2. Méfiance envers l'idée d'une
vérité a priori de la praxéologie
On peut imaginer que soit apportée un jour une
meilleure interprétation de l'analyticité pour soutenir le
caractère analytique de la praxéologie, i.e. son caractère
de vérité due aux significations des termes. Mais on peut douter
que la praxéologie soit de toute façon analytique.
A. Une hypothèse alternative pour fonder la
vérité a priori
Nous avons vu qu'identifier avec une activité de
décomposition conceptuelle le raisonnement déductif de la
praxéologie apportait une
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confusion infondée. Il n'y a plus lieu de tenter de
défendre cette thèse. Nous pouvons sereinement prendre la
méthodologie aprioriste défendue par Von Mises pour ce qu'elle
est: à savoir, un raisonnement déductif, et non pas
analytique.
Du point de vue de Von Mises, nous sommes conditionnés
par notre psychologie à tenir pour vraies ou appropriées les
catégories de l'agir humain: nous ne pouvons concevoir la
négation des catégories sans que cela ne nous paraisse
contradictoire. Par conséquent, le raisonnement déductif de la
praxéologie est lui-même conditionné par ces
catégories: nous sommes psychologiquement
prédéterminés à inférer de l'axiome de
l'action humaine certaines conclusions et à tenir ces conclusions pour
vraies.
Cela ne suffit-il pas à fonder la vérité
a priori? Si je suis psychologiquement déterminé à
concevoir certaines théories à propos du raisonnement qui
s'incarne dans l'action humaine et que ces théories reproduisent par
ailleurs le raisonnement effectif qui s'incarne dans l'action humaine, cela ne
signifie-t-il pas que je suis, au bout du compte, psychologiquement
déterminé à développer automatiquement les
théories praxéologiques qui sont vraies?
Dans ces conditions, le recours à la notion
d'analyticité paraît superflu pour fonder le caractère de
vérité a priori (effectif) des théories
praxéologiques.
B. Raisons de se méfier de l'idée d'une
vérité a priori
Il ne semble pas, pourtant, qu'on puisse fonder la
vérité a priori de la praxéologie sur cette base. Il ne
semble pas non plus qu'on puisse fonder tout court la vérité a
priori de la praxéologie.
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Mise en cause de l'hypothèse qu'on vient de
proposer
Nous ne prétendons pas mettre pas en cause
l'idée en soi qu'un raisonnement puisse nous paraître indubitable
sous prétexte que nous serions psychologiquement conditionnés
à avoir foi en ce raisonnement, en même temps que ce raisonnement
serait conditionné en sorte d'être la copie conforme d'une
catégorie effective de notre action.
Force est de constater, pourtant, qu'on peut démontrer
aisément que nous ne sommes pas psychologiquement conditionnés
à nécessairement reproduire dans notre raisonnement
théorique sur l'action humaine les catégories effectives de notre
agir. Que nous soyons psychologiquement déterminés à
raisonner de telle ou telle façon à chaque fois que nous agissons
n'implique pas qu'inévitablement, nous soyons psychologiquement
déterminés à avoir une vue fidèle de ce
raisonnement quand nous procédons à la déduction
praxéologique.
Peut-être un tel conditionnement arrive-t-il parfois.
Mais nous pouvons prouver qu'assurément, ce n'est pas
forcément le cas. La raison est la suivante: il arrive qu'un
raisonnement praxéologique, qui nous semble vrai a priori,
s'avère faux, quand on le confronte à l'expérience. C'est
donc que nous ne sommes pas conditionnés par notre psychologie à
restituer automatiquement, lors du raisonnement praxéologique, les
catégories effectives de notre agir. L'erreur est possible, donc nous
ne sommes pas psychologiquement déterminés à
développer des théories qui soient nécessairement vraies.
Il ne suffit pas au raisonnement déductif
d'être parfaitement cohérent et de partir de prémisses
vraies pour qu'il soit vrai
En guise d'exemple, voici un raisonnement typique de la
praxéologie misésienne et rothbardienne, pourtant
réfuté par l'expérience: la loi de l'utilité
marginale décroissante.
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(1) Tout acteur préfère ce qui lui donne le plus
de satisfaction; (2) supposons qu'il soit confronté à un
accroissement (par une unité supplémentaire) de la
quantité d'un certain ensemble de produits, qu'il juge tous capables de
lui rendre les mêmes services; (3) cette utilité
supplémentaire ne lui servira que pour satisfaire un besoin jugé
moins urgent que le dernier auparavant satisfait par la dernière
unité du produit.
Ce raisonnement praxéologique, i.e. portant sur une
catégorie de l'agir, est d'une cohérence parfaite; et ses
prémisses sont vraies. Pourtant, l'expérience offre de multiples
situations où ce raisonnement praxéologique est contredit: que
faire de l'alcoolique qui paie plus cher pour un second verre? Que faire du
collectionneur d'oeuvres d'art pour qui la dernière pièce acquise
dans sa collection a la plus grande valeur?
Ce raisonnement doit être vrai si on s'en tient
aux critères de la méthodologie aprioriste: vérité
des prémisses, cohérence du procès déductif. Il est
faux.
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