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La "vie de nuit " dans la ville de Ngaoundéré au Cameroun de 1952 à  2009

( Télécharger le fichier original )
par Nicolas OWONA NDOUNDA
Université de Ngaoundéré Cameroun - Master en histoire 2009
  

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UNIVERSITÉ DE NGAOUNDÉRÉ UNIVERSITY OF NGAOUNDÉRÉ

************* **************

Faculté des Arts Lettres et Faculty of Arts, Letters and

Sciences Humaines Social Sciences

********** **********

Département d'Histoire Department of History

Chapitre 7 LA "VIE DE NUIT" DANS LA VILLE DE NGAOUNDÉRÉ DE 1952 À 2009

Thèse de Master's Degree d'Histoire

Présentée par

OWONA NDOUNDA Nicolas N.C.

Maître ès Sociologie

Sous la direction du

Pr. SAIBOU ISSA

Maître de Conférences

Année académique 2008-2009

DÉDICACE

À Mme Ndounda Bernadette Alphonsine, veuve Tsoungui

À Nganso Vérane

À Akamba Ndzié Emmanuelle

Et à tous ceux qui, à cause des vicissitudes de la vie,

sont obligés de gagner leur pain pendant la nuit.

REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont à l'endroit de toutes les personnes qui m'ont apporté leur aide et leur soutien dans la réalisation de ce travail de longue haleine. Je pense ici :

Au Pr. Saïbou Issa, qui a accepté de diriger ce travail en dépit de ses occupations, et pour les vertus qu'il a fait naître en moi, à savoir la patience et la persévérance.

À tous mes enseignants en Master d'Histoire, Pr. Hamadou Adama, Dr. Mbengué Nguimé Martin, Dr. Mokam David, et le Dr. Nizésété Bienvenu-Denis pour leur contribution à ma formation d'historien ; ainsi que le Dr. Fadibo Pierre pour son apport méthodologique.

À toutes les personnes que j'ai interviewées et qui n'ont pas hésité à me consacrer leur temps, je tiens à exprimer ma profonde gratitude.

J'exprime aussi ma reconnaissance à ceux qui m'ont accompagné sur le terrain malgré les risques encourus dans la nuit. Je pense ici à Ware Grégoire, Kaïmangui Mathias, Sadou Dewa, Fonko Joël, Njock Nkembé Azarias.

Je remercie également tous les membres de ma famille, et très spécialement ma mère Ndounda Bernadette, pour leurs encouragements et leur affection inconditionnelle.

À tous mes collègues et amis du collège St. Eugène de Mazenod pour leur assistance et leurs encouragements, particulièrement le Principal, l'abbé Karlo Prpic pour son esprit de compréhension, le préfet des études, M. Danbaga Djonwé Évariste, MM. Bone Mbang Jean-Louis, Yong David, Emini Lucas, Haïrou Adamu, Tanlaka Kilian Lamtur, Bolé Samuel et Mlle Nkeng Odile pour leur aide multiforme.

Enfin, toute ma reconnaissance à mes amis et camarades de Master d'Histoire, en particulier Doua Sodéa Célestin et Bouba Ibrahim pour leur amitié. Que ceux et celles qui ont contribué à l'élaboration de ce travail et qui n'ont pas été désignés nommément, trouvent ici l'expression de ma gratitude infinie.

RÉSUMÉ

Devenue aujourd'hui ville cosmopolite, Ngaoundéré s'est ouverte au monde, en quelque sorte, avec sa prise en 1901 par les Allemands. Dès cette période, la "vie de nuit" dans cette cité n'a cessé de subir des modifications. Sous influence islamique, elle se veut pourtant le socle d'une certaine morale, qui ne laisse pas s'exprimer ouvertement les comportements de perversité à l'instar de la prostitution ou de l'alcoolisme. C'est dans les années 1940, avec les premières grandes vagues migratoires constituées d'abord de commerçants bamiléké, que la ville change de visage dans la nuit. L'afflux d'"immigrés" venus de l'intérieur du pays conduit finalement à la création du quartier Baïladji en 1952, devenu en 1964 Baladji. Avec la création de ce quartier, on assiste à un changement de moeurs dans la ville, à travers une informalisation des activités de nuit, la multiplication des bars etc., facilitées par des éléments tels que l'inauguration du chemin de fer Transcamerounais, la création de l'université et l'érection de la ville en chef-lieu de Province. Par ailleurs, l'instabilité politique au Tchad et en République Centrafricaine, permet d'augmenter une population d'étrangers déjà bien fournie par les Levantins, les Européens et les ressortissants d'Afrique de l'Ouest. L'impact de ces populations sur la ville de Ngaoundéré n'a pas qu'un effet positif. Leur installation est pervertie par la crise économique qui mine le Cameroun depuis la fin des années 1980.

Mots clés : Ngaoundéré, nuit, migration, secteur formel, secteur informel, criminalité.

ABSTRACT

Having become a cosmopolitan town today, Ngaoundere has opened up to the world in some way with her overcoming by the Germans in 1901. From that time, night's life has been continuously changing in this city. Under Islamic influence however, the town is supposed to be the base of certain ethics that do not allow or tolerate any public expression of misbehaviour such as prostitution or alcoholism. It is as from the 1940s with the first great waves of migration, made up firstly of Bamileke businessmen, that the town changed its night outlook. In order to find accommodation to the «immigrants» coming from all over the country, the quarter Baïladji is then created in 1952, and renamed Baladji in 1964. Then we witnessed a change in lifestyle in the town, through the informalisation of night's activities, the increasing of bars etc., made easier with some elements like the launching of the Transcameroonian railway line, the erection of the town as provincial headquarter and the creation of the University. Furthermore, political instability in Chad and Central African Republic increased the town's population, already made up of Northerners, Europeans and migrants from West Africa. The impact of these people in the town does not only have positive aspects. Their settlement is perverted by economic crisis which affected Cameroon at the end of the 1980s.

Key words: Ngaoundéré, night, migration, formal sector, informal sector, criminality.

SOMMAIRE

Pages

DÉDICACE...............................................................................................i

REMERCIEMENTS ....................................................................................ii

RÉSUMÉ...................................................................................................iii

ABSTRACT................................................................................................iii

SOMMAIRE..............................................................................................iv

TABLES DES ILLUSTRATIONS...................................................................vii

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS....................................................viii

INTRODUCTION GÉNÉRALE.....................................................................1

I. Constat et formulation du problème..........................................................3

II. Cadre théorique et conceptuel..................................................................5

III. Cadre géographique..............................................................................13

IV. Limites chronologiques.........................................................................15

V. Intérêt de la recherche............................................................................17

IV.1. Intérêt académique et scientifique..........................................................17

IV.2. Intérêt économique............................................................................19

IV.3. Intérêt culturel .................................................................................19

VI. Revue de la littérature...........................................................................20

VII. Problématique.................................................................................22

VIII. Objectifs de la recherche.........................................................................22

IX. Méthodologie..........................................................................................23

IX.1. Sources........................................................................................ 23

IX.2. Méthodes de collecte des données..........................................................24

IX.2.1. Observation participante...............................................................24

IX.2.2. Entretiens et interviews................................................................25

IX.2.3. Exploitation documentaire........................................................... 26

IX.3. Méthode d'analyse des données............................................................ 26

IX.4. Difficultés rencontrées....................................................................... 27

X. Plan du travail.........................................................................................28

Pages

CHAPITRE I : LA VIE DE NUIT À NGAOUNDÉRÉ :

ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ....................................29

I. Représentation traditionnelle et religieuse de la nuit..........................................30

1. La nuit selon les peuples "autochtones".......................................................30

2. Représentation religieuse de la nuit........................................................... .34

2.1. La nuit musulmane...........................................................................34

2.2. La nuit chrétienne............................................................................ 37

2.2.1 La nuit pour les Protestants...........................................................37

2.2.2 La nuit pour les Catholiques..........................................................40

2.2.3 La nuit selon les Églises réveillées....................................................42

II. Quelques activités de nuit sur le plan traditionnel..............................................44

1. Le Soro, un rituel traditionnel du mariage....................................................44

2. Le hiirde............................................................................................47

2.1 Définition........................................................................................47

2.2 Le hiirde et ses acteurs........................................................................48

2.3 La disparition du hiirde .......................................................................50

3. Les adjaba'en..................................................................................... 50

III. Les changements de la vie de nuit : de la tradition à la modernité...........................54

1. L'arrivée des "immigrés" camerounais..........................................................54

2. Les autres vagues migratoires.................................................................... 56

3. L'électrification de la ville.................................................................... ....62

4. L'impact des immigrés sur la vie traditionnelle............................................... 63

IV. Les nouveaux loisirs de nuit...........................................................................74

1. Les snack-bars et les boîtes de nuit...............................................................74

2. Les circuits.............................................................................................78

3. Autres loisirs de nuit................................................................................79

CHAPITRE II : LES TRAVAILLEURS DE LA NUIT.........................................83

I. Distinction entre le secteur formel et le secteur informel,

et situation dans la ville de Ngaoundéré........................................................84

II. Les activités de la nuit relevant du secteur formel...........................................91

1. Le secteur de la santé...........................................................................91

2. Le secteur agroalimentaire.................................................................... 96

3. Le secteur de l'enseignement : les cours du soir............................................99

4. Le secteur hôtelier..............................................................................100

5. Les télécommunications........................................................................101

6. Les transports..................................................................................104

7. La sécurité.......................................................................................107

Pages

III. Le secteur informel à Ngaoundéré.............................................................. 113

1. Le secteur agroalimentaire.....................................................................113

2. Les call-box......................................................................................121

3. Les vendeurs ambulants.........................................................................123

4. Les activités à la gare ferroviaire.............................................................. 125

5. Le commerce du sexe...........................................................................127

IV. Toponymie des lieux d'activités de nuit........................................................ 131

Chapitre 7 CHAPITRE III : LES PROBLÈMES LIÉS A LA VIE DE NUIT

ET LES ACTIONS DES AUTORITÉS...........................................................136

I. Les problèmes liés à la vie de nuit................................................................137

1. L'insécurité.......................................................................................137

2. La consommation de drogue....................................................................140

3. La dépravation des moeurs......................................................................144

II. Les actions menées par les autorités.............................................................150

1. Les autorités traditionnelles.................................................................151

2. L'administration................................................................................152

3. La police..........................................................................................153

Ø CONCLUSION GÉNÉRALE..............................................................155

Ø SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES......... ...................158

I. Sources orales..................................................................................159

II. Ouvrages généraux............................................................................161

III. Articles........................................................................................162

IV. Thèses et mémoires...........................................................................164

V. Rapports.......................................................................................165

VI. Dictionnaires et encyclopédie...............................................................166

VII. Documents divers............................................................................166

VIII. Sites internet consultés.....................................................................167

Ø ANNEXES.....................................................................................168

I. Guide d'entretien de Mballa Romiald..............................................169

II. Guide d'entretien de Temde Joseph..................................................169

III. Guide d'entretien de Patchami Guy Bertrand......................................170

IV. Le décret N°90/1483 du 9 novembre 1990, fixant

les conditions et les modalités d'exploitation des débits de boissons................172

V. Exemplaire d'une licence de vente de boissons hygiéniques

à consommer sur place........................................................................178

TABLES DES ILLUSTRATIONS

I. Carte

· Carte de localisation et étapes de la croissance de Ngaoundéré.............................2

II. Tableaux

· Tableau I : Tableau représentatif du niveau de vie et du taux des actifs

dans la ville de Ngaoundéré..................................................................85

· Tableau II : Évolution du nombre de rôtisseries par groupes ethniques

À Ngaoundéré................................................................................. 119

III. Photos

· Photo 1 : Groupe de jeunes regardant un match télévisé sur la terrasse

du bar Le Fhalimar au quartier Joli Soir......................................................14

· Photo 2 : Les trois employées du restaurant traditionnel

de Hadidja et leurs enfants......................................................................54

· Photo 3 : Le Marhaba VIP Night Club....................................................... 75

· Photo 4 : Le snack bar restaurant la Plazza au

centre commercial de Ngaoundéré.............................................................77

· Photo 5 : Le "circuit" Mami Frotambo au quartier Baladji I...............................79

· Photo 6 : Groupe de jeunes jouant au Babyfoot au quartier Joli Soir.....................80

· Photo 7 : Calendrier 2008 de la répartition des gardes des

pharmacies de la ville de Ngaoundéré........................................................95

· Photo 8 : L'auberge Le Temple d'Or, situé à côté de la boîte

de nuit du même nom au quartier Joli Soir......................................... ........101

· Photo 9 : L'intérieur du cybercafé de MTN

au centre commercial de Ngaoundéré........................................................103

· Photo 10 : De jeunes veilleurs de nuit

au petit marché de Ngaoundéré...............................................................109

· Photo 11: Mme Ngan dans son "bureau"...................................................115

· Photo 12 : Restaurant de trottoir devant la société HYSACAM

au quartier Tongo Pastorale..................................................................116

· Photo 13 : Des cabarets de vente de bili bili au quartier Joli Soir.........................118

· Photo 14 : Point de vente de "soya" de foetus de vache

au quartier Joli-Soir.............................................................................120

· Photo 15 : Vendeurs ambulants de médicaments

au carrefour Jean Congo au quartier Joli Soir..............................................124

· Photo 16 : Des prostituées dans la pénombre

du bar Carrefour de la joie plus au carrefour Jean Congo.................................130

· Photo 17 : "Ampoule Rouge" signalant la présence

d'une auberge au carrefour Tissu...............................................131

· photo 18 : Vente de beignets et bouillie au carrefour An 2000......................... 142

· Photo 19 : Échantillon des stupéfiants les plus

vendus à Ngaoundéré...............................................................144

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

· R.P. : Révérend Père

· Rév. : Révérend.

· I.N.S. : Institut National de la Statistique

· E.H.T. C.E.M.A.C : École d'hôtellerie et de Tourisme de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale

· E.N.I.E.G. : École Normale des Instituteurs de l'Enseignement Général

· I.D.H. : Indicateur du Développement Humain

· N.M.S. : Norwegian Missionnary Society (Société des Missions Norvégiennes)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Carte de localisation et les quartiers les plus actifs de nuit dans la ville de Ngaoundéré.

Conception : Owona Nicolas

Réalisation : Fofire E., février 2010

I. CONSTAT ET FORMULATION DU PROBLÈME

Notre sujet de recherche s'intitule "La vie de nuit" dans la ville de Ngaoundéré, de 1952 à 2009. Il s'inscrit dans le cadre de la sociohistoire. La ville de Ngaoundéré se présente comme une ville sous influence islamique, avec des moeurs qui ne conviennent pas à «la vie de nuit» telle que conçue par des non-musulmans, c'est-à-dire avec ses excès et son libertinage. Notre travail consiste à examiner comment la ville a pu concilier les paramètres qui lui ont en quelque sorte, été imposés par les différents flux migratoires, et sa propre culture. Tous ces paramètres s'inscrivent dans un modèle évolutif qui va connaître plusieurs moments, depuis la création des quartiers Baladji en 1952, l'ouverture du chemin de fer Transcamerounais en 1974, ainsi que la création du centre universitaire en 1977, jusqu'à l'érection de la ville en chef lieu de Province en 1983 et aujourd'hui de Région.

Il faut dire que certaines formules de politesse, « Bonsoir ! », « Bonne nuit ! » « Avez-vous bien dormi ? » sont des rituels quasi universels. Quand la nuit n'est pas le domaine des sorciers par exemple ou des esprits maléfiques, elle est tantôt associée à des images positives ( repos, amour, rêves, promenades romantiques sous le clair de lune, acte sexuel...), tantôt associée au danger (l'obscurité peut cacher des dangers réels ou alimenter la peur et le fantasme), ou à la méditation. Les contes et légendes, les mythes puis le roman et le cinéma évoquent souvent la nuit, pleine de mystères ou chargée d'angoisse. La nuit est donc un cadre apprécié pour les histoires évoquant les pouvoirs maléfiques, une certaine magie, des créatures fantastiques : korrigans, gnomes, vampires ou les loups-garous et autres esprits ou monstres, dont les noms et la constitution varient d'un endroit à l'autre de la planète selon la culture.

La nuit revêt donc une grande importance dans toutes les civilisations. Le dictionnaire Encyclopédique Quillet présente ainsi l'aspect mythologique de la nuit : « Les Anciens [Grecs] avaient fait de la Nuit une divinité. Suivant Hésiode et les poètes postérieurs, elle était fille du Chaos, la soeur de l'Érèbe, et la mère du Sommeil, des Songes, de la Mort, des Parques, de Némésis, etc. Cette déesse avait des temples en Grèce et on lui sacrifiait des brebis noires, des coqs, des hiboux. »

Psychologues et psychanalystes ont à traiter des angoisses, cauchemars ou phobies nocturnes généralement liés à des traumatismes plus ou moins refoulés. Nous pouvons ainsi citer la nyctophobie, définie comme la crainte excessive de l'obscurité1(*). Pendant longtemps, la nuit a été considérée comme une période de repos, l'absence de lumière empêchant toute activité. On sait maintenant que le sommeil est indispensable à la santé et que l'alternance jour/nuit régule la production de mélatonine, hormone essentielle sécrétée par l'épiphyse et qui joue un rôle important dans le déclenchement de la puberté2(*).

Avec toutes ces caractéristiques qui font de la nuit un moment particulier pour les animaux en général et pour les hommes en particulier, notre travail de recherche va donc s'intéresser à ceux qui font de la ``nuit'' leur «jour». Ceux pour qui la nuit représente l'espace de temps consacré au travail. D'emblée trois types de métiers font surface, à savoir d'une part ceux qui travaillent exclusivement à la nuit tombée (gérant de boîte de nuit), ceux dont l'activité commence en journée et s'achève dans la nuit (gérant de call-box) et ceux qui alternent les moments nuit/jour (policiers). De plus, ces activités peuvent être divisées selon qu'elles appartiennent au secteur formel, ou au secteur informel.

Par ailleurs, en journée, il existe certains types de marchés reconnus par les mairies, où les activités cessent si ce n'est complètement, du moins dans leur partie visible, dès la tombée de la nuit. Tout à côté, nous en avons d'autres qui naissent presqu'immédiatement après, soit aux mêmes endroits, soit à des endroits différents et toutes les populations savent où se diriger lorsqu'elles ont besoin d'un service. Dans le cas de la ville de Ngaoundéré, ces faits ne sont pas négligeables.

En effet, il s'est créé tout au long de l'histoire de cette ville, une véritable scission entre l'ancienne ville, représentée par des quartiers tels que Bali, Boumdjere, Yarmbang ou Maloumri, où la nuit est silencieuse et presque taciturne ; et, à l'opposé, les quartiers dits non-musulmans tels que Baladji I, Joli Soir, où la vie tout court, ne prend tout son sens que dans la nuit justement avec tous les problèmes que cela implique. Un aspect n'est pas à négliger à savoir qu'à l'exception de la vieille ville, les nouveaux quartiers de Ngaoundéré sont habités par des populations diverses, constituées de nationaux et d'expatriés. Les populations venues de l'Extrême-Nord et du Nord, du Centre, de l'Est, de l'Ouest et de plus en plus des originaires du Sud-ouest, du Nord-Ouest voire du Sud du Tchad et de l'Ouest de la R.C.A. cohabitent sans heurts3(*). Ainsi, à la base de cette distinction dans la manière de vivre des deux parties de la ville, nous retrouvons des aspects religieux, ethnoculturel et surtout historique.

II. CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

Notre travail se consacre à l'étude des interactions sociales à l'intérieur de la ville, en accordant une grande importance à l'évolution des activités socio-économiques et culturelles de celle-ci pendant la nuit spécifiquement, nous le situons donc dans la ligne théorique de l'École de Chicago et du Subaltern Studies Group (S.S.G.).

En effet, la première école de Chicago s'attache à étudier les relations interethniques et la délinquance dans les grandes villes aux États-Unis. On parle alors de laboratoire social, qui permet d'étudier les nombreuses transformations des milieux urbains. Les représentants de cette première école sont notamment William I. Thomas et Robert E. Park.

Dès les années 1940, les chercheurs de l'École de Chicago se consacrent un peu plus à l'étude des institutions et des milieux professionnels. Nous avons comme principaux représentants Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss et Eliot Freidson.

Bien que ces sociologues aient utilisé de nombreuses méthodes quantitatives et qualitatives, historiques et biographiques, ils sont reconnus pour avoir introduit, en sociologie, une nouvelle méthode d'investigation, largement inspirée des méthodes ethnologiques, celle de l'observation participante, méthode dont nous nous sommes largement inspiré dans notre travail. Celle-ci leur permet de comprendre le sens que les acteurs sociaux donnent aux situations qu'ils vivent.

La sociologie de l'École de Chicago a été fertile. Elle a fortement contribué à l'étude des villes (sociologie urbaine, urbanisme et études sur les migrations, écologie urbaine), à l'étude de la déviance (criminologie), à l'étude du travail et des métiers ainsi que de la culture et de l'art.

La sociologie urbaine peut être définie comme une branche de la sociologie qui tend à comprendre les rapports d'interaction et de transformation qui existent entre les formes d'organisation de la société et les formes d'aménagement des villes à savoir :

- la morphologie sociale, ensemble des formes qu'une société prend dans l'espace. - la morphologie urbaine, ensemble des formes de la ville avec son habitat, ses monuments, ses décors, et en général tous ses aménagements.

La connaissance de la réalité des interactions entre une morphologie sociale et une morphologie urbaine permet d'une part, de favoriser la vie sociale dans les villes existantes et, d'autre part, de mieux concevoir les nouveaux ensembles urbains ou architecturaux (programmation).

Nous ne saurions étudier les villes sans parler de l'urbanisation. Il s'agit d'un mouvement historique de transformation des formes de la société que l'on peut définir comme l'augmentation de ceux qui habitent en ville par rapport à l'ensemble de la population.

Nous nous sommes donc théoriquement fondé sur l'École de Chicago dans la logique de l'étude des villes. En effet, il s'agit pour nous de relever l'évolution de la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré, les interactions entre les populations, l'influence des immigrés dans ladite ville, camerounais et étrangers, et la mise en place des structures sociales depuis 1952.

Par ailleurs, nous nous intéressons aux différentes activités qui font la société de Ngaoundéré, que ce soit dans le secteur formel ou informel. Nous avons mis un accent sur leur impact dans la vie communautaire et sur l'évolution de la ville. Il apparaît aujourd'hui qu'avec la crise économique qui dure depuis la fin des années 1980 au Cameroun, 90,4% des actifs exercent dans le secteur informel4(*). La dépendance sociale entre le secteur formel et ce dernier doit donc être prise en compte. Examiner le lien intrinsèque entre les différents métiers de la nuit, leur lien avec les personnes qui sont sensées faire "la vie de jour" est aussi une de nos tâches. Certes cette démarche emprunte beaucoup à la sociologie, mais elle est aussi à rattacher aux historiens du Subaltern Studies Group (S.S.G.).

Le S.S.G., encore appelé le Subaltern Studies Collective (S.S.C.), est une école constituée par un groupe d'universitaires asiatiques avec à leur tête, l'historien Bengali Ranajit Guha (né en 1923). Ce courant fait référence : « To any person or group of inferior rank and station, whether because of race, class, gender, sexual orientation, ethnicity, or religion. The S.S.G. arose in the 1980s, influenced by the scholarship of Eric Stokes, to attempt to formulate a new narrative of the history of India and South Asia.5(*) »

Au départ, le S.S.G. est une série de volumes collectifs publiée par l'Oxford University Press - Delhi à partir de 1982. Prévue pour ne comprendre que trois publications, on en compte plus d'une dizaine à ce jour. Les volumes portent le sous-titre Writings on South Asian History and Society. Le succès international de la série fut alimenté par les débats théoriques et méthodologiques qu'elle a suscités dans le milieu de la recherche en sciences sociales, en Inde d'abord puis dans les pays anglo-saxons. Les volumes de I à VI, publiés entre 1982 et 1989, ont eu pour maître d'oeuvre Guha lui-même, le fondateur, l'inspirateur et l'animateur de ce collectif de six, puis de dix chercheurs, responsables de l'entreprise. L'orientation intellectuelle initiale était un marxisme critique dont les affinités se situaient du côté de Gramsci6(*). Guha a ensuite passé la main, laissant la direction des recueils suivants à des équipiers plus jeunes, sans cesser pour autant de collaborer au travail commun7(*).

L'expression Subaltern Studies désigne donc l'étude de la société par le bas, c'est à dire la construction de la société par l'apport des masses et non de l'élite. Il s'agissait donc de rétablir le peuple comme sujet de sa propre histoire en refusant de le concevoir comme simple masse de manoeuvres manipulée par les élites, et en rompant avec les téléologies (études de la finalité) qui le transforment en agent passif d'une mécanique historique universelle. Il fallait donc reconnaître son importance historique réelle à la capacité d'initiative libre et souveraine de ce peuple, redécouvrir sa culture propre, s'intéresser enfin sérieusement à son univers de pensée et d'expérience et pas seulement à ses conditions matérielles d'existence. Il fallait faire admettre en somme qu'il existe un domaine autonome de la politique du peuple distinct de celui de l'élite, dont les idiomes, les normes, les valeurs sont enracinées dans l'expérience du travail et de l'exploitation sociale. Le peuple, selon le manifeste programmatique publié par Ranajit Guha en entête du premier volume des Subaltern Studies, est constitué par «les classes et groupes subalternes qui constituent la masse de la population laborieuse et les couches intermédiaires des villes et des campagnes»8(*). Il s'agit donc de mettre un accent sur les catégories inférieures de la petite bourgeoisie.

Ce qui définit les subalternes, c'est la relation de subordination dans laquelle les élites les tiennent, relation qui se décline en termes de classe, de caste, de sexe, de race, de langue et de culture. En examinant en profondeur cette catégorie, Guha mettait en tout cas au centre de sa perspective historique une vision dichotomique de la société partagée entre dominants et dominés. Et s'il entreprenait de corriger la vision élitiste de l'histoire de l'Inde jusqu'alors prédominante, c'est au nom de la conviction que les élites indiennes exerçaient certes sur le peuple des subalternes leur domination (matérielle), mais non pas leur hégémonie (c'est-à-dire leur suprématie culturelle). C'est ce domaine autonome de la pensée et de l'initiative des subalternes, systématiquement occulté par l'historiographie élitiste, qu'il fallait ressusciter. Dans le but, non seulement de réparer l'injustice qui lui a été faite et lui rendre sa dignité, mais aussi pour exposer en pleine lumière le rapport de forces interne à un mouvement d'indépendance dont seules les élites avaient récolté les fruits. Et enfin pour éclairer, en vue des luttes futures, les raisons profondes de cet échec historique de la Nation à réaliser sa destinée qui constitue le problème central de l'historiographie de l'Inde coloniale9(*).

Notre étude trouve sa particularité dans l'analyse des personnes qui, par leur travail pendant la nuit, contribuent à leur manière au développement. Lorsque nous examinons les travailleurs de nuit, force est de constater que ce n'est pas toujours de gaieté de coeur qu'ils en arrivent à ces travaux. Mais, leur importance est telle qu'ils deviennent une véritable nécessité dans l'équilibre social. Notre tâche est donc de réfléchir à la place de ces travailleurs de nuit dans l'évolution historique de la ville de Ngaoundéré. Pour cela, il s'agit tout d'abord de définir le concept même de "nuit", même s'il est vrai que cette notion est conçue différemment selon notre emplacement géographique.

Nous disons avec Le Petit Larousse Illustré 2008, que le terme nuit (jemma en fulfulde10(*)), vient du latin nox, noctis ; il s'agit d'un nom féminin qui désigne « la durée comprise entre le coucher et le lever du soleil en un lieu donné ». Dans une autre logique, Le Nouveau Petit Robert 2008 le conçoit comme l'«obscurité résultant de la rotation de la terre lorsqu'elle dérobe un point de la surface à la lumière solaire. » Ces deux définitions confirment celle qu'en donnait déjà le Dictionnaire Encyclopédique Quillet en 1962 : « Espace de temps pendant lequel le soleil reste sous l'horizon d'un lieu et pendant lequel il règne une obscurité plus ou moins complète. » Plus loin, le même dictionnaire précise que ce terme est synonyme de l'obscurité ou des ténèbres ainsi, « la nuit est la cessation du jour, c'est-à-dire le temps où le soleil n'éclaire plus. » 

Sur la Terre, la nuit, au sens traditionnel, couvre à tout instant une moitié de la planète. Ainsi lorsqu'il fait nuit sur une moitié de la planète fait-il jour sur l'autre moitié. Du fait de la rotation de la Terre autour de son axe, il fait alternativement jour et nuit, les deux formant une journée de 24 heures environs. Les nuits sont d'autant plus longues en hiver et plus courtes en été au fur et à mesure qu'on se rapproche des pôles. Ceci vaut pour les hémisphères nord et sud, mais les saisons sont inversées. Autour des équinoxes de printemps et d'automne, le jour et la nuit sont exactement de même durée. Les solstices d'été et d'hiver marquent respectivement la nuit la plus courte et la nuit la plus longue de l'année.

L'obscurité peut ne pas être totale ou même ne pas exister aux alentours du solstice d'été quand on se rapproche des pôles. La durée de la nuit varie selon la saison mais aussi selon l'endroit où l'on se situe. Plus on se trouve proche du Pôle Nord ou du Pôle Sud, plus la durée des nuits varie. A l'équateur, zone qui nous intéresse dans notre travail, au regard de la situation géographique de la ville de Ngaoundéré, nuit et jour sont presque toujours égaux. En fait, après l'équinoxe, les différences de durée entre le jour et la nuit changent plus rapidement aux pôles que dans les régions situées entre le tropique du Cancer et le tropique du Capricorne. Près des pôles, chaque année, il y a une période estivale où il n'existe qu'une période diurne, le Soleil ne se couche pas, et une période hivernale où seule la nuit règne.

En effet La nuit polaire est une période de l'année durant laquelle l'obscurité dure plusieurs mois. Ce phénomène est observable dans les régions polaires au-delà des cercles polaires Arctique et Antarctique. Par contre le jour polaire, encore appelé soleil de minuit, est une période durant laquelle le soleil reste constamment visible à une hauteur d'un peu plus de 23° dans le ciel.

Le nombre de jours de 24 heures pendant lesquels ce phénomène a lieu augmente avec la latitude. Il atteint son minimum, un jour, au niveau du cercle polaire et son maximum, six mois, au pôle et a lieu en automne et en hiver : d'octobre à mars dans l'hémisphère nord, de janvier à septembre dans l'hémisphère sud. Pendant plusieurs semaines après l'équinoxe d'automne et avant l'équinoxe de printemps, aux pôles et dans les régions s'en rapprochant, on peut ainsi assister à un crépuscule permanent qui dure jusqu'à ce que le soleil atteigne une hauteur suffisante sous l'horizon : 6° pour le crépuscule civil, 12° pour le crépuscule nautique.

Ainsi, du fait de l' inclinaison de l'axe de la Terre sur le plan de son orbite, toutes les régions de la Terre ne sont pas éclairées de la même façon par le Soleil au cours de sa révolution annuelle. Entre l'équinoxe de mars et septembre dans l'hémisphère Nord, le Soleil éclaire le pôle Nord en permanence. Le même phénomène se produit au pôle Sud entre l'équinoxe de septembre et mars.

Mais, si on appelle nuit l'intervalle durant lequel l'obscurité est totale, il s'agit de la période où l'intensité de la lumière solaire diffusée par les hautes couches de l'atmosphère est inférieure à la luminosité intrinsèque des étoiles. Cet intervalle est séparé du coucher du Soleil par le crépuscule et de son lever par l'aube.

L'aube se définit comme le moment de la journée où apparaissent à l' horizon Est les premières lueurs du jour, avant le lever du soleil, c'est-à-dire avant le moment où le Soleil franchit l'horizon à l'Est pour commencer sa course (l'inverse du coucher de soleil). C'est à ce moment que sont censées être interprétées les aubades11(*). C'est également à ce moment que la première prière obligatoire de la journée (Fajr) doit être prononcée par le musulman pratiquant, selon l' Islam. Dans la liturgie catholique, c'est l'heure de prime12(*).

L'aube (babbol en fulfulde13(*)) correspond au crépuscule du matin et précède le lever du soleil. Elle se caractérise par la présence de lumière du jour, bien que le soleil soit encore au-dessous de l'horizon. L'aube ne doit donc pas être confondue avec le lever du soleil, qui est le moment où le bord supérieur du soleil apparaît au-dessus de l'horizon. À Ngaoundéré, le soleil se lève de manière générale entre 05h56min et 06h22min au plus tard, et il se couche entre 18h14min et 18h19min ; et l'aube et le crépuscule durent en moyenne une dizaine de minutes.

Ceci peut nous permettre d'ores et déjà de circonscrire l'espace de temps pendant lequel nous aurons à travailler. Pendant longtemps, l'imagerie populaire a voulu situer le lever du jour à 06h00 et le coucher de soleil à 18h00. C'est ainsi par exemple que dans la religion catholique, les heures de messes sont généralement comprises à partir de 06 heures pour la matinée et celles du soir à partir de 18 heures. Pour l'abbé Benoît Zé, « Les messes du samedi soir comptent déjà pour dimanche car, pour les juifs, le jour d'après commence à 18 heures, en fait au coucher du soleil. Donc dans la tradition juive la nuit est déjà comprise dans la journée suivante. »14(*) Et l'idée que la Bible se fait de la nuit va justement dans ce sens, en considérant la comme une partie du jour à venir.

Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. Et la terre était désolation et vide, et il y avait des ténèbres sur la face de l'abîme. Et l'Esprit de Dieu planait sur la face des eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut. Et Dieu vit la lumière, qu'elle était bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Et Dieu appela la lumière Jour ; et les ténèbres, il les appela Nuit. Et il y eut soir, et il y eut matin : - premier jour. 15(*)

La considération que les populations de Ngaoundéré se font de la nuit a grandement évolué depuis 1952. En effet, la ville est passée d'une vie de nuit quasi traditionnelle à une modernité qui laisse la place à tout type de métiers et d'excès. Parlant de tradition justement, il est nécessaire de définir ce terme et surtout de le distinguer de la modernité.

La tradition peut se définir comme :

La transmission continue d'un contenu culturel à travers l'histoire depuis un événement fondateur ou un passé immémorial (du latin "traditio", "tradere", ou de "trans" qui signifie « à travers » et "dare" qui veut dire « donner », « faire passer à un autre, remettre »). Cet héritage immatériel peut constituer le vecteur d'identité d'une communauté humaine. Dans son sens absolu, la tradition est une mémoire et un projet, en un mot une conscience collective : le souvenir de ce qui a été, avec le devoir de le transmettre et de l'enrichir. Avec l'article indéfini, une tradition peut désigner un mouvement religieux par ce qui l'anime, ou plus couramment, une pratique symbolique particulière, comme par exemple les traditions populaires.16(*)

Dans un sens sociologique, la tradition est une coutume ou une habitude qui est mémorisée et transmise de génération en génération, même si très souvent la jeune génération la considère toujours comme une affaire de vieilles personnes. Il faut dire que, lorsqu'une société se construit, elle le fait en bâtissant un ensemble de coutumes et de manières de faire, socle même de sa civilisation. Si ces traditions sont mises en place et subsistent avec le temps, c'est sur la base de la croyance en leur efficacité. Évidemment, cette foi en nos coutumes fait que bien souvent, la nouveauté, autrement dit, la modernité, est considérée comme une menace.

La modernité en effet, est un mode de civilisation caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition, c'est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles. Elle implique un changement de mentalité. La modernité naît de certains bouleversements profonds de l'organisation économique et sociale, elle s'accomplit au niveau des moeurs, du mode de vie et de la quotidienneté17(*). Nous pouvons préciser qu'elle « innove, agit, élargit, invente et réinvente »18(*)

La modernité est donc l'ensemble des conditions historiques matérielles qui permettent de penser l'émancipation vis-à-vis des traditions, des doctrines ou des idéologies données et non problématisées par une culture traditionnelle. Or, lorsque nous parlons de l'émancipation, nous devons y voir un changement, parfois radical. Une scission qui s'opère entre deux générations. Celle-ci n'intervient très souvent que sur l'influence d'éléments nouveaux qui viennent agir sur l'ancienne communauté, à travers de nouvelles cultures apportées par des immigrés ou par le canal des médias. Dans la ville de Ngaoundéré, le conflit entre le moderne et le traditionnel a d'abord donné lieu à une répulsion des populations de l'ancienne cité à l'égard des nouvelles religions, ou l'école apportée par les Occidentaux19(*). En fait, il faut dire que nous considérons comme dangereux, « ceux qui ont l'esprit fait autrement que nous et immoraux ceux qui n'ont pas notre morale »20(*). C'est donc ce problème de morale qui aurait conduit à la création du quartier Baladji, consécutive à l'expulsion des ressortissants du Grand-Sud du pays de l'ancienne cité de Ngaoundéré en 195021(*). C'est aussi à ce moment que les activités de la nuit passent d'une quasi clandestinité à une certaine impudicité. Cette vie connaît aussi de profonds bouleversements avec l'indépendance du pays, l'électrification de la ville, son érection en chef-lieu de province, et enfin le centre universitaire devenu Université.

III. CADRE GÉOGRAPHIQUE

Ngaoundéré est une ville du Cameroun, chef-lieu de la région de l'Adamaoua. La ville se situe au nord de la région sur le plateau de l'Adamaoua. C'est un carrefour important du commerce régional puisque c'est un passage obligé du transport routier entre les villes du Sud du pays et les villes du Nord jusqu'au Tchad. Elle est la ville terminus du train. Ngaoundéré se démarque par un mont sur lequel est assis un rocher arrondi, ce qui fait dire aux populations qu'elle est le nombril de l'Adamaoua.

C'est par le décret N°83/390 du 22 août 1983 que Ngaoundéré devient le chef-lieu de la nouvelle province de l'Adamaoua. Le 12 novembre 2008, le décret N°2008/376 fait de cette ville le chef-lieu de la région de l'Adamaoua. Enfin, le 17 janvier 2008, la communauté urbaine de Ngaoundéré est créée.

Les Peuls constituent le groupe ethnique le plus important, ayant comme langue le fulfulde (prononcé en français foulfoulde). Ce peuple est présent dans toute l'Afrique de l'Ouest, au Cameroun, au Tchad, au Soudan, et un peu en République Centrafricaine, au Congo et plus rarement en République Démocratique du Congo.

En effet, c'est un peuple qui a vécu essentiellement de l'élevage jusqu'aux conquêtes coloniales de la fin du XXe siècle. À ce moment-là, ils avaient déjà fondé deux grands empires : l'empire peul du Macina et l'empire peul de Sokoto. La localité de Ngaoundéré est organisée en lamidat. Il existe donc :

Toute une "structure gouvernementale" au sein du lamidat et, à la tête duquel se trouve un chef suprême, un lamido, voire un "chef d'État musulman". « Tel qu'on peut le constater, le lamidat est un Etat au sens fort du terme ». Le lamido préside aux destinées des populations de son unité de commandement. Il est le souverain. Le chef politico-religieux de l'ensemble de la communauté. Il est assisté dans ses hautes et prestigieuses fonctions par un conseil de notables dénommé faada ou fada.22(*)

Ngaoundéré est ainsi sous la tutelle d'un Lamido, dont le premier fut Ardo Ndjobdi. Cette ville est sous une forte influence islamique, ce qui impose un type de mentalités conservatrices, susceptibles d'influencer la vie de nuit.

Le climat est presque tempéré puisque cette zone de savane arborée est située en hauteur. Les variations de températures sont plutôt importantes en saison sèche. Le climat comprend principalement deux saisons : une saison sèche et une saison pluvieuse. La saison sèche est marquée par un vent sec venant du Nord (l'harmattan), qui se transforme en un vent sec et chaud. Quand à la saison des pluies, elle est marquée par des pluies parfois violentes et discontinues. Cette saison constitue l'un des problèmes majeurs des travailleurs de nuit. En effet, les pluies sont ici très abondantes et installent un climat très froid qui obligent les populations à rester chez elles. Les activités de la nuit connaissent donc un certain ralentissement.

C'est en 1884 que les Allemands signent avec les chefs duala le traité de protectorat qui fait du Kamerun un territoire sous domination allemande. Mais la progression à l'intérieur de ce territoire se fait doucement. Ainsi, c'est en 1901 qu'ils font la conquête de la cité de Ngaoundéré. Dès lors, elle devient, avec la démolition de la barrière qui la fortifiait, une ville ouverte au monde et à toutes les influences. Mais, à ce moment-là, les traditions ici ne sont pas véritablement bousculées en ce qui concerne la vie de nuit. Il faut attendre l'arrivée des Français en 1915 et la perte de l'influence du pouvoir traditionnel qui s'en suit, pour assister à ces changements.

En 1952, les premiers changements de la vie de nuit dans la ville s'opérent véritablement. Ils sont consécutifs à la création du quartier Baladji. Ce quartier est créé grâce aux premiers "immigrés" bamiléké qui s'installent dans la ville, motivés par la curiosité de découvrir les terres d'origine des personnes avec lesquelles ils font des échanges depuis longtemps et par la volonté d'étendre leur zone de commerce23(*).

Photo 1: Groupe de jeunes regardant un match télévisé sur la terrasse

Du bar Le Fhalimar au quartier Joli Soir.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

La population de la ville de Ngaoundéré n'a cessé d'augmenter depuis 1952. Le 1er Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1976 estimait la population à 38 800 âmes. Le 2e R.G.P.H. de 1987, à 78 000 et les projections pour l'année 2007 à 190 000 (marge d'erreurs possiblement grande en l'absence de résultats du 3è R.G.P.H. de 2005)24(*). Il faut remarquer que cette population est assez jeune et désoeuvrée.

IV. LIMITES CHRONOLOGIQUES

Le cadre chronologique de notre étude va de 1952 à 2009. En effet, 1952 représente l'année de reconnaissance officielle du quartier Baïladji comme domaine de l'État. Pour faire notre examen de l'évolution de la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré, nous nous attardons sur le quartier Baladji car aujourd'hui, il s'agit d'un haut lieu d'activités lorsque nous parlons de la vie de nuit. Et surtout, un creuset qui a donné naissance aux autres quartiers influents dans la nuit, notamment Joli-Soir et Baladji II, avec lesquels la limite n'est jamais vraiment nette en termes de découpage territorial. Sa création a marqué une véritable mutation dans les comportements des populations de Ngaoundéré et leur considération de la vie de nuit.

Il faut dire que les commerçants bamiléké entretenaient depuis les années 1900 des relations commerciales avec les ressortissants de Ngaoundéré. Et dans leur élan non seulement de découverte mais aussi d'étendre leur secteur d'activité, ils découvrent cette cité décrite comme circulaire par un voyageur25(*) vers les années 194026(*). Ils sont accueillis au quartier Bali dans l'ancienne cité27(*). Mais sont expulsés vers Baïladji par le lamido Mohammadou Abbo (1948-1957).

Les raisons de cette expulsion sont à la fois politiques et religieuses. En effet, les français doivent faire face à la rébellion de l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C.), qui ne cessait de faire des émules parmi les ressortissants de la région de l'Ouest. D'autre part, il faut signaler le passage de Ruben Um Nyobe, un des leaders de ce mouvement comme fonctionnaire à Ngaoundéré dans les années 194028(*). En plus d'après les témoignages des premiers habitants de Baïladji29(*), les comportements de ces nouveaux habitants ne cadraient pas avec la morale musulmane : consommation d'alcool, de viande de porc, etc.

Mais, ne pourrions-nous pas voir à travers cette mise à l'écart des étrangers une spécificité des villes musulmanes ? En effet, plusieurs villes sous forte influence islamique sont bâties selon deux parties : une, qui laisse la place à tout type d'influence, et l'autre, plus conservatrice, qui ne laisse entrer aucune nouvelle culture et se veut le socle même de l'Islam. Entre les deux villes, on retrouve très souvent une scission créée par un cours d'eau. Nous pouvons ainsi citer en exemple les villes de Damas en Syrie et du Caire en Égypte.

À Damas, la vieille ville se trouve sur la rive Sud de la rivière Barada. À l'intérieur des remparts se trouvent plusieurs monuments comme la mosquée des Omeyyades, le palais Al Azem ou encore le caravansérail Khan Assad Basha. Des rues ou ruelles couvertes et bordées de boutiques, les souks (souk Al-Hamidiyya, souk Medhatt Basha, souk Bzouriye) pénètrent la vieille cité, principalement à l'ouest de la mosquée des Omeyyades. Pour le sud-est, nord et nord-est, elle est entourée de banlieues. Ces nouveaux quartiers ont été d'abord colonisés par des soldats kurdes et des réfugiés musulmans des régions européennes de l'Empire ottoman, qui avaient été reconquises par les chrétiens. Aussi prirent-ils les noms d'al-Akrad (les Kurdes) et d'al-Muhajirin (les migrants). Ces quartiers se situent à environ deux ou trois kilomètres au nord-ouest de la vieille ville. Dès la fin du XIXe siècle, un moderne centre administratif et commercial a commencé à voir le jour à l'ouest de la vieille ville, autour du Barada, centré sur la zone connue sous le nom de al-Marjah ou la Prairie. Al-Marjah est rapidement devenu le nom de ce qui était initialement la place centrale du Damas moderne, autrement connue sous le nom de place des Martyrs, où a d'ailleurs été édifié l'hôtel de ville. Au XXe siècle, de nouvelles banlieues se sont développées au nord du Barada, et dans une certaine mesure, au sud, envahissant l'oasis de la Ghouta (de l'arabe al-Guta qui signifie oasis)30(*).

La ville du Caire quant à elle, se situe sur la rive Est du Nil ainsi que sur quelques îles adjacentes, dans le Nord de l'Égypte, symbolisant le sud où la rivière quitte la vallée limitrophe au désert pour se diviser en deux bras dans la basse région du delta du Nil. La plus ancienne partie de la ville se trouve à l'Est du fleuve. La ville s'est peu à peu déployée vers l'Ouest, englobant les terres cultivables autour du Nil. Ces quartiers Ouest, bâtis sur le modèle de la ville de Paris par Ismaïl le Magnifique au milieu du XIXe siècle, sont caractérisés par de larges boulevards, des jardins publics et de nombreux espaces ouverts. La vieille ville à l'Est est très différente : sa croissance plus hasardeuse qu'ordonnée en a fait un endroit riche de petites ruelles et de vieux habitats surpeuplés. Alors que le Caire de l'Ouest concentre les bâtiments officiels et une architecture moderne, la moitié Est se révèle, quant à elle, riche de centaines de vieilles mosquées, véritable patrimoine historique31(*).

Ainsi on croirait, en entrant dans une ville musulmane, voir deux villes distinctes : l'une traditionnelle et l'autre moderne. Tout compte fait, cette expulsion des "immigrés, loin de les mettre à l'écart, les galvanise au contraire. Très vite, on retrouve d'autres groupes ethniques dans ce nouveau quartier : Bamoun, Gbaya, Dii, Mbum-Baba, Tchadiens, Centrafricains, Maka, Béti...C'est par la délibération N°179/52 du 24 octobre 1952, rendue exécutoire par l'arrêté N°78 du 3 janvier 1953, que Baïladji est classé domaine de l'État. Finalement, c'est en 1964 que le nom Baladji est officiellement attribué au quartier32(*).

On peut donc aisément dire que la création du quartier Baladji est un fait décisif dans les mutations que connaît la nuit d'aujourd'hui à Ngaoundéré. Pour mieux comprendre cette évolution, il est logique d'analyser les raisons de la création de ce quartier en 1952, au-delà des idées arrêtées qui pourraient très facilement n'y voir qu'un fait de rejet culturel. Nous prenons pour limite 2009, année pendant laquelle cette étude est menée, afin de mettre en exergue la situation actuelle de la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré.

V. INTÉRÊT DE LA RECHERCHE

IV. 1. Intérêts académique et scientifique

De prime abord notre travail, est d'ordre académique dans la mesure où il est présenté en vue de l'obtention du diplôme de Master's d'histoire. Il trouve son intérêt scientifique dans le fait qu'il relève de la sociohistoire. En effet, l'originalité de la sociohistoire repose sur la combinaison des "principes fondateurs" de l'histoire et de la sociologie. Relevons que nous assistons à une multiplication, depuis quelques années, de recherches estampillées « sociohistoire ». Mais la diversité des chercheurs et des travaux se déclarant proches de ce courant a rendu nécessaire une tentative d'unification et de définition33(*).

Fondée dès l'origine comme discipline distincte de l'histoire, la sociologie s'est vue enfermée dans l'étude des états actuels des mouvements et des phénomènes sociaux. En effet, cette dernière procède par l'observation de terrain, entretiens ou statistiques qui réduisent la société à un ensemble de faits contemporains et qui conduisent à des explications de type interactionniste. Ainsi, la sociologie historique d'Élias tente de replacer les phénomènes sociaux dans leur épaisseur historique, pour faire apparaître les différents contextes dans lesquels ils se sont développés et avec lesquels ils entretiennent un rapport permanent.

La sociologie historique n'est pas une branche de l'histoire, c'est-à-dire l'étude sociologique d'une époque passée : elle est toujours à la fois comparative et transhistorique. Elle considère que les formes passées de la société ne disparaissent pas avec leurs époques, mais que, comme dans la langue, elles restent contenues et actualisées dans leurs formes présentes. Moins portée vers l'étude d'archives que l'histoire et vers l'étude de terrain que la sociologie, elle recourt plutôt à de vastes analyses documentaires ou bibliographiques pour mettre en place de larges enquêtes comparatives.

La sociohistoire est aussi différente de l'histoire sociale d'un Christophe Charle qui, elle, s'intéresse à l'histoire de la société ou d'une de ses composantes. Et enfin de la micro-histoire d'Alain Corbin, qui se place aussi sous le double patronage de l'histoire et de la sociologie.

De l'histoire, la sociohistoire reprend la méthode critique telle qu'elle a été fixée à la fin du XIXe siècle, c'est-à-dire l'étude des "traces" laissées par le passé (archives notamment) afin de retrouver, derrière, les individus en chair et en os. La sociohistoire construit ses questionnements à partir du monde contemporain. Elle a pour vocation de comprendre le monde contemporain, et pour cela se tourne vers le passé, d'où l'importance accordée à la genèse des phénomènes.

De la sociologie, la sociohistoire reprend la démarche de déconstruction des entités collectives (l'État, les entreprises, les classes sociales, etc.) pour retrouver le lien social. Comme le sociologue, le sociohistorien analyse le lien social en termes de relation de pouvoir, et s'intéresse surtout à la transformation historique de ces relations de pouvoir (domination comme solidarité) par le développement des "relations à distance" (relations médiatisées par des objets, par opposition aux "relations de face-à-face"). Une fois ce cadre théorique clarifié, la sociohistoire emprunte donc des concepts au sociologue ou à l'historien afin de résoudre un problème empirique précis.

Ce travail aborde aussi l'anthropologie historique. Elle se définit comme «l'étude de l'évolution des sociétés humaines en fonction de leurs composantes biologiques.34(*)» Parmi les domaines qu'elle aborde, nous pouvons citer les rites et les croyances, le culturel et le politique. En recherchant la manière à laquelle la vie de nuit a évolué au regard du contexte social de la ville de Ngaoundéré, il s'agit ici de relever l'impact social d'une religion, l'islam, qui, dès son implantation dans le Grand-Nord du Cameroun, est très rapidement devenu psychologiquement dominant et socio-politiquement influent. Mais, cette influence a considérablement baissé avec la colonisation et les conséquences qui ont suivi, tant sur le plan culturel que politique.

IV.2. Intérêt économique 

Notre travail étudiera aussi la question de l'apport économique de la nuit. Grâce à ses activités, elle est un véritable socle sur lequel le "jour" prend appui. Nous montrerons donc quelle est l'importance de la nuit dans les interactions sociales. Nous nous attellerons à mettre en exergue la spécificité des métiers de la nuit et à expliquer le pourquoi de leur existence justement pendant cette période. Avec près de 90,4% des actifs camerounais travaillant dans le secteur informel, et 92,5% de la population de Ngaoundéré y exerçant35(*), il apparaît à l'observation que la plupart de ces activités informelles se déroulent de nuit.

IV. 3. Intérêt culturel

Nous étudions la société de Ngaoundéré et ses populations, tant "autochtones" qu'"immigrées". Cette étude prend donc en compte les cultures, les religions, les traditions et les moeurs en général. Nous ne négligeons pas le fait que la vie dans une région est toujours le reflet de l'ensemble des croyances qui la caractérisent. La vie tout court, et celle que nous nous proposons d'étudier, à savoir celle de la nuit, revêt toujours une considération différente d'une région à l'autre. Nous faisons donc une comparaison entre la considération que les premières populations de la ville de Ngaoundéré ont de la nuit et celle des populations qui s'y sont installées pendant et après la colonisation. D'autre part, c'est cette considération qui conditionne la manière de vivre la nuit. Examiner comment la conception de la nuit a évolué d'une époque à l'autre représente notre intérêt culturel.

VI. REVUE DE LA LITTÉRATURE

Les différentes études que nous avons pu recenser, et qui ont été menées sur la ville de Ngaoundéré, sont essentiellement d'ordre historique, géographique et sociologique. En effet, il est difficile d'imaginer une étude sur une ville aussi contrastée, sur les plans humain (une population multiethnique et multiraciale), religieux (une forte influence islamique et une communauté chrétienne de plus en plus croissante) et culturel, sans cette multidisciplinarité. Cependant, certains travaux de recherche méritent d'être cités, car ils ont abordé des aspects importants de la vie en général dans cette ville.

Ainsi le travail de Mohamadou Lamine36(*) s'intéresse à l'évolution de la ville de Ngaoundéré. En effet, il présente le peuplement de la ville, sa constitution, tout en évoquant les différentes migrations, l'essor du commerce et l'urbanisation, sans omettre les conséquences qui en ont découlées. Cette thématique est proche de celle de Babarou Abbagana37(*) qui examine l'évolution et l'organisation socio-économique des quartiers dits populaires dans le Nord-Cameroun et principalement dans la ville de Ngaoundéré. S'il impose à son travail une vision historique, il ne faut pas négliger l'analyse de Nkoumba Eyoum Paul38(*), géographe qui s'attache à étudier la croissance de la ville, avec les mutations des modes et des formes d'organisation de l'espace.

Sur un plan économique, Ossoko Serge39(*) étudie les différentes activités du secteur informel ainsi que la densité de la population dans certains quartiers de Ngaoundéré. Mais aussi les principaux axes marchands de cette ville, tout en mettant l'accent sur l'évolution de la population. Ce dernier aspect est aussi pris en compte par Lamanou Monique Débina40(*), qui étudie, en plus de l'évolution de la ville, la création des Grand et Petit Marchés de Ngaoundéré. Hawa Djibring41(*) quant à elle, aborde les phénomènes d'urbanisation, de déséquilibres sociaux et leurs conséquences socio-économiques sur la ville de Ngaoundéré.

Nous évoquerons enfin, en ce qui concerne les recherches académiques faites sur la ville de Ngaoundéré, les travaux de Kemfang Hervey42(*). Notre attention est interpellée car, l'étudiant consacre son travail à la création des quartiers Baladji I et II, leurs habitants et au commerce du sexe qui y sévit, particularités qu'il s'agit de prendre en considération dans l'étude de la vie de nuit.

Plusieurs contributions d'articles portent sur la ville de Ngaoundéré et sur les stratégies d'adaptation des populations qui y arrivent. C'est ainsi que Trond Wagge jette un regard sur les jeunes Centrafricains et Tchadiens qui s'installent dans cette ville, pour tirer la conclusion que :

Youths hopes and dreams to a large extent are similar despite different ethnic, religious, national, economic and social background. Very general they dream about a brighter future, implying better living standards and a more predictable life. Despite a cultural diversity, young people in Ngaoundéré look for a future that is very similar. But their strategies to reach there are very different.43(*)

Et, pour atteindre cet objectif, les jeunes, étrangers, ou simplement issus de l'exode rural et des migrations à l'intérieur du pays, se reversent dans le secteur informel, comme le montre Ndame44(*).

Tous ces travaux, dont nous ne manquerons pas de nous inspirer, vont dans une logique qui tient compte de l'évolution de la ville, des populations, de leurs activités, et même du problème de l'insécurité45(*). Notre travail est certes une étude de plus sur la ville de Ngaoundéré, mais il se démarque par les différents problèmes qu'il relève en jetant un regard historique sur la réalité sociale de la nuit (les acteurs de la vie de nuit, la mise en place de celle-ci). Et surtout parce qu'il met en exergue les différentes activités de la nuit. En effet, l'espace de temps que constitue la nuit n'a jusqu'ici pas fait objet de recherche de manière spécifique, puisque la nuit est en principe le moment consacré au repos, donc une cessation de toute activité qui donnerait lieu à une ville silencieuse. Et pourtant, il existe une vie de nuit.

VII. PROBLÉMATIQUE

Notre problème naît donc de la contradiction qui existe dans le rapport entre vie et nuit. Si la nuit est un moment de quiétude, qu'est-ce qui explique les activités humaines qui fleurissent au moment même où les hommes sont censés dormir ? Quel est l'impact économique de ces activités sur la ville ? Ont-elles un rapport avec les flux migratoires qui ont marqué l'histoire de Ngaoundéré ? Il est indéniable qu'elles font partie de notre environnement et font naître l'idée d'un prolongement de la journée de travail. De fait, quels types de mouvements pouvons-nous observer de nuit ? Comment se comportent les populations, avec leurs spécificités culturelles, dans la nuit et quelle évolution peut-on relever dans ces activités et dans la conception de la nuit depuis 1952.

VIII. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Notre travail porte sur la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré depuis 1952. Pour cela, nous étudions d'abord la représentation que les populations locales se font de la nuit. Il s'agit des Mboum, des Peuls, et des Gbaya principalement. Cependant, il faut dire que cette conception varie aussi avec les considérations religieuses. Avec l'arrivée des Occidentaux, l'idée que ces peuples ont de la nuit a aussi évolué, passant ainsi d'un caractère traditionnel à un caractère dit moderne. La différence entre ces deux aspects est notable dans les activités qui meublent la nuit. Nous examinons donc le passage de la vie de nuit vécue traditionnellement à la nuit moderne, transition qui ne s'est pas effectuée sans heurts.

Dès lors, il nous sera plus aisé de jeter un regard sur les travailleurs de nuit. On peut les distinguer en deux secteurs d'activités : le secteur formel et le secteur informel. Dans une ville comme Ngaoundéré où la situation économique laisse la place à la débrouillardise, il apparaît que chaque activité du secteur formel semble avoir son clone dans le secteur informel, mais avec la même finalité (restaurant dans le secteur formel, points de vente des beignets et de poissons cuits à la braise dans le secteur informel par exemple). Notre objectif est donc, à travers cette recherche, de montrer leur évolution dans la ville de Ngaoundéré, et comment ils sont vécus aujourd'hui.

Mais, ces activités, expression de la pauvreté économique qui s'est accentuée dans le pays en général et dans la ville de Ngaoundéré en particulier depuis les années 1990, transportent avec elles un ensemble de problèmes : criminalité, drogue, dépravation des moeurs entre autres. D'où la nécessité de faire un bilan de la vie de nuit, en abordant ce qui fait son lien avec la vie de jour et les perspectives d'avenir, c'est-à-dire voir ce qu'il est indispensable de faire dans le sens de l'amélioration des conditions de vie dans la ville.

IX. MÉTHODOLOGIE

IX.1. Sources

Ce travail se fixe pour objectif de comprendre comment et pourquoi la vie de nuit a évolué depuis 1952 dans la ville de Ngaoundéré, d'étudier de quelle manière cette société sous influence islamique est passée d'une vie de nuit quasi taciturne et très pudique, à une situation aujourd'hui caractérisée par l'expression de tous les excès. Pour ce faire, nous avons utilisé des sources écrites, des témoignages oraux et des documents iconographiques. Nous nous sommes aussi appesanti sur les informations trouvées sur le réseau internet.

Comme sources écrites, nous avons utilisé principalement les thèses, mémoires, rapports et ouvrages généraux en rapport avec la vie dans la ville de Ngaoundéré ainsi que son évolution. Cela nous a permis d'avoir une connaissance panoramique des faits historiques qui ont marqué la ville. Les bibliothèques de la Faculté des Arts Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Ngaoundéré, de Ngaoundéré Anthropos, du Cercle Histoire-Géographie-Archéologie de l'Université de Yaoundé I, et du collège de Mazenod de Ngaoundéré nous ont servi de socle pour l'obtention de ces documents. Nous avons aussi consulté les documents des archives régionales de Ngaoundéré et de la Présidence de la République du Cameroun, qui nous ont aidé dans la connaissance des lois qui règlementent quelques unes des activités de la nuit, et celles mettant en place les structures administratives de Ngaoundéré.

La synthèse des résultats recueillis de ces documents a facilité l'élaboration et l'orientation de la deuxième étape qui consistait en la descente sur le terrain, dans les différents quartiers de la ville de Ngaoundéré : Joli-Soir, Sabongari, Onaref, Socaret, Bamyanga, Marza, Dang, et les quartiers de l'ancienne cité peule. Dans notre travail de recherche, nous nous sommes servi des renseignements que nos informateurs nous ont procurés. Ces informateurs nous ont renseigné par le biais d'entretiens et de questionnaires portant sur la vie de nuit et son évolution dans la ville de Ngaoundéré. Très peu d'informations concernant la vie de nuit sont répertoriées dans les rapports administratifs. Il était donc nécessaire de faire appel à ceux qui ont fait ou qui font la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré. Afin d'établir un échantillon représentatif, nous avons rencontré nos informateurs sur la base de leur âge, leur quartier d'habitation, la durée de leur installation dans la ville de Ngaoundéré et leur activité. Pour cela, quelques histoires de vie des travailleurs de nuit nous laissent entrevoir les conditions dans lesquelles ils ont mis de côté le repos et le sommeil propres à la nuit, pour prendre un travail à ce moment-là, quelque dégradant soit-il sur le plan social. Enfin nous avons pris en compte ceux qui constituent la clientèle des commerces de nuit, pour comprendre les motivations qui les amènent vers ces comptoirs pas toujours d'une grande moralité.

IX. 2. Méthodes de collecte des données

IX.2.1. L'observation participante

Quand on fait référence à l'École de Chicago, on pense tout de suite à son innovation méthodologique qui s'approche un peu plus de la sociologie qualitative : l'observation participante. Il n'est pas étonnant qu'on retrouve chez les sociologues de Chicago la posture méthodologique d'obédience interactionniste qui prend en effet toujours appui sur diverses formes d'observation participante. Patricia et Peter Adler distinguent 3 grandes catégories de positions de recherche sur le terrain :

· rôle « périphérique » : le chercheur est en contact étroit et prolongé avec les membres du groupe mais ne participe pas (soit en raison de croyances épistémologiques, soit parce que moralement il s'interdit de participer aux actions délinquantes, ou parce que ses propres caractéristiques démographiques ou socioculturelles l'en empêchent).

· rôle « actif » : le chercheur prend un rôle plus central dans l'activité étudiée. Participation active, prend des responsabilités, se conduit avec les membres du groupe comme un collègue.

· rôle de membre complètement « immergé » : le chercheur a le même statut, partage les mêmes vues et les mêmes sentiments, poursuit les mêmes buts. Fait l'expérience des émotions...

Dans le cadre de notre recherche, nous avons utilisé la première méthode. En effet, nous nous sommes limité au seul cas de l'observation sans prendre de part active et ce, à temps partiel.

Il est abusif d'employer l'expression observation participante pour le simple fait d'aller sur le terrain. Park insistait pour que le scientifique observe mais ne participe pas, il recommandait une attitude détachée. Position qui peut paraître surprenante si on considère que l'École de Chicago a été le modèle théorique et méthodologique de l'observation participante. Park pensait ainsi en réaction au courant dominant précédant dans la sociologie naissante d'alors : l'enquête sociale.

L'observation participante est un dispositif particulier de recherche au sein de l'ethnographie, mais elle implique que le chercheur joue un rôle pour comprendre de l'intérieur la vision du monde et la rationalité des actions des êtres qui constituent la société.

IX.2.2. Les entretiens et les interviews

Nous avons eu recours aux entretiens semi directifs, qui sont une des techniques qualitatives les plus fréquemment utilisées. Ils permettent de centrer le discours des personnes interrogées autour de différents thèmes définis au préalable par les enquêteurs et consignés dans un guide d'entretien. Ils peuvent venir compléter et approfondir des domaines de connaissance spécifiques liés à l'entretien non directif, que nous utilisons aussi selon les contextes, et qui se déroule très librement à partir d'une question. Ainsi, nous avons fait appel aux services d'un interprète. En effet, le chercheur ne s'exprimant pas en fulfulde, la communication aurait été impossible. Ce type d'entretien (semi directif) apporte une richesse et une précision plus grandes dans les informations recueillies, grâce notamment à la puissance évocatrice des citations et aux possibilités de relance et d'interaction dans la communication entre interviewé et interviewer. Malheureusement, nous avons été confronté aux réticences des personnes interviewées à donner leurs noms. Certains, pour préserver leur vie privée, ont préféré donner uniquement un prénom, dont nous ne pouvons garantir la fiabilité. Dans l'imagerie populaire, vivre de nuit c'est faire preuve d'immoralité, nous comprenons donc pourquoi les noms ne sont pas divulgués. Plusieurs de nos informateurs ont aussi évoqué le fait qu'ils ne savent pas qui est susceptible de lire le travail, donc leur vie pourrait être dévoilée.

Nous avons aussi fait usage d'entretiens directifs, avec un protocole de questions préétablies. Sans pouvoir chiffrer précisément dans quelles proportions tel jugement ou telle manière de vivre et de s'approprier quelque chose peut influencer les projections sociales, l'avantage principal de l'entretien par rapport au questionnaire, est qu'il révèle souvent l'existence de discours et de représentations profondément inscrits dans l'esprit des personnes interrogées et qui ne peuvent que rarement s'exprimer à travers un questionnaire.

IX.2.3. L'exploitation documentaire

Les historiens font un usage intensif des informations indirectes. Il s'agit, en général, de diverses sortes de documents : des récits de vie, des rapports cliniques ou judiciaires, des documents personnels, des sources journalistiques ou d'autres sources publiées. Le chercheur peut réaliser une analyse de contenu de ce genre de corpus. Dans certains cas, cette analyse a une dimension quantitative, et comporte l'utilisation de logiciels d'analyse de textes. Ainsi, dans notre étude, nous mettons l'accent sur certaines données telles que : plans, cartes de ville, données des recensements, archives, rapports municipaux, travail social.

IX.3. Méthode d'analyse des données

Tout au long de notre recherche, nous nous sommes fondé sur la technique d'analyse de contenu. L'analyse de contenu, autre méthode qualitative utilisée dans les sciences sociales, consiste en un examen systématique et méthodique de documents textuels ou visuels. Dans une analyse de contenu le chercheur tente de minimiser les éventuels biais cognitifs et culturels en s'assurant de l'objectivité de sa recherche.

Pour Mucchieli, il s'agit d'«un examen objectif, exhaustif, méthodique et si possible quantitatif, d'un texte ou d'un ensemble d'informations en vue d'en tirer ce qu'il contient de significatif par rapport aux objectifs de la recherche.46(*)» L'analyse de contenu renvoie donc à un ensemble de techniques d'analyse des communications visant à obtenir des indicateurs quantifiables ou non, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages, permettant l'inférence des connaissances relatives aux conditions de production ou de ces messages.

IX.4. Difficultés rencontrées

Dans notre travail sur la vie de nuit, nous avons été confrontés à plusieurs problèmes. Tout d'abord, il faut noter que certains de nos informateurs étaient analphabètes et donc, ne pouvaient s'exprimer qu'en fulfulde. Or, il se trouve que c'est une langue que nous maîtrisons mal sinon très peu. Nous avons donc fait appel à des interprètes malgré ce que cela représente comme risques en termes de fiabilité de l'information et de confiance entre l'interviewer et l'interviewé, et au Vocabulaire français-foulfoulde de Werner Kammler.

D'autre part, faire une étude sur la nuit et ses acteurs, c'est se confronter à l'hostilité et à la méfiance des uns et des autres. En effet, la plupart des acteurs de la nuit vivent de nuit justement pour ne pas être vus. Profitant de l'obscurité de cet espace de temps, ils peuvent laisser libre cours à tous les instincts. Faire une étude sur eux ou les photographier, c'est violer leur intimité. Les prostitués par exemple, considèrent comme du voyeurisme le fait de sillonner autour de ce qu'elles appellent leurs « bureaux », sans rien « acheter ». Ainsi, pour mieux les connaître il faut, soit devenir client, soit monnayer leurs informations. Mais, lorsque s'est déjà établie une certaine confiance entre l'observateur et l'une d'entre elle, tout devient plus facile. Les propriétaires de circuits dans lesquels Venus et Bacchus font ménage, par crainte de la concurrence et des impôts, préfèrent quant à eux n'accorder aucune interview, et sont très discrètes. Cette méfiance se lit aussi chez les vendeurs de stupéfiants, qui ne servent que sur la base du faciès et de l'apparence. Nous avons donc utilisé un intermédiaire qui s'est chargé de nous procurer quelques unes des informations nécessaires pour notre travail. Client fidèle, il lui était plus facile de les obtenir.

Il faut ajouter au nombre de ces problèmes, les risques d'agression pendant les observations de nuit. Pour y remédier, nous nous sommes allié à des patrouilles policières et de temps en temps nous nous faisions accompagner d'un ami ou deux quand c'était risqué, par exemple pour observer la vie de nuit à la gare et dans ses environs (quartier Sabongari-gare entre autres).

X. PLAN DU TRAVAIL

Notre travail de recherche se présente en trois chapitres. Il s'agit tout d'abord de comprendre le processus évolutif qui a fait passer la ville de Ngaoundéré de la tradition à la modernité dans la vie de nuit. En effet, cette dernière était, jusqu'aux premières vagues migratoires, enrichie par des activités ludiques, militaires et religieuses. Dans ces mouvements de la nuit, on ne voit pas la nécessité de rechercher des moyens de survivance, mais plutôt l'expression culturelle des peuples de Ngaoundéré. Les mutations vont s'opérer avec les grands flux migratoires ; les difficultés économiques qui ont marqué les années 1980-1990 et la grande récession économique des années 2000 ; nous ne saurions négliger l'impact des médias sur la jeune génération de la ville. Tous ces facteurs vont redéfinir la conception de la nuit que les populations avaient, et laisser la place à de nouvelles activités et loisirs pendant cet espace de temps.

Dès lors, le deuxième chapitre ambitionne de montrer la manière à laquelle les activités de nuit se déploient à Ngaoundéré. Il s'intéresse particulièrement à la typologie des travailleurs de la nuit et leurs problèmes. Si le secteur formel est assez présent, c'est le secteur informel qui emploie pourtant le plus de personnes. Il faut noter que les activités de la nuit sont caractéristiques du quartier où l'on se trouve. Cette influence du milieu se reflète aussi à travers les noms donnés aux établissements commerciaux tels que les bars, dont l'essentiel des clients évoluent dans la nuit.

Lorsque de nouvelles mentalités s'imposent à un peuple, les mutations qui s'en suivent ne sont pas toujours positives. Avec le pouvoir traditionnel établit à Ngaoundéré avant l'arrivée des Français en 1915, certains comportements immoraux étaient contenus. Mais cette baisse de l'influence du pouvoir traditionnel et les excès qui s'en suivent, donne lieu à de multiples problèmes. Dans le chapitre trois, nous examinons ces derniers, ainsi que les solutions apportées par les différentes administrations.

CHAPITRE I : LA VIE DE NUIT À NGAOUNDÉRÉ :

ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

REPRÉSENTATION TRADITIONNELLE ET RELIGIEUSE DE LA NUIT

La nuit selon les peuples "autochtones"

Les peuples de l'Adamaoua en général et ceux de Ngaoundéré en particulier conservent une vision de la nuit assez particulière. Tout d'abord le peuple Mboum, reconnu comme le premier à s'être installé dans le plateau de l'Adamaoua47(*), a une forte tradition liée à la nuit.

En effet, l'étude de l'origine du peuple Mboum montre que leur pouvoir est lié aux fétiches. Chassé de Badar par le Prophète Mohamed, le peuple Mboum a évolué à la recherche de ses fétiches qui avaient été dispersés par les disciples de celui-ci. C'est donc cette recherche qui constitue le motif principal de leur migration jusqu'au plateau de Ngaoundéré. La légende raconte que c'est au cours d'une nuit que ces fétiches redescendirent sur terre à l'endroit où campaient les frères Mbéré, Mana, Mvoussa ou Mboussa, et Mvoum ou Mboum. Parmi ces fétiches, le plus important, le faa wen a gun nday, fut saisi par le cadet Mvoum qui automatiquement devint le chef suprême de tout le reste48(*).

L'importance de la nuit chez les Mboum va au-delà de leur origine. Bertrand Lembezat, ancien administrateur de la France d'Outre-mer au Nord-Cameroun, décrit le rite d'initiation chez les Mboum. Après deux jours de festin avec comme principale ressource le mil, les serviteurs portent les enfants sur leurs épaules et vont les présenter au Belaka, le chef des Mboum. Le troisième jour, ils sont conduits en brousse et dansent toute la nuit avec le chef des circoncis. Ce dernier est en général le fils du Belaka ou d'un dignitaire. Pendant une longue période où ils reçoivent les enseignements nécessaires pour leur vie dans la société et les rites protecteurs, ils doivent tous les jours à l'aube aller se baigner dans la rivière49(*). Ce rite initiatique est confirmé par Adji Temba, lui-même Mboum et initié50(*).

La nuit ici est donc le moment par excellence du mysticisme, de la création en quelque sorte et du pouvoir par extension. La société Mboum est très ancrée dans les pratiques mystiques et celles-ci trouvent leur moment d'expression dans la nuit essentiellement. Une autre illustration de l'importance du mysticisme nocturne dans les traditions des peuples de l'Adamaoua nous est donnée par le R.P. Jean-Marie Malassis.

Le R.P. Jean-Marie Malassis, arrive au Cameroun dans la fin de l'année 1963. S'il est affecté ici afin de créer la mission catholique d'Atta, il ne manquera pas de faire une observation anthropologique des Mambila, un des peuples de l'Adamaoua. Pour lui :

Ils [les Mambilas] croient avant tout en un monde spirituel plus réel pour eux que le monde matériel. Ce monde est peuplé d'une foule d'êtres et de forces surnaturelles qui agissent sur le monde naturel. Et comme ils ne connaissent pas les causes intermédiaires et les mécanismes du monde matériel, ils expliquent tout phénomène naturel par l'action directe d'une force surnaturelle. C'est le rôle des fétiches et des esprits qui sont au coeur de l'animisme africain.51(*)

Ce qui nous intéresse dans ce constat est surtout le bilan que dresse le prélat sur le rapport de la nuit avec ces esprits. En effet, la nuit est considérée comme leur moment de prédilection et leur « chasse gardée ».

Chez les Gbaya, la considération de la nuit comme un moment de libre expression des esprits existe aussi. Koulagna, grand chasseur gbaya révèle : « Si jamais vous me rencontrez en brousse au moment où je chasse, vous ne me reconnaîtrez plus. Je suis à la fois lion et singe, serpent et oiseau. C'est pourquoi je préfère chasser de nuit, le temps où les sorciers opèrent.52(*)»

La nuit est donc le domaine des sorciers et tout ce qui semble maléfique. Ainsi, vivre la nuit devient un fait totalement hors du commun. C'est ce qui explique le fait que la plupart des rites initiatiques dans l'Adamaoua se font en grande partie de nuit. Parmi les rites initiatiques qui meublent la culture Gbaya, nous pouvons citer le lábì, rite initiatique des garçons. Ce rite se déroule sur une durée de trois ans, passés dans des camps à l'extérieur du village. Cette période peut être divisée en deux, la première, qui dure deux ans, dans un premier camp, est appelée le kéé ndìnbà. Elle est marquée par des épreuves aussi difficiles les unes que les autres, épreuves qui se caractérisent par la brutalité et l'humiliation. Le deuxième camp, le dèyè?, dure relativement une année. Pendant cette deuxième période, les femmes sont tolérées dans le camp. Parmi les activités du lábì, nous retrouvons la chasse, la danse commune pour éduquer à la cohésion du groupe, l'apprentissage sexuel. Elles se déroulent dans leur essentiel dans la nuit53(*).

Avec l'arrivée des Foulbé et l'islamisation, la nouvelle cité sous influence peul-islamisée redéfinit la conception de la nuit. Les activités ne sont plus essentiellement mystico-religieuse, mais s'organise autour du Lamidat. Ainsi, sous le règne d'Ardo Issa, la cité de Ngaoundéré était un véritable camp de guerre et « lorsqu'il rentrait de guerre et venait descendre dans son palais, la nuit ses guerriers munis de torches géantes formaient un cercle de feu autour de son Sare ; se servant de leur bouclier pour couverture ils passaient la nuit sur place tout armés. 54(*)»

La nuit est ainsi parée d'une certaine solennité, que l'on retrouve aussi dans les manifestations marquant l'intronisation du lamido, mais cette fois, teintée de réjouissances. Froelich décrit ces manifestations en rappelant que pendant trois jours ou plus, les fêtes continuent et, chaque nuit, les serviteurs et les païens dansent. Cependant, les Foulbé ne dansent jamais, seuls les jeunes Mbororo, garçons comme filles se mêlent à la danse55(*).

Par ailleurs, pendant la période de Ramadan, quelques marchandises sont vendues pendant la nuit tels le lait, le mil, de la bouillie et des beignets au Grand Marché à l'intérieur de l'ancienne cité peule, à l'heure de mettre fin au jeûne ; c'est-à-dire vers 18h. Ces produits sont vendus aux étrangers essentiellement56(*). La muraille qui entourait la ville, édifiée sous le règne d'Ardo Issa57(*) était fermée, selon Adji Temba dès la nuit tombée. Et la vie s'arrêtait pratiquement. Comme dans une sorte de couvre feu, toute la population se retirait et la cité était comme sans vie si ce n'est autour du palais de l'Ardo. Il régnait un climat de peur et de crainte qui faisait de la nuit un instant tabou.

Il faut ajouter que la nuit est aussi le moment choisi par les femmes pour rendre visite à leurs amies, à leurs parents, parce que ne pouvant sortir de jour. Par exemple, s'il y a un deuil parmi leurs connaissances, elles vont présenter leurs condoléances dans la nuit. Pour Mohammadou Djaouro, cela s'explique par le fait que les femmes devaient s'occuper des tâches ménagères en journée (pilage des céréales et cuisine entre autres). Elles n'avaient donc pas un moment à elles, si ce n'est dans la nuit. Sans omettre le fait qu'une femme mariée ne doit pas être vue en journée se pavanant dans la ville, de crainte de susciter des calomnies ou de montrer une image peu honorable d'elle, ce qui serait insultant pour son époux. En effet, le comportement de la femme est calqué sur l'éducation que lui donne ses parents et celle que lui donne son mari.

Le terme « debbo », nous dit Djingui, équivalent du mot français « femme », est formé de la racine « rew- ». Cette racine est également utilisée pour exprimer :

- la soumission à Dieu : « O dorewi Allah », « il est soumis à Dieu » ;

- le fait de suivre quelque chose : « O do rewi laawol maako », « il suit son chemin »

Donc, la racine « rew-» signifie « suivre », « se soumettre ». Le mot « debbo » veut dire : « celle qui suit » ou « celle qui se soumet ».58(*)

Ainsi, une femme se doit d'être soumise. Si elle est trop bavarde ou trop libertine, ce serait la preuve de l'incapacité de son mari à la « mater »59(*). De plus, la loi islamique voudrait que la femme reste dans son foyer conjugal et n'en sortir qu'avec la permission de son mari. Le Saint Coran recommande donc aux femmes de rester dignement au foyer, de ne point s'exhiber avec coquetterie comme des femmes païennes, de baisser pudiquement leurs regards et de protéger leur vertu, en ne faisant pas étalage de leurs parures, à l'exception de celles qu'on ne peut tenir cachées60(*). On peut ainsi les voir sortir dans certains quartiers tels que Tongo ou Bali, munies d'une lampe à pétrole dans la nuit.

La nuit est aussi un moment réservé au sommeil, au repos, et où toutes sortes de créatures étranges prennent le pouvoir. On peut ainsi voir dans ce sommeil une sorte de cachette, puisque très souvent les esprits ne s'attaquent de nuit qu'à ceux qui les "voient" généralement. Si les esprits sont en principe invisibles aux yeux des profanes, il faut donc avoir des yeux d'initiés pour les voir et courir le risque d'en être attaqué. Le sommeil rend ainsi l'homme aveugle à ce qui se passe de manière métaphysique dans la nuit. La segmentation de cet espace de temps montre aussi que, pour les hommes de Ngaoundéré, la nuit a plusieurs périodes. Nous avons ainsi le terme nuit qui se dit en fulfulde jemma (are)/jemmaaje ; l'obscurité : nyibre/nybbenga ; l'aube : babbol ; le crépuscule : mangariba (soir) ; tout ceci diffèrent du jour qui est : nyalde-nyalde, nyande-nyande, nyalawmaare-nyalawmaarje 61(*).

La nuit se particularise par le fait qu'elle est pleine de mystères et incite à toutes sortes de spéculations sur ce qui la caractérise. La vie de nuit bien avant 1952 se vivait aussi à travers des soirées passées autour d'un feu, les femmes près d'une hutte et les hommes près des troupeaux, les jeunes d'un côté et les vieux de l'autre. On s'asseyait en cercle autour d'une calebasse de nourriture. Quelques jeunes filles par la suite, se mettaient à chanter en battant des mains et en esquissant des pas de danse. Autour d'un autre feu, les hommes parlent, en profitant d'un repos bien mérité après une journée passée en brousse avec comme seul compagnon le bétail. On se renseigne sur le prix du bétail et sur l'état des pâturages. Tandis que de jeunes hommes se commentent les plaisanteries qu'ils ont mises en place en journée et leurs exploits amoureux62(*). Cependant, pour les musulmans pratiquants, la nuit est moins mystique, moins ludique et un peu plus réservée à la méditation en la faveur du calme qui la caractérise.

3. Représentations religieuses de la nuit

Dans la ville de Ngaoundéré, la première religion dite révélée que l'on retrouve est l'Islam. Cette religion s'est installée dans la région en la faveur des conquêtes d'Ousman Dan Fodio. La création du Lamidat de Ngaoundéré par Ardo Ndjobdi n'est alors que la logique de cette expansion. Mais avec la colonisation, le Christianisme à travers le Catholicisme et le Protestantisme, arrivent et occupent une place assez importante dans la ville. La libéralisation des cultes qui intervient en 1990 permet une installation plus facile de toutes sortes de cultes et des "églises de réveil". Nous examinons donc la conception de la nuit pour les musulmans et les chrétiens.

3.1 La nuit musulmane

La religion musulmane est la première religion monothéiste à s'être implantée dans l'Adamaoua. Ses piliers sont la foi en un seul Dieu et en son prophète Mohamed, la prière, l'aumône, le pèlerinage et le jeûne du mois de Ramadan. Cette religion implique aussi certains principes de vie à l'instar de la pudicité. Les cinq prières obligatoires de la journée sont :

1. Fajr (la prière de l'aube), doit être faite à un moment quelconque entre l'aube et le lever du soleil.

2. Zuhr (la prière du début de l'après-midi), doit être faite à un moment quelconque entre midi et le milieu de l'après-midi.

3. 'Asr (la prière de la fin de l'après-midi), doit être faite à un moment quelconque entre la fin de l'après-midi et le coucher du soleil.

4. Maghrib (la prière du soir), doit être faite à un moment quelconque entre le coucher du soleil et les dernières lueurs.

5. 'Ichâ (la prière de la nuit), doit être faite à un moment quelconque de la nuit.63(*)

La prière tient une place très importante pour les musulmans. Pour l'Imam Mohammadou Djaouro, la nuit est l'instant propice pour la méditation. Le calme qui caractérise ce moment permet de mieux se concentrer pour la prière64(*). Abou Darda affirme que les motifs qui devraient donner la joie au musulman sont : le jeûne, la prosternation au cours de la nuit et la compagnie des gens qui ne prononcent que les meilleures des paroles65(*). Par ailleurs, la nuit est entrecoupée de prières au cas où le pratiquant se réveillerait. Ainsi, en psalmodiant qu'« Il n'y a de divinité que Dieu, l'Unique, sans associé. À lui la Royauté et les louanges. Nul dieu que Dieu, Dieu est le plus grand. Point de puissance ni de force que par Lui...», il peut faire ses voeux. Celui qui se réveille la nuit et dit cette prière aura ses voeux exaucés66(*).

L'une des périodes les plus importantes pour le musulman est le mois de Ramadan. Pendant le jeûne qui marque ce temps de méditation, il doit éviter de boire, de manger et d'avoir des rapports sexuels, choses qui pourraient rompre son efficacité. Par le jeûne, il témoigne sa soumission à Dieu et demande sa grâce. Et pendant le mois de Ramadan, l'intention de prière est exprimée dans la nuit peu avant l'aube67(*). La période d'abstinence est comprise entre la pointe de l'aube et le coucher du soleil.

Avec cette privation en journée, la nuit devient importante. Le moment où la vie reprend en quelque sorte, dans la préparation de la journée de jeûne. La nuit est marquée par la prière. On peut ainsi entendre le muezzin appelé à la prière à partir de 19 h, à 20 h et très tôt à l'aube (3 heures et 4 heures du matin). Le repas le plus important est pris après minuit. À cet effet, le restaurant traditionnel tenu par Hadidja au quartier Tongo Pastorale fonctionne de 18h à 23h, et de 2h à 5h du matin pendant le mois de Ramadan68(*).

Il faut ajouter que, à l'instar de Yaoundé et Douala, Ngaoundéré a vu naître plusieurs associations oecuméniques, appelées zikru Allah. Elles ont pour but d'encadrer ses membres à une meilleure psalmodie de la shahâda69(*) et des formules panégyriques pour sanctifier, en tout et en tout lieu Allah, le Dieu Unique70(*). Ces associations comptent plusieurs membres et généralement un bureau directeur constitué d'un président, un secrétaire général et des commissaires dont le rôle est de maintenir la discipline dans le groupe. Les réunions se déroulent en week-end, et commencent après la prière de l'ichâ (prière de la nuit). Il s'agit de longues cérémonies incantatoires. Très souvent, elles se terminent tard dans la nuit, parfois après minuit. Les participants viennent drapés de vêtements blancs, et se séparent après une longue prière rituelle et un repas austère. Le but de ces assemblées nocturnes est « De rendre le culte à Dieu agréable et attractif afin d'intéresser davantage la jeunesse dans l'objectif de la soustraire des voies de la débauche (les bars, les clubs, etc.) qui aux yeux des responsables de ces associations, sont habituellement des lieux de mixité et potentiellement, de déviation morale et religieuse.71(*)»

La religion musulmane impose donc des règles de vie à ses pratiquants. Les qualités de celui qui a une noble nature sont : la grande pudeur, le refus de causer le moindre mal, la véracité, la piété, être peu bavard, très laborieux, discret, bienfaiteur, agréable, indulgent...72(*) Parmi ces règles, celle qui attire notre attention est la pudeur. La nuit devient l'instant réservé aux pratiques sexuelles par exemple. En effet, l'homme ne doit jamais trahir le secret de sa femme, ni révéler ses défauts. Il doit être son homme de confiance73(*). Donc, pour ne pas avoir à révéler les défauts de sa femme, il est nécessaire de ne pas la voir, même pendant l'acte sexuel. Il est ainsi interdit à l'homme « de porter son regard sur son sexe [celui de la femme], cela le conduira à le haïr.74(*)» D'où l'importance de l'obscurité que procure la nuit.

Pour la religion musulmane, la nuit est donc le moment de repos ou de méditation. Cette idée est partagée par les autres religions qui se sont installées dans la ville de Ngaoundéré, à savoir les religions catholique et protestante, toutes deux chrétiennes. Par ailleurs, les "immigrés" camerounais qui s'installent dans la ville permettront la venue des églises dites réveillées. Celles-ci se sont facilement installées dans les quartiers Baladji, acquis aux étrangers.

3.2 La nuit chrétienne

Nous avons, en ce qui concerne la nuit chrétienne, examiné les protestants, les catholiques et les églises de réveil.

3.2.1 La nuit pour les protestants

Que ce soit au Nigeria, où l'Angleterre pratiquait l'administration indirecte en donnant plus de pouvoir aux autorités traditionnelles dans la gestion des affaires locales afin d'éviter les troubles, au Kamerun où l'Allemagne pratiquait l'administration directe, les conséquences furent les mêmes pour les missions chrétiennes en général, elles n'obtinrent pas facilement la permission de s'installer en zones musulmanes (Nord du Nigeria et Nord-Cameroun). En effet, en 1903 déjà, le gouverneur Allemand von Puttkammer refusa aux catholiques l'installation en Adamaoua pour des raisons politiques concernant les relations avec les musulmans du Nord. D'autres demandes eurent la même suite défavorable pour la même raison ou simplement parce que l'administration n'était pas établie et qu'elle ne pouvait pas garantir la sécurité75(*).

Les missionnaires luthériens avaient aussi rencontré beaucoup de problèmes pour leur installation. En plus des réticences de l'administration allemande, il fallait après la guerre faire face à la France. Mais celle-ci, au regard des conditions du mandat, ne pouvait refuser l'accès dans les territoires aux citoyens de tout pays, membre de la Société des Nations. Cependant, les missionnaires eurent le droit de s'installer en zone musulmane, sans toutefois mettre sur pied une oeuvre missionnaire. Käre Løde cite ainsi les pasteurs Kaardal et Revne qui se virent imposer cette condition avant de s'installer à Léré, et aussi les tentatives de barrer la voie à l'installation des missions protestantes dans le Nord de la part du gouverneur Delafosse et de l'évêque de Brazzaville. Ces éléments vont plutôt contribuer à renforcer la détermination de ces luthériens, qui se sentent investis de la mission de « barrer la route à l'expansion de l'Islam 76(*)».

Le premier luthérien à avoir fait un passage dans l'Adamaoua était l'étudiant en théologie Ralph Hult. Américain d'origine, il reçut de l'Augustanasynode des États-Unis la mission de se rendre au Soudan, au Bornou ou à tout autre endroit convenable pour assurer à son église un champ de mission. Après un passage au Nigeria, à Ibi (3 mois), ensuite à Garoua (3 mois), et un an chez les Sara au Tchad, il arriva à Ngaoundéré en 1921, et rentra s'installer au Nigeria sous le couvert de la Sudan United Mission (S.U.M.).77(*)

L'évangélisation de l'Adamaoua fut cependant l'oeuvre d'Adoulphus Eugene Gunderson. Il arriva à Ngaoundéré avec sa femme le 22 mai 1923 sous le couvert d'une mission indépendante : la Sudan Mission. Mais, par négligence, la concession qui leur fut accordée à Ngaoundéré leur a été retirée. C'est à partir de ce moment que les norvégiens de la Mission Protestante Norvégienne rentrent en scène. Elle arriva à Ngaoundéré le 6 mars 1925, après moult tracasseries78(*).

L'Église Évangélique Luthérienne du Cameroun (E.E.L.C.) qui commence à peine, se voit attribuer un terrain considéré par les populations locales comme maudit, et où des détritus en tout genre sont déversés. Cette attribution de terrain, qui équivalait presque à un refus de s'installer, avait justement pour sombre but de faire partir ces missionnaires pas vraiment désirables. Mais ils ont tenu et on peut compter 3 paroisses dans la ville aujourd'hui (Baladji II ; Centre Commercial et Sabongari Norvégien).

De nos jours à Ngaoundéré, les Églises protestantes comptent aussi dans leurs rangs l'Église Fraternelle Luthérienne du Cameroun (E.F.L.C.). Si l'E.E.L.C. a sa base en Norvège, l'E.F.L.C. a la sienne aux États-Unis. Son organisation au Cameroun prévoit à partir du bas de l'échelle, les annexes, les paroisses, toutes deux sous la direction d'un catéchiste. Ensuite viennent les districts, les consistoires, les régions, et enfin les synodes, tous sous la direction de pasteurs. Le synode de l'E.F.L.C. du Cameroun est à Garoua. Dans la ville de Ngaoundéré, on compte deux secteurs : le premier comprend les paroisses des quartiers Gadamabanga, Baladji II, et Burkina. Le second secteur comprend les paroisses des quartiers Dang et Vogzom (sur la route de Touboro)

Dans l'E.F.L.C., les célébrations sont de trois ordres :

- Les rassemblements

Il s'agit ici de rencontres entre les différents membres communiants, pour un culte ou une étude biblique. Ces rassemblements ont lieu à Ngaoundéré le samedi de 15h à 17h. Ces horaires se comprennent lorsque nous savons que se sont les étrangers à la ville qui constituent les effectifs de cette église. Or, pour la plupart, ils sont en ville pour des raisons liées au travail. C'est donc une journée où les membres sont libres de tout engagement. À l'Extrême-Nord, par exemple, ces rencontres ont lieu le mardi et le jeudi79(*).

- Les cultes du dimanche, qui se tiennent de 9h à 12h.

- Les soirées de prières

Généralement dirigées par un pasteur, un ancien de l'église ou un catéchiste, les soirées de prières sont organisées sur des thèmes de la vie quotidienne en rapport avec la spiritualité. Une soirée de prière est précédée d'une journée de jeûne préalable. Il apparaît que certains membres de l'Église passent même la journée à la paroisse80(*). Ces moments de prière sont ponctués par des lectures de méditation ou d'exhortation, suivies de prières d'intention de grâce, qui consiste pour les membres à exprimer leurs intentions de prière. Cette seconde étape est entrecoupée de chants et de cantiques. Les soirées de prière commencent donc à 18h et s'achèvent à 22h, mais peuvent parfois aller jusqu'au matin.

La nuit est ici un moment de choix parce que c'est l'instant par excellence du dialogue entre l'humain et le divin. Il faut noter que les Fraternels Luthériens prient les yeux fermés, l'explication étant qu'il faut se concentrer et éviter de voir tout ce qui serait susceptible de perturber le dialogue avec Dieu81(*). La nuit est donc plus importante car le calme règne dans la ville, les prières sont donc moins perturbées par des éléments extérieurs. À cela, il faut ajouter la dimension proprement mystique de la nuit qui veut que ce soit un moment de tous les dangers auxquels la prière seule peut nous aider à nous prémunir.

- Les veillées

Les veillées diffèrent des soirées de prière en ceci qu'il s'agit de la célébration d'un culte ordinaire comme cela se fait de manière classique le dimanche. Ces célébrations ont lieu lors des fêtes religieuses de Pâques et de Noël ; ainsi que lors des deuils. Comme leurs noms l'indiquent, les veillées se déroulent dans la nuit. Elles peuvent aussi être organisées dans le cadre d'un mariage. Dans ce cas, elle est essentiellement festive et mis en place par les jeunes de la paroisse. Elle est agrémentée de chants et de danses des différentes chorales.

Pour les Fraternels Luthériens, la nuit est donc le moment choisi pour la méditation tel que nous l'observions déjà avec les musulmans. C'est aussi le cas avec les catholiques.

3.2.2 La nuit pour les catholiques

Même si ce sont les luthériens qui furent les premiers à s'installer à Ngaoundéré, les missionnaires catholiques n'étaient pas en reste. En juin 1914, le vicaire apostolique pour l'Afrique Centrale, Mgr Geyer reçut la première autorisation de faire un passage à Ngaoundéré, sous la condition de cacher le motif de son voyage qui était de considérer les possibilités de commencer une oeuvre missionnaire dans l'Adamaoua. Mais, cette autorisation n'eut pas de suite à cause de la guerre82(*).

Il faut signaler qu'avec les fonctionnaires et travailleurs indigènes sous l'administration coloniale, les catholiques s'installaient peu à peu dans la ville malgré les problèmes qu'ils rencontraient. Pierre Mëbë, diplômé de l'École Normale (École Supérieur des pères Pallotins Einsielden, de Buea, pour la formation des catéchistes), fut moniteur-catéchiste dans la ville de Ngaoundéré en 1923. Il fait état de ces problèmes dans un cahier de souvenirs à l'intention d'Yves Plumey, écrit le 9 avril 1961 :

Je trouvais à Ngaoundéré des moniteurs et leurs femmes catholiques, des soldats Yaoundé, Wouté, Sanaga, baptisés à Fernando Poo avec leurs enfants. Je commençais à les réunir le dimanche pour réciter le chapelet. Je traduisais les épîtres et les explications des évangiles dans le livre Goffiné que Monseigneur Vogt m'avait envoyé. Mais tout cela, je le faisais en privé. Heureusement, le Révérend Père Pédron vint de Berbérati pour acheter des boeufs. Je lui avais soumis cette question qu'il nous est défendu de pratiquer publiquement notre religion catholique.83(*)

C'est donc le R.P. Pédron qui, après avoir rencontré l'administrateur Portales, permet aux catholiques de pratiquer leur culte en toute liberté. Il organise aussi les quelques catholiques pratiquants de Ngaoundéré en une véritable association chrétienne avec comme catéchiste, Pierre Mëbë ; secrétaire, Henri Nkoulou ; et comme surveillant, Marc Omgba. Tous, à en juger par leurs noms, originaires du Centre. Ces premiers fonctionnaires vont poser les jalons de la mission catholique dans la ville de Ngaoundéré. Lorsque la préfecture apostolique de Foumban sous la direction de Mgr Bouque se voit confier la région du Grand-Nord, c'est le R.P. Lequeux qui, pendant 4 ans, de 1942 à 1946, va poursuivre l'oeuvre missionnaire commencée à Ngaoundéré, avec des passages tous les mois, jusqu'à l'arrivée des Oblats de Marie Immaculée (O.M.I.)84(*).

La mission au Nord-Cameroun et au Tchad a été confiée aux O.M.I. par la Congrégation de la Propagation de la Foi du Vatican, dans une lettre de Mgr Constantini adressée à Hilaire Balmès, vicaire général des O.M.I., le 21 mars 194685(*). Ainsi, la première équipe, sous la direction du R.P. Yves Plumey arrive à Ngaoundéré la même année. Depuis, l'église catholique s'est assez bien installée dans cette ville. Une observation rapide permet de constater qu'elle représente aujourd'hui l'une des religions qui comptent le plus d'adeptes dans la ville. Ceux-ci mettent en pratique leur foi par le biais de veillées de prière.

Les veillées de prière trouvent leur importance dans la croyance que les esprits maléfiques agissent de nuit. « Ils reviennent le soir, ils grondent comme des chiens86(*).» Ailleurs, dans les Saintes Écritures, plusieurs évènements incitent à considérer que la nuit est importante et surtout le moment où les esprits mauvais se déploient. Tout d'abord, c'est dans la nuit que Jésus lava les pieds de ses disciples87(*), ensuite le dernier repas qu'il partagea avec eux était un dîner88(*), enfin lorsque vient la nuit, les esprits maléfiques « errent ça et là cherchant leur nourriture. Et passent la nuit sans être rassasiés.89(*) » La foi chrétienne catholique tient dans la croyance en la mort de Jésus Christ et à sa résurrection. Or, ces différents évènements se sont déroulés dans l'après-midi et dans la nuit. Partant de là, ce dernier moment est donc celui où les âmes sont sauvées du péché. « C'est le moment où Jésus, de par sa résurrection, a sauvé l'humanité du péché originel.90(*) »

Il est conseillé, pendant la nuit, de prier pour le combat spirituel, afin de faire face au péché et de le refouler. Ainsi, entre minuit et 3h du matin, les prières conseillées sont les suivantes : la protection de Dieu ; contre ceux qui nous veulent du mal, contre le clavier satanique, contre tout jugement en cours, contre l'héritage des sectes ésotériques 91(*). D'autres intentions peuvent être associées à celles-là. La nuit est donc un moment de combat contre les mauvais esprits, un moment où on peut se racheter de ses fautes.

À cela, nous pouvons ajouter les différentes célébrations qui ont lieu dans la nuit. Trois fois par an, les catholiques célèbrent des messes de nuit : pour le réveillon de Noël, afin de marquer l'attente de la naissance du Christ Sauveur 92(*); et pendant la période de Pâques (le Jeudi Saint, dernière nuit de Jésus avec ses disciples, le Samedi Saint, veille de Pâques, dans l'attente de la résurrection).

Au regard de ce qui précède, la nuit est pour le chrétien catholique un moment de méditation, de prière et de combat contre les esprits mauvais. Il faut ajouter à cela l'aspect de l'attente que ce soit à Noël, ou à Pâques. Ces aspects sont aussi pris en compte par les "églises de réveil", qui sont à l'observation, généralement bâties par des transfuges du Catholicisme.

3.2.3 La nuit pour les églises "réveillées"

C'est dans les années 1990 que les premières Églises dites réveillées ou de réveil apparaissent dans la ville de Ngaoundéré. Au regard de leur nombre sans cesse croissant et de leurs similarités, notre étude se porte donc sur l'une d'entre elles, la Mission de l'Église Évangélique du Cameroun (M.E.E.C). Installée dans la ville en 1995, elle compte deux lieux de culte, l'un à Bamyanga et l'autre tout près de l'abattoir municipal au quartier Baladji II93(*).

La nuit ici revêt plus ou moins la même importance que pour les autres religions que nous avons déjà abordées. C'est-à-dire un moment de méditation, de concentration, de prière et de repos. Mais, cette église, à l'instar d'autres églises de réveil de la ville94(*), tient tous les vendredis de chaque fin du mois, une nuit de prière.

Cette nuit de prière se tient à ce moment-là pour plusieurs raisons. Tout d'abord, c'est un moment où tout est calme. La nuit offre une possibilité de mieux faire son introspection et donc de dire, de présenter à Dieu toutes les sollicitations. Ensuite, la nuit de vendredi marque le début de week-end. Les participants à la prière sont libres de toute occupation. Cela offre une tranche de 6h d'horloge libre, que l'on exploite par la prière. Enfin, l'insécurité présente dans la nuit à Ngaoundéré fait que ceux qui viennent à 22h ne seront pas tentés de rentrer à tout moment. Donc, lorsqu'on commence c'est jusqu'au matin. On est obligé de supporter de peur de mettre sa vie en danger. Ces nuits de prières commencent à 22h et se terminent entre 5 h30 et 6 h. bien avant de décider de cet horaire, il apparaît que la nuit de prière prenait fin vers 4h. Mais, le risque d'agression faisait que les fidèles ne pouvaient rentrer immédiatement, d'où la prolongation jusqu'à 5h30, pour permettre à tout le monde de rentrer dans une relative sécurité à un moment où le jour commence à poindre.

Pendant la nuit de prière, les fidèles débutent par des louanges à Dieu. L'objectif étant ici de se mettre en condition de prière et exalter Dieu. Ensuite, c'est l'adoration, ensemble de prières pour signifier la grandeur de Dieu, et enfin la prière proprement dite, agrémentée de chants pour réveiller les éventuels dormeurs, ou s'empêcher de dormir. La nuit est donc le moment de prière par excellence, le moment de présenter à Dieu toutes les intentions que l'on peut avoir dans son coeur. À ces nuits de prière, il faut ajouter que la M.E.E.C. tient tous les mercredis un culte fait de louanges et de prières entre 17h et 19h.95(*)

Si la nuit est donc le moment de repos, de méditation et celui propice pour les rapports charnels pour les différentes religions que nous avons étudiées, elle est aussi l'instant choisi pour de nombreux rites tels que ceux pratiqués pour les initiations. À cela, on peut ajouter les rites symboliques pratiqués pour le mariage (le Soro par exemple) et les activités ludiques (le hiirde).

V. QUELQUES ACTIVITÉS DE NUIT SUR LE PLAN TRADITIONNEL

Sans pouvoir établir un bilan de toutes les activités de nuit sur le plan traditionnel, notre travail aborde quelques uns des aspects qui nous semblent marquant et l'expression de ce que la nuit est pour les peuples de l'Adamaoua. Ainsi, nous analysons le soro, le hiirde, et les différentes activités des femmes libres, appelées adjaba'en en fulfulde.

4. Le soro, un rituel traditionnel du mariage

Le soro est une coutume peule très ancienne du mariage qui se déroule le soir du troisième jour après que la mariée eût gagné le domicile conjugal, en fait, avant la consommation de celui-ci. Les mariés doivent en être à leur premier mariage. L'essentiel des cérémonies s'étant déjà déroulé, les principaux acteurs du soro sont : les deux époux et leurs parrains (appelés ici baaba'en, ce qui signifie en foulfoulde pères). Le jeune homme a pour parrain l'homme du village le plus anciennement initié au soro et la jeune femme, celui qui vient immédiatement après (uniquement des hommes). Peuvent aussi y assister, tous les autres hommes du village et des villages voisins, ainsi que les invités formés des représentants des différentes fractions peules, tous déjà initiés96(*).

Tout commence le soir au coucher du soleil par un grands repas offert à tous les participants vers 18h30. Cependant, les jeunes mariés, qui ne peuvent y prendre part, sont représentés par leurs parrains. Ceci est dû au fait que, trois jours durant, le marié vit chez un de ses amis de la même classe d'âge, et la mariée est recluse dans sa case en compagnie de jeunes demoiselles. En journée, la famille du garçon aura pris soin d'égorger un taureau dont la moitié sera préparée en sauce pour accompagner le couscous de mil, et l'autre moitié sera grillée. En fin de repas, sont distribués friandises et gâteaux de mil.

Lorsque le repas tire à sa fin, vers 20h30, les deux parrains, chacun en ce qui le concerne, vont chercher les mariés discrètement pour les entraîner à travers les champs dans la brousse, afin de prendre de l'avance et arriver à l'endroit où aura lieu le rituel. Le repas achevé, les autres participants ratissent la brousse environnante pour tenter de les rattraper avant qu'ils ne parviennent à l'endroit, situé à quelque distance du village.

Le premier à le faire lance un cri de ralliement, ce qui permet à ses compagnons d'accourir rapidement. On cherche alors à battre avec des verges les deux jeunes époux tandis que leurs parrains tâchent de s'y opposer. Si les poursuivants ne parviennent pas à les rattraper, ils se fustigent entre eux en s'administrant les coups originellement destinés aux jeunes époux, avec cette différence que ces coups sont limités aux membres inférieurs (des genoux jusqu'aux pieds). Mais ces coups ne sont pas distribués au hasard : chacun ne peut battre que ceux qui sont moins anciens que lui dans le soro et ne reçoit de coups que de ceux qui sont plus anciens. C'est-à-dire que le plus ancien dans le soro peut battre tout le monde tandis que le plus récemment initié est battu par tout le monde. Finalement, les uns et les autres arrivent tant bien que mal à gagner l'endroit où va se dérouler la cérémonie vers 22 h.

La cérémonie est constituée de trois temps forts, elle se déroule dans un endroit assez dégagé mais que ne vient éclairer aucune lumière sauf celle de la lune lorsqu'elle apparaît. Elle dure entre trois et cinq heures d'horloge.

Tout commence par la danse des mariés qui sont les personnes à initier (les soroobe). Les parrains les invitent à se dévêtir. La femme se met totalement nue, tandis que l'homme se couvre le sexe avec un morceau d'étoffe. On les fait asseoir tous deux à même le sol au bout de l'aire de jeu. Ils s'asseyent l'un à côté de l'autre, épaule contre épaule, et la femme à gauche de l'homme. Ils font face à l'Est, les jambes jointes et allongées, les mains serrées entre les cuisses, la tête baissée. Immédiatement devant eux, se placent leurs parrains respectifs, ils font tous face aux participants, ceux-ci tiennent toujours le bâton dont ils se sont déjà servi et vont continuer à se servir toute la nuit.

Dès lors commence pour les soroobe une danse, sans accompagnement musical, pendant laquelle les vagues d'hommes armés de bâtons arrivent successivement au contact des parrains qu'ils cherchent à déborder pour atteindre les jeunes époux assis derrière. Lorsqu'ils arrivent à proximité, ils leur donnent des coups de baguette, sur le crâne, les épaules, le dos, les jambes, tandis que leurs parrains font tout leur possible pour les dévier et en protéger les mariés. Pendant qu'on cherche à frapper les jeunes époux, on peut continuer à se frapper entre participants tel que nous l'avons déjà présenté plus haut. Cette danse dure environ une demi-heure et peut être reprise au gré des participants selon le même schéma après une pause.

les jeunes époux se trouvant maintenant assis pas terre, leurs parrains empoignent chacun un bout du pagne de la jeune femme et le tendent entre eux verticalement. Chaque participant, passant entre le couple et 1'écran formé par le pagne, doit contourner les parrains par derrière pour revenir se placer devant eux après être passé sous le pagne. Deux files indiennes sont ainsi formées, mais pas au hasard : les premiers à passer sous le pagne, et donc à se ranger immédiatement devant l'un des parrains, sont les plus anciens dans le soro, les derniers, les plus récemment initiés. À mesure que les deux files s'allongent, les hommes déjà rangés, frappent les autres à leur passage. Et ceux qui viennent d'être battus prennent place aux extrémités des deux files et battent à leur tour tous ceux qui passent devant eux.

Ensuite, les jeunes époux, le mari en premier, seront les derniers à passer, et ce sont donc eux qui reçoivent le plus grand nombre de coups. Ils subissent même un sort particulier puisqu'ils doivent passer à trois reprises entre les soroobe et donc par trois fois, être roués de coups. Les seuls à ne pas passer dans le "couloir", et donc à ne pas être battus, sont les deux plus anciens dans le soro, c'est-à-dire les parrains.

L'attitude des jeunes époux est observée avec attention, surtout celle du jeune homme qui ne doit pas se plaindre de quelque façon que ce soit. Il doit supporter cette multitude de coups de fouets dans la plus grande indifférence, marcher sans hâte en recevant les coups. Et s'il se permettait de gémir sous un coup dont la brutalité serait plus grande que les autres, il deviendrait la risée du village et sa renommée en serait à tout jamais ternie. Et si, par extraordinaire, il perdait contenance et s'enfuyait, il devrait s'exiler.

À la fin de cette partie marquée par la bastonnade, les deux parrains font asseoir les mariés, toujours nus à l'opposé de l'endroit où ils étaient assis, et cette fois-ci face à l'Ouest. Les participants commencent à se fustiger entre eux, mais cette fois en épargnant les époux. Lorsque la nuit tire à sa fin, les parrains viennent trouver les époux afin de leurs prodiguer des conseils relatifs au mariage et dont les règles dépendent de la pulaaku, l'ensemble des principes de vie des foulbé. À la jeune femme par exemple, on recommandera de bien aider sa belle-mère dans ses travaux, on la menacera de lui faire subir à nouveau l'épreuve de la bastonnade si elle fait la moindre fugue, un des moyens utilisée par les femmes pour punir leurs maris. Quant au mari, il se verra rappeler qu'il est maintenant un homme accompli, tout comme son père, avec tout ce que cela implique de responsabilités aussi nouvelles que lourdes qu'on énumérera, d'égards et de respect envers les anciens, en particulier les aînés dans le soro.

À l'aube, c'est la dernière étape, le retour au village. Les mariés se rhabillent. Les parrains obligent la jeune femme à porter ou tenter de porter son mari sur le dos. Ensuite c'est au tour de l'homme d'en faire pareil. Tous deux arrivent au village et gagnent une case qui leur est réservée dans le domicile des parents du garçon. Sont autorisés à les y accompagner, leurs parrains et quelques intimes du mari (trois au maximum), un dernier rituel attend les conjoints.

À la jeune mariée, on remet une minuscule braise avec laquelle elle se doit d'allumer le foyer. Quant au mari, il se couche sur le dos et il lui est demandé de compter les branches tressées qui forment les cercles horizontaux reliant la charpente du toit à la case. Après cela, on soulève les jambes du mari, toujours étendu sur le dos, et on les dépose sur celles de son épouse à qui on enjoint de les masser et par la suite, de oindre de beurre tout le corps de son mari. On peut également lui demander d'apporter de l'eau à boire à son mari. Puis on les laisse seuls. Alors commence la vie commune du couple dont c'est souvent le premier contact intime.

En définitive, le soro est considéré comme une affaire d'hommes. Il commence au début du nycthémère97(*), qui coïncide aussi avec le jour peul98(*). La nuit étant la première partie du jour, le début de la nuit est doublement symbolique, en tant qu'il est le début du commencement ; mais aussi parce qu'il est placé sous le signe de la confusion, et tout se passe en effet dans le plus grand désordre, à la faveur de l'obscurité 99(*). Il consiste à initier les mariés aux vicissitudes de la vie de couple et à apprendre à se supporter mutuellement, ceci dans le strict respect des règles de vie peule (pulaaku). Il s'agit d'amener la femme à supporter l'épreuve de l'accouchement sans gémir, et à l'homme de supporter la circoncision. Le soro marque donc le passage d'une classe, celle des adolescents, des enfants, à la classe des hommes, des adultes, où on n'a plus le droit de se comporter comme un inconscient. C'est une leçon de vie qui est donnée aux jeunes époux, avec tout le sérieux qui sied au mariage, sans toutefois revêtir le caractère essentiellement ludique du hiirde.

5. Le hiirde

5.1 Définition

Littéralement, le mot sukaajo signifie indistinctement jeune ou serviteur selon le contexte d'emploi. Sukaaku ou jeunesse renvoie certes à une classe d'âge mais dans le fond, ce vocable renferme les attributs physiques et comportementaux permettant à un jeune homme de se distinguer, de faire la différence parmi ses pairs100(*). L'une des occasions idoines pour cela est le hiirde.

Le hiirde se définit comme une réjouissance en soirée pendant laquelle les hommes montrent leur habileté au langage et surtout font étalage de leurs biens. Le terme hiirde vient du verbe hiirgo, qui signifie passer la soirée en se divertissant. Ainsi, le hiirde se vit de trois manières possibles :

- Il peut désigner le fait de passer la soirée dans la rêverie solitaire, ou dans la causerie en groupe ;

- il peut aussi s'agir d'une manifestation de réjouissance collective organisée en soirée. D'après Saïbou N., cette manifestation peut se rapporter au mariage, au baptême, à l'intronisation du lamido...réunie très souvent par un lamido ou un homme fortuné, « elle est essentiellement une fête collective nocturne. » 101(*)

Ce jeu se déroule dans la nuit et ne l'excède pas. Si d'aventure le hiirde commence en journée sa durée ne dépasse pas la nuit attenante à cette journée-là. Il se déroule soit à l'air libre, à l'extérieur de la case de la personne qui a organisé le hiirde (hiirde-fijirde), soit à l'intérieur de la case. Le jeu regroupe plusieurs personnes du village, hommes, femmes (de préférence libres), et surtout des musiciens.

Une autre forme de hiirde se déroule dans la case (hiirde-Sukaaku) et regroupe un public mixte et jeune. L'entrée dans la case étant payante pour les hommes, il n'est donc pas ouvert à tous. Les femmes sont choisies en fonction de leurs avantages physiques. Ce dernier type est une compétition pour obtenir la faveur des femmes. Il peut aussi s'appeler le Sukaaku ou jeunesse. Il représente une épreuve que traverse l'homme pour conquérir une femme, ou inversement. Le jeu consiste à faire plus de dépense que l'autre et à se montrer maître de la parole plus que son rival.

5.2 Le hiirde et ses acteurs

Le hiirde est une sorte de compétition qui est censée mettre en exergue les habiletés linguistiques des participants et leurs richesses. Le but est de chercher à se distinguer les uns des autres, « entrent dans l'arène de jeu ; interpellent les musiciens, tiennent des propos dans un style recherché sur des sujets divers ; commandent à prix d'importants cadeaux (argent, vêtement, taureaux) leurs propres louanges, celles de leurs amis. »102(*) C'est cette volonté de se voir mettre en avant qui crée les rivalités entre personnes, pouvant aller jusqu'aux rivalités entre villages.

Les acteurs du hiirde sont donc des hommes, des femmes libres, et des musiciens (l'orchestre de Dummbo). Le chef d'orchestre, ardo, joue à la guitare moolooru. Mais, cet instrument de musique n'est pas figé. Le jeu peut aussi se pratiquer avec des poètes chanteurs, avec le wommbere, sorte de flûte que l'on associe aux tambourinements des calebasses retournées ; ou encore avec l'algayta, flûte que l'on associe aux tam-tams.

Les personnages les plus importants du hiirde sont les musiciens et les femmes. En effet, les musiciens galvanisent la foule par des chants mélodieux et poétiques, inspirés des expériences de la vie présente et passée des spectateurs. Ils excitent la foule et jettent les joueurs dans l'action : faire des cadeaux en tout genre et exprimer ses talents oratoires. Quant à la femme, elle a pour rôle d'être le centre d'intérêt des joueurs. Beaucoup d'hommes s'y lancent dans l'espoir de gagner les faveurs des femmes ou pour se faire une bonne image auprès d'elles. Parfois pour la femme, les hommes sont capables de se ruiner complètement. « La présence de la femme, l'idée que l'homme se fait d'elle, poussent le joueur au sacrifice, au dépassement de soi. »103(*)

Adji Temba fait état dans les années 1950 de quelques hiirde qui furent convoqués par le lamido, et qui se sont déroulés devant son palais. Il parle de véritables fêtes, dans le respect mutuel. Pendant une période où il n'existait pas de criminalité d'après lui.104(*)

La description que nous en fait Mohammadou Djaouro105(*) est plus illustrative. En effet, il rapporte que dans les hiirde que l'on organisait à Ngaoundéré, les jeunes se donnaient rendez-vous à un endroit. Ils devaient courtiser des femmes libres, selon le rituel que nous avons déjà décrit plus haut. Celui qui gagnait avait le droit de prendre ladite femme pour la nuit. Mais si des jeunes de deux quartiers se disputaient une femme, et que celle-ci avait une préférence pour l'un, le jeu pouvait se transformer en bagarre opposant, non plus les deux protagonistes, mais leurs quartiers respectifs. Ainsi, un autre rendez-vous nocturne était donné cette fois-là pour une bataille entre quartiers. Les parents en étaient souvent informés mais, les jeunes passaient outre les interdictions de sortir. Ces batailles pouvaient durer plusieurs nuits avec des rendez-vous différents et des endroits différents. C'est le lamido, assisté des dignitaires des quartiers qui y mettaient fin, soit par des amendes, soit par des bastonnades publiques, pendant lesquelles les différents "combattants" recevaient une série de coups de fouets. Malheureusement, ce jeu n'est plus pratiqué aujourd'hui.

5.3 La disparition du hiirde

Les raisons de la fin du hiirde sont essentiellement d'ordre politique. Saïbou Nassourou, pense qu'elle est due au climat de morosité qui s'est installé dans le pays tout entier, et dans le Grand-Nord en particulier, à la suite des évènements du 06 avril 1984, marquant le coup d'État manqué contre le président Paul Biya, et dont les Nordistes ont été tenus pour responsables106(*).

Si les activités du hiirde étaient déjà rares à ce moment-là, même l'écoute en privé des cassettes audio enregistrées à partir des jeux n'était plus pratiquée dans la peur des représailles policières. En effet, les chants des griots qui animaient le hiirde étaient faits de louanges en l'honneur des personnes physiques, parmi lesquelles figurait l'élite politique du Nord. Sans oublier que l'ancien président Ahidjo était justement de la région. À Ngaoundéré, nul ne peut véritablement situer la période de la disparition du hiirde, ni les raisons qui y ont présidé.

Ce jeu apparaissait donc comme une menace pour le nouveau pouvoir et comme l'expression d'une allégeance à l'ancien régime. Mais, ne pourrait-on voir dans le déclin du hiirde, quelques effets de la modernité ? En effet, les jeunes délaissent de plus en plus ces jeux traditionnels pour s'intéresser aux boîtes de nuit, aux bars... Par ailleurs, le départ de la scène politique des hommes qui avaient connu le hiirde, et l'arrivée de ceux qui en étaient insensibles a aussi contribué à la fin de ce jeu dont les participants les plus importants étaient les femmes libres, encore appelés les adjaba'en.

6. Les adjaba'en

Le commerce du sexe n'est pas un phénomène né à Ngaoundéré avec les migrations des nationaux dans cette ville, même s'il apparaît qu'il a pris de l'ampleur avec eux. Ketil Fred Hansen écrit: « Dr Passarge appears to have spent a good night, though. He and his followers were given plenty of food and fourteen young girls for the night »107(*)

Cela montre qu'en 1894 déjà, au moment de l'arrivée des premiers explorateurs Allemands, le plus vieux métier du monde était utilisé dans le lamidat de Ngaoundéré pour permettre la détente des étrangers ou des invités de marque. Sous la colonisation, des actes de prostitution sont relevés dans la cité et sont même reconnus et réglementés. En effet, chaque femme exerçant dans ce métier devait justifier d'un domicile fixe et être répertoriée dans le registre tenu par les autorités, avoir un carnet de santé et se présenter régulièrement aux contrôles médicaux108(*).

Froelich J.-C. parle d'une prostituée de race peule, tirant le principal de ses revenus de la vente de vin et de bière. Avec des clients diurnes et nocturnes, qui se rendent parfois chez elle. Ses clients payaient avec des étoffes ou parfois des billets de 1000 francs109(*). Il parle aussi de certaines, soumises à l'autorité d'un protecteur et à qui elles reversent leurs revenus110(*).

Il faut dire que cette prostitution est assez sournoise et nous amène à redéfinir le terme prostitution lui-même. En effet, les femmes dites libres (adjaba'en, pluriel de ajabaajo) sont courtisées par les hommes qui les prennent pour la nuit. Il ne s'agit pas d'un échange dans lequel la femme perd toute dignité. Ici, elle est prise avec respect et les cadeaux qu'elle reçoit sont souvent comparables à ceux que les hommes donnent à leurs femmes à la maison. Le problème des femmes libres se pose aussi avec la crise matrimoniale qui sévit dans la Grand-Nord en général et à Ngaoundéré en particulier.

Chez les musulmans de Ngaoundéré, le mariage est considéré comme un contrat liant des individus et non des groupes. I1 rend légale l'union d'un homme et d'une femme par le don d'un douaire111(*) appelé dewra ou garantie de mariage, versé à l'épouse par l'époux, et correspondant au sadaq du Coran. À la garantie de mariage proprement dite peuvent s'ajouter des versements complémentaires dont le rôle est beaucoup moins clairement défini. Mais, bien que le mariage foulbé ne concerne en principe que les individus, la famille joue encore un rôle très important dans le choix du conjoint. En effet, chez les Peuls du Grand-Nord du Cameroun comme chez les Arabes, la coutume de conclure le mariage des jeunes gens sans leur consentement a survécu à l'islamisation. Le premier mariage d'un jeune homme ou d'une jeune fille a donc longtemps été arrangé par les pères des futurs époux112(*). Nous insisterons sur le fait que seul le premier mariage est arrangé, parce que là est certainement la cause de l'instabilité matrimoniale chez les Foulbé et chez les autres musulmans de Ngaoundéré.

Le rôle très important de la famille lors des premières unions empêche les jeunes filles d'exprimer leur choix. De plus, elles sont contraintes au mariage dès la puberté, avant d'avoir assez de maturité pour assumer leur rôle. Enfin, alors même qu'elles sont considérées comme émancipées par un premier divorce et responsables d'elles-mêmes, les femmes sont contraintes à un remariage trop rapide pour qu'il leur soit possible de choisir véritablement leur conjoint. Le mariage ici n'a donc généralement au départ aucune base affective. I1 n'a pas non plus pour but la création d'une nouvelle cellule économique, puisque en théorie le mari pourvoit seul aux besoins du ménage113(*).

Notons que les bouleversements sociaux et économiques qui ont suivi 1'Indépendance sont venus renforcer la fragilité intrinsèque des unions foulbé : l'éclatement de plus en plus fréquent de la famille étendue et la perte de pouvoir des chefs de famille ont encore affaibli les valeurs morales sur lesquelles le mariage reposait. Ces bouleversements amènent les femmes à avoir d'autres ambitions que celle de rester cloîtrer dans un mariage qu'elles ne font que subir. Le mariage devient donc un "passeport vers la liberté". À peine est-elle mariée que la femme demande déjà le divorce. Si après un mariage raté, les parents n'ont plus grand-chose à dire à leur fille, c'est donc l'occasion de vivre cette liberté de l'adolescence dont elle a été privée par une union arrangée.

Les femmes libres sont néanmoins discriminées, puisque la société musulmane tient en haute estime le mariage. Elles ne sont pas respectées et sont malheureusement prêtes à tout pour avoir un homme. Tel est le cas de Hadidja, jeune femme musulmane Mandara, âgée de moins de 30 ans, tenancière d'un restaurant traditionnel dans le quartier Tongo Pastorale.

Hadidja vit à Ngaoundéré depuis 5 années. Arrivée dans la ville à la suite de l'expulsion de son mari du village. Elle s'en est séparée depuis deux ans car celui-ci passait plusieurs jours sans rentrer à la maison. Il serait devenu, à ce qu'elle nous en dit, un des plus grands fournisseurs de la ville en drogue, principalement le Tramol. Après ce mariage raté, elle ouvre un restaurant dans une maison qu'elle loue au quartier Tongo, afin de gagner sa vie. Pour elle, quelque soit l'homme qui se présenterait, elle serait partante si celui-ci peut subvenir à ses besoins. Il est remarquable de constater que très peu de personnes dans le quartier savent qu'elle n'est pas mariée. En effet, si tel était le cas dit-elle, elle ne serait pas respectée. Elle emploie 3 de ses soeurs, pour la cuisine et 2 garçons pour la plonge. Et toutes ces femmes ne veulent qu'une chose : se marier. À la question de savoir pourquoi elles insistent tant à se mettre en couple alors qu'elles ont déjà de quoi subvenir à leurs besoins, elles vous répondent que « c'est à l'homme de le faire, si nous étions mariées, nous n'aurions pas à faire ce type de travail » 114(*). Dans la tradition peule, « le mariage signifie ascension sociale pour la femme.»115(*) En effet, « l'image du mariage véhiculée par la langue peule, à travers le terme « bangal » est associé à une idée de grandeur, de hauteur, d'ascension. A ce stade, nous pouvons dire que le mariage est vécu, par les Peul, comme un mouvement vers le haut. »116(*) Elle est aujourd'hui une daada suudu, une femme à la tête des adjaba'en.

Dans son restaurant, elle travaille de 08h à 23h, et pendant les périodes de jeûne de Ramadan, c'est entre 18h et 23h qu'elle prend la première tranche de travail, et de 2h à 5h pour la deuxième tranche. Elle y vend des ignames, du couscous, du riz, de la bouillie et différentes sauces. Malgré tout, on peut remarquer quelques enfants qui jouent à même le sol dans la maison. Chacune des filles en a un et affirme que les hommes viennent, « disent "je t'aime" » et s'en vont sitôt qu'ils ont eu ce qu'ils voulaient. Ils ne veulent pas se marier. Toutes les nuits, il y en a un nouveau, plus amoureux que celui de la veille, mais jamais ne veulent s'engager.

Ce sont donc ces femmes qui sont considérées comme des prostituées sur le plan traditionnel. Mais prostituées qui, on peut le constater, le font dans le sombre espoir de trouver parmi leurs courtisans, non plus des clients, mais des maris. La situation du mariage aujourd'hui, marquée par les différentes influences étrangères amène les femmes à réviser leurs avis sur cette institution. La prostitution traditionnelle des adjaba'en est encore très pudique. Cette activité commencera à être pratiquée à ciel ouvert avec les premières populations sudistes. En effet, Les vagues migratoires qui s'accentuent dès les années 1950 et dont la plus grande illustration est la création du quartier Baladji, apportent de réels changements de moeurs. L'arrivée des populations du Sud-Cameroun démontrait la possibilité d'une promotion sociale, et leurs valeurs culturelles marqueront les consciences. Cela va conduire à un changement de mentalités. Ngaoundéré devient donc une ville qui vit entre tradition et modernité.

Photo 2 : Les trois employées du restaurant traditionnel de Hadidja et leurs enfants ;

(Elle-même a refusé de se faire prendre en photo, prétextant n'être pas présentable)

Cliché : Owona, le 22 août 2009.

III. LES CHANGEMENTS DE LA VIE DE NUIT : DE LA TRADITION À LA MODERNITÉ

Ces différentes activités connaissent un certain ralentissement sinon un déclin depuis 1952. En effet, avec les grandes vagues migratoires et les changements politiques au Cameroun, plusieurs changements interviennent et modifient la manière à laquelle la nuit se vivaient jusque là. Il est donc nécessaire, pour mieux comprendre ces mutations, de jeter un regard sur les différentes migrations qui ont émaillées l'histoire de cette ville, afin d'examiner les nouvelles activités et loisirs de la nuit.

5. L'arrivée des "immigrés" camerounais

En dehors des peuples anciennement installés sur le plateau de l'Adamaoua, à savoir les Mboum, les Gbaya, les Dii, soumis par les Foulbé, les premières populations camerounaises qui se sont retrouvées dans la cité de Ngaoundéré étaient pour la plupart des esclaves. En effet, les Lamibé de Ngaoundéré ont bâti leur pouvoir en conquérant les villages environnants, en razziant et en pillant117(*). Nous pouvons ainsi citer les conquêtes de Mohaman Ndjobdi (1830-1838), qui réduisit une partie des Mboum à l'esclavage à la suite de la bataille de deux mois qui l'opposa au Belaka de Ngaoukor. Celles de son successeur Lawan Hamman (1838-1853), qui envoya quelques expéditions contre les Gbaya. Sans oublier Ardo Issa qui repoussa les frontières de Ngaoundéré jusqu'aux frontières de l'actuelle R.C.A. ; Haman Gabdo (1877-1887) qui soumit les villages Dii, Ngaouyanga, Dek et Gonkora118(*). Mais elles se sont arrêtées avec l'arrivée des Allemands en 1901.

Il faut noter que l'administration allemande est l'un des moteurs de l'immigration dans la cité de Ngaoundéré. À leur arrivée, ils vont entrer de force dans la ville après plusieurs jours de siège. Le mur de fortification qui entourait la ville sera détruit. Non par les Allemands tels que certains témoignages le relèvent, mais par les populations locales elles-mêmes. En effet, avec l'entrée de ces Européens et leurs coups de feu, les populations dans leur fuite, vont briser certaines parties du mur. Ces dernières ne seront jamais reconstruites et c'est ainsi que le mur va finalement disparaître119(*). Le mur brisé, la ville est donc grande ouverte à toute sorte d'influence et de pénétration étrangère. En plus des commerçants, l'administration allemande fera venir d'autres populations sudistes, pour le besoin de faire asseoir son autorité. Cette méthode sera poursuivie par l'administration française.

Les premiers sudistes que l'on retrouve à Ngaoundéré semblent être les Bamiléké120(*). À la fin du XIXe siècle, ceux-ci entretenaient des relations commerciales avec les populations du Nord-Cameroun. Ce commerce était principalement centré sur les kolas121(*). Il faut ajouter à ces produits les boeufs qui sont acheminés vers Dschang et Foumban122(*). Pour Kemfang, en plus de ces produits commerciaux, il ajoute lait, peaux séchées et tissus123(*).

Les sudistes seront appelés à Ngaoundéré pour servir principalement dans l'administration, dans l'éducation, la santé et l'agriculture. Même si leur apport à partir de 1952 dans la construction est moins important du fait qu'ils ne s'adonnaient que très peu à ces travaux124(*). On relève surtout comme populations sudistes présentes à Ngaoundéré pour le compte de l'administration, les tendances ethnologiques suivantes : les Béti (Ewondo, Bulu, Eton), les Bafia, les Bamiléké et peu de Douala125(*). Cette présence des travailleurs sudistes dans l'administration coloniale a été rendue possible grâce notamment, au rôle qu'ont joué les écoles missionnaires dans le Sud dès les années 1901. Ces écoles missionnaires avaient la faveur des différentes administrations coloniales en ceci qu'elles étaient de véritables vecteurs de l'idéologie européenne. Il faut ajouter qu'en ce qui concerne l'administration française, c'est le 22 juillet 1922 que le mandat de la Société des Nations (S.D.N.) est accordé à la France. Mais déjà, en 1915, des témoignages relevaient la présence des travailleurs sudistes au compte de la France126(*).

6. Les autres vagues migratoires

Parmi les premiers Africains non-Camerounais arrivés à Ngaoundéré, les communautés d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale sont certainement les plus importantes.

Les communautés d'Afrique de l'Ouest ont été depuis très longtemps en contact avec les Foulbé. Il faut rappeler que tous les Foulbé sont originaires de l'Afrique de l'Ouest avec une souche arabe. Ainsi, les premiers ressortissants de cette zone de l'Afrique à s'installer dans la ville de Ngaoundéré étaient les Haoussa et les Kanouri. Leur installation semble effective dans l'ancienne cité dès le XIXe siècle en même temps que la conquête de ce territoire par les Peul127(*). Ces deux peuples sont originaires du Nigeria et sont réputés pour leur talent de commerçant, d'érudit, et d'infatigable voyageur.

Depuis le XVIIIe siècle, les Haoussa partaient du Nigeria et parcouraient le Nord-Cameroun, s'infiltrant dans les Hauts-Plateaux de l'Ouest Cameroun jusqu'au Centre, en se soumettant aux chefs locaux. C'est sans doute une des raisons qui explique que les populations du Sud-Cameroun, jusqu'aujourd'hui, continuent de considérer comme Haoussa toute personne issue de la zone septentrionale du pays. En effet, parmi les premiers commerçants ambulants avec lesquels elles ont été en contact, on dénombre les Haoussa.

Par ailleurs, Ousman Dan Fodio et son lieutenant Adama font recours aux Haoussa et aux Kanouri pour renforcer la cavalerie peule. Avec la prise de Ngaoundéré par Ardo Ndjobdi, les commerçants Haoussa et Kanouri feront de cette cité un grand comptoir d'esclaves, commerce qui permettait au lamidat de vivre dans une certaine opulence en payant au prix fort les marchandises qui lui étaient proposées128(*). Ils vendaient au départ du sel et du natron, produits utilisés pour l'élevage que pratiquaient les Peul. Mais avec les razzias, ces produits vont se diversifier et laisser la place aux esclaves, à l'ivoire et aux tissus Bornouans.

L'installation des Haoussa et des Kanouri s'est faite progressivement. Les principales raisons étaient : le commerce, l'enseignement des préceptes de l'Islam, ou simplement pour répondre aux sollicitations du lamidat, de mettre à son service leurs talents d'occultisme. À l'intérieur de l'ancienne cité, ils créent le Quartier Haoussa, situé à l'Est du palais du Lamido.

Notons que les Kanouri sont aussi originaires de Boundang comme les Foulbé de Ngaoundéré. Il faut dire qu'ils voyageaient presque toujours ensemble. Et lorsque Ndjobdi envoya la première expédition de Foulbé en mission de reconnaissance sur le plateau de Ngaoundéré, il lui enjoignit quelques marabouts à savoir Maloum Moungouma, Maloum Aliyam, Maloum Djetawa, Maloum Ibrahima, Maloum Kadir, Maloum Mouktamou, Maloum Moustapha, Maloum Moussa, Maloum Firna, et Maloum Youssoufa. Leur rôle était d'établir la première mosquée dans la nouvelle localité. Par la suite, ils créent le quartier Maloumri. Les Kanouri, conduits par un chef du nom de Korma, vont aussi créer le quartier Kormari 129(*). Aujourd'hui encore, les Kanouri et les Haoussa sont fondamentalement installés dans la ville de Ngaoundéré, avec une forte présence dans la Faada, instance dirigeante du lamidat. Grâce aux mariages intercommunautaires, ils vont se fondre dans le groupe d'habitants et bénéficier de privilèges dans la gestion des affaires de la cité. Ainsi, c'est le Maï Borno, chef des Kanouri, qui enturbanne le lamido lors de son intronisation. Il est aussi le seul à le taquiner ou à blaguer avec lui130(*).

Ces premières vagues d'immigrés venant d'Afrique de l'Ouest, ont ouvert la voie à d'autres migrations, cependant plus tardives. En effet, les commerçants eux, avaient continué leurs rotations saisonnières. Mais avec les indépendances, les pays d'Afrique de l'Ouest ont connu un certain nombre de problèmes politique, économique et social. Les Nigériens et les Maliens par exemple fuient les dictatures militaires en vigueur dans leurs pays. La guerre civile (1966-1970) au Nigeria fera augmenter le nombre de ses ressortissants dans la ville. Il faut ajouter aux communautés suscitées, les Burkinabé, les Ghanéens, et les Togolais. Tous ces étrangers, en majorité des hommes au départ, s'installent aux quartiers Tongo, Aoudi, Bali, et Joli-Soir.

Les communautés d'Afrique Centrale quant à elles sont depuis très longtemps en contact avec celles de Ngaoundéré. Mais, c'est aussi avec les problèmes post indépendances que leur nombre augmentera dans la ville. Il n'est pas un secret que l'Afrique contemporaine apparaît comme l'un des continents les plus instables de la planète. Depuis les années 60, les conflits n'ont pas cessé d'un bout à l'autre du continent131(*). Parmi les communautés d'Afrique Centrale, nous nous intéresserons aux Centrafricains qui partagent la frontière avec l'Adamaoua, et les Tchadiens qui, faute de littoral font transiter leurs marchandises par le Cameroun via Ngaoundéré. L'instabilité politique de ces deux pays a provoqué dans la population un état de pauvreté qui incitait tout naturellement les habitants à chercher de meilleures conditions de vie.

Tout d'abord en ce qui concerne le Tchad, il faut dire que c'est avec les évènements de 1979 et la bataille de N'Djaména, ensuite le retour de Hissène Habré, que le territoire tchadien est devenu le théâtre de plusieurs affrontements. Cette situation en territoire tchadien a même valu à cette communauté le sobriquet de « rescapé » (Dadi-Kartou en fulfulde)132(*). Depuis le déclenchement des hostilités le 12 février 1979, accompagné du clivage Nord-Sud et la multiplication des formations politiques, la stabilité du pays devient précaire. Ce processus de violence commença en 1966 et obligea des milliers de Tchadiens à se déverser dans les pays voisins. Entre février 1979, mars 1980 et juin 1982, plus de deux cent mille réfugiés arrivèrent au Cameroun133(*).

La prise du pouvoir par Hissène Habré en 1982, lui-même renversé par Idriss Déby en 1990, la flambée des violences, des exactions et des règlements de compte ont contribué à faire sortir massivement les Tchadiens de leur pays. Aujourd'hui encore, le Tchad est le lieu de rébellions répétées et à intermittence surtout depuis la découverte de la manne pétrolière dans le pays durant la décennie 1990. Sans oublier que sous le règne d'Hissène Habré, les armes circulaient parmi la population assez facilement et favorisaient la chasse aux sorcières134(*).

Le Cameroun et le Tchad entretiennent des relations de coopération depuis aussi longtemps que remonte la colonisation. C'est aussi l'un des pays à véritablement profiter du chemin de fer qui relie Ngaoundéré à Douala. Le transit des marchandises, les échanges commerciaux, le transport, ont facilité depuis 1974 l'installation des Tchadiens dans la ville de Ngaoundéré. C'étaient donc au départ, des commerçants, des transporteurs, des travailleurs, des chauffeurs et des mécaniciens. La guerre a contribué à faire entrer d'autres types d'individus, bien moins nantis et qui se livrent à toute sorte d'activités (prostitution, banditisme...), sans oublier l'ouverture de l'université de Ngaoundéré qui accueille une importante communauté tchadienne.

Les Centrafricains quant à eux vivent des tensions politiques marquées par des coups d'État à répétition. Depuis 1964, la R.C.A. a connu 4 coups d'État, en 1965 avec Bokassa qui chassa David Dacko, et s'autoproclama empereur, en 1979 avec le retour de David Dacko qui chassa à son tour Bokassa ; André Kolingba renversa ensuite David Dacko en 1981. Et plus récemment en 2004, François Bozizé a pris le pouvoir au détriment d'Ange Félix Patassé.

De 1996 à 1998, l'on a pu décompter 3 mutineries en Centrafrique, sans oublier les grèves, et les répressions sanglantes dans les prisons de Berengo et de Ngaraba 135(*). Ce qui a contribué à créer un état de psychose permanente dans la population et à les inciter à l'exil.

Que ce soit la communauté tchadienne, ou celle centrafricaine, elles se sont, au fil du temps, organisées avec des chefs de communautés reconnus par l'administration. Les musulmans de celles-ci ont pu très aisément se fondre dans la masse en adoptant un mode de vie islamo-peul. Pour les autres ils vivent pour la plupart dans les quartiers populaires tels que Baladji ou Joli-Soir. Les centrafricains ont plusieurs associations dans la ville et une cellule de prière sous le couvert de l'Église Luthérienne, une des deux tendances religieuses qui se sont installées à Ngaoundéré grâce aux migrations européennes et américaines.

C'est à partir de 1892 que l'on retrouve les traces des premiers européens qui sont passés par la ville de Ngaoundéré. Dermais présente bien ces différents passages.

Des Européens y [à Ngaoundéré] ont pénétré à plusieurs reprises. Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Mizon y a séjourné du 4 au 29 janvier 1892. Monsieur Ponel, Administrateur Colonial, envoyé en 1893 par Monsieur de Brazza auprès du sultan Jouveoro à Yola, traversa Ngaoundéré à l'aller et au retour de son voyage. Les deux allemands, Von Uchtritz et Passarge sont restés 9 jours dans le voisinage de la ville, en janvier 1894. Et enfin, quelques mois après, Monsieur Goujon, Administrateur Colonial y a fait un séjour prolongé.136(*)

Même si nous savons avec Ketil Fred Hansen, que la mission Deutsche Kamerun-Komitee conduite par le Dr Passarge est effectivement entrée dans la cité de Ngaoundéré et ne se sera pas contenté de rester « dans le voisinage ». Arrivée dans la cité le 28 janvier 1894, elle est reçue par le lamido Mohammadou Abbo (1887-1901)137(*). À cette même époque, sans donner de date précise ni de nom, Mohammadou E., parle aussi d'un Blanc qui y aurait séjourné. Il s'agissait d'un « Français vêtu d'une djellaba et coiffé d'un turban tel un arabe »138(*).

Ces premiers explorateurs augureront la prise de la cité par les Allemands. Ceux-ci y arrivèrent après avoir pris Yoko et Tibati, tuant beaucoup de personnes. Il s'agissait de deux ou trois Blancs suivis d'une vingtaine de soldats tous armés de fusils. Face au refus du lamido de se soumettre, ils donnèrent l'ordre de tirer sur la population en progressant vers le palais du lamido. Ils le tuèrent lorsqu'il tentait une sortie vers-le sud. C'est à cette date là (1901), que la muraille fut détruite à cause de la fuite des populations qui pour la première fois, entendaient des coups de fusils et surtout à cause du massacre qui s'en suivi.139(*)

C'est en la faveur de la première guerre mondiale que les Français arrivèrent à Ngaoundéré en 1915. Le mandat de la S.D.N. (Société Des Nations) leur sera confié le 22 juillet 1922. Ils restèrent au Cameroun jusqu'à l'indépendance en 1960.

Dans l'histoire de la ville de Ngaoundéré, nous retrouvons parmi les grands commerçants et les transporteurs des Levantins. Il s'agit d'individus originaires des pays du Levant140(*). L'expression "levantin" désigne tout particulièrement « la population mêlée, qui n'est ni turque ni arabe, des côtes de l'Asie et de l'Égypte.141(*)» On retrouve dans cette dénomination les Libanais et les Syriens.

L'arrivée des Libanais et des Syriens dans la ville de Ngaoundéré se serait déroulée en deux phases, celle allant de 1941 à 1965 et celle à partir de 1975142(*).Ces grandes vagues migratoires des levantins dans la ville de Ngaoundéré peuvent se comprendre par l'histoire même de ces deux pays.

En effet, ces deux pays n'ont cessé de connaître des guerres. De part leur situation stratégique ouverte à la mer rouge, ils étaient des pôles stratégiques du commerce. Avec l'effondrement de la Syrie et la prise de pouvoir des Abbassides en l'an 750143(*), la Syrie perd sa position dominante dans la région du Levant. Dès lors, elle est soumise à des influences diverses. Tout d'abord, sous le règne des Fatimides, les turcs Seldjoukides font la conquête de la Perse et prennent Damas en 1075. Mais les querelles des Seldjoukides permettent une incursion facile des croisés menés par le chef turc Zenghi Atabeg au cours des années 1130-1140144(*). Ainsi la Grande Syrie s'effondre en 1291.

La Syrie va passer entre les mains de plusieurs puissances étrangères : les Mamelouks (1303-1516), les Turcs ottomans (de 1516 à 1916), et enfin les Français à partir de 1916 avec les accords secrets entre Français et Anglais, accords de Sykes-Picot, qui situent la Syrie à l'intérieur de la zone d'influence française. Les soldats du général Gouraud, face à l'hostilité de l'émir Fayçal, entre dans la ville de Damas le 25 juillet 1920, avec comme argument de poids, le mandat de la Société Des Nations145(*).

C'est avec cette annexion que les problèmes de la Syrie moderne commencent véritablement. Les premières années de l'occupation française furent assez calmes. Mais, dès 1925, éclate la révolte du Djebel Druze, conduite par le Sultan pacha Al-Attrache, et qui peu à peu s'étend à tout le pays. Elle a pour principales causes l'opposition des dignitaires au mandat, et l'absence d'institutions réellement représentatives du haut-commissariat. Cette révolte conduira aux bombardements de Damas par deux fois, en octobre 1925 et en mai 1926146(*).

En 1930, l'assemblée constituante est dissoute et le haut-commissaire donne, de sa propre autorité une constitution à la Syrie. Toute activité parlementaire est indéfiniment suspendue en 1934147(*). Cette attitude essentiellement répressive de la France entraînera de fortes émigrations, et le début de la deuxième guerre mondiale en 1939, n'arrangera pas les choses. C'est ainsi que commence la première vague de migration des levantins en 1940 vers Ngaoundéré. L'histoire du Liban est plus ou moins liée à celle de la Syrie. Mais c'est surtout la guerre avec Israël en 1948 qui entraînera l'exode des Libanais. Dès 1975, de nouveaux syro-libanais arrivent à Ngaoundéré, motivés par la guerre civile qui sévit dans cette zone148(*).

Les principales familles libanaises que l'on peut recenser dans la ville de Ngaoundéré sont : Omaïs, Kairy, Nassif, Fayed, Zattar, Dabadji, Damien. Si elles s'installent avec femmes et enfants, elles investissent dans le commerce d'objets divers, dans l'exploitation forestière et aurifère, dans le transport des marchandises et dans les boulangeries.

7. L'électrification de la ville

L'électrification de la ville représente un instant important dans l'évolution de la vie de nuit. Il est vrai qu'au moment de l'installation des premiers réseaux électriques dans la ville par la société E.D.C. (Électricité Du Cameroun) en 1968149(*), seuls quelques quartiers stratégiques du point de vue sécuritaire étaient alimentés. Il s'agissait de l'axe allant de l'aéroport au Centre Commercial (pour la facilitation des transmissions des communications aux PTT), la station de distribution d'eau, le Petit Séminaire (en raison des châteaux d'eau qui alimentent la ville) en passant par le quartier fonctionnaire et administratif, par la suite l'ouverture de la gare ferroviaire en 1974 permettra aussi l'installation des câbles électriques dans cette zone150(*). Aujourd'hui encore, on peut reconnaître les premiers poteaux électriques qui ont été installés dans la ville de Ngaoundéré par le fait qu'ils sont en béton. Les poteaux en bois sont plus récents et relèvent des travaux effectués par la SO.N.EL. (Société Nationale d'Électricité), qui arrive à Ngaoundéré en 1974151(*).

En effet, avec l'E.D.C., la ville n'était pas assez éclairée. Seuls les lieux stratégiques tel que nous venons de le montrer sont éclairés, et même l'É.P. (Éclairage Public) n'existe que dans ces quartiers-là. Il faut préciser que l'alimentation électrique de la ville est assurée avant 1974 par deux centrales thermiques (groupes électrogènes), qui fonctionnaient au gasoil. Elles furent installées dans la station électrique située sur l'axe de l'aéroport en passant par le Collège de Mazenod. Celles-ci représentaient un véritable gouffre d'argent puisqu'il fallait plusieurs personnes pour l'entretien, l'achat du carburant, des pièces de rechange, de l'huile de moteur, n'était pas à négliger non plus. C'est en 1993 que la SO.N.EL. se connecte à la station de Lagdo. Le barrage hydroélectrique permet d'alimenter la ville avec 110 kilovolts, de manière plus économique et plus efficace152(*).

La vie de nuit connaît de réels bouleversements avec l'arrivée de l'électricité. En effet, malgré la difficulté à s'alimenter en électricité, certains quartiers populaires tels que Baladji seront connectés au réseau électrique. Ce qui permettra l'ouverture en 1976 de la première boîte de nuit de la ville, le Babouka. Cependant, le nombre de bars est loin d'être ce qu'il est aujourd'hui. C'est justement à partir de 1993 avec la connexion au barrage hydroélectrique de Lagdo, que les choses vont s'accélérer. Dans l'échantillon des bars que nous avons étudié, la plupart ont ouvert dans cette décennie. Nous pouvons ainsi citer le Gaduuru Bar, le Pentagone, tous deux au quartier Burkina ; le bar Mbambé à Socaret, le New Satellite, Belle Époque, Chez Sheriff, au quartier Onaref. Tous ces débits de boissons sont situés hors du Centre Commercial, où on retrouve des snacks bars plus anciens à l'instar de La Plazza.

La vulgarisation de l'électricité et de l'É.P. permettent une plus grande facilité de déplacement. Il faut noter que, même si c'est l'obscurité qui donne envie de sortir, lorsqu'elle est trop dense, elle fait peur et limite les mouvements. Les années 2000, le périmètre de couverture de l'É.P. est augmenté, ce qui facilite aussi la création d'autres petits métiers tels que le taxiphone, les salons de coiffure, les discothèques, les cybercafés, etc. Ainsi, plus de gens veulent sortir de nuit, surtout les jeunes.

Malgré tout, certains quartiers restent mal éclairés. En effet, il est difficile de faire installer l'E.P. dans toutes les artères de la ville. Pour un seul point de lampadaire, il faut comptait environs 300 000 f.cfa153(*). Ajoutons à cette somme, celles de l'entretien et des factures, qui sont à la charge de celui qui fait installer le lampadaire. La Communauté Urbaine de Ngaoundéré qui doit s'en charger est elle-même incapable d'y arriver en raison du manque de moyens financiers. Pour des lampadaires qui fonctionnent de 18h à 6h, il faut compter plusieurs millions de francs de facture à la fin du mois, si toute la ville devait être alimentée. Notre informateur, sans donner de date précise, nous rappelle que l'É.P. a été interrompu à Ngaoundéré pendant à peu près 3 ou 4 ans pour cause de factures impayées154(*).

Nous pouvons donc comprendre que, l'arrivée de l'électricité dans la ville a eu un impact décisif dans la vie de nuit à travers la multiplication des bars et la facilitation des métiers du bord de rue (restaurants de trottoir, taxiphone...). Mais, elle a aussi localisé la criminalité, qui est plus accentuée dans les zones peu éclairées de la ville. Pour cela, certains points d'É.P. sont souvent vandalisés pour laisser le champ libre aux criminels. Ce problème de vandalisme s'ajoute donc au manque de moyens financiers pour le payement des factures et l'entretien systématique du réseau électrique.

8. Impact des immigrés sur la vie traditionnelle

Il ne serait pas superflu de penser que deux grandes vagues de changement ou de modernité ont marqué la région qui aujourd'hui est connue comme étant la ville de Ngaoundéré. En effet, après l'installation des Mboum, le premier changement intervient avec la conquête de ce territoire par les Peul, et le second par l'arrivée des Européens et tout ce qui suivra, colonisation, indépendance, migrations, etc.

Avec le Jihâd d'Ousman Dan Fodio et les campagnes guerrières qui l'ont marquée, les Peul occupent une grande partie du septentrion camerounais. Dans leur stratégie d'installation et d'administration, ces conquérants accélèrent le brassage ethnique et apportent des institutions et des traits culturels nouveaux. Ainsi, va se créer un « phénomène subtil d'acculturation, d'intégration ethnique et culturelle.155(*)» Petit à petit, les mentalités des populations locales changeront au profit des principes de la pulaaku156(*). L'Islam, l'un des traits fondamentaux de la culture peule, va aussi modeler les cultures "autochtones" de Ngaoundéré. Les populations Kirdi, par une identification psychologique et sociale, se transforment grâce à certaines stratégies utilisées par les Peul : « Une habile stratégie matrimoniale, la polygamie, pratique de règle dans cette société islamisée, permettait non seulement d'avoir autant de concubines esclaves qu'on le voulait mais accrut aussi, par voir de conséquence, le nombre de ceux qui, culturellement, se définissent comme Peuls.157(*) »

Le premier moment de "modernisation" apparaît donc avec la conquête de Ngaoundéré par les Foulbé et la transformation culturelle qu'ils y occasionnent. On peut déjà y voir une certaine modernité car en effet, le moderne implique un passage d'un état ancien vers un état nouveau. Il s'agit d'y voir l'impulsion « de réalisations prodigieuses et rationnelles dans la configuration actuelle des cadres de vie de tout un chacun. 158(*)» Tout est ici placé sous le signe de la nouveauté.

Le second moment, celui qui est à l'observation, à la base de la situation actuelle de la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré, est la prise de cette cité par les Allemands. Depuis la prise de Ngaoundéré en 1901, les changements n'ont cessé de s'opérer dans la vie de cette ville de manière générale et dans celle de la nuit de manière spécifique.

Tout d'abord, les esclaves étaient utilisés pour les travaux champêtres jusqu'à cette date. Or, la colonisation va mettre fin aux razzias. Froelich rapporte que sous le règne du Lamido Issa Maïgari (1904-1922), une dernière expédition contre les Laka fut menée discrètement sous le commandement de Djabo Sambo, qui ramena des esclaves. Cette expédition fut appelée la « guerre sans tambour », (danebaya)159(*). Le lamido de Kontcha n'eut pas la même chance. S'étant emparé de 80 enfants Koutin, il les garda pour son usage, en donna et vendit quelques uns. Mais il fut déposé et les enfants rendus à leurs familles160(*). L'administration française qui arrive en 1915 ne reconnaît pas le statut d'homme non-libre, ces anciennes distinctions disparaissent et tous les hommes deviennent égaux.

Dépourvus d'esclaves et dédaignant les travaux champêtres, les Foulbé de l'Adamaoua vont se verser dans l'exode rural. Il concerne surtout les jeunes qui avaient grandi jusque-là dans une "société du loisir"161(*). Cette société, fondée sur l'élevage des bovins, est alors obligée de modifier ses traditions. Plusieurs raisons expliquent l'attrait des jeunes pour la ville :

- Le fait de ne plus vouloir se plier aux travaux de la brousse pénibles et dégradant ;

- Le reproche fait par les jeunes aux anciens de ne pas vouloir les récompenser de leur travail de gardiennage de bétail. Or, de l'autre côté, les anciens leurs font le reproche de dilapider celui-ci et de vouloir seulement l'argent qu'il procure.

- L'épizootie de peste bovine de 1928, qui fait perdre beaucoup de bêtes aux pasteurs Foulbé, contraignant les jeunes à aller chercher du travail dans la ville162(*).

Cet exode rural aura pour effet d'augmenter la population de jeunes sans emploi dans la ville. En effet, ceux qui arrivent des villages, généralement, ont des rêves plein la tête mais ne savent rien faire. Ils se muent donc en mototaximen, en taximen ou tout simplement en vendeurs ambulants, pour ceux qui ont le plus de chance. Pour les autres c'est très souvent le banditisme et sa spirale de passages en prison. Il faut ajouter que, ces jeunes qui s'adonnent à l'exode rural sont à la recherche de conditions de vie meilleure. Ils sont donc près à tout pour vivre mieux que d'où ils viennent. Boutrais montre que c'est à partir des années 1930 que les jeunes Foulbé commencent à délaisser la brousse et le bétail pour s'installer à Ngaoundéré, ville qui commençait de plus en plus à se moderniser163(*).

Lancée dans cette vague évolutive, la cité de Ngaoundéré sort lentement mais sûrement de la tradition. Le fulfulde, langue dominante ici laisse peu à peu place au français avec la création des premières écoles. Malgré les réticences des autochtones vis-à-vis de la nouvelle école, celle des «Blancs». En effet, dans un contexte de forte islamisation, la nouvelle école était considérée comme le vecteur de la religion chrétienne.

La rencontre avec les Européens fut d'abord marquée par une sympathie mutuelle avant d'évoluer vers une méfiance réciproque presque instinctive pour finalement se transformer en un conflit ouvert embrasant toute la région [...]. L'administration coloniale était alors perçue par les chefs musulmans comme le bras séculier de l'église chrétienne venue combattre l'Islam jusque dans leur pays. Cette perception du christianisme par les musulmans est à la base du refus de l'école du Blanc que ces populations ont entretenu tout au long de la période coloniale et qui a laissé des séquelles bien après la fin de la colonisation.164(*

L'histoire de Mohammadou Djaouro est assez illustrative de cet état d'esprit165(*). Ce fils de Kanouri dont les grands-parents faisaient partie des premiers arrivants à Ngaoundéré à la suite d'Ardo Ndjobdi, s'est retrouvé à l'école sous la contrainte. En effet, chaque famille avait obligation d'envoyer certains de ses fils à l'école nouvelle. Or, très souvent, les parents envoyaient les enfants pour qui ils n'avaient pas d'affection ou encore, substituaient leurs enfants par ceux de leurs esclaves. Envoyer son enfant à l'école était considéré comme perdre celui-ci, car cela signifiait qu'il irait en enfer.

Un jour, jouant tout seul dans une voiture abandonnée à l'endroit aujourd'hui connu sous le nom de Carrefour Mini-Mode, il est appâté par un des serviteurs du lamido (les Dugari) qui était chargé de capturer les enfants et de les amener à l'école. Il lui proposa un beignet. Intéressé par la proposition et alléché à l'idée d'avoir un beignet, il accourut auprès de l'individu. Celui-ci le tint par la main et commença à l'entraîner. Constatant que la distance se faisait longue de plus, il voyait au loin un groupe d'enfants déjà capturés, il comprit ce qui se passait. Pris de panique, il dit au serviteur qu'en tout cas, il ne voulait plus de « ce beignet-là !». À ces mots, l'homme l'agrippa plus fortement et sortit le fouet dont il était muni. C'est ainsi qu'il se retrouva inscrit à « l'école des Blancs ».

De retour chez lui, il trouva les femmes de son grand-père en pleurs. Même son grand-père, pourtant d'un naturel réservé, avait les yeux humides : « son petit fils irait en enfer ». Mais il y avait encore de l'espoir. En effet, un homme au lamidat était chargé de recevoir ceux dont les enfants étaient capturés, et qui voulaient négocier leur "libération"166(*). La libération était conditionnée par le don d'un boeuf ou de tout autre fortune. Son grand-père négocia sans grand succès, allant même jusqu'à trois boeufs, sans réussir à infléchir le dignitaire du lamidat. Il faut noter que les deux hommes étaient déjà en conflit. C'était donc l'occasion d'une vengeance. L'enfant ne fut jamais libéré. Aujourd'hui infirmier retraité, il ne regrette pas d'être allé à l'école. Il considère même cela comme une chance qu'il a eue et en remercie Allah, qu'il sert par ailleurs comme Imam.

À l'instar de Mohammadou Djaouro, la jeunesse de Ngaoundéré commence justement à se moderniser grâce à la nouvelle école. Mbengué Nguimé souligne qu'il se crée une différenciation comportementale entre les élèves de l'école coranique, fleurons de la tradition, et les élèves de l'école moderne, celle des Français. Les premiers considérant les seconds comme des vendus et des égarés. Même si ce mépris est réciproque, il souligne cependant la scission qui se met en place à cause de la modernité. En effet, les jeunes commencent de plus en plus à ressentir un amour pour la France. « La jeunesse moderne aspire à un meilleur devenir, en se référant au statut socioprofessionnel des premiers « évoluées ». Ses préoccupations matérielles relèvent aussi des perspectives d'émancipation énormes et quasi satisfaisantes qu'offre la formation à l'européenne dans une région où les scolarisés sont appelés à remplacer les colonisateurs européens. »167(*)

L'école française, dont la première est crée à Ngaoundéré en 1917168(*), va effectivement entraîner la francisation, l'aliénation culturelle et l'acculturation des populations169(*). On peut noter aussi une différence sur la manière d'éduquer les enfants. Les parents scolarisés à la française sont plus prompts à envoyer leurs enfants sans distinction de sexe à l'école moderne. De plus, leurs filles ont plus de liberté que celles des parents demeurés dans la logique traditionnelle. Mohammadou Djaouro nous confie justement qu'il est normal pour lui que ses filles sortent, qu'elles se sentent libres parce que « les temps ont évolué et la "vie" ne viendra pas les trouver sur place à la maison.»170(*) Il nous fait même remarquer que de plus en plus de parents permettent à leur fille de quitter la maison familiale en ville et de vivre seule dans les chambres universitaires à Dang, ce qui était impensable il ya quelques années. La fille quittait la maison parentale pour celle conjugale.

Tout cela nous permet de comprendre que le but que s'était fixé l'administration française à travers la scolarisation, fut véritablement atteint. En effet mettre fin à l'emprise de la tradition religieuse sur les populations était dans une large mesure l'objectif de la nouvelle école française. « L'étude du français est le meilleur moyen qu'on puisse employer contre la fanatisme [religieux] et l'expérience nous enseigne que les musulmans qui parlent notre langue nous causent moins de préjudice que ceux qui ne connaissent que l'arabe. »171(*)

Une autre conséquence de l'école française sera la perte de l'autorité traditionnelle. La nomination de Ndoumbé Oumar, l'un des produits de cette nouvelle école, en 1958 comme maire de Ngaoundéré n'arrangera pas les choses. Mboum de Ngaoundéré, chrétien islamisé mais tout de même considéré comme un serviteur par les Foulbé, sa nomination va lui conférer un pouvoir plus grand que celui du Lamido. L'une des mesures qu'il devra exécuter sera la fermeture de la prison du lamidat. Jusque-là, il existait une prison dans le lamidat, qui permettait de réguler les comportements des habitants172(*). Ceux qui étaient pris en train de consommer de l'alcool étaient, soit expulsés de la cité, soit enfermés. Et les prostituées subissaient le même sort. Or, le 25 juillet 1961, le préfet ordonne la dissolution de la prison du lamido173(*). La fin de cette prison va laisser la place à tout type d'excès dans la vie de nuit, surtout avec les mutations de plus en plus grandes apportées par la nouvelle école mais aussi par l'augmentation des fonctionnaires dans la ville.

Si avant l'indépendance, il existait 14 services administratifs, le nombre de fonctionnaires va presque tripler après174(*). Et cela implique pour ces nouveaux arrivants, un déplacement avec femmes et enfants. Ainsi, en 1950, on pouvait déjà dénombrer sur une population de 13 481 âmes, 1088 qui n'étaient pas du lamidat, et étaient constitués de Gbaya, de Sénégalais, de Bamiléké et autres originaires du sud 175(*). De plus, la construction du chemin de fer et son inauguration en 1974, faciliteront encore plus les migrations.

La gare va faire émerger de nouvelles habitations et un nouveau quartier (Gadamabanga). Un camp Régi est construit près de la gare au quartier Sabongari, il est réservé aux employés de la compagnie des chemins de fer, avec 70 logements pouvant accueillir 300 personnes en moyenne, c'est-à-dire 4 personnes par maison. Par ailleurs, des métiers telle que la manutention, feront naître un exode rural continu des campagnes de l'Adamaoua à l'instar de Meiganga, Tibati, Tignère et Banyo. La conséquence à cette évolution sera la construction de nouvelles habitations au quartier Madagascar.

La gare ferroviaire aura permis une sérieuse évolution de la population. Ainsi, le 1er Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1976 estimait la population à 38 800 âmes. Le 2e Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1987, à 78 000 et les projections pour l'année 2007 à 190 000176(*). Mais cette croissance de la population n'est certainement pas due uniquement à la gare ferroviaire et à la route bitumée. Même si nous devons leur reconnaître une grande importance comme facteur motivant de migrations. Il faut ajouter à cela l'érection de la ville en chef-lieu de province et à la construction du centre universitaire en mai 1977. 

C'est en effet en mai 1977 que quatre centres universitaires sont créés par l'État camerounais. Il s'agit de Douala, Dschang, Buea et Ngaoundéré. Jusque-là, la seule véritable université d'État était celle de Yaoundé. Cependant le centre universitaire comptait à l'époque une seule école : l'École Nationale des Industries Agroalimentaires du Cameroun (E.N.S.I.A.A.C.). Elle fut créée par l'arrêté n°433/CAB/PR du 4 octobre 1982 et ouvrit ses portes le 15 novembre 1982. Son site est à Dang, dans une zone périphérique de la ville de Ngaoundéré, ce qui a permis une extension rapide de la ville. Et en 1992 est créée l'université de Ngaoundéré.

Notons que le centre universitaire et plus tard l'université, draineront quantité de personnes dans la ville. Déjà pour la construction des infrastructures devant abriter l'institution, et ensuite par les étudiants qui s'y installent. Ainsi, durant l'année académique 1982-1983, le centre universitaire comptait 82 étudiants. L'année suivante, ces effectifs ont presque triplé passant à 237. En 1991-1992, au moment de la création de l'université, nous avons 306 étudiants, avec un pic de 563 l'année précédente177(*).

La création de ces différentes institutions à l'extérieur de l'ancienne cité de Ngaoundéré, aura pour conséquence la naissance de nouveaux corps de métier tels que les taxis et les mototaxis. Ce d'autant plus que l'université ne fera qu'accroître la clientèle avec en 1993-1994 : 441 étudiants et dix ans plus tard 9774178(*). Il apparaît selon la répartition des effectifs par régions en 2000-2001 que la majorité des étudiants de l'université de Ngaoundéré sont non originaires de l'Adamaoua, et représentaient près de 88,80 %179(*).

Cet afflux de personnes fera naître le quartier de Dang avec une population essentiellement estudiantine. Il représente aussi une opportunité d'affaire pour les investisseurs dans l'immobilier.

Ce qui précède nous permet de constater que les migrations apportent des éléments nouveaux dans la ville de Ngaoundéré. Il est indéniable qu'un individu est la représentation même de son milieu et le reflet de la culture qui l'a fait grandir et l'a socialisé. Ces nouvelles populations vont permettre une certaine rupture avec l'hégémonie peule. Plus encore, elles aideront aux modifications de la vie de nuit, même si cela n'est s'est pas passé sans heurts, en témoigne la création du quartier Baladji.

Certes Baladji n'est pas le premier quartier construit à l'extérieur de l'ancienne cité de Ngaoundéré. En effet, le quartier administratif avait déjà été fondé par les administrateurs Allemands, en marge de l'ancienne cité. La ville de Ngaoundéré densément peuplée à l'arrivée des Allemands, excluait l'installation des Européens en son sein, la seule solution possible fut celle qui avait primé en Afrique du Nord, c'est-à-dire la construction d'une nouvelle ville européenne complètement à l'écart de la ville ancienne180(*). Par ailleurs, les subalternes sudistes de l'administration vont se voir attribuer quelques logements qui feront le «camp fonctionnaires».

D'autre part, il faut noter l'installation à Ngaoundéré des missionnaires norvégiens en mars 1925, après un premier passage problématique de la Sudan Mission dans la zone en 1923181(*).Ceux-ci se verront attribuer un terrain jusque-là réservé aux détritus en tout genre. Terrain considéré par les autochtones comme maudit, avec le sombre espoir qu'il fera partir les nouveaux arrivants et surtout la nouvelle religion pas vraiment la bienvenue dans une zone sous forte influence islamique. Ainsi le futur quartier Sabongari va naître.

Ces populations développent de nouvelles formes d'activités qui leurs permettront de vivre. Ainsi se déploient les débits de boisson en tout genre, des maisons de joie, des circuits et autres gargotes où tout a un prix. La vie de nuit n'en sera que chamboulée. L'extension du quartier Baladji fera naître tout à côté le quartier Joli-Soir, qui n'en est que la continuation de sur le plan comportemental et ethnique. Ainsi que le quartier Baladji II, qui sera réservé aux résidences de quelques nantis de la ville ; bien avant le quartier Haut Plateau créé en 1994.

Par ailleurs, ces communautés auront un impact considérable à maints titres. Tout d'abord sur le plan culturel, elles véhiculeront avec elles de nouvelles pratiques religieuses ; ou simplement faciliter l'intégration de celles-ci dans la ville. En effet, le catholicisme par exemple, au moment de l'arrivée d'Yves Plumey, s'est fortement appuyé sur les populations du Sud pour la vulgarisation de son idéologie, avec des moniteurs catéchistes comme Pierre Mëbë dont nous avons déjà parlé. Et l'augmentation de la population des ressortissants du Sud n'arrangera pas vraiment la menace qui pesait sur l'Islam, jusque-là religion la plus influente dans la région. D'autre part, les Dii, les Gbaya, et les Mboum, originaires de l'Adamaoua, n'étaient pas encore tout à fait convertis à l'Islam. Cet état de chose laissait donc le champ libre aux différentes religions chrétiennes que sont le protestantisme, représenté par la mission norvégienne luthérienne, et le catholicisme romain, avec la mission Tchad-Cameroun des O.M.I. Ainsi, l'essentiel de leurs ouailles se comptait à l'intérieur de ces populations du Sud et des quelques non convertis à l'Islam de la région de l'Adamaoua.

Ajoutons à cet aspect culturel des comportements nouveaux. En effet, les sudistes sont organisés en sociétés dans lesquelles le chef n'a pas autant d'importance que dans les sociétés du Nord. Ainsi, vouloir les soumettre à une autorité aussi rigoureuse était oeuvre délicate. Dans le camp Baïladji qui leur est attribué, ils pourront enfin laisser éclater leur véritable nature, faite de liberté, sinon de libertinage. Ce qui va se propager au quartier Joli-Soir. Voici ce qu'en dit un journal local :

Il est 19 heures. Nous sommes au carrefour Jean Congo, en plein «Joli Soir». Pour un premier samedi du mois, les nombreux bars et buvettes affichent pleins. Et ce ne sont pas les clients qui manquent pour combler les éventuels vides. Ce n'est plus un secret pour personne, pour quiconque veut prendre du bon temps dans la ville de Ngaoundéré, il n'y a pas mieux que le quartier Joli-Soir. Populaire et populeux à la fois, Joli Soir s'est forgé au fil des années une belle réputation de grand carrefour de la joie.182(*)

Il faut préciser tout de même que dans cet élan de mutations, il ne s'agit pas uniquement des populations du Sud. On y retrouve aussi celles du Grand Nord et des communautés africaines. Elles se sont spécialisées dans la vente des boissons locales, bili bili, arki...qui font la joie des consommateurs de tous âges et à toutes heures.

Les communautés étrangères de la ville de Ngaoundéré représentent un maillon important dans la vie en général et dans celle de la nuit en particulier. Tout d'abord, il faut dire que c'est sous l'impulsion des étrangers que la ville s'ouvrira aux influences extérieures. En effet, avec la prise de Ngaoundéré par les Allemands, la cité perd sa muraille protectrice et par là même son inviolabilité. C'est aussi cette perte du pouvoir par les autorités locales au profit des Européens et plus tard de l'administration nationale qui motivera les mutations structurelles de la vie de nuit. La nécessité de faire naître une nation, concept qui se veut assimilateur de toutes les parties sociales d'un État, obligera ainsi les Foulbé à laisser une certaine liberté d'action aux nouveaux peuples qui arrivent.

L'impact des communautés étrangères peut se lire de manières différentes avec le temps. Les Tchadiens par exemple étaient assez pauvres au début de leur migration vers le Cameroun au milieu des années 1970. Comme nous l'avons souligné plus haut, ils s'attèlent au travail de transporteurs, de mécaniciens (réparateurs de pneus ou ferrailleurs) ou simplement de gardiens de nuit. Les femmes permettront aussi le développement du secteur informel avec le brassage de la bière de mil et la vente des condiments, parfums et produits de beauté. Leur état de pauvreté a contribué à rendre disponible dans la ville une main d'oeuvre pour des services en tout genre. « En général, nous dit Saïbou Issa, les réfugiés furent employés à des travaux agricoles et de construction ainsi qu'à des tâches domestiques. Il s'agissait d'une main d'oeuvre abondante, laborieuse, disponible et bon marché. »183(*) La gent féminine, pour la plupart des femmes seules, se déploie aussi dans la restauration et la prostitution.

Cette entrée massive des populations d'un pays en guerre implique aussi la recrudescence de nouvelles formes de banditisme, pouvant entraîner une contamination sociale au niveau des jeunes camerounais.

Il n'est plus rare aujourd'hui de recueillir des témoignages d'étudiants qui disent avoir été menacés d'une arme à feu par un Tchadien. En effet, les différents conflits au Tchad ont permis une perméabilité des frontières entre ce pays et le Cameroun, à tel point que les armes à feu se répandirent dans une population qui très souvent, à cause des horreurs de la guerre, a perdu le minimum d'humanité qui empêcherait un individu de tuer. Il apparaît que, selon le marchandage et la valeur de l'arme proposée, les prix variaient de 1000 FCFA, pour un pistolet automatique à 25 000f.cfa, pour une Kalachnikov184(*). On remarque donc une augmentation des agressions et des meurtres dans la ville depuis les années 80, ajouté à cela une population camerounaise jeune, oisive et affamée qui, en mal de repère et de modèle identitaire, qui contribue grandement à cette insécurité. Ahanda, dans un article paru dans le quotidien Cameroon Tribune, écrit à propos de ces vols et de ces meurtres que : « personne n'accuse les réfugiés d'être à l'origine de ceux-ci, mais l'oisiveté et (...) la faim peuvent faire naître bien de vices ».185(*)

Généralement, lorsque les réfugiés arrivaient au Cameroun, ils n'avaient strictement rien et devaient chercher des moyens de survivance. Ainsi, que ce soit le tchadiennes ou les centrafricaines, et les nigérianes s'en sont mêlées, ont chacune à leur niveau contribué à la dépravation des moeurs. Il fallait trouver un repas à n'importe quel prix. Des jeunes filles, des veuves ou des femmes seules se livrèrent massivement dans la prostitution faute de mieux.

Notons aussi que, de nos jours, il s'est développé à Ngaoundéré une nouvelle forme de bourgeoisie tchadienne, issue des retombées de la manne pétrolière, et qui contribue à l'augmentation des prix de l'immobilier. À Dang par exemple, pour une chambre qui au départ coûtait 10 000 F.cfa., ils sont capables de payer 5 fois plus, et cash même si la chambre est déjà occupée. Cette surenchère de l'immobilier pose d'énorme problème de logement aux étudiants camerounais qui, eux, ne peuvent suivre le rythme.

Cependant, si nous parlons de Ngaoundéré comme d'une ville qui vit entre tradition et modernité, c'est qu'il demeure une tranche de la société ancrée dans la tradition et qui n'a pas été touchée par la modernité. En effet, il existe une distinction claire entre les quartiers de l'ancienne cité et les nouveaux quartiers. Les premiers se caractérisent par leurs habitations semi-modernes, c'est-à-dire des maisons traditionnelles avec un peu de ciment pour les solidifier. On y remarque le manque d'éclairage et l'absence se bars. Ici, les activités cessent quasiment à la tombée de la nuit. Tout au plus peut-on remarquer des femmes qui vont d'une maison à l'autre, ou des hommes installés dans un salon, assis sur des tapis, la porte ouverte, passant la soirée devant des tasses de thé. Ce qui n'est pas le cas des nouveaux quartiers qui prennent vie en quelque sorte dans la nuit.

En définitive, les immigrés ont grandement contribué à la modification socioculturelle de la ville. Avec l'ouverture par les Libanais des salles de cinéma, des boulangeries, et des stations services. Les Tchadiens passent aussi pour de très bons clients dans les boîtes de nuit de la ville. Mais tout cela a des revers, criminalité, banditisme et dépravation des moeurs. Qu'à cela ne tienne, les étrangers ne sont pas les seuls acteurs de la vie de nuit.

IV. LES NOUVEAUX LOISIRS DE NUIT

Les nouveaux loisirs de nuit à Ngaoundéré sont très européanisés. En effet, il s'agit aujourd'hui de soirées passées entre amis dans un bar, de celles passées en boîte de nuit, ou autres circuits, des soirées dansantes et culturelles.

4. Les boîtes de nuit, les snack-bars et les cabarets

Les boîtes de nuit se sont développées dans la ville de Ngaoundéré dans les années 1970. La plus ancienne semble être le Babouka au quartier Joli-Soir186(*). Depuis plusieurs autres se sont développées. Nous pouvons citer entre autres le Printemps (Centre Commercial, fermé depuis 2 ans), le Tamantha (Baladji II, fermé depuis 3 ans), le Boucarou (Hôtel Transcam), le Temple d'or (Joli-Soir), et le Marhaba VIP night club (Centre Commercial), toutes trois toujours fonctionnelles. Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes penché sur le cas du Marhaba, reconnu comme la plus en vue aujourd'hui.

Le complexe Marhaba est né en 1993 des cendres du bar La Girafe. Ce dernier appartenait à un Européen qui l'avait fermé 6 mois auparavant187(*). Le bar est donc repris par Sandjo, originaire de la région de l'Ouest. Il le transformera au fur et à mesure. Le nouveau bar est ainsi rouvert en 1993 sous le nom de Marhaba, qui veut dire "bienvenu" en arabe selon notre informateur Kouamen-Tavou, le directeur adjoint du complexe. Ce nom aurait été proposé au propriétaire actuel par un de ses collègues musulmans. En 1996 sont ouverts l'auberge et la boîte de nuit. Le cabaret suivra un an plus tard.

Il apparaît que le bar présentait l'avantage d'être au Centre Commercial, considéré comme une « zone neutre » sur le plan religieux188(*). Aujourd'hui, il emploie 11 personnes, toutes des femmes. L'explication en est que les femmes sont plus disposées à mettre le client à l'aise, puisqu'ils viennent pour se détendre. Il faut noter qu'en général, la majorité des clients est de sexe masculin. Le bar, de première catégorie 1ère classe, selon la classification établie par la loi n°90/1483 du 9 novembre 1990189(*), comporte en activité annexe une salle de jeux. La terrasse est l'endroit préféré des clients, avec ses fauteuils et depuis deux ans, le vidéoprojecteur qui permet aux clients une meilleure relaxation, en regardant un match, ou des clips vidéo de musique. Tout à côté, nous avons la boîte de nuit : le Marhaba VIP Night Club.

Photo 3 : le Marhaba VIP Night Club, située au Centre Commercial de Ngaoundéré.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

La boîte de nuit du complexe Marhaba est donc ouverte en 1996. Elle fonctionnait de mercredi à dimanche. Mais depuis quelques années, ayant constaté le nombre peu élevé de clients le mercredi, la direction a dû opter pour des ouvertures à partir de jeudi. Elle ouvre dès 22h, et ferme au moment où s'en vont les derniers clients, généralement à l'aube. Cette partie du complexe emploie quant à elle 6 personnes (2 femmes comme barmaids, et 4 hommes pour la sécurité). Les prix d'entrée varient entre 1000 f.cfa et 2500 f.cfa selon le jour : le dimanche est fixé à 1000 f.cfa, le jeudi à 1500 f.cfa, et le vendredi et le samedi en raison de la forte affluence, les prix d'entrée sont fixés à 2500 f.cfa. Les jours de fête sont tout aussi particuliers, le 11 février (fête de la jeunesse), le 20 mai (fête nationale), le 24 décembre (réveillon de Noël), le 31 décembre (réveillon du nouvel an) ; il faut ajouter à cela les jours des fêtes musulmanes telles que la fin de la période de Ramadan ou la fête du mouton. Notons que de temps à autres, des artistes musiciens sont invités, à cette occasion, les prix sont fixés selon la popularité de l'artiste.

La "boîte de nuit" tire son nom du fait qu'elle est généralement bâtie dans un espace réduit, qui permet plus de contacts entre les personnes présentes s'il y a affluence. Les lumières sont tamisées et circulaires. Ici, les distinctions sociales se brisent facilement et laissent la place à des personnes qui veulent uniquement s'amuser. Les jours fastes, il est très facile de ressortir de la boîte de nuit et de découvrir qu'il fait déjà complètement jour. En effet, la boîte de nuit est construite comme un bunker, où aucune lumière extérieure ne pénètre et d'où aucun son ne peut s'échapper, puisque les décibels sont contenus dans cet espace réduit. Le client de la BT (sigle pour désigner la boîte de nuit dans un langage "jeune") est entraîné par la musique et l'alcool, dont les prix sont fixés en fonction du prix d'entrée ; si l'entrée est fixée à 1000 f.cfa, le prix de la boisson mis à part le whisky, est aussi de 1000 f.cfa. La moyenne d'âge des clients est de 30 ans190(*).

Les problèmes dénoncés dans le Night Club sont ceux causés par l'alcool et les disputes à cause des femmes. La drogue est un sujet tabou dans le milieu, on sait qu'elle circule, mais il est préférable de ne pas la mentionner, au risque de voir l'informateur se rétracter. Ainsi, pour le directeur adjoint du Marhaba, le problème ne se pose pas et ne s'est jamais posé dans son club. Cependant, il faut noter qu'à l'extérieur, les vendeurs ambulants de médicaments, les principaux fournisseurs de drogue de la ville font le pied de grue une bonne partie de la nuit à l'extérieur de la boîte de nuit, à côté des mototaximen, toujours prompts à raccompagner un client. Mais avant de continuer la soirée au Night Club, on peut d'abord se détendre en regardant les danseuses du cabaret mettre en valeur leurs talents de contorsionnistes.

Le cabaret Marhaba Village, rappelons-le, ouvre ses portes en 1997191(*). Il s'agit d'un espace culturel où viennent se produire des artistes en live. Il comporte une partie restaurant et un bar. Le strip-tease, spectacle pendant lequel de une ou plusieurs personnes se déshabillent d'une façon lente et suggestive, est interdit ici en raison de la situation culturelle de la région192(*). Cependant, les danseuses, dans des tenues qui cachent peu de chose, sont payées en fonction de la consommation d'alcool des clients, puisque l'entrée est gratuite. Ainsi, le prix de ces boissons est augmenté de 200 f.cfa par rapport aux prix pratiqués dans le snack bar. Les activités du cabaret commencent à 8h du matin. Sont fonctionnels le volet restaurant et le volet bar. Les spectacles quant à eux commencent à 18h et s'achèvent à 22h. Le seul autre cabaret de la ville est La Plazza, construit par la famille Dabadji au Centre Commercial, même si celui-ci est en perte de vitesse depuis deux ans. Il faut noter que quelques fois, l'espace du Marhaba Village est loué par des associations féminines ou des jeunes de la ville pour des soirées culturelles.

Photo 4: Le Snack bar restaurant La Plazza au Centre Commerciale de Ngaoundéré

Cliché : Owona, le 21 août 2009

Les soirées culturelles sont un moment de détente pendant lequel des artistes se produisent. Les résultats des différents travaux des organisateurs peuvent aussi être exposés. Ces soirées sont surtout organisées pendant la fête de la jeunesse par les élèves des établissements scolaires de la ville, regroupés autour de coopératives scolaires. On peut aussi citer les soirées culturelles organisées par les femmes de la ville pendant la journée qui leur est consacrée le 8 mars. Elles y exposent de la nourriture du terroir, et se livrent à des prestations de danses traditionnelles. Mais l'espace du complexe Marhaba n'est pas le seul utilisé pour ce type de manifestations. Les salles de fête du Lycée Classique et Moderne de Ngaoundéré et du Collège de Mazenod sont assez souvent sollicitées, même pour les fêtes de mariage et autres réceptions. La boîte de nuit du Boukarou, tout comme la boîte de nuit du Marhaba servent aussi d'espace pour les soirées dansantes.

Les soirées dansantes sont généralement organisées par des groupes de jeunes dynamiques qui, profitant d'un évènement majeur telle que la fin des examens, louent une salle propice à la fête et font danser leurs congénères jusqu'à l'aube. On peut ainsi citer des groupes de jeunes élèves et étudiants tels que le Parlement 9, ou le Bluetooth, qui se sont spécialisés dans l'organisation des "Spécial Bac", "Spécial Probatoire", "Spécial BEPC", tout cela selon le public cible. Les affiches publicitaires sont ainsi placardées dans la ville jusqu'à Dang. Ces soirées permettent de rompre avec les virées dans les bars et les soirées dans les cabarets.

Les snacks bars dans la ville se sont développés comme des champignons à partir des années 1952 et la création du quartier Baladji. Avant cette date, l'alcool est prohibé et vendu de manière frauduleuse dans le Lamidat. L'expulsion des "immigrés" camerounais installés dans l'ancienne cité permettra la libéralisation de la vente d'alcool. Les bars vont donc se développer dans presque tous les quartiers en dehors de l'ancienne cité de Ngaoundéré. Cet état de chose amènera la naissance d'activités annexes autour des bars : vente de nourriture (poisson cuit à la braise, porc, soyas...), prostitution, et racolage des serveuses des bars, ces dernières sont très souvent l'élément de fidélisation de la clientèle. Les soirées dans les bars se passent généralement en groupe. « L'alcool consommé en solitaire perd de sa saveur », nous confie un fidèle client du bar Mbambé au quartier Socaret. Il préfère offrir de la bière à quelqu'un plutôt que de lui donner de l'argent : avec l'argent il s'en irait immédiatement, or avec la bière, il reste sur place et la soirée est agrémentée de causeries sur les faits d'actualité du pays, de la ville et surtout du football. Les bagarres dans les bars sont légions, et les motifs aussi fantaisistes que saugrenus pour qui regarde de l'extérieur. On se bat pour une bière, une femme, un point de vue non partagé. On peut se rappeler par exemple cette bagarre qui éclata au bar Djabama au quartier Joli-Soir, dans la nuit du 5 avril 2008, parce que les deux boxeurs en herbe ne parvenaient pas à s'accorder sur qui d'Eto'o Fils ou de Drogba, était meilleur footballeur. Ces problèmes sont les mêmes que ceux vécus dans les circuits et cabarets de vente de bili bili.

5. Les "circuits"

Le "circuit" est une sorte de restaurant dans lequel sont proposés aux clients, des boissons alcoolisées, mets, et surtout des plaisirs sexuels par l'intermédiaire de filles officiant par ailleurs comme serveuses. Parmi les circuits les plus en vue dans la ville de Ngaoundéré, nous pouvons citer celui de Mami Frotambo au quartier Baladji I. Tenu par deux femmes ressortissantes de l'Est, ce circuit est ouvert depuis 2 ans et connaît un franc succès au regard de la qualité et de la quantité de clients qu'il accueille. Ouvert selon les heures de fonctionnement d'un débit de boisson à consommer sur place (06h-24h), l'une des propriétaires reconnaît que le circuit peut fermer à plus de minuit selon l'affluence. « Nous ne pouvons quand même pas mettre les clients dehors ! » se défend-elle193(*). Les services offerts sont la boisson et la nourriture. Pour les propriétaires, la prostitution ne fait pas partie de leur registre de travail. Pourtant, les serveuses n'hésitent pas à racoler les clients.

À la question de savoir quel est le nombre d'employées dans l'établissement, elles vous répondent qu'elles n'ont pas d'employées. En effet, elles n'en n'ont pas dans le sens où les serveuses ne sont pas rémunérées. Elles sont prises en charge par les clients. Lorsque vous venez consommer chez Mami Frotambo, vous pouvez rentrer avec une des serveuses, moyennant des sommes dont les taux sont négociés avec ladite serveuse (généralement à partir de 2000 f.cfa). Cette somme est entièrement encaissée par la serveuse, elle n'a aucun compte à rendre aux propriétaires du circuit. Il s'agit d'un échange de bons procédés puisque chacune est gagnante dans le deal. Les propriétaires en raison des boissons consommées, les serveuses, muées en prostituées, en raison de la clientèle selecte qu'elles peuvent avoir et la protection contre les intempéries dont souffrent leurs collègues du bord de la route. Il faut ajouter que cette méthode permet de n'avoir pas à déclarer d'impôts, puisqu'il n'y a pas d'employés.

Photo 5 : Le circuit Mami Frotambo au quartier Baladji I.

Cliché : Owona, le 24 août 2009.

6. Autres loisirs de nuit

Face à tous ces nouveaux types de loisirs, ils en existent d'autres plus privés telles que les soirées pyjamas. Généralement l'apanage des jeunes filles, il s'agit de se retrouver entre amies chez l'une d'entre elles et de passer la plus grande partie de la nuit dans des causeries, dont le sujet central est presque toujours les garçons. Elles peuvent aussi se faire des tresses, s'échanger des recettes de maquillage, écouter de la musique...Ces soirées se passent particulièrement chez les personnes nanties, et de plus en plus entre les jeunes filles Foulbé de la haute société de la ville qui n'ont pas la possibilité d'aller en boîte de nuit.

Si ce type de loisirs est le propre d'une jeunesse nantie. Les jeunes issus de familles moins nantis se contentent de loisirs simples tels que le babyfoot ou les jeux vidéo. Le babyfoot est généralement installé devant un domicile privé. Au départ, il est placé dans un bar pour distraire les clients qui viennent consommer. Mais, après l'acquisition d'autres jeux plus modernes tels que le billard ou le pinball (encore appelé dans le langage courant le "Taper-Taper"), le babyfoot est mis de côté. Celui que nous avons observé au quartier Joli-Soir est une relique d'un bar tombé en faillite.

Photo 6 : Groupe d'enfants jouant au babyfoot au quartier Joli-Soir

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

Quant aux jeux vidéos, il s'agit pour les jeunes, généralement des garçons comme dans le cas des babyfoots, de se regrouper autour de plusieurs écrans téléviseurs et de jouer à la Playstation ou à la Nintendo. Les jeux et les écrans sont la propriété d'une personne qui perçoit un tribut à chaque nouveau jeu entamé par les enfants. La somme à débourser est presque toujours de 25 f.cfa. Dans la ville, nous avons pu en recenser deux : l'un avant le Carrefour Mini-Mode, en venant du Centre Commercial. L'endroit tient lieu de boutique où sont vendus des jeux vidéo en tout genre. Et l'autre au quartier Madagascar, il s'agit d'une sorte de kiosque aménagé pour permettre la distraction des jeunes du quartier et rapporter de l'argent au propriétaire, un jeune débrouillard âgé de 26 ans. Ces loisirs sont assez récents. Ils datent des années 1990 pour les babyfoots et les années 2000 pour les jeux vidéo. Le propriétaire de la salle de jeux du Carrefour Mini-Mode est un Nigérian installé dans la ville depuis 5 ans. Il a ouvert sa boutique il y a 3 ans déjà194(*).

À l'endroit même où la boutique des jeux vidéos est installée, les joueurs de damier et de "Jambo" se regroupent de temps en temps depuis 2 ans, du matin jusqu'au soir. Certaines parties peuvent même durer jusqu'au lendemain. Lorsque vous arrivez sur place, les "célébrités" du coin sont ici vénérées comme des dieux. Au compte de ces légendes vivantes, on compte un certain Caillou. Ce ressortissant de la Région de l'Ouest, tenancier d'un restaurant de trottoir, doit son surnom au fait qu'il est imbattable au Jambo. En effet, les anecdotes à son sujet sont interminables. Il se raconte que, pour les parties, il n'avait pas de concurrent. À tel point que, lorsqu'il devait parier, il laissait son adversaire le faire à hauteur de 1000 f.cfa et lui, plaçait 10 000 f.cfa. Mais jamais personne ne réussissait à lui prendre son argent. Un jour, alors qu'il avait été exclu du club, puisque n'ayant aucun concurrent, un homme vint demander à jouer une grosse partie. Il faut préciser qu'il venait à peine de toucher une cotisation, et ses avoirs s'élevaient à 350 000 f.cfa. Les complices de Caillou firent appel à lui. Naturellement, il dépouilla pendant toute la nuit le pauvre ignorant. À l'aube, lors de la dernière partie qu'il perdit, l'homme sortit un pistolet. Mais les spectateurs firent une intervention musclée. Ce sont les suppliques de l'homme qui se plaignait de ne savoir quoi dire à sa femme, qui décidèrent Caillou à lui céder 100 000 f.cfa, avec l'interdiction formelle pour l'homme de revenir jouer.

Quant au damier, les tableaux sont la propriété d'un vieil homme arrivé à Ngaoundéré dans les années 1970. Pour chaque pari, il gagne un pourcentage, lui-même n'est pas joueur. Les clubs se sont constitués en fonction des paris. Il y a le club de 500, de 1000 et de 5000 f.cfa. Ce qui lie ces personnes c'est l'amour du jeu et surtout l'oisiveté. Cette activité est pour certain le seul gagne-pain. Au nom de la devise « pas de risque pas de plaisir », c'est l'appât du gain qui fait durer les parties jusqu'au matin. L'argent passe d'une main à l'autre. On se dit toujours que cette fois est la bonne, ou que l'on partira une fois l'adversaire ruiné complètement. Et le temps passe, avec comme seule nourriture quelques kolas, bita kola, ou des cigarettes que des enfants, vendeurs ambulants proposent dans la rue passante jusqu'à 20h.

La plupart des nouveaux loisirs de nuit offrent un échantillon des modifications culturelles qui se sont opérées dans la société de Ngaoundéré avec les différentes vagues migratoires. Il faut se rendre à l'évidence qu'un peuple qui se déplace draine avec lui sa culture. Ainsi, nous pouvons évoquer certaines cérémonies traditionnelles des peuples du Sud, la présentation du fiancé dans la belle famille se fait toujours de nuit195(*). Il s'agit d'une cérémonie au cours de laquelle la famille du jeune homme vient symboliquement "frapper" à la porte de la famille de la fille. Ce n'est pas encore la dot proprement dite, mais si le fiancé en a les moyens il peut, en venant demander officiellement la main de la fille, verser ce tribut à sa future belle famille. Cette tradition a survécu aux différentes migrations. Aujourd'hui, il faut néanmoins regretter la perte de la signification de la nuit dans ce cas précis.

L'ouverture culturelle et l'européanisation progressive de la ville laissent la place à toute sorte de comportements dans la nuit. Le fait le plus remarquable est que, les activités qui se sont développées doucement ont connu deux périodes fastes. En effet, dès les années 1980, les activités du secteur formel se sont de plus en plus mises en place, la fin des années 1990 et le début des années 2000 ont quant à elles été propices au secteur informel. Cette situation nous amène à nous intéresser aux travailleurs de nuit dans la ville de Ngaoundéré.

CHAPITRE II : LES TRAVAILLEURS DE LA NUIT

V. DISTINCTION ENTRE LE SECTEUR FORMEL ET LE SECTEUR INFORMEL, ET SITUATION DANS LA VILLE NGAOUNDÉRÉ

Le secteur formel peut être considéré comme le secteur de l'économie sous le contrôle des structures économiques de l'État. On y retrouve des entreprises publiques, privées ou parapubliques. Mais, quelques soit le type d'entreprise, elle est recensée au niveau de la comptabilité Nationale. En ce qui concerne le privé, les opérateurs payent des taxes à l'État pour pouvoir exercer librement. A côté, disons qu'il existe plusieurs définitions du concept de secteur informel. Créée par le Bureau International du Travail, cette expression peut être considérée comme l'ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de législation pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la Comptabilité Nationale. Ou comme l'ensemble des activités qui échappent a la politique économique et sociale, et donc à toute régulation de l'État. Dans tous les cas, les deux définitions se recoupent puisqu'elles soulignent l'idée de fraude.

Paradoxalement, on aurait pu penser que ce secteur d'activité, censé se soustraire au contrôle de l'État, pourrait se pratiquer dans la clandestinité. Et pourtant, il fonctionne allègrement au vu et au su de tous. Des trois secteurs économiques connus (primaire, secondaire, tertiaire), il est difficile de classer l'informel dans un secteur particulier. En effet, toutes les activités des trois secteurs y sont représentées. On y retrouve des banques traditionnelles à travers les tontines, des ateliers de réparation, et même de la médecine de proximité. Le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s'est accompagné de l'émergence et de l'essor du secteur informel. C'est une question de survie de ces populations refusées par le secteur formel. Le secteur informel joue un rôle d'adoption des migrants et un rôle d'accueil des agents économiques exclus du secteur officiel.

Plusieurs raisons pourraient expliquer l'ascension de ce secteur. Tout d'abord, la fin du troc qui y a poussé la population rurale faute d'être captée par la fonction publique. Ensuite la baisse sans cesse croissante des salaires des travailleurs exerçant dans le secteur formel. Ce qui a pour effet d'inciter les ménages à rechercher des revenus complémentaires dans le secteur informel pour joindre les deux bouts du mois. L'adoption et la mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel avec leurs effets pervers (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d'État...) ont aussi contribué à la dévalorisation du secteur public et donc au gonflement du nombre d'agents opérant dans le secteur informel. Bref, il y a un dédoublement du secteur formel en secteur informel ou chaque activité dite "en règle" a une réplique ; les restaurants modernes dans le formel, les points de vente des poissons à la braise dans l'informel, pour ne citer que ce cas de figure. Tout se passe comme si l'économie des pays d'Afrique en général et le Cameroun en particulier, affichent deux faces. L'informel et le formel sont donc intimement liés. On peut penser que c'est l'incapacité de l'État à répondre aux besoins fondamentaux de la population dans les domaines de l'emploi, de la santé, du logement et de l'éducation qui est à l'origine de la montée en puissance du secteur informel.

Certains critères caractérisent le secteur informel :

1. la facilité d'accès aux activités ;

2. l'utilisation de ressources locales ;

3. la propriété familiale des entreprises ;

4. l'échelle restreinte des opérations ;

5. l'utilisation de techniques simples et le nombre réduit de travailleurs ;

6. des qualifications qui s'acquièrent en dehors du système scolaire officiel ;

7. des marchés échappant à tout règlement et ouvert à la concurrence.196(*)

Dans la ville de Ngaoundéré, le secteur informel obéit à ces différents critères. Il n'a cessé d'évoluer depuis 1952, d'où la nécessité de s'intéresser à la situation économique de la ville de Ngaoundéré par rapport au pays tout entier, et surtout par rapport à sa population.

Niveau de vie des populations de l'Adamaoua (la région est prise en compte en l'absence de données précises sur la ville de Ngaoundéré)

Pourcentages

Sources

Observations

Taux de pauvreté (% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté) dans la province/région de l'Adamaoua

- en 2001

- en 2007

48,4

53,0

Enquêtes camerounaises auprès des ménages (E.CA.M. II de 2001 et E.CA.M. III de 2007)

NB : Au niveau national, taux de pauvreté d'environ 40% en 2001 et en 2007.

Taux de chômage élargi des personnes âgées de 10 ans et + en 2005 dans la province /région de l'Adamaoua

3,6%

E.E.S.I. 2005 (Enquête sur l'emploi et le secteur informel)

Il s'agit du pourcentage de personnes âgées de 10 ans et plus, qui n'ont pas travaillé au cours de la semaine de référence, qui ont cherché ou non du travail, et se déclarent disponibles pour travailler

% des actifs occupés en 2005 exerçant

-dans le secteur informel

-dans le secteur formel

- Total

92,5%

7,5%

100%

E.E.S.I. 2005 (Enquête sur l'emploi et le secteur informel)

Est classée ici dans le secteur informel toute unité de production de biens et services, qui n'a pas de numéro de contribuable et/ou ne tenant pas de comptabilité formelle

NB/ 90,4% des actifs occupés au niveau national y exercent

Tableau I : Tableau représentatif du niveau de vie et du taux des actifs dans la ville de Ngaoundéré.

(Source : Joseph Tedou, I.N.S.)

La situation du travail à Ngaoundéré est à l'image de celle du pays tout entier. En effet, on peut aisément observer dans cette ville les conséquences des problèmes économiques qu'a connus le pays depuis plus d'une vingtaine d'années. Il faut préciser déjà que le Cameroun est parmi les pays d'Afrique subsaharienne qui ont un taux élevé d'emplois en secteur informel, et cette forte "informalisation" de l'économie camerounaise va de pair avec un taux moyen de scolarité des actifs, élevé par rapport aux autres pays de la région. Il existe donc un paradoxe camerounais qui écarte de prime abord toute interaction directe entre types d'emploi occupés et niveaux de formation197(*).

Rappelons que le Cameroun a connu une relative prospérité jusqu'en 1984, soutenue par la hausse des cours des matières premières. Il a dû faire face, depuis la fin des années 1980, à une période de forte récession, avec des taux de croissance oscillant entre - 7,82 % et - 1,82 % entre 1987 et 1994198(*). Depuis 1994, le PIB (Produit Intérieur Brut) camerounais connaît néanmoins une reprise soutenue (de l'ordre en moyenne de 46 % par an), ce qui fait du Cameroun le pays moteur de la croissance de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale), avec une contribution oscillant autour de 45 % du PIB sous-régional. Ce dynamisme est notamment dû aux abondantes ressources minières, agricoles et forestières dont bénéficie le pays. Ainsi, la croissance du PIB réel s'établissait à 4,2 % en 2002 pour atteindre 4,5 % en 2003199(*). La production pétrolière contribue également largement au PIB national. Selon le FMI (Fonds Monétaire International), celle-ci s'élevait à 90 000 barils par jour en 2004 et contribuerait à hauteur de 10 % du PIB et de 40 % des exportations200(*).

Dès lors, considéré sous l'angle de l'indicateur du développement humain, le Cameroun a des défis importants à relever. Inscrit au 148ème rang sur 177 pays au classement de l'I.D.H. en 2003, le pays connaît une pauvreté qui touche environ 17,1 % de sa population. L'analyse de l'I.D.H. au cours des dernières années, laisse entrevoir une évolution en termes de développement en dent de scie, l'I.D.H. étant passé de 0,514 en 1990 à 0,494 en 1995 pour s'établir à 0,497 en 2003201(*).

Ainsi confronté à une crise économique due à la chute des prix des matières premières et de sa production de pétrole au début des années 1990, le Cameroun s'est tourné vers les bailleurs de fonds internationaux, qui lui ont imposé des Programmes d'Ajustement Structurel (P.A.S.). Ces politiques, en visant une réduction importante des dépenses budgétaires publiques, ont entraîné l'arrêt progressif des projets d'investissement en cours, une forte rationalisation du personnel de la fonction publique et ont impulsé un mouvement de privatisation. Elles ont profondément affecté l'emploi, forçant le pays à passer d'une organisation où l'État était le principal pourvoyeur d'emplois, à une organisation où le secteur privé devait en assurer la relève. Selon un rapport du département de la Stratégie sur l'emploi de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) à Genève, les 14 coupes réalisées dans les emplois de la fonction publique se seraient traduites par le licenciement de 60 000 fonctionnaires entre 1989 et 1997 et une chute drastique du taux de salarisation, qui est passé de 63,9 % à 22,1 % entre 1983 et 1993 dans le secteur de l'industrie et de 20,6 % à 12,6 % dans le secteur du commerce202(*).

Selon le Rapport de prévisions macro-économiques des pays de la zone franc (Rapport Jumbo)203(*) , un certain ralentissement économique serait apparu à partir de 2004 et se serait accentué en 2005, le taux de croissance passant de 4,3 % en 2003 à 3,8 % en 2004 pour s'établir à 2,6 % en 2005, soit le taux le plus bas observé depuis 1995. Cet essoufflement serait notamment lié au ralentissement de la consommation privée, à l'augmentation des prix (notamment de l'énergie et de certains biens de consommation) et des taxes, et à la baisse de la consommation publique, qui auraient conduit à une érosion du pouvoir d'achat.

La situation économique du Cameroun a un impact considérable sur la vie de nuit. En effet, elle va développer le sous-emploi visible. Il concerne les personnes travaillant de façon involontaire moins de 35 heures par semaine. Il toucherait 12,1 % des actifs occupés, et ce majoritairement en zone urbaine. Par contre le sous-emploi invisible, qui désigne « les travailleurs dont la rémunération est inférieure au minimum horaire garanti » (23 500 f.cfa par mois pour 40 heures de travail), atteint 69,3 % des actifs occupés, dont 78,6 % de ruraux et 45,7 % d'urbains204(*). Globalement, le sous-emploi affecte 75,8 % des actifs occupés, dont 16,7 % des actifs employés dans le secteur public et 23,7 % des actifs occupés du secteur privé formel. Il est par ailleurs moins prononcé chez les scolarisés que chez les non-scolarisés et est fortement représenté parmi les actifs du secteur informel (70,6 % des actifs du secteur informel non agricole et 86,8 % des actifs du secteur informel agricole sont concernés par le phénomène). L'ampleur du sous-emploi pousse les Camerounais à mettre en oeuvre des stratégies d'accroissement de revenus. On remarque ainsi la prédominance du taux de pluriactivité, de l'ordre de 37 %.

Il faut déplorer le fait que le secteur privé soit trop peu développé pour prendre en charge l'afflux de main-d'oeuvre arrivant sur le marché du travail. On assiste alors à la croissance du secteur informel et à une plus grande précarisation de l'emploi. La structure du marché du travail camerounais montre clairement que le secteur primaire reste de loin celui qui occupe le plus de Camerounais (55,7 %), devant celui des services (31,2 %) et de l'industrie (14,1 %)205(*). La dynamique d'évolution de ce marché permet de constater une décroissance constante, depuis le début des années 1980, des emplois en secteur public et une urbanisation des emplois. On constate par ailleurs une recomposition progressive de l'activité en secteur agricole puisque, jusqu'en 2003, les emplois étaient essentiellement créés dans le secteur informel agricole, date à partir de laquelle le secteur informel non agricole a pris le relais. Cette évolution est majoritairement imputable à l'instabilité croissante des revenus liée à la dégradation des cours mondiaux des matières premières206(*).

L'arrêt des recrutements dans la fonction publique, la crise économique, les licenciements, la dévaluation du Franc CFA, les baisses drastiques des salaires ont eu pour conséquences majeures une rupture entre le projet professionnel et l'insertion socioprofessionnelle. Très peu de Camerounais choisissent leur emploi. Ils s'y retrouvent et s'y adaptent. La recherche du "matricule" de la fonction publique est devenue la règle depuis la reprise des concours en 1998. La situation de multi-emploi s'exprime à travers les expériences de certains fonctionnaires, enseignants en semaine par exemple et gérant d'échoppe le weekend. Les jeunes quant à eux se résignent face à la difficulté de réussir ces concours. La rupture dont nous faisons ici état se lit à travers les choix que les étudiants font des filières à l'université, et les emplois qu'ils occupent par la suite. Il est de plus en plus courant de voir des licenciés en Droit se reverser dans l'enseignement de l'Histoire par exemple, comme vacataires dans les établissements secondaires de la ville. La nuit devient un espace clé dans la mesure où la journée de travail change littéralement de sens. La nuit devient avec la conjoncture en vigueur dans le pays un simple prolongement de cette journée. La prostitution prend une autre ampleur, plus accrue, plus présente dans les villes en général, plus violente par les méthodes que ces commerçantes d'un autre genre utilisent, plus ouverte parce que de plus en plus considérée comme normale. Des témoignages dans les bars du Centre Commercial font état d'hommes qui finissent par prostituer leurs femmes faute de mieux. Parfois, c'est en échangeant quelques mots avec un mototaximan que l'on s'aperçoit qu'il n'est certainement pas un illettré.

La situation économique du pays introduit de nouvelle forme de migrations. Les populations se déplacent de plus en plus dans les villes de moindres importances pour y trouver de meilleures conditions de vie. En effet, ces villes représentent l'avantage d'être encore des terrains d'expérimentation de certains métiers. En 2002, au moment de l'ouverture du premier cybercafé dans la ville de Ngaoundéré, à Yaoundé par exemple, il y en avait déjà une pléthore. Investir dans ce secteur d'activité vous garantissait le monopole. Les villes éloignées des deux grandes métropoles deviennent donc des lieux prisés par le fait que des métiers qui à Yaoundé et à Douala par exemple ne rapportent plus véritablement, nourrissent assez bien leur homme ici. L'activité de taxiphone en est un autre exemple. Pendant que dans ces grandes métropoles le coût de la communication est de 75 f.cfa en 2008, il est de 100 voire de 125 f.cfa par endroit à Ngaoundéré, et pourtant le service demeure le même, les opérateurs les mêmes.

C'est donc cet état de chose qui augmente aussi l'exode rural, puisque les populations rurales ne parviennent plus à vivre de leur travail. Dans la ville de Ngaoundéré, il est intéressant de constater que la plupart des actifs dans le secteur informel dans la nuit sont originaires du Grand-Sud. Que ce soit dans la vente des beignets, du poisson à la braise, ou des fruits. Les ressortissants du Grand-Nord se sont spécialisés dans la vente des arachides grillées, des soyas, dans le colportage des marchandises (médicaments, chaussures en tout genre...). Le secteur formel quant à lui emploie très peu de personnes dans la santé, les télécommunications (les cybercafés et cabines téléphoniques), l'agroalimentaire (bars, restaurants et boulangeries), l'enseignement (cours du soir) et l'hôtellerie. Malgré tout, il est à noter que, dans le secteur formel, se sont surtout les entreprises privées qui emploient de nuit. Dans le public, on retrouve juste l'hôpital régional, la police et la gendarmerie.

II- LES ACTIVITÉS DE LA NUIT RELEVANT DU SECTEUR FORMEL

Comme nous l'avons montré dans la partie précédente, la vie en général dans la ville de Ngaoundéré, et celle de la nuit en particulier, a connu de grandes mutations dont la principale cause est la situation économique que connaît le Cameroun depuis les années 1980. A cela, il faut ajouter les conditions de sécurité déplorables dans les pays voisins que sont le Tchad et la République Centrafricaine, dont l'histoire récente est marquée par des guerres civiles. Tout cela a pour effet de permettre le développement de deux secteurs d'activités, dont la limite de démarcation n'est pas souvent très nette, tant ils se confondent. Il s'agit donc dans notre travail, de cibler quelques uns des secteurs d'activités clés, tant dans le formel que dans l'informel.

1. Le secteur de la santé

Le secteur de la santé regroupe les hôpitaux, les cliniques et les pharmacies. Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes penché sur le cas de l'hôpital protestant de Ngaoundéré principalement207(*).

C'est en 1931 que le couple Endressen arrive à Ngaoundéré en provenance de Madagascar où il était en mission depuis 1922. M. Endressen était pasteur et sa femme infirmière. Cette dernière a tout de suite commencé une oeuvre médicale à Ngaoundéré. Cette oeuvre médicale consistait à rendre visite aux malades à domicile et à les traiter. Compte tenu du nombre impressionnant des malades qui affluaient vers elle, elle a eu à demander à la Mission de lui construire une salle où elle pourrait hospitaliser ceux qui nécessitaient une mise en observation. Une case en paille de deux chambres lui fut construite. L'une des salles servait de salle d'hospitalisation pour hommes et la deuxième pour femmes. Elle a également commencé un programme d'éducation sanitaire dans les quartiers. Elle enseignait notamment l'hygiène, la prévention de certaines maladies courantes comme le paludisme, la tuberculose, les vers intestinaux et les maladies sexuellement transmissibles (MST). Malheureusement, elle tomba malade en 1935 et fut évacuée d'urgence en Norvège. Pendant ce temps le dispensaire resta fermé. Elle revint 3 ans plus tard, c'est-à-dire en 1938 et reprit ses activités au dispensaire.

En 1947, la N.M.S. (Société des Missions Norvégiennes) décida d'envoyer un médecin pour renforcer le travail de Mme Endressen. Le Dr Bernt Sigurd Bjaanes est donc arrivé au Cameroun avec sa femme Helene Ofstad au mois de février 1947. Un an plus tard, et précisément le 1er juin 1948, M. John Fosse fut envoyé. Il était infirmier et diacre. Il faut rappeler que la S.M. (Sudan Mission) avait déjà émis en 1945 l'idée de collaborer avec la N.M.S. et la Mission Fraternelle Luthérienne (M.F.L.) au Nord du Cameroun pour la création d'un hôpital commun, parce qu'elle avait reçu suffisamment d'argent pour la construction d'un hôpital. Celui-ci devrait être bénéfique non seulement pour la population autochtone mais aussi pour la prise en charge des missionnaires des trois missions (N.M.S., S.M., M.F.L.). Seulement, la M.F.L. trouva que le choix de la ville de Ngaoundéré ne pouvait pas leur être bénéfique dans la mesure où il se situait loin de leur champ d'action. Toutefois, elle participa avec une somme de 2000 dollars US sans être impliqué dans le projet. Cependant, la N.M.S. qui traversait une période de turbulence financière accepta plutôt l'idée que l'hôpital soit créé à Meiganga. Mais seulement à ce moment-là, le gouvernement avait entrepris la construction d'un hôpital à Meiganga et n'entendait pas voir ériger un autre hôpital dans la même ville. Le projet échoua. Un an plus tard, c'est-à-dire en 1946, c'est au tour de la N.M.S. de revenir sur le sujet. Le Surintendant norvégien, le Rév. Endressen proposa de nouveau Meiganga, car il était convaincu que l'administration coloniale s'opposerait à la création d'un hôpital à Ngaoundéré en raison des relations peu sympathiques qu'elle avait avec la Mission.

Le Surintendant américain, le Pasteur Andersen quant à lui souhaitait que cet hôpital soit à Ngaoundéré. Pour mettre fin à leur discussion, ils étaient allés rendre visite à l'Administrateur colonial qui était, contre toute attente favorable à la création d'un hôpital à Ngaoundéré. La direction Centrale de la N.M.S. fut très ravie de cette décision et entreprit aussitôt le recrutement du personnel. Seulement, les missionnaires américains qui étaient bloqués aux États-Unis pendant la guerre et qui n'avaient pas participé aux discussions se sont opposés de façon énergique à l'idée d'avoir un hôpital à Ngaoundéré au lieu de Meiganga. Il fallait encore laisser tomber cette décision à la grande indignation de la N.M.S. qui avait décidé de s'engager seule malgré ses difficultés financières.

En 1948 le dispensaire de Ngaoundéré fut effectivement lancé, avec la présentation aux autorités coloniales du plan du dispensaire. Jusque là le "dispensaire de Mme Endressen" n'était pas encore reconnu officiellement par les autorités. Ce plan fut présenté par le Surintendant norvégien le Pasteur Endressen. De plus, l'équipe sanitaire était bien renforcée avec l'arrivée du Dr Bjaanes, médecin généraliste et de M. John Fosse, infirmier et diacre. Trois camerounais se sont ajoutés à cette équipe. Il s'agit de MM. Okala de tribu Béti venant du Sud du Cameroun, Mbardouka et Hamaselbé qui étaient tous deux Dii, originaires de l'Adamaoua. Malheureusement Mbardouka va mourir un an plus tard et sera remplacé par M. Moussa Martin. Ces trois camerounais feront partie de la première promotion des élèves infirmiers de 1954.

Le terrain sur lequel l'hôpital de Ngaoundéré a été construit a été attribué à la Mission Norvégienne par l'arrêté n°353 du 24 juin 1949. Les travaux ont été dirigés par M. Ove Aasen. Sur la demande faite au Gouverneur de la France d'Outre-mer, Haut Commissaire de la République du Cameroun résidant à Yaoundé le 4 septembre 1952 et conformément au plan qui lui a été présenté par M. Endressen, il était question de construire : une maison d'habitation et dépendances, un dispensaire (bâtiment central), quatre cases d'hospitalisations, une case de stérilisation, trois cases pour le personnel Noir et l'installation de l'eau et des sanitaires.

En 1956 la Fondation Young208(*) avait donné au total une somme de 48 800 dollars qui a permis de construire un pavillon chirurgical, une clinique dentaire, la résidence du dentiste, la maison de M. Aasen, l'annexe de l'hôpital, deux maisons pour infirmiers, une cuisine pour le pavillon chirurgical, une salle pour le groupe électrogène, dix chambres d'hospitalisation et un bureau. Le tout pour une valeur de 41 600 dollars. Aujourd'hui, le nombre des services de l'hôpital est de 24. Ils travaillent tous en journée. Mais, dans la nuit, il y en a qui ne sont pas du tout fonctionnels ; d'autres qui utilisent des équipes d'astreinte, c'est-à-dire un personnel de garde réduit auquel on peut faire appel uniquement en cas de nécessité ; enfin ceux qui sont fonctionnels 24h/24. La répartition est donc la suivante 209(*):

Ø Les services fonctionnels uniquement en journée :

- Service de kinésithérapie

- Service de l'Aumônerie Hospitalière

- Service Social

- Unité de Prise en charge des Personnes Vivant avec le VIH/SIDA (U.P.E.C.)

- Prévention de la Transmission Mère-Enfant (P.T.M.E.)

- Programme de lutte contre la tuberculose

- Programme Élargi de Vaccination

- Service de Statistiques

- Service d'Entretien

Ø Les services fonctionnels avec une équipe d'astreinte dans la nuit :

- Service d'Imagerie Médicale (radiographie, échographie, mammographie, endoscopie)

- Service de Laboratoire

- Service du Bloc Opératoire

- Service de Maintenance Biomédicale

- Santé Maternelle et Infantile

Ø Les services fonctionnels de jour comme de nuit :

- Service de chirurgie

- Dispensaire

- Service de médecine

- Service de Maternité

- Service Néonatalogie

- Service de Pédiatrie

- Service de Réanimation

- Service des Brûlés

- Service des Urgences

- Service de la Pharmacie et Caisse

Cette répartition nous permet de faire la distinction entre "l'hôpital de jour" et "l'hôpital de nuit". En effet, le premier implique le fonctionnement de tous les services existant dans un hôpital (1, 2 et 3), et le second implique les services d'astreinte (2) et ceux de nuit (3). Les services opérationnels uniquement en journée le sont de lundi à vendredi, de 07h30 à 15h30. C'est aussi le cas avec les services d'astreinte. Mais, les services fonctionnels de jour comme de nuit organisent leur personnel selon des tranches de 8h (de 7h30 à 13h30 ; de 13h30 à 19h30 ; de 19h30 à 7h30). Ainsi, supposons un employé A : il prend son service le samedi à 7h30, il arrête le même jour à 13h30. Le lendemain dimanche, il est de garde de 19h30 à 7h30. Le lundi, il a une journée de repos et revient travailler le mardi de 13h30 à 19h30. Le mercredi, il travaille de 7h30 à 13h30 ; et il est donc logique qu'il soit de garde de nuit le vendredi. Cette répartition se fait selon un ordre bien précis. En effet, en dehors des équipes de médecins qui se relayent, les infirmiers sont organisés selon un organigramme qui place à la tête de l'équipe, le plus gradé des infirmiers et un aide soignant pour le seconder.

Cette répartition des tâches permet au personnel de ne pas se sentir saturé par le travail. Les cliniques quant à elle travaille avec des équipes de garde dans le cas où des malades sont hospitalisés. Leur rôle est de veiller que les malades n'ont pas de complications dans la nuit. Le cas échéant, le médecin peut être appelé d'urgence. Les médecins des cliniques ne travaillent véritablement que sur des urgences dans la nuit.

Les cas de maladies auxquels les travailleurs de nuit des hôpitaux font face sont très souvent :

- Les accidents de la circulation (motos surtout et quelques fois des voitures)

- Les accouchements

- Les urgences chirurgicales (hernie, appendicite, grossesse extra-utérine, césarienne)

Les pharmacies des hôpitaux (Régional et Protestant) fonctionnent toutes 24h/24. Mais, les autres pharmacies de la ville se répartissent les gardes selon un calendrier bien établi. Pendant ses journées de garde, la pharmacie est opérationnelle 24h/24. La garde commence le samedi et s'achève le vendredi suivant. Les pharmacies de la ville de Ngaoundéré sont : Adama, Le Sare, Grand-Marché, Oxygène, La Vina, Espérance, Aoudi. Cette dernière est la plus récente et n'est pas présente dans la répartition des gardes de 2008. Mais, lorsque la pharmacie n'est pas de garde, elle ferme à 19h, et fonctionne du lundi au vendredi.

Photo 7 : Calendrier 2008 de la répartition des gardes des différentes pharmacies de la ville de Ngaoundéré.

Prise de vue : Owona Nicolas.

L'importance du secteur de la santé est aujourd'hui comprise pas les populations. Il faut dire que cela n'était pas acquis au moment de la création des hôpitaux. Tout d'abord, l'hôpital protestant était conçu comme le reflet de la religion chrétienne. En effet, lorsque le pasteur Andresen demande au Lamido de lui trouver où il peut s'installer, on lui montre la brousse infestée par des hyènes. Cet endroit- là, était une forêt, il n'y avait personne.

L'intention voilée à travers cette « offre insolite », était, semble t-il, de décourager le nouvel arrivant, en le poussant à partir. Car ne pouvant supporter ces compagnons d'un autre genre. De cet endroit infesté de bêtes sauvages et dangereuses en son temps, les missionnaires vont s'investir pour en tirer un meilleur parti. La stratégie adoptée était la suivante : parmi les missionnaires américains ou norvégiens qui venaient, il y avait des enseignants, des docteurs etc. Chacun d'entre-deux créait des structures dans son domaine. Ainsi, vont sortir de terre, tour à tour, un dispensaire, la première église en matériau définitif, un collège pour l'éducation des relais de l'évangélisation. Le temps aidant, les collaborateurs indigènes des missionnaires vont s'établir tout autour du camp de la mission protestante.210(*) 

Aujourd'hui, cette idée de la médecine moderne est révolue, si ce n'est entièrement, en grande partie du reste. Ainsi, les hôpitaux ne désemplissent presque pas. Malgré tout, il faut regretter les agressions et les coups de vol dont la nuit est souvent le moment de prédilection.

2. Le secteur agroalimentaire

Dans le secteur agroalimentaire, nous retrouvons l'ensemble des activités relatives à l'élaboration, la transformation et le conditionnement des produits d'origine principalement agricole, destinés à la consommation humaine et animale. La vie de nuit dans ce secteur concerne surtout les restaurants, les bars et les boulangeries pour ce qui est du secteur informel.

Les restaurants sont des établissements publics où l'on sert des repas moyennant paiement. Dans la ville de Ngaoundéré, il en existe surtout de manière informelle. Ceux qui parviennent à vivre de manière formelle sont peu et vivent une véritable précarité économique. Pour Mme Moussa Mbélé, propriétaire du restaurant Coffee Shop, cette précarité est due au milieu et à la suspicion des populations et à un pouvoir d'achat très limité. Il faut donc compter sur d'éventuels touristes. Cette situation est si délicate que la propriétaire avoue être « souvent surprise par les périodes fastes. » Il faut cependant noter une évolution dans les moeurs de la jeunesse qui s'intéresse de plus en plus au restaurant. 211(*)

En ce qui concerne le restaurant Coffee Shop, il est créé en 1993. Sa propriétaire, Gbaya de l'Adamaoua, en a l'idée puisque technicienne en hôtellerie. En fait, le nom véritable du restaurant est Le Meilleur. L'expression Coffee Shop avait pour but de signifier un type de restauration, c'est-à-dire que l'établissement est un café. Le restaurant est ouvert tous les jours de la semaine. Mais, de lundi à vendredi, il est ouvert de 7h30 à 16h et de 19h à 22h. Le samedi et le dimanche, il ouvre de 12h à 16h et de 19h à 22h30.

En plus des problèmes culturels déjà spécifiés plus haut, Mme Moussa note qu'au début, elle a éprouvé des difficultés liés au financement du projet, l'établissement des papiers administratifs, à l'absence d'informations dans le domaine fiscal. Pour cela, elle s'est rapprochée de la délégation régionale du tourisme qui délivre les autorisations d'exploitation des restaurants et de l'administration fiscale212(*). Mais en ce qui concerne la nuit, il est à noter qu'elle n'a jamais eu de véritable problème (agression, vols de la part de personnes venues de l'extérieur...). Le restaurant est situé dans une zone assez fréquentée par la population, de plus, depuis quelques années, les banques (SGBC et BICEC) s'y sont installées. Celles-ci sont surveillées par des policiers armés à toute heure. Ce qui garantit la sécurité des lieux.

Depuis 1993, année à laquelle Mme Moussa a ouvert son restaurant, d'autres ont ouvert leurs portes dans la ville : le Feu de Bois, E.H.T. CEMAC (École d'Hôtellerie et de Tourisme de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale), Épi d'Or. Ils se sont ajoutés au restaurant La Plazza qui fait aussi dans les activités de snack bar et le cabaret. Plusieurs autres snacks bars offrent les services de restauration à l'instar du Complexe Marhaba. Cela permet de maintenir le client plus longtemps en lui permettant de consommer de l'alcool tout en mangeant.

Le bar est un débit de boissons, « un lieu ou local aménagé pour la vente, aux fins de consommation ou d'enlèvement, de boissons hygiéniques, de vins ou de boissons alcooliques.213(*)» Au regard de cette définition, il apparaît donc comme une entreprise agroalimentaire. Les bars s'étaient déjà développés dans la ville de Ngaoundéré au Centre Commercial à l'époque de la colonisation française, sans grande précision de date exactement. Ils étaient la propriété des Libanais et des commerçants Européens214(*). C'est vers 1958 que le premier bar tenu par un Camerounais (Bamiléké) est ouvert au quartier Baïladji. Depuis cette date, il n'a cessé d'en apparaître dans la ville, la plupart dans les années 1990. Aujourd'hui, le sous-préfet de l'arrondissement de Ngaoundéré I se dit même incapable de déterminer le nombre de bars dans la ville de Ngaoundéré. Il ne faut pas négliger le fait qu'ils poussent de manière incontrôlée et dans la plupart du temps sans autorisation215(*).

Nos différentes enquêtes sur le terrain au quartier Baladji I et Joli-Soir, dans lesquelles nous retrouvons le plus grand nombre de bars, montre que la majorité des propriétaires de ces établissements se sont installés à Ngaoundéré dans les années 1990. Les raisons de leur migration dans la ville le plus souvent évoquées sont entre autres, les compressions dans la fonction publique camerounaise, consécutives aux Plans d'Ajustement Structurels imposés au pays par le FMI (Fonds Monétaire International) ; la précarité des emplois dans le secteur privé ; et les difficultés liées au coût de la vie qui ont fait suite à la dévaluation du Franc CFA. Ainsi, ces anciens fonctionnaires et autres travailleurs dans des entreprises privées, se sont retrouvés à Ngaoundéré pour quitter une vie de plus en plus difficile dans les grandes capitales que sont Yaoundé et Douala. Les bars sont donc ouverts grâce aux économies personnelles, puisque les banques avaient du mal à prêter de l'argent à des personnes sans emplois. Ou encore grâce aux primes de licenciement dont bénéficient les anciens employés d'entreprises. Nous pouvons enfin ajouter les initiatives personnelles de personnes toujours en fonction dans la ville, et qui ouvrent des bars dans le souci d'augmenter les gains mensuels. Nous pouvons à titre d'exemple citer le collectif de travailleurs qui ouvre en 1998 le bar New Satellite au quartier ONAREF216(*). Ces hommes, tous originaires du Nord-Ouest, sont enseignant, fonctionnaire ou tout simplement commerçant.

Dans les bars, ont retrouve des travailleurs dont le portrait est assez commun d'un bar à l'autre. Ce sont très souvent des femmes dont le niveau moyen d'éducation scolaire ne dépasse que rarement le primaire. Elles sont choisies selon le critère de disponibilité, de l'âge et de la situation matrimoniale.

La disponibilité s'observe sous deux plans : le temps et la personne. Le temps intervient ici dans la mesure où la personne choisie doit pouvoir tenir du matin au soir, dans des conditions salariales qui varient généralement entre 15 000 f.cfa et 25 000 f.cfa pour les établissements à forte affluence. Le travail de la serveuse commence à 7h du matin et s'achève à la fermeture vers 22h ou 1h du matin selon les jours de la semaine et les périodes du mois. Les week-ends et les fins de mois apparaissent comme les moments d'intenses activités. Dans certains quartiers tels que Joli-Soir, les bars fonctionnent parfois 24h/24. La disponibilité de la personne s'entend comme la possibilité de supporter tous les excès des clients (attouchements, traitements dégradants...). Les serveuses sont très souvent considérées comme des prostituées par les clients. Cette considération s'explique par le fait qu'elles sont généralement célibataires ou femmes libres (veuves ou divorcées). De plus, les clients ne se préoccupent pas véritablement de savoir si elles le sont ou non. Par ailleurs, les serveuses elles-mêmes se muent souvent en racoleuses, et n'hésitent pas à faire des avances aux clients. Un rapide sondage auprès de quelques clients du Temple D'or au quartier Joli-Soir révèle que les serveuses et leur attitude sont les principales motivations pour un client de revenir dans un bar. Kouamen Tavou nous rappelle que les clients sont très souvent des hommes, et leur but est la détente217(*). À ce titre, la serveuse devient un personnage important dans le bar et doit être choisie avec beaucoup de soin. On comprend aisément la politique de certains circuits comme le Mami Frotambo, qui offrent toute liberté à leurs serveuses qui, en guise de salaire, doivent se contenter de ce que les clients leur donnent en échange de quelques services d'ordre sexuel.

En plus des serveuses, on retrouve dans les bars des agents d'entretien et des serveurs dont les caractéristiques sont presque les mêmes que celles relevées pour les serveuses : niveau d'étude relativement bas et disponibilité. On retrouve ces employés masculins dans quelques bars au Centre Commercial (Adamaoua Loisirs par exemple). Il faut noter qu'avec l'activité de taxiphone, les femmes préfèrent de plus en plus cela, où elles sont autonomes et à l'abri des humiliations des alcooliques218(*).

3. Le secteur de l'enseignement : les cours du soir

C'est en 1976 que les premiers et unique cours du soir de la ville voient le jour, sous l'impulsion d'un enseignant du nom de Tsimi Lazare, originaire de la région du Centre 219(*). D'après notre informateur, ce serait pour attirer les populations locales que le nom Adama est attribué aux cours. De plus, il faut noter que le site est en face du cinéma Adamaoua, dans les locaux de l'École Primaire Annexe.

Aujourd'hui tenus par Mballa Romiald, enseignant dans la ville de Ngaoundéré et proviseur du tout nouveau lycée de Ngangassaouo, les cours du soir Adama fonctionnent de 18h à 21h. Ils ont été déplacés au Lycée Classique de Ngaoundéré entre 1992 et 1996. La raison en est que, Mballa Romiald qui les reprend à ce moment là, y est affecté comme censeur. Les quelques problèmes décriés ici sont surtout les visites de quelques bandits qui de temps en temps viennent attendre les élèves à la sortie des cours. Cette situation aurait été réglée en grande partie par la construction de la barrière et par l'électrification de l'établissement scolaire.

Les élèves sont de tous âges. Très souvent, ils sont eux-mêmes leurs tuteurs et payent leurs frais de scolarité par l'argent qu'ils gagnent en travaillant en journée. Cette situation est avantageuse dans la mesure où ces élèves, conscients de ce qu'ils veulent sont plus responsables que ceux des cours du jour, où ce sont les parents généralement qui dépensent. Cet avantage a aussi son revers car les élèves sont très souvent absents, à cause de la fatigue de la journée de travail ou des responsabilités familiales. Il faut ajouter à cela les payements qui tardent souvent à arriver. Ce qui met les enseignants en difficulté à plusieurs titre, le rattrapage des cours et des écarts qui se créent entre les élèves absents et ceux très souvent présents. Par ailleurs, les enseignants étant payés à la fin de chaque semaine, les retards de payement démotivent le personnel.

Ces enseignants sont recrutés sur le volet parmi le personnel enseignant de la ville. Ils sont fonctionnaires dans les lycées et collèges de la ville, vacataires dans les établissements privés tels que le collège de Mazenod ou le collège Protestant, ou inspecteur pédagogique dont le rôle est de palier à l'absence d'enseignant dans les établissements. Le salaire est fixé à 500 f.cfa l'heure de cours dispensée.

Notons que d'autres cours du soir ont vu le jour depuis les années 1995 dans la ville, mais ont dû refermer à cause du manque d'enseignants et de moyens. Le principal avantage du directeur actuel des cours du soir Adama se révèle être son appartenance au corps enseignant.

7. Le secteur de l'hébergement 

La situation des auberges dans la ville de Ngaoundéré est telle que, l'idée même d'y passer une nuit est considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs. Et pourtant, par définition, il s'agit d'un établissement simple et sans luxe, situé à la campagne et offrant le gîte et le couvert pour une somme modique220(*). Dans cette définition, les auberges de la ville ont conservé le côté simple et sans luxe offrant le gîte pour une somme modique. Elles parviennent à peine à joindre les deux bouts. À l'auberge du Temple d'Or, on reconnaît bien volontiers que seules les locations des prostituées et de leurs clients garantissent la survie de ces établissements. Les touristes préfèrent se diriger vers les hôtels (Transcam...) ou vers les foyers d'accueil (Espérance au Petit Séminaire et Charité sur la route qui mène au Collège de Mazenod par exemple).

De nos observations sur le terrain, il ressort que les auberges sont situées le plus souvent dans les quartiers populeux et populaires à l'instar de Baladji I, II et Joli-Soir, plus précisément à proximité des bars. Mais, pour celles qui sont installées dans des quartiers retirés (Posada Style, en face du Collège de Mazenod), elles bénéficient d'une notoriété et d'une relative discrétion très utiles quand on considère que la plupart des clients des auberges ne veulent pas être vus.

Photo 8 : L'auberge Le Temple d'Or, situé à gauche de la boîte de nuit du même nom au quartier Joli Soir.

Cliché : Owona, le 23 août 2009

Tout à côté des auberges, particulièrement actifs de nuit, l'hôtel se définit un établissement commercial qui loue des chambres ou des appartements meublés pour un prix journalier221(*).

8. Les télécommunications 

Les cybercafés sont des espaces dans lesquelles les clients ont à leur disposition des ordinateurs qui leur permettent d'accéder au réseau internet. Ces espaces sont mis à la disposition d'un public de plus en plus jeune, constitué d'élèves, d'étudiants, de travailleurs. Mais, les cybercafés au Cameroun n'ont pas la même connotation qu'en Europe, où ils sont à l'origine, de véritables cafés, c'est-à-dire des établissements dans lesquels on sert des boissons ou de la restauration légère, et qui peuvent de temps en temps servir de cadre pour des rencontres (café littéraire, par exemple)222(*). Dans le langage populaire au Cameroun, on peut entendre très souvent le terme "cyber" uniquement, peut-être parce que le volet "café" n'existe pas dans ces endroits. On y retrouve des ordinateurs mis à la disposition du public moyennant une somme variant entre 300 et 500 f.cfa, selon la durée que l'on choisie pour "surfer" sur internet. Le gérant s'occupe de manager les actions et les demandes des clients.

Dans notre pays, ces espaces ont pris une connotation de plus en plus péjorative à cause des mariages facilités avec les Occidentaux. De jeunes femmes, parfois sans grande instruction, et au nom de la recherche d'un mieux être, s'abonnent aux sites de rencontres en ligne et trouvent des maris. Malheureusement, il est à déplorer le sort parfois triste de ces filles qui, une fois en Europe, deviennent des prostituées à la solde de ce mari.

À Ngaoundéré, le premier cybercafé a ouvert ses portes en 2002223(*), par Djommo Lin Valère oeuvrant avec l'opérateur de téléphonie mobile M.T.N. Cet opérateur économique ne s'est pas limité à l'ouverture d'un cybercafé. Depuis, il a amélioré les capacités de son agence, et aujourd'hui, il est chargé de l'abonnement des clients au réseau internet, de la câblodistribution de Canalsat Horizons.

Précisons que le cybercafé ouvre ses portes au Centre Commercial, pour les raisons de sécurité et surtout afin d'attirer l'attention des populations de la ville. D'après son directeur général, c'était le tout premier cybercafé dans tout le Grand-Nord du Cameroun. Pendant les 16 premiers mois de fonctionnement, le nouveau cybercafé restait ouvert 24h/24. Mais, le problème majeur qui va se poser est celui de l'insécurité. Le gérant était donc dans l'obligation de faire intervenir la police pendant les tranches de nuit, c'est-à-dire entre 18h et 6h.

À cause du manque de clients, certainement dû à l'insécurité qui sévit dans la ville pendant la nuit, le cybercafé a réaménagé ses horaires et ouvre à 7 h 30 min et ferme désormais à 22h. Les employés sont au nombre de deux généralement par journée. Le premier prend service de 7h30 à 15h et le second, de 15h à 22h. Les qualités requises pour ce type d'emploi sont : être titulaire d'un BEPC ou équivalent, maîtriser l'outil informatique, être endurant entre autres. Tout cela pour un salaire de 15 000 f.cfa, qui n'arrive qu'épisodiquement. Ainsi, Bakary, employé du cybercafé pendant trois ans, a jeté l'éponge pour ouvrir une petite école de formation en informatique. Pour lui, les conditions salariales ne permettaient pas de vivre décemment, même en réduisant ses désirs au minimum. Cette précarité de l'emploi et l'instabilité salariale font que les employés changent presque tous les ans. Cet état de chose ne semble pas vraiment gêner le propriétaire pour qui « il y aura toujours des candidats pour remplacer les partants.224(*)»

Photo 9 : L'intérieur du cybercafé de M.T.N. au centre commercial de Ngaoundéré.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

Nous ne saurions négliger les métiers de l'information, et surtout le fonctionnement de la station de radiodiffusion de la CRTV225(*) Adamaoua, dont le siège est au quartier administratif de Ngaoundéré. En effet, cet office émet 24h/24. Pour la directrice des programmes radio, c'est dans la tranche du soir que les émissions propres à la région de l'Adamaoua sont diffusées sur les antennes.

En effet, lorsque les différentes stations régionales sont crées, c'est dans le but déjà de rapprocher les populations du pays du pouvoir central localisé à Yaoundé. Ainsi, la station de radiodiffusion de Ngaoundéré ouvre en 1983 en raison de la création de la Province de l'Adamaoua, et de l'érection de ladite ville en chef-lieu. A ce moment là on parle de la R.D.C., Radiodiffusion du Cameroun. C'est en 1985 qu'elle devient la CRTV.

Jusqu'en 1998, les émissions de nuit étaient essentiellement constituées de programmes de variétés musicales. Mais aujourd'hui, la prolifération des téléphones amène les journalistes à mettre sur pied des émissions interactives, pendant lesquelles les insomniaques peuvent s'exprimer autour de sujets divers qui font l'actualité du pays : politique, santé, sport, éducation...si ces émissions sont programmées dans la nuit, c'est bien parce qu'en journée, les potentiels auditeurs sont au travail, ou occupés à autre chose qu'à l'écoute de la radio. De plus, les émissions qui sont retransmises en journée proviennent en grande partie du poste nationale, donc de la maison mère de Yaoundé. C'est véritablement vers 18h30 que la station de radiodiffusion de l'Adamaoua prend son autonomie, avec des émissions en langues locales (Dii, le lundi et le mercredi et le vendredi; Haoussa, le mardi et le jeudi ; Mboum le dimanche).

Après le journal de 20h, diffusé à partir de Yaoundé, les autres émissions portent entre autres sur la santé des hommes et du bétail (Infos agropastorales, diffusée le mercredi à 20h30 ; Santé magazine, le mardi à 21h30) ; sur la religion ( Savoir en Islam, Eglise en marche, toutes les deux le lundi à partir de 21h30 ; La voix du Salut, Feu de joie, Fréquence Luthérienne les trois émissions se succèdent le dimanche à partir de 20h30). Il faut noté que cette connotation religieuse a aussi pour but de faire concurrence à la radio Sawtu Linjiila, fondée par les luthériens, dont le nom en fulfulde signifie « Voix de l'Evangile », avec un accent très religieux. Les émissions d'informations et de divertissements sont aussi prévues pour ne négliger aucune tranches d'âges (Le droit, Sahel Horizons, Cameroun Sports, Soudou Baba, Saturday night fever, Sports dans l'Adamaoua, Bal des Vétérans...).

Les émissions de la station CRTV Adamaoua s'arrêtent à minuit, et le relais est passé une fois encore au poste national qui propose à cette heure-là des émissions interactives pendant lesquelles les auditeurs de tout le pays peuvent participer. A Ngaoundéré, seule une équipe technique d'astreinte reste sur place afin de veiller à la bonne qualité de la retransmission. Elle est remplacée le matin par une nouvelle équipe.

9. Les transports

Dans la ville de Ngaoundéré, les transports sont assurés par les taxis autos, les mototaxis, et les agences de voyages assurant le transit des passagers entre Ngaoundéré et les villes du Grand-Nord, ou les villes du Grand-Sud.

En ce qui concerne les taxis autos, il faut dire qu'ils desservent les lignes Ngaoundéré-Dang, Bamyanga-Centre Commercial. En effet, jusqu'en 1995, les taxis roulaient dans la ville226(*). Mais, la multiplication des mototaxis et la qualité des routes ont obligé les autorités municipales à mettre fin à la circulation des taxis dans la ville de Ngaoundéré. Dans cette décision la qualité des routes n'est pas à négliger. Dans certains quartiers, elles sont de très mauvaise qualité et freinent les élans des taximen qui hésitent à s'y rendre. Au Centre Commercial, elles sont de plus en plus petites pour un parc automobile en constante augmentation. Il ne leur est donc réservé uniquement la route de Dang, et quelques courses à effectuer en ville, pour déplacer des objets que les motocyclettes ne peuvent transporter. Dès lors, un stationnement est créé à côté du stade Ndoumbé Oumar, pratiquement à la sortie de la ville.

La multitude de syndicats qui se développera dans le stationnement occasionnera moult problèmes dont la solution viendra du préfet du département de la Vina en 2006. Décision sera prise de sectionner la ville en différents stationnements en fonction des syndicats. Ainsi, le SYN.E.T.CAM. (Syndicat des Exploitants de Taxi du Cameroun), voit ses taxis dotés d'une bande bleue. Il leur est attribué un espace à la Place des Fêtes de Ngaoundéré. Le Syndicat National des Chauffeurs et d'Employés de Taxi du Cameroun obtient la bande verte et s'installe au Grand-Marché ; enfin le Syndicat National des Chauffeurs de Taxis, avec sa bande rouge, occupe l'espace entre le Petit-Marché et le Stade Ndoumbé Oumar.

La plupart des stationnements fonctionnent jusqu'à 22h. Passée cette heure, les différents taximen peuvent continuer à faire la navette entre la ville et Dang, mais à leur risques et périls. L'organisation des stationnements est telle qu'il ya un ordre de départ à respecter. Cet organigramme n'est respecté que jusqu'à cette heure. Les problèmes qui se posent justement sont les agressions qui rendent plus difficiles le transit à partir de 18h. Dans la nuit, les clients s'amenuisent. Ce qui explique qu'il n'existe pas un échelonnement des prix en fonction des heures. Depuis la séparation de 2006, le prix du taxi pour partir de la ville pour Dang est de 250 f.cfa. Avant cette date, il était de 300 f.cfa. Malgré l'augmentation du prix du carburant, les chauffeurs parviennent tout de même à trouver leur compte. C'est le cas de Ismaëla Issa, taximan dans la ville de Ngaoundéré depuis 7 ans, il a commencé comme simple chauffeur, aujourd'hui il est propriétaire.

L'activité de mototaxi est plus accrue dans la nuit. Rappelons que, c'est en 1988 que Haman Daligama, jeune homme de 32 ans installé à Ngaoundéré depuis une dizaine d'années eût l'ingénieuse idée de transporter sur sa moto de marque Honda CG 175 les habitants d'un des nouveaux quartiers, moyennant une modeste récompense 227(*). Il faut noter qu'à cette période, la population de plus en plus grande, a des besoins que les taxis autos ne parviennent plus à satisfaire. « Pour les habitants, l'attente d'un taxi pouvait durer des heures, surtout que certains conducteurs refusaient d'exercer sur les routes non bitumées ou de se rendre dans les quartiers périphériques nouvellement créés à la faveur de l'élargissement de la ville. Le transport urbain est devenu une véritable équation difficile à résoudre 228(*)»

Il apparaît qu'au début, les conducteurs de taxi moto circulaient dans la zone périurbaine, parce que d'une part le centre ville était desservi par le taxi auto, et d'autre part, leur activité relevait de la clandestinité. Avec le décret du premier ministre du 2 février 1994 fixant les modalités d'exploitation à titre onéreux des motocycles, entraîne une formalisation des mototaxis et la croissance rapide de cette activité dans la ville. Dans le secteur des transports à Ngaoundéré, les mototaxis semblent être les plus dangereux. Pour y exercer, on peut compter des hommes de tous âges, propriétaires ou simples employés, ces derniers peuvent aussi faire de la sous-traitance et engager à leur tour d'autres chauffeurs parmi leurs connaissances, dans le but de leur venir en aide.

Les chauffeurs de mototaxis ont malheureusement gagné une mauvaise réputation à cause de la recrudescence des accidents dont ils sont très souvent la cause, sans oublier les agressions auxquelles ils participent comme complices ou comme auteurs. Cette généralisation est regrettée par Augustin, mototaximan dans la ville de Ngaoundéré depuis 2 ans229(*).

Augustin est un jeune père de famille, apparemment âgé d'une trentaine d'années, sa vie est un long chapelet de misères. Mboum de Ngaoundéré, il se plaît à penser qu'il est parmi les derniers de cette tribu à proclamer haut et fort leurs origines, pendant que les autres s'estiment Foulbé. C'est en 1984 qu'il perd son père. À ce moment-là, la famille vit à Garoua. S'en suivront un ensemble de problèmes liés au partage de l'héritage. Pour s'en éloigner, il revient s'installer à Ngaoundéré, son village natal. Au départ, c'est comme cordonnier qu'il gagne sa vie. Il ouvre donc un atelier de cordonnerie près de El Blanco Bar au quartier Joli-Soir, après le carrefour Jean Congo. Les revenus qu'il tire de cette activité lui permettent de se marier, de construire une maison au quartier Mbideng et d'élever ses quatre enfants. Ce débrouillard ne recule devant aucun travail honnête. Il a appris la maçonnerie et la menuiserie. Grâce à ce background, il peut inscrire ses enfants à l'école. Son aîné est au lycée technique de Garoua, ses deux filles au Collège Protestant de Ngaoundéré et la cadette au cours élémentaire II.

C'est donc en 2007 qu'il fait l'achat d'un motocycle. D'après lui, les chauffeurs que l'on recrute ne savent pas très souvent quelle est l'importance de l'engin et les souffrances subits par le propriétaire pour l'acheter. Ainsi, il s'organise : dès 5h, il saute sur sa moto et travaille jusqu'à 8h. À cette heure là, il rentre chez lui prendre le petit déjeuner. À 9h, il se rend dans son atelier de cordonnerie, et sa femme, à qui il a réussi à payer une formation de couturière, reste travailler à domicile. Vers 15h, si le travail à l'atelier n'est pas très exigeant, il reprend la moto et travaille jusqu'à 20h, heure à laquelle il doit rejoindre sa famille pour une prière. Il faut préciser qu'en activité annexe, Augustin est catéchiste de l'Église Presbytérienne. Pour lui, tout est question d'organisation.

Son activité de mototaxi n'occupe pas la nuit entière parce que pour lui, la famille passe avant tout. L'insécurité dans la ville est telle qu'il serait risqué de travailler pendant cette période, avec des risques d'embuscades, d'accidents, et les mauvaises conditions climatiques. Ainsi, c'est sa situation matrimoniale qui ne lui permet pas de travailler de nuit, au-delà des risques que cela représente. La situation d'Augustin est tout à fait différente de celle de Jean-Vincent.

Cet habitant du quartier Ndelbe, âgé d'une vingtaine d'années est célibataire sans enfants à charge. Il vit chez ses parents. Cependant, ce qui l'amène à travailler de nuit c'est, dit-il le besoin d'argent et la volonté de satisfaire ses différentes compagnes. Il est employé par un de ses amis du quartier qui lui a confié sa moto. À la question de savoir s'il n'a pas peur des bandits, il vous répond aisément « on se connaît !»230(*).

10. La sécurité

L'insécurité est depuis les années 1990 une préoccupation majeure dans la ville de Ngaoundéré. Les mouvements qui ont émaillé le processus de démocratisation dans tout le pays ont eu ici un terrain d'expression favorable. Ce contexte est venu s'ajouter à une situation qui était déjà prédisposée à une certaine insécurité. En effet, les pays voisins que sont le Tchad et la Centrafrique connaissaient depuis les années 1970 une certaine instabilité politique. Les ressortissants de ces pays étaient obligés d'aller chercher un coin paisible ailleurs. Pour Temde Joseph, c'est un peu comme si les Tchadiens et les Centrafricains n'ont qu'un objectif : « venir à Ngaoundéré ou mourir »231(*). Ces immigrés n'avaient rien à faire et se sont reversés dans l'exercice de métiers dédaignés par les Camerounais, à l'instar de celui de gardien de nuit.

Il faut noter que ce métier est assez récent dans la ville et n'a fait que s'adapter à une mentalité qui n'accepte que très difficilement un tel étalage de richesse. En effet, avoir un "gardi" (le gardien de nuit en fulfulde), c'est affirmer que l'on a quelque chose à protéger, et même montrer que l'on n'a pas envie de la partager. Le mot utilisé en fulfulde pour désigner ce métier est lui-même inspiré de la langue française, preuve de l'inexistence de cette activité dans les moeurs des populations de Ngaoundéré. C'est donc avec les Européens et les fonctionnaires de la nouvelle administration camerounaise des années 1960, que la nécessité des veilleurs de nuit se pose. Mais, la criminalité n'était véritablement accrue comme aujourd'hui232(*). L'un des facteurs qui influence donc leur mise en place sera cette vague migratoire venu des pays voisins dans laquelle on retrouve à la fois les gardiens et les voleurs. En effet, cette dernière catégorie apparaît à cause de la pauvreté qui caractérise ces populations immigrées, et les armes légères avec lesquelles ils traversent la frontière et qu'ils utilisent dans les braquages.

Mais il serait inapproprié de penser que seuls les immigrés des pays voisins sont les seuls acteurs dans ce secteur. Que ce soit du côté des voleurs que de celui des veilleurs de nuit, on retrouve aujourd'hui des ressortissants de presque toutes les régions du Cameroun. Le métier de gardien de nuit est à diviser en deux types : un qui se déroule presque de manière informelle et l'autre formel.

C'est dans le type informel que l'on retrouve justement les ressortissants des pays voisins et du Grand-Nord. Ce sont ces jeunes gens vers qui l'on se tourne pour garder les comptoirs et les boutiques au Petit Marché par exemple. La nuit venue, ils se mettent derrière des sacs étalés, qu'ils accrochent autour des entrées des boutiques surveillées. Ces sacs un pour rôle de dissuader les éventuels brigands. Ainsi, il arrive que parfois, le gardien ne soit même pas dans ce hangar de fortune, mais les sacs en donnent l'impression. Ce sont malheureusement ces comportements irresponsables de la part de certains gardiens de nuit, doublés aux problèmes de plus en plus marqués d'alcoolisme, de consommation de stupéfiants et de vol, qui amènent les sociétés importantes de transfert d'argent ou les banques par exemple, à faire recours aux sociétés spécialisées dans le gardiennage ou la police, nonobstant le fait que les problèmes sont souvent les mêmes.

Photo 10 : Quelques jeunes gardiens de nuit au petit marché de Ngaoundéré.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

Les sociétés de gardiennage ont pour rôle de suppléer la police dans la protection des hommes et de leurs biens. Ainsi, pour mettre sur pied une société de ce type, il faut adresser une demande auprès du Ministère de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation, dossier dans lequel on doit justifier de sa bonne moralité. Il doit être accompagné d'une forte "caution". Après étude de ce dossier, c'est par décret présidentiel que l'agrément est accordé à l'individu de fonder une société privée de gardiennage.

Il faut dire que c'est avec les années 1990 que la possibilité est donnée aux particuliers de mettre sur pied des sociétés privées de gardiennage. C'est pourtant avec la loi n°97/021 du 10 septembre 1997, relative aux activités privées des sociétés de gardiennage, qu'une réglementation claire est fixée à ce propos. Il leur est interdit par exemple de posséder des armes à feu. À Ngaoundéré, nous pouvons citer les sociétés telles que : DAK Surveillance, RADAR, SACUR, et Africa Security.

La société privée de sécurité Africa Security est installée à Ngaoundéré depuis 1999233(*). Elle assure la protection des entreprises mais aussi des particuliers. Parmi ses prérogatives, elle peut aussi être utilisée pour servir d'appui à la police dans le cadre du convoyage d'argent. Cependant, comme le déplore le chef d'agence de la société à Ngaoundéré, les agents succombent très souvent à la tentation et se muent en voleur. Pour remédier à cet état des choses, il s'agit pour les chargés de missions sur le terrain, dont le rôle est de superviser le travail des agents, de multiplier les contrôles inopinés. Mais, le travail le plus important se passe à la base, c'est-à-dire au recrutement.

Avec le manque d'emploi, de plus en plus de jeunes se font embaucher comme gardien de nuit. Ce travail était avant les années 2000 véritablement dédaigné par les populations. Être « vigile » était le signe de notre niveau intellectuel bas, et de notre pauvreté matérielle. Cela s'explique par le fait que les agents de sécurité étaient recrutés dans une population peu encline à la scolarisation. De plus, le salaire était et demeure l'épine dorsale de ces travailleurs de nuit. Oscillant généralement entre 30 000 et 40 000 f.cfa de salaire mensuel selon les agences, beaucoup de jeunes n'osaient donc pas prendre le risque d'exposer leur vie pour une somme aussi dérisoire. On ne saurait oublier le problème des vols et agressions dans lesquels les agents de sécurité sont souvent immédiatement étiquetés comme complices, à tord ou à raison. Ainsi, la paupérisation de la population camerounaise a rendu le recrutement dans les agences de sécurité plus difficile.

Tout d'abord, les candidats doivent fournir un dossier constitué des pièces suivantes :

- Un extrait de casier judiciaire

- Une photocopie de la C.N.I.

- Un certificat de domicile

- Une copie d'acte de naissance

- 4 photos 4x4

- Une demande manuscrite

D'autres conditions s'ajoutent à celles-là, à savoir être Camerounais, savoir parler l'une des deux langues officielles du Cameroun, avoir entre 21 et 40 ans, mesurer au moins 1,70 m. Si ces conditions sont réunies, les candidats qui répondent aux critères subissent un examen médical afin de déterminer leur aptitude aux efforts (état des poumons, état du squelette, tension artérielle, capacités visuelle et auditive). Les signes d'alcoolisme et de toxicomanie sont aussi vérifiés. À l'issue de ces examens médicaux, viennent les examens intellectuels. C'est la réussite à ces épreuves qui permet au postulant d'accéder à la formation au centre militaire de la société. Les notes de 11/20 au stage et 10/20 aux tests physiques et intellectuels permettent donc au candidat d'être embauché comme gardien de nuit dans la société Africa Security, avec cependant une période d'essai de 3 mois 234(*).

Si les sociétés privées de sécurité sont tolérées, c'est souvent parce que la police manque cruellement d'effectifs. En effet, le rôle de la police est d'assurer le respect, la protection des institutions, des libertés publiques, des personnes et de leurs biens, la Sûreté Nationale concourt aussi à la défense nationale, à l'exercice de la police administrative et de la police judiciaire235(*). Les services de la police aux Cameroun sont assurés par les fonctionnaires de la Sûreté Nationale. Ils sont de temps en temps assistés dans leurs missions par quelques éléments de la gendarmerie et des militaires. À cet effet, des patrouilles mixtes sont mises sur pied. À Ngaoundéré, la gendarmerie épaule la police très rarement si ce n'est dans le cas des rafles, ou du bouclage d'une opération menée conjointement. Ce manque de coopération se justifie par le fait que cette force estime être en concurrence avec la police236(*). Ce sont cependant les militaires qui prêtent souvent main forte aux policiers pendant les périodes les plus délicates de l'année, à savoir : avant les fêtes de Ramadan et de Tabaski, pendant les fêtes de fin d'année, les saisons des pluies, les vacances scolaires, et à la rentrée scolaire237(*).

Rappelons tout de même l'évolution de la police au Cameroun. C'est en 1947 que la direction de la sûreté est créée par le Haut Commissaire Français au Cameroun. Elle a pour rôle de surveiller l'immigration et la situation des étrangers tout en suivant l'évolution et les manifestations des associations politiques et syndicales238(*). Mais, la gestion et le commandement des polices urbaines relevaient de la gendarmerie. Cette dernière est aujourd'hui considérée comme la force de l'ordre des zones rurales. Lorsque s'installe la Police, en principe, elle doit lui laisser la place et continuer dans de nouvelles zones plus reculées239(*).

Le 25 juin 1951, par la décision n°3055 du Haut Commissaire, un directeur est nommé à la tête de la police camerounaise ; c'est à cette période que sont installées les premières véritables unités de police dans les différentes régions du pays240(*). À Ngaoundéré, un commissariat spécial est installé, ainsi qu'un poste de sûreté. Le rôle de la police est d'assurer la sécurité des hommes et de leurs biens. Dans la ville de Ngaoundéré, elle s'y efforce tant bien que mal, en utilisant deux types de méthodes, celles préventives et celles répressives.

Les actions préventives de la police se notent par une occupation du terrain, par la présence effective sur le terrain, les contrôles, et les patrouilles. À Ngaoundéré, on compte trois grands secteurs de sûreté :

- Le commissariat du 1er arrondissement, qui couvre le centre Commercial et Administratif, l'E.H.T. CEMAC.

- Le commissariat du 2e arrondissement qui occupe l'espace le plus vaste avec les quartiers Joli-Soir, Baladji I et II, Madagascar, Tongo, Gadamabanga, Troua Malla, CIFAN Nord.

- Le 3e arrondissement s'occupe quant à lui des quartiers Bamyanga, Haut Plateau, et Burkina.

Temde Joseph, le commissaire central de la ville de Ngaoundéré, précise que le poste de sécurité publique de Dang est jusqu'ici un poste virtuel, il a des éléments de police et fonctionne comme tout autre commissariat, mais il n'a pas encore d'existence officielle.

Cette présence sur le terrain s'accompagne de la mise en fonction de réseaux de renseignements criminels, de planques, d'embuscades, de bouclages de certains quartiers (action fréquemment menée à Dang), ainsi que des rafles241(*). Pendant les villes mortes de 1991, ce sont les renseignements généraux qui ont permis de maintenir la paix, en appui aux actions de choc menées sur le terrain par les B.A.G. (brigades antigangs).

Les actions répressives sont plus brutales dans une ville qui très souvent a été classée au 3e rang de la criminalité urbaine au Cameroun, après Douala et Yaoundé. Ces actions se manifestent par la traque sans relâche des criminels. Elles peuvent être augmentées en fonction du taux de criminalité. On peut ainsi citer quelques cas où cette mesure a été nécessaire.

En 1992, les mouvements des villes mortes ont fait naître un gangstérisme urbain sans précédant à Ngaoundéré. La mise sur pied d'unités mixtes d'antigangs a permis de juguler le mal. Le couvre-feu a été instauré. À partir de 19h, on ne devait pas voir de présence humaine dans les rues. Tout contrevenant était traité comme suspect. Les mêmes mesures ont été prises lors du déploiement du Commandement Opérationnel. En 2003, l'opération "Harmattan" a pu mettre hors d'état de nuire des hors-la-loi. Cette opération n'aura pourtant duré que 16 jours. Des policiers venus de Yaoundé ont pu mettre fin aux actions des groupes de criminels tel que le groupe Kotto Bass, spécialisé dans le vol de motocyclettes 242(*). Le travail de cette unité pendant ces 2 semaines consistait à infiltrer, ratisser et boucler certains quartiers dangereux de la ville. À une heure avancée de la nuit, tout noctambule était interpellé. Le succès de l'opération a été tel que le Gouverneur de la Province a demandé la prolongation d'une semaine de l'opération.

Malheureusement, la police en général et les services de Ngaoundéré en particulier connaissent multiples problèmes dans l'exercice de leurs fonctions :

- Le manque d'effectifs et de postes de proximité. Le commissaire central propose ainsi la création de nouveaux postes dans les quartiers Gadamanga, Burkina, Baladji II.

- Le manque de matériels, cette situation est plus délicate lorsque les criminels installés à Ngaoundéré reçoivent de l'aide d'hommes de pouvoir de la ville et d'immigrés des pays voisins qui connaissent la guerre, et où les armes circulent aisément243(*).

- La présence d'éléments dangereux dans les rangs même de la police. Il apparaît aujourd'hui que les jeunes deviennent policiers non plus par vocation mais pour avoir un travail et surtout un salaire.

- Enfin, Temde Joseph dénonce la loi du silence en vigueur à Ngaoundéré. Personne ne se permettrait de trahir son voisin, même si tout le monde sait qu'il est un individu suspect par son comportement ou sa manière de vivre. Et les appels à témoin ne servent à rien, puisque personne n'y répondra. Il faut dire que le problème des populations est d'abord celui de l'analphabétisme et le défaut de carte d'identité. La crainte de se voir emprisonner pour cela fait que beaucoup préfèrent rester dans le mutisme et supporter, en se disant que tant que ce n'est chez moi, ça va !

III. LE SECTEUR INFORMEL À NGAOUNDÉRÉ

6. Le secteur agroalimentaire

La plupart des activités du secteur informel ont donc pris racine à Ngaoundéré à partir des années 1990. La vente des beignets est une pratique très ancienne dans la ville. En effet, Mohammadou Djaouro rappelait déjà que vers les années 1950, des femmes venaient vendre des beignets et de la bouillie sur la place du Grand Marché dans l'après-midi et se retiraient vers 18 heures. Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes fondé sur une "étrangère" à la ville de Ngaoundéré : Mme Ngan Jeanne, vendeuse de beignets au quartier Onaref, où elle vit avec ses enfants244(*).

Mme Ngan est une femme âgée de 46 ans, mère de 7 enfants et de 4 petits-enfants. Bassa de la Région du Centre, elle s'est retrouvée contrainte de migrer vers Ngaoundéré à cause des problèmes conjugaux, cela depuis 9 ans. Il faut dire que son mari, toxicomane, mort il y a moins d'un an, était devenu très violent. Il n'hésitait pas à menacer sa famille de les tuer tous à coups de machette. Face à cette situation, sa fille aînée fut la première à quitter la maison familiale et à s'installer à Ngaoundéré. Elle eut la chance de trouver un emploi comme temporaire à la Délégation Provinciale de la Pêche et de l'Élevage. Avec son salaire de 25 000 f.cfa, elle rentra voir sa mère au village trois mois plus tard. En lui remettant quelques économies qu'elle avait réalisées (80 000 f.cfa), elle lui demanda de commencer un petit commerce pour survivre. Cependant, sa fille aînée retourna sur Ngaoundéré avec ses autres frères et soeurs. Au départ, dit-elle, elle voulait faire la navette sur Kribi afin d'acheter du poisson et le revendre au village. Mais elle se dit que ce serait désastreux pour les enfants d'être à Ngaoundéré, le père lui au Centre et la mère entre le Sud et le Centre. Elle prit donc la décision de les suivre à Ngaoundéré.

Arrivée à Ngaoundéré en 2000, elle se consacre d'abord à la vente de bananes pour nourrir ses enfants. Tous les jours dit-elle, elle quittait de Bamyanga où elle s'était installée et se rendait au carrefour Banane à la gare. Avec un capital de départ de 2000 f.cfa, elle achetait un régime de la banane qu'elle dépeçait et, sur un plateau qu'elle transportait sur la tête, proposait sa banane le long de la route du retour pour Bamyanga. Avec le bénéfice de ses ventes, elle augmentait petit à petit son capital. 500 f.cfa étaient utilisés pour la nutrition. De 2000 f.cfa, elle est très rapidement passée à 3500, puis 7000 f.cfa. Après deux ans passés à pratiquer cette activité, son fils aîné lui conseilla de faire des beignets de maïs, au lieu de continuer à jeter la banane invendue, qui de surcroît ne pouvait être conservée longtemps en raison du climat chaud. Malheureusement, elle ne savait pas les faire. Elle commença petit à petit à en faire tout de même. Lorsqu'elle revenait de la gare, elle ne jetait plus la banane mais préparait des beignets qu'elle vendait aux élèves qui rentraient des classes. À sa grande surprise, le commerce des beignets se déroulait sans problèmes, et ceux-ci étaient appréciés par les clients. C'est une de ses connaissances, un médecin, qui lui donna l'idée de développer ce commerce, et d'aller s'installer en ville. Mais avant de le faire, elle demanda conseil à une cousine installée dans la ville de Ngaoundéré, sur la manière de confectionner et de bien préparer ces beignets tant prisés et dont l'ingrédient principal est la banane. Maîtrisant l'art des beignets de maïs, elle vint donc s'installer au quartier Onaref, derrière le Lycée Classique et Moderne.

C'est d'abord devant le chez elle qu'elle installe son foyer pour la cuisson des beignets. Mais, elle constata que le marché était stagnant. Or, à quelques lieux de son domicile, il y a une série de bars (au carrefour Onaref), qui représente aussi une chance du point de vue de la clientèle. Elle vint rencontrer, pour obtenir un espace de travail, le chef de ce bloc, M. Abdoulaye, propriétaire du bar éponyme au quartier Onaref, devant lequel elle eut le droit d'installer son foyer de cuisson de beignets.

Photo 11 : Mme Ngan dans son "bureau" au quartier Onaref, aidée par son fils Prado qui sert le haricot

Prise de vue : Owona, le 02 septembre 2009.

Aujourd'hui, aidée très souvent par l'un de ses fils (Prado) ou sa fille (Nyango) pendant les vacances, et par une de ses nombreuses cousines pendant les jours de classe, elle vend des beignets de maïs et de farine de blé, accompagnés du haricot et de la bouillie.

Mme Ngan commence son travail vers 12h. En effet, il s'agit d'abord de préparer les différents mélanges, l'installation au lieu de vente est à 16h généralement et les premiers clients sont reçus vers 17h. La vente se déroule jusqu'à 22h, quelque soit la qualité du marché. Les quelques problèmes rencontrés par elles sont les réclamations des clients, les intempéries, les jalousies des autres vendeuses de plus en plus nombreuses (en face de la Cathédrale, en face du Complexe Marhaba, au Carrefour An 2000...). Aujourd'hui, cette femme, veuve depuis quatre mois, n'a aucun regret. Elle a pu élever ses enfants, elle loue une grande maison très moderne et parvient à subvenir à tous ses besoins. La migration à Ngaoundéré s'est bien déroulée. Elle encourage même ses soeurs à quitter les grandes villes que sont Yaoundé et Douala où le travail devient de plus en plus difficile à trouver, et à se reconvertir dans les petits métiers qui rapportent dans les autres villes.

Photo 12 : Un restaurant de trottoir devant la société HYSACAM

au quartier Tongo Pastorale de Ngaoundéré.

Cliché : Owona, le 21 août 2009.

Mais le secteur de l'agroalimentaire ne se réduit pas à la vente des beignets dans la nuit. Il s'étend aux restaurants de trottoirs où quelques jeunes hommes vendent du lait, du thé, du pain, des oeufs...Ces restaurants de trottoirs se rencontrent essentiellement dans l'ancienne cité (Carrefour Texaco près du Grand Marché, à Tongo Pastorale en face de la société HYSACAM) ; mais aussi au Centre Commercial (en face du jardin public, et en face du cinéma Adamaoua). Ces restaurants sont tenus par des musulmans originaires de Ngaoundéré, pour ceux dans l'ancienne cité, et du Grand-Nord pour le reste.

Les ressortissantes du Grand-Nord se sont aussi spécialisées dans la vente du bili bili, sorte de boisson traditionnelle faite à base de mil. Cette boisson est introduite dans la ville de Ngaoundéré avec les Laka, capturés dans les conquêtes foulbé. Elle sera par la suite vulgarisée par les Toupouri, dont l'installation dans la ville remonterait aux années d'indépendances. Les premières fabricantes de bili bili sont les femmes des militaires. Il apparaît que c'est justement dans ce quartier qu'en 1965 commence la commercialisation de des boissons traditionnelles que sont : afouk, ngboryanga, arki, nkpata, hankoua, ou kouri, ceci dans quatre domiciles privés245(*). La production n'a cessé de croire depuis 1970, en la faveur du flux migratoire des populations du Nord et de l'Extrême-Nord. Ajoutons à ces populations celles du Tchad qui viennent accroître le nombre de vendeuses de bili bili dans la ville à partir de 1979. Ainsi, de plus en plus de femmes se consacrent à cette activité au point où une rue au quartier Joli-Soir s'est transformée en un véritable repère de cabarets. Ceux-ci se reconnaissaient au « drapeau rouge ou par une bouteille remplie d'eau au dessus de laquelle sont placées des fleurs marguerites 246(*)»

La nuit dans ces cabarets traditionnels peut être considérée comme un moment de rencontre entre les différents consommateurs de la ville. Il existe de plus en plus de cabarets. En plus de ceux déjà présents à Joli-Soir, on en trouve aussi à ONAREF (derrière la Cathédrale Notre Dame des Apôtres), où on peut aussi consommer du vin de palme ; à Socaret ; Sabongari Norvégien ; Burkina et Gadamabanga.

Ces points de vente ont connu une certaine évolution depuis 1965. En effet, face à la recrudescence des points de vente de boissons traditionnelles, les autorités procèdent en 1987 à un deuxième tracé du quartier Joli-Soir. Ce tracé contribue à aérer un quartier qui devenait de plus en plus exigu pour la population qui était installé et pour les consommateurs dont le nombre ne cessait d'augmenter. À cette nouvelle répartition s'ajoute une volonté de réglementer le commerce des boissons. De nouveau quartier sont créés et les Mboumpana s'installent à Onaref, Burkina et Marza247(*). Dès lors, la vente se fait en fonction des jours de commerce et des prix consensuels. Les brasseuses quant à elles s'organisent en groupe de quatre pour louer des locaux commerciaux et arrêter de vendre de l'alcool dans leurs domiciles. Il faut noter que cette mesure n'a pas vraiment eu l'effet escompté, puisque plusieurs femmes ont continué à vendre dans leurs domiciles et les jours de vente n'ont été respectés que quelques temps. Aujourd'hui, la vente de boissons traditionnelles se fait tous les jours et toutes les nuits, dans les domiciles privés ou dans des locaux que louent les vendeuses. Elle commence vers 8h et s'achève à la fin du fût de vin, environ entre 21h et 23h. La location des locaux peut se faire à hauteur de 2000 f.cfa par jour auprès d'une tenancière248(*). Pour la vente de bili bili, elle se fait deux jours par semaine en raison de la complexité de la préparation. Pour palier au manque à gagner des autres journées, les vendeuses se mettent en répartissent les jours de sorte que chacune aie un jour de vente249(*).

Dans les cabarets, on retrouve essentiellement des femmes comme brasseuses. Elles sont plusieurs par cabaret et s'organisent selon des systèmes de rotation de vente. Contrairement aux domiciles où les propriétaires sont autonomes, les cabarets fonctionnent avec une tenancière principale du lieu de vente qui se fait assister de 3 ou 4 brasseuses. Et c'est auprès de la tenancière qu'elles reversent leurs contributions quotidiennes. Toutes ces femmes sont réunies en différentes tontines selon les quartiers et les communautés ethniques. La solidarité entre les brasseuses s'exprime dans les cas où les clients consomment sans payer, ou lorsque les prix du mil sont trop élevés. Mais, dans certains quartiers tel que Joli-Soir, on retrouve très souvent dans le même secteur plusieurs cabarets. Cet état de chose fait souvent naître des jalousies.

Les problèmes rencontrés dans les cabarets traditionnels sont les bagarres, les règlements de compte entre clients qui peuvent souvent exposer la vie des vendeuses. Ainsi, ces lieux sont de véritables milieux d'insécurité où "tout peut arriver". Il faut noter les risques d'empoisonnement pour le client. Celui-ci, sous l'effet de l'alcool peut perdre tout contrôle. Il se désinhibe et peut traiter la vendeuse de manière inconsidérée. Face à cela, nous ne devons pas exclure la responsabilité des vendeuses elles-mêmes qui sont très souvent des femmes libres. Si les consommateurs se rendent dans les cabarets à la recherche d'une compagne pour la nuit, ils savent pouvoir en négocier le prix autour d'une calebasse. Les exploitantes de cabarets se livreraient donc à la débauche dont les revenus sont plus importants que dans la vente de la boisson250(*).

Photo 13: Des cabarets de vente de bili bili au quartier Joli Soir. On peut remarquer quelques clients au fond à droite et, un peu plus en avant les fûts qui servent à la préparation de la boisson.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

La prostitution ne cesse de se développer dans l'univers des débits de boissons traditionnelles. En effet, il est à noter qu'il se développe depuis quelques années le "pari-vente". Il consiste en l'organisation d'un bal nocturne payant, où sont invités des consommateurs nantis et des femmes choisis en fonction des affinités qu'ils entretiennent, certaines peuvent aussi être ciblées par les clients eux-mêmes. Ce sont généralement des moyens pour permettre à ces personnes d'avoir une occasion de se retrouver en dehors de leurs foyers conjugaux par exemple. Les boissons vendues à ces occasions sont de tout genre, et les prix de celles traditionnelles sont doublés. Certains témoignages recueillis au quartier Joli-Soir où ces rencontres sont organisées révèlent que certains des couples se livrent à des rapports sexuels dans les coins obscurs du quartier.

À l'observation, on constate que le secteur agroalimentaire est celui qui emploie le plus de personnes de nuit dans la ville de Ngaoundéré. En plus des vendeuses de beignets et des brasseuses de boissons traditionnelles, nous pouvons y ajouter les vendeuses de poissons à la braise, d'arachide, de fruits251(*), les vendeurs de soya252(*), de porc.

Un commerce se développe de plus en plus dans la ville de Ngaoundéré, celui des soyas de foetus de vache. Pourtant prohibé, ce commerce est l'apanage des ressortissants de la région de l'Extrême-Nord, qui se sont majoritairement investis dans la vente des soyas et des brochettes de viande dans la ville comme nous l'indique le tableau en dessous.

Années

Origine

Des rôtis-

seurs

1970-1976

1976-1982

1982-1988

1988-1994

1994-2000

2000-2006

Années de création non maîtrisées

Fréquence (%)

Total

Montagnards

-

1

1

1

7

8

12

81,58

31

Autres ethnies camerounaises

2

-

1

-

1

1

1

13,16

5

Ethnies non camerounaises

-

-

-

1

-

-

1

5,26

2

100

38

Tableau 2 : Évolution du nombre de rôtisseries par groupe ethniques à Ngaoundéré253(*).

Dans les premières années de la vente du soya par les "immigrés" des monts Mandara à Ngaoundéré, ils se heurtent aux problèmes d'ordre religieux. Ceux-ci ont amené beaucoup de Montagnards à s'islamiser, plus par réalisme économique, dans un contexte de forte influence islamique, que par leur propre gré. L'exemple typique de feu Sani d'origine Mafa semble justifier ce point de vue. Sani qui arrive à Ngaoundéré dans les années 1980 est un Mafa qui respecte les us et coutumes qui lui ont été inculqués par ses parents. De ce fait, Sani se devait de continuer avec la religion des Mafa qui, pendant longtemps, ont fui les plaines pour aller trouver refuge dans les massifs de Mandara pour pouvoir garder leur culture, et surtout ne pas s'islamiser et être gouvernés par les Foulbé 254(*). Mais le désir d'améliorer son statut social à travers la vente du soya dans une région où les clients sont à majorité musulmans l'a amené à s'islamiser.

Le commerce des foetus de vache se passe donc dans la clandestinité, au profit de la nuit et surtout du manque de vigilance des acheteurs, parmi lesquels bon nombre ne sait pas ce qu'il achète. Lorsque vous demandez de quoi il s'agit, le vendeur vous répond promptement que ce sont les « tripes ». Le foetus n'est pas une viande à maturité d'une part, et d'autre part, dans un contexte islamique, il est interdit pour le musulman de manger tout animal mort naturellement, y compris l'animal étouffé, assommé, mort à la suite d'une chute ou d'un coup de corne, ou qu'un fauve a dévoré 255(*). Dès lors, il est logique que ce commerce se passe essentiellement dans les quartiers hors de l'ancienne cité (Joli-Soir, Baladji I ou en face de la boutique NZIKO au Centre Commercial). Toujours devant les bars, les consommateurs d'alcool, qui représentent la clientèle principale, prétextent que la forte teneur en graisse de ces foetus permet d'éviter l'ébriété.

Photo 14 : Point de vente de soyas de foetus de vaches au quartier Joli-Soir.

Cliché : Tanlaka Kilian Lamtur, Tirga Albert et Gnebora Oumarou, le 26/12/05.

7. Les "call-box"

L'activité du taxiphone ou "call box", selon l'expression rendue populaire au Cameroun, prend son envol pour des raisons économiques. La téléphonie mobile qui arrive à peine dans ce pays à la fin des années 1990, n'était pas à la portée de tout le monde et les communications coûtaient encore plus chères (environ 1000 f.cfa. la minute d'appel selon l'opérateur). Pour pallier à cette situation, ce sont les opérateurs de téléphonie mobiles eux-mêmes qui ont l'idée des call box. Aujourd'hui dans presque toutes les grandes villes et même les villages, les jeunes opérateurs économiques en ont fait tout un métier. Ils se font appeler call boxeur ou call boxeuse. Ainsi, parmi les activités du secteur informel les plus en vue actuellement au Cameroun figurent en bonne place les call box. Cette activité occupe de milliers de jeunes. Le moins que l'on puisse dire est que les call box ont le vent en poupe. Les call boxeurs et call boxeuses rencontrés au cours de nos enquêtes de terrain, disent gagner dignement leur vie grâce à ce métier.

Pour Viviane, une call boxeuse au Centre Commercial de Ngaoundéré depuis 2007, « c'est à cause du chômage que je fais ce métier, le monde de l'emploi est tellement difficile surtout que tu peux travailler pour quelqu'un aujourd'hui et demain il te met à la porte ou alors l'entreprise peut faire faillite. Ici je suis ma propre patronne et je ne me plains pas 256(*)». Pour monter sa petite entreprise il lui a fallu trouver une somme de 100 000 f.cfa. une table, un tabouret et un banc pour ses clients, deux téléphones portables ayant chacun une puce commerciale de l'un des opérateurs de mobile en activité au Cameroun. À cela, il faut ajouter un crédit de communication d'au moins 30.000 f.cfa. Elle tient également un cahier pour noter les différents appels émis par les clients et le montant payé par ceux-ci. Ainsi, elle travaille de 8h à 15h, et de 17h à 23h. Si au départ les coûts des appels étaient fixés à 250 f.cfa., ces prix ont été revus à la baisse. Aujourd'hui un appel émis (de 0 à 59 secondes) coûte 100 f.cfa, voire 75 f.cfa. Ces prix subissent des mutations à cause de la concurrence.

L'avantage à Ngaoundéré est que les opérateurs de call box ne payent pas la taxe de l'Occupation Temporaire de la Voie publique (O.T.V.P.) aux services de la communauté urbaine comme cela se fait à Yaoundé par exemple à hauteur de 2000 f.cfa par mois. Elle avoue donc que chaque jour, elle peut faire un bénéfice de 2000 francs, ce qui revient à 60 000 f.cfa par mois. Certains call boxeurs, les plus futés vendent également d'autres accessoires comme les cigarettes, les bonbons, les arachides, les caramels etc.

Quelques mètres plus loin, nous retrouvons les mêmes installations, mais l'acteur cette fois est un jeune homme, la trentaine bien entamée. Pierre a ouvert son « entreprise » après s'être essayé à plusieurs autres petits métiers. « Lorsque j'ai eu un peu d'argent, j'ai pensé à ouvrir un call box que je devais gérer moi même pour pouvoir gagner ma vie 257(*)» se souvient-il. Pierre résume l'essentiel de son activité en quelques phrases : « les clients appellent à partir de mon téléphone. La minute d'appel coûte 100 Francs CFA. Je vends également des cartes de recharges téléphoniques et je fais des transferts de crédits d'appel de mon téléphone vers celui du client ». Pour une durée équivalente, un appel passé à partir d'un téléphone classique coûte entre 150 f.cfa et 250 f.cfa en fonction de l'opérateur et des options d'appel choisis. Pour pouvoir pratiquer de tels tarifs, Pierre comme d'autres gérants de call box achète des cartes téléphoniques à des prix préférentiels et bénéficie ainsi de minutes de communications gratuites. Pour un crédit de communication de 5.000 f.cfa acheté, il reçoit l'équivalent de 9.000 f. L'investissement de Pierre porte des fruits. Les bénéfices tirés de cette activité lui permettent de se loger et de payer les frais de scolarité de sa fille et de ses frères.

L'activité de ce jeune nécessite toutefois de l'endurance et de la patience : « je travaille tous les jours de 7h à 21h parfois 22h. Je peux même dire que je ne me repose pas vraiment car même à la maison, mes voisins viennent cogner à ma porte après 22h pour passer des appels urgents.» Il faut dire qu'il est Gbaya de Garoua Boulaï. C'est en 1997 qu'il arrive à Ngaoundéré, nanti d'un probatoire. Face à la situation difficile du monde du travail, il est passé par le métier de mototaximan, ensuite de veilleur de nuit. Mais à chaque fois, il se sentait exploité par ses patrons. Pour la moto, il n'était qu'intérimaire, c'est-à-dire qu'il remplaçait de temps en temps un de ses cousins installé dans la ville. Cela à l'insu du propriétaire de la moto.

Ce qui a conduit à des problèmes qui ont bien failli les mener son cousin et lui en prison. En qualité de veilleur de nuit, il gagnait à peine 15 000 f.cfa pour un métier dont les risques ne sont pas à préciser dans une ville où l'insécurité est grande. Ainsi, avec le peu d'argent qu'il avait réussi à économiser, il a pu mettre sur pied sa petite entreprise en 2005. Depuis, il a fait et réussi le concours de l'École Normale des Instituteurs de l'Enseignement Général (E.N.I.E.G.). Sa formation a pris fin cette année, et maintenant, il est dans l'attente de l'affectation, qui très souvent arrive après un an que le nouvel instituteur soit sorti de l'école de formation. Pour ne pas avoir à mourir de faim, il est retourné sur le trottoir, plein d'espoir en l'avenir.

Les problèmes rencontrés par Pierre sont communs à la plupart des call boxeurs de la ville. La gestion des humeurs des clients pose toujours problème. Il y en a qui, à la fin de leurs appels se rendent compte qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour régler leur facture et veulent s'enfuir. D'autres qui refusent de payer parce que l'appel a été transféré sur un répondeur ; ceux pour qui le gérant est responsable des problèmes de mauvaises communication ; ceux qui composent un mauvais numéro de téléphone et refusent de payer la communication ; et même ceux qui tentent de s'enfuir avec le téléphone du gérant du call box. Ce dernier problème explique la qualité souvent médiocre du téléphone utilisé par les call boxeurs. Dans un cas comme dans l'autre, Pierre utilise tous les moyens possibles pour rentrer en possession de son argent y compris ses poings. À tout cela, il faut ajouter les intempéries et les agressions. Viviane avoue avoir été un jour surveillée par deux bandits qui, la nuit quand elle rentrait, l'ont suivie et agressée. Ils lui ont pris tout son argent et ses téléphones. À ce moment-là, elle exerçait au quartier Baladji II. Elle a été obligée de déplacer son activité au Centre Commercial. Elle précise qu'elle a eu beaucoup de chance d'avoir été secourue lorsqu'ils ont essayé de la violer. Mais les bandits n'ont jamais été arrêtés.

8. Les vendeurs ambulants

Les colporteurs se définissent comme étant des marchands qui vont de place en place pour proposer leurs marchandises. Cette activité n'est pas récente dans la ville de Ngaoundéré, elle existait déjà bien avant l'arrivée des Allemands et était l'apanage des Kanouri et de Haoussa. Avec la crise économique qui touche le Cameroun depuis la fin des années 1980, les bouleversements sociopolitiques des années 1990 et la récession plus récente des années 2000, cette activité emploie de plus en plus de monde, des jeunes et des moins jeunes venus d'horizons divers. Il est assez difficile de dire aujourd'hui que le colportage concerne une seule ethnie. On y retrouve des Sudistes, des Nordistes, des étrangers (Centrafricains, Nigériens et quelques ressortissants de l'Afrique de l'Ouest).

Ces personnes commencent leurs activités très tôt le matin, et s'arrêtent vers 19h-20h. Les produits souvent proposés sont des chaussures, des compacts discs (C.D.), des vêtements, des montres, des fers à repasser, des ustensiles de cuisines, des médicaments...

Les vendeurs de médicaments par exemple commencent la vente de leurs produits au carrefour Texaco en journée, et lorsque vient la nuit, se retrouvent au carrefour Jean Congo où ils peuvent vendre jusque très tard dans la nuit 21h ou même minuit en fonction de l'affluence dans le secteur. Ils proposent des médicaments divers, sans que le client n'ait besoin de présenter une quelconque ordonnance. Généralement peu instruits, ils ne savent que rarement quelle est la posologie des médicaments qu'ils vendent. Renommés par les populations « les pharmaciens des pauvres », ces vendeurs ambulants de médicaments proposent aussi des stupéfiants tels que le Tramol et ses variantes ; le Diazépam ; l'Exol 5 ; la Passion... Si l'activité s'est autant développée en peu de temps c'est aussi en raison du coût élevé des produits en pharmacie. Par ailleurs, ces dernières ne vendent pas en détails, on ne peut y acheter un unique comprimé de Paracétamol, il faut acheter une dose pour un traitement, c'est-à-dire à partir de la dizaine. Dès lors, les "pharmacies ambulantes" deviennent des solutions de repli. En raison du poids assez élevé de leurs marchandises, les vendeurs de médicaments ne se déplacent pas beaucoup, contrairement aux autres colporteurs.

Photo 15: Vendeurs ambulants de médicaments au carrefour Jean Congo au quartier Joli Soir.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

Dans la nuit, ce sont les bars qui sont la cible de ces vendeurs grâce aux flux de clients potentiels qu'ils génèrent. Les colporteurs, sur le chemin du retour après une journée passée à sillonner les quartiers et à écumer les marchés, passent de bars en bars pour proposer leurs marchandises. Les clients des débits de boissons peuvent aisément discuter le prix d'une paire de chaussures ou d'une montre à une somme qui aurait été le double pour le même produit dans une boutique. On peut ainsi acheter un fer à repasser à vapeur à 6000 f.cfa, alors qu'en journée, le vendeur vous le proposerait à 18 000 f.cfa. Cela s'explique dans la mesure où, le soir venu, les vendeurs ont en idée de rentrer chez eux. Après les fortunes diverses rencontrées en journée et la fatigue accumulée, il s'agit de trouver quelque chose pour ne serait-ce que nourrir la famille, payer le loyer ou la scolarité. Les prix de vente ne sont donc plus très élevés et l'objectif est de retrouver le prix d'achat et un bénéfice de 500 f.cfa par exemple. Si on les retrouve un peu partout dans la ville, aux endroits les plus bruyants, certains se déplacent en groupe, soit pour plus de sécurité, soit pour l'initiation des nouveaux arrivants. Beaucoup se retrouvent aussi à la gare-voyageurs au départ du train.

9. Les activités à la gare ferroviaire

Depuis sa création en 1974, la gare ferroviaire de Ngaoundéré est divisée en deux partie : l'une pour les marchandises et l'autre pour les voyageurs. En ce qui concerne la gare-voyageurs, les activités y ont toujours été interrompues dès 18h. Or, la gare-voyageurs fonctionnait jusqu'à 20h20 min, heure de départ du second train quotidien258(*).

En fonction des gares, des marchés se sont aussi mis en place. Celui de la gare marchandise se trouvait aux abords du bureau de la douane, sur le terrain de la REGI.FER.CAM. On pouvait trouver des restaurants, des boutiques, des téléboutiques, des débits de boissons, des ateliers de coutures ou de blanchissage. En effet, les services proposés sont fonction du type de clients auxquels on a affaire. Il s'agit pour l'essentiel, des camionneurs Tchadiens en transit, les manutentionnaires, les employés des sociétés de transit et des personnes venues de la ville. C'est en 1984 que ce marché est reconnu par les autorités municipales et reversent des droits à la commune. Ils sont ainsi relogés à l'ouest de la gare marchandises, de l'autre côté de la route, sur un terrain appartenant à la commune259(*). Les activités ici commencent à 6h et s'achèvent vers 18h. Dans la nuit, cette gare devient un véritable repère de bandits, que côtoient les enfants de la rue. Il est donc compréhensible que cet endroit soit un lieu de recrutement pour les gangs de la ville. Il faut tout de même signaler que certains blanchisseurs y passent parfois la nuit afin de terminer un travail urgent qui aurait été proposé par un camionneur pressé par le temps.

Un peu plus loin, se déploie la gare-voyageurs. Avant la décision de la CAM.RAIL. de réduire à un seul voyage quotidien les déplacements du train, la gare connaissait une grande effervescence à partir de 17h, heure à laquelle les voyageurs et leurs familles commençaient à arriver pour attendre le train. Cet afflux de clients a permis le développement de petits commerces dont la clientèle est constituée de cheminots, d'agents de sécurité et de policiers, d'agents de sociétés de transport, de manutentionnaires, de passagers, de visiteurs, et même de personnes venus de la ville juste pour profiter de l'ambiance que suscite la masse de personnes ainsi rassemblées.

Ces activités commerciales aident bien des familles à subvenir à leurs besoins quotidiens. On retrouve en plus de ces petits commerces (restaurants, boutiques, débits de boissons), des taxiphones, des vendeurs de soya, des vendeuses de poissons à la braise, d'eau, de chaussures, que l'on rencontre même à l'intérieur du quai d'embarquement. Ces activités se sont développées en face du bâtiment principal de la gare-voyageurs, et forment par leurs baraquements, une ligne. Elles sont reconnues par la commune à qui les gérants reversent annuellement des frais d'installation. Cependant, cette mesure ne s'applique pas aux marchants ambulants qui y évoluent de manière informelle.

Dès le départ du train, les activités s'arrêtent et tout le monde se dirige vers la ville. Le poste de police et quelques veilleurs de nuit assurent la sécurité ici. Mais, avec le départ du train désormais fixé à 18h 15 min, les activités à la gare-voyageurs s'arrêtent plus tôt et il ne reste plus pour les commerçants, que l'espoir d'un départ retardé ou un déraillement qui cloueraient les voyageurs sur place. Cette situation arrive assez souvent. Nous pouvons ainsi nous rappeler des évènements récents en fin août et pendant le mois de septembre, évènements consécutifs au déraillement qui eut lieu à l'entrée de la ville de Yaoundé, et dont les conséquences se firent ressentir jusqu'à Ngaoundéré.

Pendant cette période, le train partait de la gare vers 1h du matin, parfois 4h. Ce qui avait pour effet d'obliger les voyageurs à rester sur place. La situation était telle que si un voyageur s'en allait il courait le risque de perdre sa place ou tout simplement de rater le train. Le nombre de wagons avait été réduit et la vitesse des trains baissée au minimum afin d'éviter tout risque. Ces retards, qui n'ont pas commencé cette année, expliquent en grande partie le développement du secteur agroalimentaire. On y retrouve essentiellement des femmes, venus pour la plupart du Sud du pays, par le train qui les fait vivre aujourd'hui. Nous pouvons ainsi citer Mâ Pau, femme Nanga Eboko d'une quarantaine d'années, qui tient un restaurant dans un des hangars de la gare-voyageurs.

Arrivée à Ngaoundéré depuis une vingtaine d'années, elle s'est installée à la gare et loue une maison à Sabongari. Dans son restaurant, qui jouxte l'avant-dernier bar en allant vers l'Est du marché, elle vend du poisson, du poulet, de la viande de brousse (malgré les interdits de la CAM.RAIL. à ce propos). Les prix varient entre 1000 f.cfa et 1500 f.cfa en fonction du mets. De temps en temps, elle se fait aider par une de ses nièces, venue du village pour cette fin. Pour elle, les déraillements sont une aubaine commerciale. Certes c'est dangereux, mais précise-t-elle, « ce n'est pas de sa faute »260(*).

Malheureusement, on peut aujourd'hui se faire dérober facilement le porte-monnaie, le téléphone portable ou tout autre objet précieux. Tout cela peut être imputé à la crise économique qui provoque un exode rural massif. Si les garçons se muent en voleurs, les jeunes filles quant à elles font du commerce du sexe leur principal gagne pain.

10. Le commerce du sexe

Avec l'indépendance, la prostitution est purement et simplement réprimée par la loi, à travers les articles 294 et 343 du code pénal camerounais entre autres. Dans une ville où les lois islamiques et la tradition sont aussi dominantes que dans la ville de Ngaoundéré, il était presque inadmissible de parler ou de pratiquer vertement la prostitution. Elle se pratiquait donc de manière très discrète. Parfois sans rémunération en argent, puisque les clients offraient essentiellement des cadeaux en nature, pagnes par exemple.261(*) Mais, le commerce du sexe prend véritablement de l'ampleur avec l'arrivée des étrangers dans la ville de Ngaoundéré, principalement des Bamoun et la création du quartier Baladji. Elles passent pour être les premières à avoir ouvert des circuits où elles vendaient des boissons alcoolisées, des mets et bien sûr leurs corps dans ce quartier.262(*) Il faut pourtant attendre l'inauguration et la mise en service du chemin de fer Transcamerounais pour que l'activité prenne l'allure que nous lui connaissons aujourd'hui.

Plusieurs raisons expliquent le fait que ce commerce se soit autant développé au fil des années. Tout d'abord, il faut dire que la prostitution la plus flagrante se développe dans des quartiers cosmopolites où l'on retrouve plusieurs groupes ethniques et plusieurs nationalités (Baladji I et Joli-Soir en sont des illustrations patentes). Ensuite, dans ces zones, il prospère des débits de boissons, que les boissons soient modernes ou traditionnelles. Le dicton ne dit-il pas que Bacchus mène à Venus ? On retrouve parmi les personnes pratiquant l'activité de prostituées, plusieurs nationalités, camerounaise, nigériane, centrafricaine, tchadienne. Parmi les camerounaises recensées au cours de nos descentes sur le terrain, on peut énumérer certains groupes ethniques les plus représentés à savoir : les Makia, des Nanga Eboko, et les Kaka. Leur grand nombre peut se comprendre par le taux d'alphabétisation très bas dans la province de l'Est, le plus faible du pays.263(*) Il apparaît en effet que la majorité des prostituées issues de cette région a un niveau intellectuel qui, très souvent, ne dépasse pas le primaire. L'autre raison motivante est le niveau de vie des populations dans cette zone, très bas. La région de Ngaoundéré représente ainsi une sorte non pas d'Eldorado, mais de tremplin vers un avenir un peu plus radieux. Il ne faut sans doute pas négliger l'impact du chemin de fer qui passe par Belabo et Nanga Eboko. Ces deux gares intermédiaires facilitent les déplacements de la population qui, généralement ne paye pas les frais de transport, au profit d'un «arrangement à l'amiable» avec le contrôleur.

On retrouve aussi d'autres groupes ethniques dans ce melting pot d'individus, les Béti en général, les Bamiléké, les Bamoun, et aujourd'hui, il serait difficile de faire l'exclusion d'une ethnie en particulier, tant il est vrai qu'on les retrouve presque toute. Au-delà des raisons déjà évoquées, nous pouvons y ajouter les mauvaises conditions de vie des populations qui n'ont pratiquement pas d'autre issue face à la pauvreté ambiante depuis les années 80-90. Avant cette période, les prostituées étaient essentiellement d'âge mûr. Aujourd'hui, l'âge moyen a considérablement baissé. Il n'est pas rare de retrouver de jeune collégienne de 13-16 ans à peine, se livrer à cette activité. Souvent pour nourrir une famille que le père a désertée et face à la maladie d'une mère, impuissante face à cette dégradation du corps de sa fille aînée.

Telle est le cas de Mélanie, élève au C.E.S. (Collège d'Enseignement Secondaire) de Sabongari, qui ne cache pas le fait qu'elle a deux noms, celui du jour et celui de la nuit, celui qu'elle nous donne, nous dit-elle, est celui de la nuit. Elle est âgée de 16 ans et tient un «comptoir» au carrefour de la joie à Joli-Soir. Son père s'en est allé lorsqu'elle avait l'âge de 10 ans, abandonnant une femme et quatre enfants. Sorti un matin, il n'est plus jamais revenu. Sa mère a dû pendant quelque temps se livrer au commerce des vivres, mais sans un véritable fond, elle a très vite baissé les bras pour se mettre au commerce du sexe. Atteinte aujourd'hui d'une maladie que sa fille n'a pas voulu préciser, elle ne peut continuer ses activités. C'est donc à sa fille, jeune Gbaya, que revenait la lourde responsabilité à 15 ans de s'occuper de la famille. Grâce aux multiples tontines (sorte de coopérative traditionnelle où on reverse et reçoit de l'argent selon une périodicité définie), qu'elle parvient, non seulement à nourrir la famille, mais aussi à les inscrire à l'école. Cette jeune fille, devenue femme avant d'avoir vécue l'adolescence, reconnaît néanmoins l'importance de l'école, pour que sa jeune soeur, âgée de 12 ans, ne suive pas ses traces et celles de leur mère.264(*)

En fait, le cas de la mère de cette jeune fille n'est pas isolé, la plupart des prostituées reconnaissent que c'est à la suite de l'abandon de leurs maris ou de divorce dont elles ne vous diront jamais les raisons exactes, qu'elles ont dû se plier à se commerce.265(*) Cette raison était déjà évoquée par Froelich : « La femme interrogée est d'origine peul ; elle est mariée, mais son mari est parti à Bangui depuis longtemps et n'a pas réapparu (c'est l'explication classique). »266(*) Il faut ajouter à tout cela le fait que les femmes déjà bien installées dans la ville et avec une clientèle régulière, font venir celles qui sont restées au village, soeurs, cousines...pour la même activité.

Le commerce du sexe n'exclut pas de religion. On retrouve parmi les prostituées toutes les obédiences. Il faut dire que les clients aussi sont de toutes les obédiences. En effet, la clientèle des prostituées est aussi variée que la population de la ville elle-même. On y retrouve toutes les catégories socioprofessionnelles. Seuls les expatriés «blancs» ne viennent pas à Baladji, préférant être «servis» dans leurs chambres d'hôtels ou d'auberges.267(*) Cette attitude met en exergue plusieurs formes de prostitution dans la ville de Ngaoundéré.

Dans cette ville, on peut tout d'abord citer les prostituées de la route, celles qui font le «trottoir» ou le «poteau» (expressions qui tiennent au fait qu'elles sont toujours soit au bord de la route, soit accoudées à un poteau électrique dans l'attente d'un éventuel client). Généralement, elles sont plusieurs à habiter dans une maison, où elles reviennent dans la nuit de temps à autre avec un client. Une fois la besogne terminée, elles sont payées et retournent au trottoir. On les retrouve au quartier Joli-Soir entre le Carrefour Gabriel et le Carrefour de la Joie, mais aussi entre le carrefour tissu et le Carrefour de la Joie, sans oublier qu'entre ce même carrefour jusqu'au carrefour à l'entrée sud du Petit Marché, on peut être accosté par une fille de joie à n'importe quelle heure de la nuit. Même si elles disent de prime abord que les prix pratiqués sont à partir de 1000 f.cfa, tout dépend en fait de l'aspect physique du client, de l'allure et de l'âge. Car, ce prix peut très vite dégringoler à 500 f.cfa, voire 300 f.cfa ou alors grimper jusqu'à 5000 f.cfa.

Photo 16 : Quelques prostituées dans la pénombre du bar "Carrefour de la Joie plus" au carrefour Jean Congo ; en par-dessus gris, on peut distinguer leur "protecteur"268(*).

Cliché : Owona, le 23 août 1009.

Ensuite nous avons celles qui louent des chambres dans des auberges et qui s'entendent pour une rémunération avec le propriétaire. A la fin de chaque mois, elles lui reversent des dividendes. Ces auberges de joie se reconnaissent assez facilement à la lumière rouge qui s'allume à l'extérieur à partir de 21 heures ou 22 heures. Il s'agit d'un code pour tout initié. Cette lumière vaut justement le surnom d'«ampoule rouge» à ces auberges. Toujours dans le même style, nous avons des prostituées employées dans des circuits. Elles y viennent pour la nuit, y ont une chambre et s'y installent. Elles sont sous le couvert d'une matrone, gérante et propriétaire, chargée de l'accueil et de l'orientation des clients, à qui l'on doit reverser la recette contre salaire et protection sociale. Un circuit classique est constitué d'un espace réservé aux consommateurs d'alcool, avec un bar attenant. Il est aménagé des espaces pour une certaine intimité des consommateurs tout à côté ; et enfin les chambres où se trouvent les filles de joie. Il faut, dans ce cadre, détenir à partir de 2000 f.cfa. Celles de cette catégorie, une fois le travail terminé vers 2 ou 3 heures du matin, selon les périodes, rentrent dans leurs domiciles, où elles avouent que leurs enfants ne savent pas ce qu'elles font pour les nourrir.

Photo 17 : "Ampoule Rouge" indiquant la présence d'une auberge au carrefour Tissu.

Cliché : Owona, le 23 août 2009.

Il y a à côté de ces prostituées, celles qui se font appeler elles-mêmes «poules de luxe», on ne les trouve pas à Baladji et s'adressent à une clientèle très sélecte. Elles sont en contact avec des hommes d'affaires, des administrateurs, en fait la haute société de la ville. C'est à elles que les hôtels font appel pour égayer les nuits des clients importants. Pour elles, les prix sont indéterminés, juste très élevés pour le Camerounais moyen, c'est-à-dire à partir de 10 000 f.cfa.

Citons aussi les «petites prostituées très embêtantes» (P.P.T.E.) comme on les appelle dans le milieu, et qui baissent gravement les prix de l'avis de Ma Henriette, qui se fait nommer ainsi à cause de son âge avancé, plus de 25 ans de «service» à son compteur. Ces P.P.T.E. sont en général des étudiantes, des élèves et des nigérianes. À cause de leurs corps encore très avantageux, elles ravissent toute la clientèle en mal de chair fraîche.

Enfin, il s'est développé une forme de prostitution assez hypocrite qui se cache sous le couvert de la vente ambulante de produits alimentaires. Certes celle-ci est essentiellement diurne, mais il s'agit du même vice. Les prostituées, pour se protéger, peuvent faire recours aux services d'un protecteur (voir photo 17) ou simplement user de la solidarité qui existe entre elles, lorsque l'une est en danger, elle crie et toutes les autres viennent à son secours, ce cri est strident, comparable aux youyous des peuples de la Région du centre Cameroun.

IV. TOPONYMIE DES LIEUX D'ACTIVITÉS DE LA NUIT

La toponymie est la science qui étudie les noms de lieux (toponymes). Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, mais aussi leurs transformations au fil des siècles269(*). Le mot toponymie est étymologiquement grec, de topos qui signifie lieu, et onoma, qui veut dire nom. C'est donc une science qui a pour objet l'étude de la formation et de l'évolution des noms de lieux, ou toponymes. C'est également l'ensemble des noms de lieux d'un pays ou d'une région, d'une carte ou d'une nomenclature. Il est intéressant de jeter un regard sur les noms des lieux d'activités de la nuit. On constate qu'ils sont révélateurs de la personnalité du propriétaire, de l'emplacement géographique, du public cible et constituent la première publicité de l'établissement par leur suggestivité.

En observant attentivement la carte touristique (page suivante) de la ville de Ngaoundéré, on peut remarquer que la plupart des services publics sont situés au centre ville. Les bars, boîtes de nuit, restaurants modernes, et bars sont situés à l'extérieur de l'ancienne cité essentiellement. L'emplacement géographique influence le choix du nom donné à ces commerces en fonction de la clientèle susceptible de s'y récréer. Au Centre Commercial, les noms sont assez européanisés, en fonction des premiers propriétaires qui étaient soit Libanais soit Européens, et aussi à cause de la clientèle constituée des fonctionnaires de la ville, des hommes d'affaire, des administrateurs et des touristes.

On retrouve donc ici une clientèle assez selecte. Le nom du bar ou du restaurant doit donc être la marque du sérieux de l'établissement commercial. On peut ainsi citer les restaurants Coffee Shop, Delfood, les snacks bars restaurants Marhaba (nom arabe), La Plazza, Le Saphir, Adamaoua Loisirs. On peut aussi citer du côté de l'E.H.T. CEMAC à Socaret, le bar Climat d'Afrique. Ces bars et restaurants, de par leurs infrastructures attirent une clientèle importante parmi les personnes qui veulent se mettre à l'aise tout en parlant affaire, sans avoir à se mélanger à la "populace". Et les prix qui y sont pratiqués sont aussi un baromètre qui permet de tamiser les clients les moins nantis. Ceux-ci se retrouvent à Baladji I ou à Joli-Soir, où les noms sont l'expression du milieu mais aussi du type de services proposés.

Il est important de rappeler que les quartiers Baladji et Joli-Soir ont été fondés avec les différentes vagues migratoires qui ont vu s'installer les populations du Sud du pays dans la ville de Ngaoundéré. Ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de Joli-Soir était au départ le Camp Boucarou, l'occupation de cet espace est plus ancienne que sa dénomination. Il est habité par les Mboumbabal (Laka, Sara, Gambaï, Bumpana), le long de l'axe principal actuel du petit marché jusqu'au carrefour Aladji Abbo. C'est en 1962 qu'interviennent les premiers tracés de la route par la mairie, ce qui aura pour effet de faciliter l'installation de cet espace jusque là réservé au cimetière des non-musulmans.

À sa création, le quartier Joli-Soir est occupé par des populations sans grands revenus, il s'agissait de cultivateurs, de domestiques, de cuisiniers des Blancs. Pour subvenir à leurs besoins, ils encouragent leurs femmes à vendre des boissons traditionnelles. La commercialisation est encouragée par la levée des sanctions qui pesaient sur la vente d'alcool après les indépendances. Par ailleurs, le lamido n'avait plus le pouvoir d'arrêter les populations à sa guise. Dès lors, l'alcool coule à flots et les soirs sont marqués par des danses, des bagarres, le tout rythmé aux sons des tambours. Cette ambiance nocturne fera naître le nom Joli-Soir.

Du carrefour Mini Mode à Baladji I, en passant par le carrefour Gabriel et le carrefour Jean Congo jusqu'au carrefour Aladji Abbo, une longue série de bars vous accueillent et rendent presqu'impossible la démarcation entre Baladji I et Joli-Soir. Les deux carrefours les plus importants dans les activités de la nuit dans la ville étant Gabriel et Jean Congo.

Les noms de ces deux carrefours sont aujourd'hui de véritables énigmes. Pour certains, l'un des premiers habitants du coin s'appelait Gabriel, peut-être a-t-il été l'un des propriétaires des premiers bars dans le quartier. Pour d'autres, il s'agissait d'un Bamiléké éleveur de porcs. Cette deuxième explication nous semble assez plausible du fait qu'il s'est développé à cet endroit un commerce de viande de porc cuite à la vapeur et revendue à 500 f.cfa pièce. Aujourd'hui, l'autre nom donné au porc dans la ville est justement le Gabriel.

Pour ce qui est de Jean Congo, les supputations vont dans le sens de montrer que ledit Jean Congo était certainement cordonnier270(*). Tout compte fait, ce carrefour est aujourd'hui en train de prendre un autre nom : "carrefour de la joie plus". Cela s'explique en raison du bar qui y trône Le Carrefour de la Joie + ; le plus (+) parce qu'il est inspiré de celui très célèbre déjà existant dans la ville de Yaoundé. On y retrouve des vendeurs de nourriture, des prostituées, des mototaximen... à tel point que certains superstitieux du quartier en viennent à penser que les morts enterrés dans cet ancien cimetière reviennent à la vie tant l'embouteillage est grand et rend difficile la circulation même des piétons. Les autres bars environnants prennent des noms tout aussi significatifs en raison de la publicité.

À bien observer, on constate que le nom d'un produit est parfois l'une des premières motivations justifiant son achat. Pour les lieux d'activités de nuit, la règle est aussi respectée. À Baladji I par exemple, dans la rue qu'occupe les prostituées, entre le carrefour abritant la boutique Eurocasse et le carrefour Gabriel, on peut prendre une bière à String Bar, ou encore chez son concurrent d'en face Sans Caleçon Bar. Le dessin du caleçon qui accueille le client à la porte vient compléter un tableau déjà bien fourni par les différentes prostituées qui vous accostent à l'entrée. Ces bars sont peu éclairés à dessein, on peut y boire et continuer la soirée dans une des multiples chambres que louent les prostituées dans le coin.

Un peu plus loin dans une autre rue, on retrouve le Katino Bar, coin prisé par les jeunes élèves de la ville, qui y organisent assez souvent leurs fêtes de fin d'année. La location y est raisonnable, comparativement au Marhaba et au Boucarou. Le nom donné à se bar évoque celui de l'artiste musicienne K-Tino, dont la popularité en qualité de "femme du peuple" a été acquise grâce à ses prestations scéniques osées et à ses chansons dont le sexe est souvent le thème central. Les chansons à la mode inspirent nombre de propriétaires de débits de boissons. On peut ainsi retrouver le circuit Mami Frotambo, dont le nom est inspiré d'une chanson de l'artiste musicien Petit Pays, dont la popularité n'a d'égale que celle de K-Tino déjà citée, et pour les mêmes raisons.

Si le sexe et les musiciens sont dans cette partie de la ville les principales sources d'inspiration, la qualité de l'accueil est aussi utilisée. On peut donc voir par exemple Le Cercle des Amis Bar ou le Djabama (bienvenu en fulfulde), le premier à Baladji I et le second à Joli-Soir. Cet accueil, tous les établissements commerciaux la veulent unique, et se présentent souvent aux potentiels clients comme les seuls endroits où l'on peut se mettre à l'aise (Destination Bar ; Excellence Bar ; Coin de Détente ; L'Endroit Unique) ; ou comme les seuls capables de vous garantir la discrétion dans des lieux généralement plein de monde. Il ne faut pas négliger que ceux qui sortent la nuit ne veulent justement pas être vus.

Le nom de l'établissement commercial tient aussi compte de l'origine du propriétaire. Il ne faut pas mettre de côté le fait que certains clients choisissent le lieu où ils vont se récréer en fonction de l'origine du propriétaire. Nous pouvons ainsi remarquer le Bana Bar (au carrefour Gabriel), détenu par un ressortissant de Bana à l'Ouest ; le Sawa Bar (détenu par un ressortissant du Littoral (après le carrefour Jean Congo) ou encore le Danay Bar (Extrême-Nord). Les débits de boissons sans nom sont baptisés par les populations généralement du nom du propriétaire.

Au quartier Ndelbé, le tout premier bar qui y ouvre ses portes en 1989 est le Gaduuru Bar. En fulfulde, le terme gaduuru veut dire porc. Or, il se trouve que le propriétaire élevait justement des porcs. Réputé blagueur auprès des populations du quartier, il estimait être un musulman, de surcroît un Aladji271(*). Il sera donc surnommé Aladji Gaduuru. Plus loin dans le même quartier, on retrouve le Pentagone, propriété d'un colonel de l'armée de terre camerounaise. Le nom donné au bar rappelle celui du ministère de la défense américaine.

Au regard de ce qui précède, il apparaît que les noms sont choisis soit en fonction de l'emplacement géographique de l'établissement ; soit en fonction du type et de la qualité des services que le propriétaire proposerait, donc dans une utilité publicitaire. On pourrait aussi y voir l'expression des schèmes que les médias installent dans les consciences des consommateurs à travers la musique ou le cinéma. Et enfin en fonction de l'identification de l'établissement à son propriétaire, à l'instar des boulangeries (Helou, Dabadji, Seumetem) ou de l'origine tribale de celui-ci. Les noms font en grande partie la popularité des débits de boissons, au point où l'on peut s'en servir comme repères géographiques. Il y a ainsi une inter-influence entre les noms des quartiers et les noms des débits de boisson. Malheureusement, c'est aussi cette popularité qui attire les bandits.

CHAPITRE III : LES PROBLÈMES LIÉS À LA VIE DE NUIT ET LES ACTIONS DES AUTORITÉS

III. LES PROBLÈMES LIÉS À LA VIE DE NUIT

La nuit se révèle très souvent être un moment où tout est permis. En la faveur de l'obscurité qu'elle procure, les hommes sont enclins à se livrer à tous les excès. Cet état de chose a naturellement des conséquences allant de l'insécurité à la pollution, en passant par la drogue.

4. L'insécurité

C'est dans les années 1990 que la criminalité a véritablement pris une tournure critique dans la ville de Ngaoundéré272(*). En effet, les mouvements politiques qui ont lieu à la suite de la légalisation du multipartisme, trouvèrent ici un écho favorable. Ajoutés à la pauvreté et la sous-scolarisation de la jeunesse, l'exode rural et le manque de perspective d'avenir, la ville et ses environs deviennent donc de véritable lieu d'insécurité urbaine, qui ne laisse aucun cercle inviolé. Même les lieux de culte et les religieux sont aujourd'hui la cible des malfaiteurs. On peut se souvenir de l'assassinat d'Yves Plumey dans la nuit du 2 au 3 septembre 1991273(*).

Une précision est tout de même nécessaire, à savoir que le banditisme se présente de nos jours comme une alternative de métier. Si être bandit est un métier, ce que la société attend de ceux qui font ce choix c'est d'en :

Assumer les conséquences, même capitales, comme on en tire les dividendes, plus lucratives que la plupart des activités honnêtes. Tout ce que la conscience collective demande au bandit, c'est de mourir dignement, sans se renier, sans pleurs, sans suppliques. A titre posthume, son "courage" rejaillira sur ses proches parents qui, tout de même, auront compté dans leurs rangs un homme célèbre.274(*)

La criminalité évolue dans la ville, ce d'autant plus qu'il y existe ce que l'on pourrait appeler une culture du courage. « Pour ne prendre que la période postcoloniale, un rapide examen exhume des noms célèbres, intrépides. Ce sont très souvent des individus dont les personnes âgées parlent avec émotion, leur attribuant une certaine dimension chevaleresque. Autour de certains, se sont construites de véritables épopées, louanges à la gloire posthume d'hommes assurément exceptionnels 275(*)».

Cette vision des bandits ne peut qu'encourager les jeunes désoeuvrés, au nom de la loi devenue maintenant populaire : « vivre heureux et mourir jeune », puisque la mort est inévitable. Les actions des bandits sont malheureusement encouragées par les parents qui, conscients du fait que leur enfant est sans emploi, ne s'inquiètent pas de la provenance de ses revenus, ou tout simplement font mine de ne rien voir. Parfois, ils sont eux-mêmes dans la peur de la réaction de leurs fils, qui pourraient leur ôter la vie. Le travail de la Police n'es est que plus difficile. En effet, les parents et les habitants des quartiers ont tellement peur de dénoncer ces bandits, qu'ils connaissent pourtant très bien. Les représailles pourraient être très sanglantes.

L'action de la police est elle-même freinée par une implication de ses éléments dans le gangstérisme urbain. Tout récemment encore, dans la nuit du 19 au 20 janvier 2009 un cambriolage dans les locaux du commissariat central impliquait un inspecteur de police. Les bureaux du commissaire central et de son adjoint avaient été "visités". Le butin se constituait d'une somme de 4 pistolets automatiques, plus de 250 munitions et 408 000 f.cfa276(*). La mission d'enquête conduite par l'inspecteur N°3 à la délégation générale à la sûreté nationale et composée de deux éléments de la direction de la sécurité publique, quatre de la direction de la police judiciaire, et du groupement spécial d'opération a conduit trois jours durant les enquêtes en collaboration avec la division régionale de la Police judiciaire de l'Adamaoua. Des enquêtes qui avaient conduit à l'interpellation de neuf personnels de la sûreté nationale, tous de faction le jour du cambriolage.

À l'issue des enquêtes, huit des policiers gardés à vue ont été relâchés tandis qu'un inspecteur de police a été transféré à Yaoundé. Il s'agissait de l'inspecteur Mbarkao Mbanga Daniel. Par ailleurs, le scénario envisagé par l'enquête fait état de ce que le suspect qui était de service ce jour là, était de mèche avec les voleurs qui seraient venus de l'extérieur. En fait l'inspecteur Mbarkao Daniel aurait ainsi ouvert la porte de secours proche des bureaux cambriolés aux malfrats. Après ce forfait, il serait retourné distraire ses copains de garde qui se trouvaient à l'entrée principale. Le suspect aurait déserté son poste la nuit du cambriolage et serait revenu aux alentours de 02h du matin. Heure à laquelle l'on a découvert que la porte de secours était ouverte277(*).

Ce qui précède permet de constater que la police est malheureusement complice dans la montée du banditisme. Cependant, il faut dire que les grandes vagues migratoires dans la ville ne sont pas en reste. En effet, pour Mohammadou Djaouro278(*), il est maintenant impossible pour lui de reconnaître la moitié des enfants qui jouent devant sa porte, tant ils sont nombreux. Autrefois dit-il, la ville était petite et tout le monde se connaissait. On savait que tel jeune vient de Tongo ou de Bali. Mais cela est aujourd'hui difficile. Il précise aussi que les parents sont de plus en plus irresponsable te abandonne leurs enfants à la rue. Ceux-ci grandissent en s'éduquant eux-mêmes. Ainsi, ils commencent tous par se faire enfants de la rue où ils sont exposés à la drogue, et en la faveur de quelques passages en prison, ils se muent en véritables bandits279(*).

Pour Mme Ngodjock Bernadette, affectueusement appelée Mâ Berna', habitante du quartier Sabongari Gare, les nuits de pluies sont très délicates. Il faut dormir pendant cette période d'un oeil parce qu'à tout moment votre porte pourrait être cassée par un voleur. Au cours d'une nuit dit-elle, elle ne fut sauvée que parce que le bandit l'entendit causer au téléphone. Profitant des promotions faites par les opérateurs de téléphonie mobile pour les appels de nuit, elle causait avec sa fille. Aux sons des pas à l'extérieur, elle éleva la voix afin que l'intrus sache qu'elle était éveillée. Employée au collège Mazenod, cette dame, bassa et mariée à un bassa islamisé, a perdu son fils en 2008. Devenu bandit lui-même, il a été assassiné d'une balle dans la tête, apparemment par les autres membres de son gang.

Mais, l'usage des armes à feu dans les braquages et autres actes de banditisme est un phénomène assez récent. Bien avant les années 1990, on ne dénombre pas d'agressions avec usage d'armes. Les couteaux et les poignards apparaissent avec les mouvements politiques auxquels nous avons déjà fait référence, et la vulnérabilité des forces de police pendant cette période280(*). Ces outils, les plus fréquemment dénoncés par les personnes agressées, ne cessent de faire des victimes. À la moindre réticence, les bandits n'hésitent pas à poignarder. Les périodes de jeûne de Ramadan sont aujourd'hui réputés comme étant les plus dangereuses dans la ville, puisque les hommes doivent nourrir un peu plus la famille, et acheter les vêtements neufs pour les femmes et les enfants281(*). Même si les non-musulmans profitent de ce temps de terreur et du laxisme apparent de la police pour commettre leurs méfaits.

Dès 2000, l'augmentation du nombre de motos dans la ville réoriente les activités des malfrats. Avec leurs couteaux, ils sèment des embuscades, arrachent les motos qu'ils revendent sans peine. Aujourd'hui, il faut préciser que même les conducteurs de mototaxis sont eux-mêmes impliqués dans les agressions. Il est de plus en plus risqué d'emprunter une moto dans la nuit. De l'avis de Fouda Guy282(*), entre 2002 et 2003, les bandits s'arrangeaient à transporter les passagers vers des destinations qu'ils n'avaient pas désiré. Ainsi, on vous amenait dans le bosquet situé entre le Collège de Mazenod et la Centrale SONEL, vous étiez dépouillé, au risque d'y laisser la vie. L'endroit étant obscur, et peu fréquenté, la nuit devient donc un moment de tous les dangers. Cette partie de la ville n'est pas la seule où ce type de problème se pose. On peut citer la route longeant le Champ de Prière, ou celle qui traverse l'Alliance Franco-camerounaise, ou le carrefour Douze Poteaux au quartier Sabongari.

Les vols et agressions avec l'usage d'armes à feu se font aussi de plus en plus récurrents. Mais, ces personnes s'attaquent difficilement aux petites gens, que l'on pourrait qualifier de pauvres. Cette tranche de la population est l'apanage de ceux armés de couteaux et de poignards en général. Ceux qui sont pourvus d'armes à feu s'attaquent aux personnes nanties ou à des entreprises. On peut ainsi se rappeler de l'attaque de l'agence de la société de transfert d'argent Express Union en 2007. Attaque qui a donné lieu à des échanges nourris de coups de feu qui a en pour conséquence la mort d'un inspecteur de police.

Face à cela, devrait-on éviter les motos lorsqu'on sait qu'aller à pieds est tout aussi dangereux ? La seule solution serait certainement d'être chez soi avant 19h et d'éviter de sortir de nuit. Mais, comme nous l'avons vu, même chez soi, rien ne garantit la sécurité. Le problème du banditisme est donc une véritable épine dans le pied de la ville de Ngaoundéré. La criminalité à Ngaoundéré est en grande partie due au problème de drogue auquel les autorités ont du mal à stopper.

5. La consommation de la drogue

Selon une enquête menée en 2002 par Emmanuel Wansi 283(*) sur un plan national, près de 25% de jeunes âgés de 15 ans consomment la drogue. Chez les adultes, près de 33% des femmes quadragénaires tentent l`expérience, contre à peine 15% des hommes du même âge. On note, en outre, des disparités socioprofessionnelles parmi les consommateurs. Seulement 8% de personnes ayant reçu une éducation supérieure ont pris des drogues avant l`âge de 16 ans, contre 22% de ceux qui n`ont pas pu poursuivre leurs études. La consommation de la drogue est particulièrement accentuée dans les maisons d`arrêt. Les principales raisons évoquées sont les difficultés de la vie, les ennuis financiers, la curiosité ou simplement pour se sentir bien. Il est vrai que les drogue vendues dans la ville sont diverses, mais il convient de s'attarder sur une en particulier : le Tramol.

Le Tramol, encore appelé Tramadol, est un analgésique central ayant une activité proche de celle de la codéine, car il est un analogue de celle-ci. Il peut entraîner une dépendance. Ses modes d'actions ne sont pas encore complètement connus, en plus de son action analgésique due au fixement sur les récepteurs morphiniques, il semble également empêcher la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, selon les doses utilisées. Il peut être utilisé par voie veineuse. Les doses utilisées sont de 50 à 100 milligrammes. Sa demi-vie est de cinq à sept heures, son élimination est essentiellement rénale. Les effets secondaires sont : nausées, vertiges, douleurs d'estomac, hypoglycémies, anxiété, crise d'angoisse, dépression (sur le long terme). Une dose trop importante de Tramadol (plus de 400 milligrammes en une prise) peut entraîner un collapsus284(*) suivi de spasmes et contractions musculaires importantes, la crise ressemblant symptomatiquement à l'épilepsie. Il n'est pas recommandé de prendre plus de 400 milligrammes par 24 heures285(*).


Le centre commercial de la ville de Ngaoundéré a été pendant longtemps un haut lieu de distribution de Tramol. L'un des principaux points où il était consommé était le lieu de la vente de thé et de bouillie et de chaï (sorte de thé local) au carrefour dit An 2000. L'étranger à la ville ne s'imaginerait même pas ce qui s'échange à cet endroit. Au levé du jour et à la tombée de la nuit, on y retrouvait une multitude de motocyclettes, destinées au taxi. Leurs chauffeurs, accroupis, assis à même le sol ou sur un banc de fortune, se réchauffaient avant d'entamer une journée ou une nuit de travail. Autour des tasses, une dizaine de jeunes gens prennent leur «remontant» agrémenté de Tramol.

Avec la nomination du nouveau délégué du gouvernement, l'endroit a été assaini. Mais la consommation elle, continue. Le soir venu, en face du studio photo Fujifilm, des vendeurs de bouillie et de beignets se chargent de ravitailler en drogue les mototaximen qui prennent le service de nuit. De l'autre côté de la route, le même service avec cette fois du lait, des oeufs, du thé et du pain pour nourrir les différents clients, qui profitent de cet espace de temps pour prendre leur dose quotidienne de stupéfiants.

Photo 18 : Vente de beignets et bouillie au carrefour An 2000 à côté du studio photo Fujifilm.

Cliché : Owona, le 21 août 2009.

Le fief du Tramol est tenu, selon notre informateur, par un certain Issa dit Longuè Longuè. Son entrepôt serait situé au Grand Marché. Il faut dire que cet individu se ravitaille au Nigeria essentiellement. Ses revenus sont estimés à plus de 20 000 f.cfa par jour. La marchandise est acheminée sur le territoire camerounais par des motos qui empruntent des voies de contournement. D'autres importateurs la dissimulent soigneusement dans des camions ou des véhicules personnels.

Pour acheter du Tramol, les codes sont multiples. Par exemple, vous pouvez demander au vendeur de vous donner le « mbaï » (le manioc). Le manioc ici étant réputé procurer la vigueur à l'homme. Ou encore demander le « biriiji » (l'arachide). Les comprimés sont essentiellement vendus auprès de tous les vendeurs ambulants de médicaments. Et parfois auprès des call-box en fonction du quartier (à Bali par exemple). D'autres drogues telles que le cannabis ou le chanvre indien s'acquiert principalement à la gare-voyageurs. Mais, pour tout achat, la maitrise du fulfulde est impérative. Les vendeurs sont assez méfiants.

Le prétexte que les consommateurs de Tramol brandissent est, le plus souvent, celui de l'entrain et de la résistance à la tâche. « On peut travailler pendant des heures sans être fatigué. Je prends 45 comprimés par jour, par vague de 10 toutes les 3 heures. Cela me permet de travailler pendant deux jours et deux nuits d'affilée. » Confie un mototaximan de la ville. Même si cela cause des pertes d'appétit et une soif constante. Ce médicaments, dont les variétés sont multiples (Trumol, Tramadol, Tralam, Tromal...), est surtout utilisé pour ne pas dormir. Une des propriétés qui intéresse particulièrement les mototaximen, surtout ceux qui travaillent de nuit. Cela leur permet de travailler longtemps sans dormir et surtout sans se fatiguer. Le Tramol est aussi mis à contribution pour des rapports sexuels à longue durée. Pendant un sondage informel auprès des élèves du Collège de Mazenod de Ngaoundéré, il apparaît que c'est pour cela que les jeunes en consomment, le but étant de montrer sa valeur à sa petite amie.

Mais le Tramol n'est pas le seul stupéfiant que l'on retrouve dans la ville de Ngaoundéré, même s'il est le plus consommé d'après notre informateur. Ce "succès" du Tramol est dû au fait qu'il est facile à trouver et les effets sont à longue durée, pour un prix assez dérisoire. Les autres stupéfiants pharmaceutiques sont le Diazépam, appelé sur le marché le « Bleu », reconnu pour être utilisé dans le traitement des malades psychotiques généralement en proie aux difficultés de sommeil. Il est justement utilisé à ces fins par les consommateurs, qui en prennent parfois trois d'un coup pour dormir durant de longues heures. Notre informateur, qui nous avoue en consommer de temps en temps, affirme que ces comprimés sont aussi utilisés en boîte de nuit par de jeunes garçons qui veulent faire le « rallye ».

Le « rallye » est une expression pour désigner le fait pour un groupe de garçons de coucher avec une même fille durant la même soirée. Cela implique que la fille doive être consentante. Et si elle ne l'est pas, les garçons versent un stupéfiant dans son verre à son insu. Par la suite, le forfait se poursuit dans le bosquet le plus proche, à l'abri des regards, puisque aucun des garçons ne doit l'emmener chez lui, par peur de représailles.

La Passion, semblable à un cocktail, est vendue au vu et au su de tous. Contrairement aux autres comprimés que l'on cache, celui-là est tout simplement exposé. Il doit être dilué dans un jus ou de l'eau pour faire de l'effet. Mais, celui-ci n'est pas assez fort, ainsi avons-nous pu entendre d'un jeune consommateur rencontré en boîte de nuit, apparemment élève de la classe de terminale, « toutes les passions ne sont pas condamnables ». Pour dire que l'on peut en prendre autant que l'on veut, c'est juste pour agrémenter la soirée.

Photo 19 : Échantillon de quelques uns des stupéfiants les plus vendues à Ngaoundéré286(*).

Cliché : Owona, le 14 août 2009.

La marijuana est un produit plutôt rare sur le marché et l'apanage de quelques initiés. Elle est de moins en moins sollicitée à cause des traces qu'elle laisse sur le consommateur, notamment l'odeur qui s'incruste sur les vêtements. Il est délaissé au profit des comprimés qui ne laissent pas de traces et dont les effets sont plus durables.

Les points de vente les plus connus sont : le Grand Marché, le Carrefour Ministre au Quartier Bali, la Gare (pour la marijuana), le Petit Marché, le Quartier Haoussa, et en face de la pharmacie la Vina. Il faut dire que ces drogues sont vendues dans la nuit au carrefour de la Joie à Joli Soir et devant les boîtes de nuit, le Marhaba au centre commercial principalement. Les vendeurs de médicaments sont chargés de la vente.

6. La dépravation des moeurs

Les difficultés financières ont grandement contribué à la dépravation des moeurs des populations de la ville de Ngaoundéré depuis les années 1952. La baisse de l'influence des autorités traditionnelles consécutives à la colonisation et la mise en place d'un État Camerounais, n'ont fait qu'accentuer ce malaise.

La prison du Lamido servait à réguler les comportements dans la ville. La prostitution telle que pratiquée aujourd'hui à ciel ouvert au vu et au su de tous, était prohibée. La consommation d'alcool aussi. Sa destruction le 27 juillet 1961 par Ndoumbé Oumar a pour effet de laisser croître ce phénomène qui n'épargne aucune classe d'âge. Le commerce du sexe s'étend et recrute ses meilleurs éléments dans une jeunesse de plus en plus influencée par le modèle de vie européen.

Pendant les vacances scolaires de juillet à septembre 2009, un fait était à remarquer, à savoir que les différentes boîtes de nuit de la ville étaient en quasi cessation d'activité faute de clients. En effet, cette période de l'année est particulièrement marquée par des migrations vers le Sud du pays. Cette observation permet de comprendre que ce sont les élèves qui sont les principaux clients des boîtes de nuit, ce qui est inquiétant lorsque nous savons qu'elles sont en principe interdites aux mineurs. Malheureusement, ces dérives touchent aussi les bars, où les jeunes sont livrés à la merci de tous les pervers en mal de plaisirs et de chairs fraîches.

Laissons de côté les raisons d'ordre économique qui pourrait justifier les dérives dans la vie de nuit, pour réfléchir à la déchéance d'une société où les jeunes s'engagent de manière incontrôlée dans la vie active. Une société marquée par une banalisation du sexe et une occidentalisation à outrance. Cette perte de modèle au profit d'une vie que l'on envie et où la télévision se mue en parent. La prolifération du câble amène nos enfants à envier l'Europe, on veut ressembler à tel ou tel comédien de série télé, sans trop se soucier de la manière d'acquérir des biens que l'on voit. L'envie et les rivalités entre filles, qui conduisent souvent à des paris inimaginables. Tel a un téléphone portable plus onéreux que le mien, il m'en faut un autre. Et là est peut-être le moindre mal. Lorsque des filles, d'un collège confessionnel de la ville, se livrent, au sortir d'une boîte de nuit, le défi de voir l'une et l'autre le nombre de garçon avec lesquels elles peuvent supporter de coucher en une soirée. Et qu'à la fin, elles sont toutes les deux abandonnées à l'hôpital par lesdits garçons qui se sont fait passer pour les héros qui les ont trouvées inconscientes dans la rue en passant. Résultat du défi : plusieurs points de couture au niveau des lèvres vaginales, sans compter les maladies vénériennes.287(*) Ce n'est peut-être pas de la prostitution, mais le symptôme d'une société à la dérive.

Pour le pasteur Kä Mana :

Si les femmes africaines sont aujourd'hui victimes ou agents d'une prostitution massive à l'échelle mondiale, cela est le signe que notre culture et nos civilisations d'Afrique ont subi une mutation pathologique qui nous a littéralement anéantis dans notre humanité. Cette mutation est due sans doute à l'inscription calamiteuse de nos pays dans l'ordre économique mondial depuis l'aube des temps modernes. Cet ordre a un impact négatif sur nos systèmes de désirs. Ceux-ci sont tellement aliénés, tellement extravertis qu'ils ne trouvent leur accomplissement que dans le mode de vie moderne fondé sur l'accumulation des biens matériels. Pour accumuler ces biens et nous inscrire dans la logique d'enrichissement, l'Afrique est prête à tout, jusqu'à vendre son propre être.288(*)

Les garçons ne sont pas en reste dans cette spirale dégradante. Ils se retrouvent au centre de la prostitution homosexuelle, même si encore embryonnaire dans la ville de Ngaoundéré. De plus en plus, les jeunes sont mus par la recherche constante de la facilité.

En Afrique, dans l'idée que chaque femme pouvait avoir d'elle-même, la perspective de se vendre aux hommes et de vivre d'un tel commerce s'inscrivait dans les marges honteuses de la société. La valorisation du mariage jouissait d'un tel éclat qu'il était préférable de bénéficier du statut de femme mariée dans un foyer polygamique que d'être seule, livrée aux lubies des hommes et condamnée à une prostitution déshonorante et déshumanisante. La prostitution ne saurait donc être envisagée du point de vue des relations d'échanges et encore moins assimilée à une relation à caractère humain, pas plus qu'une forme de sexualité.

Le fait de subir ces rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une dissociation psychique afin de pouvoir départager les deux univers de la personne, et surtout protéger le domaine privé des atteintes vécues dans le versant prostitutionnel en se coupant de ce qui est vécu dans ce dernier. Ce versant en question n'est que simulation, totalement factice où toute relation humaine est artificielle. Les sentiments et les émotions n'y ayant pas place, ils sont refoulés car perçus comme des obstacles par le client de services sexuels. Rappelons ici le cas de la jeune Mélanie qui vit avec deux identités, celle de la nuit et celle du jour. Et les conséquences d'un tel comportement peuvent être multiples pour une fille de son âge. Déjà pour les personnes plus âgées ce n'est pas facile. Elles qui sont obligées de se purger avec du tabac afin de ne pas laisser le sexe se dégrader complètement.289(*)

Si nous pouvons, sans excuser le fait, comprendre la prostitution des immigrées tchadiennes et centrafricaines, du fait de la guerre dans leurs pays, comment expliquer celle des camerounaises ? L'absence d'emplois, facteur déterminant, peut encore permettre de pardonner les plus âgées. Mais comment comprendre la prostitution des camerounaises plus jeunes. Des enfants dont les familles n'ont pas de problèmes d'argent, puisqu'ils ont les moyens de les inscrire dans les établissements scolaires les plus coûteux de la ville. Peut-on y voir une libido débordante ? Sans oublier que la drogue se mêle à l'échantillon des problèmes de cette jeunesse laissée à elle-même en quelque sorte, par des parents qui, dépassés, ont démissionné de leur rôle. Cette situation n'est en rien contrecarrée par l'administration qui n'hésite pas à avouer son incapacité290(*).

Ces activités trouvent donc dans la nuit un moment et un espace d'expression propices. La commercialisation de la drogue devient dans la ville une affaire de tous et ce ne sont pas les forces de l'ordre qui sont épargnées par la vague de propagation de ces produits illicites. Il se pose le problème de l'incapacité des autorités à y mettre fin, faute de moyens humains. À Ngaoundéré, on consomme de la drogue pour se donner du courage, pour avoir la puissance sexuelle, pour passer une nuit agréable. La consommation de la drogue pourrait être considérée comme une des raisons qui expliqueraient le peu de considération que certains jeunes ont pour la vie. Ils se livrent à tous genres de défis dans lesquelles leurs vies est sans cesse en danger : défis de vitesse et d'agilité sur des motos, défis de consommation de drogue. On peut ainsi citer le pari qui a causé la mort d'Issa, soudeur dans la ville de Ngaoundéré.

Issa était âgé d'une trentaine d'années. Il gagnait sa vie comme soudeur de pneus au quartier Mbibar à Ngaoundéré. Suite à une dispute avec son ami Harouna, les deux amis décident de se lancer des défis. Issa se vantait de pouvoir consommer 100 comprimés de Tramol sans tituber, défi que son ami Harouna pense pouvoir relever. Les deux amis décident alors de faire le pari et commencent d'abord par la moitié : celui qui finit le premier 50 comprimés de Tramol recevra de l'autre la somme de 5000 f.cfa. Au terme de cette première épreuve, Issa sort vainqueur et empoche les 5000 francs de son ami Harouna. Ce dernier, ne voulant pas admettre sa défaite double la mise. Celui qui finit encore 50 comprimés de Tramol percevra cette fois-là de l'autre une somme de 10 000 f.cfa. Appâté par le gain facile, Issa avalera les 50 autres comprimés en un laps de temps. La réaction ne se fera pas attendre puisque quelques minutes seulement après, il va ressentir des malaises aigus. Il est immédiatement transporté à l'hôpital provincial de Ngaoundéré. C'est là qu'il rendra l'âme quelques minutes plus tard291(*).

Dans la même logique, de plus en plus de personnes fréquentent les bars, sans distinction de sexe, d'âge, ni de statut social. Les causes de l'alcoolisme sont multiples. Il n'existe pas des traits universels valables, mais du point de vue psychique, certaines caractéristiques sont plus souvent rencontrées chez les personnes dépendantes d'alcool :

- La tendance d'éviter les problèmes indifférents de la capacité réelle de les résoudre.

- L'incertitude dans les perspectives de la vie et l'inhibition.

- La dépendance aux autres.

- La capacité réduite de se contrôler, de supporter des déplaisirs ou d'attendre une récompense (la tolérance réduite à la frustration).

- Autocontrôle exagéré et refoulement des sentiments.

- Des difficultés dans la satisfaction de la nécessité d'attachement et d'appropriation.

- Souvent une mal-disposition et un état de confort psychique réduit. 292(*)

En plus des causes psychiques, nous pouvons aussi parler des causes professionnelles. Le chômage est un facteur de stress qui pousserait à l'alcoolisme. L'attitude du public influence aussi les jeunes dans leur attitude à l'égard de l'alcool. En effet, pendant que l'alcoolique est méprisé comme étant ivrogne, on admire ceux qui, à une fête, réussissent à boire le plus. La consommation temporaire excessive d'alcool, par exemple à l'occasion des fêtes diverses, est considérée comme un signe de virilité. Un vrai homme est celui qui supporte le plus d'alcool et, au contraire, celui qui ne boit pas du tout ou peu, est considéré faible ou un "casse-fête".

Dans cette large acceptation de l'alcool, l'opinion publique supporte la consommation d'alcool et promeut involontairement le péril et l'installation dans l'alcoolisme. En minimalisant la consommation élevée d'alcool, la société aide en fait celui menacé de devenir un alcoolique de s'illusionner pour longtemps que le péril dans lequel il se trouve n'est pas si grand.

Enfin, chaque conflit dans la famille ou au travail peut être déclencheur pour l'abus d'alcool. Mais la consommation d'alcool élevée est aussi à son tour la cause de difficultés familiales et de problèmes professionnels, de sorte que les conflits augmentent et se compliquent. Il devient de plus en plus fort le désir d'éviter ces conflits et de cette manière on peut constater comment ce cercle vicieux se ferme, et après un certain temps, ne peut plus être rompu qu'avec beaucoup d'effort.

La dépravation des moeurs dans la ville de Ngaoundéré trouve son meilleur terrain d'expression à travers la vie de nuit. À l'image des principales villes du pays, cette dépravation s'exprime plus ou moins de la même façon, rendant tristement célèbres des quartiers où sont mis en exergue des comportements de débrouillardise, devenus très vite de haut lieu où l'on peut noyer les soucis d'une vie fade et sans perspectives d'avenir. Ne peut-on voir à travers ces comportements l'expression d'une société en mal de repères ? En effet, lorsque l'on arrive à Douala, on est dirigé vers les lieux tels que la "rue de la joie" ou le carrefour "J'ai raté ma vie" ; à Yaoundé, pourtant capitale politique, le visiteur n'a que l'embarras de choix face aux multiples propositions : Mini Ferme Melen, Ngoa Ekelle Bonamoussadi, Carrefour de la Joie, Hôtel de ville... À Ebolowa, le Carrefour Tamsou est là pour vous égayer ; à Maroua, vous devez vous diriger vers Avion Me Laisse ou vers Domayo ; et comme nous l'avons vu à Ngaoundéré, Joli-Soir et Baladji I sont les références en ce qui concernent les distractions de nuit. Notre objectif n'est pas de souhaiter une société où toutes distractions seraient absentes, mais de dénoncer une société où la distraction devient le refuge, le moyen pour la population de se cacher dans l'illusion que tout va bien.

Examinant le problème d'alcoolisme dans la ville de Kigali au Rwanda, Ildegonde Karererwa écrit :

Il [l'alcoolisme] ravage tout particulièrement les nombreux quartiers spontanés de la capitale rwandaise où vivent des populations démunies. Seul exutoire pour oublier à peu de frais la misère et la vie sans perspective : s'enivrer à l'urwagwa, la bière de banane, en kinyarwanda. Partout les cabarets se multiplient, preuve du mal-être des habitants. Désormais modestement équipés de téléviseurs en noir et blanc, ils offrent un attrait supplémentaire dans une capitale où il n'y a qu'une télévision pour 100 habitants. L'affluence ne cesse d'augmenter. [...] Il ne s'agit pas pour les buveurs d'étancher leur soif : boire est un rituel auquel ils se livrent à longueur de journée en compagnie de leurs amis ou voisins.293(*)

On pourrait aisément trouver à ce pays l'excuse de la guerre, mais, le Cameroun ne vit-il pas une guerre à son tour ? Celle qu'apporte la pauvreté, avec ses scènes de banditisme parfois dignes des grandes réalisations hollywoodiennes, avec la prostitution de plus en plus présente et de plus en plus agressive, avec des enfants de la rue dont le nombre ne cesse d'augmenter, avec une informalisation des activités de nuit qui laisse apparaître l'incapacité pour les populations de gagner le pain quotidien décemment. Il faut tout de même s'interroger sur les personnes qui fréquentent les bars dans nos cités en général et dans la ville de Ngaoundéré en particulier.

Il s'agit, dans une observation rapide, des fonctionnaires, des hommes en tenue (militaires, gendarmes, policiers), surtout des débrouillards qui, la nuit venue, se retrouvent dans les bars pour se détendre, oubliés le stress d'une journée de travail, devant une bière et profiter des facilités qu'offrent les auberges tout près. C'est justement ce travail qui pose problème. En effet, lorsque l'observateur prend le temps d'écouter les conversations de ces consommateurs d'alcool, elles tournent autour de l'inadéquation entre le salaire et le travail demandé, ou encore du sexe, du football et de la politique. Loin d'être l'expression de la joie tant recherchée à travers une bière, les causeries sont justement le reflet d'un mal être social qui trouve dans la dépravation des moeurs son champ d'expression.

Dans cette spirale, il est à déplorer que les jeunes soient à leur tour englués dans cette décadence. De plus en plus d'enfants sont touchés par l'alcoolisme, et les étudiants ne sont pas en reste, habitués qu'ils sont en train de devenir, des concours du meilleur consommateur de bière. On peut voir à travers ces vices sociaux, d'autres qui s'y greffent : le vol (pour avoir sa dose d'alcool ou de drogue), la prostitution (car Bacchus ne va jamais sans Venus), sans oublier les conséquences familiales (divorce, négligence des enfants, maladies sexuellement transmissibles).

Malheureusement, la consommation de drogue vient s'ajouter à celle d'alcool qui touche déjà toutes les tranches d'âge et surtout les enfants de la rue. On les retrouve très souvent dans les bars en train de vider les fonds de bouteilles, ou accroupies dans un coin obscur fumant une cigarette ou aspirant de la colle emballée dans une chaussette.

IV. LES ACTIONS MENÉES PAR LES AUTORITÉS

Avec la destruction de la prison du Lamido et la mise sur pied d'un État Camerounais indépendant, la responsabilité de la sécurité et de la régulation des comportements dans la ville de Ngaoundéré échoient désormais à l'administration. Malgré tout, le Lamido fait de temps en temps recours aux marabouts de sa cour pour retrouver un bandit, ou stopper un comportement déviant (le cas des vols de sexe dans la ville en 2007). Il peut aussi oeuvrer par les conseils qu'il prodigue aux jeunes générations. Mais, pour véritablement mettre fin, sinon freiner les problèmes de la vie de nuit, il faut des actions fortes que seul l'État possède.

1. Les autorités traditionnelles

Il faut rappeler que sous l'administration coloniale, les pouvoirs des chefs traditionnels ont été considérablement amenuisés. Au cours de la période allant de 1884 à 1959 au Cameroun en général, ils n'étaient devenus que de simples subalternes de l'administration coloniale. Certes, «entre 1916 et 1919, période transitoire au cours de laquelle les troupes franco-anglaises étaient encore engagées dans la première guerre mondiale, leur autorité s'est renforcée davantage »294(*). Mais, « à partir de 1977, l'autorité traditionnelle semble avoir perdu l'essentiel de ses prérogatives à prendre des initiatives et à régler les problèmes cruciaux. À partir de 1990, les populations elles-mêmes, naguère muselées, se sont défoulées, désignant certains laamiibe à la vindicte populaire. »295(*)

Ainsi, il apparaît que les autorités traditionnelles ont vu leur pouvoir diminuer avec la colonisation et par la suite, la mise en place de nouvelles structures administratives après l'indépendance après 1960. Mais, dans un contexte social où ils sont encore des leaders d'opinions, il importe de noter que leur action est, selon certains cas, plus énergétique que celle de la police ou des unités administratives. Le Lamido maitrise mieux le terrain et son action n'en est que plus efficace. En 2007, lorsque le Lamido Mohamadou Hayatou (1997- ), fils de Issa Yaya Maïgari, fêtait la 10e année de son accession au trône, un problème se posa dans la ville, celui des ``vol de sexes''. Face à l'incapacité des autorités administratives à mettre fin au phénomène, il a fallu faire recours au lamido qui a plus facilement pu identifier les auteurs de ces délits et y mettre un terme.

Des actions similaires sont souvent menées pour retrouver un bandit ou un voleur. Mais, l'action des autorités traditionnelles est aujourd'hui subordonnée à celle des autorités administratives. La prison du lamido ayant été détruite, il n'a plus de pouvoir de coercition sur les populations. Le décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles, modifié et complété par le décret n° 82/241 du 24 juin 1982, faisant de l'ensemble des chefs traditionnels des auxiliaires de l'administration centrale, rendent l'action des chefs traditionnels plus limitée. Les populations se tournent donc de plus en plus vers l'administration et la police.

2. L'administration

Les différentes administrations ont jusqu'ici eu beaucoup de mal à faire respecter la loi interdisant la prostitution. En effet, il faut déjà dire que, de l'avis de la gérante d'un circuit au quartier Baladji I, les «gros bonnets» de la ville comptent parmi ses clients les plus fidèles. Comment faire respecter une loi dont on profite soi-même ? C'est donc assez paradoxal de demander aux administrateurs de mettre fin à un commerce dans lequel ils participent comme clients. Ce fait est d'autant plus important que la gérante nous confie que ses services sont très souvent sollicités quant il y'a un haut responsable de l'administration centrale dans la ville.

Il faut dire que, que ce soit dans la partie septentrionale du Cameroun, ou dans la partie sud du pays, la prostitution prend une place aussi importante que les autres métiers. Elle est pratiquée au vu et au su de tous, et les tenancières de ces maisons n'ont peur de personne, de par leur position sociale. Abdelnasser Garboa, parlant de la pratique de la prostitution dans la région septentrionale, révèle par ailleurs que :

Les tenancières de bordel s'attaquent à n'importe qui dans un franc parler qui frise l'insolence. Connaissant chacun des membres de la société qui les auraient contactées à un moment ou un autre, elles sont le véritable baromètre de la société dans laquelle elles vivent. L'affluence dans leurs commerces détermine le niveau de vie de la crise économique dans la ville. La mine des visiteurs permet de mesurer le pool de l'humeur collective. De toutes manières, aucune information, aucun fait, aucune situation nouvelle, ne peut se dérouler à l'insu de la "Dada Sare" ou tenancière de bordel. 296(*)

Une autre raison pourrait expliquer cette situation à savoir le réemploi des prostituées. La difficulté se trouve au niveau de la réinsertion sociale de ces prostituées qui généralement n'ont aucune qualification. Elles sont plusieurs centaines dans la ville. Et si l'on doit considérer toutes les personnes qui vivent parallèlement à ce commerce, les enfants des prostituées, les propriétaires des débits de boissons, les vendeurs de beignets et de poissons braisés...le nombre de personnes va à plusieurs milliers car la prostitution est un réseau. Cela poserait donc un véritable casse-tête au gouvernement qui ne parvient déjà pas à employer les jeunes diplômés. Ainsi, pour ne serait-ce que marquer un frein au phénomène, l'administration s'appuie sur les actions de la police.

3. La police

Dans un article de Claudia Engouté297(*), le commissaire central de Ngaoundéré, Joseph Temde parle de la lutte contre la consommation du Tramol et des problèmes qu'il rencontre. Pour lui,

C'est un véritable fléau qui sévit au sein des exploitants de motos-taxis. Notre premier objectif était d'identifier les sources d'approvisionnement. Ce qui a déjà été fait : ce sont les vendeurs de médicaments de la rue, mais également ceux qui vendent du thé en bordure de route. Seulement, il est difficile pour nous de mener une quelconque opération, bien que nous parvenions tout de même à mettre la main sur les consommateurs et les dealers tous les jours. Sur 10 conducteurs de motos, 7 en consomment. Ce qui est énorme. 

Ainsi, deux types d'actions sont menés par la police de Ngaoundéré : une préventive et une autre répressive. La méthode préventive consiste à lutter contre la vente de médicaments dans la rue. Nous allons à la source et empêchons l'approvisionnement de ce stupéfiant, et la méthode répressive est que ceux qui sont pris en possession de cette drogue sont déférés automatiquement au parquet. Il est malheureusement à déplorer la recrudescence des points de vente malgré tout. Cela s'explique par le fait que les différents dealers et consommateurs connaissent tous les agents de police. Qu'ils soient en civil ou en tenue, ils les connaissent tous précise le commissaire central. C'est un combat qui doit se faire avec des hommes qui ne sont pas connus.

Généralement, nous passons par personnes interposées. Ce qui est vrai, c'est que les pouvoirs publics ne prennent pas cette affaire au sérieux. On nous abandonne tout, alors que chacun doit mettre la main à la patte pour lutter contre ce fléau. Nous n'avons pas tous les moyens nécessaires. Je n'ai que mes yeux pour pleurer. Il n'y a rien dans ce commissariat, pas d'hommes, pas de matériel de travail. On nous amène à nous surpasser ; c'est d'ailleurs ce qu'on fait.298(*) 

La consommation de la drogue n'est pas seulement le problème de la nuit. Mais, on en ressent les conséquences à travers les agressions, les braquages, les viols et autres méfaits. Les auteurs de ces forfaits usent de la drogue comme source de courage. Mais à cours terme, l'excitation constante des nerfs provoquée par ces médicaments peut se révéler dangereuse. Plusieurs jeunes dans la ville se promènent du soir au matin et vice versa, dans un état de quasi folie, et les témoignages des populations incriminent la drogue.

En ce qui concerne la prostitution, les rafles sont régulièrement effectuées dans les quartiers Baladji I et Joli Soir, mais sans autre forme de procès. Il est donc clair que les problèmes que pose la vie de nuit sont loin de trouver solution. Ils sont l'expression même de la conjoncture sociale et ne peuvent se régler qu'à la source : résoudre les causes de la prostitution par exemple serait déjà faire un grand pas vers la fin de ce métier, le plus vieux du monde.


CONCLUSION GÉNÉRALE

La nuit est une période marquée surtout par l'obscurité. Mais comment comprendre qu'elle ait autant de succès auprès des hommes en général et ceux de la ville de Ngaoundéré en particulier ? Le succès de la nuit vient du fait que les hommes qui y vivent ne peuvent justement pas être vus et surtout ne veulent pas être vus. Ils profitent de cette obscurité pour pouvoir mieux laisser s'exprimer leur être.

Pour la clientèle des commerçants qui exercent de nuit, la vie à ce moment-là représente un espace avantageux de par son obscurité. Où on peut agir sans se soucier des règles sociales, sans se soucier du regard des autres, parfois plus enclin à nous juger que notre propre conscience. Le fait même d'être dans une ville où les interdits traditionnels et religieux sont assez forts ne fait alors qu'augmenter ce sentiment de liberté qu'offre la nuit.

Ainsi, notre travail sur la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré s'est porté sur les travailleurs de nuit. Les difficultés sociales contraignent de plus en plus de personnes à trouver leur pain quotidien pendant cet espace de temps. Ce n'est guère de gaieté de coeur que les travailleurs de nuit font leurs activités. Trois explications s'offrent à l'observateur attentif : ces activités de nuit sont menées dans l'espoir d'un mieux être (cas de Pierre, gérant de call box) ; elles apparaissent aussi comme une alternative, faute de mieux (la prostitution) ; enfin, pour certaines personnes, les revenus tirés ici sont tout simplement une bouée de sauvetage (Mme Ngan Jeanne et la vente de beignets).

La similitude des histoires de vies des travailleurs de nuit nous permet de nous rendre compte de fait, que la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré n'est que la résultante d'une situation économique désastreuse dans le pays. En effet, l'augmentation du nombre de travailleurs de nuit peut aisément être associée à la conjoncture ambiante. Les premières vagues migratoires importantes, comme nous l'avons souligné, interviennent bien avant les années 1950 avec l'arrivée des bamiléké qui aura pour conséquence la création du quartier Baladji en 1952. Mais, les migrations ne sont pas ici plus importantes qu'ailleurs. La plupart des activités vont véritablement prendre racines à partir des années 1980. L'inauguration du Transcamerounais de 1974 facilite déjà les déplacements et permet aux populations du Sud du pays de découvrir cette localité pleine de promesses. Le bitumage de l'axe Garoua-Ngaoundéré a le même effet par rapport aux populations du Grand-Nord. Il faut noter que c'est aussi à cette période que les premières guerres en Centrafrique et au Tchad commencent à sévir. Ce qui aura pour effet de drainer une importante population d'étrangers sans le moindre revenu dans la ville de Ngaoundéré.

La crise économique qui touche le Cameroun intervient à la fin des années 1980-début de la décennie 90. Elle est la conséquence de la baisse des prix des matières premières tels que le cacao, le café et la baisse de la production pétrolière. Face aux exigences du FMI (Fonds Monétaire International) et de la Banque Mondiale, le pays sera obligé de se plier aux P.A.S. (Programme d'Ajustement Structurel). Ainsi, il s'agira de compresser considérablement dans la fonction publique, de baisser les salaires, et de mettre un frein aux recrutements du personnel. Le secteur informel va donc de plus en plus prendre une place importante, face aux difficultés qu'éprouve le secteur privé à réembaucher toutes ces personnes sans emplois.

Cette décennie va voir les populations quitter progressivement les grandes villes que sont Douala et Yaoundé, pour se diriger vers les villes jusqu'ici négligées telles que celles du Grand-Nord. Ces migrations s'accentueront avec la récession économique des années 2000. Aujourd'hui, il apparaît que la plupart des personnes travaillant de nuit dans la ville de Ngaoundéré s'y sont installés entre 1990 et 2004.

Ces difficultés économiques ont aussi facilité la criminalité et la dépravation des moeurs. Les individus deviennent près à tout pour avoir de quoi manger. La démission du rôle parental n'est pas en reste dans ce lot de problèmes que pose la vie de nuit. Notre travail nous a permis d'arriver à la conclusion que se sont les vicissitudes de la vie qui obligent les hommes à travailler de nuit. Tout le monde veut pouvoir dormir de nuit, tout le monde veut pouvoir se reposer ou s'amuser pendant ce moment-là. Mais, l'idée du lendemain ramène très rapidement à la réalité.

SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

I- Sources orales

Noms et âge

Qualité

Régions/pays

Date et lieu d'entretien

Adji Temba

Né vers 1925 (84 ans)

Agriculteur

Adamaoua

25 et 29/04/2009 à Ndelbé (Ngaoundéré)

Agbor Andock Daniel

49 ans

Conducteur de réseau électrique à AES SONEL Ngaoundéré

Sud-Ouest

15/10/09 à Sabongari (Ngaoundéré)

Augustin

= 35 ans

Mototaximan

Adamaoua

20/09/09 à Onaref (Ngaoundéré)

Daba Daniel

36 ans

Enseignant, président du comité de développement de la paroisse E.F.L.C. de Baladji II et secrétaire général adjoint du district E.F.L.C. de Ngaoundéré

Extrême-Nord

29/09/09 au Collège de Mazenod de ngaoundéré

Djiya

= 60 ans

Commerçant

Ouest

11/08/09 et 18/10/09 à Baladji II (Ngaoundéré)

Djommo Lin Valère

37 ans

Opérateur économique ; directeur du cybercafé M.T.N.

Ouest

16/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré

Fouda Guy Bertin

33 ans

Religieux

Centre

24 décembre 2006 à Efoulan (Yaoundé)

Hadidjatou

Environ 30 ans

Commerçante

Extrême-Nord

20/08/09 et le 22/08/09 à Tongo Pastorale

Ismaëla Issa

27 ans

Taximan

Adamaoua

25/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré

Jean-Vincent

23 ans

Mototaximan

Extrême-Nord

19/09/09 à Ndelbé (Ngaoundéré)

Mme Kadidja Ousmanou

66 ans

Ménagère

Adamaoua

14/09/09 à Bali, Ngaoundéré.

Kouam David

= 50 ans

Sous-préfet de l'arrondissement de Ngaoundéré Ier

Ouest

12/08/09 au quartier administratif de Ngaoundéré

Kouamen-Tavou Cyrille Narcisse

= 40 ans

Directeur général adjoint du complexe Marhaba

Ouest

01/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré

Ma Henriette

(estimation : = 40 ans)

Prostituée

Est

14/06/09 à Baladji I (Ngaoundéré)

Mami

> 30 ans

Propriétaire du circuit Mami Frotambo au quartier Baladji I

Ouest

01/09/09 à Baladji I (Ngaoundéré)

Mâ Pau.

> 45ans

Commerçante

Centre

31/08/09 à la gare-voyageurs de Ngaoundéré.

Mélanie

17 ans

Prostituée

Adamaoua

13/06/09 à Sabongari Gare (Ngaoundéré)

Mboudga Raphael

31 ans

Infirmier diplômé d'État principal, surveillant général adjoint de l'hôpital protestant de Ngaoundéré

Extrême-Nord

03/10/09 à l'hôpital protestant de Ngaoundéré.

Mohammadou Djaouro

Environ 60 ans

Infirmier retraité ; imam au quartier Tongo Pastorale.

Kanouri né à Ngaoundéré

20/08/09 et 20/10/09 à Tongo Pastorale (Ngaoundéré)

Mme Ngan Jeanne

46 ans

Commerçante

Centre

02/09/09 à Onaref (Ngaoundéré)

Natwa

31 ans

Commerçante

Extrême-nord

19/09/09 à Sabongari (Ngaoundéré)

Nformi Felix

45 ans

Enseignant au Collège de Mazenod et à l'E.H.T. CEMAC ; commerçant

Nord-Ouest

20/09/09 au collège de Mazenod de Ngaoundéré

Ngnintendem Abraham

= 50 ans

Enseignant au Collège St Eugène de Mazenod ; ancien de l'Église à la M.E.E.C.

Ouest

10/09/09 et 21/11/09 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

Ngodjock Bernadette

46 ans

Agent d'entretien au Collège de Mazenod de Ngaoundéré

Centre

10/08/09 à Sabongari Gare (Ngaoundéré)

Patchami Guy Bertrand

39 ans

Chargé de mission à Africa Security

Ouest

20/09/09 au Centre Commercial de Ngaoundéré

Sadou Dewa

22 ans

Élève

Nord

 

Pierre

29 ans

Gérant de call box

Est

10/08/09 au centre Commercial de Ngaoundéré.

Abbé Karlo Prpic

= 50 ans

Prêtre ; principal du Collège St. Eugène de Mazenod

Croatie

13/09/09 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

Temde Joseph

43 ans

Commissaire central de la ville de Ngaoundéré

Ouest

24/09/09 au commissariat central de la ville de Ngaoundéré

Viviane

26 ans

Gérante de call box

Est

10/08/09 au centre Commercial de Ngaoundéré

II- Ouvrages généraux :

Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, la voie du musulman (Minhaj Al-Mouslim), traduction de Rima Ismaël, revue par Ahmad-Harakat ; Dar el Fiker, Beyrouth, première édition.

Adamou I. et Labatut R., 1974, Sagesse de peuls nomades, Éd. CLÉ, Yaoundé.

Balandier, G., 1986, Sens et puissance, PUF, 3e édition, Paris.

Balandier, G., 1988, le Désordre. Éloge du mouvement, PUF, Paris.

Bachelard, G., 1999, La formation de l'esprit scientifique, Librairie philosophique Vrin, Paris.

Fèvre, F., 1983, Les seigneurs du désert, Histoire du Sahara, Presses de la Renaissance, Paris/France

Froelich, J.-C., 1962, Les musulmans d'Afrique noire, Édition de l'Orante, Paris.

Ibrahima Baba Kaké et Elikia Mbokolo, 1977, Résistances et messianismes, Col. Histoire générale de l'Afrique, Vol. 10, Ed. ABC, Paris/France.

Løde, K., 1990, Appelés à la liberté, histoire de l'église évangélique luthérienne du Cameroun, IMPROCEP éditions, Amstelveen, Pays-Bas.

Mohammadou, E., 1990, Traditions historiques des peuples du Cameroun central, Vol 1 Mbéré Mboum et Tikar, Ed. ILCAA, Tokyo.

Mohammadou, E., 1978, Les Royaumes foulbé du plateau de l'Adamaoua au XIXe siècle : Tibati, Tignère, Banyo, Ngaoundéré, Ed. ILCAA, Tokyo.

Mucchieli, R., 1991, L'analyse de contenu des documents et des commentaires, Collection Formation permanente en science humaine, Paris.

Noiriel, G., 2006, Introduction à la socio-histoire, La découverte, Paris/France

Plumey, Y., 1990, Mission Tchad-Cameroun, documents souvenirs visages, l'annonce de l'Évangile au Nord-Cameroun et au Mayo Kebbi 1946-1986, Éditions Oblates, Italie.

Rosny E. de, 1981, Les yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun), Éd. Plon, Paris/France.

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Sartre, J.P., 1943, L'Être et le Néant, Éd. Gallimard, coll. Tel., France.

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III- Articles

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IV- Thèses et mémoires

Abwa, D., 1980, « Le lamidat de Ngaoundéré 1915-1945 », Master's degree en histoire, Université de Yaoundé.

Gondolo, A., 1978, « Ngaoundéré ou l'évolution d'une cité peule », thèse de doctorat en géographie, Université de Rouen

Babarou, A., 2006, « La vie économique et sociale dans les "quartiers populaires" des cités du Nord-Cameroun : Maroua, Garoua et Ngaoundéré (de la période coloniale française à nos jours) », mémoire de DEA d'histoire, Université de Ngaoundéré.

Halima Aboubar, 2005, « Impact sociologique de l'activité de motos-taxis sur le développement de la ville de Ngaoundéré », mémoire de maîtrise en Sociologie, Université de Ngaoundéré.

Lamine, M., 2004, « L'immigration et l'essor de la ville de Ngaoundéré : perspective historique », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré.

Lamanou Monique Débina, 1998, « Dynamique des Grand et Petit Marchés et ses conséquences sur l'espace urbain de Ngaoundéré », mémoire de Géographie, Université de Ngaoundéré.

Mpoual, E., 2006, «Évolution des effectifs d'étudiants à l'université de Ngaoundéré de 1993 à 2004 », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré.

Ngo Nlomée, M.M., 2004, «Le Bili Bili à Ngaoundéré : technique de fabrication, usage et commercialisation 1964-2004 », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré

Nkoumba Eyoum, 1999, «Dynamique urbaine et gestion de l'espace à Ngaoundéré», mémoire de maîtrise de Géographie, Université de Ngaoundéré.

Nyam a Ngam, C., 2007, « La police et la répression du gangstérisme urbain à Ngaoundéré 1990-2005 », mémoire de maitrise d'histoire, Université de Ngaoundéré.

Oumar, A.A., 1999, « La gare ferroviaire de Ngaoundéré, impact socio-économique et spatial », mémoire de maîtrise de géographie, Université de Ngaoundéré.

Ossoko, S., 2005, Les enjeux du secteur informel dans le développement des villes du Nord-Cameroun, cas de Ngaoundéré, mémoire de DEA de géographie, Université de Ngaoundéré.

Pandji Kawe, G.R., 2006, « Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à Ngaoundéré sous administration française », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré. 

Tassou, A, 2005, « Évolution historique des villes du Nord-Cameroun (XIXe - XXe siècles) : des cités traditionnelles aux villes modernes. Les cas de Maroua, Garoua, Ngaoundéré, Mokolo, Guider et Meiganga », Thèse de doctorat/Ph.D d'Histoire, Université de Ngaoundéré.

V- Rapports

Hawa, D., 2007, « Phénomène urbain et conséquences socio-économiques (exemple de la ville de Ngaoundéré) », rapport d'initiation à la recherche en Sociologie, Université de Ngaoundéré.

Kemfang, H., 1998, « Les quartiers Baladji de Ngaoundéré création et évolution 1950-1997 », rapport de recherche de licence en Histoire, Université de Ngaoundéré.

Nassourou, S., 1994, « Les loisirs au village, le système de Hiirde des Peuls », rapport préliminaire.

Sadou, A., 2004, « Les moto-taximen et la question de l'insécurité dans le Nord-Cameroun, le cas de la ville de Ngaoundéré de 1988 à nos jours », rapport d'initiation à la recherche en Histoire, Université de Ngaoundéré.

VI- Dictionnaires et encyclopédie 

Dictionnaire Encyclopédique Quillet, 1962, librairie Aristide Quillet, Paris, France

Dictionnaire Larousse 2008, 2007, librairie Larousse, Paris/France

Durozoi G. et Roussel A., 1987, Dictionnaire de Philosophie, Ed. Nathan 

Kammler W., 1973, Vocabulaire français-fulfulde, Éditions ANNOORA, Garoua/Cameroun

Larousse 3 volumes en couleurs, librairie Larousse, Paris, France

Le Petit Larousse Illustré 2007, 2006, Éd. Larousse, Paris/France 

Le million, L'encyclopédie de tous les pays du monde, volume VI (1973,1974), Asie du Sud-ouest ; Éd. Grande Batelière (Paris/France) Kister S.A. (Genève/Suisse), Agence belge des grandes éditions (Bruxelles/Belgique) 

Le Petit Robert 2008, 2007.

Piéron H., Bresson F. et Durup G., 2000, vocabulaire de la psychologie, 3e édition, PUF, Paris.

Microsoft® Encarta® 2006.

VIII- Documents divers 

Ministère du Tourisme de la République du Cameroun, Cameroun destination Ngaoundéré, guide touristique des hôtels, restaurants de la ville de Ngaoundéré

E.E.S.I. 2005 ; Enquête sur l'emploi et le secteur informel (I.N.S.)

La Sainte Bible, Ancien et Nouveau Testament, nouvelle édition révisée 1997, Alliance Biblique Universelle, 95400 Villiers-le-Bel/France.

Le Saint Coran.

E.C.A.M. II, 2001, et III, 2007, Enquête Camerounaise sur les Ménages (I.N.S.) :

- Pauvreté et éducation au Cameroun en 2001 (Novembre 2002)

- Pauvreté, habitat et cadre de vie au Cameroun en 2001 (Octobre 2002)

1er Recensement général de la population et de l'habitat (R.G.P.H.) de 1976 (I.N.S.)

2e Recensement général de la population et de l'habitat (R.G.P.H.) de 1987 (I.N.S.)

Fonds Monétaire International, 2005, Rapport n°05/164 , Cameroun : Consultations de 2005 au titre de l'article IV et programme de référence - Rapport des services du FMI ; Note d'information au public relative aux délibérations du Conseil d'administration et déclaration de l'administrateur pour le Cameroun

Fonds Monétaire International, 2008, Rapport du FMI n°08/279, Cameroun : Cinquième revue de l'accord triennal au titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance. examen des assurances de financement, demande de dérogation à un critère de réalisation, demande de modification de critères de réalisation et demande de prolongation de l'accord -- Rapport des services du FMI, supplément et déclaration des services du FMI, communiqué de presse publié à l'issue des travaux du Conseil d'administration, déclaration de l'administrateur du FMI pour le Cameroun.

Fonds Monétaire International, 2009, Rapport n°09/65, Cameroun : Sixième revue de l'accord triennal au titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, demande de dérogation à un critère de réalisation et revue des assurances de financement--Rapport des services du FMI, supplément, communiqué de presse sur les délibérations du Conseil d'administration, et déclaration de l'Administrateur pour le Cameroun.

Groupe de la Banque Africaine de Développement, département de l'évaluation des opérations (O.P.E.V.), Cameroun : programme d'ajustement structurel III (P.A.S. III), Rapport d'évaluation de la performance de projet (R.E.P.P.) 28 mai 2007. 

IX- Sites Internet consultés

www.doctissimo.fr

www.gaisma.com 

www.wikipedia.fr.

www.encyclopædiauniversalis.fr

ANNEXES

Chapitre 8 ANNEXE I: GUIDE D'ENTRETIEN DE MBALLA ROMIALD

Monsieur, ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'une recherche en Master d'histoire de l'Université de Ngaoundéré, sur le thème « la vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré, de 1952 à 2009 ». Ceci dans le but d'en savoir un peu plus sur les cours du soir ADAMA que vous diriger. Merci de bien vouloir répondre aux questions suivantes :

· Noms et prénoms, âge (si possible) et ethnie

· Profession et qualité aux cours du soir ADAMA

· En quelle année vous êtes-vous installé dans la ville de Ngaoundéré ?

· En quelle année avez-vous fondé les cours du soir ADAMA ?

· Quelles sont les tranches horaires pendant lesquelles fonctionnent les cours du soir ?

· Existait-il d'autre structure du même type dans la ville de Ngaoundéré à ce moment-là ?

· Comment expliquez-vous le nom donné à ces cours ?

· Comment avez-vous choisi le site, est-ce le même qu'à la création ?

· Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés à ce moment-là ? Persistent-ils toujours ?

· Quels types de problèmes rencontrez-vous pendant votre période d'activité ?

· À quel type d'élèves avez-vous affaire ?

· Estimez-vous, par rapport à la situation actuelle des cours du soir dans la ville de Ngaoundéré, que vous ayez fait des émules ?

Chapitre 9 ANNEXE II: GUIDE D'ENTRETIEN DE TEMDE JOSEPH

Ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'une étude portant sur « La vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré de 1952 à 2009 », cette recherche est menée pour une thèse de Master's degree d'histoire de l'Université de Ngaoundéré. Celle-ci porte sur les activités de la nuit dans la ville, entre autres le problème de criminalité. Merci de bien vouloir y répondre.

1. Présentation de l'interviewé

1.1 Noms et prénoms

1.2 Âge (éventuellement)

1.3 Province d'origine

1.4 Profession

2. Quelles sont vos prérogatives en qualité de commissaire central de la ville de Ngaoundéré ?

3. Quel est le nombre de commissariats dans la ville de Ngaoundéré et leur répartition géographique par arrondissements ?

4. Quel est le taux de criminalité à Ngaoundéré par rapport aux autres chefs-lieux de régions du pays ?

5. Quelles sont les stratégies mises en place pour mettre fin, sinon réduire la criminalité ?

6. Quels sont les quartiers les plus touchés en ce moment par la criminalité ?

7. Quelles sont les caractéristiques des criminels dans la ville (âge, groupe ethnique ou nationalité, motifs pouvant justifier l'acte...)

8. Pour lutter contre la criminalité, recevez-vous de l'aide des militaires et des gendarmes ? Dans ce cas là, comment les patrouilles fonctionnent-elles ?

9. Quelles sont d'après-vous, des périodes pendant lesquelles la criminalité augmente particulièrement dans la ville ?

10. Comment pourrait-on justifier cette augmentation ?

11. La consommation de la drogue dans la ville est assez élevée, elle touche presque toutes les tranches d'âges. Comment la police lutte-t-elle contre ce phénomène ?et quels sont les freins à cette lutte ?

12. La prostitution occupe le quartier Baladji I, quelles sont les actions menées contre cela ?

13. Pensez-vous que l'on puisse mettre fin à cela ?si Oui, comment ; et si Non pourquoi ?

14. À votre avis, que faut-il faire pour améliorer le quotidien des populations de la ville de Ngaoundéré sur le plan de la sécurité ?

Chapitre 10 ANNEXE III: GUIDE D'ENTRETIEN DE PATCHAMI GUY BERTRAND

Ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'une étude portant sur « La vie de nuit dans la ville de Ngaoundéré de 1952 à 2009 », cette recherche est menée pour une thèse de Master's degree d'histoire de l'Université de Ngaoundéré. Celle-ci porte sur les activités de la nuit dans la ville, entre autres ceux de la criminalité et du gardiennage de nuit. Merci de bien vouloir y répondre.

1. Présentation de l'interviewé

1.1 Noms et prénoms

1.2 Âge (éventuellement)

1.3 Province d'origine

1.4 Profession

2. En quelle année avez-vous ouvert votre société de gardiennage à Ngaoundéré ?

3. Comment recrutez-vous votre personnel ?

4. À quels types de clients avez-vous affaire ?

5. Quels sont les problèmes que rencontrent vos agents pendant la nuit ?

6. Pensez-vous que le fait de considérer les gardiens de nuit comme complices des voleurs soit justifié ? que faites-vous pour y remédier en ce qui concerne votre agence ?

7. Quelle est la procédure d'acquisition d'une licence de fonctionnement d'une agence de gardiennage ?

ANNEXE I V : le décret N°90/1483 du 9 novembre 1990, fixant les conditions et les modalités d'exploitation des débits de boissons.

ANNEXE V : Exemplaire d'une licence de vente de boissons hygiéniques à consommer sur place

* 1 Piéron, H., 2000, Vocabulaire de la psychologie, Quadrige/PUF, p.302.

* 2 Ibid., p.531.

* 3 Ministère du Tourisme de la République du Cameroun, Cameroun destination Ngaoundéré, guide touristique des hôtels, restaurants de la ville de Ngaoundéré, p.3.

* 4 I.N.S., 2005, Enquête sur l'Emploi et le Secteur Informel (E.E.S.I.).

* 5 www.wikipedia.com/subalternstudies/en consulté le 18 août 2009.

* 6 « Antonio Gramsci (1891-1937), philosophe marxiste italien qui mourut en prison à cause de ses critiques à l'égard du fascisme. Sa réflexion porte en priorité sur les conditions de la révolution dans les sociétés industrialisées et sur le paradoxe d'un prolétariat subissant le fascisme alors qu'il était théoriquement armé pour lui résister grâce aux outils du marxisme. » (Durozoi G. et Roussel A., 1987, Dictionnaire de Philosophie, Ed. Nathan, p.144)

* 7 Pouchepadass, J., 2000, "Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité", L'Homme, n°156, pp.161 à 186.

* 8 Guha R., 1982, cité par Pouchepadass, 2000.

* 9 Guha R., 1982, cité par Pouchepadass, 2000.

* 10 Kammler W., 1973, Vocabulaire français-foulfouldé, Ed. Annoora, Garoua/Cameroun, p. 95.

* 11 Les aubades sont des concerts donnés à l'aube, le matin sous la fenêtre de quelqu'un.

* 12 Partie de l'office divin qui est récité au lever du jour.

* 13 Kammler, W., 1973, p.13

* 14 Abbé Benoit Zé, causerie éducative tenue en 26 novembre 2005 à la paroisse saints Charles et Martin d'Éfoulan à Yaoundé. 

* 15 La Sainte Bible, Genèse chapitre I versets 1à 5.

* 16 www.wikipedia.fr/tradition, consulté le 20 août 2009.

* 17 www.encyclopædiauniversalis.fr ; encyclopédie en ligne, consulté le 20 août 2009.

* 18 Hamadou, A., 2004, L'islam au Cameroun, entre tradition et modernité, Ed. L'Harmattan, France, p. 201.

* 19 Entretien avec Mohammadou Djaouro, quartier Tongo Pastorale le 23 août 2009.

* 20 Anatole France, cité par Béchir Ben Yahmed in Jeune Afrique L'Intelligent, n°2263, du 23-29 mai 2004, p.5.

* 21 Kemfang, 1998, p.7. Il faut tout de même préciser que jusqu'ici, aucun document en notre possession ne justifie cette date, en effet, c'est en 1952 que le quartier est officiellement reconnu comme domaine de l'État, mais les témoignages des premiers habitants de Baïladji, qui devient en 1964 Baladji, sont assez contradictoires. Certains, à l'instar du commerçant Djiya, installé à Ngaoundéré depuis 1958, situent cette expulsion plus tôt, c'est-à-dire en 1948. Et d'autres pensent que cette mise à l'écart n'était que logique au regard du nombre de plus en plus élevé de personnes venant du Sud du pays, la nécessité d'un nouveau quartier, nous dit Mohammadou Djaouro, imam au quartier Tongo Pastorale dans l'entretien tenu le 20 octobre 2009, s'imposait aux autorités.

* 22 Tassou, A, "Autorité traditionnelles et urbanisation au Nord-Cameroun : Cas de la ville de Mokolo", article en ligne : www.apsatnet.org/africaworkshops/media/tassou20%andré.PDF consulté le 8 novembre 2009.

* 23 Kemfang, H., 1998, p.7.

* 24I.N.S., 1er Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.) de 1976 et le 2e R.G.P.H. de 1987.

* 25 Voyageur Allemand, évoqué par Froelich, 1954a, p.6, probablement le Dr. Passarge qui, avec Von Uchtritz, seraient restés 9 jours dans le voisinage de la ville d'après Dermais, 1896, cité par Plumey Y., 1990.

* 26 Kemfang, H., 1998, p. 7, d'après lui, ces commerçants viennent dans la localité de Ngaoundéré afin de découvrir les terres des personnes avec lesquelles ils entretiennent des échanges commerciaux depuis plusieurs années. Mais, on peut aussi voir à travers ce déplacement, la volonté de se procurer les produits commercialisés (viande de boeuf, kola entre autres) à la source, sans autres intermédiaires.

* 27 Ibid., p. 7

* 28 Pandji Kawe, 2006, « Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à Ngaoundéré sous administration française », mémoire de maîtrise d'Histoire, Université de Ngaoundéré, p. 40

* 29 Entretien avec Djiya le 18 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 30 www.wikipedia.fr consulté le 04 novembre 2009.

* 31 www.wikipedia.fr consulté le 04 novembre 2009.

* 32 Kemfang, 1998, p.8

* 33 Lire Noiriel, G., 2006, Introduction à la socio-histoire, La découverte, Paris/France, p. 22.

* 34 "Anthropologie historique" Microsoft® Encarta® 2006

* 35 I.N.S., 2005, Enquête sur l'Emploi et le Secteur Informel (E.E.S.I.)

* 36 Mohamadou, L., 2004, « L'immigration et l'essor de la ville de Ngaoundéré : perspective historique », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré.

* 37 Babarou, A., 2006, « La vie économique et sociale dans les "quartiers populaires" des cités du Nord-Cameroun : Maroua, Garoua et Ngaoundéré (de la période coloniale française à nos jours) », mémoire de DEA d'Histoire, Université de Ngaoundéré.

* 38 Nkoumba Eyoum, 1999, « Dynamique urbaine et gestion de l'espace à Ngaoundéré », mémoire de maîtrise de Géographie, Université de Ngaoundéré.

* 39 Ossoko, S., 2005, « Les enjeux du secteur informel dans le développement des villes du Nord-Cameroun, cas de Ngaoundéré », mémoire de DEA de Géographie, Université de Ngaoundéré.

* 40 Lamanou Monique Débina, 1998, « Dynamique des Grand et Petit Marchés et ses conséquences sur l'espace urbain de Ngaoundéré », mémoire de Géographie, Université de Ngaoundéré.

* 41Hawa Djibring, 2007, « Phénomène urbain et conséquences socio-économiques (exemple de la ville de Ngaoundéré) », rapport d'initiation à la recherche en Sociologie, Université de Ngaoundéré.

* 42 Kemfang, H., 1998, « Les quartiers Baladji de Ngaoundéré création et évolution 1950-1997 », rapport d'initiation à la recherche en Histoire, Université de Ngaoundéré.

* 43 Lire Waage, T., 2006, «Coping with Unpredictability: Preparing for life in Ngaoundéré, Cameroon», in Christiansen C., Utas M. and Vigh H. (eds), Navigation Youth Generation Adulthood. Social Becoming in an African Context, Nordic Africa Institute, Uppsala.

* 44 Ndame, J.P., 1999, "Commerce informel et structuration de l'espace urbain à Ngaoundéré", Ngaoundéré Anthropos, Vol. IV.

* 45 Lire Sadou, A., 2004, « Les moto-taximen et la question de l'insécurité dans le Nord-Cameroun, le cas de la ville de Ngaoundéré de 1988 à nos jours », rapport d'initiation à la recherche en Histoire, Université de Ngaoundéré. Et Halima Aboubar, 2005, « Impact sociologique de l'activité de motos-taxis sur le développement de la ville de Ngaoundéré », mémoire de maîtrise en Sociologie, Université de Ngaoundéré.

* 46 Mucchieli, R., 1991, L'analyse de contenu des documents et des commentaires, Collection Formation permanente en science humaine, Paris/France, p.123

* 47Mohammadou, E., 1978, Les Royaumes foulbé du plateau de l'Adamaoua au XIXe siècle : Tibati, Tignère, Banyo, Ngaoundéré. Ed. ILCAA, Tokyo. Il précise tout de même qu'un peuple de bantoïde était déjà installé sur le plateau de l'Adamaoua avant l'arrivée des Mboum, p.253

* 48Ibid., p. 250

* 49Lembezat, B., 1961, Les populations païennes du Nord-Cameroun et de l'Adamaoua, PUF, Paris/France, cité par Plumey, Y., 1990, p.136

* 50 Entretien avec Adji Temba, tenu le 29 avril 2009 à Ngaoundéré.

* 51Plumey, Y., 1990, Mission Tchad-Cameroun, documents, souvenirs, visages ; l'annonce de l'évangile au Nord-Cameroun et au Mayo Kebbi 1946-1986, Éditions Oblates, p.124

* 52Atoukam Tchefejem L.D. & Nizésété B.D., 2002, "Filière de la viande de brousse dans l'Adamaoua (Cameroun) : chasse et consommation", Méga-Tchad, mis en ligne sur www.pefac.net et consulté le 25 août 2009.

* 53 À ce sujet, lire Boyer, 1980, "Les figures du savoir initiatiques", Journal des africanistes, Vol.50/ Gosselin G., 1972, Travail et changement social en pays Gbaya, Nanterre/laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative. Et Ninga Sango, 1993, "Le « labi », rite d'initiation des Gbaya", in Peuples et cultures de l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed. ORSTOM/ Ngaoundéré Anthropos, Col. Colloques et Séminaires, pp 181-186.

* 54 Mohammadou E., 1978, p.287

* 55 Froelich, J.C., 1954 b, Commandement et organisation sociale chez les Foulbé ; in Études Camerounaises, septembre-décembre 1954, n°45-46. Institut Français d'Afrique Noire, Centre Cameroun, p.37

* 56 Entretien avec Adji Temba le 29 avril 2009, informations confirmées par Mohammadou Djaouro, entretien du 20 août 2009 au quartier Tongo.

* 57 Mohammadou, E., 1978, p.287

* 58 Djingui, M, 1993, "Mariage et images du mariage chez les Peul", in Peuples et cultures de l'Adamaoua, Boutrais J., (éd.), Éd. ORSTOM/ Ngaoundéré Anthropos, Col. Colloques et Séminaires, pp 181-186.

* 59 Mohammadou Djaouro, entretien tenu le 20 août 2009 à Tongo.

* 60 Saint Coran, 24 :31 ; 33 :32 ; 33 :33 ; 4 :128.

* 61 Kammler, W., 1973.

* 62 Adamou I. et Labatut R., 1974, Sagesse de peuls nomades, Éd. CLE, Yaoundé, p.32

* 63 Informations obtenues sur le forum Aswat Al-Islam, consulté le 6 novembre 2009.

* 64Mohammadou Djaouro, entretien tenu le 20 août 2009 à Ngaoundéré.

* 65 Cité par Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, La voie du musulman (Minhaj Al-Mouslim), traduction de Rima Ismaël, revue par Ahmad-harakat, Dar el Fiker, Beyrouth, première édition, p.71

* 66 Ibid., p.110

* 67 Mohammadou Djaouro, entretien tenu le 20 août 2009, et informations confirmées par Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, p.237

* 68 Entretien avec Hadidja, le 20 août 2009 à Tongo.

* 69La shahâda est le témoignage de foi dans la religion musulmane.

* 70 Hamadou, A., 2004, L'Islam au Cameroun, entre tradition et modernité, Éd. L'Harmattan, France, p.69.

* 71 Ibid., p. 70.

* 72 Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, p.113

* 73 Ibid., p.77

* 74 Abou Bakr Al-Djazaïri, 2002, p.342

* 75 Løde, K., 1990, Appelés à la liberté, histoire de l'église évangélique luthérienne du Cameroun, IMPROCEP éditions, Amstelveen, Pays-Bas, p.9

* 76 Løde, K., 1990, p.10

* 77 Ibid., p.11

* 78 Ibid., p.15

* 79 Entretien avec Daba Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 80 Entretien avec Daba Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 81 Entretien avec Daba Daniel, le 29 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 82Løde, K., 1990, p.10

* 83Plumey, Y., 1990, pp.74-75

* 84Plumey, Y., 1990, p.58

* 85Ibid., pp.1-2

* 86 Psaumes 59 :7.

* 87 Évangile de Jean, 13 ; 4-5.

* 88 Ibid., 13 ; 2-3.

* 89 Psaumes 59 :15.

* 90 Entretien avec l'abbé Karlo Prpic, le 13 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 91 Tuho C.V., Amian C. et Fadika M.-J., 2005, La veillée des saisons : une arme très efficace pour le combat spirituel, Fondation Jésus en Afrique, Abidjan/Côte d'Ivoire.

* 92 Entretien avec l'Abbé Karlo Prpic, le 13 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 93 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 94 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 95 Entretien tenu avec Ngnintendem Abraham, le 10 septembre 2009 au collège de Mazenod de Ngaoundéré.

* 96 Ces informations nous ont été fournies par Mme Kadidja Ousmanou au quartier Bali, en complément à l'article d'Abdoulaye Oumarou Dalil, "Le Soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 97 Le nycthémère est une durée de 24h comportant un jour et une nuit. Il s'agit d'une unité physiologique de temps, comprenant pour la plupart des hommes et des animaux, une période de veille et une période de sommeil. (Le Petit Larousse Illustré 2007, p.743)

* 98Abdoulaye Oumarou Dalil, "Le soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 99Dognin, R., 1975, "Sur trois ressorts du comportements peul", in Pastoralism in Tropical Africa ; cité par Oumarou Dalil, "Le soro ou rituel d'initiation du couple chez les Foulbé du Diamaré". Article en ligne.

* 100 Saïbou, Issa, 2006, "Les jeunes patrons du crime organisé et de la contestation politique aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad" ; International conference «Youth and the Global South : Religion, Politics and the Making of Youth in Africa, Asia and the Middle East» Dakar, Senegal, 13 - 15 october 2006. Mis en ligne sur www.youthconfissa.pdf et consulté le 24 août 2009.

* 101 Saïbou, Nassourou, 1994, "Les loisirs au village, le système de hiirde des Peuls", rapport préliminaire, p.4

* 102 Saïbou, Nassourou, 1994, p.4

* 103 Ibid., p.9

* 104 Entretien avec Adji Temba, tenu le 29 avril 2009 au quartier Ndelbe à Ngaoundéré.

* 105 Entretien avec Mohammadou Djaouro tenu le 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale, Ngaoundéré.

* 106 Saïbou, Nassourou, 1994, p.75

* 107 Hansen, K. F., 1999, "Space and power in Ngaoundere", in Pouvoir et savoir de l'Arctique au Tropiques, Éd. Holtedahl L, Njeuma M.Z., Gerrard S. et Boutrais J., Karthala, p.340

* 108 Njeuma M.Z., 1996, cité par Lamine M., 2004, p.68

* 109 Somme assez importante dans les années 1952, si on considère que d'après Froelich, 1954a, un boeuf coûtait 4000 f.

* 110 Froelich, J.-C., 1954a, "Ngaoundéré, la vie économique d'une cité peul", in Études Camerounaises, revue trimestrielle, mars-juin 1954, N°43-44, institut français d'Afrique Noire, Centre Cameroun, p.38

* 111 La douaire représente l'ensemble des biens assignés en usufruit par le mari à sa femme survivante (Le Petit Larousse Illustré 2007, p.378)

* 112 Quéchon, M., et Barbier, J.C., 1985, "L'instabilité matrimoniale chez les Foulbé du Diamaré", in Femmes du Cameroun. Mères pacifiques, femmes rebelles. Centre National des Lettres, France, pp. 299-312, Article en ligne.

* 113 Ibid., 1985.

* 114 Entretien avec Hadidja, tenu le 22 août 2009 à Ngaoundéré.

* 115 Djingui, 1993, p 192

* 116 Ibid., p191

* 117Froelich, J.C., 1954b, "Le commandement et l'organisation sociale chez les Foulbé de l'Adamaoua (Cameroun)" in Études Camerounaises, septembre-décembre 1954, n°45-46, p.6

* 118 Ibid., pp.14-15.

* 119 Entretien avec Adji Temba, le 25 avril 2009 à Ngaoundéré.

* 120 Kemfang, 1998, p.9

* 121 Lamine, M., 2004, p.26

* 122 Froelich J.C., 1954a, p.25

* 123 Kemfang, H., 1998, p.7

* 124 Pandji Kawe, 2006, "Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à Ngaoundéré sous administration française", mémoire de maîtrise d'histoire, université de Ngaoundéré, p.37.

* 125 Ibid., p 37.

* 126 Pandji Kawe, 2006, "Les travailleurs indigènes et fonctionnaires sudistes à Ngaoundéré sous administration française", mémoire de maîtrise d'histoire, université de Ngaoundéré, p.23

* 127Entretien avec Mohammadou Djaouro, le 20 août 2009 au quartier Tongo à Ngaoundéré.

* 128Abwa D., 1980, "Le Lamidat de Ngaoundéré 1915-1945", Master's degree en Histoire, Université de Yaoundé, p.280.

* 129Mohammadou, E., 1978, p.106

* 130Lamine, M., 2004, p.34

* 131 Fèvre, F., 1983, Les seigneurs du désert, Histoire du Sahara, Presses de la Renaissance, Paris/France, p.275

* 132 Saïbou, Issa, 1997, "L'impact socio-économique du séjour des réfugiés tchadiens à Kousséri", Ngaoundéré-Anthropos, revue de sciences sociales, Université de Ngaoundéré (Cameroun)/Université de Tromsø (Norvège), Vol.2, 1997, p.128.

* 133 Ibid., p.128

* 134 Ibid.

* 135 Lamine M., 2004, p.44

* 136 Dermais, H., 1896, article paru dans le journal Nature, et cité par Plumey Y., 1990, p.77

* 137 Hansen, K.F., 1999, pp. 399-340

* 138 Mohammadou, E., 1978, p.305

* 139 Ibid., pp.305-307

* 140Dictionnaire encyclopédique Quillet, 1962, librairie Aristide Quillet, Paris, France, p.3346

* 141Larousse 3 volumes en couleurs, librairie Larousse Paris/France, p.1825

* 142 Lamine M., 2004, p.39

* 143 Le million, L'encyclopédie de tous les pays du monde, Vol. VI (1973,1974), Asie du Sud-ouest, Éd. Grande Batelière (Paris/France) Kister S.A. (Genève/Suisse), Agence belge des grandes éditions (Bruxelles/Belgique), p.172

* 144Le million, L'encyclopédie de tous les pays du monde, Vol. VI (1973,1974), p.172

* 145 Ibid., p.174

* 146 Ibid., p.174

* 147Le million, L'encyclopédie de tous les pays du monde, 1973,1974, p.174

* 148 Lamine, M., 2004, p.39

* 149 Entretien avec Agbor Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 150 Entretien avec Agbor Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 151 Entretien avec Agbor Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 152 Entretien avec Agbor Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 153Entretien avec Agbor Andock Daniel, le 15 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 154Hamadou Adama, 2004, p. 29.

* 155 Hamadou Adama, 2004, p.24.

* 156 Le pulaaku est le mode de vie traditionnel des Peuls, fondé sur la préservation des valeurs ethnoculturelles et de la personnalité de l'homme peul. Lire Hamadou Adama, 2004, et Saïbou Issa, 2001, "Songoobe, bandits justiciers au Nord-Cameroun sous l'administration française", Ngaoundéré Anthropos, Vol VI, pp 137-154.

* 157 Hamadou Adama, 2004, p. 29.

* 158 Ibid.

* 159 Froelich, 1954 b, p. 14

* 160 Ibid., p. 19

* 161 Boutrais, J., 2002, p. 172

* 162 Ibid., p. 172

* 163 Ibid., p.171

* 164 Hamadou, A., 2005, "Islam et christianisme dans le bassin du lac Tchad : Dialogue des religions ou dialogue des religieux ?" Recherches Africaines [en ligne], Numéro 04 - 2005, 2 juin 2005. Disponible sur Internet : http://www.recherches-africaines.net . Consulté le 6 novembre 2009.

* 165 Mohammadou Djaouro, entretien du 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale à Ngaoundéré.

* 166 Cet aspect est aussi évoqué par Mbengué Nguimé M., 2000, "L'autorité traditionnelle, l'école et la jeunesse au Nord-Cameroun de 1917 à 1960" in Annale de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Ngaoundéré, Vol. V, pp.14-29. Lire aussi Holtedahl L., 1993, "Education, économie et « idéal de vie », les femmes de Ngaoundéré", in Peuples et cultures de l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed. ORSTOM/Ngaoundéré Anthropos.

* 167 Mbengué Nguimé M., 2000, p.25

* 168 Ibid., p.14

* 169 Ibid., p.18

* 170 Mohammadou Djaouro, entretien tenu le 20 août 2009 au quartier Tongo Pastorale à Ngaoundéré.

* 171 Ponty W., circulaire du 30 août 1910, cité par Hamadou A, 2004, p.93.

* 172À cause des brutalités caractéristiques de cette prison, et surtout de l'esclavage qui sévissait dans la cité de Ngaoundéré, le pasteur Endresen a oeuvré contre ces pratiques. D'après Kare Løde, l'administration française accepta le système d'esclavage pour des raisons politiques, par crainte de contagion de la rébellion dans le Sud du pays. Le 13 novembre 1952, le représentant du Haut Commissaire au Nord-Cameroun déclare dans une réunion politique, que tous les hommes au Cameroun sont libres. Mais, c'est en 1961, lorsque Charles Assale visite la N.M.S. qu'il est informé des problèmes d'esclavage. C'est ce qui conduit quelques mois après à la destruction de la prison du Lamido. (Kare Løde, 1993, "les oeuvres luthériennes en Adamaoua", in Peuples et cultures de l'Adamaoua, éd. Boutrais J., Ed. ORSTOM/Ngaoundéré Anthropos.)

* 173 Sojip M. et Nizésété B.D., 1998, "Jean Ndoumbé Oumar Ngaoundéré : premier maire noir au Nord-Cameroun (1958-1963)", in Acteurs de l'histoire au Nord-Cameroun XIXe et XXe siècle, Revue Ngaoundéré Anthropos, Vol. III Numéro Spécial I, éd. Thierno Mouctar Bah, p.272

* 174Gondolo, A., 1978, « Ngaoundéré ou l'évolution d'une cité peule », thèse de doctorat en Géographie, Université de Rouen, p.93

* 175 Froelich, J.C., 1954a, p. 6

* 176 I.N.S., 1987, 2e Recensement Général de la Population et de l'Habitat (R.G.P.H.).

* 177 Mpoual, E., 2006, « Évolution des effectifs d'étudiants à l'université de Ngaoundéré de 1993 à 2004 », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré, p. 9

* 178 Mpoual, E., 2006, p. 20

* 179 Idem, p. 29

* 180 Lamine, M., 2004, p.26

* 181Løde K., 1990, Appelés à la liberté, histoire de l'église évangélique luthérienne du Cameroun, IMPROCEP éditions, Amstelveen, Pays-Bas, p.15

* 182 Wanedam D., "Un soir à Joli Soir", article paru dans L'OEil du Sahel, n°323 du 06 avril 2009, p.5

* 183 Saïbou Issa, 1997, p. 132.

* 184 Ibid., p.134

* 185Ahanda A., Cameroon Tribune n°2247, cité par Saïbou Issa, 1997, p.132.

* 186 Wanedam D., "Un soir à Joli-Soir", in L'oeil du Sahel, n°323 du 06 avril 2009, p.5.

* 187 Kouamen-Tavou C.-N., entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 188 Kouamen-Tavou C.-N., entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 189 Voir le décret de loi en annexe.

* 190 Kouamen-Tavou C.-N., entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 191 Kouamen-Tavou C.-N., entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 192 Kouamen-Tavou C.-N., entretien tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 193 Entretien avec "Mami" tenu le 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 194 Entretien tenu le 23 août 2009 à Ngaoundéré, l'interviewé n'a pas voulu donner son nom.

* 195 Entretien avec Ngintendem Abraham, le 21 novembre 2009.

* 196 Source : www.wikipedia.fr, consulté le 10 août 2009.

* 197 Walther, R., 2006, "La formation professionnelle en secteur informel, rapport sur l'enquête terrain au Cameroun", Agence Française du Développement, département de la recherche. Mis en ligne sur le site www.afp.fr et consulté le 24 août 2009.

* 198 Banque Mondiale, 2005, "African Development Indicators". Rapport en ligne.

* 199 Banque Mondiale, 2005, "African Development Indicators". Rapport en ligne.

* 200 Fonds Monétaire International, 2005, "Rapport du FMI n° 05/164, Cameroun : consultations de 2005 au titre de l'article IV et programme de référence, suivi du Rapport des services du FMI : note d'information au public relative aux délibérations du Conseil d'administration et déclaration de l'administrateur pour le Cameroun." Rapport en ligne

* 201 Walther, R., 2006.

* 202 Njikam G.B.N., Lontchi Tchoffo R.M. et Mwaffo V.F., 2005, "Caractéristiques et déterminants de l'emploi des jeunes au Cameroun", Cahiers de la stratégie de l'emploi, Département de la stratégie en matière d'emploi de l'unité des politiques de l'emploi, OIT Genève, p.10.

* 203 Amprou J. et al., 2006, "Rapport de conjoncture et prévisions des pays de la zone franc", document de travail de l'Agence Française de Développement.

* 204 Institut National de la Statistique, 2005, "Enquête sur l'emploi et le secteur informel au Cameroun en 2005, Phase 1 : Enquête sur l'emploi, Rapport principal".

* 205 Institut National de la Statistique, 2005, "Enquête sur l'emploi et le secteur informel au Cameroun en 2005, Phase 1 : Enquête sur l'emploi, Rapport principal".

* 206 Walther, R., 2006, www.afp.fr, consulté le 24 août 2009.

* 207 La création de l'hôpital est relatée par Løde K., 1990, pp 218-227

* 208 Cette fondation appartenait à un américain nommé Young qui était venu en visite au Cameroun en 1953. C'était un homme généreux et très riche. Face aux difficultés rencontrées par le projet de construction de l'hôpital, il avait promis une somme de 25 000 Dollars US. Cette somme était si importante qu'elle pouvait non seulement construire tout l'hôpital, y compris le service de chirurgie et l'odontologie, mais elle permettrait également de construire une école d'infirmiers, des maisons d'habitations des médecins, et des maisons d'habitations de quelques infirmiers. En plus M. Young dans sa correspondance du 20 avril 1954, avait promis de payer les frais de fonctionnement de cet hôpital pendant une période minimale de 5 ans et une période maximale de 10 ans.

* 209 Répartition faite sur la base des informations fournies par Mboudga Raphael, surveillant général adjoint de l'hôpital protestant de Ngaoundéré, entretien tenu le 3 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 210 Pacthoaké, B., 2009, "Cameroun : le quartier norvégien de Ngaoundéré ou des blancs en pâture aux hyènes." Article en ligne sur www.journalducameroun.com, mis en ligne le 17/05/2009 et consulté le 03 octobre 2009.

* 211 Mme Moussa Mbélé Djilbert Kola, réponses au questionnaire.

* 212 Mme Moussa Mbélé Djilbert Kola, réponses au questionnaire.

* 213 Chapitre I, dispositions générales, article 2 du décret n°90/1483 du 9 novembre 1990, fixant les conditions et les modalités d'exploitation des débits de boissons. Cf. Annexe.

* 214 Entretien avec M. Djiya le 11 août 2009 à Ngaoundéré.

* 215 Kouam David, entretien tenu le 12 août 2009 à Ngaoundéré.

* 216 Entretien avec Nformi Félix, le 20 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 217 Kouamen Tavou, entretien du 01 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 218 Entretien avec Viviane le 10 août 2009 à Ngaoundéré.

* 219 Mballa Romiald, réponses au questionnaire.

* 220 Le Petit Larousse Illustré 2007, p.122

* 221 Le Petit Larousse Illustré 2007, p.553

* 222 Le Petit Larousse Illustré (2007), Ed. Librairie Larousse, Paris/France ; p.191

* 223 Djommo Lin Valère, entretien tenu le 16 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 224 Djommo Lin Valère, entretien tenu le 16 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 225 C.R.T.V., Cameroon Radio and Television.

* 226 Ismaëla Issa, entretien tenu le 25 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 227 Abdoulkarim, S., 2005, "Le taxi moto et l'insécurité urbaine dans le Nord-Cameroun, le cas de la ville de Ngaoundéré". Article mis en ligne sur www.sadou1ngaoundéré.pdf et consulté le 20 septembre 2009.

* 228 Abdoulkarim, S., 2005, www.sadou1ngaoundéré.pdf consulté le 20 septembre 2009.

* 229 Augustin, entretien tenu le 20 septembre 2009.

* 230 Entretien avec Jean-Vincent, tenu le 19 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 231 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 232 Mohammadou Djaouro, entretien tenu le 20 août 2009 à Ngaoundéré.

* 233 Patchami Guy Bertrand, entretien tenu le 20 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 234 Patchami Guy Bertrand, entretien tenu le 20 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 235 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 236 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 237 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré.

* 238Nyam a Ngam C., 2007, « La Police et la répression du gangstérisme urbain à Ngaoundéré 1990-2005 », mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Ngaoundéré ; p.16

* 239 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré

* 240 Nyam a Ngam, 2007, p.16

* 241 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré

* 242 Nyam a Ngam, 2007, p. 43

* 243 Temde Joseph, entretien tenu le 24 septembre 2009 à Ngaoundéré

* 244 Mme Ngan Jeanne, entretien tenu le 02 septembre 2009 à Onaref.

* 245 Ngo Nlomée M.M., 2004, « Le bili bili à Ngaoundéré : technique de fabrication, usage et commercialisation 1964-2004 », mémoire de maîtrise d'Histoire, Université de Ngaoundéré, p.61.

* 246 Ngo Nlomée M.M., 2004, p.61

* 247 Ibid., p.62

* 248 Ibid., p.63.

* 249 Entretien avec Natwa le 19 septembre 2009 à Sabongari Norvégien.

* 250 Ngo Nlomée M.M., 2004, p.68.

* 251 Les fruits vendus varient en fonction des saisons. Ainsi, la même personne peut vendre des oranges et des mandarines pendant certains mois, et le mois d'après vendre des prunes.

* 252 Le soya est un mets fait à base de viande, soit de boeuf, de mouton de poulet, de porc ou tout autre ; cuite à la braise sur de grands fours et vendue en tranches. Ce commerce est l'apanage des ressortissants du Grand-Nord, même si en ce qui concerne le porc et le poulet, on retrouve surtout les Sudistes.

* 253 Tableau établi en mars 2005 par Tanlaka Kilian Lamtur, Tirga Albert et Gnebora Oumarou, in "Les immigrés des Monts Mandara et le commerce de la viande à Ngaoundéré : cas de la viande du soya (brochettes) et du rôtis de foetus de vaches (1990-2006)", article inédit.

* 254Boulet, J., 1975, Magoumaz, pays Mafa (Nord-Cameroun). Étude d'un territoire de montagne, ORSTOM, Paris, p.24, cité par Tanlaka Kilian Lamtur, Tirga Albert et Gnebora Oumarou.

* 255 Abou Bakr Djaber Al-Djazaïri, 2002, p.394

* 256 Viviane, entretien tenu le 10 août 2009 à Ngaoundéré.

* 257 Pierre, entretien tenu le 10 août 2009 à Ngaoundéré.

* 258Aladji Abouya Oumar, 1999, « La gare ferroviaire de Ngaoundéré, impact socio-économique et spatial », mémoire de maîtrise de Géographie, Université de Ngaoundéré, p.47

* 259 Ibid., p. 47

* 260 Mâ Pau, entretien tenu le 31 août 2009 à Ngaoundéré.

* 261 Froelich, 1954a, p.39

* 262 Kemfang, H., 1998, p.17

* 263 Tedou J. (I.N.S.)

* 264 Mélanie, entretien du 13 juin 2009 au quartier Sabongari Gare.

* 265 Ma Henriette, entretien du 14 juin 2009 au quartier Baladji I.

* 266 Froelich, 1954a, p.39

* 267 Ma Henriette, entretien du 14 juin 2009 au quartier Baladji I.

* 268 Le "protecteur" est une personne, mâle ou femelle, qui maque la prostituée et l'exploite. Il s'agit d'une pratique assez courante compte tenu du fait que la prostituée est exposée à toute sorte de violence de la part des clients. D'autre part, les filles qui arrivent à peine dans la ville, sont accueillies par des "protecteurs" qui les hébergent et se font payer sur la base des revenues de ces filles. C'est aussi cette pratique qui est mise en exergue dans les circuits tel que nous l'avons évoqué dans la Première Partie, section IV.

* 269 www.wikipedia/toponymie.fr

* 270Djiya, entretien tenu le 18 octobre 2009 à Ngaoundéré.

* 271 Le nom Aladji est attribué à un musulman ayant effectué le pèlerinage à la Mecque (El Hadj), mais dans la ville de Ngaoundéré et dans le Grand-Nord du Cameroun en général, ce nom est attribué aux riches commerçants musulmans. Il est possible que cette transformation dans la connotation du nom soit due au coût élevé du voyage pour la Mecque, que seules les personnes nanties pouvaient s'offrir. Être un Aladji, c'est donc être un homme riche.

* 272 Nyam a Ngam, C., 2007, p.25.

* 273 Voir la façade avant de la Cathédrale Notre Dame des Apôtres de Ngaoundéré où est enterrée Yves Plumey.

* 274 Saïbou Issa, 2004, "La répression du grand banditisme au Cameroun : entre pragmatisme et éthique". Recherches Africaines [revue en ligne], Numéro 03 - 2004, 3 octobre 2004. Disponible sur Internet : http://www.recherches-africaines.net consulté le 25 août 2009.

* 275 Ibid., 2004.

* 276 Yemga, 2009, "Ngaoundéré : Un policier présumé coupable", article paru dans le journal Mutations, mis en ligne sur le site www.cameroon-info.net consulté le 10 août 2009.

* 277 Ibid.

* 278 Entretien avec Mohammadou Djaourou, tenu le 20/08/09 à Tongo Pastorale, Ngaoundéré.

* 279Entretien avec Mme Ngodjock Bernadette, tenu le 10 août 2009 à Ngaoundéré.

* 280 Nyam a Ngam, C., 2007, p. 27

* 281 Ibid., p.28

* 282 Fouda Guy, entretien mené en décembre 2006 à Yaoundé.

* 283 Edzoa Y. M., 2008, "1 jeune sur 4 consomme de la drogue au Cameroun", article paru dans le quotidien Le Jour, et mis en ligne sur www.bonaberi.com le 04/07/2008, consulté le 06 août 2009.

* 284 Le collapsus est un délire aigu lié à l'épuisement, lire Piéron, H, 2000, p.83

* 285 www.doctissimo.fr, site Internet consulté le 06 août 2009.

* 286 Il faut préciser que le dosage de ces produits est une indication de notre informateur. Sur les sachets de ces comprimés on peut lire 50 mg (Trumol, Tramadol) et 100 mg (Tralam), mais la différence de prix montre bien qu'ils n'ont pas la même consistance. En partant de la gauche vers la droite l'Exol 5 coûte 100 f.cfa. Le comprimé, il est aux dires des consommateurs, comparable à 5 bières de marque Guinness. Le Diazépam vaut 250 f.cfa. Le sachet de 10 comprimés. Le sachet de Passion s'achète à 100 f.cfa. ; les différents types de Tramol ont des prix assez variant selon les vendeurs, mais les prix généralement pratiqués sont : Trumol, 200 f.cfa. ; Tralam (250 mg), Tramadol et Tromal, 250 f.cfa. ; enfin Tralam (1000 mg), 350 f.cfa. En marge de ces comprimés dont nous avons pu nous procurer des échantillons, on peut ajouter la marijuana, vendue à 200 f.cfa. le sachet. Pour notre informateur, il ne faut pas se fier aux indications sur le sachet, ces comprimés étant de la contrebande. Par ailleurs, en l'absence de tests chimiques appropriés, nous ne saurions nous prononcer sur ces dosages.

* 287 Témoignage anonyme d'un responsable de l'établissement confessionnel, le 4 août 2009 à Ngaoundéré.

* 288 Kä Mana, "La prostitution, plus qu'un mal local, une dérive globale", in Ecovox n°40, juillet-décembre 2008.

* 289 Entretien avec Ma Henriette, le 14 juin 2009 au quartier Baladji I.

* 290 Entretien avec Temde Joseph, le 24 septembre 2009.

* 291 Petsoko M., "Pari mortel : Il trépasse pour avoir voulu boire 100 comprimés de Tramol", article mis en ligne sur www.webcameroon.net le 12 octobre 2008 et consulté le 19 août 2009.

* 292 www.alcoolisme.org, consulté le 5 octobre 2009.

* 293 Karererwa I., 2005, "Kigali : alcoolisme et pauvreté, un cocktail redoutable", mis en ligne sur www.sifyainternational.com le 10/05/2005 et consulté le 05/10/2009.

* 294 Tassou, A, "Autorité traditionnelles et urbanisation au Nord-Cameroun : Cas de la ville de Mokolo", article en ligne : www.apsatnet.org/africaworkshops/media/tassou20%andré.PDF consulté le 8 novembre 2009.

* 295 Ibid.

* 296 Abdelnasser Garboa, "Cameroun : la prostitution à l'ombre du Sare", in Mutations du vendredi 9 juillet 2004. Article en ligne sur le site http://www.afriquechos.ch site Internet visité le jeudi 06 août 2009)

* 297 Engoute C., Les "benskinneurs" se shootent au Tramol, article paru dans le journal Mutations du 07 avril 2009. Article mis en ligne sur le site www.cameroon-info.net. Consulté le 06 août 2009.

* 298 Ibid.






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote