RESUME
L'Afrique subsaharienne est depuis belle lurette, la
région du monde qui détient bien des records en matière de
développement et de démographie. Cela a été mis en
évidence dans notre travail par l'état des lieux fait sur la
situation du bien-être des subsahariens ainsi que sur les avancées
du sous-continent en matière de transition démographique. Il en
est ressorti qu'en ce qui concerne le développement, les records
sus-évoqués ne constituent indiscutablement pas un motif de
satisfaction : l'IDH du sous-continent quoiqu'en perpétuelle
amélioration est le plus faible du monde, et le fait classer comme
région en voie de développement. Dans les faits, les
déterminants de l'IDH sont le reflet de cette situation : les index
de santé et de bien-être économique, à savoir
l'espérance de vie (54 ans) et le revenu par tête (1265$ qui est
catégorisé comme niveau moyen inférieur), sont les plus
bas parmi ceux de toutes les autres régions. Dans le domaine de la
démographie, le record concerne le caractère élevé
de la croissance de la population du sous-continent. La fécondité
y reste la plus élevée (4,9 enfants par femme) en dépit
d'une baisse régulière qui prouve tout de même que
l'Afrique subsaharienne a bel et bien entamé la deuxième phase de
sa transition démographique.
Cependant, contrairement au jugement tranché que nous
avons eu ci-dessus sur l'évolution de la situation du
développement, il est difficile de se prononcer sur le caractère
vertueux ou non d'une forte poussée démographique comme celle qui
caractérise encore l'Afrique subsaharienne. La prudence à avoir
face à ce sujet s'impose ne serait-ce-que au vu des vives controverses
qu'a longtemps suscité le rôle supposé d'une croissance
démographique soutenue sur les conditions de vie des populations.
Malthusiens et anti malthusiens ont longtemps porté ce débat.
Tandis que les premiers étaient assez alarmistes sur les risques de
pénurie et de conflit que représente la population qui
s'accroit à un rythme « géométrique »
face à des ressources qui évoluent selon une progression
« arithmétique », les seconds appelaient à
relativiser eu égard au concept de la « pression
créatrice » qui amène l'Homme à s'adapter,
à être inventif particulièrement pendant les moments de
difficultés.Ainsi, Le premier chapitre de ce travail, consacré
à la présentation des théories de population et de
développement, en fait largement échos dans un premier
temps.Ensuite, il montre comment au fil du temps et sur la base d'observations
empiriques, les positions quelque peu manichéennes de ces deux
écoles de pensées ont été appelées à
être nuancées, pour privilégier une approche
d'interdépendance entre les sous-systèmes
« démographie » et
« développement ». Cette approche qui s'est
imposé face aux réalités qui prévalaient sur le
terrain, a rallié des figures parmi les plus convaincues du
débat entre malthusiens et anti malthusiens. Le constat fait est que les
déterminants et indicateurs de la croissance démographique et du
développement interagissent entre eux selon des règles
« causes à effets » complexes, non figées
mais dynamiques dans le temps et dans l'espace. C'est sur cette base qui semble
faire l'unanimité de nos jours, que nous nous sommes résolus
à étudier les relations entre la croissance démographique
et le développement en Afrique subsaharienne.
Mais avant de nous appesantir à proprement dit sur ce
thème, une meilleure maîtrise de ses contours s'est
avérée indispensable notamment en ce qui concerne les
déterminants des résultats actuels sur le développement et
la croissance démographique du sous-continent. Ainsi, pour le
sous-système démographie, les facteurs explicatifs de la forte
fécondité de l'Afrique subsaharienne ont été
identifiés via une demande d'enfants qui demeure élevée.
Les raisons sont historiques (traite négrière), culturelles
(lignage, famille élargie) et socioéconomiques (enfants sources
de soutiens financiers, matériels et affectifs). En ce qui concerne
l'état de développement, la principale raison source des autres
(pauvreté culturelle et monétaire ainsi que
précarité des conditions de santé), est sans aucun doute
la faiblesse des niveaux de production de ces pays. Il a été
identifié que l'une des causes majeures de cette faiblesse de production
est la structure rentière qui a longtemps caractérisé les
économies de ce sous-continent
La présentation de ces éléments
fondamentaux étant faites, nous avons donc pu aborder l'analyse des
interrelations objets de notre travail.
A cet effet, nous avons commencé par l'étude
statistique des corrélations entre les deux sous-systèmes.
Celle-ci s'est faite à deux niveaux. Le premier est un niveau
globalisant puisqu'étudiant la corrélation directe entre l'IDH et
le taux de croissance démographique et le second est plus
détaillé étant entendu qu'il analyse les
corrélations entre les facteurs directs et intermédiaires des
deux grandeurs d'études. Dans tous les deux cas la démarche a
consisté à introduire les séries chronologiques des
variables concernées dans le logiciel E-views pour obtenir les matrices
de corrélation et d'effectuer un test de causalité pour les
couples de variables dont les coefficients de corrélation tendaient
à traduire l'existence d'une liaison moyenne ou forte. Le test
statistique de Granger qui a été utilisé a aussi
l'avantage de d'indiquer non seulement si la dépendance dans un couple
de variables est univoque ou plurivoque, mais aussi laquelle des grandeurs a
une influence sur l'autre. Dans le cas de l'Afrique subsaharienne, les
conclusions pour le premier niveau sus-évoqué sont les suivantes:
corrélation assez forte entre l'IDH et la croissance
démographique, avec une influence univoque et négative de cette
croissance sur l'évolution du développement. Pour le second
niveau, une constante se dégage : la croissance de la population,
dont le reflet dans ces calculs est le niveau de la fécondité,
est corrélée négativement à l'index de santé
et au revenu par tête. Cette croissance influence donc
négativement ces variables surtout dans le cas des conditions de
santé des populations pour lequel le coefficient de corrélation
est très élevé et les sens de causalité
plurivoques.
Après ces analyses des variables statistiques de
liaison qui établissent in fine l'existence d'actions
réciproques entre les deux concepts d'étude dans le cas de
l'Afrique subsaharienne, nous avons enfin fait un examen plus empirique des
causalités et effets induits.
Il est globalement apparu une confirmation des
résultats de l'étude des corrélations
ci-dessous, à savoir que la poussée démographique du
sous-continent n'a pas jusqu'ici rendu facile la marche vers un
mieux-être des populations. L'expansion de la population est même
sur la base des résultats de notre étude, l'un des facteurs qui
empêcheraient l'Afrique subsaharienne d'atteindre à l'horizon
2015, les Objectifs du Millénaire pour le développement. En
effet, en ce qui concerne l'index revenu, la croissance démographique
est l'un des éléments qui ont causé la stagnation du
revenu par tête réel de la région. Dans le même ordre
d'idées, elle constitue un facteur aggravant de pauvreté selon
des études réalisées auprès des ménages de
certains pays. Dans les domaines sociaux, elle ne permet pas aux pays dont la
plupart ont des ressources limités de répondre à
l'accroissement continu et soutenu des demandes de prestations sociales
liées à l'éducation et à la santé. Cela est
d'autant plus vrai que la pyramide des âges de la région, montre
que ses pays comptent un nombre important de personnes qui, en plus
d'être en âge de bénéficier d'une scolarisation (6-12
ans), ont également une forte propension à la demande des soins
de santé (les enfants notamment).Par conséquent, les taux
d'encadrement des populations vis-à-vis de ces secteurs demeurent bas,
ce qui ralentit la progression de la scolarisation et maintient la
mortalité infantile et maternelle à des niveaux qui restent
élevés.
Un autre pan de notre étude a consisté à
passer au crible de nos analyses les probables effets du développement
sur la population. L'étude sur les corrélations n'a pas
véritablement permis de déceler des résultats concluants
à ce sujet, certainement parce qu'il aurait fallu des séries
chronologiques plus longues étant entendu que le pas de temps des
changements de comportements que peut induire le développement est
généralement élevé. Mais, l'analyse des
données empiriques amène à conclure que le
développement accélère le processus de transition
démographique. En effet, nos recherches et analyses ont monté que
l'éducation des jeunes filles, parce que favorisant une meilleure
santé reproductive et repoussant l'âge de mariage, est un facteur
de diminution de la fécondité et de la mortalité. En
outre, les niveaux de revenu et de développement du lieu de
résidence sont apparus comme corrélés négativement
à la fécondité. Le développement, en cette
qualité de catalyseur de la transition démographique, peut donc
créer un cercle vertueux autoentretenu par lui-même.
Cependant, nos études ayant mis en exergue des
disparités profondes entre les pays du sous-continent qui a cessé
d'être rigoureusement homogène en matière de transition
démographique ou de niveau de développement, il est apparu dans
l'analyse de la situation spécifique de deux pays que le
développement peut se combiner à l'expansion démographique
pour créer des effets pervers. C'est le cas au Kenya ou encore au
Cameroun où la quête des acquis de développement a
provoqué l'accélération d'une urbanisation difficilement
contrôlable. L'exemple du Kenya a également mis en évidence
l'opposition entre la recherche d'un bien-être satisfaisant des besoins
ponctuels et le développement durable.
Mais, l'espoir demeure pour l'Afrique subsaharienne. En effet,
outre la transition démographique qui se trouve déjà
à une phase relativement avancée, les bilans d'étape des
Objectifs du Millénaire pour le Développement, effectués
dans le cadre de notre travail ont permis de constater que même s'il est
difficile pour le sous-continent d'atteindre ces objectifs à l'horizon
fixé, des avancées remarquables y ont été faites en
une décennie en matière d'éducation, de santé et
dans une certaine mesure, de revenu.
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