Audrey Guitton
Numéro étudiant : 20906934
Tuteur : Y. Scioldo-Zürcher
Année 2009/2010
Master 1 : Migrations internationales
Le « retour forcé » des Roumains en
Roumanie, depuis
2007.
Mémoire de première année.
Source : Collectif Filtrages 28/08/2007
1
2
Remerciements :
Je souhaiterais tout d'abord témoigner ma reconnaissance,
à toutes les personnes qui ont donné de leur temps pour que cette
étude progresse, et notamment à Gautam, pour son implication dans
ces recherches.
Mes remerciements s'adressent à l'ensemble des
informateurs m'ayant accordé un entretien. Je tiens à remercier
chaleureusement Pascaline Chappart, pour ses conseils et ses contacts, ainsi
que Dan Oprescu Zenda, pour son soutien et pour la documentation qu'il m'a
transmise.
Je voudrais également exprimer ma gratitude à
Monsieur Yann Scioldo Zürcher, qui a dirigé mon travail, tout au
long de l'année.
Enfin, différents membres de ma famille et certains amis
proches ont accepté de consacrer un peu de leur temps à la
relecture de ce mémoire. Pour cela, je leur en suis très
reconnaissante.
3
Table des matières
Index des sigles : 6
Introduction 7
A) Les programmes d'aide au retour 7
1) Historique des programmes 7
2) Contexte juridique et administratif des aides au retour 8
a ) En Union européenne (UE) 9
b) Le contexte d'application juridique en France 11
c) Les textes applicables 11
B) La population migrante 14
1) Visibles mais peu nombreux 14
2) Une tradition migratoire 15
3) Une population marginalisée 16
C) Démarche scientifique et méthode de recherche
17
1) Les démarches et méthodes mises en pratique
17
a) Suivi de l'actualité 17
b) Réalisation d'entretiens semi-directifs 18
c) Recherche bibliographique 21
2) L'empirisme de terrain 22
a) S'entretenir en plusieurs langues 22
b) L'absence de l'OFII et des migrants 22
I) Les incohérences des programmes d'aide au retour 24
A) Des acteurs hétérogènes 24
1) Les pouvoirs publics 24
a) L'OFII 24
b) Le rôle des autorités locales 25
2) Les ONG et le milieu associatif 27
a) Les acteurs interrogés « à dominante SIT
» 28
b) Les acteurs interrogés « modérés
» 29
c) Les acteurs interrogés « à dominante RDT
» 31
3) Les migrants 33
B) Des aides au retour controversées 34
1) Les aides au retour en pratique 35
4
2) Les aides au retour en questions 38
a) Qu'est-ce qu'un retour forcé ? 38
b) En quoi ce programme de retour est-il humanitaire ? 39
C) Des aides à la réinsertion improductives ? 40
Conclusion de partie 43
II) Vers une circulation migratoire 44
A) Un phénomène migratoire répandu 44
1) Définition 44
2) Exemples 46
B) Une migration peu reconnue 47
1) Une mobilité mal comprise 47
2) Une population migrante méconnue 48
a) Les enjeux de la définition d'une population 49
b) La stigmatisation de cette population 50
C) La précarité en question 52
1) La précarité : cause de la migration ? 52
2) La précarité : conséquence de la
migration ? 54
Conclusion de partie 56
III) Vers une gestion globale des migrations roms roumaines ?
57
A) Immigration et intégration, l'État
français reprend le contrôle 57
1) Le Discours présidentiel du 14 octobre 2002 57
a) De nouvelles orientations 57
b) Le retour des aides au retour 59
2) La visite de Pierre Lellouche 60
B) Tentatives de communautarisation de l'intégration des
Roms 63
1) Pour une intégration à l'européenne ?
63
2) Des sommets européens sur les Roms et les Gens du
voyage 65
C) Des pistes d'action 67
1) La fin des aides au retour ? 67
2) Pour une « intégration des mobilités »
roms 68
Conclusion de partie 69
Conclusion 70
Bibliographie 72
Annexes 77
5
Annexe 1 : extraits des entretiens réalisés
77
Annexe 2 : ARV, ARE 2006 102
Annexe 3 : ARV, ARE 2007 107
Annexe 4 : ARV, ARE 2008 110
Résumé 114
6
Index des sigles :
· ACSE : Agence nationale pour la cohésion sociale
et l'égalité des chances.
· AGDREF : Application de gestion des dossiers des
ressortissants étrangers en France.
· ANAEM : Agence nationale d'accueil des étrangers
et des migrants.
· ANR : Agentia nationala pentru Romi. (Agence nationale
pour les Roms.)
· APRF : Arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière.
· ARH : Aide au retour humanitaire.
· ARV : Aide au retour volontaire.
· ASFRP : Association de soutien aux familles roumaines de
Palaiseau.
· CIM : Comité intergouvernemental pour les
migrations.
· ERRC : European Roma Rights Center. (Centre
européen pour les droits des Roms.)
· FAS : Fond d'action sociale
· FASILD : Fond d'aide et de soutien pour
l'intégration et la lutte contre les discriminations.
· FRA : European union agency for fundamental rights.
(Agence de l'Union européenne pour les droits fondamentaux.)
· OCDE : Organisation de coopération et de
développement économique.
· OFII : Office Français de l'Immigration et de
l'Intégration.
· OIM : Organisation Internationale pour les Migrations.
· OMI : Office des migrations internationales.
· ONI : Office national d'immigration.
· OQTF : Obligation de quitter le territoire
français.
· RDT : Racial discrimination theory. (Théorie de la
discrimination raciale.)
· SSAE : Service social d'aide aux émigrants.
· SIT : Social inclusion theory. (Théorie de
l'inclusion sociale.)
· SPER : Stop prejudecatilor despre etnia roma (Stop aux
préjugés contre l'ethnie rom.)
· UE : Union européenne.
· UNFPA : United Nations Population Fund. (Fond des Nations
unies pour les peuples.)
7
Introduction
Depuis l'adhésion de la Roumanie à l'Union
européenne, le 1er janvier 2007, la France s'est dotée de moyens
légaux pour reconduire, dans leur pays, des ressortissants roumains et
bulgares. Ces deux pays sont, pour une durée de deux à sept ans
après leur adhésion, dans un régime transitoire. Ils n'ont
pas la pleine jouissance des droits européens. Dans ce laps de temps,
c'est aux différents états européens de choisir à
quel moment mettre fin à ces mesures transitoires. En France, une
circulaire de décembre 20061 énonce les conditions de
séjour, de travail et d'éloignement des ressortissants roumains
et bulgares. Citoyens européens, ils ne peuvent être l'objet ni de
retours forcés ou d'expulsions, ni de programmes d'aide au retour
volontaire (ARV). Néanmoins, ils peuvent bénéficier du
programme d'aide au retour humanitaire (ARH), qui comme son intitulé le
sous-entend, vise des personnes en situation de « grande
précarité ». La circulaire interministérielle de
décembre 20062, relative à ces programmes ne
précise cependant pas ce qu'est une situation de « grande
précarité ». Ainsi, les agents de l'État doivent
juger les situations, au cas par cas. Ces programmes d'aide au retour peuvent,
dans certains cas, se cumuler avec une aide à la réinsertion
économique dans le pays d'origine. Cette aide à la
réinsertion est l'un des cinq axes du programme 301 «
développement solidaire et migration » du ministère de
l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du
Développement solidaire. L'aide à la réinsertion doit donc
permettre le développement local des régions d'origine des
migrants. De plus, elle est largement soutenue par le Fond européen pour
le retour3. Cette action est menée par l'Office
Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII),4
parfois en collaboration avec l'Organisation Internationale pour les Migrations
(OIM).
A) Les programmes d'aide au retour
1) Historique des programmes
Après la fermeture des frontières en France en
1973 et 1974, les programmes d'aide au retour volontaire et d'aide à la
réinstallation dans les pays de départ se sont
développés. Ils concernaient les travailleurs migrants. Des
accords bilatéraux et des programmes élaborés au niveau
international, comme par exemple les programmes de réintégration
du Comité intergouvernemental
1 Circulaire NOR INT/D/06/00115/C.
2 Circulaire interministérielle
N°DPM/ACI3/2006/522.
3 Le fond européen pour le retour est le fruit d'une
décision du Parlement européen et du Conseil du 23 mai 2007 dans
le cadre du programme général Solidarité et gestion des
flux migratoires. Cette décision est valable pour la période
2008-2013.
4 Avant avril 2009 l'OFII s'appelait l'Agence Nationale
d'Accueil des Étrangers et des Migrants (ANAEM). J'emploierai l'un ou
l'autre de ces sigles dans ce travail en fonction de la date à laquelle
les informations que j'exposerai sont parues.
pour les migrations (CIM), aujourd'hui l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM) ont également été
signés. L'Organisation de coopération et de développement
économique (OCDE) avait aussi rédigé un texte en 1979 qui
constituait un modèle pour « faciliter la réinsertion
des travailleurs migrants retournant dans leurs pays d'origine ». Ce
modèle prévoyait : l'information sur le migrant et pour le
migrant, la prise en charge des dépenses occasionnées par le
voyage, la réinstallation des personnes en leur trouvant des logements
dans le pays de retour, le développement régional, la formation,
le conseil pour le placement et l'orientation des économies des
migrants. De plus, l'éducation de leurs enfants devait aussi être
assurée dans le pays de retour. Le préambule de ce texte
précise également que « les mesures conçues pour
faciliter la réinstallation ne doivent pas être perçues
comme une incitation au retour, ni servir de prétexte au pays
d'immigration pour une politique d'expulsion masquée.
»5 Pour respecter ce principe, la réinsertion doit
donc être à la fois sociale, économique et
professionnelle.
Les ressortissants européens ne pouvant pas être
concernés par les aides au retour volontaire, une aide au retour
humanitaire existe cependant. À la lecture du site internet de l'OFII,
nous apprenons que, peut bénéficier de cette aide, «
tout étranger, y compris les ressortissants de l'Union
européenne, en situation de dénuement ou de grande
précarité auxquels l'État français souhaite offrir
la possibilité d'un rapatriement dans son pays d'origine ou un pays
d'accueil ainsi que leur conjoint et enfants »6. À
ces propos tout à fait « charitables », s'opposent dès
lors, ceux exprimés dans la circulaire du ministère de
l'Intérieur du 22 décembre 2006 relative aux conditions de
séjour et d'éloignement des Roumains et Bulgares qui indique, en
effet, que des mesures d'éloignement peuvent être prises si ces
personnes constituent une « charge déraisonnable pour le
système de protection sociale français. »7
La circulaire en vigueur indique que c'est aux agents de l'État de juger
du fait que la « charge » soit raisonnable ou non. Le pouvoir de
discrétion présent dans cette circulaire sera mis en avant dans
une seconde partie. Afin de juger du caractère « raisonnable »
de la charge que les migrants représentent, certains critères
sont proposés aux agents de l'État. Si ces personnes ne
possèdent pas de couvertures sociales dans leur pays d'origine, et ne
disposent pas de ressources propres suffisantes ou si les pathologies se sont
déclarées après l'arrivée en France, elles peuvent
être considérées comme abusant du système de
protection sociale français et du droit au séjour. Une
sélection est donc opérée, au sein des ressortissants
roumains, entre ceux qui peuvent rester et ceux qui seront reconduits à
la frontière. Cette sélection se base sur des critères
notamment financiers. Cette observation peut, dès lors, me permettre
d'analyser cette sélection, comme une
5 Lohrmann R., « Measures to facilitate the reintegration of
returning migrants workers : International experiences. »
International Migration, Volume XXVI, n°2, june 1988, Ed. CIM,
Genève. p. 192.
6
http://www.ofii.fr/article.php3?id_article=491
[Site consulté le 15/10/2009]
7 Circulaire NOR INT/D/06/00115/C.
8
politique d'expulsion masquée des plus pauvres.
2) Contexte juridique et administratif des aides au
retour
La France et la Roumanie ont signé des accords
bilatéraux. Le premier accord, concernant la réadmission des
personnes en situation irrégulière, a été conclu en
1994. Ensuite, un accord sur les échanges de jeunes professionnels a
été passé en 2003. Le dernier accord bilatéral
liant la France et la Roumanie portait sur la protection de mineurs roumains en
difficulté sur le territoire français et la lutte contre les
réseaux d'exploitation. Il a été signé en 2004; il
est toujours en vigueur. Enfin l'adhésion de la Roumanie à
l'Union européenne a changé son statut juridique et les accords
de 1994 et 2003 sont caduques depuis 2007.
L'étude de ce cadre juridique et administratif
révèle, rapidement, l'importance du pouvoir
discrétionnaire de l'administration. Un colloque sur le pouvoir
discrétionnaire de l'administration s'est déroulé à
Oxford, en 1995, sous l'impulsion du conseil de l'Europe8 . D-J
Galligan y définit le pouvoir discrétionnaire comme «
l'autonomie du jugement et de la décision »9 d'un
administrateur. La décision incombe à l'appréciation et
à l'interprétation de ce dernier. L'auteur écrit qu'il
s'agit d'un « acte délibéré poursuivant certains
objectifs, répondant aux contraintes et aux influences qui se
manifestent dans différents contextes, plutôt qu'un exercice
abstrait et logique. »10 Il s'agit souvent
d'établir un fait ou la pertinence d'un fait. Le problème, dans
ce cas précis, est que la notion même de « pertinence »
ne peut être pensée comme universelle. Elle répond aux
représentations sociales et culturelles, des fonctionnaires
intermédiaires. Un pouvoir discrétionnaire peut trouver sa source
dans des conceptions morales, des objectifs ou des orientations politiques, des
décisions personnelles ou de groupe. Alexis Spire écrit que
« [...] la décision d'octroyer un droit est le produit d'une
combinaison complexe entre les règles juridiques contenues dans la loi,
des normes d'interprétation établies par voie de circulaires et
un pouvoir d'appréciation conféré aux agents
intermédiaires de l'État11. »
a ) En Union européenne (UE)
Les accords de Schengen de 1985 ont établi la libre
circulation des biens et des personnes, dans « l'espace Schengen ».
Ils furent suivi de la Convention de Schengen en 1990. Depuis, L'UE n'a
cessé de favoriser la mobilité de ses citoyens. Le traité
de Maastricht, en 1992, a permis la liberté de circulation,
d'installation et de travail des ressortissants des pays communautaires. Le
8 Galligan D.-J.., « Pouvoir discrétionnaire et
principe de légalité » in Conseil de l'Europe,
Pouvoir discrétionnaire de l'administration et problèmes de
responsabilité, Ed. Conseil de l'Europe, Oxford, 1995.
9 Ibid., p. 16.
10 Ibid., p. 18.
11 Spire A., Étrangers à la carte.
L'administration de l'immigration en France (1945-1975), 2005, Grasset,
Paris, p. 259.
9
10
Conseil européen de Tampere, en 1999,
énonça la libre circulation pour tous, car « il serait
contraire aux traditions de l'Europe de refuser cette liberté à
ceux qui, poussés par les circonstances, demandent légitimement
accès à notre territoire »12. De grandes
« vagues d'élargissement » suivirent. Les ressortissants
Roumains furent exemptés de visa Schengen à partir du 1er janvier
2002 et la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l'Union
européenne le 1er janvier 2007. Les deux pays ne font pas partie de
l'espace Schengen et font toujours l'objet de mesures transitoires. Ces mesures
leur limitent notamment l'accès au marché du travail, dans les
autres pays communautaires. La liberté de circulation des citoyens
européens est réglementée par la circulaire du 29 avril
2004, du Conseil de l'Europe et du Parlement européen13.
L'article 7 de cette directive énonce les conditions de séjour
d'un ressortissant européen, dans un autre pays européen, au
delà de trois mois. « All Union citizens shall have the right
of residence on the territory of another Member State for a period of longer
than three months if they: [...] have sufficient resources for themselves and
their family members not to become a burden on the social assistance system of
the host Member State during their period of residence and have comprehensive
sickness insurance cover in the host Member State. » Cette directive
a une valeur de recommandation pour les États européens. La
France suit ces recommandations, l'Espagne ne le fait pas.
L'EU s'est également accordée sur la
nécessité de mettre en place une coordination active en
matière de retours, qu'ils soient forcés ou volontaires. Un Fond
européen au retour à notamment été mis en place. Il
permet, en France, de financer 75 % des « allocations
financières incitatives au retour »14 et 50 % de
« la mise en place de dispositifs intégrés de
réinsertion dans les pays sources, notamment l'Afrique
».15
Bien qu'une tendance à l'harmonisation des politiques
migratoires est observable au sein de l'UE, depuis le milieu des années
1980, de nombreuses réticences freinent ce mouvement. En effet, les
États souhaitent conserver leur souveraineté nationale dans ce
domaine. Ainsi, l'accueil, le séjour et l'éloignement des
étrangers restent dictés par des mesures nationales. La mise en
application de mesures nationales est souvent plus rapide et plus efficace que
celle des traités internationaux, qui ne peut, en aucun cas, se voir
imposée aux États souverains. Pour expliquer ce
phénomène, C. Wihtol de Wenden écrit que « les
migrations défient les principes même du système
étatique westphalien par les transgressions qu'elles apportent entre
l'ordre politique interne et l'ordre externe (influences, ingérences,
allégeances, intrusion, parfois par migrants devenus citoyens
interposés et électeurs à distance).
»16 Les migrations internationales dérangent les
États, en
12 Berramdane A., Rossetto, J. La politique européenne
d'immigration, 2009, Karthala, Paris.
13 Directive 2004/38/EC
14 Fond européen pour le retour.
15 Ibid.
16 Wihtol de Wenden C., « La globalisation humaine »,
in Chemin A., Gélard J.-P. (dir.), Migrants. Craintes et
espoirs,
11
remettant en question leur contrôle de leur territoire,
et de leurs frontières. En réaction à cela, les
États s'attachent à leur souveraineté nationale, dans le
domaine des migrations.
b) Le contexte d'application juridique en France
Les circulaires font office d'adaptation du cadre juridique
du pays aux conditions économiques, politiques et sociales du moment.
Elles sont applicables immédiatement après parution. Bien qu'il
ne s'agisse pas de règles impératives, leur non application peut
entrainer des sanctions. Karl Messer écrit que : « après
tout, l'existence d'une circulaire ne dépend pas de sa validité
officielle mais du caractère persuasif de son contenu.
»17 Une des fonctions des circulaires est d'éviter que
chaque acte administratif puisse être contesté devant les
tribunaux. En effet, elles explicitent, souvent, le cadre d'action et
d'interprétation des lois.
Ainsi, bien que l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative aux
conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France,
ne permet pas « la sélection par l'origine », son application
peut différer selon les époques et les circulaires en cours. Les
circulaires étant des documents destinés aux administrations,
elles ne sont pas soumises au Parlement. De plus,elles ne sont pas
publiées au journal officiel. Il est ainsi rare que l'opinion publique
soit au fait de ces documents. Ceci permet à l'administration de changer
ses pratiques, sans avoir à s'en expliquer et sans déroger
à la loi.
Les circulaires peuvent faire varier l'application de la loi.
À cela s'ajoute la possibilité d'interprétations
différentes de ces circulaires, d'un département à
l'autre, d'un employé de préfecture à
l'autre18. L'application du droit communautaire, en matière
d'immigration, ne déroge pas à la règle. Alexi Spire
écrit : « faute d'avoir été traduit en droit
interne, les textes européens ont pendant longtemps été
répercutés par voies de circulaires, laissant intact le pouvoir
discrétionnaire des agents de l'État. » 19 Ainsi, bien
que la loi reste inchangée, les pratiques peuvent diverger selon les
époques, les lieux, les personnes. Les agents de l'OFII peuvent ainsi
adopter des pratiques très différentes, sans déroger
à la loi, et en toute « discrétion ».
c) Les textes applicables
La circulaire du 22 décembre 200620,
relative aux modalités d'admission au séjour et
d'éloignement des ressortissants roumains et bulgares à partir du
1er janvier 2007, stipule que : « les autorités
françaises peuvent néanmoins apporter des limitations au droit de
circulation et de séjour
2009, PUR, Rennes, p. 243.
17 Messer K., « Circulaires administratives et
contrôle judiciaire : observations sur le droit et la pratique en
Allemagne et dans l'Union européenne, in Conseil de l'Europe »,
in Pouvoir discrétionnaire de l'administration et problèmes
de responsabilité, Ed. Conseil de l'Europe, Oxford, 1995, p.
111.
18 Spire A., Étrangers à la carte.
L'administration de l'immigration en France (1945-1975), op. cit., pp.
143-188.
19 Ibid. p. 234.
20 Circulaire NOR INT/D/06/00115/C.
12
lorsque les intéressés représentent
une menace pour l'ordre public ou constituent une charge déraisonnable
pour le système d'assistance sociale français.
».21 Cette circulaire respecte donc les recommandations
énoncées dans la directive du Conseil de l'Europe, relative
à la libre circulation des ressortissants européens. Le terme
« déraisonnable » est fortement connoté, moralement et
culturellement. Il réfère à un jugement de valeur.
Dès lors, les agents de l'administration peuvent tous,
interpréter et mettre en pratique la législation, de
manières différentes. Les circulaires ont, notamment, pour but,
d'uniformiser les pratiques administratives. Dans cet exemple, la circulaire
propose aux agents, de tenir compte d'éléments matériels
et financiers, pour établir la « raisonnabilité » de la
charge. Ici encore une diversité de pratiques est possible puisque rien
n'est imposé. Les agents peuvent ne pas prendre en considération
les éléments matériels cités par la circulaire.
Les Roumains et Bulgares peuvent, également, être
reconduits à la frontière, s'ils enfreignent la
législation du travail. La Roumanie et la Bulgarie étant toujours
sous un régime « transitoire » au sein de l'UE, leurs
ressortissants ont l'obligation d'être en possession d'un titre de
séjour valide pour travailler en France. C'est un arrêté du
18 janvier 200822 qui régit la situation de l'emploi de ces
ressortissants et donne la liste des 150 métiers qui leur sont ouverts.
Cet arrêté est une des mesures transitoires dont la Roumanie et la
Bulgarie font l'objet. La fin de ce régime transitoire n'étant
pas unifiée en UE, les États disposent d'un pouvoir
discrétionnaire.
D'après la circulaire interministérielle du 7
décembre 200623 relative aux dispositifs d'aide au retour, un
étranger ne peut bénéficier qu'une seule fois de ces
programmes. Un dispositif de prise d'empreintes digitales est en train
d'être mis en place pour s'en assurer. Les empreintes digitales sont
ajoutées aux données regroupées par l'application de
gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF).
Jusqu'à lors, certaines personnes réussissaient à
déjouer cette limitation.
Dans le cadre d'une ARH, les différents membres de la
famille sont supposés quitter le territoire ensemble. Ainsi «
le consentement exprès de chacun des membres de la famille est
requis »24. Des entretiens individuels doivent être
effectués par l'ANAEM (ou l'OFII) ainsi qu'un accompagnement
personnalisé « en vue d'une aide à la décision
». Cet accompagnement doit se poursuivre jusque dans le pays de
retour. La prise en charge matérielle doit être maintenue
jusqu'à la destination finale.
Les aides à la réinstallation sont distinctes
des ARV et ARH, et seules certaines nationalités
21 C'est donc dans ces conditions que les Roumains et Bulgares
peuvent faire l'objet d'une procédure de reconduite à la
frontière.
22 Arrêté NOR : IMID0800327A.
23 Circulaire interministérielle n°
DPM/ACI3/2006/522.
24 Ibid.
13
peuvent les cumuler25. Elles ciblent des personnes
qui ont un « véritable projet de réinsertion
économique dans leur pays d'origine ». Dès lors on
s'interroge sur ce qu'est un véritable projet.
Dans le domaine des migrations internationales, bien que des
accords internationaux énoncent les grands préceptes à
respecter, les états conservent leur souveraineté nationale.
L'accueil, le séjour et l'éloignement des étrangers
restent dictés par des mesures nationales. De plus, même si la loi
nationale ne change pas, les pratiques et les conceptions peuvent diverger
selon les époques, les lieux, les personnes. Ainsi, nous verrons que de
nombreux aspects des aides au retour humanitaire ne sont pas respectés.
Cette observation me conduira à me questionner sur la définition
d'un retour forcé.
Dans les définitions des organismes internationaux,
travaillant avec les migrants, ce sont essentiellement les facteurs de la
migration qui sont mis en avant. The United Nations Population Fund
(UNFPA) définit la migration forcée comme « celle qui
résulte de la coercition, de la violence, de raisons politiques ou
environnementales contraignantes ou d'autres formes de contraintes,
plutôt que d'une décision volontaire. »26
Selon cette définition, les deux types de migration sont très
différents et opposables. Il n'est pas rare de retrouver cette
idée dans les nombreuses publications scientifiques sur le sujet. Selon
ces travaux, si le migrant n'est ni réfugié, ni demandeur
d'asile, ni apatride, ni déplacé interne, ni
déplacé écologique, il est, de fait, migrant volontaire.
Ainsi, le sous titre de l'Atlas des migrations dans le monde27,
de Catherine Wihtol de Wenden : Réfugiés ou migrants
volontaires est très significatif à cet égard : elle
cite les mouvements de réfugiés et de demandeurs d'asile, ainsi
que le trafic de personnes, comme migrations forcées, et l'exode de
cerveaux et les migrations économiques, comme volontaires. Cet angle
d'étude ne s'avère cependant pas pertinent dans notre cas
d'étude. En effet, le phénomène que je décris, ne
peut être pleinement recouvert par ces catégories. Dès
lors, pour définir une migration forcée, ou volontaire, il semble
judicieux de l'étudier au prisme des pratiques, du comment et non des
facteurs, du pourquoi. Véronique Lassailly-Jacob a
développé cet axe d'analyse, dans Déplacés et
Réfugiés. La mobilité sous
contrainte28.
25 Les pays pouvant cumuler les ARH et les aides à la
réinstallation sont les suivants : Algérie, Arménie,
Bénin, Bosnie-Herzégovine, Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert,
Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte
d'Ivoire, Gabon, Géorgie, Guinée, Haïti, Madagascar, Mali,
Maroc, Mauritanie, Moldavie, Niger, Nigeria, République centrafricaine,
Roumanie, Rwanda, Sénégal (pays pour lequel l'appui à la
conception et le suivi sont pris en charge dans le cadre du programme
bilatéral franco sénégalais "programme d'appui aux
initiatives de solidarité pour le développement"), Somalie,
Surinam, Tchad, Togo, Tunisie, Ukraine, Vietnam.
26
http://www.unfpa.org/swp/2006/french/chapter_1/forced_migration.html
[Site consulté le 10/02/2010.]
27 Wihtol de Wenden C., Atlas des migrations dans le
monde. Réfugiés ou migrants volontaires, Autrement, Paris,
2005.
28 Lassailly-Jacob V., Marchal J-Y., Questel A.,
Déplacés et Réfugiés. La mobilité sous
contrainte, Ed. de l'IRD, Paris, 1999.
14
B) La population migrante
1) Visibles mais peu nombreux
Les ARH, comme nous l'avons vu, ciblent indistinctement tout
ressortissant étranger dans une situation de grand dénuement, y
compris les citoyens européens. Or, depuis 2007, les ARH au
départ de la France sont versées, en grand nombre, à des
ressortissants roumains. Dans les documents de l'OFII, pour l'année
200829, les aides à la réinstallation ne sont pas
mentionnées mais 8 245 Roumains auraient bénéficié
d'une aide au retour humanitaire, sur un total, toutes nationalités
confondues, de 10 212 personnes. Les Roumains sont donc les premiers
bénéficiaires de ces programmes. De plus, les Roumains reconduits
dans le cadre d'ARH sont « quasi exclusivement des Roms30
».
Tableau 1 :
L'aide au retour humanitaire de 2006 à 2008.
10000
4000
8000
6000
2000
0
2006 2007 2008
TOTAL ROUMAINS ROUMAINS
TOTAL
Source : OFII. Réalisation : A. Guitton.
À l'inverse, les aides à la
réinstallation ne sont prévues que pour une liste bien
définie de pays. La Roumanie est le seul de ces pays appartenant
à l'Union européenne.
Le nombre des Roumains présents en France est largement
supérieur à celui des Bulgares. La présence des
ressortissants roumains en France peut donc justifier le fait qu'ils sont les
bénéficiaires majoritaires des ARH. Néanmoins, ceci
n'explique pas pourquoi la Roumanie est le seul membre de l'UE pour lequel des
aides à la réinstallation ont été mises en place.
Dès lors, il convient de questionner la notion de «
représentation ». L'imaginaire collectif des français
attribue des caractéristiques spécifiques aux Roumains. Un
amalgame est souvent opéré entre Roumains et Roms. De plus, les
Roms sont encore trop souvent qualifiés de « voleurs de poules
».
Une frontière culturelle serait-elle toujours
présente dans les représentations alors même que les
frontières matérielles tendent à disparaître ? La
théorie d'une « hiérarchie des assimilables »31
29 Annexe 4 : ARV, ARH, 2008.
30 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM, Rapport
2008.
31 Cette théorie eut une influence majeure, notamment au
XIXème siècle et au début du XXème.
15
fut, longtemps après les travaux de G.
Mauco32, remise au goût du jour par un club d'extrême
droite nommé « les bien-pensants ». Selon cette
théorie, les différences culturelles, (et/ou
phénotypiques) entre plusieurs communautés, peuvent expliquer des
niveaux d'assimilation33 différents. Ainsi, plus la culture
d'une communauté est considérée comme
éloignée de la culture dominante du pays d'accueil, moins cette
communauté serait en mesure d'être assimilée à la
communauté dominante. Bien que n'étant absolument pas
fondée sur des faits scientifiques, cette forme de pensée s'est
diffusée dans la société. Cette « théorie
» s'apparente donc à une idéologie xénophobe. Cette
« hiérarchie des assimilables » trouvant toujours un
écho aujourd'hui, il est possible de l'utiliser pour analyser
l'imaginaire collectif français. Ainsi, bien que Européens, les
Roms roumains seraient considérés comme trop
éloignés, culturellement, des français, pour être en
mesure de trouver leur place au sein de ce pays.
Enfin, ce titre de partie a été choisi en
référence à de l'ouvrage dirigé par Dana Diminescu
sur les circulations migratoires roumaines. Elle justifie elle-même ce
titre en expliquant que « c'est ainsi que l'on parle couramment des
migrants Roumains, de chancelleries en salles de rédaction de journaux.
Cela sans doute pour marquer la spécificité de cette migration,
mais aussi pour tempérer l'inquiétante impression due à la
couverture médiatique dont elle est l'objet. »34
L'opinion publique est en effet plus sensible à la visibilité des
étrangers qu'aux statistiques.35 Les médias ont un
rôle important dans la visibilité d'une communauté et la
création d'un imaginaire collectif sur cette communauté. En
effet, la presse est source de conversations, elles mêmes sources
d'opinions et de l'Opinion publique. « La presse unifie et vivifie les
conversations, les uniformise dans l'espace et les diversifie dans le temps.
Tous les matins, les journaux servent à leur public la conversation de
la journée. »36 Lorsque l'Opinion publique est
formée, la presse doit en tenir compte et lui apporter des sujets qui
l'intéresse et la nourrit. La presse et l'Opinion sont liées par
un ajustement mutuel. Ceci est également vrai pour les hommes politiques
et la presse, ainsi que pour les hommes politiques et l'Opinion.
2) Une tradition migratoire
Les Roumains ont une tradition migratoire importante vers la
France que l'on peut faire remonter au XIXème siècle. À
partir des années 1990 et de l'ouverture du pays, cette migration est
devenue très importante et a été qualifiée de
« pendulaire ». « Préfigurant l'élargissement,
des
32 Mauco G., Les étrangers en France : Leur rôle
dans la vie économique, Paris, Armand Colin, 1932.
33 Le terme « assimilation », largement répandu
au XIXème siècle et au début du XXème, fût
dans les années 1980 remplacé par celui d' «
intégration ».
34 Diminescu D (dir.), Visibles mais peu nombreux. Les
circulations migratoires roumaine, MSH, Paris, 2003. p.1.
35 Wihtol de Wenden C., L'Europe des migrations, La
Documentation française, Paris, 2001.
36 Tarde G., L'opinion et la foule, Ed. du Sandre,
Paris, 2009, p. 89.
16
migrants « à la valise » puis migrations
pendulaires avec aller-retours pendant trois mois, installation « dans la
mobilité comme mode de vie, vivant dans une co-présence »
entre les différents espaces de vie. »37 Cette
mobilité est devenue d'autant plus importante que la migration se
légalisait. Le but de cette migration était de « tenter sa
chance » sur le marché du travail Ouest européen. La
suppression des visas Schengen, en janvier 2002, permit à de nombreux
Roumains d'effectuer des voyages de trois mois. Plus ces voyages se
multipliaient, plus les compagnies de transport enrichissaient leurs offres,
permettant ainsi à d'autres personnes d'entrer dans ce
système.38 Les Roumains ont donc su adapter leurs
stratégies migratoires aux statuts juridiques qui leur ont
été conférés. Il n'est donc pas surprenant, que
certains d'entre eux ont développé des stratégies pour
tirer profit des aides au retour humanitaire, qui leur sont proposées
depuis 2007.
La mobilité des Roumains, et notamment des Roms
roumains ne cesse de s'accroître. Elle est aujourd'hui définie
comme une « circulation migratoire ». L'évolution du concept
de circulation migratoire a été étudiée et
décrite, notamment, par Chadia Arab39. Elle explique que ce
concept englobe ceux de « réseaux migratoires », de «
filières migratoires » et de « champs migratoires ». M-A
Hily écrit à propos de la circulation migratoire, qu'elle «
instaure des continuités là où les États ont
institué des discontinuités »40. La
circulation migratoire est donc un mouvement transnational, qui permet aux
réseaux de migrants et aux communautés, de conserver des liens
forts, au delà des limites d'un État.
3) Une population marginalisée
Le réseau Migreurop est formel à ce sujet :
« la stigmatisation des deux derniers pays entrés dans l'UE
vise principalement la forte proportion des Roms parmi leurs habitants, surtout
en Roumanie. »41 En effet, selon eux, en 2008, 12 000
citoyens européens, principalement Roms, ont été
déplacés, d'un pays à un autre, au sein de l'UE. Ils
rappellent « qu'il n'y a pas si longtemps, leurs semblables avaient pu
se voir reconnaître la qualité de réfugié, eu
égard aux persécutions qu'ils avaient subies en Roumanie.
»42 Pour certains, les discriminations qu'ils subissent en
Europe centrale et orientale seraient la raison principale de leur migration.
Les représentations que l'on se fait d'une population peuvent donc
évoluer rapidement. Les Roms, qui furent considérés comme
une population à aider et à accueillir, sont devenus une
population à refouler. Dès lors, on peut
37 Wihtol de Wenden C., La globalisation humaine, op.
cit., p. 85.
38 Diminescu D., « Stratégies roumaines »,
Plein droit, n°55, décembre 2002.
39 Arab C. « La circulation migratoire : une notion pour
penser les migrations internationales », e-migrinter, 2008,
n°1, Poitiers.
40 Hily M-A., « Les migrations comme objet de recherche
», in Akoka K., Gonin P., Hamelin D. (dir.), Migrants d'ici
et d'ailleurs. Du transnational au local, 2009, Ed. Atlantique, Poitiers,
p. 36.
41 Migreurop, Atlas des migrants en Europe.
Géographie critique des politiques migratoires, 2009, Armand
Colin, Paris. p. 25.
42 Ibid. p. 27.
17
considérer qu'un changement, dans les
représentations que l'on se fait d'une communauté, est le
corollaire d'un changement de pratique à son égard.
Les Roms sont toujours très largement
marginalisés et discriminés en Roumanie. Le terme « Tsigane
» est souvent employé de manière péjorative. Notons
que les Roms discriminent, également, les « non-Roms » : les
« Gadje ». Malgré cela, je tiens à préciser que
des politiques publiques ont été lancées pour tenter de
lutter contre ce phénomène. Le gouvernement roumain et l'Agence
Nationale pour les Roms (ANR) ont lancé le projet Stop
prejudecatilor despre etnia roma (SPER) en mai 2007. Ce projet est
financé par les fonds européens Phare (fonds de
pré-adhésion et de passage aux fonds structurels). Comme nous le
voyons ici, les Roms sont identifiés et comptabilisés comme
appartenant à « l'ethnie Rom ». Tout le paradoxe de cette
situation réside dans le fait que cette « identification »
peut également être la pierre angulaire de discriminations. Ces
politiques publiques font suite aux recommandations de l'UE en matière
de respect des Droits de l'Homme. Une grande partie de la société
roumaine reste méfiante par rapport à ces politiques.
Les évolutions de l'imaginaire collectif
français peuvent expliquer, en partie, les évolutions des
pratiques de retour des ressortissants roumains. Ces derniers s'adaptent
à leurs nouveaux statuts et aux nouvelles représentations dont
ils sont affublés. L'OFII adapte également ses pratiques aux
évolutions des représentations des Roumains, et notamment des
Roms roumains. La communauté Rom roumaine est aujourd'hui
considérée comme « refoulable » et occupe le premier
rang des bénéficiaires d'ARH.
C) Démarche scientifique et méthode de
recherche
1) Les démarches et méthodes mises en
pratique
Pour cette enquête de terrain, je me suis rendue en
Roumanie du 22 février au 10 avril 2010.
a) Suivi de l'actualité
Seulement dix jours avant mon arrivée à
Bucarest, le secrétaire d'État aux affaires européennes,
Pierre Lellouche, se rendait en Roumanie. Il s'était
déplacé pour obtenir l'engagement du gouvernement roumain, de
prendre en charge la réinsertion des Roms reconduits en Roumanie. Cette
visite a eu d'importantes retombées médiatiques. Lors de la
conférence de presse qui a suivi la rencontre de Pierre Lellouche avec
Emil Bloc, premier Ministre roumain, la criminalité a été
présentée comme la raison principale du retour des Roms en
Roumanie. Or, nous savons que la cause de ces retours est la situation de
« grande précarité » des migrants. Par ailleurs, ces
retours ont été présentés comme des expulsions, et
non comme des retours humanitaires. Cette conférence de presse, tout
comme ses nombreuses retombées médiatiques ont été
une source d'information
18
importante pour cette étude. En effet, cela m'a permis
de prendre en compte la question de la criminalité, car présente
dans tous les discours, politiques et médiatiques, ainsi que dans
l'Opinion publique.
Le 8 mars 2010, une affaire de détournement d'aides
sociales britanniques a éclaté. Cette affaire concernait une
jeune femme, Rom roumaine, surnommée par certains journalistes « la
reine des Tziganes »43. La militante pour les droits des Roms a
été arrêtée pour avoir détourné
presque trois millions d'euros, au profit de familles roms installées
dans le nord de Londres. Cette affaire a provoqué un réel battage
médiatique. Le même jour, le 8 mars 2010, le campement rom de
Massy-Palaiseau était attaqué et incendié. Cet
événement est passé inaperçu dans les
médias.
Le sommet européen de Cordoue, portant sur les Roms et
les Gens du voyage, s'est tenu les 8 et 9 avril 2010. Au terme de cette
rencontre, la « déclaration de Cordoue » assurait que de
nombreux engagements avaient été pris, mais l'absence des
représentants des États européen a minimisé
l'impact qu'ils pourraient avoir. Seules l'Espagne (actuelle présidence
de l'UE), la Belgique et la Hongrie (futures présidences de l'UE) et la
France se sont engagées a respecter la déclaration de Cordoue. De
plus, cette absence peut être entendue comme le
désintérêt des États européens pour la cause
Rom.
Le suivi de l'actualité m'a donc donné
l'occasion d'étudier les formes de gestion des migrations et de gestion
des Roms qui tendent à être mises en place en Europe.
b) Réalisation d'entretiens semi-directifs
Dans le cadre de cette étude, il me fallait interroger
les pratiques et les discours que les acteurs mettent en place. N'ayant pas
encore eu l'occasion de rencontrer des acteurs de la migration que
j'étudie, ma connaissance du phénomène n'était que
théorique. Alain Blanchet et Anne Gotman écrivent que «
l'entretien s'impose chaque fois que l'on ignore le monde de
référence, ou que l'on ne veut pas décider à priori
du système de cohérence. [...] Quant aux résultats
visés, l'enquête par entretien ne peut prendre en charge que des
questions causales, les « pourquoi », mais fait apparaître les
processus et les « comment ». [...] L'entretien révèle
la logique d'une action, son principe de fonctionnement.
»44 Ne connaissant pas le monde de référence
et cherchant à découvrir le « comment » du retour des
roumains en Roumanie, l'entretien est la méthode de recherche que j'ai
sollicitée.
La migration de retour implique trois types d'acteurs : les
migrants roumains, les structures officielles (ou para-officielles) en charge
de l'immigration et les associations indépendantes d'aide
43
http://www.adevarul.ro/actualitate/eveniment/Regina_tiganilor_a_gaurit_bugetul_Regatului_Unit_0_221378433.ht
ml [Site consulté le 10/03/2010]
44 Blanchet A., Gotman A., L'enquête et ses
méthodes. L'entretien, 2007, Armand Colin, Paris, p. 37.
19
aux migrants. Ces différents acteurs interagissent tous
selon des stratégies et des objectifs différents. Il est donc
important d'essayer d'appréhender le point de vue de tous les acteurs.
A. Blanchet et A. Gotman exposent le but des enquêtes sur les
représentations et les pratiques. « Ces enquêtes, qui
visent à la connaissance d'un système pratique (les pratiques
elle-même et ce qui les relie : idéologies, symboles, etc...)
nécessitent la production de discours modaux et
référentiels, obtenue à partir d'entretiens centrés
d'une part sur les conceptions des acteurs et d'autre part sur les descriptions
pratiques. »45 J'ai effectué des entretiens
semi-directifs. L'intérêt des entretiens semi-directifs est qu'ils
permettent de n'aborder que des sujets qui nous sont utiles, sans diriger la
parole des intervenants. M'intéressant aux conceptions et aux pratiques
des acteurs, les axes de discussion se sont bornés à ces deux
éléments, tout en laissant la parole libre, à
l'interlocuteur. J'ai également questionné les acteurs, sur leurs
opinions concernant la visite de Pierre Lellouche à Bucarest et le
sommet de Cordoue.
L'OFII m'avait signifié ne pas être en mesure de
me communiquer, ni l'identité des bénéficiaires d'ARH, ni
les statistiques les plus récentes concernant ces programmes. C'est
auprès des associations indépendantes que j'espérais
pouvoir obtenir ces informations. Ces associations travaillent au coté
des migrants, et peuvent être témoins des pratiques de reconduite
à la frontière. Leurs discours concernant ces pratiques sont
très certainement différents de ceux produits par les structures
officielles. Je pensais que ces associations étaient en mesure de me
communiquer les éléments qui me sont nécessaires pour
élaborer un échantillon représentatif de la population
roumaine bénéficiaire d'ARH46. Je n'ai obtenu aucune
information susceptible de me permettre de réaliser un tel
échantillon. Je n'ai pas, non plus, réussi à obtenir un
entretien avec l'OFII ou avec des migrants.
Avant le départ sur le terrain, j'ai rencontré
S.F., secrétaire de l'Association de Soutien aux Familles Roumaines de
Palaiseau (ASFRP). Nous avons conversé pendant 20 minutes, dans un
café parisien, le 20 février 2010. Nous avions convenu de nous
revoir, à mon retour, pour que je puisse découvrir le campement
Rom de Massy-Palaiseau.
Arrivée sur le terrain, j'ai tout d'abord tenté
d'entrer en contact avec les ONG conventionnées par l'OFII pour prendre
en charge la réinsertion des migrants. Leurs coordonnées sont
disponibles sur le site internet de l'OFII. Par téléphone, la
secrétaire de l'association Hatnutza, de Satu Mare m'a répondu
n'avoir aucun contact avec des migrants rentrés de France et ne plus
travailler avec l'OFII. Aucun membre de cette association n'a accepté de
me rencontrer. Par contre, un des membres de la fondation Kelsen, de Baia Mare,
a accepté de me rencontrer. Je me suis donc rendue à Baia
Mare.
45 Blanchet A., Gotman A., L'enquête et ses
méthodes. L'entretien, op. cit., p. 30.
46 Ces éléments sont, l'âge des personnes,
leur sexe, leur ethnie, leur région d'origine, leur capital culturel et
économique. Cette liste n'étant pas exhaustive, la recherche de
terrain me permettra de la réajuster.
20
Une fois sur place, les bureaux de la fondation étaient
fermés. J'ai téléphoné au même numéro
et une personne m'a expliqué que tous les membres de la fondation
étaient en déplacements, ou malades, et que personne ne serait en
mesure de s'entretenir avec moi. Il m'a bien été notifié
qu'il n'était pas nécessaire d'insister. Après de rapides
recherches, j'ai découvert dans un article de la presse locale de
200647, que la fondation Kelsen est soupçonnée de
détournement de fonds publics. Il n'est donc pas étonnant que ses
membres aient, finalement, refusé de m'accorder un entretien. De
même, la fondation Crimm de Bucarest a tout de suite refusé de me
rencontrer. Enfin, seule la présidente de l'association Generatie
Tanara, de Timisoara, a accepté de s'entretenir avec moi. L'entretien
s'est déroulé le 26 mars 2010, dans le bureau M.P., et a
duré une heure. M.P. avait tenu a laisser la porte ouverte et nous
n'avons pas cessé d'être interrompues.
Ensuite, j'ai recherché quelles étaient les ONG
travaillant avec les migrants et/ou avec les Roms, dans les villes où se
situent les ONG mandatées par l'OFII. À Satu Mare, je n'en ai
trouvé aucune. À Baia Mare, j'ai pris contact avec Mh.,
présidente de Clubul Tinerilor Romi. J'ai rencontré Mh. le 5
mars, dans un café de Baia Mare. L'entretien a duré une heure et
demi, en roumain. Mh. connaissait une famille rom qui revenait de France. Il
m'était impossible d'être présente lorsque Mh.
rencontrerait cette famille, deux semaines plus tard. J'ai donc
communiqué à Mh., les thématiques que je souhaitais
aborder avec ces migrants. Elle a pris en charge l'entretien et m'a
envoyé un résumé des réponses de cette famille.
À Bucarest, j'ai sollicité la fondation Parada, l'Agentia
Nationala pentru Romi (ANR), Romani Criss, l'association Cultura si Pace, la
fondation Soros et le collectif Migrants in Romania. Le président de la
fondation Parada, I.J., a répondu, positivement, à ma
requête. Je devais le rencontrer le 10 mars 2010, pour un entretien d'une
heure, dans les locaux de la fondation. Lorsque je suis arrivée, I.J.
s'était absenté et avait confié à S. et à
A., la charge de répondre à mes questions. S. est une stagiaire
française, A. est une assistance sociale de Parada. A. étant
également francophone, l'entretien d'une heure s'est
déroulé en français, dans la salle de réunion de la
fondation. Lorsque I.J. est arrivé, il n'avait que dix minutes à
me consacrer. Notre entrevue, en français, a eu lieu dans son bureau.
Dan Oprescu Zenda, sociologue et membre de l'ANR a aussi accepté de me
rencontrer. Nous nous sommes entretenus le 11 mars 2010, dans son bureau. Cet
entretien en anglais a duré une heure et demi. De même, N.,
francophone de Romani Criss, a consenti à me recevoir le 12 mars 2010.
Nous avons conversé une heure en français, dans les bureaux de
son association. Les trois autres structures de Bucarest, que j'avais
sollicitées, n'ont pas répondu à mes requêtes.
À Timisoara, j'ai contacté l'association Parudimos, ainsi que
certains de ces anciens membres ayant travaillé à l'étude
de faisabilité de projet de réinsertion économique. J'ai
également sollicité l'Institut Interculturel de Timisoara. Seuls
les anciens membres de Parudimos ont
47
http://www.gazetademaramures.ro/fullnews.php?ID=5170
[Site consulté le 04/03/2010.]
21
accepté de me rencontrer. E. est francophone. Notre
entretien d'une heure, dans un café de Timisoara, s'est
déroulé le 25 mars 2010, en français. J'ai
rencontré D. le 27 mars 2010, dans un café. Notre entretien, en
anglais, a duré une heure et demi.
À mon retour à Paris, je n'ai pas pu revoir S.F.
qui était en déplacement. Elle m'a redirigée vers G.,
présidente de l'association. J'ai retrouvé G. le 13 avril 2010,
à son domicile de Palaiseau. J.P., un membre de l'association qui
était également témoin de l'incendie du campement,
était présent. Cet entretien a duré une heure.
Au cours de cette étude, j'ai donc
réalisé dix entretiens, auprès de douze personnes. J'ai
réalisé leur retranscriptions complètes. Pour l'analyse de
ces informations, j'ai repéré les thèmes et sous
thèmes principaux, puis j'ai élaboré un code correspondant
aux différents types de réponses que j'avais reçues. Cette
codification m'a permis de mettre en évidence les réponses
similaires de certains interviewés et ainsi, de réaliser trois
groupes d'acteurs : les acteurs proches des théories de l'inclusion
sociale, les acteurs proches des théories de la discrimination raciale,
et les acteurs « modérés ».
c) Recherche bibliographique
Pour cette étude, je me suis tout d'abord
intéressée à un contexte précis, le « retour
forcé » des Roumains, en Roumanie. C'est en fonction de ce contexte
que j'ai pu définir le cadre conceptuel dans lequel je me suis
située.
Au fil des entretiens que j'ai eu l'occasion de
réaliser, de nouvelles thématiques sont apparues. Pour les
analyser, je n'ai cessé d'enrichir le cadre conceptuel. À cet
égard, Dan Oprescu Zenda m'a beaucoup apporté : il m'a
communiqué divers documents bibliographiques, ainsi que le fruit de ses
propres recherches. L'article : « Another decade, another inclusion...
(A few words on the decade of Roma's inclusion; a personal perspective from
Rumania). »48 s'est révélé
particulièrement pertinent, au regard des informations que j'ai
collectées. Dans cet article, l'auteur démontre que dans le
domaine de l'action sociale, destinée aux Roms, deux théories
dominent : « the social inclusion theory (SIT) » et « the racial
discrimination theory (RDT) ».
Les théories de l'inclusion sociale (SIT) remontent au
XVIIIe siècle. Selon elles, les Roms sont des être humains «
incivilisés », qui peuvent être « domestiqués
» et transformés en « êtres-humains à part
entière », au moyen de différentes techniques. Il est
possible de « capturer » les nomades et de les forcer à se
sédentariser. Il est ainsi nécessaire de leur fournir des
logements, de nouveaux vêtements, des papiers d'identité, parfois
même des noms. D'une manière générale,
l'éducation est considérée comme un élément
clé des théories de l'inclusion sociale. Pour qu'elles
48 Oprescu Zenda D., « Another decade, another inclusion...
(A few words on the decade of Roma's inclusion; a personal perspective from
Rumania) », Studia Univertatis Barbes-Bolyai, Bucarest, 2007, p.
79-90.
22
aient un impact, il est nécessaire que les
organisations porteuses de ces projets coopèrent avec les
autorités, qu'elles soient locales ou centrales. L'auteur explique que
trop souvent, les ONG roumaines partisanes des SIT ne sont que des compagnies
commerciales, à peine déguisées en ONG. Parfois, ces
structures peuvent se retrouver en opposition avec des ONG plus critiques
vis-à-vis des autorités.
Les ONG plus critiques se sont souvent
spécialisées dans la publication de rapports,
dénonçant les discriminations raciales. Romani Criss en est un
exemple intéressant. Lors de la création de cette ONG Rom, son
but était « l'intervention sociale et le développement
communautaire ». Cette organisation s'est récemment
spécialisée dans la lutte contre les discriminations, sous
l'influence du European Roma Rights Center (ERRC). Les
militants pour les droits des Roms les plus radicaux sont des partisans des
théories de la discrimination raciale (RDT). L'origine de ces
théories vient du Bon sauvage, de Jean-Jacques Rousseau. Selon
cette conception les Roms ne sont pas corrompus pas notre civilisation
décadente. Ainsi, s'ils ne sont pas pleinement intégrés,
dans nos sociétés occidentales, la faute en revient aux
discriminations qu'ils subissent, et non à leur mode de vie.
2) L'empirisme de terrain
a) S'entretenir en plusieurs langues
Lors du premier entretien réalisé, nous avons
conversé en roumain. Pour ma compréhension, Mh. a parfois
dû se répéter ou parler plus lentement. Il est donc
envisageable que Mh n'ait pas exprimé tout ce qu'elle voulait en une
heure. Il est également fort probable que je n'aie pas relevé
certains éléments signifiants, au cours de l'entretien. J'ai pris
la liberté de traduire cet entretien en français.
Lors des entretiens en anglais et en français, les
acteurs s'exprimaient dans un langue étrangère. Parfois, ils
n'ont pas utilisé le mot juste. Parfois, la tournure de leurs phrases
était incorrecte. Je me suis permise de corriger certaines erreurs, lors
de la retranscription. Toutefois, j'ai taché de rester fidèle au
sens que les acteurs avaient donné à leurs propos.
b) L'absence de l'OFII et des migrants
Avant mon départ en Roumanie, j'avais adressé
deux courriers à l'OFII, sollicitant des entretiens. L'un était
destiné à la direction territoriale de l'OFII de Poitiers.
L'autre était adressé au siège de Paris, dans le but
d'obtenir un rendez-vous avec le représentant de l'OFII à
Bucarest.
Aucune réponse ne m'a été
retournée et sur place, l'OFII de Bucarest n'a pas accepté de me
rencontrer.
23
Les migrants roumains ayant bénéficié des
ARH sont quasi exclusivement des Roms. Toutefois, il est très
délicat de tenter d'identifier les Roms en Roumanie. En effet, peu
d'entre eux sont inscrits sur les listes électorales. De plus, lors
d'une brève rencontre, une personne rom préfèrera se
présenter comme « non-rom ».49 Ensuite, il faut
identifier les Roms ayant migré en France, puis ceux ayant reçu
des ARH. Cette entreprise s'avère très compliquée et son
succès n'est pas assuré.
C'est pourquoi j'espérais pouvoir obtenir des contacts
de migrants ayant été reconduits, dans le cadre d'ARH, par
l'intermédiaire des ONG conventionnées par l'OFII pour prendre en
charge leur réinsertion. Trois de ces quatre ONG ont refusé de me
rencontrer. La présidente de Generatie Tanara, avec laquelle je me suis
entretenue, n'a pas accepté de me communiquer ses contacts. M.P. n'a
pas, non plus, consenti à me révéler combien de migrants
avaient été reconduits par l'OFII, dans le comté de
Timis.
Les anciens membres de Parudimos qui avaient travaillé
avec des migrants à l'étude de faisabilité d'un projet de
réinsertion, n'ont plus de contacts avec ces personnes. Ils supposent
qu'ils sont repartis en France. En effet, une grosse majorité des
migrants repartent en France assez rapidement. Différentes sources
expliquent que 75 à 90 % des migrants reconduits par l'OFII seraient
repartis.50
Tous ces éléments m'ont conduite à me
demander en quoi le manque de cohérence politique du « programme de
retour » mis en place pour les Roumains, favorise non seulement la
circulation des populations, mais participe à masquer la
réalité sociale de cette migration, empêchant une gestion
appropriée de ce phénomène migratoire ?
Pour répondre à cette question, dans une
première partie, j'axerai ma réflexion sur le manque de
cohérence politique de ces programmes. En effet, ils incluent des
acteurs très hétérogènes, sans réelle
coopération entre eux. Ces différents acteurs ont des conceptions
bien différentes de l'action sociale, des programmes de retour
humanitaire et des aides à la réinsertion. De plus, l'absence de
réinsertion favorise la mobilité des migrants.
Dans une seconde partie, je montrerai comment le manque de
coopération entre les différents acteurs, conduit à une
méconnaissance des communautés migrantes et de leur
phénomène migratoire.
Enfin, je mettrai en avant, dans une troisième partie,
les tentatives de gestion des mobilités des Roms. J'expliquerai en quoi,
et pourquoi, ces tentatives ne sont pas appropriées aux
49 Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, Human
dynamics, Bucharest, 2008, p. 10.
50 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
24
communautés qu'elles ciblent.
I) Les incohérences des programmes d'aide au
retour
Le programme d'aide au retour humanitaire mis en place pour
les ressortissants roumains présente un manque de cohérence
politique, dû à l'hétérogénéité
des acteurs, et à leurs représentations différentes des
aides au retour et des aides à la réinsertion. En effet, certains
acteurs mettent en avant le caractère volontaire et humanitaire des
aides au retour, alors que d'autres acteurs les définissent comme
forcées. De plus, les aides à la réinsertion sont
très peu diffusées. Cela met en cause l'intérêt de
leur existence.
A) Des acteurs hétérogènes
Trois types d'acteurs sont concernés par ces programmes
d'aide au retour et de réinsertion en Roumanie. Les pouvoirs publics
sont les instigateurs de ces programmes de retour, mais peuvent
également proposer des alternatives. Les ONG et associations travaillent
avec les migrants en amont et en aval de ces retours. Les migrants profitent de
ces programmes ou les subissent.
1) Les pouvoirs publics
a) L'OFII
Le Service Social d'Aide aux Émigrants (SSAE) est
créé en 1926; il est reconnu d'utilité publique en 1932.
L'Office National d'Immigration (ONI) voit le jour en 1945 et devient l'Office
des Migrations Internationales (OMI) en 1988. Le Fond d'action sociale (FAS),
héritier du FAS algérien de 1958, il devient en 2001 le Fond
d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les
discriminations (Fasild). En janvier 2005, l'OMI absorbe le SSAE pour devenir
l'Agence Nationale d'Accueil des Étrangers et Migrants (ANAEM), (Le
Fasild a pu refuser la fusion, alors que le SSAE n'a pas été en
mesure de la refuser). Le but de cette Agence est d'être l'instrument
d'une nouvelle politique d'immigration, associant immigration, accueil et
intégration. Sylvain Chevron contextualise la création de
l'Agence. « Au coeur « d'un véritable programme politique
», la création de l'ANAEM par la loi de programmation du 18 janvier
2005 « s'inscrit donc dans un vaste mouvement de recomposition
institutionnelle » qui l'englobe et la dépasse.
»51 Sylvain Chevron explique que la collaboration entre
assistants sociaux et anciens fonctionnaires de l'OMI (auditeurs) peut
être complexe. En effet, leurs conceptions de « l'action sociale
» sont parfois bien
51 Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, L'Harmattan, Paris, 2009,
p.15.
25
différentes. Pour les assistants sociaux, l'action
sociale « implique un nécessaire accompagnement de la personne
qui peut parfois durer plusieurs mois. Pour les auditeurs, à partir du
moment où il y a contact avec le public, il y a action sociale.
»52 »
Le SSAE était l'une des vingt branches du Service
Social International. En vertu d'une convention d'affiliation du 8 juin 2007,
l'OFII a repris l'activité du SSI en France, en tant que bureau
affilié. Les relations avec le SSI mobilisaient six personnes au sein du
SSAE et ne mobilisent plus que deux personnes au sein de l'OFII. Le SSAE
était donc plus impliqué dans le SSI que ne l'est l'OFII. «
D'une manière plus générale, il semble que les «
partenaires traditionnels des assistants seraient plus méfiants envers
un établissement public qu'envers une association
»53. L'action sociale de l'OFII s'en trouve
défavorisée.
En 2006, le FASILD devient l'Agence nationale pour la
cohésion sociale et l'égalité des chances et le service
civil volontaire (Acsé). La réforme de ces institutions n'est pas
achevée. Le rapprochement de l'accueil et de l'intégration que
l'Agence devait opérer, n'est pas celui escompté. Ainsi par le
décret n°2009-331 du 25 mars 2009 de modernisation pour le logement
et la lutte contre l'expulsion, l'ANAEM absorbe une partie des
compétences de l'Acsé et devient l'Office français de
l'immigration et de l'intégration (OFII). Au sein de l'OFII les
assistants sociaux et les auditeurs ne s'accordent pas sur les missions de
l'Office. En effet, « l'action sociale » n'est pas
présentée dans le livret d'accueil que distribue l'Office et le
film diffusé aux nouveaux arrivants l'évoque simplement. Sylvain
Chevron affirme que « dans plusieurs directions territoriales,
certains assistants auraient eux-mêmes créé des plaquettes
de présentation. Mais le siège leur en a interdit la diffusion
[...]. »54 Ainsi le terme « action sociale » ne
signifie pas la même chose pour tous les travailleurs de l'Office. De
plus, tous n'y accordent pas la même importance.
b) Le rôle des autorités locales
Les autorités locales peuvent avoir un rôle en
amont et en aval de ces retours. En France, elles peuvent éviter ou
encourager les évacuations, souvent préalables aux
opérations de retour. Dans la région parisienne, des
réponses politiques différentes ont été mises en
place, d'un département à l'autre, d'une commune à
l'autre. Les positionnements politiques des maires, des préfets, des
conseillers généraux, etc, sont évidemment liés au
traitement des populations roms, établies sur leurs circonscriptions. Si
certaines communes acceptent l'établissement d'un campement, ce n'est
jamais sans condition. La condition d'un nombre « raisonnable » de
personnes,
52 Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., p.15. «
Entretien avec Christine Rousselin, responsable du service social à la
direction OFII de Paris Centre », p. 178.
53 Ibid., « Entretien avec Christine Rousselin,
responsable du service social à la direction OFII de Paris Centre
», p. 173.
54 Ibid., p. 171.
26
a été évoqué par les trois acteurs
interrogés, travaillant au sein de l'ASFRP. S.F., secrétaire de
l'ASFRP témoigne :
S.F. - « [...] À Chilly-Mazarin, la mairie
s'est radoucie et a accepté qu'ils s'installent, sous conditions (pas
trop de...). Ils ont même acheté quelques cabanes pour les gens.
Et puis le camp a grandi, les règles n'ont pas été
respectées. »55
En effet, les communes considèrent qu'au delà
d'un certain nombre, les campements ne seraient plus « gérables
». De mon point de vue, les autorités locales craignent le
développement d'une organisation sociale propre au camp, qu'elles ne
sauraient comment gérer.
De plus, les autorités locales élues doivent
satisfaire leur électorat. Pour comprendre les actions mises en place
par un homme politique, il faut essayer de cerner l'opinion du groupe qui l'a
élu. Il est probable que les autorités locales se focalisent sur
la question de la « taille du camp », car une petite
communauté est peu visible. La visibilité d'une communauté
attire l'attention de l'Opinion. En effet, dès que les camps deviennent
trop importants et trop visibles, les riverains se plaignent, l'Opinion leur
fait écho. Les autorités locales qui ne veulent pas fâcher
leur électorat, s'assurent que des expulsions spectaculaires aient
lieu.
Une étude sur la situation des Roms en Italie,
menée par P. Arrigoni, E. Claps et T. Vitale s'est avérée
particulièrement intéressante puisqu'elle m'a permise de comparer
le cas français avec le cas italien. Les auteurs écrivent que
« [les pouvoirs locaux] utilisent un répertoire d'instruments
de l'action publique très limité, réductible au
binôme « camps nomades et bidonville ». Sur le plan politique,
ils obtiennent le consensus sous une forme démagogique, gouvernant par
la criminalisation des groupes tsiganes. »56
Premièrement, ceci nous montre que les autorités locales, en
Italie et en France57, n'ont pas une gestion très
différente de ces populations. Ce n'est donc pas le nombre de personnes
visé qui définit « l'action publique » mais bien la
conception spécifique qu'ont les autorités des populations
ciblées et de leurs besoins. Les villages d'insertion de Seine
Saint-Denis en sont un bon exemple. Un petit nombre de familles (restreintes)
est choisi. Les futurs villageois doivent accepter de ne rencontrer les membres
de leur famille et leurs amis, qu'en dehors du village. Pour s'en assurer et
veiller à ce que les villages ne se transforment pas en campements, des
vigiles surveillent les lieux. Des caravanes sont attribuées aux
familles. Lorsque des intervenants extérieurs viennent leur dispenser
des cours d'alphabétisation et des formations
55 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
56 Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Rom et Gadje en Italie », Études Tsiganes,
n°35, juillet 2009, p. 83.
57 En Italie, les Roms et les Sinti sont la minorité la
plus importante. Ils représentent 0,25 % de la population, contre 0,6 %
en France.
27
civiques, les familles sont réunies dans la salle
polyvalente du village. Lorsqu'une famille a franchi une étape dans son
parcours d'insertion, un bungalow lui est attribué. Lorsque tous les
membres de la famille (restreinte) sont prêts à s'insérer
dans la société française, ils peuvent quitter le village.
Cette initiative nous montre bien des choses. Les pouvoirs publics ont une
connaissance très limitée des communautés roms et de leurs
organisations familiales. Les villages sont constitués de caravanes et
de bungalows. Dès lors, la question est de savoir quelle est la
différence entre un campement et un village. Seule la salle polyvalente
et la présence d'un vigile nous permettent de différencier l'un
de l'autre. Cette salle est un lieu important du village d'insertion, puisque
c'est là que l'enseignement de la vie dans la société
française, est prodigué aux familles. Cependant, il est
également possible d'installer une salle de ce type dans les campements
préexistants. Dès lors, on peut se demander si la présence
d'un vigile est l'atout principal de ce projet. Malgré ses
contradictions, le projet remporte certains suffrages, et représente
l'intérêt d'être « un début ».
Selon « the European Union Agency for Fundamental
Rights » (F.R.A), le manque de projets appropriés à ces
communautés est généralisé en Europe. «
The findings of the research show little evidence of any specific strategy or
measures developed by public authorities in receiving countries to integrate
Roma EU citizens from other Member States. »58
Enfin, en Roumanie, les pouvoirs publics et les
autorités locales sont encore très largement corrompus et souvent
inactifs. De plus, ils sont absents des programmes de réinsertion des
Roms. La société civile semble n'avoir aucun contre-poids face
à eux. Sur neuf personnes interrogées en Roumanie, dont huit
Roumains, cinq personnes ont cité ce problème.
E. - « L'autorité locale, elle a le pouvoir.
[...] Ici à Timisoara, à la préfecture il y a un bureau de
parlementaires. Ils ne font rien. [...] »59
D. - «I was very surprised when I went to the local
authorities and talked about the program, nobody knew anything about it. It was
a program done by one side, to have effect on two
sides.»60
Les pouvoirs publics français sont ici également
mis en cause, puisqu'ils ne coopèrent pas, avec les autorités
locales roumaines, dans le cadre des programmes de réinsertion
économique.
2) Les ONG et le milieu associatif
Les acteurs interviewés dans le cadre de cette
étude ont été regroupés dans trois
catégories.
58 F.R.A., The situation of Roma EU citizens moving to and
settling in other EU Member States, Confenrence Editions, Autriche, 2009,
p. 7-8.
59 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
60 Ibid.
28
Ces catégories ont été
réalisées au vu des modèles théoriques
formulés par Dan Oprescu Zenda (SIT et RDT). Ces modèles
théoriques ne s'appliquent pas de manière absolue à une
ONG ou une personne. Nous faisons tous des compromis, nous évoluons,
c'est pourquoi j'utilise les termes de « dominante SIT » et «
dominante RDT ». Chez certains des acteurs m'ayant accordé un
entretien, il m'était impossible de dégager une tendance, une
dominante. J'ai nommé ces acteurs les « modérés
». Sur un total de onze acteurs, quatre sont placés dans la
catégorie « à dominante SIT », cinq sont
modérés et deux d'entre eux sont dans la catégorie «
à dominante RDT ».
a) Les acteurs interrogés « à
dominante SIT »
J'ai placé dans cette catégorie les membres de
l'ASFRP, (G, S.F., J.P.), ainsi que M.P., présidente de Generatie
Tanara.
Le premier élément qui m'a permis de regrouper
ces acteurs dans une même catégorie est le fait qu'ils sont les
seuls à ne pas être défavorables aux ARH et aux villages
d'insertion.
J.P. - « Nous on s'oriente plus vers des
modèles qui ont été faits en Seine-Saint-Denis, des
villages d'insertion. Le problème de ces villages c'est qu'il y a un
gardiennage. [...] C'est ça qui pose un problème aux autres
associations parce qu'ils considèrent que c'est un camp d'internement,
les grands mots et tout. Sauf que nous on voit une situation zéro, et
là on voit une situation qui est mieux que zéro. »61
Ces acteurs ne sont donc pas défavorables aux
programmes mis en place par les autorités. Il n'est donc pas surprenant
qu'ils s'avèrent être les interlocuteurs privilégiés
des pouvoirs publics. Selon D. Oprescu Zenda, cet élément est
essentiel pour définir les SIT.
J.P. - « Le problème qu'on rencontre, c'est un
petit peu comme en politique, il y a des partis extrêmes qui sont contre
tout, mais qui n'arriveront jamais au pouvoir, parce qu'ils n'ont aucune
solution. Ils tapent tout le temps. Et puis il y a ceux qui essayent de faire
quelque chose. Forcément c'est une négociation. On a gagné
des points avec le Maire de Massy, on essaye de s'en servir pour la prochaine
fois. On va essayer d'avoir une réunion avec le Préfet. Il faut
négocier, mais dans tous les cas on ne peut pas donner toutes les
libertés. »62
Les acteurs de cette catégorie sont les moins enclins
à reconnaître des spécificités
61 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
62 Ibid.
29
communautaires, ou ethniques, aux groupes roms. Ils
considèrent que tous les hommes sont égaux
et qu'aucun particularisme n'est justifiable. Ceci explique
également leur position d'interlocuteurs
privilégiés des autorités.
M.P. - « Regarde, les associations de... les
associations qui s'occupent de personnes Roms sont des associations avec
lesquelles les Roms ne sont pas toujours intéressés de
collaborer. [...] Quand on parle des Droits de l'Homme, peu importe qu'il soit
Rom, qu'il soit Roumain, qu'il soit Juif ou Allemand, l'homme est Homme. Sinon,
quand on commence à penser comme ça, on finit avec le trafic de
femmes, avec le trafic d'enfants, avec des hommes qui sont obligés
à mendier, avec des femmes qui sont obligées à mendier, et
spécialement les enfants qui sont envoyés dans beaucoup beaucoup
d'affaires. Nous vivons dans un monde qui aujourd'hui est détruit, sans
valeur morale. La famille est déjà une institution
périmée et nous avons besoin de retourner à des valeurs
morales saines, et donc de famille. »63
Comme nous pouvons le voir ici, pour M.P., la reconnaissance
de spécificités communautaires serait néfaste aux valeurs
morales de la société. À plusieurs reprises M.P. a
suggéré un lien entre les migrations roms et la
criminalité. Ce lien est courant dans les médias et dans les
discours politiques, il l'est toutefois moins dans le milieu associatif. Cet
élément est notable car il nous permet de faire une distinction
entre les points de vue des membres de l'ASFRP et celui de M.P. La
présidente Generatie Tanara insiste sur l'importance des trafics, J.P.
insiste sur leur visibilité.
J.P. - « Il y a 90 % qui respectent les règles
et il y a 10 % qui... Et même ici,
le problème c'est qu'on ne voit que les 10 %, dans
tous les cas. »64
Cette différence de conception peut être due,
tant aux opinions personnelles des acteurs, qu'à leur culture.
b) Les acteurs interrogés «
modérés »
Cette catégorie est formée des membres de Parada
interrogés (S., IJ., A.), de E., ancienne membre de Parudimos et de Mh.,
présidente de Clubul tinerilor Romi. Il ne m'a pas été
possible de dégager une tendance chez ces acteurs. Cela ne signifie pas
que leurs conceptions de l'action sociale
63 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
64 Ibid.
30
et humanitaire s'accordent, mais simplement qu'elles
représentent un compromis entre les
conceptions SIT et les conceptions RDT.
Ces acteurs ont un point commun notable. Ils jugent les ARH
inutiles et n'hésitent pas à en
plaisanter.
A.- « C'est normal, là-bas, tu arrives à
survivre, ici tu n'as rien. Si en plus
on te donne de l'argent pour le voyage, c'est « oh, la
France m'aime bien !
[...] En tout cas donner de l'argent, ça ne va pas
apporter grand-chose. »65
Qu'ils soient Roms ou non, ces acteurs ont des opinions
modérées sur la question de
l'autonomisation de la cause Rom. Ils pensent qu'il est
nécessaire de travailler avec des Roms pour toucher leur
communauté. Les individus avec lesquels ils travaillent sont des
exemples d'insertion, des « non-traditionnels » ayant adopté
le mode de vie du groupe majoritaire. Pour A., les Roms doivent s'adapter
à la société, pour I.J., l'adaptation doit être
réciproque.
A.- « [...] Le père il doit développer
des activités, des petits jardins, pour avoir un peu d'argent et envoyer
les enfants à l'école. S'il envoie pas ses enfants à
l'école, il n'aura pas l'argent pour le jardin. [...] Il faut s'adapter.
Si tu t'adaptes, si tu travailles bien, on peut être
collègues.[...] Ils ont un autre style de vie. [...] Ils ne peuvent pas
être comme nous. [...] Il y a des règles, c'est une
société, c'est comme ça, mais il faut s'adapter, sinon
ciao. [...]Pour être honnête en ce moment ça ne marche pas
trop mais avant, quand on devait aller voir les enfants, dans la rue, on avait
avec nous, dans nos équipes, un animateur socio-éducatif qui
arrivait d'entre eux. »66
I.J. - « Je pense que tout le monde devrait
être impliqué. Parada n'a pas une approche exclusive, sur une
communauté. [...] Il faudra aussi que eux-même ils s'adaptent,
qu'ils adaptent leur mode de vie. C'est une adaptation continue et
réciproque qu'il faut mais il faudrait se connaître mieux
déjà. »67
J'ai pu, au cours des entretiens, cerner une forme «
d'infantilisation » des « Roms traditionnels », chez ces
acteurs. Les « traditionnels » doivent être
éduqués afin de connaître les codes de la
société et de s'y insérer, pleinement. E. est rom, elle se
présente cependant comme une « non-traditionnelle ».
Lorsqu'elle relate les relations entre les Roms et la Croix-Rouge, durant
l'opération de retour en Roumanie organisée par l'ANAEM, elle
infantilise les Roms
65 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
66 Ibid..
67 Ibid..
31
« traditionnels ».
E. - « Ils étaient très bien. Les gars
[de la Croix-Rouge] ils étaient bien, ils étaient sympas. Les
gens ils faisaient des soucis, ils avaient que des problèmes : «
j'ai faim... », tout ça ! « Et je vais aller faire pipi »
et je ne sais pas quoi. Mais les gars ils étaient très bien. Ils
avaient de la patience, oui ça va, c'était bien. »68
c) Les acteurs interrogés « à
dominante RDT »
Seuls deux acteurs m'ayant accordé un entretien
apparaissent dans cette catégorie. Il s'agit de N., membre de Romani
Criss et de D., ancien membre de Parudimos.
Tous deux sont très critiques, vis-à-vis des ARM et
des aides à la réinsertion en Roumanie. N. - «
Premièrement, le programme de l'ANAEM, il n'est pas efficace,
deuxièmement, les Roms sont les seuls pour lesquels ils font le
rapatriement en groupe. Les autres nations ou les autres peuples, ça se
fait en demande individuelle. »69
Ainsi, il n'est pas surprenant de constater que les relations
de ces acteurs avec les pouvoirs
publics ne sont pas des plus cordiales.
N. - « Je crois que les États-Nations
maintenant ils veulent contrôler tout. La question Rom c'est quelque
chose qui rend hystérique et qui donne plus d'eau à leurs moulins
nationalistes. [...] Il n'y a pas de mécanisme qui nous permette
d'influencer la politique locale. Par exemple en Roumanie, le baron local c'est
le maire qui occupe tout l'espace et tu ne peux pas faire beaucoup contre lui.
»70
Tout comme les « modérés », ces
acteurs considèrent que les Roms éduqués doivent montrer
l'exemple et qu'il est nécessaire de travailler avec des Roms pour
communiquer avec les communautés. Les modérés pensent que
les Roms éduqués doivent se faire l'exemple d'une insertion
réussie. Pour les acteurs à dominante RDT, les Roms
éduqués doivent prouver aux Roumains que leurs
représentations sur les Roms sont mauvaises.
N. - « Je crois que nous, les Roms qui sont
éduqués, c'est à nous de nous
multiplier. Assumer notre identité, d'une, et que
les gens qui sont comme
68 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
69 Ibid.
70 Ibid.
32
nous, fassent pression au niveau local et au niveau
national, qu'ils soient porteurs d'une parole et que les majorités les
voient comme des exemples que leurs perceptions sont mauvaises.
»71
Si des dissensions sont observables, dans les conceptions de
l'action sociale et humanitaire,
des différents acteurs du milieu associatif, des
invariants sont également notables. Le besoin d'une
plus grande cohésion des différentes parties est
apparu dans tous les entretiens. La mise en place de
tables rondes au sujet des Roms migrants a été
définie comme nécessaire par J.P., G., S.F. et D. J.P. -
« Encore une fois, le problème qu'on rencontre pour les aider dans
leur quotidien, pour les aider plus loin, c'est que tous les partenaires qui
travaillent autour des Roms ont des grosses différences d'objectifs.
C'est contre productif arrivé à un moment. »72
Tous les acteurs interrogés ont exprimé le
besoin d'impulsions internationales pour que la situation des Roms en Europe
s'améliore. Cependant, ils estiment que l'action sociale doit, pour
être concrète, être locale. Néanmoins, la
désillusion des acteurs envers les actions internationales est variable.
Les acteurs à dominante RDT sont les plus confiants à
l'égard des actions internationales, peut-être parce qu'ils ont
moins d'opportunités de travail avec les autorités locales.
S.- « Moi, sur les répercussions, je ne sais
parce que je n'ai pas trop regardé. Au moins ça veut dire qu'ils
prennent en compte le fait que ce n'est pas le problème que de la
Roumanie et qu'ils prennent en compte que c'est un problème
européen. C'est des peuples qui bougent donc c'est des peuples qui sont
plus européens, que d'un seul pays. »73
Enfin, aucun des Roms roumains, que j'ai rencontrés dans
le cadre de cette étude, ne sont des « traditionnels ». Ils
composent l'élite des Roms éduqués, qui se sont «
détachés de la tradition ». Mh. - « Et puis il y a
les Roms traditionnels et les Roms non-traditionnels. Moi je ne suis pas une
« pure », je ne porte pas de jupe, tu vois ?! »74
E. - « Et comme tu as vu déjà si tu es
allé à Romani Criss, il y a d'autres Gitans qui sont super bien,
super éduqués, plus que moi, beaucoup plus que
71 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
72 Ibid..
73 Ibid.
74 Ibid.
33
moi. Je suis fière d'eux, de chacun. Ils ont
cassé la tradition. »75
Au sein du milieu associatif, des conceptions
différentes de l'action sociale et humanitaire existent. Cependant, le
besoin d'une plus grande coopération des différentes parties a
été affirmé par tous les acteurs interrogés.
3) Les migrants
Marc Parant explique que ces aides « favorisent le
retour au pays d'immigrants prêts à y retourner de toute
façon, par choix personnel, et forcent d'autres individus à un
retour au pays qu'ils ne souhaitent plus, notamment à cause du
décalage de mode de vie et de liberté individuelle.
»76 En fonction des personnes reconduites, un même
programme peut donc prendre la forme d'un retour forcé, ou volontaire.
Certains d'entre eux subissent cette situation. D'autres y ont trouvé le
moyen de rentrer « gratuitement », tout en ayant de quoi revenir. Si
une personne parvient à bénéficier d'une ARH, plus d'une
fois, sa migration peut prendre une forme de circulation migratoire. Les ARH
sont distribuées et signées, dans un climat d'urgence et en
l'absence de traducteurs. Il n'est donc pas rare que les noms de certains
bénéficiaires, ne soient pas correctement orthographiés
sur les documents. Ces personnes sont donc enregistrées dans
l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en
France, (AGDREF) sous un nom erroné. Il me paraît ici important de
noter que si certains Roumains utilisent l'OFII et les ARH pour rentrer en
Roumanie gratuitement, l'OFII, lui, utilise les Roumains pour « faire du
chiffre » et ainsi montrer l'efficacité de ses
programmes77. S'il n'y avait plus personne à reconduire, les
ARV et les ARH perdraient leur raison d'être.
L'entretien, réalisé par Mh., auprès
d'une famille Rom ayant migré en France s'avère pertinent dans ce
contexte. Mh. l'a résumé et je l'ai traduit. En Roumanie ils
ne réussissent pas à survivre avec huit enfants, il n'y a pas de
travail et pas assez d'argent pour survivre. [...] Ils sont partis en France
pour aider les enfants. Là-bas il y a une plus grande chance de se
débrouiller, l'argent à une autre valeur. [Le père] est
mécanicien, il répare des voitures et la paye est meilleure [en
France] qu'en Roumanie. [...] [En France, la famille] vivait dans une caravane
de Rom, ce n'était pas facile, il y avait une grande misère, sans
eau, etc... mais c'est mieux qu'en Roumanie. Il n'y avait pas de
problème avec les autorités, ils ont même reçu les
allocations de l'État français qui s'assurent de la survie des
enfants quand on a pas de travail. [...] Quand ils sont revenus de France, avec
la famille (frères, soeurs, parents) ils ont payé des dettes. Ils
connaissent l'OFII mais
75 Ibid.
76 Parant M., « Échecs et illusions des politiques
d'aide au retour », Hommes et migration n°1223,
Janvier-février 2000. p 85.
77 Romeurope, Témoignage sur le déroulement
des opérations de retour organisées par l'ANAEM. Rapport
2008.
34
ça ne convient pas pour ceux qui veulent rester en
France, et pas en Roumanie. Ils aimeraient bien rester chez eux, en Roumanie,
mais ils n'ont pas de maison, pas de travail, la famille s'appauvrit et ils n'y
peuvent rien. Leur seul espoir est de rester en France, pour l'avenir des
enfants. [...] Ils ne veulent pas rester en Roumanie, parce qu'ils n'ont aucune
chance de survivre, s'ils ne réussissent pas en France, ils sont
décidés à partir dans un autre pays avec les enfants, mais
plus en Roumanie.78
Bien que cette famille affirme vouloir rester en France, elle
s'est installée dans la mobilité, sans le concours de l'OFII. Si
cette famille avait pu bénéficier de l'aide au retour
humanitaire, cela n'aurait probablement pas changé son mode de vie, mais
simplement accéléré le mouvement. De plus, cette famille
exprime son désir de partir, en France ou ailleurs. Ceci est
extrêmement significatif. En effet, je peux en déduire que si
l'État français décide de freiner le mouvement des
populations roms, les migrants ne s'arrêteront pas de circuler, ils iront
ailleurs. Ils sauront s'adapter à nouveau aux politiques mises en place
à leur encontre.
Si les migrants doivent s'adapter aux politiques mises en
place à leur encontre, cela implique que ces politiques ne leur sont pas
adaptées. Les migrants ne sont pas consultés pour
l'élaboration des projets leur étant destinés. F.R.A
écrit à ce propos : « The research found little evidence
of Roma involvement in the design and implementation of responses to their
situation, particularly within the context of local authority interventions.
[...]although individual Roma activists who are country nationals are very
often the key (or only) source of support for Roma from other Member States.
»79 Nous avons vu que les Roms, rencontrés dans le cadre de
cette étude, forment l'élite Rom. Bien qu'ils se battent pour la
reconnaissance des droits des Roms, parfois, ils ne connaissent que très
peu les communautés qu'ils doivent aider.
Pour conclure, les conceptions des différents acteurs
engagés dans les ARH et les aides à la réinsertion, de ce
que représente l'action sociale et humanitaire, divergent. Au sein
même de l'OFII, les assistants et les auditeurs ne s'accordent pas sur ce
terme. Les autorités locales ont un répertoire d'action
très limité et doivent prendre en compte l'opinion de leur
électorat. Les différentes ONG et leurs membres ont, eux aussi,
des représentations des besoins des communautés aidées, et
des actions à mettre en place, qui peuvent être discordants. Enfin
les migrants sont absent des cercles décisionnels, avec lesquels ils
n'ont aucun dialogue. Ceci implique que les politiques et les actions mises en
place à leur endroit, ne leur sont pas adaptées.
78 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
79 F.R.A., op. cit., pp. 73-74.
35
B) Des aides au retour controversées
Les programmes d'aide au retour humanitaire peuvent être
perçus de différentes manières. Ils aident les migrants
à quitter les campements dans lesquels ils sont installés dans la
région parisienne et à rentrer chez eux. Cependant, ils prennent
également la forme d'expulsions du territoire français.
1) Les aides au retour en pratique
De nombreuses associations travaillant auprès des
étrangers en France, et notamment des Roms roumains et bulgares,
relatent des situations qui ne relèvent en rien du domaine de l'aide
humanitaire. Le collectif national des Droits de l'Homme Romeurope80
publie des rapports, tous les ans, sur les conditions de vie des Roms en
France, dans lesquels de nombreuses associations81 apportent leur
témoignages. Bien que tous ces acteurs soient impliqués
directement dans cette question, la multitude des témoignages donne,
à mon sens, un crédit non négligeable à ces propos.
Nous savons que les ressortissants roumains, repartis dans le cadre d'une ARH,
sont « quasi exclusivement des Roms ». Ceci confirme, tout
d'abord, qu'il y a effectivement une sélection opérée
entre les Roumains qui peuvent rester en France, et les autres. Ensuite, cela
me porte à croire que le critère de « grande
précarité » est un prétexte pour cibler les Roms.
Les forces de police accompagneraient l'ANAEM sur les
campements. Des « Obligations à quitter le territoire
français » (OQTF) et des « Arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière » (APRF)
sont remis par les services de la préfecture. L'ASAV (association pour
l'accueil des voyageurs) en témoigne82. « Le
dispositif policier mis en place était le suivant : encerclement du
site, une dizaine de camions de CRS, 7 fourgons de police [...], un
délégué de la sous-préfecture, 2 bus de 55 places
[...] avec chacun une remorque à l'arrière pour les bagages, un
groupe de traductrices et des travailleurs sociaux du centre
d'hébergement de Vaujours. » La direction de
l'éloignement de l'OFII se défend de cette collaboration. En
effet, les dirigeants de cette section de l'OFII disent ne travailler ni avec
les forces de l'ordre, ni avec les préfectures. Or, «
la
80 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit.
81 ALPIL (Action pour l'insertion sociale par le logement)
- AMPIL (Action Méditerranéenne Pour l'Insertion sociale
par le Logement) - ASAV (Association pour l'accueil des
voyageurs) - ASET (Aide à la scolarisation des enfants
tsiganes) - Association de solidarité avec les familles roumaines
de Palaiseau - CIMADE (Comité intermouvements auprès des
évacués) - CLASSES (Collectif Lyonnais pour
l'Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des
Squat) - FNASAT-Gens du voyage - Hors la Rue - LDH (Ligue des Droits
de l'Homme) - Liens Tsiganes - MDM (Médecins du Monde) -
MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les
peuples) - Mouvement catholique des gens du voyage - PARADA - PROCOM
(Agence Européenne de Promotion et Communication) - Rencontres
tsiganes - RomActions - Réseau de soutien Rroms de St Etienne -
Romeurope Val-de-Marne - Une famille un toit 44 - URAVIF (Union
régionale des associations voyageurs d'Ile de France) Et les
Comités de soutien de Montreuil et de St Michel-sur-Orge ainsi que le
Collectif de soutien aux familles roms du Val d'Oise et des Yvelines et le
Collectif des sans papiers de Melun.
82 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit., p. 4.
36
redynamisation du retour [...] nécessite en outre
de « sensibiliser les directeurs territoriaux sur la
nécessité d'être au plus près des préfectures
» et notamment de leurs pôles de compétence «
immigration-retour » qui viennent d'être mis en place. [...] Et ce
d'autant plus que ce sont les préfets qui sont juridiquement
responsables des mesures de retour qu'ils décident. »83
Après l'évacuation des terrains occupés
par les Roms, et en l'absence de solutions de relogement, les ARH sont
proposées aux personnes, avec à la clef, un hébergement
jusqu'au départ (dans le meilleur des cas). Parfois, des familles avec
des enfants en bas-âges, des femmes enceintes, des personnes
âgées, sont laissées sans abri, bien qu'encadrées
(au sens propre) par les autorités. Les ARH sont donc proposées
aux personnes dans des moments de grand dénuement. Il est possible que
ce dénuement soit provoqué et utilisé, par les services de
l'État, pour atteindre leur objectif de retour des personnes. Le
réseau de solidarité Rroms de Saint Etienne dresse un bilan des
premières opérations de retour, entre septembre et octobre
200784. Après avoir décrit la coordination ANAEM/
forces de l'ordre, le réseau affirme que « c'est comme cela que
le préfet a réussi à faire partir soixante-six personnes
entre fin août et début octobre, dont des familles avec des
enfants scolarisés depuis plus d'un an. Ainsi le préfet de la
Loire [...] est en passe d'atteindre le quota qui lui a été
fixé : il en est à 129 expulsions/rapatriements sur 150 (87 %),
dont la moitié sont des Roms roumains partis avec le dispositif de
l'ANAEM. »
Souvent, à la signature des documents qui se
déroule le plus souvent en l'absence de traducteur, les papiers
d'identité sont confisqués par l'ANAEM. Ils ne seront rendus
qu'en Roumanie. Ces interventions sont faites très tôt le matin,
voire dans la nuit. Les personnes sont réveillées par la police
qui les menacerait, dans certains cas, s'ils refusent de signer. Dans d'autres
cas les ARH sont signées en garde à vue. À l'inverse
l'ANAEM aurait rejeté des demandes d'aide au retour en invoquant le fait
qu'une famille non francophone et sans autorisation de travail, serait bien
intégrée.
Les départs se déroulent donc, selon ces
témoignages, dans une situation d'urgence. L'intérêt d'une
telle urgence est peut-être de s'assurer qu'aucun « retour en
arrière » ne soit possible. En effet, les personnes n'ont pas le
temps de s'adresser à des associations d'aide juridique aux
étrangers, ni de mettre en place des recours.
Le 8 mars 2010, le campement de Massy sur lequel, environ 300
personnes, vivaient depuis septembre 2008, a été attaqué
par un groupe de 40 à 50 hommes. Il s'agirait d'un règlement de
comptes. Romeurope a rédigé un rapport sur cette
agression.85 « Environ dix policiers municipaux
83 Chevron S., op. cit., pp. 206-207.
84 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit., p. 7.
85 Romeurope, Agression, maintien forcé dans un gymnase et
retour volontaire contraint des familles roms roumaines de Massy (Essonne). Du
8 au 11 mars 2010.
37
sont arrivés, selon les témoignages, en
même temps ou très peu de temps après les agresseurs.
Toutes les personnes affirment que la police municipale a assisté
à toute la scène mais n'a rien tenté pour empêcher
l'agression, ce qui a contribué par la suite à accroître
leur peur [...]. »86 Au cours de cette agression, un
incendie s'est déclaré. Des témoins auraient
indiqué que « les policiers municipaux incitaient même
les personnes à mettre le feu le plus rapidement possible aux baraques.
»87. Or, les membres de l'ASFRP que j'ai rencontrés
et qui étaient présents lors de ces évènements
m'ont affirmé que les forces de police n'avaient pas incité les
agresseurs. À la suite de l'incendie, les 300 personnes qui vivaient sur
ce terrain, accompagnées de membres d'associations ont entamé une
marche vers la Mairie de Massy. C'est alors que le sous-Préfet de
l'Essonne a annoncé qu'un gymnase municipal était ouvert pour
accueillir les sinistrés. Romeurope affirme que « les moyens
prévus pour leur accueil ont été dramatiquement
insuffisants. »88 L'ASFRP m'a signalé qu'il y avait
eu un manque de nourriture pendant la nuit, mais qu'il avait été
rapidement comblé. Les personnes sont restées trois jours dans le
gymnase. « Au départ, les entrées et sorties des
personnes et des associations dans le gymnase étaient libres. A partir
de l'arrivée de l'OFII à 14h, le mardi 9 mars après-midi,
les entrées et sorties ont commencé à être
contrôlées et restreintes. A partir du mercredi 10 mars à
8h, le gymnase a été totalement fermé jusqu'au soir
à 18h30. »89 Romeurope atteste donc d'un
enfermement des personnes dans le gymnase. L'ASFRP n'a pas perçu la
situation de la même manière.
G. - « Il y a eu, le troisième jour la police
qui empêchait les gens d'aller et de venir. Alors, ça c'est
peut-être pénible parce que ça pouvait donner l'impression
qu'ils enfermaient les gens. Ils mettaient en avant le fait que pendant qu'ils
faisaient les dossiers, ils ne voulaient pas qu'il y ait d'appel d'air. [...]
On a ressenti une sensation d'enfermement le troisième jour. Mais il n'y
a pas eu d'enfermement dans le gymnase, il y a eu un accueil. »90
Bien que G. garantisse qu'il n'y pas eu d'enfermement, les
faits semblent prouver le contraire. En effet, le fait que la police ait
empêché les gens d'aller et de venir est suffisant, à mes
yeux, pour qualifier cette action d'enfermement. De plus, le fait qu'il y ait
un « appel d'air » ne serait pas un problème si ces retours
étaient volontaires et humanitaires. Ainsi, il est possible que cet
enfermement ai eu comme finalité, le retour de toutes ces personnes en
Roumanie. Une quinzaine
86 Ibid., p. 3.
87 Romeurope, Agression, maintien forcé dans un gymnase et
retour volontaire contraint des familles roms roumaines de Massy (Essonne). ,
op. cit., p. 3.
88 Ibid., p. 5.
89 Ibid., p. 7.
90 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
38
de personnes, seulement, ne serait pas repartie en Roumanie.
Ces quelques familles n'ont pas pu récupérer leurs effets
personnels épargnés par l'incendie, car la police a rasé
les restes du campement, dès le 11 mars, au matin.
Ceci appuie l'hypothèse selon laquelle, le but de la
coopération entre les forces de police et l'ANAEM est d'intimider les
personnes, pour les fragiliser. Ces éléments sont en faveur de
l'hypothèse d'un retour forcé. Cependant, le fait que Romeurope
et l'ASFRP, membre de Romeurope, n'aient pas le même point de vue sur ces
évènements est révélateur. Ainsi, un même
retour peut être perçu différemment par les
différents observateurs, selon leurs conceptions respectives de ce que
signifie « l'action sociale et humanitaire ». Le témoignage de
E. illustre bien cette remarque.
E. - « Ils étaient volontaires, tous. [...]
C'est parce que la mairie, les flics, la gendarmerie, la Croix Rouge et l'ANAEM
ils sont venus sur le campement les expulser avec le... le papier officiel. Ils
disaient le prix et « si vous voulez partir, rentrer pour trois mois...
vous voulez ou non ? » »91
2) Les aides au retour en questions
a) Qu'est-ce qu'un retour forcé ?
Véronique Lassailly-Jacob, dans l'article Migrants
malgré eux, une position de typologie92 a défini
les migrations volontaires et forcées. Elle y oppose les
déterminants de la migration pour différencier ces deux types de
migration.
Selon ces catégories, la situation économique et
sociale des personnes peut-être la raison d'un départ volontaire
qui ne provoque pas de cassure avec la société quittée.
L'enjeu pour le migrant est, dans ce contexte, l'amélioration de sa
situation. Au sein du groupe concerné, une sélection est
opérée entre ceux qui partent et ceux qui restent. De plus, le
déplacement est encadré par des structures, des organismes
officiels. En revanche, les migrations forcées se font dans une
situation de « chaos », il n'y a pas de structures officielles qui
les prennent en charge, ce qui justifie l'intervention de travailleurs
humanitaires. Ces migrations provoquent une cassure nette avec la
société de départ. Dans ce cas, le départ est
perçu comme problématique. Les structures familiales
traditionnelles s'en trouvent bouleversées et les populations
déplacées encourent un risque de marginalisation. Selon ces
catégories, les retours volontaires et forcés sont
théoriquement, facilement distinguables. Il semble ici
intéressant de tenter d'analyser la situation que j'étudie, au
91 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
92 Lassailly-Jacob V., Marchal J-Y., Questel A., op. cit.
39
prisme de ces catégories.
Le cas du retour des Roumains est particulier puisqu'il ne
correspond, ni à l'une, ni à l'autre de ces catégories.
Les retours des Roumains entraînent des ruptures nettes avec la
société de départ. Ces retours sont perçus comme
problématiques. Ils peuvent bouleverser les structures familiales et
causer une certaine marginalisation des personnes. Les associations de soutien
aux migrants et aux « communautés minoritaires » sont
nombreuses en France. En revanche, en Roumanie, ce type de structures est peu
développé et peu efficace. De retour en Roumanie, les Roumains se
retrouvent le plus souvent seuls. En effet, les associations mandatées
par l'OFII n'effectuent que très rarement le suivi social qu'elles sont
tenues de mener. Ces éléments assimilent ces retours à des
retours forcés. Néanmoins, il faut noter que les Roumains sont
encadrés par une agence officielle, jusqu'au lieu d'arrivée,
où des organismes mandatés par cette agence, prennent le relais,
en théorie. Selon les catégories définies par V.
Lassailly-Jacob, ces retours seraient alors considérés comme
volontaires.
Une fois encore, nous pouvons mettre en évidence que le
retour des Roumains en Roumanie, dans le cadre des ARH peut être
envisagé comme volontaire et humanitaire ou comme forcé, selon le
point de vue de l'observateur.
b) En quoi ce programme de retour est-il humanitaire
?
Rappelons, tout d'abord, que l'ANAEM s'est formée par
l'absorption du SSAE dans l'OMI. Ainsi, des assistants sociaux du SSAE
travaillent au sein de l'ANAEM, devenu OFII. Les assistants sont
nécessaires à l'OFII pour justifier l'existence des ARH et des
aides à la réinsertion. Nous avons vu que les assistants sociaux
n'ont pas la même conception de l'action sociale que les auditeurs.
« Certaines assistantes sociales se plaignent de ne pas vraiment faire
de l'accompagnement social : « pour le retour humanitaire notamment, c'est
un entretien de routine, très déclaratif et on ne peut pas faire
de l'accompagnement social ». D'autres, au contraire, estiment que «
les assistantes sociales ont tout à fait leur place lors de ces
entretiens car c'est une aide pour le migrant à se positionner, à
réfléchir à son projet migratoire »93.
Ainsi, tous les assistants sociaux ne sont pas d'accord, quant au
rôle qu'ils doivent tenir et au caractère social des ARH.
Le fait que l'ANAEM, puis l'OFII aient repris
l'activité du SSI permet de légitimer l'emploi du terme «
social », pour définir ses actions. Cela permet également de
s'assurer la collaboration de certaines organisations, dites humanitaires,
rattachées au SSI.
M.P. - « On a commencé à collaborer
avec l'ANAEM, parce que je suis correspondante du Service Social International
et le SSI français était
93 Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., « Entretien avec
Julie Guivarch, assistante sociale à la direction OFII de Paris Centre
et avec Elisabeth Géradin, adjoint social à la direction OFII de
Toulouse. », pp. 182-183.
40
incorporé à l'ANAEM. »94
Dans le contexte des ARH, la participation et le soutien
logistique apporté par la Croix-Rouge, justifie l'appellation «
humanitaire ».
N. - « L'implication de la Croix-Rouge aussi c'est
questionnable. C'est la Croix Rouge qui fait la logistique de ça, et
ça, c'est pas humanitaire du tout. C'est plus politique.
»95
Enfin, si l'ARH était un programme humanitaire, les
personnes reconduites ne ressentiraient pas le besoin de repartir et personne
n'utiliserait ce programme à plusieurs reprises. Or, comme nous l'avons
abordé en introduction, les Roumains sont devenus les premiers
bénéficiaires des ARH. Ceci est, en partie, causé par le
fait qu'ils en profitent plusieurs fois. Cela permet à l'OFII de «
faire du chiffre », légitimant ainsi l'existence de ces programmes.
J. Costa-Lascoux, explique également, que « le nombre alimente
toujours les fantasmes : les uns l'utilisent pour asséner des arguments
d'autorité, [...] les autres recourent aux effets d'échelle et de
masse pour impressionner les esprits, ainsi que le pratiquent les mouvements
populistes, afin de laisser croire à une « invasion
étrangère ». »96 Cependant, la mise en
place de l'AGDREF change d'ores et déjà la donne.
Les ARH et les aides à la réinsertion sont des
programmes distincts. Il est possible de les cumuler mais très peu de
personnes semblent recevoir les aides à la
réinsertion97. Les ARH se destinent à des personnes
vivant dans une situation de « grande précarité ». Or,
le niveau de vie en Roumanie est inférieur au niveau de vie
français. L'Opinion et les pouvoirs publics acceptent volontiers le fait
que les migrants quittent la Roumanie pour tenter d'échapper à la
misère. Dès lors, si la situation des migrants était si
terrible en Roumanie, le fait de les reconduire dans leur pays d'origine ne
serait pas une action humanitaire. Pour que ces reconduites soient
humanitaires, il faudrait qu'un seul et même programme prenne en charge
le retour et la réinsertion, pour s'assurer que la réinsertion ne
soit pas optionnelle.
C) Des aides à la réinsertion
improductives ?
Comme nous venons de la voir, sans les aides à la
réinsertion, les programmes d'aide au retour ne peuvent pas être
humanitaires. Ce sont des associations locales, qui sont chargées par
l'ANAEM d'effectuer un suivi social des personnes, puis de réaliser une
étude de faisabilité du projet de réinsertion
économique du migrant. Ce suivi social semble très difficile
à obtenir en
94 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
95 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
96 Costa-Lascoux J., « Quels étrangers la France
accueille-t-elle ? », Hommes et migrations, n°1261, juin
2006, p. 1013.
97 L'OFII ne publie pas ses statistiques concernant les aides
à la réinsertion.
41
Roumanie.
De retour en Roumanie, nombreux sont ceux qui espèrent
recevoir cette aide. En effet, D. m'a confié que les personnes
reconduites n'avaient pas été informées du fait qu'il
fallait monter un projet pour recevoir les aides à la
réinsertion. Selon l'Atlas des migrants en Europe98,
moins de 1 % des 8 470 Roumains retournés avec l'ANAEM en 2008 ont
bénéficié d'une aide à la réinstallation.
L'OFII ne publie pas ses statistiques concernant les aides à la
réinsertion. Les ONG locales conventionnées par l'OFII pour
redistribuer les aides à la réinsertion ne connaissent que leurs
propres statistiques et n'ont aucun moyen d'avoir une vision plus globale de la
situation. D. m'a expliqué avoir tenté d'en savoir plus sur ce
programme.
D. - «I found out that for all the people that were
sent back the year before, only 10 or 15 actually got the
money.»99
Les chiffres que D. a obtenus ne sont que des estimations mais
ils démontrent la très faible diffusion des aides à la
réinsertion. M.P., présidente de Generatie Tanara, ONG
directement conventionnée par l'OFII, est restée très
vague lorsque je lui ai demandé combien de personnes avaient,
effectivement, reçu cette aide.
M.P. -[Long silence.] « Je peux dire que les
personnes qui arrivent et qui sont repérées chez nous, ils ne
repartent pas parce que nous sommes très attentifs avec le programme
médical, avec le programme de scolarisation, avec le programme social de
réinsertion, avec le programme culturel que nous pouvons faire... de
septembre 2000 à aujourd'hui je pense qu'il y a les trois-quarts qui
sont repartis. [...] Quand je peux aider une personne à rentrer dans son
pays d'origine, et avoir un parcours de vie très normal dans son pays
d'origine... c'est déjà quelque chose d'exceptionnel pour la
Roumanie, parce que je suis ONG, je suis une association non-gouvernementale.
[...] [Les migrants], ils ne sont pas toujours tous sérieux, dommage.
»100
Le premier constat concernant l'aide à la
réinsertion est qu'elle est très peu diffusée.
Deuxièmement, cette faible diffusion paraît volontaire. Une fois
sur place, les migrants et les opérateurs locaux doivent entrer en
contact, sans l'intermédiaire de l'OFII101.
M.P. - « Nous nous chargeons de faire les recherches
dans les
98 Migreurop, op. cit., p. 93.
99 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
100Ibid.
101Biro J.,Ba A., Charles, C. Mission CCFD-GISTI en Roumanie.
mai 2008.
42
communautés, nous sommes en contact avec le maire,
nous avons une convention avec la ville de Timisoara et nous parlons avec les
autorités locales et les autorités locales nous disent qu'il y a
telle situation, et après je cherche à l'ANAEM et je discute avec
eux de la possibilité de faire un projet. Nous allons voir les
autorités locales et ensuite les familles, parce que les
autorités locales aussi peuvent avoir leur vision et leur
intérêt. Nous rencontrons les familles après avoir une
très bonne connaissance de leur situation. [...] De nombreuses fois nous
avons été en mesure de faire un projet pour les personnes en tant
qu'association. Je peux te prouver que nous avons envoyé les cadeaux,
les boites avec les vêtements et les différentes choses
nécessaires pour les personnes. »102
Nous pouvons voir, grâce à ce témoignage,
que pour Generatie Tanara, les termes « suivi social » et « aide
à la réinsertion » correspondent à de l'aide
d'urgence. De plus, l'OFII, qui est pourtant le seul organisme en Roumanie
sachant exactement combien de personnes sont revenues et d'où elles
venaient, n'intervient que dans la dernière étape du processus.
Les ONG doivent donc, rentrer en contact, avec les communautés roms de
leur localité. Les ONG roms sont celles qui communiquent le plus
aisément avec ces communautés. Or, l'OFII n'en conventionne
aucune.
D. - «They contracted an NGO in Baia Mare to do the
social reintegration of the people in Timisoara and Timis county. They don't
know anything about Timis county, about the local communities and how we run
things here. Also, the romanian NGOs, they don't know anything about
Roma.»103
Baia Mare est à plus de 400 km de Timisoara et il faut
plus de 7 heures de bus et plus de 13 heures de train pour aller d'une ville
à l'autre. Rappelons que cette aide à la réinsertion est
l'un des cinq axes du programme 301 « développement solidaire et
migration » du ministère de l'Immigration, de l'Intégration,
de l'Identité nationale et du Développement solidaire. En
d'autres termes la réinsertion des migrants doit profiter au
développement local des régions. Le fait que l'OFII ait
contracté une ONG de Baia Mare pour prendre en charge la
réinsertion des migrants de Timisoara, nous montre, que rien n'est fait
pour qu'une réelle réinsertion locale ait lieu.
Les projets doivent être d'ordre individuel. Une
commission est chargée d'évaluer les dossiers et de les
sélectionner. Qui est membre de cette commission ? Est-elle en France
où en Roumanie ? Quels sont les critères retenus ? J'ai
tenté de trouver des réponses à ces questions sur le
102Annexe 1 : extraits d'entretiens. 103Ibid.
43
terrain.
M.P. - « [Les critères à respecter pour
les projets de réinsertion sont] dans une convention qu'il nous faut
respecter. Les conventions sont confidentielles, parce que nous travaillons
pour les personnes, non ? [...] Elle a été rédigée
en collaboration avec la Suisse, avec le secrétariat
général [du SSI]. »104
Des critères existent mais M.P. n'a pas souhaité
me les communiquer. D., s'occupait de l'étude de faisabilité des
projets de réinsertion, au sein de Parudimos. L'ONG de Baia Mare,
conventionnée par l'OFII, leur avait, en effet, sous-traité cette
tache, pour les migrants originaires de Timisoara. D. n'a pas eu la chance de
prendre connaissance de ces critères.
D. - «We had sent the business plan to be checked and
they told us : « it's missing this, it's missing that». [...] I asked
: «what are the rules ? You have
some guild line or some specific criteria to be used when
you right down the business plans ?» - «No, no.» Any, they don't
have any rules, nothing.»105
Ainsi, les aides à la réinsertion ne sont que
très peu diffusées et que cette faible diffusion est
volontaire.
Nous savons que les ARH ne sont pas humanitaires s'il n'y a
pas de réelle réinsertion des migrants en Roumanie. Une
réelle réinsertion des migrants entraînerait un
développement local et stabiliserait, peut-être les populations.
Une chose est sûre, sans réinsertion, il n'y a ni retour
humanitaire, ni expulsion. Au contraire, les ARH, sans aide à la
réinsertion, ne font que favoriser la circulation migratoire des roms
roumains.
D.- «Maybe if they re-discuss the program and they
put on the table all the factors, all the institutions involved in that... it
will be better. Right now, it's just a joke. The French government tries to
show to the French population that : «we send them
back».»106
Conclusion de partie
L'hétérogénéité des acteurs
et le manque de communication entre eux sont, en partie, responsables des
incohérences politiques des programmes d'aide au retour. De plus, la
mise en place des aides au retour et des aides à la réinsertion
par les acteurs est elle aussi incohérente. En effet,
104Annexe 1 : extraits d'entretiens. 105Ibid.
106Ibid.
44
ces programmes ne favorisent pas le retour des populations
migrantes dans leur pays d'origine, mais elles favorisent leur
mobilité.
Dès lors, on peut se demander quel est le but de ces
programmes ? Ne s'agit-il que de satisfaire un électorat ? Si tel est le
cas, pourquoi dépenser tant d'énergie (et d'argent) à
reconduire des populations ayant la liberté de circulation sur le
territoire européen ?
II) Vers une circulation migratoire
Les aides à la réinsertion sont très peu
diffusées. Il n'y a donc pas de réelle réinsertion des
migrants en Roumanie. Ainsi, l'argent des ARH est utilisé par de
nombreux migrants pour revenir en France. Premièrement, je
présenterai le phénomène migratoire favorisé par
les ARH. Ensuite, j'exposerai le fait que cette migration est peu ou mal connue
des pouvoirs publics et du monde associatif. Enfin, au travers de l'exemple de
la précarité, je montrerai comment la méconnaissance des
situations auxquelles font face les populations migrantes, peu entrainer
l'incompréhension de leur mobilité.
A) Un phénomène migratoire
répandu
Au fil des entretiens que j'ai conduits au cours de cette
étude, la mobilité des migrants est apparue comme un thème
central. Cette forme de mobilité est appelée « circulation
migratoire »107. Tout d'abord, une définition de ce
phénomène migratoire s'impose. Ensuite, je présenterai des
extraits d'entretiens révélant l'importance de ce
phénomène.
1) Définition
L'intensité de la circulation est liée au statut
du migrant. Plus il est facile pour lui de se déplacer
légalement, plus l'intensité des déplacements sera grande.
Il est possible d'utiliser ce concept pour étudier les échanges,
les flux et les transferts de fond des migrants. N. Kotlok et H Guezenger le
font dans leur étude sur « la circulation migratoire entre la
France et le Portugal ».108
M. K. Dorai, M-A. Hily et F. Loyer ont aussi exposé les
différents types de circulation migratoire. Elle peut être, par
exemple, la conséquence d'une installation définitive dans le
pays d'origine ou d'une migration temporaire, dans le cadre d'un emploi
à durée déterminée109. Ces auteurs
décrivent la perspective de Robin Cohen. Selon lui, cette migration est
« temporaire et non une conséquence à l'installation
définitive des migrants dans leur pays d'accueil, tel qu'on le
trouve
107Diminescu D. (dir.), Visibles mais peu nombreux. Les
circulations migratoires roumaines, op. cit., p. 1. 108Guezenger H.,
Kotlok N., Sous la direction de Simon G., La circulation migratoire entre
la France et le Portugal, Mémoire de maitrise, Poitiers, 1993.
109Dorai M. K., Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur la
circulation migratoire, MIGRINTER, 1997
45
dans les recherches françaises.
»110 Cette perspective correspond au
phénomène migratoire que les ARH favorisent. Le «
va-et-vient » des migrants s'intensifie, les migrants « s'installent
dans la mobilité ». « La migration n'est plus vécue
comme une rupture ou une parenthèse mais comme une partie
intégrante d'une organisation sociale. »111 La
migration devient un mode de vie et le réseau migratoire s'autonomise
par rapport aux sociétés d'accueil et de
départ.112 à mesure que les populations s'installent
dans la mobilité, l'insertion dans le pays d'accueil n'est plus
désirée. Alain Tarrius démontre que « le couple
« migration/territoire » fait aujourd'hui autrement sens que le
couple « immigration/insertion ». »113 Ainsi,
l'insertion dans le pays d'accueil ne devrait plus être la seule
réponse à la présence de populations migrantes,
légalement.
Ainsi, ce concept peut également servir la
réflexion sur les stratégies et les savoirs-faire des migrants.
C. Arab écrit à ce sujet que des « aventuriers ont su
développer des stratégies migratoires pour contourner les
politiques migratoires de plus en plus restrictives des pays du Nord, comme si
la circulation migratoire répondait à l'assignation à
résidence, à l'exclusion et aux ruptures qui pouvaient exister
entre le migrant et le non migrant. »114 Cette «
réponse » est une adaptation des migrants aux politiques
migratoires. Puisque les Roms roumains, bénéficiaires des aides
au retour, ne reçoivent pas d'aides à la réinsertion, ils
profitent des ARH pour rentrer dans leur pays d'origine et revenir à peu
de frais. Selon M. K. Dorai, M-A. Hily et F. Loyer, Michel Poinard
considère que « avec l'abolition des distances, le retour
périodique au pays, comme la réception des expatriés,
rythment l'année des communautés installées
çà et là, tandis que le volume et l'ampleur des
déplacements excitent la concurrence des industriels du transport.
»115 Dans le contexte du retour des Roumains, l'OFII
défie toute concurrence et participe à l'augmentation du volume
et de l'ampleur des déplacements des Roumains. En effet, les
ressortissants roumains sont des citoyens de l'UE. Ils ont la liberté de
circulation sur le territoire européen. Il est donc impossible pour
l'OFII d'apporter de réelles limites à leur circulation et de
leur refuser l'entrée sur le territoire français. Catherine
Wihtol de Wenden explicite ce phénomène. « Beaucoup de
migrants aspirent à circuler sans nécessairement se
sédentariser définitivement, et beaucoup de pays d'accueil
croient résoudre ainsi le difficile problème de
l'intégration. [...] Plus les frontières leur sont ouvertes, plus
ils circulent et moins ils s'installent car ils peuvent aller et venir.
»116 En effet, la possibilité qu'ont certains
migrants de « partir » et de « revenir », offre une
alternative à l'émigration. M. Morokvasic
110 Dorai M. K., Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur
la circulation migratoire, op. cit., p. 66.
111Ibid., p. 33.
112Ibid., p. 52.
113Tarrius A., « Territoires circulatoires et espaces
urbains », in Morokvassic M., Rudolph H. (dir.), Migrants.
Les
nouvelles mobilités en Europe, L'harmattan,
Paris, 1996, p. 93.
114Arab C., « La circulation migratoire : une notion pour
penser les migrations internationales », op. cit., p. 23. 115Dorai M. K.,
Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur la circulation migratoire,
op. cit., pp. 70-71. 116Wihtol de Wenden C., La globalisation
humaine, op. cit., p. 38.
46
précise que cette alternative est attrayante, dans la
mesure où « elle leur épargne l'investissement
psychologique et financier, ainsi que le choc culturel qu'implique toujours une
tentative d'installation dans un autre pays, ne serait-ce que pour une
durée limitée. »117 Ainsi le départ
n'est plus synonyme d'émigration et l'arrivée n'est plus synonyme
d'installation. Il est important de noter que le territoire ciblé par
l'enquête de M. Morokvasic s'étend sur toute l'Europe de l'Est et
des Balkans. Elle explique que seulement 30 % des personnes interrogées
se disent prêtes à émigrer.
Ainsi, cette forme de migration touche les Roms roumains, et
d'une manière plus générale, les ressortissants de pays de
l'Europe Orientale.
2) Exemples
Les Roms roumains migrants circulent. Ils passent quelques
mois en France puis rentrent chez eux et repartent, quand ils ont réuni
assez d'argent pour le voyage. Si un migrant a reçu une ARH, il
possède déjà le pécule suffisant pour revenir en
France. Le temps passé en Roumanie sera donc plus réduit. Les
acteurs de cette migration que j'ai rencontrés m'ont tous fait part de
cette mobilité.
D. - «A lot of people come home, in order to see the
family. They get some money and they go back. 80 % of them went back to France,
they are still in France right now. [...] The problem is that those settlement
are like small communities, they know each other, they know where to go. If you
don't try to work with them over there, to send them back is useless. They are
not more a Romanian problem that a French problem... they are... for two weeks,
after two weeks, they are a French problem again.»118
D. met ici en avant, le fait que sans réelle insertion
en France, ou réinsertion en Roumanie, les ARH ne font que favoriser et
intensifier le phénomène de circulation migratoire. En effet,
cette migration est présente et tend à s'imposer comme un mode de
vie. Pour Catherine Wihtol de Wende, « beaucoup de ces nouveaux
migrants aspirent davantage à la mobilité qu'à
l'installation définitive. »119 G., directrice de
l'ASFRP, en a fait part au cours de notre entretien.
G. - « La famille à F., ça fait huit
ans qu'elle fait l'aller-retour. Elle est là, avec son mari, et puis ils
s'en vont. On ne les voit plus. Et puis elle revient avec sa fille et ses
petits enfants. Là ça fait depuis le mois de décembre
qu'elle est venue avec sa fille et ses petits enfants. Là ils vont
partir au mois
117Morokvasic M., « Entre l'est et l'ouest, des migrations
pendulaires », in Morokvassic M., Rudolph H. (dir.),
Migrants. Les nouvelles mobilités en Europe, L'harmattan,
Paris, 1996, p. 148.
118Annexe 1 : extraits d'entretiens.
119Wihtol de Wenden C., La globalisation humaine, op.
cit., pp. 50-51.
47
de mai. [...] Il y a des gens comme ça, comme le
monsieur qui boite. Il est parti. Il est arrivé en 2006, ils ont
été expulsés. Il est parti, il est revenu et là il
est reparti de nouveau... Ils vont revenir. »120
Bien que visible, cette circulation migratoire est parfois mal
comprise ou peu reconnue. Les pouvoirs publics, comme les acteurs associatifs,
peuvent se sentir dépourvus face à un phénomène
qu'ils ne saisissent pas.
B) Une migration peu reconnue
Les autorités ainsi que la société civile
semblent accepter difficilement qu'une population puisse ne pas désirer
s'installer. Le mode de vie des Roms migrants n'est que rarement reconnu comme
tel. Nous verrons, dans un premier temps, l'incompréhension existante
face aux migrations roms. Ensuite, nous aborderons le manque de connaissance de
cette population, dont font preuve les autorités, ainsi que la
société civile.
1) Une mobilité mal comprise
Il me semble nécessaire de clarifier un premier
mal-entendu : la confusion entre nomadisme et circulation migratoire. Dans les
deux cas, la mobilité est un mode de vie. P. Arrigoni, E. Claps et T.
Vitale illustrent cette distinction entre ces deux phénomènes
migratoires dans leur étude sur les Roms et Gadje en
Italie.121 « Seulement 8% (mais c'est un chiffre
surévalué) pratiquent encore une forme qui s'apparente au
nomadisme, ne consistant toutefois jamais en un vagabondage sans but, mais
représentant plutôt des déplacements cycliques qui sont
effectués pour des raisons de travail ou de commerce à
l'intérieur d'espaces bien définis. »122 Ce
qui, à mon sens distingue ces deux formes de mobilité, ce sont
les espaces d'installation. Le nomadisme est une migration dans laquelle de
multiples lieux sont des étapes d'un seul et même mouvement. La
circulation migratoire, pratiquée par les Roms roumains ne relie que
deux espaces : un espace d'installation dans le pays d'accueil et un espace
d'installation dans le pays de départ. Les migrants ne changent d'espace
d'installation dans le pays d'accueil, que s'ils doivent s'adapter à de
nouvelles politiques publiques, plus restrictives à leur égard.
Cette confusion due au « mode de vie nomade » se retrouve
également dans l'amalgame qui est fréquemment fait entre Rom et
Gens du voyage. Le terme « Gens du voyage » correspond à une
catégorie juridique française qui comprend des français
ayant choisi un mode de vie nomade. Il sont en majorité d'origine
tsigane, du groupe Manouche. Cet amalgame est
120Annexe 1 : extraits d'entretiens.
121Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et Gadje en Italie », op. cit.
122Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et Gadje en Italie », op. cit., p. 81.
48
très souvent réalisé entre ces deux
communautés, dans les ordonnances d'expulsion, les discours
politiques, les médias, et l'imaginaire collectif.
S.- « Oui mais parce que ici, les Roms ont un mode de
vie très très différent.
En France on n'a pas de... Ce qui pourrait s'apparenter en
France, c'est les
gens du voyage, par exemple. Parce que la différence,
plus que de l'ethnie,
elle vient du mode de vie. »123
Les conséquences que cette confusion engendre sont
multiples. Cette confusion masque la réalité sociale de cette
migration. Dès lors, la mise en place de politiques publiques
appropriées à la mobilité de ces communautés
devient problématique. P. Arrigoni, E. Claps et T. Vitale mettent en
évidence, dans leur étude, le danger d'un tel amalgame.
« Il peut amener à défendre et justifier l'idée du
« campement de nomades » en tant que politique appropriée et
désirée par les destinataires eux-mêmes.
»124 Il me semble que les villages d'insertion sont des
exemples de ce type de politique du « campement de nomades ».
Il y a un second mal-entendu majeur, concernant les migrants
Roms. Lorsque leur mobilité est reconnue par les pouvoirs publics et les
acteurs associatifs, il est souvent entendu que leur migration doit aboutir par
l'installation et l'insertion des migrants, dans le pays d'accueil. «
Le migrant devient immanquablement celui qui tend, et tarde, à nous
rejoindre. »125
G. - « Là ils ne nous sollicitent que pour les
aider à partir. La fille et les petits enfants ils vont rentrer avec
l'OFII, mais elle et son mari ils sont déjà partis, ils n'ont
plus le droit. On lui dit : si tu viens, fais ta vie mais n'amène pas
tous tes enfants à chaque fois avec toi. Tu fais ce que tu veux mais
nous on ne peut pas prendre en charge ce va-et-vient, cette vie que tu as, de
voyage. Si tu as un projet, tu nous dis, on t'aide à le mener, mais elle
s'en va quelques mois, elle revient. Ça fait huit ans qu'elle fait
ça. »126
Certaines familles ne souhaitent ni rester en Roumanie, ni
s'installer en France. J-M. Belorgey explique qu'« un certain nombre
d'entre eux n'ont peut-être pas envie d'être de bons «
franchouillards », ils veulent peut-être séjourner en France
tout en gardant un double rattachement. »127 Beaucoup de
travailleurs sociaux, qu'ils soient publics ou privés, semblent
dépourvus face à cette forme de migration qu'ils ne comprennent
pas. L'ASFRP, dont G. est
123Annexe 1 : extraits d'entretiens.
124Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et
Gadje en Italie », op. cit., p. 91.
125Tarrius A., « Territoires circulatoires et espaces
urbains », op. cit., p. 95.
126Annexe 1 : extraits d'entretiens.
127Belorgey J-M., « Réactions sur la politique
d'accueil », Hommes et migrations, n°1261, juin 2006, p.
42.
49
présidente, se mobilise pour tenter de trouver des
fonds, pour aider ces personnes, qui ne peuvent plus bénéficier
de l'OFII, à rentrer chez elles. Ils ne le feront qu'une fois car ils ne
peuvent pas « prendre en charge ce va-et-vient ». Nous pouvons
déceler l'incompréhension de G., face à cette famille qui
reviendra, malgré tout, et qui ne semble pas intéressée
par le développement d'un projet en France.
2) Une population migrante méconnue
Le terme « Rom » regroupe des communautés bien
différentes. Dans une première partie, je tenterai de mieux
définir cette population. De nombreuses idées reçues
subsistent à l'encontre des Roms. Nous verrons quels sont les stigmates
qui les touchent toujours, à l'heure actuelle.
a) Les enjeux de la définition d'une
population
Les Roms forment le groupe tsigane le plus important d'Europe.
Le terme Rom est souvent considéré comme une dénomination
« politiquement correcte » des Tsiganes. G. Fleck, I. Florea, D. Kiss
et C. Rughinis soulignent la complexité que représente la
définition d'un groupe. « While in survey questions and in our
discussions we often use the ethnonym «Roma», it is important to keep
in mind that this is still contested in Romanian society, also by Roma people
themselves, and Tigani is still widely used by Roma and non-Roma alike -
although with different meanings and connotations. »128
Sauf exceptions, ils sont tous sédentaires et sont loin de former une
population homogène. En effet, il y a au sein de ce groupe, de multiples
communautés et de fortes inégalités sociales et
économiques. Les différentes communautés ne sont pas
nécessairement liées les unes aux autres. Le sentiment
d'appartenance à l'une de ces communautés est parfois plus fort
que le sentiment d'appartenance au groupe Rom. Les auteurs mettent en
lumière le fait que 45 % des Roms interrogés se
considèrent « Rom romanisés », 23 % se
définissent comme « simplement tsiganes » et 32 % se
réfèrent à une communauté « (Rudari,
Cãldãrari, Ursari, etc) ».
Ceci nous permet d'affirmer que l'appartenance d'une personne
au groupe Rom n'est pas une donnée fixe. Certaines personnes ont des
origines tsiganes mais ne se considèrent pas, ou ne sont pas
considérées, comme tel. À l'inverse, certaines personnes
n'ont aucune origine tsigane mais se considèrent, ou sont
considérées comme tel. L'écart que l'on peut parfois
observer entre la manière dont une personne se définit et la
manière avec laquelle elle est définie par les autres, est
révélateur du caractère subjectif de l'appartenance d'une
personne à un groupe, ou à une ethnie. « Categories of
classification such as ` Roma' are not fixed or immutable; they may be expanded
or contracted to include or exclude. [...] Therefore, the author suggests that
the stigma of the Gypsy identity takes
128Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
p. 63.
50
precedence over the stigma of extreme poverty, and in some
cases the poor actually become classified as Gypsy. »129
Ainsi, être Rom ou Gipsi peut, pour certaines personnes se résumer
à être pauvre. Dès lors, ce groupe n'est plus perçu
par ces personnes comme une ethnie, mais comme une classe. Il est très
délicat de tenter de définir qui sont les Roms et ce qui fait
d'eux des Roms. Le seul critère valable, à mon sens, est la
manière dont les personnes se considèrent. Il ne s'agit pas
seulement de la manière dont elles se définissent, mais ce
qu'elles ressentent. Lors des recensements roumains, les personnes doivent
s'autodéclarer de telle ou telle ethnie. Au cours des périodes
pendant lesquelles les discrimination subies par les Roms sont les plus
intenses, le nombre de personnes déclarant être Rom, est faible.
Lors d'une période plus calme, ce chiffre augmente. Le dernier
recensement en Roumanie fait état de 500 000 Roms présents sur le
territoire. Certaines ONG déclarent qu'ils sont jusqu'à 2 000
000, sur un total de plus de vingt-et-un millions d'habitants130.
Comme nous venons de le voir, cerner qui sont les Roms et quel
est leur mode de vie n'est pas une tache facile. Cela demande d'aller à
la rencontre des personnes et d'essayer de comprendre ce qui sous-tend leur
sentiment d'appartenance. Les pouvoirs publics, ainsi que les ONG et le milieu
associatif ne semblent faire cet effort que très rarement.
b) La stigmatisation de cette population
D'après Vincent Geisser131, les Roms et les
gens du voyage sont victimes d'une discrimination qui « vient d'en haut
». Les Roms sont marginalisés et discriminés, dans toute
l'Europe et dans toutes les couches de la société.
Néanmoins, cette marginalisation est beaucoup plus marquée en
Roumanie, qu'en France. Par conséquent, il est probable que si la
situation ne s'améliore pas en Roumanie, les Roms reviendront en
France.
Samuel Delépine explique que « la population
tsigane migrante, à l'image des tsiganes en général, subit
une stigmatisation constante qui les associe à une population
inassimilable, en marge et mettant en danger l'équilibre d'un
modèle de société qui a fait ses preuves.
»132 Ils sont exclus parce que leur mode de vie n'est pas
réductible à celui d'un État, bien que leur
présence sur ces territoires, date parfois, de plusieurs siècles.
Un parallèle peut être ici effectué avec ceux que Hannah
Arendt à nommé les Sans-État, ou Stateless. Elle
définit ces personnes comme étant en
129 Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
p. 8.
130Le dernier recensement roumain date de 2002, il faisait
état de 21 680 974 habitants.
131Geisser V., « Un anti-tsiganisme venu d'en haut : le
rôle central des élites politiques dans la fabrication du
préjugé », Migrations société, volume
19 n°109, 2007.
132Delépine S., « Les Roms migrants en France, ou
comment faire d'une population en danger, une population dangereuse ».
Colloque international, La fabrique de populations
problématiques par les politiques publiques, Nantes, juin 2007.
51
rupture avec leur société d'origine et tout
à la fois exclues de la vie politique et sociale du pays dans lequel
elles résident, à la marge du système. Marie-Claire
Caloz-Tschopp écrit à ce sujet : « En étant
colonisé par le système d'États-Nations mondialisé
et dominant, l'espace est en quelque sorte saturé. Si quelqu'un est
exclu d'un endroit, il est exclu de partout ; il n'a plus de place puisque tout
le monde à les mêmes références, les mêmes
règles. »133 Ainsi, si les Roms sont exclus d'un
pays de l'Europe, c'est d'Europe qu'ils sont exclus. De cette affirmation, on
peut déduire que c'est au niveau européen, que des solutions
doivent être pensées, pour permettre à cette
communauté de trouver sa place.
Au cours des entretiens réalisés pour ce
travail, les acteurs ont parfois « infantilisé » la population
rom. Elle est définie comme une population qu'il faut encadrer et qui ne
peut être laissée à elle-même.
J.P. - « On en parlait encore hier entre nous : il y
a deux solutions. Ils s'installent ici et on les laisse vivre comme ils sont
là-bas. Sauf que ça on ne peut pas le faire. On s'est
retrouvé à Massy avec un campement ingérable. 300
personnes, c'est pas possible. Ça va tant qu'ils sont en petits groupes.
»134
Tout comme des enfants, ils sont décrits comme «
ingérables » si trop nombreux. Dans plusieurs entretiens, la
perspective selon laquelle il faut contrôler cette population, a
émergé. Selon cette perspective, il faut imposer des limitations
au grossissement d'un camp. En effet, plus un groupe est important, plus il est
difficile de le contrôler.
S.F. - « Par exemple, sur les campements, notre gros
problème, c'est que dès qu'il y a quelqu'un qui s'installe, il y
d'autres familles qui s'installent. Les camps grossissent
énormément et après on ne peut plus rien faire.[...] Ils
s'organisent très mal entre eux...[...]On a l'impression qu'ils
fonctionnent par grandes familles, familles élargies. [...] Des fois on
a l'impression qu'il y en a un qui ressemble à un chef. [...]
»135
Cet extrait met, également, en exergue, la
méconnaissance du milieu associatif et de la société
civile, à l'encontre du schéma familial rom. L'expression
utilisée par S.F., « avoir l'impression »,
révèle le fait que l'association n'a pas échangé
avec la communauté à ce sujet. En Roumanie, comme en France, le
terme « famille proche » désigne les parents et les
frères et soeurs.
133Caloz-Tschopp M-C., Les Sans-État dans la
philosophie d'Hannah Arendt, 2000, Payot, Lausanne. p. 419. 134Annexe 1 :
extraits d'entretiens, p.
135Ibid, p.
52
Lorsque nous nous référons à une «
famille élargie », il s'agit des oncles, des tantes et des cousins.
Les Roms ont une conception différente de ce que représente ces
termes. Leurs familles proches sont nos familles élargies. Leurs
familles élargies sont des communautés. Le cas des villages
d'insertion est intéressant dans ce contexte. Le fait que les membres de
la famille élargie (dans l'acceptation de ce terme, partagée par
la majorité de la société française) ne soient pas
autorisés à rendre visite à leurs proches, nous montre que
les pouvoirs publics ne reconnaissent pas, non plus, ce schéma familial.
Or, cette reconnaissance est nécessaire pour que ce type d'action
fonctionne.
Cette citation de S.F. est également
intéressante par rapport à l'organisation hiérarchique des
communautés roms. S.F. nous dit que « parfois, il y en un qui
ressemble à un chef ». Ainsi, l'existence d'un chef au sein du
groupe est devinée, mais elle n'est pas reconnue. Il est envisageable
d'utiliser la position de leader d'un des membres du groupe pour rentrer en
contact avec la communauté. Les auteurs de l'étude Come
Closer nous en font part. « One significant issue confronting
Roma communities is the confusion between formal and informal leadership. In
many communities formal, elected leaders - such as local authorities - rely on
informal leaders to communicate with the Roma citizens and to help implement
policies. [...]Localities with Roma experts employed in the local
administration have a greater probability of having best practice programs
involving Roma. »136 Il est donc envisageable d'utiliser
la position de leader d'un des membres de la communauté. Cela
s'avère également judicieux.
En France, il serait d'autant plus judicieux de
reconnaître un leader, ou un porte parole, mais peu de personnes parlent
le roumain. En effet, il est plus facile de communiquer avec une personne qui
parle peu notre langue, qu'avec un groupe.
J.P. - « Sinon, nous notre problème c'est pour
communiquer. Il y a une fille
d'un autre association qui parle bien le Roumain mais
bon... »137
La stigmatisation que subissent les Roms est, en partie, due
au manque de connaissances qu'ont les pouvoirs publics et les acteurs
associatifs de cette communauté, de son mode de vie et de son
organisation sociale. Une meilleure communication entre les différentes
parties est nécessaire pour lutter contre cette méconnaissance.
Sans une meilleure connaissance, et une meilleure reconnaissance des
spécificités de cette communauté, la mise en place de
programmes appropriés à leurs cultures est fortement
compromise.
136Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
p. 199-212.
137Annexe 1 : extraits d'entretiens.
53
C) La précarité en question
La circulation migratoire des Roms roumains est mal comprise
car la population migrante est peu connue. Au cours de cette étude, huit
acteurs ont mentionné l'existence d'un lien entre la migration des Roms
et la précarité dans laquelle ils vivent. J'ai eu l'occasion de
constater que la question de la précarité est, également,
source de confusion. En effet, la précarité peut être
perçue comme la cause, ou la conséquence de cette migration.
1) La précarité : cause de la migration ?
Sept personnes interrogées dans le cadre de cette
étude, ont mentionné la précarité en tant que cause
de la migration. La précarité est, pour ces acteurs, le facteur
répulsif qui pousserait les migrants hors de Roumanie. La comparaison
entre le niveau de vie en Roumanie et le niveau de vie en France est souvent
opérée. La différence de niveau de vie entre les deux pays
est présentée par ces acteurs, comme l'un des principaux
facteurs, de cette migration.
Mh. - « Au moment où ils passent une
frontière étrangère, ils voient ce qu'ils
n'ont pas ici. Ils communiquent, les Roms de la
communauté. S'ils entendent
que là-bas c'est bien, ils s'y rendront puisqu'ils
ne pensent pas que ça puisse
être mieux ici. »138
En Roumanie, la vie est réputée plus difficile
à l'étranger. Mh. exprime ici un sentiment répandu dans la
société roumaine. De nombreux Roumains sont pessimistes quant
à la capacité qu'ont les pouvoirs publics de mettre en place des
actions efficaces, qui soient en mesure d'améliorer le quotidien des
citoyens. Dès lors, je pense que le manque de confiance en un avenir
meilleur, est un facteur répulsif à prendre en compte. Il est
probable que ce facteur est plus décisif que la précarité
en elle même. La référence à la communication entre
les membres de la communauté est importante. Elle évoque la
capacité d'adaptation du groupe et la mise en place de stratégies
migratoires pour tenter d'échapper à la misère. C'est
ainsi la volonté d'améliorer sa situation qui est
présentée comme un élément décisif de ce
phénomène migratoire.
D. - «If you don't have enough to live and you
starve, what do you do ? And if you know that a friend of yours lives pretty
well abroad, you'll go abroad. [...] I've seen families who are living in... I
don't know how to call them... places to live in, because those are not houses.
They make a hole in the ground and they put something like a cover and they
live like that. I was in communities where the people don't have enough to eat.
They live in a small
138Annexe 1 : extraits d'entretiens.
54
village, where there is no big places or no big cities
around where they can go beg to bring money to buy food. [...] Because first of
all, most of them didn't go to school, don't have a job and a lot of them don't
have papers, ID papers.»139
Ce que D. exprime dans cette citation est contradictoire. Une
fois encore, la comparaison entre le niveau de vie en Roumanie et le niveau vie
à l'étranger est présentée comme l'une des causes
de la migration. D. compare une personne « mourant de faim » en
Roumanie et une personne vivant aisément, à l'étranger.
Toutefois, les personnes qui meurent de faim en Roumanie et qui ne
possèdent pas de pièces d'identité, ne peuvent pas quitter
le territoire roumain. Pour obtenir des papiers d'identité en Roumanie,
il faut être en mesure d'attester d'un domicile fixe. De nombreuses
familles n'ont pas de maison. Certaines familles ont une maison, construite de
leurs mains et dont ils n'ont aucun acte de propriété. Selon D.,
environ 50 % des Roms roumains possèdent une pièce
d'identité. Les plus pauvres n'ont donc, ni les moyens logistiques, ni
les moyens financiers nécessaires à l'entreprise d'une migration.
La comparaison entre le niveau de vie moyen en Roumanie et le niveau de vie
moyen des pays de l'Europe occidentale atteste encore d'un écart
significatif. L'écart entre la valeur du Leu et celle de l'Euro est,
également, importante. De nombreux Roumains ne croient pas à
l'amélioration de leur situation dans leur pays d'origine. Ces facteurs
sont certainement des éléments majeurs de l'installation dans la
mobilité de certains Roms roumains. En effet, tous ne peuvent pas faire
ce choix. Ils n'en ont pas les moyens. Il serait vain de croire que Roms
migrants en France sont les plus pauvres, fuyant la misère.
S.F. - « Il y a une famille qu'on a vu dans
différents campements, au fil des expulsions. Ils ont eu envie de
retourner en Roumanie, parce qu'ils ont une maison là-bas. Et, bon, bah
ils sont revenus. On comprend pas toujours, bien, pourquoi ils reviennent.
J'imagine que... En tout cas ce qu'ils disent c'est que c'est plus dur en
Roumanie, qu'ici. »140
Cette citation de S.F. illustre parfaitement le paradoxe que
je présentais au paragraphe précédent. Cette famille vient
en France parce que la vie est plus dure en Roumanie. Pourtant, ils
possèdent une maison dans leur pays d'origine et vivent dans un
campement, lorsqu'ils séjournent en France. Par conséquent, la
dureté de la vie ne semble pas une cause de la migration, mais une
conséquence.
139Annexe 1 : extraits d'entretiens..
140Ibid.
55
2) La précarité : conséquence de la
migration ?
Seulement un des acteurs interviewés s'est
exprimé à propos de la précarité en tant que
conséquence de la migration.
S. - « Tu sais c'est pas forcément mieux
là-bas. Quand j'étais à Paris le week-end dernier, j'ai
voulu prendre des photos des Roms que j'ai croisé dans la rue
tellement... Enfin ils sont dans des situations terribles. »141
S. est l'un des deux seuls acteurs, rencontré
dans le cadre de cette étude, ayant eu l'occasion de travailler en
France et en Roumanie. Seules deux personnes, dans un échantillon de
douze personnes, connaissent la situation des migrants, aux deux pôles de
leur migration. Nous avons vu que le milieu associatif, tout comme les pouvoirs
publics, méconnaissent le mode de vie des migrants et leur forme de
mobilité. Dès lors, nous pouvons expliquer cette
méconnaissance par le fait que de nombreux acteurs de cette migration
ignorent tout un pan de cette circulation migratoire. Une fois de plus, le
manque de dialogue entre les différentes intervenants semble être
la cause de l'incompréhension des autorités et de la
société civile, envers le phénomène migratoire
pratiqué par les Roms roumains.
L'étude de 2008, Come Closer,142
sur les conditions de vie des Roms, en Roumanie s'intéresse
particulièrement aux phénomènes migratoires. Elle montre
que le « potentiel de migration » d'un Rom est
généralement plus élevé que celui d'un «
non-Rom ». Les habitants de l'ouest du pays et de la région de
Bucarest sont ceux ont les plus forts « potentiels de migration » du
pays. Dans ces régions, les Roms migrent deux fois plus que les «
non-Roms ». « For medium-term and long-term migration, as well as
emigration, potential of Roma is around twice as high, while for short-term
migration it is more than three times as high, meaning that the Roma are more
prepared to commute daily or weekly. This shows that the Roma in our sample are
prepared to migrate under much harder conditions than their non-Roma
counterparts. »143 Ce travail montre que les Roms
interrogés sont plus enclins que leurs compatriotes « non-Roms
», à entamer une migration de court terme, dans de plus dures
conditions. Ces auteurs considèrent que lors d'une entreprise de
migration, les conditions de vie du migrants s'améliorent avec le temps
passé dans le pays d'accueil. Autrement dit, pour s'enrichir rapidement
dans le pays d'accueil, il ne faut pas dépenser l'argent gagné.
Il faut être capable d'économiser pour avoir quelque chose
à rapporter dans son pays. J. Fijalkowski énonce le fait que de
nombreux migrants ne désirent pas changer
141Annexe 1 : extraits d'entretiens.
142Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
2008.
143Ibid., pp. 178-179.
56
durablement de société. « Soit, elles
viennent tâter le terrain, soit elles profitent des occasions
d'améliorer leur pouvoir d'achat et de gagner un second salaire, mais
sans vouloir pour autant abandonner définitivement leur pays natal.
»144 Ainsi, la migration a pour but l'augmentation du niveau de
vie des migrants. Dès lors, les conditions de vie difficiles et la
précarité, seraient des conséquences de la migration.
Dans cette perspective, les migrants seraient prêts
à vivre dans des conditions précaires, un temps donné,
dans l'intention d'augmenter leur niveau de vie, d'agrandir la maison,
d'investir dans des biens ou dans une entreprise. Les auteurs de
l'étude Come Closer confirment cette assertion. « The
data collected indicates the fact that the first priority of the Romanians is
aimed at improving their living conditions, the investment in the house or
apartment where they stay/live. [...]Building a new house or moving into a
better house, together with the intention to purchase lands or opening a
business are some of the current investment practices of the Romanian migrants.
[...] We can say that, in particular, the migrants from the rural communities
see the countries of destination as places where they can make money, not as
countries where they could spend the rest of their life. »145
Conclusion de partie
Certains Roms roumains émigrent de Roumanie dans
l'intention d'améliorer leur mode de vie. Cependant, dans de nombreux
cas, la finalité de cette migration n'est pas l'installation dans le
pays d'accueil. Le pays d'accueil est une étape par laquelle certains
migrants peuvent s'enrichir, dans le but d'améliorer leurs conditions de
vie en Roumanie. Pour s'enrichir sur une courte période, il faut
être capable d'économiser. Pour économiser en migration et
être en mesure de rapporter de l'argent dans leur pays de départ,
les migrants sont prêts à vivre dans des conditions
précaires, dans les pays d'accueil.
La circulation migratoire de nombreux Roms roumains est due
à la volonté de ces personnes de voir leurs conditions de vie
s'abonnir en Roumanie. Ils ne souhaitent ni s'installer dans le pays d'accueil,
ni voyager incessamment. Si les autorités et la société
civile semblent méconnaitre ce phénomène, cela tient
certainement du fait qu'un manque de dialogue est observable entre les
différentes parties impliquées dans cette migration. Ce manque de
communication engendre une incompréhension et une stigmatisation du mode
de vie des Roms.
144Fijalkowski J., « Transformer la politique
européenne en matière de migration : une nécessité
», in Morokvassic M., Rudolph H. (dir.), Migrants. Les
nouvelles mobilités en Europe, L'harmattan, Paris, 1996, p. 83.
145Sandu D. (dir.), Living abroad on a temporary basis,
Fundatia pentru o societate deschida, Bucharest, 2006, p. 7580.
57
Par conséquent, la mise en place d'actions publiques,
sociales et/ou humanitaires, destinées aux Roms et appropriées
à leur mode de vie, paraît compromise.
III) Vers une gestion globale des migrations roms
roumaines ?
Les actions mises en place à l'encontre des Roms
migrants ne leur sont pas adaptées. Nous allons voir, dans une
première partie les formes des politiques migratoires récemment
mises en place par le gouvernement français. L'impact de ces politiques
est limité. D'autres formes de gestion des mouvements migratoires
doivent être pensées. En effet, « [une gouvernance
globale des migrations se dessine] car les gouvernements qui essaient de
régler la question à l'échelon bilatéral ou
régional y échouent. »146 Les Roms sont
présents dans toute l'Union européenne. Les actions mises en
place à leur égard doivent être conçues au niveau
communautaire. Nous verrons, dans une seconde section, les tentatives
existantes de gestion communautaire, des populations Roms. Enfin, nous
aborderons quelques pistes de réflexion pour d'éventuelles
politiques futures.
A) Immigration et intégration, l'État
français reprend le contrôle
Depuis les années 2000, l'État français a
entamé une « refonte » des politiques migratoires et de leurs
instruments. Par ces réformes, l'État affirme son
réengagement dans la gestion de l'immigration et de
l'intégration. Je présenterai, tout d'abord, les orientations
nouvelles de la politique migratoire française, insufflées par le
discours présidentiel du 14 octobre 2002. Ensuite, j'exposerai la visite
de Pierre Lellouche en Roumanie, les 11 et 12 février 2010.
1) Le Discours présidentiel du 14 octobre 2002.
Le discours présidentiel du 14 octobre 2002 a
annoncé les nouvelles orientations générales de la
politique migratoire française. Plus précisément, ce
discours manifeste une volonté publique de relance des aides au
retour.
a) De nouvelles orientations
Le 14 octobre 2002, à Troyes, le président de la
République Jacques Chirac annonce les nouvelles orientations de la
politique publique française. L'État s'engage dans la voie de la
décentralisation et affirme l'importance d'une démocratie
locale.
Le président rappelle la « tradition universaliste
française ». « Mais si toutes les communautés ont
leur place dans la Nation, aucune ne saurait faire écran entre la
République et les citoyens qui la composent et qui composent le peuple
français, chacun avec les mêmes droits et
146Wihtol de Wenden C., La globalisation humaine, op.
cit., p. 10.
58
les mêmes devoirs. »147 Les
communautés ont le droit de cité, mais pas le communautarisme.
L'intégration à la française « s'adresse à
des personnes et non à des groupes ».148 Chacun est
libre de ses croyances et de ses traditions, mais celles-ci doivent rester dans
la sphère privée. Dans ce discours, Jacques Chirac
reconnaît l'existence d'un défaut d'intégration et le met
en relation avec les violences urbaines et le thème de «
l'insécurité ». « J'ai, avec le Gouvernement, trois
priorités : la sécurité et le droit dans les cités,
la politique de la ville et l'intégration. »149 Ce
lien est possible puisque certaines zones urbaines, concentrant tous les
problèmes, sont ciblées. Ainsi, l'État reconnaît la
présence d'inégalités territoriales, et non
commautaires.
Pour lutter contre ces inégalités, une
discrimination positive, visant à l'égalité des chances
sera instaurée, notamment dans les écoles. « L'enjeu
éducatif majeur des prochaines années sera de mettre fin à
cette situation d'échec qui ferme l'avenir à tant et tant de
jeunes dans notre pays. »150 Une autorité supérieure
sera crée pour lutter contre toutes les formes de
discrimination.151 De plus, il est question de «
sécuriser les écoles ». Une fois encore, le thème de
« l'insécurité » est mis en relation avec
l'immigration. Mettre en avant un lien entre ces deux thématiques permet
aux pouvoirs publics de mettre en place des politiques d'immigration
restrictives.
Dans ce discours, le président de la République
énonce qu'une politique d'intégration plus efficace se construit
au travers de la lutte contre les discriminations et du renfort d'une politique
de sélection et de contrôle des entrées sur le territoire.
« La France est depuis toujours un pays d'accueil. Mais, si l'on veut
pouvoir maintenir cette tradition généreuse et nécessaire,
il est essentiel que la loi et nos frontières soient respectées
par tous. »152 Ainsi, la lutte contre l'immigration
illégale doit être renforcée. Le droit d'asile sera
réformé pour lutter contre les « faux demandeurs d'asile
». « Ce droit fondamental est aujourd'hui trop souvent
détourné de son objet, à cause de la longueur et de la
complexité inacceptable des procédures. »153
Le droit d'asile va être restreint. Le contrôle de
l'intégration des migrants entrés légalement sur le
territoire sera, également, intensifié. Il s'agit de rappeler au
migrant qu'il a des droits et des devoirs envers l'État français.
Un contrat d'accueil et d'intégration (CAI), engageant l'État et
le migrant, sera mis en place. « Je souhaite ainsi, qu'à
l'instar de ce qui existe chez certains de nos voisins, chaque nouvel
arrivant
147
http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais_archives/interventions/discours_et_declarations/2002/octobre/discour
s_du_president_de_la_republique_prononce_a_troyes.1560.html [Site
consulté le 18/04/2010]
148Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., p.10. 149
http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais_archives/interventions/discours_et_declarations/2002/octobre/discour
s_du_president_de_la_republique_prononce_a_troyes.1560.html [Site
consulté le 18/04/2010]
150Ibid.
151La haute autorité de lutte contre les discriminations
et pour l'égalité (HALDE) est créée par la loi du
30 décembre
2004.
152
http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais_archives/interventions/discours_et_declarations/2002/octobre/discour
s_du_president_de_la_republique_prononce_a_troyes.1560.html
[Site consulté le 18/04/2010]
153Ibid.
59
s'engage dans un véritable contrat
d'intégration comprenant notamment la possibilité
d'accéder à des formations et à un apprentissage rapide de
notre langue. »154 L'OFII se charge aujourd'hui des
formations civiques et linguistiques dispensées dans le cadre du CAI.
Ce discours annonce donc le réengagement de
l'État dans l'accueil et l'intégration des migrants. Dès
lors, un contrôle plus accru de l'immigration légale et
illégale est en marche. L'intégration des primo-arrivants «
choisis » sera facilitée, tout comme celle des populations issues
de l'immigration. Les frontières seront plus surveillées, pour
s'assurer que les migrants « subis », les illégaux,
n'accèdent pas au territoire français. Les expulsions des
migrants ayant bravé nos frontières illégalement,
s'accélèreront, ainsi que les retours volontaires. En
définitive, ce discours présente une conception binaire des
migrations internationales : « intégration dans le pays d'accueil/
retour au pays d'origine ». Cette conception binaire ne prend pas en
compte les nouvelles formes de mobilité, telle que la circulation
migratoire. M. Morokvasic explique que « face à ces
mobilités, l'Occident a peu de solutions autres que restrictives
à offrir. »155
b) Le retour des aides au retour
Ce discours préfigure du regain d'intérêt
étatique envers les programmes d'aide au retour. Le retour est une forme
de gestion possible des migrations légales ou illégales. Comme
nous le savons, le retour peut être forcé, volontaire ou
humanitaire. Les aides au retour sont devenues, depuis la décennie 2000,
l'une des actions primordiales de l'OFII. « L'augmentation du nombre
de bénéficiaires des aides au retour et à la
réinstallation est une des priorités assignées par
l'État à l'OFII, faisant de cette activité, jusqu'alors
« anecdotique », une action essentielle de l'accueil des
étrangers. »156 Sylvain Chevron met en
évidence l'impulsion donnée par l'État pour redynamiser
les aides au retour, devenues l'une des actions prioritaires de l'OFII.
Or, ces programmes ne sont pas nouveaux et ont
été délaissés par les bénéficiaires
pendant les années 1980 et 1990. Pour Gaye Petek-Salom157
cela s'explique par le fait que les aspects humanitaires, psychologiques,
affectifs et culturels des migrations, ne sont pas pris en compte par ces
programmes. De plus, les volets « formation et développement
économique régional » de tels programmes avaient un
coût trop élevé pour qu'ils soient réellement
développés à grande échelle.
Ainsi, pour s'assurer l'efficacité des programmes
d'aide au retour, il fallait prendre en compte les aspects humanitaires,
psychologiques, affectifs et culturels des migrations. D'autre part, il
était
154
http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais_archives/interventions/discours_et_declarations/2002/octobre/discour
s_du_president_de_la_republique_prononce_a_troyes.1560.html [Site
consulté le 18/04/2010]
155Morokvasic M., « Entre l'est et l'ouest, des migrations
pendulaires », op. cit., p. 120.
156Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., p. 202.
157Petek-Salom G., « Peut-on encore parler de politique de
réinsertion ? » Hommes et migrations, n°1236,
mars-avril 2002. p. 53 à 57.
60
nécessaire d'instaurer une réelle
réinsertion économique, sociale et professionnelle des migrants,
pouvant être la source d'un développement régional. Nous
avons vu que cet aspect du retour reste, encore aujourd'hui, quasi inexistant.
Les mêmes erreurs ont été reproduites. Par
conséquent, il est probable que les programmes d'aide au retour soient
délaissés, comme ils l'ont été dans les
années 1990.
Nous avons vu que les ARH favorisent la circulation
migratoire, lorsqu'elles ne sont pas accompagnées d'aides à la
réinsertion. La finalité des ARH n'est donc pas le retour
définitif des populations dans leur pays d'origine. Je supposais, en
conclusion de la première partie, que la finalité des aides au
retour, pouvait être la satisfaction d'un électorat. En effet, les
Roms roumains sont les bénéficiaires majoritaires des ARH. De
plus, ils pouvaient utiliser l'OFII plusieurs fois, pour rentrer en Roumanie.
Leur circulation permet à l'OFII de « faire du chiffre ».
Ainsi, le gouvernement peu avancer à son électorat un chiffre
annuel de reconduites à la frontière, satisfaisant. Cependant, la
mise en place de l'AGDREF 2, depuis janvier 2009, empêche les migrants de
bénéficier plus d'une fois des ARH. En effet, les empreintes
digitales des personnes, reconduites par l'OFII, sont relevées et
stockées dans l'AGDREF. Ainsi, le nombre de Roumains reconduits en
Roumanie, dans le cadre d'ARH, va très rapidement diminuer. Si le but
des ARH n'est pas de satisfaire un électorat, quel est-il ? Quel est
l'avenir des aides au retour ?
2) La visite de Pierre Lellouche
Le secrétaire d'État aux affaires
européennes, Pierre Lellouche, s'est rendu à Bucarest les 11 et
12 février 2010. Il s'est entretenu avec Emil Boc, Premier ministre,
Marko Bela, vice-Premier ministre, Teodor Baconschi, ministre des Affaires
étrangères, Bogdan Mazuru, son homologue ainsi qu'avec Viorel
Hrebenciuc, président de la commission des Affaires
étrangères de la Chambre des députés.
Le Premier ministre roumain s'est engagé à
désigner un secrétaire d'État chargé de la
réinsertion des Roms. Le gouvernement roumain a également
annoncé être prêt à renforcer la coopération
entre les deux pays pour la lutte contre le trafic d'êtres humains. En
effet, un lien est souvent opéré par les pouvoirs publics, ainsi
que l'Opinion, entre criminalité et migrations roms. Le site du
Ministère des affaires étrangères relate ces engagements.
« Au cours de sa visite, Pierre Lellouche a notamment abordé
avec ses interlocuteurs roumains les modalités d'un approfondissement de
la coopération franco-roumaine en matière de lutte contre le
trafic d'êtres humains ainsi que les perspectives de renforcement des
politiques d'intégration des minorités en Roumanie, y compris
dans un cadre européen. »158 Lors de la
conférence de presse qui a suivi cette
158
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/roumanie_238/france-
roumanie_1213/visites_8988/deplacement-pierre-lellouche-roumanie-11-12.02.10_79849.html
[Site consulté le
61
rencontre, Pierre Lellouche a annoncé la
création d'un groupe de travail juridique, entre les deux pays. Ce
groupe de travail devra répondre aux besoins « de gens
reconduits à la frontière ou expulsés
»159 et qui reviennent pour « se livrer à
différents trafics ».160 À cela, le
secrétaire d'État ajoute qu' « il y a le principe
sacré de la libre circulation mais il y a aussi un autre principe
sacré qui est celui des droits de l'Homme, et donc il faut mettre fin au
trafic (d'êtres humains) car c'est bien ce dont il s'agit.
»161 Pierre Lellouche ne sous-entend pas l'existence d'un lien
entre migration et Rom et larcins, il l'affirme. Les migrants Roms sont
considérés comme des trafiquants présumés et c'est
pour cela qu'il faut s'assurer de leur réinsertion en Roumanie. Leur
migration est clairement présentée comme alimentant les trafics.
Cette affirmation est, d'une part non fondée, d'autre part
réductrice. Des délits ont lieu au sein des communautés
Roms. Des délits ont lieu au sein de toutes les communautés.
Définir la migration rom comme étant la source de trafics en tout
genre, est une essentialisation dangereuse. Plus généralement,
criminaliser les migrants d'Europe de l'Est est courant. « Certes le
commerce de drogues, de substances radioactives, le trafic d'hommes et de
femmes, le vol de voitures, sont des activités criminelles et comme
telles doivent être réprimées. Mais elles ne sont le fait
que d'une petite minorité des gens qui voyagent
»162. Ainsi, cette essentialisation stigmatise toute une
population et justifie le désir des autorités françaises
de se décharger du « problème Rom ». De nombreuses
associations et ONG163 se sont mobilisées pour condamner de
tels propos. Romani Criss en fait partie.
N. - « On a protesté contre cette visite et
contre la conférence de presse qui a eu lieu après cette visite,
parce que le premier ministre roumain et aussi le ministre des affaires
étrangères, ils ont souligné l'identité ethnique en
connexion avec la criminalité. »164
Le groupe de travail est également chargé de
« résoudre le problème des bidonvilles
14/04/2010]
159 Dépêche AFP : FRA -
Roumanie-France-immigration-UE-24/07.
160Ibid.
161Ibid.
162Morokvasic M., « Entre l'est et l'ouest, des migrations
pendulaires », op. cit., p. 148
163Active Watch-Press Monitoring Agency, Roma Civic Alliance
of Romania (ACRR), Asociation ACCEPT, Center for Legal Resources, Euroregional
Centre for Oublic Initiatives, The network of the Roma Civic Alliance (Romani
CRISSS, Centrul Rromilor AMARE RROMENTZA, Asociaþia 'DIVANO-ROMANO',
Asociaþia Agenþia de Dezvoltare Comunitarã INTER-ACTIVA,
Association 'anse Egale', Asociaþia 'ROMII ROMACANI', Fundaþia
Ruhama, Asociaþia Parudimos, Asociaþia Roma ACCESS TOMIS,
Asociaþia anse Egale pentru Femei °i Copii, Centrul Tinerilor Romi 'Amare
Suno', Asociaþia anse Egale pentru Romi °i Sinti ADOSER/S, Alianþa
pentru Unitatea Romilor, Asociaþia 'O Del Amenca', Asociaþia
Thumende, Asociaþia Romilor Ursari.), Asociaþia Comunitarã
Împreunã, Asociaþia Generaþia 2008 Bra°ov,
Asociaþia Ketaness 2005 Giurgiu, Asociaþia Pro Nobis,
Asociaþia Romii in Europa, Centrul de Dezvoltare Comunitarã
Neamþ, Organizaþia Amare Prhala Cluj-Napoca, Policy Center for Roma
and Minorities, TRUST - Tinerii Romi pt Unitate Solidaritate si Transparenta,
Uniunea Democraticã Culturalã Valea Jiului.
164Annexe 1 : extraits d'entretiens.
62
démontables de Paris [qui posent des
problèmes] de nuisance et autres aux Parisiens
».165 Pierre Lellouche présente ici la migration de
retour, comme étant la solution au défaut d'intégration de
ces populations. Ainsi, les Roms installés en France ne sont pas
destinés à s'intégrer dans la société
française. Pour ce représentant de l'État, la seule
solution à leurs problèmes d'exclusion en France est le retour
dans leur pays d'origine.
Ainsi, le gouvernement français prend en charge les
retours en Roumanie et le gouvernement roumain doit s'assurer que les migrants
restent en Roumanie. Lors des entretiens réalisé au cours de
cette enquête, pas un des douze acteurs interrogés ne s'est
monté confiant ou optimiste vis-à-vis d'un futur engagement de
l'État roumain, dans la réinsertion des Roms.
I.J - « On a rencontré le secrétaire
d'État Lellouche. Il devait venir ici à Parada, finalement on l'a
rencontré lors d'un diner à l'ambassade, aussi
bien lui que sa délégation. [...]Moi je
suis, enfin disons pas pessimiste mais
je ne suis pas extrêmement optimiste sur
l'efficacité du gouvernement Roumain. »166
I.J. doute de l'efficacité du gouvernement. M.P. doute
même de l'existence d'un réel engagement. M.P. - « Je
peux avoir les accords ? Tu as les accords ? [...] Tu n'es pas habituée
à la déclaration politique ? C'était un engagement de
principe parce que le gouvernement roumain, il n'est pas capable de payer les
pensions pour les retraités et il va payer la réinsertion ? [...]
»167
Ainsi, M.P. se méfie de l'existence de ces engagements
ainsi que de la capacité du gouvernement
roumain à mettre en oeuvre un tel projet. M.P. et D. ne
croient pas que le gouvernement roumain est
en mesure de soutenir financièrement la
réinsertion des migrants roms.
D. - «Dear, it's not going to change anything. For
example, the Romanian government and the ANR have a program in which they give
scholarships. The program started two years ago. I know people who are working
on that project and they are not payed for six months, for the work they are
doing. They don't get their salary, and they work ! Do you thing they are going
to pay for Roma social reinsertion ??»168
Nous savons que sans réinsertion des migrants dans leur
pays d'origine, les ARH favorisent
165Dépêche AFP : FRA -
Roumanie-France-immigration-UE-24/07 166Annexe 1 :
extraits d'entretiens.
167Ibid. 168Ibid.
63
la circulation migratoire. C'est pourquoi Pierre Lellouche
s'est rendu en Roumanie, pour obtenir l'engagement du gouvernement roumain de
s'impliquer dans la réinsertion des Roms. En effet, l'investissement du
gouvernement roumain dans de sérieux programmes de réinsertion
favoriserait la réinstallation des migrants en Roumanie. Cependant,
comme nous venons de le voir, les acteurs interrogés ne sont pas
très confiants en la capacité du gouvernement roumain à
tenir ses engagements.
Depuis les années 2000, l'État français
s'est réengagé dans la gestion de l'immigration et
l'intégration. La volonté d'une meilleure intégration des
migrants « choisis » est affirmée. Parallèlement
à cela, la lutte contre les migrations « subies » est
renforcée. Deux parcours sont proposés au migrant :
l'installation ou le départ. De mon point de vue, Pierre Lellouche
préconise le départ, avec installation définitive en
Roumanie, pour les migrants Roms. Jusqu'alors, aucun projet adapté
à la circulation des migrants Roms n'a été
évoqué.
B) Tentatives de communautarisation de
l'intégration des Roms
Les communautés roms sont dispersées sur
l'espace européen. De nombreuses communautés vivent dans des
conditions précaires. Elles ont un taux d'alphabétisation et de
scolarisation faible et ont un accès au marché du travail
limité. Globalement, les problèmes rencontrés par les Roms
sont les mêmes dans tous les pays européens où ils sont
installés. Bien que ces problèmes demeurent, ils touchent
différemment les communautés d'un pays à l'autre. Cette
différence est, en partie, due au diverses politiques publiques
nationales, des États européens. Nous avons vu que les politiques
nationales d'immigration et d'intégration, ne sont pas en mesure de
s'adapter à la mobilité des migrants. Ainsi, la gestion des
mobilités roms doit être pensée au niveau communautaire.
Premièrement, nous aborderons la question d'une intégration
à l'européenne. Dans un second temps, nous verrons quelles sont
les initiatives communautaires destinées aux Roms.
1) Pour une intégration à l'européenne
?
La communautarisation de la politique migratoire
européenne est en marche, bien que limitée par la volonté
des États d'affirmer leur souveraineté. Cette politique
communautaire est relative au droit d'entrée et d'asile sur le
territoire européen, ainsi qu'au contrôle des frontières et
à la lutte contre l'immigration illégale. De nombreux chercheurs
affirment que les politiques migratoires restrictives, mises en place en UE, ne
sont pas adaptées aux mobilités actuelles. J. Fijalkowski en fait
partie. « Il faut aussi appliquer une politique migratoire flexible,
bien que régulée, qui aurait pour objectifs
l'égalité des chances et l'institution de conditions de vie
dignes et humaines dans
64
toute l'Europe. »169 En effet, il est
possible d'instaurer des politiques migratoires flexibles, qui favoriseraient
une intégration à l'européenne. Catherine Wihtol de Wenden
expose l'absence d'européanisation des politiques d'intégration.
« Dans le partage des compétences qui préside à
la gestion européenne des politiques migratoires, l'intégration
fait partie de la subsidiarité : elle est décidée à
l'échelon national ou local, à la différence de
l'européanisation de la décision relative aux politiques
d'entrée et d'asile. »170 Ainsi, différents
modèles d'intégration sont présents en Europe.
Au sein de l'UE, bien que l'intégration demeure du
domaine national, l'intégration des Roms est l'objet d'attentions
particulières. Depuis 1998, le Conseil de l'Europe171 ne
cesse de réunir des groupes de travail, des forums, et des
comités d'experts sur la situation des Roms en Europe. Des projets ont
été rédigés et des suggestions ont
été émises. La situation des Roms n'a pas
évolué significativement. E., ancienne membre de Parudimos en
fait part.
E. - « J'ai travaillé au Conseil de l'Europe
pendant une petite période, et j'ai vu que au niveau européen il
ne se passe pas grand chose. [...] Bon c'est vrai que c'est très
important que au niveau de l'Europe il y ait des mouvements, des impulsions.
C'est très important ça, pour l'image, pour essayer de changer la
vie des gens. [...] Mais ils ne vont pas dans les pays européens voir ce
qui se passe, vraiment. »172
E. met ici en évidence la distance qui subsiste entre
le Conseil de l'Europe et les pays européens. Cette distance est la
raison pour laquelle les décisions européennes n'ont pas
d'influence directe sur le quotidien des citoyens européens. En effet,
sans une réelle connaissance de la situation des Roms au sein de chaque
pays européen, il est impossible de mettre en place des actions
appropriées à leur mode de vie et aux sociétés qui
les accueillent.173
Des fonds européens existent pour promouvoir
l'intégration des Roms et Tsiganes.
S. - « L'Europe aimerait bien que les Roms restent en
Roumanie et se réinsèrent en Roumanie. L'argent il est pour
ça aussi. »174
Pour S., stagiaire de l'association Parada, l'UE soutient
l'intégration des Roms en Roumanie, pour limiter leurs
déplacements. Que cela soit une réalité ou non, les fonds
européens n'ont pas un impact important en Roumanie. « In the
case of the Roma EU citizens this lack of measures is arguably
169Fijalkowski J., « Transformer la politique
européenne en matière de migration », op. cit., p. 83.
170Wihtol de Wenden C., La globalisation humaine, op.
cit., p. 191.
171www.coe.int
172Annexe 1 : extraits d'entretiens.
173Cette affirmation est, également, valable pour tout
autre type de communauté.
174Annexe 1 : extraits d'entretiens.
65
more striking considering that Roma are generally
acknowledged to be one of the most vulnerable groups of citizens in the EU.
[...] This includes the lack of use of the Structural Funds and in particular
the European Social Fund to support Roma inclusion and addressing
discrimination and exclusion through information and awareness-raising
campaigns. »175 En Roumanie, la mauvaise utilisation des
fonds européens est un réel handicap à
l'intégration des Roms. Pour recevoir des fonds, de fausses ONG sont
crées, de faux projets sont rédigés et de faux rapports
d'activité sont produits. L'exemple de l'association Kelsen est tout
à fait caractéristique de ce type de détournement des
fonds européens. Tous les acteurs que j'ai rencontré en Roumanie,
ont évoqué ces détournements, lorsque l'enregistrement de
notre conversation était arrêté. Ces malversations sont une
réalité. Elles freinent la mise en place d'une gestion
appropriée de l'intégration des Roms. Cela nous montre que les
organes dirigeants de l'UE ne sont pas au fait du système roumain et des
nombreuses malversations qui y perdurent. Tout cela pourrait être
évité si la distance était réduite entre les
organes dirigeants de l'UE et les pays membres.
Une intégration à l'européenne n'existe
pas encore. Cependant, une réelle volonté de gestion
communautaire des populations roms est observable, bien que globalement
inefficace.
2) Des sommets européens sur les Roms et les Gens du
voyage
Un Forum européen pour les Roms et les Gens du
voyage176 a été créé en 2004, avec le
soutien du Conseil de l'Europe. Depuis 2005, le Conseil de l'Europe est
également partenaire de ce forum, qui demeure une instance autonome. Ce
forum a une finalité tout à fait inédite. Il a pour but
d'offrir aux Roms de tous pays européens « la
possibilité de participer aux prises de décision sur des
questions les concernant et d'influencer ces décisions, ouvertement et
officiellement, dans le cadre d'une relation spéciale avec le Conseil de
l'Europe. »177 Le désir de faire participer les
populations ciblées par des politiques nationales et/ou
européennes, à la conception de ces politiques est
évidement louable. Le Forum, bien que n'étant pas en mesure de
résoudre tous les problèmes auxquels les Roms sont
confrontés, est une organisation nécessaire à la meilleure
prise en compte du mode de vie des migrants.
Toutefois, en juillet 2008, la Commission
européenne178 publie un rapport qui montre que les Roms
continuent de faire l'objet de discrimination et d'exclusion sociale en
dépit des efforts déployés pour les intégrer. Le 16
septembre 2008, un premier sommet européen sur les Roms est
organisé à Bruxelles. Les mêmes observations sont
formulées : les discriminations et l'exclusion
175F.R.A., The situation of Roma EU citizens moving to
settling in other EU member States, op. cit.,
p. 64. 176www.ertf.org
177
http://www.coe.int/t/dg3/romatravellers/ertf_fr.asp
178
http://ec.europa.eu
66
dont les Roms sont victimes restent des
réalités. La Commission invite l'UE et ses États membres
à prendre des mesures communes pour favoriser l'intégration des
Roms dans la société et annonce la tenue d'un second sommet sur
les Roms. Ce second sommet a lieu à Cordoue, les 8 et 9 avril 2010. Lors
de ce sommet, les ONG et les représentants Roms participent directement
aux débats. L'objectif du sommet était de faire le point sur la
situation des Roms en Europe et de réaffirmer l'engagement de l'Union
européenne en faveur de l'intégration des Roms, par, notamment,
la promotion de l'utilisation des fonds structurels de l'UE. La plupart des
ministres européens invités était absent179.
Cela n'a pas encouragé les observateurs extérieurs, à
être confiants en la capacité de ce sommet d'améliorer
l'intégration des Roms en Europe. Néanmoins, il est trop
tôt pour tenter de mesurer l'impact de ce sommet sur les conditions de
vie des Roms.
Lorsque j'ai rencontré N. (employée de Romani
Criss), un mois avant le sommet, elle ne semblait déjà pas
très optimiste quant aux retombées de ce sommet. Elle
reconnaît néanmoins l'importance de ce type de rencontres dans la
prise en compte internationale, du besoin d'une gestion nouvelle des
communautés Roms.
N. - [Éclats de rire.] « Non pas cette
question! Je serai là-bas et... [Soupirs.] [...] Mais bon, c'est bien
qu'il y ait plusieurs États qui aillent là-bas et que les
associations Roms aient la possibilité de protester contre plusieurs
questions [...] qui se posent dans plusieurs États membres de l'Union
européenne. [...] » 180
Des impulsions internationales sont une
nécessité. Cependant, pour I.J., président Parada, pour
qu'une action soit concrète et efficace, elle doit
être locale.
I.J. - « Ça devrait apporter une meilleure
prise en compte, déjà, de la question, du problème, aussi
bien au niveau institutionnel, des États, qu'au niveau des populations.
[...] Ce n'est pas que au niveau gouvernemental, que le problème va se
résoudre. [...] Sur du concret, il faut une vision d'ensemble. Il faut
avoir une stratégie, dégager des pistes. Il faut travailler aussi
au niveau local, au cas par cas. »181
Ainsi, ces sommets réaffirment le besoin d'une gestion
commune de l'intégration des Roms en Europe. Cette gestion commune devra
être en mesure de développer la coopération entre l'UE, les
États européens, les ONG de toutes tendances politiques et les
communautés roms. L'UE et les
179Seules l'Espagne, la Belgique, la France, la Finlande, la
Hongrie, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, et la Serbie
étaient représentés par des ministres ou des
secrétaires d'État.
180Annexe 1 : extraits d'entretiens.
181Ibid.
67
États européens doivent coopérer pour
s'assurer que les projets soient adaptées aux différentes
sociétés européennes. Ensuite, la coopération avec
les communautés est une condition nécessaire de la mise en place
d'une gestion de l'intégration des Roms, appropriée à leur
mode de vie. Pour finir, une réelle coopération entre les
différentes parties, est une disposition fondamentale d'une mise en
oeuvre locale des actions décidées au niveau communautaire.
C) Des pistes d'action
Les modèles de gestions des populations migrantes,
fondés sur le binôme « intégration dans le pays
d'accueil/retour au pays d'origine » ne sont plus suffisants face aux
nouvelles formes de mobilité en Europe. Trouver des alternatives est
nécessaire. M. Morokvasic attestait déjà de cette
nécessité, en 1996. « Les politiques centrées
essentiellement sur l'intégration des sédentarisés, ou sur
le rejet des nouveaux candidats à l'immigration, pourraient s'orienter
vers la gestion des mobilités. »182 De plus, les
questions d'intégration des sédentaires et des circulants doivent
être traitées au niveau communautaire, dans une totale
coopération des différents acteurs européens, nationaux et
locaux. Dans un premier temps, nous allons questionner l'avenir des aides au
retour. Ensuite, nous verrons en quoi « l'intégration des
mobilités » roms au « système européen »
serait profitable à l'UE.
1) La fin des aides au retour ?
Les aides au retour peuvent être de véritables
chances pour le migrant de reconstruire sa vie dans le pays d'origine, à
condition qu'elles respectent le principe de réinsertion sociale,
économique et professionnelle. Les programmes de retour mis en place par
la France, depuis les années 1970, ne respectent pas ce principe. En
effet, nous savons que les aides à la réinsertion
économique ne sont pas diffusées. Quant à la
réinsertion sociale et professionnelle, elle est inexistante. Parfois,
les programmes ont été délaissés par les
bénéficiaires. Parfois, ils ont été utilisés
par les bénéficiaires pour s'installer dans la mobilité.
Jamais, ils n'ont été efficaces.
Comme nous l'avons vu précédemment, la mise en
place de l'AGDREF condamne les aides au retour humanitaire. Pour Sylvain
Chevron, les programmes d'aide au retour parasitent même l'action
principale de l'OFII : l'accueil. « Il semble d'ailleurs qu'il y ait
lieu de redéfinir les actions de l'Office insusceptibles de se rattacher
à la mission centrale d'accueil et d'intégration car elles
contribuent par là même à diluer ses priorités et
ses moyens : la participation de l'OFII aux programmes d'aide au retour peut
être examinée dans la mesure où rien n'impose que l'Office
en charge de l'accueil soit chargé des retours au pays et de la mise en
oeuvre des actions de
182Morokvasic M., « Entre l'est et l'ouest, des migrations
pendulaires », op. cit., p. 154.
68
codéveloppement. »183 Les
aides au retour tendent à être délaissées par
l'OFII. De nouvelles formes de gestion des migrations doivent être
trouvées.
De plus, il est fondamental que le codéveloppement
devienne un enjeu majeur des futurs politiques migratoires, et non une de leurs
conséquences éventuelles. Cette observation n'est pas nouvelle et
ne cesse d'être réaffirmée par les chercheurs. Les
programmes d'aide au retour trouveraient, certainement, un regain
d'intérêt, s'ils étaient capables d'associer retour,
réinsertion et codéveloppement. Le migrant deviendrait un lien
essentiel entre le pays d'origine et le pays d'accueil, entre les
différents opérateurs socio-économiques locaux, et plus
globalement, entre les deux communautés.
Selon Catherine Wihtol de Wenden :« le thème
d'une gouvernance globale des migrations, lancé à l'initiative
des Nations Unies, cherche à répondre au défi de la
combinaison des migrations et du développement dans les pays d'accueil
et de départ (« faire de la migration un instrument de
développement sans substituer le développement à la
migration ») en vue d'une plus grande cohérence des politiques.
»184 Ainsi, pour que les politiques migratoires soient
plus cohérentes, elles doivent associer migration et
développement. De plus, la gouvernance des migrations doit être
globale. Dans le cadre de cette étude, cela signifie donc que les
migrations Roms doivent être gérées au niveau
communautaire, de sorte qu'elles soient génératrices de
développement.
2) Pour une « intégration des mobilités
» roms
Les différentes tentatives de gestion communautaire des
communautés roms se focalisent sur l'intégration, l'inclusion des
Roms au sein des États européens. Mais une fois encore, le
concept d'intégration est dominé par une pensée
sédentariste. En effet, au lieu de tenter d'y apporter des limites, sans
succès, il est possible d'envisager une intégration des formes de
mobilités roms au « système Europe ».
Dès lors, nous pourrions tous profiter de ces
migrations, et de leurs aspects économiques, sociaux et culturels. J.
Fijalkowski illustre l'intérêt économique que
représenterait une gestion appropriée de ces migrations. «
Ces « pendulaires » présentent un intérêt qui
dépasse la coopération transfrontalière. [...] Pourquoi ne
pas programmer autrement l'arrivée de ces travailleurs étrangers
d'un genre nouveau si cela coïncide aussi avec l'intérêt des
pays qui les envoient ? »185 Toutes les parties
engagées dans un phénomène migratoire peuvent y trouver un
intérêt, notamment économique. En 1954, Robert Montagne
défendait déjà l'adaptation du système
économique du pays d'accueil au va-et-vient des populations
algériennes migrantes. Il explique qu'il
183Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., p. 164. 184Wihtol de
Wenden C., La globalisation humaine, op. cit., p. 217.
185Fijalkowski J., « Transformer la politique
européenne en matière de migration : une nécessité
», op. cit., p. 83.
est envisageable d' « employer quatre employés
pour trois postes : ce système permettrait aux émigrés de
faire des séjours prolongés dans leur village en Algérie
tout en ayant un emploi rémunérateur en France.
L'émigré peut ainsi concilier travail en France et charges
familiales en Algérie. »186 Plus de soixante ans
après, les politiques régissant l'emploi des travailleurs
immigrés ne sont toujours pas adaptées aux mobilités des
migrants.
M. Morokvasic dépeint les intérêts sociaux
et culturels qu'il est possible de dégager de la circulation migratoire
des Roms. Elle explique que l'espace européen se construit des
différences culturelles, ainsi que de l'échange et de la
création de nouvelles diversités. L'espace européen est
une mosaïque en perpétuelle évolution. Par
conséquent, « on peut penser que certains groupes
particulièrement mobiles contribuent à la création de
l'européanité, même si, sur le plan local ou national, ils
peuvent se trouver marginalisés, discriminés et à la
périphérie, comme le sont les pendulaires rencontrés.
»187 Ainsi, la mobilité des Roms et leur dispersion
à travers l'Europe peuvent, également, être la source de
l'apparition d'un sentiment communautaire.
Conclusion de partie
Comme nous l'avons vu avec l'exemple français, les
modèles actuels de gestion des migrations se contentent d'envisager le
binôme « intégration dans le pays d'accueil/retour au pays
d'origine ». Or, l'installation des migrants dans la mobilité, doit
être prise en compte. Pour ce faire, des politiques d'intégration
des migrations roms doivent être conçues au niveau communautaire.
Il est nécessaire que ces politiques soient mises en place, au travers
d'une entière coopération des différents acteurs. Les
migrations sont une source d'enrichissement social, culturel et
économique, pour chacun. Ainsi, il faut être en mesure d'associer
migration et développement et de favoriser l'échange culturel. Au
lieu de tenter de freiner ces migrations, il faut savoir les «
intégrer au système européen ».
69
186Dorai M. K., Hily M-A., Loyer F., op. cit, p. 81.
187Morokvasic M., op. cit., p. 149.
70
Conclusion
Les acteurs du « retour » des Roms roumains en
Roumanie, dans le cadre des ARM sont très
hétérogènes. Cette
hétérogénéité est l'une des causes de
l'incohérence des programmes d'aide au retour. En effet, les
différents intervenants de cette migration ont des conceptions
différentes de l'action sociale et humanitaire, de la réinsertion
et de l'intégration. De plus, cette migration de retour se doit
d'être volontaire et humanitaire. Or, les méthodes
utilisées par les pouvoirs publics pour encadrer ce déplacement
dénotent d'une migration forcée. Enfin, les programmes d'aide
à la réinsertion ne sont pas diffusés et s'avèrent
improductifs, voire contreproductifs.
En effet, sans aides à la réinsertion, l'argent
versé aux migrants bénéficiaires des aides au retour ne
leur permet pas de se sédentariser. Dès lors, il peut servir
à financer le retour, en France. Ainsi, les ARM n'aident pas les
migrants à se réinstaller en Roumanie, mais elles favorisent leur
circulation migratoire.
L'absence d'échanges entre les migrants et les autres
acteurs de leur migration, est notable. De plus, les migrants ne sont pas, ou
peu, impliqués dans la gestion de leur propre mobilité. De ce
fait, les pouvoirs publics et le milieu associatif méconnaissent les
migrants, leur mode de vie et leur phénomène migratoire. Or ce
phénomène migratoire existe depuis les années 1990. Ainsi,
le manque de cohérence entre les différents acteurs participe
à masquer la réalité sociale de cette migration. Ainsi,
puisque ce phénomène migratoire n'est pas reconnu, il ne peut pas
être pleinement prit en compte par les politiques migratoires
actuelles.
Des programmes communautaires de gestion des populations Roms,
respectant leur mode de vie et leurs mobilités, ont été
mis en place. Des fonds européens sont versés à cet effet.
Cependant, ces programmes ont un impact très restreint. En avril 2010,
au sommet de Cordoue, le constat de la détérioration de la
situation des Roms, en Europe, a été établi. Ces
programmes ne sont pas efficaces car ils sont trop détachés des
réalités nationales et locales. Ces réalités sont
variables, d'un pays européen à l'autre. « La
complexité de la combinaison des acteurs pour la constitution d'un
régime international des migrations est liée au fait que le champ
de la société civile face à l'État est
dispersé dans les pays d'accueil sur ce sujet et que les migrants ont
peu de soutiens de la société civile dans leurs pays de
départ. »188 La mise en place de politiques
migratoires communautaires adaptées aux mobilités des migrants,
ainsi qu'aux diverses sociétés européennes, est donc
très complexe.
Le renforcement de la cohésion et de la
coopération entre tous les acteurs de la migration
188Wihtol de Wenden C., La globalisation humaine, op.
cit., p. 224.
71
des Roms est donc un réel défi. Relever ce
défi est nécessaire pour l'instauration de politiques
migratoires, respectant les mobilités et étant
bénéfiques pour tous les intervenants. Une meilleure connaissance
des populations migrantes est primordiale à l'amélioration de la
cohésion et de la coopération entre les acteurs de cette
migration.
Ainsi, il est important d'étudier les
communautés roms migrantes, avant de mettre en place des projets leur
étant destinés. Pour ce faire, il est essentiel d'aller à
la rencontre des migrants. L'enjeu est de comprendre comment ils se
définissent, vis-à-vis des Roms et des non-Roms. Il s'agit
également d'appréhender leur mode de vie, leurs schémas
familiaux, leurs traditions et enfin, ce à quoi ils aspirent. De plus,
il me semble judicieux de rencontrer les migrants aux différents
pôles de leur migration. En effet, cela permettrait de mieux saisir le
phénomène migratoire de cette population, ainsi que les
différents contextes locaux au sein desquels ils évoluent. De mon
point de vue, le renforcement de la cohésion et de la communication
entre les partis favorise la mise en place de politiques migratoires et de
politiques d'intégration, qui respectent les mobilités, et les
modes de vie des migrants. Nous devons être en mesure de redéfinir
le terme d'intégration, avec et pour les migrants.
C'est dans cette perspective que j'aimerais situer mon
étude de deuxième année de Master, afin de permettre aux
différents acteurs de mettre en place, conjointement, des actions
respectant les différents modes de vie.
72
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www.sante.gouv.fr
www.social.gouv.fr
www.unfpa.org
77
Annexes
Annexe 1 : extraits des entretiens
réalisés.
Entretien avec S. F., Association de soutien aux familles Roms de
Palaiseau : Dans un café de Paris,vendredi 19 février 2010,
durée : 30 minutes.
- « [...] On aide aussi à la scolarisation.
Batailler avec les mairies pour qu'elles acceptent d'inscrire les enfants.
Ça commence à se faire. Et puis, on a aussi une autre bataille,
c'est de bousculer les autorités, qu'elles soient Conseil Municipal,
Conseil Général, Conseil Régional, de harceler le
préfet, pour faire une table ronde, que tout le monde discute ensemble
et qu'on reconnaisse que ces gens ils sont là, et qu'ils ne partiront
pas. [...] »
- « Vous parliez des villages d'insertion, qu'ils
étaient contestés... »
- « [...]Le Conseil Général, a [...]
voté des sommes très importantes, je ne sais plus si c'est un
million ou deux millions d'euros, pour des projets de villages d'inser..., pour
des projets de résorption de bidonvilles. [...] Il y a une
sélection des familles qui sont supposées être
déjà en voie de pouvoir, pas s'intégrer, j'aime pas le
mot, mais d'avoir plus envie de... de... de faire quelque chose. Ces villages
de réinsertion, ils sont très contrôlés. Par
exemple, sur les campements, notre gros problème, [à voix
basse] c'est que dès qu'il y a quelqu'un qui s'installe, il y a
d'autres familles qui s'installent. Les camps grossissent
énormément et après on ne peut plus rien faire. Dans les
villages d'insertion, c'est vrai que c'est exagéré, les familles
ne peuvent pas recevoir leur famille. [...] Ça c'est vrai que c'est
contestable. Mais on voudrait que quelque chose s'amorce, que quelque chose
commence.[...] »
- « Est-ce que vous savez sur quels critères les
familles sont sélectionnées ? »
- « [...] Je pense que le premier critère
c'est que les enfants soient scolarisés régulièrement, que
les parents aient fait des recherches de travail, certainement la durée
de séjour en France.[...] Il y a une famille qu'on a vu dans
différents campements, au fil des expulsions. Ils ont eu
78
envie de retourner en Roumanie, parce qu'ils ont une
maison là-bas. Et, bon, bah ils sont revenus. On comprend pas toujours,
bien, pourquoi ils reviennent. J'imagine que... En tout cas ce qu'ils disent
c'est que c'est plus dur en Roumanie, qu'ici.[...] »
- « Vous avez déjà assisté à
des opérations d'évacuation des campements ? »
- « Ah oui ! Oui ! Bah c'est l'horreur, c'est
l'horreur. Les gens sont prévenus. Des gens partent avant et d'autres
restent jusqu'au bout. Donc ils rassemblent leurs affaires. À Lagny, la
municipalité socialiste, avec une maire adjointe communiste, avait
accepté que les Roms expulsés de Palaiseau (ce sont deux communes
mitoyennes) s'installent dans le bois brûlé. Dans le bois, il y
avait de la place et un point d'eau. Bon, c'était à condition que
le campement n'augmente pas. Finalement le campement a augmenté,
l'expulsion a été faite. La police les a raccompagnés,
avec leurs bagages, jusqu'au RER. Et puis après, on prend les
pelleteuses... »
- « On les raccompagne jusqu'au RER, avec une
destination ou c'est un départ sans destination ? »
- « Non, c'est « qu'ils s'en aillent ! ».
Le maire de Palaiseau avait dit « je n'en veux pas ». voilà...
c'est tout le temps comme ça. [...] C'était un parking, tout
près du RER. Ils sont restés là pendant plus d'un an. Le
jour où l'expulsion s'est faite, [...] la police les a vraiment
forcé à prendre un train qui allait à Corbais, ou d'autres
trains qui allaient à la gare du Nord. Finalement c'étaient les
seules destinations dites. Qu'ils partent, qu'ils partent loin. Il n'y a jamais
de destination donnée puisqu'il n'y a pas de point de chute. [...] Quand
les expulsions sont annoncées, ils cherchent des terrains. Il y en a qui
cherchent des terrains reculés, où on les voit pas. Il y en a qui
cherchent à louer des terrains. Dans ces cas là, on entre en
contact avec le propriétaire, mais ça n'a jamais marché.
[...]On avait de bonnes relations avec la police sur ces terrains donc ils nous
ont accompagné sur le terrain à Villebeau. [...] Et là,
rien n'était prévu, c'était au milieu des champs, il n'y
avait même pas de quoi se cacher. Le maire est venu tout de suite, les
habitants sont venus tout de suite, il a fallu repartir le soir
même,
retour à Chilly-Mazarin où la mairie s'est
radoucie et a accepté qu'ils s'installent, sous conditions (pas trop
de...). Ils ont même acheté quelques cabanes pour les gens. Et
puis le camp a grandi, les règles n'ont pas été
respectées. Ils ne voulaient pas que les enfants mendient dans la rue
mais en même temps ils ne voulaient pas scolariser les enfants. [...]
»
- « Est-ce que c'est vous qui faites la
démarche d'aller vers les Roms, ou c'est eux qui viennent vers vous ?
Est-ce qu'ils ont des associations qu'ils organisent entre eux ou est-ce qu'ils
s'adressent à vous individuellement ? »
- « Ils s'organisent très mal
entre eux...enfin... J'imagine qu'ils doivent se... ouais... on communique mal
puisqu'ils parlent mal [français] et puis alors nous, pas du tout
[roumain]. [...] Ils savent où demander de, demander de... de l'aide.
Sur Palaiseau c'est nous qui avons fait les premiers pas. [...] »
- « Et est-ce qu'il y a une sorte «
d'association Rom des Roms de Palaiseau » , si vous voyez ce que je veux
dire ? »
- « [...]On a l'impression qu'ils fonctionnent par
grandes familles, familles élargies. [...] Des fois on a l'impression
qu'il y en a un qui ressemble à un chef. [...] »
Entretien avec Mh., ONG Clubul Tinerilor Romi.
Dans un café de Baia Mare, vendredi 05/03, durée
: une heure et demi. (Traduit du Roumain)
Mh. - « [...] En ce moment les jeunes vont au
lycée, ils font des études. Nous on travaille au niveau des
professeurs, on essaye de faire évoluer la manière dont les
jeunes Roms sont traités dans les écoles. [...] Par exemple, moi
j'ai travaillé avec la mairie qui m'a donné des contacts, etc...
Il y a un homme extraordinaire qui travaille à la mairie et qui a choisi
de travailler avec les jeunes. [...] Il y a de la discrimination qui demeure et
si les enfants ne peuvent pas aller à l'école, ils ne pourront
pas trouver un bon travail. [...] Les familles Roms sont installées
à la marge des villes, en communautés. »
79
- « Est-ce que vous avez eu l'occasion de travailler
avec la fondation Kelsen de Baia Mare,
80
qui s'occupe de la réinsertion des Roms rentrant de
France ? »
Mh. - « Je ne connais pas cette organisation [
Kelsen] et je n'ai pas entendu parler des programmes qui t'intéressent.
[...] Au moment où ils passent une frontière
étrangère, ils voient ce qu'ils n'ont pas ici. Ils communiquent,
les Roms de la communauté. S'ils entendent que là-bas c'est bien,
ils s'y rendront puisqu'ils ne pensent pas que ça puisse être
mieux ici. [...] D'un autre coté, il y a des Roms qui sont professeurs,
docteurs, politiciens, journalistes, juristes, avocats, professeurs
d'Université. Il y en a qui travaillent en mairies, qui sont experts
locaux des Roms en préfecture. Nous parlons là d'une
catégorie de Rom, qui sont intégrés dans la
société, qui ont une petite affaire, qui ont de quoi vivre. [...]
Et puis il y a les Roms traditionnels et les Roms non-traditionnels. Moi je ne
suis pas une « pure », je ne porte pas de jupe, tu vois ?! Il y en a
qui restent traditionnels, qui gardent les métiers traditionnels. Ceux
qui vivent au village travaillent jour après jour pour gagner de quoi
vivre aujourd'hui, qui ne peuvent pas penser à demain et qui ne
créent pas de problèmes. [...]Il y a des cas où les gens
se sont bien intégrés en France, ou en Italie, ou ailleurs. C'est
vrai aussi qu'il y en a qui causent des problèmes et qui vivent
très bien sans faire d'efforts. Il y a des gens qui te disent que le
travail, ça ne leur plait pas. Mais on ne peut pas vivre comme
ça, même si ça ne te plait pas tu dois... Pour
résoudre le problème il faut commencer à penser à
une solution, mais personne ne le fait. Le problème est au niveau
national, central, au niveau du gouvernement. Le gouvernement roumain est
très fort pour les déclarations, mais en vrai il n'aide personne.
[...] »
« Qu'est-ce que vous en pensez du sommet de Cordoue ?
»
Mh. - « Ce ne sera que pour la presse. Nous, ici,
tous les jours, on fait des choses concrètes. [...] J'ai invité
une famille Rom, qui vit à quelques dizaines de kilomètres. Ils
n'ont pas de téléphone, alors si je les croise un jour, je leur
fixe un rendez-vous. Donc là je leur ai dit de venir. C'est une famille
de 8 enfants. Ils sont allés en France et ils sont revenus mais je ne
sais pas comment, c'est peut-être avec le programme qui
t'intéresse... Si tu veux tu me donnes des questions et je les pose pour
toi ? »
81
- « Oui, ça serait très gentil de votre
part. »
Lors du festival qui se déroulait deux semaines
après ma visite à Baia Mare, M. a rencontré la famille
dont elle m'avait parlé. Elle leur a posé ces quelques questions
que je lui avais transmises et m'a retourné les réponses par
e-mail. J'avais présenté ces questions comme des «
thématiques » sur lesquelles j'espérais que cette famille me
donne son point de vue. (Les questions et réponses sont traduites du
Roumain.)
Questions à la famille rom roumaine ayant
séjourné en France :
- « Pourquoi avez-vous quitté la Roumanie
?Pourquoi avez-vous choisi la France ? »
- « En Roumanie ils ne réussissent pas
à survivre avec 8 enfants, il n'y a pas de travail et pas assez d'argent
pour survivre. »
- « Comment c'était en France ? (l'endroit
où vous viviez, le travail, l'école, les problèmes, les
soutiens, les relations avec la police et la préfecture, les relations
avec la population...) »
- « Ils sont partis en France pour aider les enfants.
Là-bas il y a une plus grande chance de se débrouiller, l'argent
a une autre valeur. Il est mécanicien, il répare des voitures et
la paye est meilleure [en France] qu'en Roumanie. »
- « Pourquoi êtes-vous partis de France ? Dans
quel contexte êtes vous rentrés ? ( si vous étiez seuls/si
vous étiez avec l'OFII). »
- « [La famille] vivait dans une caravane de Rom, ce
n'était pas facile, il y avait une grande misère, sans eau,
etc... mais c'est mieux qu'en Roumanie. Il n'y avait pas de problème
avec les autorités, ils ont même reçu les allocations de
l'Etat français qui s'assurent de la survie des enfants quand on a pas
de travail. »
- « Quel est votre situation depuis que vous êtes
revenus en Roumanie ? »
- « Quand ils sont revenus de France, avec la famille
(frères, soeurs, parents) ils ont payé des dettes. Ils
connaissent l'OFII mais ça ne convient pas pour ceux qui veulent rester
en France, et pas en Roumanie. Ils aimeraient bien rester chez eux, en
Roumanie, mais ils n'ont pas de maison,
82
pas de travail, la famille s'appauvrit et ils n'y peuvent
rien. Leur seul espoir est de rester en France, pour l'avenir des enfants.
»
- « Voulez-vous rester en Roumanie ou voulez-vous
partir de nouveau ? Si vous voulez partir de nouveau, où ?
»
- « Ils ne veulent pas rester en Roumanie, parce
qu'ils n'ont aucune chance de survivre, s'ils ne réussissent pas en
France, ils sont décidés à partir dans un autre pays avec
les enfants, mais plus en Roumanie. »
Entretiens à la fondation Parada de Bucarest. Mercredi 10
mars 2010.
[Le président de la fondation à Bucarest m'avait
donné rendez-vous à 14 heures, m'expliquant qu'ils avaient une
réunion à 15 heures. Il est absent quand j'arrive dans les
bureaux de l'association, mais une stagiaire française (S.) et une
employée francophone (A.) ont été chargées de
m'accueillir et de répondre à mes questions, jusqu'à
l'arrivée du président. Un autre employé non francophone
était présent pendant notre entrevue.]
Entretiens avec S. et A.
Salle réunion, durée : une heure.
- « Est-ce que vous pourriez me parler de votre
travail dans l'association, pour commencer ? »
A. - « [...] Pour un petit il faut trouver la
famille, faire la médiation avec la famille, voir s'ils veulent
l'accepter, s'ils ne l'acceptent pas. Pour un grand il faut un boulot, faire
les papiers, faire la relation avec la police s'il y a des amendes. [...]
»
[Une personne suivie par Alina entre dans le bureau. La
conversation reprend spontanément sur les aides au retour en Roumanie.
]
A. - « C'est normal, là-bas, tu arrives
à survivre, ici tu n'as rien. Si en plus on te donne de l'argent pour le
voyage, c'est « oh, la France m'aime bien ! » »
S. - « Tu sais c'est pas forcement mieux
là-bas. Quand j'étais à Paris le
week-end dernier, j'ai voulu prendre des photos des Roms
que j'ai croisé dans la rue tellement... Enfin ils sont dans des
situations terribles. »
A. - « En tout cas donner de l'argent, ça ne
va pas apporter grand-chose. [...] Il faut donner du travail, mais pas
seulement du travail, quelque chose à faire, à construire
soi-même. On donne des aides, des aides, des aides, on parle, on parle,
ça ne sert à rien. Tu donnes des choses à faire, avec des
consignes précises. Sinon tu peux pas y arriver, c'est que du blabla. Il
y a des travaux de construction, de réhabilitation, parce que
écrire, c'est moyen. OK, apprendre à écrire et lire en
même temps qu'ils font ces travaux. [...] Vous vous donnez beaucoup
d'aides quand même. [...] »
S. - « [...] Je pense que passer par le travail c'est
une bonne solution. Les gens ça leur donne un but, une raison
d'être.[...] »
A. - « [...] Le père il doit développer
des activités, des petits jardins, pour avoir un peu d'argent et envoyer
les enfants à l'école. S'il envoie pas ses enfants à
l'école, il n'aura pas l'argent pour le jardin. »
S. - « Tu veux dire que les aides doivent être
conditionnelles ?! »
A. - « C'est ça. Parce que c'est facile de
demander. Moi aussi j'aimerais, tu vois, demander, rester à la maison et
tricoter. Mais il faut assumer des responsabilités. [...] Moi aussi je
veux bien faire des bébés et avoir des aides, mais moi j'ai
contribué pour avoir des aides. [...] Il faut s'adapter. Si tu
t'adaptes, si tu travailles bien, on peut être collègues. Mais si
tu travailles pas et qu'en plus tu fais des bêtises, non ! [...] Mais on
ne parle pas de nos enfants. On parle des personnes... pour qui c'est
difficile. Ils ont un autre style de vie. Ça c'est sûr. Ils ne
peuvent pas être comme nous. Maintenant il faut construire quelque chose
ensemble. Il y a des règles, c'est une société, c'est
comme ça, mais il faut s'adapter, sinon ciao. [...] Pour être
honnête en ce moment ça ne marche pas trop mais avant, quand on
devait aller voir les enfants, dans la rue, on avait avec nous, dans nos
équipes, un animateur socio-éducatif qui arrivait d'entre eux.
[...] »
83
S. - « Je suis assez d'accord avec ce point de vue. Si
tu dis qu'il faut des
84
associations que « Roms », comme ils arrivent
dans un autre pays dont ils ne connaissent rien, je ne suis pas sûre
qu'ils auront l'idée d'aller, par exemple, créer une association
ou un truc comme ça. Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'exemples de Roms
bien insérés en France. Ils n'ont pas les moyens et
l'énergie de monter une asso. [...] »
- « [...] Ici, il y a l'Agence Nationale pour les
Roms, il y a des choses concrètes qui sont faites et qui sont
dirigées vers les Roms ou vers une communauté, en particulier.
»
S. - « Oui mais parce que ici, les Roms ont un mode
de vie très très différent. En France on a pas de... Ce
qui pourrait s'apparenter en France, c'est les gens du voyage, par exemple.
Parce que la différence, plus que de l'ethnie, elle vient du mode de
vie. En France, il y a bien quand même, des actions spécifiques
pour les gens du voyage. Il y a des associations, des terrains
spécifiques pour eux. Il y a une telle différence de mode de vie
qu'il peut être en effet plus adapté d'avoir des actions
particulières. [...] L'Europe aimerait bien que les Roms restent en
Roumanie et se réinsèrent en Roumanie. L'argent il est pour
ça aussi. »
A. - « [...]Pour survivre, il faut assurer d'abord
à sa famille quelque chose à manger. Si on dit « tu
amènes tes enfants à l'école et nous on t'aide à
survivre », alors là oui... [...] Ils ne voient pas la
normalité comme nous on la voit : avoir une famille, avoir une maison.
[...] Ça existe la douche, ça existe le savon, c'est bon. Tu dois
être propre, tu vois ? Pour moi c'est le minimum si tu veux être
accepté. [...] »
- « [...]Qu'est-ce que vous avez pensé de la
visite de Pierre Lellouche ? »
S.- [Rires] « Il a dit qu'il allait visiter Parada,
et après il a dit qu'il venait pas, et après il a dit qu'il
venait, mais dans deux heures et en fait il n'est pas venu. Tous les
employés de Parada sont restés une heure et demi de plus à
l'asso. »
A.- « Sans être payé. »
S.- « C'est pas la bonne question. Une autre question.
»
- « Qu'est ce que vous attendez du prochain sommet
européen de Cordoue, en avril ? »
S.- « Moi, sur les répercussions, je ne sais
parce que je n'ai pas trop regardé. Au moins ça veut dire qu'ils
prennent en compte le fait que ce n'est pas le problème que de la
Roumanie et qu'ils prennent en compte que c'est un problème
européen. C'est des peuples qui bougent donc c'est des peuples qui sont
plus européens que d'un seul pays. »
A.- « Je ne sais pas, ça me donne l'impression
qu'on créé beaucoup de trucs sur un sujet qui... OK, c'est
important, c'est vital. En même temps, si on parle, on parle, on parle,
la pratique, elle est où, le concret ? C'est sympa, on se réunit
ici, on parle... »
[Une réunion va bientôt se tenir dans la salle
où nous nous trouvons, des employés commencent à
s'installer. Le directeur entre dans la salle et m'invite à le suivre
dans son bureau pour que nous discutions rapidement avant le début de la
réunion.]
Entretien avec I.J., Directeur de Parada : Dans son bureau,
durée : 10 minutes.
- « Est-ce que vous connaissez un petit peu les
programmes d'aide au retour mis en place par la France pour reconduire les
Roumains en Roumanie ? »
I.J. - « Oui mais de façon, disons
anecdotique, sans avoir approfondi la chose. On a rencontré le
secrétaire d'État Lellouche. Il devait venir ici à Parada,
finalement on l'a rencontré lors d'un diner à l'ambassade, aussi
bien lui que sa délégation. [...] Je crois savoir qu'il y a un
encouragement financier, autant pour soutenir un projet de vie, de retour, que
pour payer le retour. »
- « Voilà. Il y a une certaine somme pour le
voyage et une autre aide que l'on peut recevoir si l'on monte un projet de
réinsertion économique, et que le projet est accepté. Mais
le gouvernement roumain s'est engagé après la visite de Pierre
Lellouche à prendre en charge la réinsertion. »
85
I.J. - « Moi je suis, enfin disons pas pessimiste
mais je ne suis pas
extrêmement optimiste sur l'efficacité du
gouvernement Roumain. [...] C'est peu-être un problème
européen, si on veut, mais c'est un problème roumain aussi, au
moins tout autant. C'est vrai que la réinsertion ou l'insertion des Roms
qui sont partis doit se faire au niveau local et c'est là que le bas
blesse. [...] »
- « En parlant de « problème
européen », que pensez vous du sommet européen de Cordoue en
avril, ce qu'il pourrait ou devrait apporter ? »
I.J. - « Ça devrait apporter une meilleure
prise en compte, déjà, de la question, du problème, aussi
bien au niveau institutionnel, des États qu'au niveau des populations.
[...] Ce n'est pas que au niveau gouvernemental que le problème va se
résoudre. [...] Sur du concret il faut une vision d'ensemble. Il faut
avoir une stratégie, dégager des pistes. Il faut travailler aussi
au niveau local, au cas par cas. [...] Je pense que tout le monde devrait
être impliqué. Parada n'a pas une approche exclusive, sur une
communauté. [...] En Roumanie les Roms ont toujours eu un mode de vie
à part. Il y avait plusieurs types de communautés Roms, en
fonction de la manière dont ils gagnaient leur vie. Ils vivaient plus ou
moins de façon traditionnelle. Leurs débouchés
professionnels ont disparu parce que la société industrielle de
consommation a évolué de façon que l'artisanat n'a plus
cours. Voilà. Il faudra aussi que eux-mêmes ils s'adaptent, qu'ils
adaptent leur mode de vie. C'est une adaptation continue et réciproque
qu'il faut mais il faudrait se connaître mieux déjà.
»
Entretien avec D.O.Z., sociologue à l'Agentia Nationala
pentru Romi. Bureau de D.O.Z, Bucarest, le jeudi 11/03/2010, durée : une
heure et demi.
[Cet entretien d'une heure et demi, en anglais, n'a
malheureusement pas pu être enregistré, pour des raisons
techniques. Je tâcherai ici de présenter un résumé
aussi fidèle que possible des opinions exprimées par D.O.Z.
Lorsque des mots ou expressions sont présentés ici entre
guillemets, il s'agit des termes exacts employés par D.O.Z., traduits en
français. Ces déclarations ne reflètent pas les positions
officielles de l'Agence, mais bien le point de vue de l'interviewé.]
86
Au début de la conversation, D. O. m'a expliqué
que, dans le domaine de l'intégration des
87
Roms, deux théories dominent : « the social
inclusion theory (SIT) » et « the racial discrimination theory (RDT)
». Il présente ces théories dans l'article : « Another
decade, another inclusion... (A few words on the decade of Roma's inclusion; a
personal perspective from Rumania) »189, présenté
en introduction.
D.O.Z. considère que le sommet européen de
Cordoue n'aboutira à rien. Il ne croit pas en l'efficacité des
accords internationaux ou bilatéraux, puisqu'aucun engagement
précis n'y est pris par les parties. Il pense que les « actions
concrètes efficaces » ne peuvent être mises en place qu'au
niveau local et national.
Pour D.O.Z., Pierre Lellouche a joué les naïfs
lors de sa visite à Bucarest, en prétendant que la misère
est le principal facteur de cette migration. Selon lui, ce sont les Roms plus
compétitifs et
les plus aisés qui partent. Les moins compétitifs
n'ont pas de quoi survivre en Roumanie, ils n'ont
donc pas les moyens d'émigrer. De plus, bien que leur
condition ne soit pas visiblement meilleure en France, les migrants sont
prêts à accepter cette situation car elle n'est que temporaire.
Les
migrants passent trois mois en France puis rentrent au pays
avec les bénéfices que la « mendicité en
euros » rapporte. « Ils construisent une autre tour
au château puis repartent. » D.O.Z. définit la migration des
Roms de « pendulaire » et ajoute que l'OFII travaille à
faciliter cette migration
« pendulaire » en donnant aux personnes assez
d'argent pour revenir. De plus, lorsque les migrants
expliquent qu'ils ont quitté leur pays à cause
de la misère, il est concrètement impossible de vérifier
ce fait. Cette « histoire » s'avère donc « parfaite
» pour les migrants comme pour les autorités
locales qui feignent de la croire. Si Pierre Lellouche feint
de croire à cette « histoire », c'est pour plaire à son
électorat qui souhaite entendre parler d'expulsions. En tant que
secrétaire d'État aux Affaires européennes, P. Lellouche a
besoin de trouver des Européens expulsables. Le secrétaire d'Etat
Roumain aux affaires étrangères, a confié à D.O.Z.
que Pierre Lellouche était très insistant, voir en colère
pendant les rencontres.
Le gouvernement roumain a donc accepté de signer mais
ne changera rien. D.O.Z. considère que le lien effectué entre
« retours humanitaires » et « criminalité »,
dénote d'un procédé couramment employé par les
politiciens : « criminaliser toute une population à cause du
comportement d'une partie de ses membres ». En effet, selon lui, les Roms
sont peu nombreux dans les domaines de la prostitution, du trafic d'êtres
humains, ou du grand banditisme. Les Roms seraient essentiellement coupables de
petits délits. D.O.Z. explique que les Européens de l'ouest sont
choqués par la mendicité des Roms car ils sont habitués
aux jeunes hommes avec une guitare et un chien, mais pas aux femmes et
enfants.
189Oprescu Zenda Dan, « Another decade, another inclusion...
(A few words on the decade of Roma's inclusion; a personal perspective from
Rumania) », Studia Univertatis Barbes-Bolyai, Bucarest, 2007, p.
79-90.
88
D.O.Z. pense que le concept d'ethnie sert surtout les
politiciens et justifie les politiques, qu'elles soient en faveur ou à
l'encontre des communautés. L'importance d'un parti représentant
une communauté dépend de l'importance de cette communauté.
Mais une ethnie n'est pas figée. En Roumanie, à chaque
recensement, la population déclare de quelle ethnie elle fait partie.
Selon les périodes et les courants de l'opinion publique, être Rom
est plus ou moins « fashionable ». Ainsi, les statistiques de
population peuvent varier de manières très significatives d'un
recensement à l'autre. Il insiste également sur le rôle des
médias dans la construction du désir d'appartenir à une
communauté.
Entretien avec N., Romani Criss :
Dans les bureaux de Romani Criss, Bucarest, le vendredi 12/03/10,
durée : une heure.
- « Vous avez entendu parler de la visite de Pierre
Lellouche... »
- « Ah bien sûr. On a protesté contre
cette visite et contre la conférence de presse qui a eu lieu
après cette visite, parce que le premier ministre roumain et aussi le
ministre des affaires étrangères, ils ont souligné
l'identité ethnique en connexion avec la criminalité. [...] En
2009 nos collègues de France, ils sont venus ici pour documenter les
projets de réinsertion financés par l'ANAEM. Premièrement,
le programme de l'ANAEM, il n'est pas efficace, deuxièmement, les Roms
sont les seuls pour lesquels ils font le rapatriement en groupe. Les autres
nations ou les autres peuples, ça se fait en demande individuelle. [...]
L'implication de la Croix Rouge aussi c'est questionnable. C'est la Croix Rouge
qui fait la logistique de ça, et ça, c'est pas humanitaire du
tout. C'est plus politique. [...] »
- « Est-ce que vous avez eu l'occasion dans vos
études de rencontrer un bénéficiaire de l'aide à la
réinsertion ? »
- « Moi personnellement pas, mais un de mes
collègues, qui était dans l'équipe
précédente avec les français, ils ont rencontré
à Timisoara une famille qui a eu cette aide, mais en même temps
c'est pas efficace. Ils ont eu des animaux, pour les faire grandir, ils ont
acheté les animaux mais après ils ont mangé les animaux
parce qu'ils n'ont pas eu d'argent pour les soutenir. [...] C'est mieux
d'utiliser cet argent en France et d'avoir des projets d'intégration
sociale pour les Roms, que de les renvoyer comme ça.
89
De toute façon, il y en a beaucoup qui sont partis
et retournés en France. [...]Si tu ne peux pas contrôler,
arrête toi de rapatrier comme ça. [...] Je crois que les
États-Nations maintenant ils veulent contrôler tout. La question
Rom c'est quelque chose qui rend hystérique et qui donne plus d'eau
à leurs moulins nationalistes. »
- « Maintenant, à la suite de la visite de
Pierre Lellouche, le gouvernement Roumain est sensé prendre en charge la
réinsertion des Roms Roumains en Roumanie. »
N. - « [...] Il y a eu en 1993 un programme comme
ça. C'était en partenariat avec l'Allemagne. [...] Ils avaient
fait des centres de conversions professionnelles, mais... Pas trop de
rendement. »
- « Donc, vous n'êtes pas très optimiste
concernant l'implication du gouvernement roumain. »
N. - « C'est de la politique, tu sais. Ils disent des
choses qu'on attend toujours. »
- « Oui. Et qu'est-ce que vous pensez du sommet
européen de Cordoue ? »
N. - [Éclats de rire.] « Non pas cette
question! Je serai là-bas et... [Soupirs.] [...] Mais bon, c'est bien
qu'il y ait plusieurs États qui aillent là-bas et que les
associations Roms aient la possibilité de protester contre plusieurs
questions [...] qui se posent dans plusieurs États membres de l'Union
européenne. [...] »
- « Est-ce que vous pensez que les problèmes
de discrimination doivent être réglés au niveau local,
national, international ? Comment vous voyez ce... »
N. - « ...En Europe de l'Ouest, les militants des
Droits de l'Homme, pas seulement des Roms, sont beaucoup centrés sur la
responsabilité des autorités civiles en ce qui concerne les
violations des Droits de l'Homme. [...] Ça c'est bien, mais d'un autre
coté, les activistes de l'ouest ils ne sont pas assez connectés
aux expériences des autres pays. [...] De l'autre coté tu as
l'Europe de l'est qui n'a pas des institutions assez fortes. Il y a des lois
anti-discrimination, mais les autorités locales n'ont pas de
responsabilité.
90
Ils font ce qu'ils font, ce qu'ils veulent. Il n'y a pas
de mécanisme qui nous permette d'influencer la politique locale. Par
exemple en Roumanie, le baron local c'est le maire qui occupe tout l'espace et
tu ne peux pas faire beaucoup contre lui. [...] »
- « En terme de militantisme, pour changer le type de
discours qui lie retours et criminalité, est-ce que vous pensez qu'il
faut agir sur les représentations qui généralisent ou
qu'il faut agir sur les comportements qui justifient ce type de discours ?
»
N. - « [...] Je crois que nous, les Roms qui sont
éduqués, c'est à nous de nous multiplier. Assumer notre
identité, d'une, et que les gens qui sont comme nous, fassent pression
au niveau local et au niveau national, qu'ils soient porteurs d'une parole et
que les majorités les voient comme des exemples que leurs perceptions
sont mauvaises. [...] Mais j'espère que les associations de
français elles vont les aider les migrants roms à se mobiliser...
mais j'ai des débats avec les associations françaises et
ça c'est bien. »
Entretien avec E., ancienne employée de Parudimos :
Dans un café de Timisoara, le jeudi 25/03/2010,
durée : une heure.
E. - « [...]J'ai fait un voyage avec l'ANAEM.
C'était intéressant ce voyage. J'ai travaillé avec une
association qui s'appelle « Jeunes Errants » et on avait
travaillé avec un groupe de migrants qui vivait sur un campement. Ce
groupe là, un jour, il devait partir, revenir en Roumanie avec, tu sais
le dispositif de l'ANAEM où les Roms ils étaient payés
pour revenir en Roumanie. [...] Moi aussi j'étais très curieuse
de savoir comment ça se passait, mais c'était intéressant.
Ils étaient sages tous. Bon, « sages », ils ne peuvent pas
être très « sages », mais bon... Il n'y avait pas de
problèmes avec eux. [...] Ils étaient volontaires, tous.
»
- « Oui ? Ils avaient fait la démarche...
»
E. - « C'est parce que la mairie, les flics, la
gendarmerie, la Croix Rouge et l'ANAEM ils sont venus sur le campement les
expulser avec le... le papier officiel. Ils disaient le prix et « si vous
voulez partir, rentrer pour trois
mois... vous voulez ou non ? » [...] Après
cette journée, je pense qu'il s'est passé une semaine,
peut-être, je ne me souviens plus. [...] C'était mieux pour eux,
non ? [...] Ils pouvaient rentrer avec l'argent, parce qu'avant ils
étaient sur un campement. [...] Mais les Roms, là chez vous ils
se sentent mieux parce que vous pensez différemment. Vous êtes
plus civilisés que nous. [Rires] Donc, ils se sentent plus libres. [...]
»
- « Qu'est-ce que vous pensez de l'implication de la
Croix Rouge ? »
E. - « Ils étaient très bien. Les gars
ils étaient bien, ils étaient sympas. Les gens ils faisaient des
soucis, ils avaient que des problèmes : « j'ai faim... », tout
ça ! « Et je vais aller faire pipi » et je ne sais pas quoi.
Mais les gars ils étaient très bien. Ils avaient de la patience,
oui ça va, c'était bien. [...] »
- « D'accord... Est-ce que vous avez eu l'occasion de
suivre comment se passe les programmes de réinsertion et le suivi
social, après le retour en Roumanie ? »
E. - « C'était L. qui s'occupait de ça.
[...] Il y avait une autre association, à Cluj, qui faisait exactement
le plan de faisabilité et nous c'était la partie où on
aidait les Roms à faire un projet. [...] »
- « Oui... Et est-ce que vous savez quels
étaient les critères de faisabilité ou de sélection
des projets ? »
E. - « Je vais donner un exemple pour que tu
comprennes. Quelqu'un voulait faire un petit magasin, OK mais si cette personne
n'est allé que trois ans à l'école, elle n'est pas capable
de gérer un petit business. [...]Si tu vis dans un village, qu'est-ce
que tu peux faire ? Il y avait des gens qui avaient choisi de faire des petites
fermes, d'élever des animaux, mais il y avait un problème. Ils
avaient acheté les vaches, les moutons, les chèvres, mais
après il y a eu une maladie et il y a plein d'animaux qui sont morts.
C'était très difficile de faire quelque chose avec les sous de
l'ANAEM, très difficile. [...] »
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- « Est-ce que dans le travail que vous faisiez, vous
travailliez avec Generatie Tanara ? »
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E. - « Ok. Je ne peux pas te dire grand chose parce
que ils étaient insignifiants Generatie Tanara. Je ne sais pas ce qu'ils
faisaient. Je sais que P. elle avait essayé de parler avec eux, mais
elle n'a pas pu. Ils n'étaient pas très ouverts. Et puis si tu es
étudiante... Si tu as un badge, tu viens de GITSI, oui ça va,
mais sinon... [...] J'étais une fois avec L. dans la communauté,
pour voir comment ça se passe. Ils étaient très,
très fâchés parce que l'ANAEM ils n'étaient pas
accessibles pour eux. Il n'y avait personne qui pouvait les aider,
l'association de Baia Mare non plus, l'association de Cluj non plus. Nous on
était les seuls qui parlaient avec eux, qui voulaient les aider, mais
pas avec beaucoup de résultat. Après ils sont rentrés en
France, pas tous mais plein. [...] »
- « Vous avez entendu parler de la visite de Pierre
Lellouche ? Qu'est-ce que vous pensez que ça va changer dans la
manière dont les programmes de réinsertion sont mis en place ?
»
E. - « Franchement, pas grand chose. [...] À
mon avis, franchement, je pense que cette visite c'était... Enfin il y a
plein de visites de ce genre qui sont très bien... devant la presse et
c'est tout. [...] J'ai travaillé au Conseil de l'Europe pendant une
petite période, et j'ai vu que au niveau européen il ne se passe
pas grand chose. »
- « Et le sommet européen de Cordoue qui va se
tenir en avril... »
E. - « [...] Ils vont parler Audrey. Ils vont signer
des partenariats, ils vont savoir que telle partie a eu un entretien, ils vont
montrer le désir d'aider la société civile... C'est tout.
[...] Bon c'est vrai que c'est très important que au niveau de l'Europe
il y ait des mouvements, des impulsions. C'est très important ça,
pour l'image, pour essayer de changer la vie des gens. [...] Ils ne vont pas
dans les pays européens voir ce qui se passe, vraiment. [...]Je te dis
ça pour te faire comprendre qu'on avait tous le désir de
s'impliquer dans ce travail, mais je suis partie parce que j'étais
fatiguée de me battre avec des moulins à vent. C'était
très difficile. »
- « C'était quoi les problèmes que vous
rencontriez, les barrières ? »
E. - « L'autorité locale, elle a le pouvoir.
[...] Ici à Timisoara, la préfecture
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il y a un bureau de parlementaires. Ils ne font rien.
[...] Et comme tu as vu déjà si tu es allé à Romani
Criss, il y a d'autres Gitans qui sont super bien, super éduqués,
plus que moi, beaucoup plus que moi. Je suis fière d'eux, de chacun. Ils
ont cassé la tradition. »
Entretien avec M.P., directrice de Generatie Tanara :
Bureau de M.P., Timisoara le vendredi 26/03/2010, durée :
une heure.
[Cet entretien s'est déroulé dans le bureau de
M., qui a choisi de garder la porte ouverte. Avant le début de notre
entretien, je demande à M. si ça la dérange que
j'enregistre notre conversation, en lui expliquant que c'est plus facile pour
moi si je n'ai pas besoin de prendre des notes. M. me répond qu'elle ne
pense pas que ce soit plus facile pour la conversation. Je lui propose alors de
ne pas enregistrer la conversation, mais elle refuse.]
- « Comment avez-vous commencé à
collaborer avec l'OFII ? »
M.P. - « On a commencé à collaborer
avec l'ANAEM, parce que je suis correspondante du Service Social International
et le SSI français était incorporé à l'ANAEM. [...]
Nous sommes spécialisés pour travailler avec les mineurs non
accompagnés et pour les familles en besoin. [...] Notre collaboration
c'est les mineurs et les personnes qui veulent se rapatrier, nous faisons un
programme social pour eux. Nous cherchons à aider ces personnes en
Roumanie, avec la scolarisation, avec la réinsertion familiale, avec le
logement, quand les mineurs ne peuvent pas rentrer dans leur famille d'origine.
C'est préparer un programme de réinsertion pour la personne.
»
- « D'accord. Il y a des critères à
respecter pour les programmes... ? »
M.P. - « C'était dans une convention qu'il
nous faut respecter. Les conventions sont confidentielles, parce que nous
travaillons pour les personnes, non ? Nous sommes opérateurs d'aide
à la personne, comme ça tout est fait en confidentialité,
pour pas déranger l'identité de la personne, pour ne pas
déranger la route de la personne qui a besoin de rentrer dans une vie
normale. [...] Elle a été rédigée en collaboration
avec la Suisse, avec le secrétariat général en Suisse.
[...] »
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- « Quels types de projets vous... »
M.P. - « ... Quel types de projets ? [Sur un ton
irrité]. Les projets pour les mineurs et pour les familles en situation
de risque. Je l'ai dit au premier moment. »
- « Oui, oui. Mais je voulais vous parler des projets
de réinsertion économiques soutenus par l'ANAEM, qui doivent
aider les personnes à se... »
M.P. - « ... Ok, mais je suis une association qui
aide les personnes avec une petite aide de la part de l'ANAEM, parce que je
suis en contact avec les personnes pour deux, trois, quatre, cinq années
après que je prends en charge une personne. [...] C'est pas quelque
chose qu'on a comme ça. [En claquant des doigts.] »
- « Sur toutes ces personnes que vous avez
aidées, qui revenaient de France, est-ce qu'il y en a beaucoup qui sont
reparties, en France ? »
M.P. -[Long silence.] « Je peux dire que les
personnes qui arrivent et qui sont repérées chez nous, ils ne
repartent pas parce que nous sommes très attentifs avec le programme
médical, avec le programme de scolarisation, avec le programme social de
réinsertion, avec le programme culturel que nous pouvons faire... de
septembre 2000 à aujourd'hui je pense qu'il y a les trois-quarts qui
sont repartis. [...] Quand je peux aider une personne à rentrer dans son
pays d'origine, et avoir un parcours de vie très normal dans son pays
d'origine... c'est déjà quelque chose d'exceptionnel pour la
Roumanie, parce que je suis ONG, je suis une association non-gouvernementale.
[...] [Les migrants], ils ne sont pas toujours tous sérieux, dommage. Il
faut un projet pour avoir une motivation. [...] »
- « Les migrants qui reviennent de France, que vous
aidez, comment est-ce que vous avez leurs contacts ? Est-ce que c'est l'OFII
qui vous donne une liste de nom, est-ce que c'est ces personnes qui viennent
jusqu'à vous ? »
M.P. - « Heu...[Soupir]. Nous nous chargeons de faire
les recherches dans les communautés, nous sommes en contact avec le
maire, nous avons une
convention avec la ville de Timisoara et nous parlons avec
les autorités locales et les autorités locales nous disent qu'il
y a telle situation, et après je cherche à l'ANAEM et je discute
avec eux de la possibilité de faire un projet. Nous allons voir les
autorités locales et ensuite les familles, parce que les
autorités locales aussi peuvent avoir leur vision et leur
intérêt. Nous rencontrons les familles après avoir une
très bonne connaissance de leur situation. [...] De nombreuses fois nous
avons été en mesure de faire un projet pour les personnes en tant
que association. Je peux te prouver que nous avons envoyé les cadeaux,
les boites avec les vêtements et les différentes choses
nécessaires pour les personnes. »
- « Est-ce que vu avez eu l'occasion de travailler
avec Parudimos lorsqu'ils travaillaient sur des études de
faisabilité de projets pour le programme de l'ANAEM ? »
M.P. - « Regarde, les associations de... les
associations qui s'occupent de personnes Roms sont des associations avec
lesquelles les Roms ne sont pas toujours intéressés de
collaborer. [...] Il y a les Roms qui sont très riches et les Roms qui
sont pauvres et pour les Roms pauvres, je préfère ne pas
délimiter. Quand on parle des Droits de l'Homme, peu importe qu'il soit
Rom, qu'il soit Roumain, qu'il soit Juif ou Allemand, l'homme est Homme. On
fait des programmes pour lesquels on a pas besoin de découper. Regarde
le droit d'exister, c'est pour tout le monde. Sinon, quand on commence à
penser comme ça, on finit avec le trafic de femmes, avec le trafic
d'enfants, avec des hommes qui sont obligés à mendier, avec des
femmes qui sont obligées à mendier, et spécialement les
enfants qui sont envoyés dans beaucoup beaucoup d'affaires. Nous vivons
dans un monde aujourd'hui détruit, sans valeurs morales, la famille est
déjà une institution périmée et nous avons besoin
de retourner à des valeurs morales saines, et donc de famille. La
famille doit avoir sa place dans un échafaudage constructif
d'État. Non ? La famille est la base d'un État sanatos. Non ?...
Adeverat ? »
- « ...Et bien... »
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M.P. - « Adeverat sau nu ? »
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- « Da... inteleg ce... »
M.P. - « Alors, une question ? »
- « Vous devez savoir que Pierre Lellouche, le
secrétaire d'État français aux affaires européennes
est venu à Bucarest le mois dernier... »
M.P. - « En Roumanie ? » - « En Roumanie.
»
M.P. - « Je peux avoir les accords ? Tu as les
accords ? [...] Tu n'es pas habituée à la déclaration
politique ? C'était un engagement de principe parce que le gouvernement
roumain, il n'est pas capable de payer les pensions pour les retraités
et il va payer la réinsertion ? [...] Mais tu parles anglais ? [...] I
think that all the collaboration with ANAEM, and now with OFII is very good and
very serious. It didn't change anything when it changed from ANAEM to OFII. I
work for ten years with them and I can't say it changed. I think the people are
very motivated and serious. »
Entretien avec D., ancien employé de Parudimos :
Dans un café de Timisoara, le samedi 27/03/2010,
durée : une heure et demi.
[La conversation commence dans la rue, alors que nous nous
dirigeons vers un café. D. m'explique que le premier problème
qu'il a pu constater à propos des programmes de réinsertion
économique, est que les personnes reconduites n'avaient pas
été informées du fait qu'il fallait monter un projet pour
recevoir les aides à la réinsertion.]
- «The second problem was the fact that they
contracted an NGO in Baia Mare to do the social reintegration of the people in
Timisoara and Timis county. They don't know anything about Timis county, about
the local communities and how we run things here. Also, the romanian NGOs, they
don't know anything about Roma. When they found out about us, they came to us
and proposed us to subcontract the social reintegration. [...]I found out that
for all the people that were sent back the year before, only 10 or 15 actually
got the money. [...] We had sent the business plan to be checked and they told
us : « it's missing this, it's missing that». The French
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ambassador came to visit the local authorities with the
ANAEM [...] With two friends we had invited someone from TV5 International.
[...] They didn't give money, but they gave pigs and cows and sheep... They
gave the food for the animals but there was a problem. They gave animals to
people who didn't have a land to raise them up. [...] ANAEM had given the
animals and put the people to sign contracts in which they say that they will
not cut any animal, they will develop the business. Now the problem that came
out was that people have very large families and they need something to eat,
they don't have a business or a job... [...] Our colleague told them :
«call the veterinarian from the village and tell him that the pig is
dieing, he will cut it and when the guy comes there, it will be already cut and
that's all». [...]To my point of view, the program for Romania was a big
waste of money. [...] A lot of people come home, in order to see the family.
They get some money and they go back. 80 % of them went back to France, they
are still in France right now. [...] I was very surprised when I went to the
local authorities and talked about the program, nobody knew anything about it.
It was a program done by one side, to have effect on two sides. Many people
were very surprised when they found out that there is no Roma involved in the
program. I didn't think they would come and pick up all Roma NGO or only Roma
NGO but they could pick a person, a Roma guy or a Roma person who knows the
communities, who knows the region. [...] Maybe if they re-discuss the program
and they put on the table all the factors, all the institutions involved in
that... it will be better. Right now, it's just a joke. The French government
try to show to the French population that : «we send them back».
[...] The problem is that those settlement are like small communities, they
know each other, they know where to go. If you don't try to work with them over
there, to send them back is... they are not more a Romanian problem that a
French problem... they are for two weeks, after two weeks they are again a
French problem. [...]»
- «Did anybody tell you what were the criteria to
validate a plan ?»
D. - «No, no. No criteria. I asked : «what are
the rules ? You have some guild line or some specific criteria to be used when
you right down the
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business plans ? - No, no.» Any, they don't have any
rules, nothing. [...]» - «What do you think is the main reason that
make people want to leave ?»
D. - «If you don't have enough to live and you
starve, what do you do ? And if you know that a friend of you lives pretty well
abroad, you'll go abroad. [...] I've seen families who are living in... I don't
know how to call them... places to live in, because those are not houses. They
make a hole in the ground and they put something like a cover and they live
like that. I was in communities where the people don't have enough to eat, and
if you live in a small village, where there is no big places or no big cities
around where they can go beg to bring money to buy food. [...] Because first of
all, most of them didn't go to school, don't have a job and a lot of them don't
have papers, ID papers. [...]»
- «Have you heard of Pierre Lellouche's visit in Romania
?»
D. - «Dear, it's not going to change anything. For
example, the Romanian government and the ANR have a program in which they give
scholarships. The program started two years ago. I know people who are working
on that project and they are not payed for six months, for the work they are
doing. They don't get their salary, and they work ! Do you thing they are going
to pay for Roma social reinsertion ??»
Entretien avec G. Directrice de l'Association de soutien aux
familles Roms de Palaiseau et J.P. Membre de l'association :
Domicile de G. Mardi 13/04/10, durée : une heure.
J.P. - « Donc tu reviens de Roumanie, c'est ça
? Nous on ne sait même pas des fois sur le terrain, des Roms, des
Roumains, il y en a qui se prétendent Roumains, Roms... Comment ils le
voient, eux, il y a quelque chose qui... à part être moins bien
habillé ? Et encore... Sur le moment on croit que Rom/ Roumain, c'est
pas important. »
G. - « On se dit qu'ils vont être contents de
venir traduire pour les autres. Et puis il n'en est pas question.
»
J.P. - « Sinon, nous notre problème c'est pour
communiquer. Il y a une fille d'un autre association qui parle bien le Roumain
mais bon... Encore une fois, le problème qu'on rencontre pour les aider
dans leur quotidien, pour les aider plus loin, c'est que tous les partenaires
qui travaillent autour des Roms ont des grosses différences d'objectifs.
C'est contre productif arrivé à un moment. On en parlait encore
hier entre nous : il y a deux solutions. Ils s'installent ici et on les laisse
vivre comme ils sont là-bas. Sauf que ça on ne peut pas le faire.
[...] On s'est retrouvé à Massy avec un campement
ingérable. 300 personnes, c'est pas possible. Ça va tant qu'ils
sont en petits groupes. [...] Il y a 90 % qui respectent les règles et
il y a 10 % qui... Et même ici, le problème c'est qu'on ne voit
que les 10 %, dans tous les cas. [...] Nous on s'oriente plus vers des
modèles qui ont été faits en Seine-Saint-Denis, des
villages d'insertion. Le problème de ces villages c'est qu'il y a un
gardiennage. Le principal problème c'est que comme ils vivent en
famille, ils sont suivis. Ils sont suivis par différents partenaires
pour la scolarisation, pour travailler, pour tout ça. Ils ont au
départ des caravanes et après des bungalows. Sauf qu'ils ne
peuvent pas faire venir la famille dedans, enfin pas toute la famille. Donc ils
doivent se voir à l'extérieur. C'est ça qui pose un
problème aux autres associations parce qu'ils considèrent que
c'est un camp d'internement, les grands mots et tout. Sauf que nous on voit une
situation zéro, et là on voit une situation qui est mieux que
zéro. [...] Le problème qu'on rencontre, c'est un petit peu comme
en politique, il y a des partis extrêmes qui sont contre tout, mais qui
n'arriveront jamais au pouvoir, parce qu'ils n'ont aucune solution. Ils tapent
tout le temps. Et puis il y a ceux qui essayent de faire quelque chose.
Forcément c'est une négociation. On a gagné des points
avec le Maire de Massy, on essaye de s'en servir pour la prochaine fois. On va
essayer d'avoir une réunion avec le Préfet. Il faut
négocier, mais dans tous les cas on ne peut pas donner toutes les
libertés. Ceux qui disent ça, s'ils étaient vraiment dans
cette situation, ils reviendraient en arrière. Ils disent qu'il faut
laisser faire les Roms, mais s'ils habitaient à côté, ils
n'auraient peut-être pas le même avis, le même état
d'esprit. [...] »
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- « Les familles que vous suivez ici, elles sont ici
depuis longtemps ? »
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G. - « La famille à F., ça fait huit
ans qu'elle fait l'aller-retour. Elle est là, avec son mari, et puis ils
s'en vont. On ne les voit plus. Et puis elle revient avec sa fille et ses
petits enfants. Là ça fait depuis le mois de décembre
qu'elle est venue avec sa fille et ses petits enfants. Là ils vont
partir au mois de mai. Là ils ne nous sollicitent que pour les aider
à partir. La fille et les petits enfants ils vont rentrer avec l'OFII,
mais elle et son mari ils sont déjà partis, ils n'ont plus le
droit. On lui dit : si tu viens, fais ta vie mais n'amène pas tous tes
enfants à chaque fois avec toi. Tu fais ce que tu veux mais nous on ne
peut pas prendre en charge ce va-et-vient, cette vie que tu as, de voyage. Si
tu as un projet, tu nous dis, on t'aide à le mener, mais elle s'en va
quelques mois, elle revient. Ça fait huit ans qu'elle fait ça.
Elle va, elle vient, elle va, elle vient. Il y a des gens comme ça,
comme le monsieur qui boite. Il est parti. Il est arrivé en 2006, ils
ont été expulsés. Il est parti, il est revenu et là
il est reparti de nouveau... Ils vont revenir. Ils se font expulser tout le
temps.
- « Je crois savoir que vous avez été
témoin de ce qui s'est passé après l'incendie du camp de
Massy ? »
G. - « [...] Il y a eu un véritable accueil de
la population. La Croix Rouge a fait un travail extraordinaire. Ils ont
apporté les lits, les duvets. Ensuite le deuxième jour, l'OFII se
présente, demandant qui voulait partir. Tu parles, je savais qu'il y
avait énormément de gens qui voulaient partir parce que je
faisais des attestations pour l'OFII, disant que je connais les gens depuis
plus de trois mois. Je voyais tout ce monde qui était là et
même des gens qui étaient là depuis moins de trois mois.
Ils me disaient : « tu vois G. on part. » Ils étaient contents
de partir. Et il y en avait d'autres qui ne voulaient pas partir. Il y avait
plein de monde. Le troisième jour, le matin, ces mêmes personnes
qui disaient qu'elles ne voulaient pas partir, par le fait que le frère,
la mère partait... Il y a eu un phénomène d'attirance et
tout le monde s'est inscrit. À part... une quinzaine de personnes...
»
J.P. - « ... Et encore, parce qu'ils ont loupé
leur avion. »
G. - « C'est pour te dire ce qui est étonnant,
c'est qu'en l'espace de trois
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jours on a pu libérer deux avions. On a pu
organiser les départs vers l'ambassade pour ceux qui n'avaient pas de
papiers. Deux cars ont été mis en place. Deux avions qui
repartent en Roumanie, en l'espace de trois jours. Et quand tu demandes au
Ministère d'installer des cabanes conséquentes ou quand tu
demandes d'assainir un passage, tu n'as rien. [...] Il y a eu le fait que les
associations, même Romeurope, elles ont dit qu'il y a eu enfermement dans
le gymnase. Il n'y a pas eu d'enfermement. Il y a eu, le troisième jour
la police qui empêchait les gens d'aller et de venir. Alors, ça
c'est peut-être pénible parce que ça pouvait donner
l'impression qu'ils enfermaient les gens. Ils mettaient en avant le fait que
pendant qu'ils faisaient les dossiers, ils ne voulaient pas qu'il y ait d'appel
d'air. Pour que d'autres personnes qui viennent de l'extérieur ne
puissent pas entrer et faire des demandes. C'était peut-être dans
un raisonnement logique mais pour nous ça a été dur.
Même si les associations pouvaient aller et entrer. [...] C'est le
troisième jour que l'OFII a mis le paquet pour faire les papiers et que
la police a... si vous voulez ils filtraient s'il y avait quelqu'un qui voulait
fumer, il fallait qu'il sorte avec nous. On a ressenti une sensation
d'enfermement le troisième jour. Mais il n'y a pas eu d'enfermement dans
le gymnase, il y a eu un accueil. »
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Annexe 2 : ARV, ARH 2006
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Annexe 3 : ARV, ARH 2007.
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Annexe 4 : ARV, ARH 2008.
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Résumé
Depuis 2007, les ressortissants roumains présents sur
le territoire français peuvent être reconduits en Roumanie par
l'OFII, au moyen d'aides au retour humanitaire. Les Roumains
bénéficiaires de ces aides au retour sont « quasi
exclusivement » des Roms.
Dans ce contexte, ce travail étudie les
stratégies mises en place par les différents acteurs de cette
migration. Les aides au retour humanitaire, élaborées par les
pouvoirs publics, manquent de cohérence, car elles ne prennent pas en
compte les stratégies migratoires des migrants. Les Roms roumains
bénéficiaires d'aides au retour, utilisent l'argent qui leur ait
versé, pour amplifier leur circulation migratoire. Ce
phénomène migratoire est peu connu et mal compris par les
pouvoirs publics et le milieu associatif.
Tous les acteurs ont des conceptions différentes de
leur pratiques, ainsi que des stratégies conçues par les autres
intervenants de cette migration de « retour ». Ce sont,
également, ces conceptions que ce travail tente d'étudier, au
travers des entretiens réalisés avec douze acteurs du milieu
associatif.
Mots clefs :
Retour, circulation migratoire, politique migratoire, aide au
retour, action sociale et humanitaire.
Summary
Since 2007, Romanian citizens can be escorted back from
France, to Romania, by the French Office for Immigration and Integration, by
means of humanitarian repatriation grants. Romanians benefiting of those
repatriation grants are «almost only» Roma.
In this context, this paper studies the strategies set up by
the different actors of this migration. The humanitarian repatriation grants
elaborated by the authorities are inconsistent, because they do not take into
account the migratory strategies of the migrants. The Romanian Roma benefiting
of repatriation grants use the money they receive to intensify their migratory
circulation. This migratory phenomenon is not well known and misunderstood by
the authorities and the NGO.
All the actors have different conceptions of their own
practice, as well as the strategies conceived by the other participants of the
returning home migration. This paper attempts to study those different
conceptions, thanks to twelve interviews of NGO workers.
Key words :
Return, migratory circulation, migratory policies,
repatriation grants, social and humanitarian action.
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