II.4. Les médias, vecteurs de ce dictat
Les magazines féminins sont
probablement parmi les meilleurs promoteurs d'une beauté qui repose sur
la jeunesse et une minceur excessive. Leurs pages sont souvent remplies de
photos retouchées et d'articles vantant un nouveau régime en
vogue ou une crème anti-rides miracle. Des recherches montrent que ces
magazines comportent 10 fois plus d'articles et de publicités faisant la
promotion de la minceur que leurs équivalents masculins. Plus des trois
quarts de leurs pages couvertures ont au moins un titre sur la meilleure
manière de changer son apparence, que ce soit par le biais d'un
régime, d'un programme d'exercices ou de la chirurgie esthétique.
Enfin, l'âge apparent des femmes représentées dans les
magazines est systématiquement inférieur à celui du groupe
cible de la revue.
Ceci s'explique facilement par l'influence qu'ont les
annonceurs, principalement des compagnies de cosmétiques, sur le contenu
de ces magazines. Quand un magazine australien a mis en première de
couverture la photo d'un mannequin aux rondeurs évidentes, il a
reçu une réaction très négative de ses annonceurs
qui l'a vite découragé de poursuivre dans cette voie.
En publicité, le règne de la minceur va
d'ailleurs en s'accentuant : « il y a 20 ans, la plupart des mannequins
pesaient 8 % de moins que la femme moyenne. Aujourd'hui, on parle de 23 % de
moins »16. Bien sûr, les magazines et la publicité
ne sont pas seuls à promouvoir un idéal de beauté
inaccessible.
Le cinéma et la télévision
contribuent grandement à le diffuser. Les actrices de
séries télévisées et de cinéma sont,
généralement, de plus en plus minces et de plus en plus jeunes,
elles suivent quasiment toutes des régimes, plus absurdes et rigides les
uns que les autres.
Certains médias font quelques efforts pour proposer une
image plus réaliste des femmes. Le magazine Châtelaine s'est
récemment engagé à ne plus retoucher les photos qu'il
publie et à ne plus présenter de mannequins ayant moins de 25
ans. La marque de savon et de produits cosmétiques Dove a fait parler
d'elle en 2004 grâce à une campagne pour une crème
raffermissante, où elle met en scène des femmes « rondes
» (le rejet de l'embonpoint se manifeste jusque dans le vocabulaire,
l'adjectif « grosse » a été banni) avec l'accroche
« testé sur de vraies rondeurs ».
16 Changements sociaux en faveur de la
diversité des images corporelles, rapport publié par le
Réseau québécois d'action pour la santé des femmes,
2003
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Cette publicité représente une véritable
avancée dans le domaine de la communication de l'image du corps de la
femme, certes, cependant il faut garder un regard critique, et ne pas
s'émerveiller naïvement comme beaucoup l'ont fait à propos
de cette campagne. Les femmes sélectionnées sont plus grosses que
les mannequins habituels, c'est un fait. Mais elles ne représentent que
la femme moyenne, de constitution normale, et pas réellement une femme
dont le poids nécessite un changement grâce à un produit
cosmétique. Admettons que ce produit ne se destine qu'à
l'affinement infime de la silhouette et qu'il convienne donc à ce genre
de femme, ces modèles n'ont tout de même pas été
choisis sans critères de beauté. Elles ont toutes des rondeurs
« acceptables » dans le sens où ce n'est pas trop
exagéré, et situé aux bons endroits (elles ont toutes une
constitution corporelle qui suit les règles actuelles : les fesses, les
hanches et les seins sont les endroits où la graisse peut
apparaître, mais la taille est fine et marquée, le ventre est
plat, pas de bourrelet...). La qualité de la peau est aussi parfaite, et
malgré le fait que l'on veuille montrer des femmes comme les autres, il
est toujours inenvisageable de montrer une femme ayant de la cellulite ou des
vergetures, alors que neuf femmes sur dix en ont. Elles sont également
toutes de la même taille, et plutôt bronzées, même
s'il faut reconnaître ici qu'un effort a également
été fait sur la diversité de la couleur de peau. Ce
casting de femmes a donc été savamment étudié, pour
donner une certaine image de la marque, sans toutefois effrayer ou prendre trop
de risque.
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Les annonces pour les produits de beauté
présentent le corps comme désignant notre identité
profonde; on se doit donc de lutter contre sa dégradation. Les
publicitaires utilisent pour cela diverses méthodes qui
véhiculeraient les qualités d'une technologie sans faille.
Quant aux images qui illustrent ces publicités, elles
nous présentent surtout des corps féminins : les femmes sont
réduites à soigner leur apparence et à se préparer
pour être disponibles en toutes circonstances.
Certaines publicités montrent à quel point
l'image du corps de la femme est conditionné de façon
profondément ancrée dans notre culture. Par exemple, une
publicité télévisée pour le célèbre
fast-food Mac Donald's met en scène une famille qui vient manger dans un
de leur restaurant, afin de mettre en avant le fait qu'ils proposent des
produits assez diversifiés pour en profiter en famille. La
publicité montre alors un menu « Happy Meal » pour les
enfants, un classique « hamburger frites » pour le père, et
une salade pour la mère. De cette façon, on montre de
manière implicite qu'il est évident pour chacun que la femme ne
mange pas de hamburger, car cela ne correspond pas à un régime
pour garder un corps mince.
L'affichage n'est pas en reste, un
média qui montre souvent grossièrement des modèles qui de
toute évidence n'existent pas. Sans parler de maquillage, coiffage ou
autres artifices, les retouches graphiques (Photoshop et autres) sont assez
flagrantes. La plupart des mannequins interrogés ne se reconnaissent pas
elles-mêmes sur les photos placardées dans les rues.
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Cet exemple de campagne pour un parfum de Lancôme met en
scène la célèbre actrice Julia Roberts, qui a maintenant
quarante ans passés, ce qui n'est pas du tout assumé par
l'annonceur. Lancôme a choisi cette actrice pour sa renommée
internationale, et sûrement son élégance et sa
supposée beauté, mais refuse de dévoiler un
élément clé : c'est une femme « mûre ». Il
est flagrant sur ce visuel que l'image a été maintes fois
retouchée, il n'y a plus aucun trait d'expression ni aucun détail
de la peau.
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Monica Belluci pour Dior17
Le même phénomène se rencontre dans une
campagne de la marque Dior, pour un mascara, qui a choisi pour effigie la
célèbre actrice Monica Belluci. Les retouches sont si lourdes que
cela en devient presque grotesque, et même le consommateur moyen ne
reconnaît quasiment pas l'actrice.
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17 Source photographie : Google Images
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