter une société où toutes
distractions seraient absentes, mais de dénoncer une
société où la distraction devient le refuge, le moyen pour
la population de se cacher dans l'illusion que tout va bien.
Examinant le problème d'alcoolisme dans la ville de
Kigali au Rwanda, Ildegonde Karererwa écrit :
Il [l'alcoolisme] ravage tout particulièrement les
nombreux quartiers spontanés de la capitale rwandaise où vivent
des populations démunies. Seul exutoire pour oublier à peu de
frais la misère et la vie sans perspective : s'enivrer à
l'urwagwa, la bière de banane, en kinyarwanda. Partout les cabarets se
multiplient, preuve du mal-être des habitants. Désormais
modestement équipés de téléviseurs en noir et
blanc, ils offrent un attrait supplémentaire dans une capitale où
il n'y a qu'une télévision pour 100 habitants. L'affluence ne
cesse d'augmenter. [...] Il ne s'agit pas pour les buveurs d'étancher
leur soif : boire est un rituel auquel ils se livrent à longueur de
journée en compagnie de leurs amis ou voisins.293(*)
On pourrait aisément trouver à ce pays l'excuse
de la guerre, mais, le Cameroun ne vit-il pas une guerre à son
tour ? Celle qu'apporte la pauvreté, avec ses scènes de
banditisme parfois dignes des grandes réalisations hollywoodiennes, avec
la prostitution de plus en plus présente et de plus en plus agressive,
avec des enfants de la rue dont le nombre ne cesse d'augmenter, avec une
informalisation des activités de nuit qui laisse
apparaître l'incapacité pour les populations de gagner le pain
quotidien décemment. Il faut tout de même s'interroger sur les
personnes qui fréquentent les bars dans nos cités en
général et dans la ville de Ngaoundéré en
particulier.
Il s'agit, dans une observation rapide, des fonctionnaires,
des hommes en tenue (militaires, gendarmes, policiers), surtout des
débrouillards qui, la nuit venue, se retrouvent dans les bars pour se
détendre, oubliés le stress d'une journée de travail,
devant une bière et profiter des facilités qu'offrent les
auberges tout près. C'est justement ce travail qui pose problème.
En effet, lorsque l'observateur prend le temps d'écouter les
conversations de ces consommateurs d'alcool, elles tournent autour de
l'inadéquation entre le salaire et le travail demandé, ou encore
du sexe, du football et de la politique. Loin d'être l'expression de la
joie tant recherchée à travers une bière, les causeries
sont justement le reflet d'un mal être social qui trouve dans la
dépravation des moeurs son champ d'expression.
Dans cette spirale, il est à déplorer que les
jeunes soient à leur tour englués dans cette décadence. De
plus en plus d'enfants sont touchés par l'alcoolisme, et les
étudiants ne sont pas en reste, habitués qu'ils sont en train de
devenir, des concours du meilleur consommateur de bière. On peut voir
à travers ces vices sociaux, d'autres qui s'y greffent : le vol
(pour avoir sa dose d'alcool ou de drogue), la prostitution (car Bacchus ne va
jamais sans Venus), sans oublier les conséquences familiales (divorce,
négligence des enfants, maladies sexuellement transmissibles).
Malheureusement, la consommation de drogue vient s'ajouter
à celle d'alcool qui touche déjà toutes les tranches
d'âge et surtout les enfants de la rue. On les retrouve très
souvent dans les bars en train de vider les fonds de bouteilles, ou accroupies
dans un coin obscur fumant une cigarette ou aspirant de la colle
emballée dans une chaussette.
IV. LES ACTIONS MENÉES PAR LES
AUTORITÉS
Avec la destruction de la prison du Lamido et la mise
sur pied d'un État Camerounais indépendant, la
responsabilité de la sécurité et de la régulation
des comportements dans la ville de Ngaoundéré échoient
désormais à l'administration. Malgré tout, le Lamido fait
de temps en temps recours aux marabouts de sa cour pour retrouver un bandit, ou
stopper un comportement déviant (le cas des vols de sexe dans la ville
en 2007). Il peut aussi oeuvrer par les conseils qu'il prodigue aux jeunes
générations. Mais, pour véritablement mettre fin, sinon
freiner les problèmes de la vie de nuit, il faut des actions fortes que
seul l'État possède.
1. Les autorités traditionnelles
Il faut rappeler que sous l'administration coloniale,
les pouvoirs des chefs traditionnels ont été
considérablement amenuisés. Au cours de la période allant
de 1884 à 1959 au Cameroun en général, ils
n'étaient devenus que de simples subalternes de l'administration
coloniale. Certes, «entre 1916 et 1919, période transitoire au
cours de laquelle les troupes franco-anglaises étaient encore
engagées dans la première guerre mondiale, leur autorité
s'est renforcée davantage »294(*). Mais, « à partir de 1977,
l'autorité traditionnelle semble avoir perdu l'essentiel de ses
prérogatives à prendre des initiatives et à régler
les problèmes cruciaux. À partir de 1990, les populations
elles-mêmes, naguère muselées, se sont
défoulées, désignant certains laamiibe à la
vindicte populaire. »295(*)
Ainsi, il apparaît que les autorités
traditionnelles ont vu leur pouvoir diminuer avec la colonisation et par la
suite, la mise en place de nouvelles structures administratives après
l'indépendance après 1960. Mais, dans un contexte social
où ils sont encore des leaders d'opinions, il importe de noter que leur
action est, selon certains cas, plus énergétique que celle de la
police ou des unités administratives. Le Lamido maitrise mieux le
terrain et son action n'en est que plus efficace. En 2007, lorsque le Lamido
Mohamadou Hayatou (1997- ), fils de Issa Yaya Maïgari, fêtait la 10e
année de son accession au trône, un problème se posa dans
la ville, celui des ``vol de sexes''. Face à l'incapacité des
autorités administratives à mettre fin au
phénomène, il a fallu faire recours au lamido qui a plus
facilement pu identifier les auteurs de ces délits et y mettre un
terme.
Des actions similaires sont souvent menées pour
retrouver un bandit ou un voleur. Mais, l'action des autorités
traditionnelles est aujourd'hui subordonnée à celle des
autorités administratives. La prison du lamido ayant été
détruite, il n'a plus de pouvoir de coercition sur les populations. Le
décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des
chefferies traditionnelles, modifié et complété par le
décret n° 82/241 du 24 juin 1982, faisant de l'ensemble des chefs
traditionnels des auxiliaires de l'administration centrale, rendent l'action
des chefs traditionnels plus limitée. Les populations se tournent donc
de plus en plus vers l'administration et la police.
2. L'administration
Les différentes administrations ont jusqu'ici eu
beaucoup de mal à faire respecter la loi interdisant la prostitution. En
effet, il faut déjà dire que, de l'avis de la gérante d'un
circuit au quartier Baladji I, les «gros bonnets» de la ville
comptent parmi ses clients les plus fidèles. Comment faire respecter une
loi dont on profite soi-même ? C'est donc assez paradoxal de
demander aux administrateurs de mettre fin à un commerce dans lequel ils
participent comme clients. Ce fait est d'autant plus important que la
gérante nous confie que ses services sont très souvent
sollicités quant il y'a un haut responsable de l'administration centrale
dans la ville.
Il faut dire que, que ce soit dans la partie septentrionale du
Cameroun, ou dans la partie sud du pays, la prostitution prend une place aussi
importante que les autres métiers. Elle est pratiquée au vu et au
su de tous, et les tenancières de ces maisons n'ont peur de personne, de
par leur position sociale. Abdelnasser Garboa, parlant de la pratique de la
prostitution dans la région septentrionale, révèle par
ailleurs que :
Les tenancières de bordel s'attaquent à
n'importe qui dans un franc parler qui frise l'insolence. Connaissant chacun
des membres de la société qui les auraient contactées
à un moment ou un autre, elles sont le véritable baromètre
de la société dans laquelle elles vivent. L'affluence dans leurs
commerces détermine le niveau de vie de la crise économique dans
la ville. La mine des visiteurs permet de mesurer le pool de l'humeur
collective. De toutes manières, aucune information, aucun fait, aucune
situation nouvelle, ne peut se dérouler à l'insu de la "Dada
Sare" ou tenancière de bordel. 296(*)
Une autre raison pourrait expliquer cette situation à
savoir le réemploi des prostituées. La difficulté se
trouve au niveau de la réinsertion sociale de ces prostituées qui
généralement n'ont aucune qualification. Elles sont plusieurs
centaines dans la ville. Et si l'on doit considérer toutes les personnes
qui vivent parallèlement à ce commerce, les enfants des
prostituées, les propriétaires des débits de boissons, les
vendeurs de beignets et de poissons braisés...le nombre de personnes va
à plusieurs milliers car la prostitution est un réseau. Cela
poserait donc un véritable casse-tête au gouvernement qui ne
parvient déjà pas à employer les jeunes
diplômés. Ainsi, pour ne serait-ce que marquer un frein au
phénomène, l'administration s'appuie sur les actions de la
police.
3. La police
Dans un article de Claudia Engouté297(*), le commissaire central de
Ngaoundéré, Joseph Temde parle de la lutte contre la
consommation du Tramol et des problèmes qu'il rencontre.
Pour lui,
C'est un véritable fléau qui sévit au
sein des exploitants de motos-taxis. Notre premier objectif était
d'identifier les sources d'approvisionnement. Ce qui a déjà
été fait : ce sont les vendeurs de médicaments de la rue,
mais également ceux qui vendent du thé en bordure de route.
Seulement, il est difficile pour nous de mener une quelconque opération,
bien que nous parvenions tout de même à mettre la main sur les
consommateurs et les dealers tous les jours. Sur 10 conducteurs de motos, 7 en
consomment. Ce qui est énorme.
Ainsi, deux types d'actions sont menés par la police de
Ngaoundéré : une préventive et une autre
répressive. La méthode préventive consiste à lutter
contre la vente de médicaments dans la rue. Nous allons à la
source et empêchons l'approvisionnement de ce stupéfiant, et la
méthode répressive est que ceux qui sont pris en possession de
cette drogue sont déférés automatiquement au parquet.
Il est malheureusement à déplorer la recrudescence des
points de vente malgré tout. Cela s'explique par le fait que les
différents dealers et consommateurs connaissent tous les agents de
police. Qu'ils soient en civil ou en tenue, ils les connaissent tous
précise le commissaire central. C'est un combat qui doit se faire avec
des hommes qui ne sont pas connus.
Généralement, nous passons par personnes
interposées. Ce qui est vrai, c'est que les pouvoirs publics ne prennent
pas cette affaire au sérieux. On nous abandonne tout, alors que chacun
doit mettre la main à la patte pour lutter contre ce fléau. Nous
n'avons pas tous les moyens nécessaires. Je n'ai que mes yeux pour
pleurer. Il n'y a rien dans ce commissariat, pas d'hommes, pas de
matériel de travail. On nous amène à nous surpasser ;
c'est d'ailleurs ce qu'on fait.298(*)
La consommation de la drogue n'est pas seulement le
problème de la nuit. Mais, on en ressent les conséquences
à travers les agressions, les braquages, les viols et autres
méfaits. Les auteurs de ces forfaits usent de la drogue comme source de
courage. Mais à cours terme, l'excitation constante des nerfs
provoquée par ces médicaments peut se révéler
dangereuse. Plusieurs jeunes dans la ville se promènent du soir au matin
et vice versa, dans un état de quasi folie, et les témoignages
des populations incriminent la drogue.
En ce qui concerne la prostitution, les rafles sont
régulièrement effectuées dans les quartiers Baladji I et
Joli Soir, mais sans autre forme de procès. Il est donc clair que les
problèmes que pose la vie de nuit sont loin de trouver solution. Ils
sont l'expression même de la conjoncture sociale et ne peuvent se
régler qu'à la source : résoudre les causes de la
prostitution par exemple serait déjà faire un grand pas vers la
fin de ce métier, le plus vieux du monde.
CONCLUSION GÉNÉRALE
La nuit est une période marquée surtout par
l'obscurité. Mais comment comprendre qu'elle ait autant de succès
auprès des hommes en général et ceux de la ville de
Ngaoundéré en particulier ? Le succès de la nuit
vient du fait que les hommes qui y vivent ne peuvent justement pas être
vus et surtout ne veulent pas être vus. Ils profitent de cette
obscurité pour pouvoir mieux laisser s'exprimer leur être.
Pour la clientèle des commerçants qui exercent
de nuit, la vie à ce moment-là représente un espace
avantageux de par son obscurité. Où on peut agir sans se soucier
des règles sociales, sans se soucier du regard des autres, parfois plus
enclin à nous juger que notre propre conscience. Le fait même
d'être dans une ville où les interdits traditionnels et religieux
sont assez forts ne fait alors qu'augmenter ce sentiment de liberté
qu'offre la nuit.
Ainsi, notre travail sur la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré s'est porté sur les travailleurs de nuit. Les
difficultés sociales contraignent de plus en plus de personnes à
trouver leur pain quotidien pendant cet espace de temps. Ce n'est guère
de gaieté de coeur que les travailleurs de nuit font leurs
activités. Trois explications s'offrent à l'observateur
attentif : ces activités de nuit sont menées dans l'espoir
d'un mieux être (cas de Pierre, gérant de call box) ; elles
apparaissent aussi comme une alternative, faute de mieux (la
prostitution) ; enfin, pour certaines personnes, les revenus tirés
ici sont tout simplement une bouée de sauvetage (Mme Ngan Jeanne et la
vente de beignets).
La similitude des histoires de vies des travailleurs de nuit
nous permet de nous rendre compte de fait, que la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré n'est que la résultante d'une situation
économique désastreuse dans le pays. En effet, l'augmentation du
nombre de travailleurs de nuit peut aisément être associée
à la conjoncture ambiante. Les premières vagues migratoires
importantes, comme nous l'avons souligné, interviennent bien avant les
années 1950 avec l'arrivée des bamiléké qui aura
pour conséquence la création du quartier Baladji en 1952. Mais,
les migrations ne sont pas ici plus importantes qu'ailleurs. La plupart des
activités vont véritablement prendre racines à partir des
années 1980. L'inauguration du Transcamerounais de 1974 facilite
déjà les déplacements et permet aux populations du Sud du
pays de découvrir cette localité pleine de promesses. Le bitumage
de l'axe Garoua-Ngaoundéré a le même effet par rapport aux
populations du Grand-Nord. Il faut noter que c'est aussi à cette
période que les premières guerres en Centrafrique et au Tchad
commencent à sévir. Ce qui aura pour effet de drainer une
importante population d'étrangers sans le moindre revenu dans la ville
de Ngaoundéré.
La crise économique qui touche le Cameroun intervient
à la fin des années 1980-début de la décennie 90.
Elle est la conséquence de la baisse des prix des matières
premières tels que le cacao, le café et la baisse de la
production pétrolière. Face aux exigences du FMI (Fonds
Monétaire International) et de la Banque Mondiale, le pays sera
obligé de se plier aux P.A.S. (Programme d'Ajustement Structurel).
Ainsi, il s'agira de compresser considérablement dans la fonction
publique, de baisser les salaires, et de mettre un frein aux recrutements du
personnel. Le secteur informel va donc de plus en plus prendre une place
importante, face aux difficultés qu'éprouve le secteur
privé à réembaucher toutes ces personnes sans emplois.
Cette décennie va voir les populations quitter
progressivement les grandes villes que sont Douala et Yaoundé, pour se
diriger vers les villes jusqu'ici négligées telles que celles du
Grand-Nord. Ces migrations s'accentueront avec la récession
économique des années 2000. Aujourd'hui, il apparaît que la
plupart des personnes travaillant de nuit dans la ville de
Ngaoundéré s'y sont installés entre 1990 et 2004.
Ces difficultés économiques ont aussi
facilité la criminalité et la dépravation des moeurs. Les
individus deviennent près à tout pour avoir de quoi manger. La
démission du rôle parental n'est pas en reste dans ce lot de
problèmes que pose la vie de nuit. Notre travail nous a permis d'arriver
à la conclusion que se sont les vicissitudes de la vie qui obligent les
hommes à travailler de nuit. Tout le monde veut pouvoir dormir de nuit,
tout le monde veut pouvoir se reposer ou s'amuser pendant ce moment-là.
Mais, l'idée du lendemain ramène très rapidement à
la réalité.
SOURCES ET RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
I- Sources orales
Noms et âge
|
Qualité
|
Régions/pays
|
Date et lieu d'entretien
|
Adji Temba
Né vers 1925 (84 ans)
|
Agriculteur
|
Adamaoua
|
25 et 29/04/2009 à Ndelbé
(Ngaoundéré)
|
Agbor Andock Daniel
49 ans
|
Conducteur de réseau électrique à AES
SONEL Ngaoundéré
|
Sud-Ouest
|
15/10/09 à Sabongari (Ngaoundéré)
|
Augustin
= 35 ans
|
Mototaximan
|
Adamaoua
|
20/09/09 à Onaref (Ngaoundéré)
|
Daba Daniel
36 ans
|
Enseignant, président du comité de
développement de la paroisse E.F.L.C. de Baladji II et secrétaire
général adjoint du district E.F.L.C. de
Ngaoundéré
|
Extrême-Nord
|
29/09/09 au Collège de Mazenod de
ngaoundéré
|
Djiya
= 60 ans
|
Commerçant
|
Ouest
|
11/08/09 et 18/10/09 à Baladji II
(Ngaoundéré)
|
Djommo Lin Valère
37 ans
|
Opérateur économique ; directeur du
cybercafé M.T.N.
|
Ouest
|
16/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré
|
Fouda Guy Bertin
33 ans
|
Religieux
|
Centre
|
24 décembre 2006 à Efoulan (Yaoundé)
|
Hadidjatou
Environ 30 ans
|
Commerçante
|
Extrême-Nord
|
20/08/09 et le 22/08/09 à Tongo Pastorale
|
Ismaëla Issa
27 ans
|
Taximan
|
Adamaoua
|
25/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré
|
Jean-Vincent
23 ans
|
Mototaximan
|
Extrême-Nord
|
19/09/09 à Ndelbé (Ngaoundéré)
|
Mme Kadidja Ousmanou
66 ans
|
Ménagère
|
Adamaoua
|
14/09/09 à Bali, Ngaoundéré.
|
Kouam David
= 50 ans
|
Sous-préfet de l'arrondissement de
Ngaoundéré Ier
|
Ouest
|
12/08/09 au quartier administratif de
Ngaoundéré
|
Kouamen-Tavou Cyrille Narcisse
= 40 ans
|
Directeur général adjoint du complexe Marhaba
|
Ouest
|
01/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré
|
Ma Henriette
(estimation : = 40 ans)
|
Prostituée
|
Est
|
14/06/09 à Baladji I (Ngaoundéré)
|
Mami
> 30 ans
|
Propriétaire du circuit Mami Frotambo au quartier
Baladji I
|
Ouest
|
01/09/09 à Baladji I (Ngaoundéré)
|
Mâ Pau.
> 45ans
|
Commerçante
|
Centre
|
31/08/09 à la gare-voyageurs de
Ngaoundéré.
|
Mélanie
17 ans
|
Prostituée
|
Adamaoua
|
13/06/09 à Sabongari Gare (Ngaoundéré)
|
Mboudga Raphael
31 ans
|
Infirmier diplômé d'État principal,
surveillant général adjoint de l'hôpital protestant de
Ngaoundéré
|
Extrême-Nord
|
03/10/09 à l'hôpital protestant de
Ngaoundéré.
|
Mohammadou Djaouro
Environ 60 ans
|
Infirmier retraité ; imam au quartier Tongo
Pastorale.
|
Kanouri né à Ngaoundéré
|
20/08/09 et 20/10/09 à Tongo Pastorale
(Ngaoundéré)
|
Mme Ngan Jeanne
46 ans
|
Commerçante
|
Centre
|
02/09/09 à Onaref (Ngaoundéré)
|
Natwa
31 ans
|
Commerçante
|
Extrême-nord
|
19/09/09 à Sabongari (Ngaoundéré)
|
Nformi Felix
45 ans
|
Enseignant au Collège de Mazenod et à l'E.H.T.
CEMAC ; commerçant
|
Nord-Ouest
|
20/09/09 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré
|
Ngnintendem Abraham
= 50 ans
|
Enseignant au Collège St Eugène de Mazenod ;
ancien de l'Église à la M.E.E.C.
|
Ouest
|
10/09/09 et 21/11/09 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré.
|
Ngodjock Bernadette
46 ans
|
Agent d'entretien au Collège de Mazenod de
Ngaoundéré
|
Centre
|
10/08/09 à Sabongari Gare (Ngaoundéré)
|
Patchami Guy Bertrand
39 ans
|
Chargé de mission à Africa Security
|
Ouest
|
20/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré
|
Sadou Dewa
22 ans
|
Élève
|
Nord
|
|
Pierre
29 ans
|
Gérant de call box
|
Est
|
10/08/09 au centre Commercial de Ngaoundéré.
|
Abbé Karlo Prpic
= 50 ans
|
Prêtre ; principal du Collège St.
Eugène de Mazenod
|
Croatie
|
13/09/09 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré.
|
Temde Joseph
43 ans
|
Commissaire central de la ville de Ngaoundéré
|
Ouest
|
24/09/09 au commissariat central de la ville de
Ngaoundéré
|
Viviane
26 ans
|
Gérante de call box
|
Est
|
10/08/09 au centre Commercial de Ngaoundéré
|
II- Ouvrages généraux :
Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, la voie du musulman
(Minhaj Al-Mouslim), traduction de Rima Ismaël, revue par
Ahmad-Harakat ; Dar el Fiker, Beyrouth, première édition.
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nomades, Éd. CLÉ, Yaoundé.
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Balandier, G., 1988, le Désordre. Éloge du
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Bachelard, G., 1999, La formation de l'esprit
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Fèvre, F., 1983, Les seigneurs du désert,
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Froelich, J.-C., 1962, Les musulmans d'Afrique noire,
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générale de l'Afrique, Vol. 10, Ed. ABC, Paris/France.
Løde, K., 1990, Appelés à la
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Noiriel, G., 2006, Introduction à la
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veillée des saisons : une arme très efficace pour le combat
spirituel, Fondation Jésus en Afrique, Abidjan/Côte
d'Ivoire.
III- Articles
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IV- Thèses et mémoires
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Ngaoundéré 1915-1945 », Master's degree en
histoire, Université de Yaoundé.
Gondolo, A., 1978, « Ngaoundéré ou
l'évolution d'une cité peule », thèse de
doctorat en géographie, Université de Rouen
Babarou, A., 2006, « La vie économique et
sociale dans les "quartiers populaires" des cités du
Nord-Cameroun : Maroua, Garoua et Ngaoundéré (de la
période coloniale française à nos jours) »,
mémoire de DEA d'histoire, Université de
Ngaoundéré.
Halima Aboubar, 2005, « Impact sociologique de
l'activité de motos-taxis sur le développement de la ville de
Ngaoundéré », mémoire de maîtrise en
Sociologie, Université de Ngaoundéré.
Lamine, M., 2004, « L'immigration et l'essor de la
ville de Ngaoundéré : perspective
historique », mémoire de maîtrise d'histoire,
Université de Ngaoundéré.
Lamanou Monique Débina, 1998, « Dynamique des
Grand et Petit Marchés et ses conséquences sur l'espace urbain de
Ngaoundéré », mémoire de Géographie,
Université de Ngaoundéré.
Mpoual, E., 2006, «Évolution des effectifs
d'étudiants à l'université de Ngaoundéré de
1993 à 2004 », mémoire de maîtrise d'histoire,
Université de Ngaoundéré.
Ngo Nlomée, M.M., 2004, «Le Bili Bili à
Ngaoundéré : technique de fabrication, usage et
commercialisation 1964-2004 », mémoire de maîtrise
d'histoire, Université de Ngaoundéré
Nkoumba Eyoum, 1999, «Dynamique urbaine et gestion de
l'espace à Ngaoundéré», mémoire de
maîtrise de Géographie, Université de
Ngaoundéré.
Nyam a Ngam, C., 2007, « La police et la
répression du gangstérisme urbain à
Ngaoundéré 1990-2005 », mémoire de
maitrise d'histoire, Université de Ngaoundéré.
Oumar, A.A., 1999, « La gare ferroviaire de
Ngaoundéré, impact socio-économique et
spatial », mémoire de maîtrise de géographie,
Université de Ngaoundéré.
Ossoko, S., 2005, Les enjeux du secteur informel dans le
développement des villes du Nord-Cameroun, cas de
Ngaoundéré, mémoire de DEA de géographie,
Université de Ngaoundéré.
Pandji Kawe, G.R., 2006, « Les travailleurs
indigènes et fonctionnaires sudistes à Ngaoundéré
sous administration française », mémoire de
maîtrise d'histoire, Université de
Ngaoundéré.
Tassou, A, 2005, « Évolution historique des
villes du Nord-Cameroun (XIXe - XXe
siècles) : des cités traditionnelles aux villes modernes.
Les cas de Maroua, Garoua, Ngaoundéré, Mokolo, Guider et
Meiganga », Thèse de doctorat/Ph.D d'Histoire,
Université de Ngaoundéré.
V- Rapports
Hawa, D., 2007, « Phénomène urbain et
conséquences socio-économiques (exemple de la ville de
Ngaoundéré) », rapport d'initiation à la
recherche en Sociologie, Université de Ngaoundéré.
Kemfang, H., 1998, « Les quartiers Baladji de
Ngaoundéré création et évolution
1950-1997 », rapport de recherche de licence en Histoire,
Université de Ngaoundéré.
Nassourou, S., 1994, « Les loisirs au village, le
système de Hiirde des Peuls », rapport préliminaire.
Sadou, A., 2004, « Les moto-taximen et la question
de l'insécurité dans le Nord-Cameroun, le cas de la ville de
Ngaoundéré de 1988 à nos jours »,
rapport d'initiation à la recherche en Histoire, Université
de Ngaoundéré.
VI- Dictionnaires et encyclopédie
Dictionnaire Encyclopédique Quillet, 1962,
librairie Aristide Quillet, Paris, France
Dictionnaire Larousse 2008, 2007, librairie Larousse,
Paris/France
Durozoi G. et Roussel A., 1987, Dictionnaire de
Philosophie, Ed. Nathan
Kammler W., 1973, Vocabulaire
français-fulfulde, Éditions ANNOORA, Garoua/Cameroun
Larousse 3 volumes en couleurs, librairie Larousse,
Paris, France
Le Petit Larousse Illustré 2007, 2006,
Éd. Larousse, Paris/France
Le million, L'encyclopédie de tous les pays du
monde, volume VI (1973,1974), Asie du Sud-ouest ; Éd. Grande
Batelière (Paris/France) Kister S.A. (Genève/Suisse), Agence
belge des grandes éditions (Bruxelles/Belgique)
Le Petit Robert 2008, 2007.
Piéron H., Bresson F. et Durup G., 2000,
vocabulaire de la psychologie, 3e édition, PUF, Paris.
Microsoft® Encarta® 2006.
VIII- Documents divers
Ministère du Tourisme de la République du
Cameroun, Cameroun destination Ngaoundéré, guide touristique
des hôtels, restaurants de la ville de Ngaoundéré
E.E.S.I. 2005 ; Enquête sur l'emploi et le secteur
informel (I.N.S.)
La Sainte Bible, Ancien et Nouveau Testament, nouvelle
édition révisée 1997, Alliance Biblique Universelle, 95400
Villiers-le-Bel/France.
Le Saint Coran.
E.C.A.M. II, 2001, et III, 2007, Enquête Camerounaise
sur les Ménages (I.N.S.) :
- Pauvreté et éducation au Cameroun en 2001
(Novembre 2002)
- Pauvreté, habitat et cadre de vie au Cameroun en 2001
(Octobre 2002)
1er Recensement général de la
population et de l'habitat (R.G.P.H.) de 1976 (I.N.S.)
2e Recensement général de la
population et de l'habitat (R.G.P.H.) de 1987 (I.N.S.)
Fonds Monétaire International, 2005, Rapport
n°05/164 , Cameroun : Consultations de 2005 au titre de l'article
IV et programme de référence - Rapport des services du FMI ;
Note d'information au public relative aux délibérations du
Conseil d'administration et déclaration de l'administrateur pour le
Cameroun
Fonds Monétaire International, 2008, Rapport du FMI
n°08/279, Cameroun : Cinquième revue de l'accord triennal au
titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et
pour la croissance. examen des assurances de financement, demande de
dérogation à un critère de réalisation, demande de
modification de critères de réalisation et demande de
prolongation de l'accord -- Rapport des services du FMI, supplément et
déclaration des services du FMI, communiqué de presse
publié à l'issue des travaux du Conseil d'administration,
déclaration de l'administrateur du FMI pour le Cameroun.
Fonds Monétaire International, 2009, Rapport
n°09/65, Cameroun : Sixième revue de l'accord triennal au titre
de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la
croissance, demande de dérogation à un critère de
réalisation et revue des assurances de financement--Rapport des services
du FMI, supplément, communiqué de presse sur les
délibérations du Conseil d'administration, et déclaration
de l'Administrateur pour le Cameroun.
Groupe de la Banque Africaine de Développement,
département de l'évaluation des opérations (O.P.E.V.),
Cameroun : programme d'ajustement structurel III (P.A.S. III), Rapport
d'évaluation de la performance de projet (R.E.P.P.) 28 mai
2007.
IX- Sites Internet consultés
www.doctissimo.fr
www.gaisma.com
www.wikipedia.fr.
www.encyclopædiauniversalis.fr
ANNEXES
Chapitre 8 ANNEXE
I: GUIDE D'ENTRETIEN DE MBALLA ROMIALD
Monsieur, ce questionnaire vous est adressé
dans le cadre d'une recherche en Master d'histoire de l'Université de
Ngaoundéré, sur le thème « la vie de nuit dans
la ville de Ngaoundéré, de 1952 à 2009 ». Ceci
dans le but d'en savoir un peu plus sur les cours du soir ADAMA que vous
diriger. Merci de bien vouloir répondre aux questions
suivantes :
· Noms
et prénoms, âge (si possible) et ethnie
·
Profession et qualité aux cours du soir ADAMA
· En
quelle année vous êtes-vous installé dans la ville de
Ngaoundéré ?
· En
quelle année avez-vous fondé les cours du soir ADAMA ?
·
Quelles sont les tranches horaires pendant lesquelles fonctionnent les cours du
soir ?
·
Existait-il d'autre structure du même type dans la ville de
Ngaoundéré à ce moment-là ?
·
Comment expliquez-vous le nom donné à ces cours ?
·
Comment avez-vous choisi le site, est-ce le même qu'à la
création ?
· Quels
sont les problèmes que vous avez rencontrés à ce
moment-là ? Persistent-ils toujours ?
· Quels
types de problèmes rencontrez-vous pendant votre période
d'activité ?
·
À quel type d'élèves avez-vous affaire ?
·
Estimez-vous, par rapport à la situation actuelle des cours du soir dans
la ville de Ngaoundéré, que vous ayez fait des
émules ?
Chapitre 9 ANNEXE
II: GUIDE D'ENTRETIEN DE TEMDE JOSEPH
Ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'une
étude portant sur « La vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré de 1952 à 2009 », cette
recherche est menée pour une thèse de Master's degree d'histoire
de l'Université de Ngaoundéré. Celle-ci porte sur les
activités de la nuit dans la ville, entre autres le problème de
criminalité. Merci de bien vouloir y répondre.
1. Présentation de l'interviewé
1.1 Noms et prénoms
1.2 Âge (éventuellement)
1.3 Province d'origine
1.4 Profession
2. Quelles sont vos prérogatives en qualité
de commissaire central de la ville de Ngaoundéré ?
3. Quel est le nombre de commissariats dans la ville de
Ngaoundéré et leur répartition géographique par
arrondissements ?
4. Quel est le taux de criminalité à
Ngaoundéré par rapport aux autres chefs-lieux de régions
du pays ?
5. Quelles sont les stratégies mises en place pour
mettre fin, sinon réduire la criminalité ?
6. Quels sont les quartiers les plus touchés en ce
moment par la criminalité ?
7. Quelles sont les caractéristiques des criminels
dans la ville (âge, groupe ethnique ou nationalité, motifs pouvant
justifier l'acte...)
8. Pour lutter contre la criminalité, recevez-vous
de l'aide des militaires et des gendarmes ? Dans ce cas là, comment
les patrouilles fonctionnent-elles ?
9. Quelles sont d'après-vous, des périodes
pendant lesquelles la criminalité augmente particulièrement dans
la ville ?
10. Comment pourrait-on justifier cette
augmentation ?
11. La consommation de la drogue dans la ville est assez
élevée, elle touche presque toutes les tranches d'âges.
Comment la police lutte-t-elle contre ce phénomène ?et quels
sont les freins à cette lutte ?
12. La prostitution occupe le quartier Baladji I, quelles
sont les actions menées contre cela ?
13. Pensez-vous que l'on puisse mettre fin à
cela ?si Oui, comment ; et si Non pourquoi ?
14. À votre avis, que faut-il faire pour
améliorer le quotidien des populations de la ville de
Ngaoundéré sur le plan de la
sécurité ?
Chapitre 10 ANNEXE III: GUIDE D'ENTRETIEN DE PATCHAMI GUY
BERTRAND
Ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'une
étude portant sur « La vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré de 1952 à 2009 », cette
recherche est menée pour une thèse de Master's degree d'histoire
de l'Université de Ngaoundéré. Celle-ci porte sur les
activités de la nuit dans la ville, entre autres ceux de la
criminalité et du gardiennage de nuit. Merci de bien vouloir y
répondre.
1. Présentation de l'interviewé
1.1 Noms et prénoms
1.2 Âge (éventuellement)
1.3 Province d'origine
1.4 Profession
2. En quelle année avez-vous ouvert votre
société de gardiennage à
Ngaoundéré ?
3. Comment recrutez-vous votre personnel ?
4. À quels types de clients avez-vous
affaire ?
5. Quels sont les problèmes que rencontrent vos
agents pendant la nuit ?
6. Pensez-vous que le fait de considérer les
gardiens de nuit comme complices des voleurs soit justifié ? que
faites-vous pour y remédier en ce qui concerne votre
agence ?
7. Quelle est la procédure d'acquisition d'une
licence de fonctionnement d'une agence de gardiennage ?
ANNEXE I V : le décret
N°90/1483 du 9 novembre 1990, fixant les conditions et les
modalités d'exploitation des débits de boissons.
ANNEXE V : Exemplaire d'une licence de
vente de boissons hygiéniques à consommer sur
place
* 1 Piéron,
H., 2000, Vocabulaire de la psychologie, Quadrige/PUF, p.302.
* 2 Ibid., p.531.
* 3 Ministère du
Tourisme de la République du Cameroun, Cameroun destination
Ngaoundéré, guide touristique des hôtels, restaurants de la
ville de Ngaoundéré, p.3.
* 4 I.N.S., 2005,
Enquête sur l'Emploi et le Secteur Informel (E.E.S.I.).
* 5
www.wikipedia.com/subalternstudies/en
consulté le 18 août 2009.
* 6 « Antonio
Gramsci (1891-1937), philosophe marxiste italien qui mourut en prison à
cause de ses critiques à l'égard du fascisme. Sa réflexion
porte en priorité sur les conditions de la révolution dans les
sociétés industrialisées et sur le paradoxe d'un
prolétariat subissant le fascisme alors qu'il était
théoriquement armé pour lui résister grâce aux
outils du marxisme. » (Durozoi G. et Roussel A., 1987,
Dictionnaire de Philosophie, Ed. Nathan, p.144)
* 7 Pouchepadass, J., 2000,
"Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité",
L'Homme, n°156, pp.161 à 186.
* 8 Guha R., 1982,
cité par Pouchepadass, 2000.
* 9 Guha R., 1982, cité
par Pouchepadass, 2000.
* 10 Kammler W., 1973,
Vocabulaire français-foulfouldé, Ed. Annoora,
Garoua/Cameroun, p. 95.
* 11 Les aubades sont des
concerts donnés à l'aube, le matin sous la fenêtre de
quelqu'un.
* 12 Partie de l'office
divin qui est récité au lever du jour.
* 13 Kammler, W., 1973,
p.13
* 14 Abbé Benoit
Zé, causerie éducative tenue en 26 novembre 2005 à la
paroisse saints Charles et Martin d'Éfoulan à
Yaoundé.
* 15 La Sainte Bible,
Genèse chapitre I versets 1à 5.
* 16
www.wikipedia.fr/tradition,
consulté le 20 août 2009.
* 17
www.encyclopædiauniversalis.fr
; encyclopédie en ligne, consulté le 20 août 2009.
* 18 Hamadou, A., 2004,
L'islam au Cameroun, entre tradition et modernité, Ed.
L'Harmattan, France, p. 201.
* 19 Entretien avec
Mohammadou Djaouro, quartier Tongo Pastorale le 23 août 2009.
* 20 Anatole France,
cité par Béchir Ben Yahmed in Jeune Afrique
L'Intelligent, n°2263, du 23-29 mai 2004, p.5.
* 21 Kemfang, 1998, p.7. Il
faut tout de même préciser que jusqu'ici, aucun document en notre
possession ne justifie cette date, en effet, c'est en 1952 que le quartier est
officiellement reconnu comme domaine de l'État, mais les
témoignages des premiers habitants de Baïladji, qui devient en 1964
Baladji, sont assez contradictoires. Certains, à l'instar du
commerçant Djiya, installé à Ngaoundéré
depuis 1958, situent cette expulsion plus tôt, c'est-à-dire en
1948. Et d'autres pensent que cette mise à l'écart n'était
que logique au regard du nombre de plus en plus élevé de
personnes venant du Sud du pays, la nécessité d'un nouveau
quartier, nous dit Mohammadou Djaouro, imam au quartier Tongo Pastorale dans
l'entretien tenu le 20 octobre 2009, s'imposait aux autorités.
* 22 Tassou, A,
"Autorité traditionnelles et urbanisation au Nord-Cameroun : Cas de
la ville de Mokolo", article en ligne :
www.apsatnet.org/africaworkshops/media/tassou20%andré.PDF
consulté le 8 novembre 2009.
* 23 Kemfang, H., 1998,
p.7.
* 24I.N.S., 1er
Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.)
de 1976 et le 2e R.G.P.H. de 1987.
* 25 Voyageur Allemand,
évoqué par Froelich, 1954a, p.6, probablement le Dr. Passarge
qui, avec Von Uchtritz, seraient restés 9 jours dans le voisinage de la
ville d'après Dermais, 1896, cité par Plumey Y., 1990.
* 26 Kemfang, H., 1998, p.
7, d'après lui, ces commerçants viennent dans la localité
de Ngaoundéré afin de découvrir les terres des personnes
avec lesquelles ils entretiennent des échanges commerciaux depuis
plusieurs années. Mais, on peut aussi voir à travers ce
déplacement, la volonté de se procurer les produits
commercialisés (viande de boeuf, kola entre autres) à la source,
sans autres intermédiaires.
* 27 Ibid., p. 7
* 28 Pandji Kawe, 2006,
« Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes
à Ngaoundéré sous administration
française », mémoire de maîtrise d'Histoire,
Université de Ngaoundéré, p. 40
* 29 Entretien avec Djiya le 18
octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 30
www.wikipedia.fr consulté
le 04 novembre 2009.
* 31
www.wikipedia.fr consulté
le 04 novembre 2009.
* 32 Kemfang, 1998, p.8
* 33 Lire Noiriel, G., 2006,
Introduction à la socio-histoire, La découverte,
Paris/France, p. 22.
* 34 "Anthropologie
historique" Microsoft® Encarta® 2006
* 35 I.N.S., 2005,
Enquête sur l'Emploi et le Secteur Informel (E.E.S.I.)
* 36 Mohamadou, L., 2004,
« L'immigration et l'essor de la ville de Ngaoundéré :
perspective historique », mémoire de maîtrise
d'histoire, Université de Ngaoundéré.
* 37 Babarou, A., 2006,
« La vie économique et sociale dans les "quartiers populaires"
des cités du Nord-Cameroun : Maroua, Garoua et
Ngaoundéré (de la période coloniale française
à nos jours) », mémoire de DEA d'Histoire,
Université de Ngaoundéré.
* 38 Nkoumba Eyoum, 1999,
« Dynamique urbaine et gestion de l'espace à
Ngaoundéré », mémoire de maîtrise de
Géographie, Université de Ngaoundéré.
* 39 Ossoko, S., 2005,
« Les enjeux du secteur informel dans le développement des
villes du Nord-Cameroun, cas de Ngaoundéré »,
mémoire de DEA de Géographie, Université de
Ngaoundéré.
* 40 Lamanou Monique
Débina, 1998, « Dynamique des Grand et Petit Marchés et
ses conséquences sur l'espace urbain de
Ngaoundéré », mémoire de Géographie,
Université de Ngaoundéré.
* 41Hawa Djibring, 2007,
« Phénomène urbain et conséquences
socio-économiques (exemple de la ville de
Ngaoundéré) », rapport d'initiation à la
recherche en Sociologie, Université de Ngaoundéré.
* 42 Kemfang, H., 1998,
« Les quartiers Baladji de Ngaoundéré création
et évolution 1950-1997 », rapport d'initiation à la
recherche en Histoire, Université de Ngaoundéré.
* 43 Lire Waage, T., 2006,
«Coping with Unpredictability: Preparing for life in
Ngaoundéré, Cameroon», in Christiansen C., Utas M. and Vigh
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* 44 Ndame, J.P., 1999,
"Commerce informel et structuration de l'espace urbain à
Ngaoundéré", Ngaoundéré Anthropos, Vol. IV.
* 45 Lire Sadou, A., 2004,
« Les moto-taximen et la question de l'insécurité dans
le Nord-Cameroun, le cas de la ville de Ngaoundéré de 1988
à nos jours », rapport d'initiation à la recherche en
Histoire, Université de Ngaoundéré. Et Halima Aboubar,
2005, « Impact sociologique de l'activité de motos-taxis sur
le développement de la ville de Ngaoundéré »,
mémoire de maîtrise en Sociologie, Université de
Ngaoundéré.
* 46 Mucchieli, R., 1991,
L'analyse de contenu des documents et des commentaires, Collection
Formation permanente en science humaine, Paris/France, p.123
* 47Mohammadou, E., 1978,
Les Royaumes foulbé du plateau de l'Adamaoua au XIXe
siècle : Tibati, Tignère, Banyo,
Ngaoundéré. Ed. ILCAA, Tokyo. Il précise tout de
même qu'un peuple de bantoïde était déjà
installé sur le plateau de l'Adamaoua avant l'arrivée des Mboum,
p.253
* 48Ibid., p. 250
* 49Lembezat, B., 1961,
Les populations païennes du Nord-Cameroun et de l'Adamaoua, PUF,
Paris/France, cité par Plumey, Y., 1990, p.136
* 50 Entretien avec Adji Temba,
tenu le 29 avril 2009 à Ngaoundéré.
* 51Plumey, Y., 1990,
Mission Tchad-Cameroun, documents, souvenirs, visages ; l'annonce de
l'évangile au Nord-Cameroun et au Mayo Kebbi 1946-1986,
Éditions Oblates, p.124
* 52Atoukam Tchefejem L.D.
& Nizésété B.D., 2002, "Filière de la viande de
brousse dans l'Adamaoua (Cameroun) : chasse et consommation",
Méga-Tchad, mis en ligne sur
www.pefac.net et consulté le
25 août 2009.
* 53 À ce sujet, lire
Boyer, 1980, "Les figures du savoir initiatiques", Journal des africanistes,
Vol.50/ Gosselin G., 1972, Travail et changement social en pays Gbaya,
Nanterre/laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative. Et Ninga Sango,
1993, "Le « labi », rite d'initiation des Gbaya",
in Peuples et cultures de l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed.
ORSTOM/ Ngaoundéré Anthropos, Col. Colloques et
Séminaires, pp 181-186.
* 54 Mohammadou E., 1978,
p.287
* 55 Froelich, J.C., 1954 b,
Commandement et organisation sociale chez les Foulbé ; in
Études Camerounaises, septembre-décembre 1954, n°45-46.
Institut Français d'Afrique Noire, Centre Cameroun, p.37
* 56 Entretien avec Adji
Temba le 29 avril 2009, informations confirmées par Mohammadou Djaouro,
entretien du 20 août 2009 au quartier Tongo.
* 57 Mohammadou, E., 1978,
p.287
* 58 Djingui, M, 1993,
"Mariage et images du mariage chez les Peul", in Peuples et cultures de
l'Adamaoua, Boutrais J., (éd.), Éd. ORSTOM/
Ngaoundéré Anthropos, Col. Colloques et Séminaires, pp
181-186.
* 59 Mohammadou Djaouro,
entretien tenu le 20 août 2009 à Tongo.
* 60 Saint Coran,
24 :31 ; 33 :32 ; 33 :33 ; 4 :128.
* 61 Kammler, W., 1973.
* 62 Adamou I. et Labatut
R., 1974, Sagesse de peuls nomades, Éd. CLE, Yaoundé,
p.32
* 63 Informations obtenues
sur le forum Aswat Al-Islam, consulté le 6 novembre 2009.
* 64Mohammadou Djaouro,
entretien tenu le 20 août 2009 à Ngaoundéré.
* 65 Cité par Abou
Bakr Al-Djazaïri, 2002, La voie du musulman (Minhaj Al-Mouslim),
traduction de Rima Ismaël, revue par Ahmad-harakat, Dar el Fiker,
Beyrouth, première édition, p.71
* 66 Ibid., p.110
* 67 Mohammadou Djaouro,
entretien tenu le 20 août 2009, et informations confirmées par
Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, p.237
* 68 Entretien avec Hadidja,
le 20 août 2009 à Tongo.
* 69La
shahâda est le témoignage de foi dans la religion
musulmane.
* 70 Hamadou, A., 2004,
L'Islam au Cameroun, entre tradition et modernité, Éd.
L'Harmattan, France, p.69.
* 71 Ibid., p. 70.
* 72 Abou Bakr
Al-Djazaïri, 2002, p.113
* 73 Ibid., p.77
* 74 Abou Bakr
Al-Djazaïri, 2002, p.342
* 75 Løde, K., 1990,
Appelés à la liberté, histoire de l'église
évangélique luthérienne du Cameroun, IMPROCEP
éditions, Amstelveen, Pays-Bas, p.9
* 76 Løde, K., 1990,
p.10
* 77 Ibid., p.11
* 78 Ibid., p.15
* 79 Entretien avec Daba
Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 80 Entretien avec Daba
Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 81 Entretien avec Daba
Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 82Løde, K., 1990,
p.10
* 83Plumey, Y., 1990,
pp.74-75
* 84Plumey, Y., 1990, p.58
* 85Ibid., pp.1-2
* 86 Psaumes 59 :7.
* 87 Évangile de Jean,
13 ; 4-5.
* 88 Ibid., 13 ; 2-3.
* 89 Psaumes 59 :15.
* 90 Entretien avec
l'abbé Karlo Prpic, le 13 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 91 Tuho C.V., Amian C. et
Fadika M.-J., 2005, La veillée des saisons : une arme
très efficace pour le combat spirituel, Fondation Jésus en
Afrique, Abidjan/Côte d'Ivoire.
* 92 Entretien avec
l'Abbé Karlo Prpic, le 13 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 93 Entretien tenu avec
Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré.
* 94 Entretien tenu avec
Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré.
* 95 Entretien tenu avec
Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de
Ngaoundéré.
* 96 Ces informations nous
ont été fournies par Mme Kadidja Ousmanou au quartier Bali, en
complément à l'article d'Abdoulaye Oumarou Dalil, "Le Soro ou
rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré".
Article en ligne.
* 97 Le
nycthémère est une durée de 24h comportant un
jour et une nuit. Il s'agit d'une unité physiologique de temps,
comprenant pour la plupart des hommes et des animaux, une période de
veille et une période de sommeil. (Le Petit Larousse Illustré
2007, p.743)
* 98Abdoulaye Oumarou Dalil,
"Le soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du
Diamaré". Article en ligne.
* 99Dognin, R., 1975, "Sur
trois ressorts du comportements peul", in Pastoralism in Tropical
Africa ; cité par Oumarou Dalil, "Le soro ou rituel
d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en
ligne.
* 100 Saïbou, Issa,
2006, "Les jeunes patrons du crime organisé et de la contestation
politique aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad" ;
International conference «Youth and the Global South : Religion,
Politics and the Making of Youth in Africa, Asia and the Middle East»
Dakar, Senegal, 13 - 15 october 2006. Mis en ligne sur
www.youthconfissa.pdf et
consulté le 24 août 2009.
* 101 Saïbou, Nassourou,
1994, "Les loisirs au village, le système de hiirde des Peuls",
rapport préliminaire, p.4
* 102 Saïbou, Nassourou,
1994, p.4
* 103 Ibid., p.9
* 104 Entretien avec Adji
Temba, tenu le 29 avril 2009 au quartier Ndelbe à
Ngaoundéré.
* 105 Entretien avec
Mohammadou Djaouro tenu le 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale,
Ngaoundéré.
* 106 Saïbou, Nassourou,
1994, p.75
* 107 Hansen, K. F., 1999,
"Space and power in Ngaoundere", in Pouvoir et savoir de
l'Arctique au Tropiques, Éd. Holtedahl L, Njeuma M.Z., Gerrard S.
et Boutrais J., Karthala, p.340
* 108 Njeuma M.Z., 1996,
cité par Lamine M., 2004, p.68
* 109 Somme assez
importante dans les années 1952, si on considère que
d'après Froelich, 1954a, un boeuf coûtait 4000 f.
* 110 Froelich, J.-C.,
1954a, "Ngaoundéré, la vie économique d'une cité
peul", in Études Camerounaises, revue trimestrielle, mars-juin
1954, N°43-44, institut français d'Afrique Noire, Centre Cameroun,
p.38
* 111 La douaire
représente l'ensemble des biens assignés en usufruit par le mari
à sa femme survivante (Le Petit Larousse Illustré 2007, p.378)
* 112 Quéchon, M.,
et Barbier, J.C., 1985, "L'instabilité matrimoniale chez les
Foulbé du Diamaré", in Femmes du Cameroun. Mères
pacifiques, femmes rebelles. Centre National des Lettres, France, pp.
299-312, Article en ligne.
* 113 Ibid., 1985.
* 114 Entretien avec Hadidja,
tenu le 22 août 2009 à Ngaoundéré.
* 115 Djingui, 1993, p 192
* 116 Ibid., p191
* 117Froelich, J.C., 1954b,
"Le commandement et l'organisation sociale chez les Foulbé de l'Adamaoua
(Cameroun)" in Études Camerounaises, septembre-décembre 1954,
n°45-46, p.6
* 118 Ibid., pp.14-15.
* 119 Entretien avec Adji
Temba, le 25 avril 2009 à Ngaoundéré.
* 120 Kemfang, 1998, p.9
* 121 Lamine, M., 2004,
p.26
* 122 Froelich J.C., 1954a,
p.25
* 123 Kemfang, H., 1998,
p.7
* 124 Pandji Kawe, 2006,
"Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à
Ngaoundéré sous administration française", mémoire
de maîtrise d'histoire, université de Ngaoundéré,
p.37.
* 125 Ibid., p 37.
* 126 Pandji Kawe, 2006,
"Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à
Ngaoundéré sous administration française", mémoire
de maîtrise d'histoire, université de Ngaoundéré,
p.23
* 127Entretien avec
Mohammadou Djaouro, le 20 août 2009 au quartier Tongo à
Ngaoundéré.
* 128Abwa D., 1980, "Le
Lamidat de Ngaoundéré 1915-1945", Master's degree en
Histoire, Université de Yaoundé, p.280.
* 129Mohammadou, E., 1978,
p.106
* 130Lamine, M., 2004, p.34
* 131 Fèvre, F.,
1983, Les seigneurs du désert, Histoire du Sahara, Presses de
la Renaissance, Paris/France, p.275
* 132 Saïbou, Issa, 1997,
"L'impact socio-économique du séjour des réfugiés
tchadiens à Kousséri", Ngaoundéré-Anthropos, revue
de sciences sociales, Université de Ngaoundéré
(Cameroun)/Université de Tromsø (Norvège), Vol.2, 1997,
p.128.
* 133 Ibid., p.128
* 134 Ibid.
* 135 Lamine M., 2004, p.44
* 136 Dermais, H., 1896,
article paru dans le journal Nature, et cité par Plumey Y.,
1990, p.77
* 137 Hansen, K.F., 1999,
pp. 399-340
* 138 Mohammadou, E., 1978,
p.305
* 139 Ibid., pp.305-307
* 140Dictionnaire
encyclopédique Quillet, 1962, librairie Aristide Quillet, Paris,
France, p.3346
* 141Larousse 3 volumes en
couleurs, librairie Larousse Paris/France, p.1825
* 142 Lamine M., 2004, p.39
* 143 Le million,
L'encyclopédie de tous les pays du monde, Vol. VI (1973,1974), Asie
du Sud-ouest, Éd. Grande Batelière (Paris/France) Kister S.A.
(Genève/Suisse), Agence belge des grandes éditions
(Bruxelles/Belgique), p.172
* 144Le million,
L'encyclopédie de tous les pays du monde, Vol. VI (1973,1974),
p.172
* 145 Ibid., p.174
* 146 Ibid., p.174
* 147Le million,
L'encyclopédie de tous les pays du monde, 1973,1974, p.174
* 148 Lamine, M., 2004, p.39
* 149 Entretien avec Agbor
Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 150 Entretien avec Agbor
Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 151 Entretien avec Agbor
Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 152 Entretien avec Agbor
Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 153Entretien avec Agbor
Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 154Hamadou Adama, 2004, p.
29.
* 155 Hamadou Adama, 2004,
p.24.
* 156 Le pulaaku
est le mode de vie traditionnel des Peuls, fondé sur la
préservation des valeurs ethnoculturelles et de la personnalité
de l'homme peul. Lire Hamadou Adama, 2004, et Saïbou Issa, 2001,
"Songoobe, bandits justiciers au Nord-Cameroun sous l'administration
française", Ngaoundéré Anthropos, Vol VI, pp 137-154.
* 157 Hamadou Adama, 2004,
p. 29.
* 158 Ibid.
* 159 Froelich, 1954 b, p.
14
* 160 Ibid., p. 19
* 161 Boutrais, J., 2002,
p. 172
* 162 Ibid., p. 172
* 163 Ibid., p.171
* 164 Hamadou, A., 2005,
"Islam et christianisme dans le bassin du lac Tchad : Dialogue des
religions ou dialogue des religieux ?" Recherches Africaines [en
ligne], Numéro 04 - 2005, 2 juin 2005. Disponible sur Internet :
http://www.recherches-africaines.net
. Consulté le 6 novembre 2009.
* 165 Mohammadou Djaouro,
entretien du 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale à
Ngaoundéré.
* 166 Cet aspect est aussi
évoqué par Mbengué Nguimé M., 2000,
"L'autorité traditionnelle, l'école et la jeunesse au
Nord-Cameroun de 1917 à 1960" in Annale de la Faculté des
Arts, Lettres et Sciences Humaines de l'Université de
Ngaoundéré, Vol. V, pp.14-29. Lire aussi Holtedahl L., 1993,
"Education, économie et « idéal de vie », les
femmes de Ngaoundéré", in Peuples et cultures de
l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed. ORSTOM/Ngaoundéré
Anthropos.
* 167 Mbengué
Nguimé M., 2000, p.25
* 168 Ibid., p.14
* 169 Ibid., p.18
* 170 Mohammadou Djaouro,
entretien tenu le 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale à
Ngaoundéré.
* 171 Ponty W., circulaire
du 30 août 1910, cité par Hamadou A, 2004, p.93.
* 172À cause des
brutalités caractéristiques de cette prison, et surtout de
l'esclavage qui sévissait dans la cité de
Ngaoundéré, le pasteur Endresen a oeuvré contre ces
pratiques. D'après Kare Løde, l'administration française
accepta le système d'esclavage pour des raisons politiques, par crainte
de contagion de la rébellion dans le Sud du pays. Le 13 novembre 1952,
le représentant du Haut Commissaire au Nord-Cameroun déclare dans
une réunion politique, que tous les hommes au Cameroun sont libres.
Mais, c'est en 1961, lorsque Charles Assale visite la N.M.S. qu'il est
informé des problèmes d'esclavage. C'est ce qui conduit quelques
mois après à la destruction de la prison du Lamido. (Kare
Løde, 1993, "les oeuvres luthériennes en Adamaoua", in
Peuples et cultures de l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed.
ORSTOM/Ngaoundéré Anthropos.)
* 173 Sojip M. et
Nizésété B.D., 1998, "Jean Ndoumbé Oumar
Ngaoundéré : premier maire noir au Nord-Cameroun
(1958-1963)", in Acteurs de l'histoire au Nord-Cameroun XIXe et
XXe siècle, Revue Ngaoundéré Anthropos,
Vol. III Numéro Spécial I, éd. Thierno Mouctar Bah,
p.272
* 174Gondolo, A., 1978,
« Ngaoundéré ou l'évolution d'une cité
peule », thèse de doctorat en Géographie,
Université de Rouen, p.93
* 175 Froelich, J.C.,
1954a, p. 6
* 176 I.N.S., 1987, 2e
Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.).
* 177 Mpoual, E., 2006,
« Évolution des effectifs d'étudiants à
l'université de Ngaoundéré de 1993 à
2004 », mémoire de maîtrise d'histoire,
Université de Ngaoundéré, p. 9
* 178 Mpoual, E., 2006, p.
20
* 179 Idem, p. 29
* 180 Lamine, M., 2004,
p.26
* 181Løde K., 1990,
Appelés à la liberté, histoire de l'église
évangélique luthérienne du Cameroun, IMPROCEP
éditions, Amstelveen, Pays-Bas, p.15
* 182 Wanedam D., "Un soir
à Joli Soir", article paru dans L'OEil du Sahel, n°323 du
06 avril 2009, p.5
* 183 Saïbou Issa,
1997, p. 132.
* 184 Ibid., p.134
* 185Ahanda A., Cameroon
Tribune n°2247, cité par Saïbou Issa, 1997, p.132.
* 186 Wanedam D., "Un soir
à Joli-Soir", in L'oeil du Sahel, n°323 du 06 avril 2009,
p.5.
* 187 Kouamen-Tavou C.-N.,
entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 188 Kouamen-Tavou C.-N.,
entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 189 Voir le décret de
loi en annexe.
* 190 Kouamen-Tavou C.-N.,
entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 191 Kouamen-Tavou C.-N.,
entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 192 Kouamen-Tavou C.-N.,
entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 193 Entretien avec "Mami"
tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 194 Entretien tenu le 23
août 2009 à Ngaoundéré, l'interviewé n'a pas
voulu donner son nom.
* 195 Entretien avec
Ngintendem Abraham, le 21 novembre 2009.
* 196 Source :
www.wikipedia.fr, consulté
le 10 août 2009.
* 197 Walther, R., 2006,
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* 199 Banque Mondiale,
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* 200 Fonds
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référence, suivi du Rapport des services du FMI : note
d'information au public relative aux délibérations du Conseil
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* 201 Walther, R., 2006.
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la Statistique, 2005, "Enquête sur l'emploi et le secteur informel au
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* 205 Institut National de
la Statistique, 2005, "Enquête sur l'emploi et le secteur informel au
Cameroun en 2005, Phase 1 : Enquête sur l'emploi, Rapport
principal".
* 206 Walther, R., 2006,
www.afp.fr, consulté le 24
août 2009.
* 207 La création de
l'hôpital est relatée par Løde K., 1990, pp 218-227
* 208 Cette fondation
appartenait à un américain nommé Young qui était
venu en visite au Cameroun en 1953. C'était un homme
généreux et très riche. Face aux difficultés
rencontrées par le projet de construction de l'hôpital, il avait
promis une somme de 25 000 Dollars US. Cette somme était si importante
qu'elle pouvait non seulement construire tout l'hôpital, y compris le
service de chirurgie et l'odontologie, mais elle permettrait également
de construire une école d'infirmiers, des maisons d'habitations des
médecins, et des maisons d'habitations de quelques infirmiers. En plus
M. Young dans sa correspondance du 20 avril 1954, avait promis de payer les
frais de fonctionnement de cet hôpital pendant une période
minimale de 5 ans et une période maximale de 10 ans.
* 209 Répartition
faite sur la base des informations fournies par Mboudga Raphael, surveillant
général adjoint de l'hôpital protestant de
Ngaoundéré, entretien tenu le 3 octobre 2009 à
Ngaoundéré.
* 210 Pacthoaké, B.,
2009, "Cameroun : le quartier norvégien de Ngaoundéré
ou des blancs en pâture aux hyènes." Article en ligne sur
www.journalducameroun.com,
mis en ligne le 17/05/2009 et consulté le 03 octobre 2009.
* 211 Mme Moussa
Mbélé Djilbert Kola, réponses au questionnaire.
* 212 Mme Moussa
Mbélé Djilbert Kola, réponses au questionnaire.
* 213 Chapitre I,
dispositions générales, article 2 du décret n°90/1483
du 9 novembre 1990, fixant les conditions et les modalités
d'exploitation des débits de boissons. Cf. Annexe.
* 214 Entretien avec M. Djiya
le 11 août 2009 à Ngaoundéré.
* 215 Kouam David, entretien
tenu le 12 août 2009 à Ngaoundéré.
* 216 Entretien avec Nformi
Félix, le 20 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 217 Kouamen Tavou, entretien
du 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 218 Entretien avec Viviane
le 10 août 2009 à Ngaoundéré.
* 219 Mballa Romiald,
réponses au questionnaire.
* 220 Le Petit Larousse
Illustré 2007, p.122
* 221 Le Petit Larousse
Illustré 2007, p.553
* 222 Le Petit Larousse
Illustré (2007), Ed. Librairie Larousse, Paris/France ; p.191
* 223 Djommo Lin
Valère, entretien tenu le 16 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 224 Djommo Lin
Valère, entretien tenu le 16 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 225 C.R.T.V., Cameroon
Radio and Television.
* 226 Ismaëla Issa,
entretien tenu le 25 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 227 Abdoulkarim, S.,
2005, "Le taxi moto et l'insécurité urbaine dans le
Nord-Cameroun, le cas de la ville de Ngaoundéré". Article mis en
ligne sur
www.sadou1ngaoundéré.pdf
et consulté le 20 septembre 2009.
* 228 Abdoulkarim, S.,
2005,
www.sadou1ngaoundéré.pdf
consulté le 20 septembre 2009.
* 229 Augustin, entretien tenu
le 20 septembre 2009.
* 230 Entretien avec
Jean-Vincent, tenu le 19 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 231 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 232 Mohammadou Djaouro,
entretien tenu le 20 août 2009 à Ngaoundéré.
* 233 Patchami Guy
Bertrand, entretien tenu le 20 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 234 Patchami Guy
Bertrand, entretien tenu le 20 septembre 2009 à
Ngaoundéré.
* 235 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 236 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 237 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.
* 238Nyam a Ngam C., 2007,
« La Police et la répression du gangstérisme urbain
à Ngaoundéré 1990-2005 », mémoire de
maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré ;
p.16
* 239 Temde Joseph, entretien
tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré
* 240 Nyam a Ngam, 2007,
p.16
* 241 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré
* 242 Nyam a Ngam, 2007, p.
43
* 243 Temde Joseph,
entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré
* 244 Mme Ngan Jeanne,
entretien tenu le 02 septembre 2009 à Onaref.
* 245 Ngo Nlomée
M.M., 2004, « Le bili bili à Ngaoundéré :
technique de fabrication, usage et commercialisation 1964-2004 »,
mémoire de maîtrise d'Histoire, Université de
Ngaoundéré, p.61.
* 246 Ngo Nlomée
M.M., 2004, p.61
* 247 Ibid., p.62
* 248 Ibid., p.63.
* 249 Entretien avec Natwa le
19 septembre 2009 à Sabongari Norvégien.
* 250 Ngo Nlomée
M.M., 2004, p.68.
* 251 Les fruits vendus
varient en fonction des saisons. Ainsi, la même personne peut vendre des
oranges et des mandarines pendant certains mois, et le mois d'après
vendre des prunes.
* 252 Le soya est
un mets fait à base de viande, soit de boeuf, de mouton de poulet, de
porc ou tout autre ; cuite à la braise sur de grands fours et
vendue en tranches. Ce commerce est l'apanage des ressortissants du Grand-Nord,
même si en ce qui concerne le porc et le poulet, on retrouve surtout les
Sudistes.
* 253 Tableau établi
en mars 2005 par Tanlaka Kilian Lamtur, Tirga Albert et Gnebora Oumarou, in
"Les immigrés des Monts Mandara et le commerce de la viande à
Ngaoundéré : cas de la viande du soya (brochettes) et du
rôtis de foetus de vaches (1990-2006)", article
inédit.
* 254Boulet, J., 1975,
Magoumaz, pays Mafa (Nord-Cameroun). Étude d'un territoire de
montagne, ORSTOM, Paris, p.24, cité par Tanlaka Kilian Lamtur,
Tirga Albert et Gnebora Oumarou.
* 255 Abou Bakr Djaber
Al-Djazaïri, 2002, p.394
* 256 Viviane, entretien tenu
le 10 août 2009 à Ngaoundéré.
* 257 Pierre, entretien tenu
le 10 août 2009 à Ngaoundéré.
* 258Aladji Abouya Oumar,
1999, « La gare ferroviaire de Ngaoundéré, impact
socio-économique et spatial », mémoire de
maîtrise de Géographie, Université de
Ngaoundéré, p.47
* 259 Ibid., p. 47
* 260 Mâ Pau,
entretien tenu le 31 août 2009 à Ngaoundéré.
* 261 Froelich, 1954a, p.39
* 262 Kemfang, H., 1998,
p.17
* 263 Tedou J. (I.N.S.)
* 264 Mélanie,
entretien du 13 juin 2009 au quartier Sabongari Gare.
* 265 Ma Henriette, entretien
du 14 juin 2009 au quartier Baladji I.
* 266 Froelich, 1954a, p.39
* 267 Ma Henriette, entretien
du 14 juin 2009 au quartier Baladji I.
* 268 Le "protecteur" est
une personne, mâle ou femelle, qui maque la prostituée et
l'exploite. Il s'agit d'une pratique assez courante compte tenu du fait que la
prostituée est exposée à toute sorte de violence de la
part des clients. D'autre part, les filles qui arrivent à peine dans la
ville, sont accueillies par des "protecteurs" qui les hébergent et se
font payer sur la base des revenues de ces filles. C'est aussi cette pratique
qui est mise en exergue dans les circuits tel que nous l'avons
évoqué dans la Première Partie, section IV.
* 269
www.wikipedia/toponymie.fr
* 270Djiya, entretien tenu
le 18 octobre 2009 à Ngaoundéré.
* 271 Le nom
Aladji est attribué à un musulman ayant effectué
le pèlerinage à la Mecque (El Hadj), mais dans la ville
de Ngaoundéré et dans le Grand-Nord du Cameroun en
général, ce nom est attribué aux riches commerçants
musulmans. Il est possible que cette transformation dans la connotation du nom
soit due au coût élevé du voyage pour la Mecque, que seules
les personnes nanties pouvaient s'offrir. Être un Aladji, c'est
donc être un homme riche.
* 272 Nyam a Ngam, C.,
2007, p.25.
* 273 Voir la façade
avant de la Cathédrale Notre Dame des Apôtres de
Ngaoundéré où est enterrée Yves Plumey.
* 274 Saïbou Issa,
2004, "La répression du grand banditisme au Cameroun : entre pragmatisme
et éthique". Recherches Africaines [revue en ligne], Numéro 03 -
2004, 3 octobre 2004. Disponible sur Internet :
http://www.recherches-africaines.net
consulté le 25 août 2009.
* 275 Ibid., 2004.
* 276 Yemga, 2009,
"Ngaoundéré : Un policier présumé coupable",
article paru dans le journal Mutations, mis en ligne sur le site
www.cameroon-info.net
consulté le 10 août 2009.
* 277 Ibid.
* 278 Entretien avec
Mohammadou Djaourou, tenu le 20/08/09 à Tongo Pastorale,
Ngaoundéré.
* 279Entretien avec Mme
Ngodjock Bernadette, tenu le 10 août 2009 à
Ngaoundéré.
* 280 Nyam a Ngam, C.,
2007, p. 27
* 281 Ibid., p.28
* 282 Fouda Guy, entretien
mené en décembre 2006 à Yaoundé.
* 283 Edzoa Y. M., 2008, "1
jeune sur 4 consomme de la drogue au Cameroun", article paru dans le quotidien
Le Jour, et mis en ligne sur
www.bonaberi.com le 04/07/2008,
consulté le 06 août 2009.
* 284 Le collapsus est un
délire aigu lié à l'épuisement, lire Piéron,
H, 2000, p.83
* 285
www.doctissimo.fr, site Internet
consulté le 06 août 2009.
* 286 Il faut
préciser que le dosage de ces produits est une indication de notre
informateur. Sur les sachets de ces comprimés on peut lire 50 mg
(Trumol, Tramadol) et 100 mg (Tralam), mais la
différence de prix montre bien qu'ils n'ont pas la même
consistance. En partant de la gauche vers la droite l'Exol 5
coûte 100 f.cfa. Le comprimé, il est aux dires des
consommateurs, comparable à 5 bières de marque Guinness.
Le Diazépam vaut 250 f.cfa. Le sachet de 10 comprimés.
Le sachet de Passion s'achète à 100 f.cfa. ; les
différents types de Tramol ont des prix assez variant selon les
vendeurs, mais les prix généralement pratiqués sont :
Trumol, 200 f.cfa. ; Tralam (250 mg), Tramadol et
Tromal, 250 f.cfa. ; enfin Tralam (1000 mg), 350
f.cfa. En marge de ces comprimés dont nous avons pu nous procurer
des échantillons, on peut ajouter la marijuana, vendue à
200 f.cfa. le sachet. Pour notre informateur, il ne faut pas se fier aux
indications sur le sachet, ces comprimés étant de la contrebande.
Par ailleurs, en l'absence de tests chimiques appropriés, nous ne
saurions nous prononcer sur ces dosages.
* 287 Témoignage
anonyme d'un responsable de l'établissement confessionnel, le 4
août 2009 à Ngaoundéré.
* 288 Kä Mana, "La
prostitution, plus qu'un mal local, une dérive globale", in
Ecovox n°40, juillet-décembre 2008.
* 289 Entretien avec Ma
Henriette, le 14 juin 2009 au quartier Baladji I.
* 290 Entretien avec Temde
Joseph, le 24 septembre 2009.
* 291 Petsoko M., "Pari
mortel : Il trépasse pour avoir voulu boire 100 comprimés de
Tramol", article mis en ligne sur
www.webcameroon.net le 12
octobre 2008 et consulté le 19 août 2009.
* 292
www.alcoolisme.org,
consulté le 5 octobre 2009.
* 293 Karererwa I.,
2005, "Kigali : alcoolisme et pauvreté, un cocktail redoutable",
mis en ligne sur
www.sifyainternational.com
le 10/05/2005 et consulté le 05/10/2009.
* 294 Tassou, A,
"Autorité traditionnelles et urbanisation au Nord-Cameroun : Cas de la
ville de Mokolo", article en ligne :
www.apsatnet.org/africaworkshops/media/tassou20%andré.PDF
consulté le 8 novembre 2009.
* 295 Ibid.
* 296 Abdelnasser
Garboa, "Cameroun : la prostitution à l'ombre du Sare",
in Mutations du vendredi 9 juillet 2004. Article en ligne sur le site
http://www.afriquechos.ch site
Internet visité le jeudi 06 août 2009)
* 297 Engoute C., Les
"benskinneurs" se shootent au Tramol, article paru dans le journal
Mutations du 07 avril 2009. Article mis en ligne sur le site
www.cameroon-info.net. Consulté le 06 août 2009.
* 298 Ibid.
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