Résumé
Dida est une forêt de 75 000 hectares située dans
la Région des Cascades au Burkina-Faso. Elle a été
classée par décision n°1744/FOR du 13 juin 1955. Ces
dernières années, à la faveur de la crise ivoirienne de
1999 et compte tenue de la fertilité relative de ses sols, Dida a
progressivement connu l'implantation illégale d'agriculteurs et
d'éleveurs, faisant de cette forêt l'une des plus
anthropisée du pays. On estime de nos jours à 18 villages et
hameaux de cultures installés à l'intérieur de cette
forêt contigüe au Parc National de la Comoé en Côte
d'ivoire, avec une population de 8150 habitants. Toutes les tentatives de son
apurement entamées depuis 2003 se sont soldées par des
échecs. A partir du focus group, et des entretiens
réalisés avec aussi bien les personnes ressources que les
exploitants de la forêt, il ressort que les revenus substantiels
tirés à partir des plantations d'anacardes et des cultures
vivrières pour les agriculteurs, et du pâturage pour les
éleveurs, sont les principales raisons du refus des populations de
libérer cette forêt. Aussi, cet espace est source de conflits
ouverts et latents entre acteurs dans une compétition pour
l'appropriation des ressources, posant un réel problème de
gouvernance environnementale. L'étude révèle que dans une
perspective de gestion durable de cette forêt, il s'avère
nécessaire de procéder à une matérialisation claire
de ses limites, actuellement source de nombreuses contestations.
L'apurement de Dida passera indispensablement par un processus
de glissement volontaire des populations installées à
l'intérieur de la forêt et la mise en place d'un processus de
gestion communautaire impliquant tous les acteurs. Ce n'est que dans cette
logique que l'on pourra concilier les intérêts des populations et
la préservation de la forêt de Dida, dans une perspective de
développement durable.
Key words: classified forest, community management,
socio-economic stake, space of competition, Burkina-Faso.
Abstract
Dida is a forest of 75 000 hectares located in the Cascade
Region of Burkina Faso. It was classified by decision n°1744/FOR on 13
June 1955. These last years, due to the crisis in Ivory coast of 1999 and
because of the fertility of its soils, Dida has increasingly been subject to
the illegal settlement of farmers and pastoralists making this forest the most
affected human settlement of the country. It is estimated that 18 farming
villages and hamlets settled for a population estimated at 8150 inhabitants in
this forest which adjoins the National Park of Comoé. All attempts of
its discharge since 2003 failed. From focus group discussions and semi
structured interviews as well with resource persons and settlers, our findings
show that substantial incomes drawn from uncontrolled planting and livelihood
for farmers and pasture for pastoralists are the main reasons for the
population's refusal for relocation. Thus, this forest brings about open and
latent conflict among stakeholders in a competition of resources ownership
resulting in a real environmental governance problem. The research shows that
for a sustainable management of this forest, it is urgent to proceed to a clear
realization of its limits, currently bringing about numerous challenges.
The discharge of Dida will pass indispensably by a process of
voluntary shifting of the settled population inside the forest and the
implementation of a process of community management involving all stakeholders.
It is thus that we will be able to reconcile the interests of the populations
and the preservation of Dida forest in sustainable development perspective.
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CHAPITRE I : INTRODUCTION
1.1. Contexte
Le Burkina-Faso est un pays sahélien de deux cent
soixante quatorze mille deux cents (274 200) km2. Selon l'Institut
National de la Statistique et de la Démographie (2008), sa population,
essentiellement jeune (59,1 % a moins de 20 ans), est estimée à
quatorze millions dix sept mille deux cent soixante deux (14 017 262) habitants
selon les résultats du Recensement Général de la
Population et de l'Habitat (RGPH) de 2006, pour une densité de 51,1
habitants/km2. De par sa position géographique, le pays est
contraint à une lutte quotidienne pour améliorer les conditions
de vie de sa population. Son enclavement, les aléas climatiques, la non
disponibilité de ressources naturelles, le faible développement
des ressources humaines sont les contraintes majeures à la portée
des actions de lutte contre la pauvreté.
En effet, classé au 183ème rang (sur
187) avec un Indice de Développement Humain (IDH) de 0,343 (PNUD, 2013),
le Burkina-Faso est l'un des pays les plus pauvres au monde. Avec un Produit
National Brut (PNB) par habitant estimé à environ trois cent
quatre vingt seize (396) dollars US en 2005, un des plus faibles au monde, le
pays reste confronté à un défi majeur qui est
l'éradication de la pauvreté. Environ 43,9 % de la population
vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue, estimé en 2009
à 108.454 FCFA par an et par adulte soit moins d'un dollar US par jour
(MEF, 2009).
Selon l'INSD (2003), l'économie du pays est
essentiellement basée sur une agriculture dite de subsistance. Environ
84 % de la population vit essentiellement d'agriculture et d'élevage
Aussi, le pays est confronté à la problématique de
développement dans une situation de compétition foncière,
d'insuffisance alimentaire et de dégradation de ses ressources
naturelles. Cela, du fait de sa forte croissance démographique (3,1 %
par an), mais aussi des effets persistants de cycles successifs de
sécheresse depuis les années 1970. Pour le Programme des Nations
Unies pour l'Environnement (PNUE), en Afrique occidentale et centrale, la
conjugaison de l'accroissement rapide de la population, de mauvaises pratiques
agricoles, tels que les cultures itinérantes et la suppression de la
jachère, la variabilité des conditions
météorologiques, la persistance de la sécheresse et le
surpâturage sont les principales causes de la dégradation des
sols.
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Comme dans l'ensemble des pays à faibles revenus, le
Burkina-Faso est, ces dernières années, confronté à
la problématique de gestion de ses formations forestières, en
proie à une pression anthropique sans précédent. Le recul
des superficies forestières résulte principalement des
défrichements liés à l'extension des terres de culture
causée essentiellement par la pratique de l'agriculture
itinérante. Une analyse diachronique des superficies des formations
forestières de 1980 à 1992, a permis de déduire qu'elles
ont régressé de 1,26 millions d'hectares, passant de 15,42
millions d'hectares en 1980 à 15,18 millions d'hectares en 1983, puis
à 14,16 millions d'hectares en 1992, soit une régression
estimée à cent cinq mille (105 000) hectares par an (MECV, 2004).
Ces changements survenus dans les formations de types forêts ont
concerné 83% des forêts galeries et 17 % des autres formations
forestières, les Régions les plus touchées étant
les Cascades, les Hauts Bassins et le Sud-ouest. Dans ces Régions,
près de 60% de l'augmentation des superficies des terres agricoles sur
les savanes et steppes s'y sont concentrées (PNGT2, 2006). Il est
possible de lier ce phénomène à la dynamique migratoire
des populations des zones arides vers les zones relativement plus
arrosées, en quête de terres cultivables et de pâturages,
mais aussi aux stratégies d'extensification des exploitations agricoles.
Dans cette quête permanente, les Forêts Classées (FC)
constituent une cible privilégiée, de plus en plus en proie
à la pression des populations. C'est ainsi que bon nombre de FC, dont la
Forêt Classée de Dida, ont vu les superficies agricoles
s'accroitre de façon vertigineuse.
C'est dans ce contexte que se pose la question de la FC de
Dida, qui contraste la nécessité pour un pays sahélien
comme le Burkina-Faso de conserver les dernières reliques
forestières et l'impérieuse exigence de garantir aux
communautés locales, fortement dépendantes de ces massifs aux
fortes potentialités agricoles et pastorales, une viabilité de
leur système de production.
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