CONCLUSION GENERALE
Réfléchir sur l aliénation ,c est
fondamentalement s immiscer dans un débat intellectuel
,métaphysique dans lequel tout le monde aurait raison de par son
versant ,sa vision .C est donc faire comme OEdipe sur la route de
Thèbes ,c est à dire déchiffrer à son niveau des
énigmes pour s assurer le pouvoir comprehensionnel du concept
.Cependant, il importe de déplacer la question cruciale c est à
dire changer de scène : « comprendre qu' il n y a
pas à changer la vérité de la société par le
biais de la fausseté de son idéologie mais à prendre pour
point de départ les pratiques sociales effectives et à essayer de
fixer le mécanisme (...) » ; c est donc dire que une
réflexion sur l aliénation est tributaire de l époque
sociale du sujet pensant mais aussi en interrogeant le passé car d
après les mots de Marx « les philosophes ne sortent pas de
terre comme des champignons mais ils sont le fruit de leurs
époques ( ...) ils sont pas extérieurs au monde
» .
Ainsi, pour nous, en suivant le temps, Marx a pensé l
aliénation et surtout montré son impact sur l homme empirique du
XIX siècle mais qu'est elle devenue au XXI siècle ?
L'aliénation s'est elle accentuée ?
En répondant à une telle interrogation, c
était d abord suivre l itinéraire du concept depuis Hegel en
passant par Feuerbach avant de mieux saisir le philosopher marxien. De ce
dernier, avions nous retenu que c'est, avec Hegel, que le concept a acquis sa
lettre de noblesse philosophique. Cependant, ce philosophe s'est
évertué à expliquer le monde comme étant
l'automanifestation de l'idée ou l'esprit. Cet esprit est
fondamentalement le même du monde, existe d'abord comme une sorte de pur
esprit existant avant le monde et les esprits humains, c'est-à-dire le
stade de l'en-soi de l'esprit où il est substance reposant en
elle-même.
Mais ici, ce qui est présent ne signifie pas
l'effectivité « objective »61, qui a sa
conscience au-delà ; chaque moment singulier, entendu comme essence
reçoit celle-ci, et par là l'effectivité d'un autre, et,
dans la mesure où il est effectif, son essence est quelque chose d'autre
que son effectivité : «Rien n'a un esprit fondé et
immanent dans lui-même »62. Autrement, tout en
dehors de soi dans un esprit étranger. Ainsi donc, l'équilibre du
tout, selon Hegel, n'est pas l'unité demeurant auprès de soi et
son apaisement, c'est-à-dire l'apaisement de l'unité
retrouvée dans soi mais repose sur l'aliénation de ce qui est
« opposé »63. Le tout, par
conséquent, comme chaque moment singulier, est une réalité
aliénée de soi.
Ainsi, pour Hegel, le concept d'aliénation est
présenté comme positif, lieu de réalisation de l'homme.
Pour Ludwig Feuerbach, il faut placer l'homme réel au centre du concept
de l'aliénation. Pour cet hégélien de gauche étant
« le lien le plus net entre Hegel et Marx »64.
Il n'est d'aliénation que de l'homme et au niveau religieux. C'est la
théologie y compris la logique de Hegel, c'est-à-dire à
théologie fait logique, une théologie laïcisée qui
aliène l'homme, le sépare de lui-même. Elle
extériorise dans la divinité ses qualités et ses forces
(beauté, bonté, puissance...) pour ne plus considérer
l'homme comme l'absolument négatif, la somme de toutes les
nullités : être fini, imparfait, temporel, impuissant,
pécheur. Pour se réaliser authentiquement c'est-à-dire se
réapproprier toutes ces qualités essentielles, les hommes doivent
donc dissiper cette illusion théologique et reprendre ainsi sur leur
aliénation religieuse. Une philosophie matérialiste faite de
l'homme joint à la nature comme base de l'homme, l'objet unique de la
philosophie. Ainsi, les individus pourront à
61_HEGEL, phénoménologie de l'esprit,
(Paris, Gallimard), p441
62_Idem
63_Idem
64_D'HONDT (Jacques), Hegel, Philosophie de
l'histoire vivante, (Paris, PUF), p64
nouveau participer pleinement et adéquatement à
leur essence : `'le genre'' ou `'l'homme''. Les êtres humains sont
ici considérer non comme des êtres spirituels relevant de quelques
manières d'un esprit transcendant au monde matériel, mais comme
des êtres sensibles, matériels, naturels, se rapportant aux seules
déterminations du monde matériel. Cette théorie va
impressionner `'le jeune Marx'' et le pousser à écrire ceci
« Feuerbach a surmonté une fois pour toute la vieille
opposition entre le spiritualisme et le matérialisme ». Plus
loin, il écrit « il est le premier qui soit parvenu à
la saisie de l'homme réel »65.
Avec Karl Marx, il est question de l'émancipation de
l'homme. A cet effet, il va s'inspirer fortement de la notion
hégélienne d'aliénation, de la dialectique et surtout du
renversement feuerbachéen du concept d'aliénation. Ainsi, y
reprend-t-il encore à son compte l'idée de l'aliénation
religieuse, la critique de la philosophie hégélienne et de la
philosophie en générale comme religion transposée dans la
pensée. Dans sa `'Critique de la dialectique hégélienne et
de la philosophie allemande'', il s'affirme d'obédience
feuerbachéenne et déclare « seul Feuerbach dans ce
domaine, a fait les véritables découvertes ; c'est lui, en
somme, qui a vraiment triomphé de l'ancienne
philosophie »66.malgré qu'il adapte ses
idées, elles lui paraîtront toutefois insuffisantes. Marx reproche
à Feuerbach sa conception abstraite de l'essence humaine et son analyse
sur l'aliénation de l'homme dans la projection religieuse. Il rejettera
également le caractère idéaliste du concept
d'aliénation chez Hegel et partant la philosophie
hégélienne. En effet, pour lui, Hegel est un philosophe bourgeois
dont la pensée fait le jeu de la classe dominante, car sa philosophie ne
permet que la libération des intellectuels, des artistes, des
philosophes. C'est une pensée sans action, donc rien ne changera.
65_ MARX (Karl), Critique de l'économie
politique, op.cit. p.13
66_ MARX (Karl), Critique de la dialectique
hégélienne et de la philosophie allemande, in philosophie
(Paris, Gallimard, 1968), p156
Or Marx part d'un postulat révolutionnaire :
« les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de
diverses manières ; ce qui importe, c'est de le
transformer ». Aussi, Marx s'octroie-il une méthode et des
principes découlant de ce qu'Henri Lefebvre nomme avec raison le
matérialisme dialectique67.
En effet, la logique formelle ne peut refléter la
réalité (A ne reste jamais A). Les réalités
sociales évoluent, mais aussi morales, les philosophes, les religions.
La réalité est contradictoire. En se combinant, ces forces
contradictoires forment les synthèses provisoires qui servent de point
de départ à de nouvelles oppositions. La réalité
concrète est donc dynamique et toute analyse devrait épouser ce
caractère. Ainsi, aucun phénomène ne peut être
isolé, aucun niveau de la réalité ne peut être
isolé. Un phénomène comme la pollution ne peut être
compris si l'on l'isole des mécanismes économiques, du
développement scientifique, des médias...
Il est donc évident que la conception marxienne de
l'aliénation et son moment de l'émancipation de l'homme, quoique
dépassés ont beaucoup de mérites et eu égard au
vécu quotidien. En effet, même si Héraclite nous enseigne
qu'on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, nous savons que
malgré le mouvement, le fleuve garde toujours son appellation. Par
analogie, le concept d'aliénation a subi une mutation et est devenu
problématique dans sa compréhension contemporaine.
Par ailleurs, pour Herbert Marcuse, l'aliénation est
problématique quand les individus s'identifient avec l'existence qui
leur est imposée et qu'ils y trouvent réalisation et
satisfaction. Cette identification n'est pas « une illusion mais une
réalité »68. Or cette réalité
n'est, elle-même, qu'un stade plus avancé et
67_LEFEBVRE (Henri), Le Matérialisme
dialectique, (Paris, PUF, 1990)
68_MARCUSE (Herbert), op.cit. p36
partant de là l'aliénation est devenue tout
à fait objective ; le sujet aliéné est absorbé
par son existence aliénée. Autrement, dans la
société industrielle avancée, les réalisations du
progrès défient leur mise en cause idéologique aussi bien
leur que leur justification devant son tribunal, la fausse conscience de leur
rationalité est devenue la vraie conscience.
En un mot, l'aliénation contemporaine est
assumée par les fleurons de la modernité. Le producteur
contemporain est donc doublement aliéné. Aliéné par
l'obligation de vendre sa force de travail, son intellectualité pour
obtenir les marchandises nécessaires à la production de ses
conditions de survie. Aliéné par la fascination qu'exercent les
mêmes marchandises, fleurons de la techno-science, sur son imaginaire.
Pire, le niveau de vie des producteurs s'accroissant, l'aliénation s'est
raffinée.
En définitive, pour nous, l aliénation du XXI
siècle est la `'dictature'' de certaines créations de l'homme
moderne. C'est dire que par la technique et la science, l'homme est devenu
plus que jamais esclave de son travail, des objets de son travail, de sa
création et dire en plus qu'il faut travailler plus pour avoir plus,
c'est faire fi quelque part, en amont, des conditions de travail de l' homme
postmoderne et légitimer définitivement, en aval, le pouvoir du
capital, de l'argent sur la dignité humaine.
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