Enracinements polynésiens d'hier et d'aujourd'hui dans l'archipel de Nouvelle Calédonie( Télécharger le fichier original )par Tomasi TAUTU'U Université de Nouvelle Calédonie - Master 2 arts, lettres et civilisations option francophonie 2012 |
B. Les travailleurs sous contratDans la même année à bord du phoque une quarantaine de Wallisiens et Futuniens sont engagés par les entreprises calédoniennes et pour la première fois quelques couples se grefferont au groupe ainsi que des enfants. Cette délégation constituera la première d'une série de vagues de migrations plus ou moins importantes jusque dans les années quatre vingt. Pourtant, les premiers travailleurs sous contrat seront envoyés dans les mines et notamment dans les activités agricoles. Les premiers expériences sont un échec, la plus part fuguent et de ce fait, rompent leur contrat de travail, pas habitués au travail laborieux de la mine et d'être coupés de leur environnement :
« Quand le directeur d'une mine en 1948 dépensa 300 000 anciens francs pour faire venir quelques travailleurs de l'île de Wallis, ces hommes détestèrent le travail et partirent dans un camion de la compagnie minière pour se débrouiller seuls dans la brousse ».261(*) Force est de constater que le besoin en main d'oeuvre était tel à cette période, que Wallis et Futuna constituera dorénavant un avoir de force musculaire potentiellement exploitable et à bon marché. Entre temps toutes les forces vives de différentes origines sont enrôlées dans le recrutement à divers degrés : les autorités locales avaient du faire face au rapatriement des Javanais dès l'indépendance de l'Indonésie en 1949, il ne restait plus que 2900 Javanais sur le territoire en 1955. Ces derniers choisirent de rester travailler en « colons libres ». Notons tout de même que cette immigration massive va avoir pour conséquence : la baisse démographique avec la perte de main d'oeuvre pour l'exploitation vivrière de l'île. C. Du statut de « protégés » au statut de « citoyenneté » française
Ralliée à la France Libre et ayant servi de base aux troupes américaines pendant la deuxième guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d'outre-mer en 1946. La Constitution du 27 octobre 1946 érige en effet les colonies françaises en Territoires d'Outre-mer (T.O.M) dotés de statuts particuliers tenant compte de leurs intérêts propres. Les Wallisiens et les Futuniens par contre vont devoir patienter jusqu'au 27 décembre 1959 pour apporter à leurs archipels d'origines le statut de Territoire d'Outre Mer et pour accéder à la citoyenneté française. Ainsi, 925 électeurs wallisiens et futuniens postés en Nouvelle Calédonie et 233 de Nouvelle Hébrides votèrent en même temps que 3000 « concitoyens » dans leur île d'origines. Le résultat est unanime, plus de 90% des votants approuvent cette nouvelle proposition statutaire et c'est seulement le 29 juillet 1961 que ce projet de loi est ratifié. Auparavant, ceux qui résidaient en Nouvelle Calédonie avaient un statut de « protégés » et ne pouvaient alors accéder au vote local concédé au territoire calédonien depuis 1946. Les Wallisiens n'ont pu à cette époque apportée leur soutien électoral à l'Union Calédonienne majoritaire, qui a vu la prise de pouvoir pour la première fois des Kanak avec Lenormand en 1958 sous la période que l'on a appelé « la loi cadre ». Notons tout de même qu'en 1957, on comptait déjà 3000 Wallisiens et Futuniens et autant de Polynésiens orientaux ce qui fait des polynésiens déjà le troisième groupe culturel de part son importance numérique. Cette effervescence migratoire polynésienne comblait en fin de compte le vide de la main d'oeuvre tonkinoise et japonaise dont la majeure partie quittera le pays en 1964. Avant 1961, les Wallisiens en Nouvelle Calédonie comme ils n'avaient pas la nationalité française, étaient considérés au même titres que les autres migrants, des travailleurs sous contrat. Sans doute que ce revirement de situation politique incitera Monsieur Pierre Mesmer à écrire une lettre en 1962, confirmant l'inquiétude du gouvernement français à cette époque de la possibilité d'unification indigène de l'Océanie contre toute présence française. Le contenu de cette lettre confirme les stratégies de l'Etat pour avoir la main mise sur le pays. Dès que les Européens prirent possession les îles du Pacifique, les contacts et relations entre les indigènes sont contrôlées. Le choc microbien, les spoliations foncières sur la Grande Terre et plus tard, la mise en place d'une politique de l'indigénat, va asphyxier en quelque sorte la Société « traditionnelle ». Cette nouvelle ère va complètement bouleverser les relations claniques dans la mesure où les familles seront dispersées, éclatées voir rayées de la carte. D'autres relations humaines par contre vont se créer avec l'aide de l'évangélisation protestante ou catholique262(*), la carte des tertres claniques sera bouleversée et les repères traditionnels d'antan s'amenuiseront avec le temps pour voir apparaître d'autres. L'utilisation des indigènes et autres ressortissants de colonies par les Européens comme force de main d'oeuvre dans les grands chantiers, se traduira par l'émergence de cités dortoirs. La cohabitation forcée entre les ouvriers contractuels dans un milieu « étranger » accélérera le processus d'acculturation. Par ailleurs, l'explosion démographique, et la concentration urbaine à Nouméa et dans les environs seront marquées de manière sporadique par des conflits considérés comme « inter ethniques » se traduisant par bagarres. Alors que les rapports de force aux temps anciens se dessinaient toujours sous la forme binaire habituelle : « accueillant / accueilli » à laquelle l'autochtone jouait le premier rôle. A l'arrivée des Européens, d'autres rapports humains émergent parallèlement ou de manière superposées sous la forme « dominant/ dominé » à laquelle l'autochtone est en second plan au sein d'un nouveau système de valeurs importé par la France Métropolitaine. Peut-on dire que la « distinction ethnique » chez l'Océanien apparaît à ce moment là ? Dessin d'un ancien bagnard 1870
* 261 SPENCER Michel & Alan WARD & John CONNELL, Nouvelle Calédonie, Essai sur le nationalisme et la dépendance, La Nouvelle Calédonie de 1945 à 1955 , la politique de l'emploi et l'immigration, Editions L'Harmattan, 1989, p 117. * 262 La création des missions va obliger les populations dispersées à vivre dans un lieu commun de proximité à l'Eglise. La mission de Saint Louis sera un lieu de déportation de personnes venant du nord et de la côte est. |
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