B- La violence comme solution aux problèmes des
populations des régions pétro-
lières :
Dans les années 1990, Ken SARO WIWA, fils de
chef traditionnel et écrivain émérite, et d'autres
ressortissants du peuple Ogoni fondent le MOSOP
(Mouvement Pour la Survie du Peuple Ogoni). Cette organisation
militante a pour principal objectif d'attirer l'attention de la
communauté internationale sur les violations des droits humains, et la
dégradation de l'environnement que subit le peuple
Ogoni.288 Des causes telles que l'autonomisation
financière de ce peuple, un juste partage des revenus du pétrole
et la réparation des dommages environnementaux causés aux
territoires Ogoni, constituent l'essentiel des revendications
portées par le MOSOP. Les principales actions de revendications
du Mouvement Pour la Survie du Peuple Ogoni seront dirigées
contre la multinationale Shell. En 1993, une marche de protestation
contre les activités de la compagnie pétrolière,
organisée par l'association, réunie près de 300 000
personnes.289 Quelques jours plus tard, l'armée occupe la
région. En effet, à cause de l'hostilité des populations
envers ses activités, Shell a fait appel à
l'armée pour sécuriser ses travaux de construction d'un
oléoduc. Elle lui fourni un appui logistique et financier.290
Les exactions de l'armée dans la région sont alors nombreuses. En
1994, Ken SARO WIWA est inculpé avec d'autres militants puis
emprisonné pour avoir organisé une manifestation au cours de
laquelle 4 chefs Ogo-ni ont été tués.291 Ils
sont jugés par un tribunal d'exception composé de trois
personnes, puis condamnés à la peine capitale sans
possibilité d'appel. Le 10 novembre 1995, soit 4 jours après leur
condamnation, ils meurent pendus.292
D'autres évènements témoignent de la
brutalité avec laquelle les autorités fédérales
sont prêtes à régler la contestation dans le Delta du
Niger. Le 04 févier 2005, des personnes originaires d'Ugborodo,
une communauté Itsékiri installée
près du terminal pétrolier de Chevron à
Escravos sur la côte ouest du Delta du Niger, décident de
manifester. Leurs griefs : Le non respect des promesses de la compagnie
pétrolière en matière d'emploi de la jeunesse locale et le
manque de réalisation de projets de développement. L'armée
présente sur les lieux, tire dans la foule. Bilan : un mort et une
trentaine de blessés.293 Les autorités arguent, pour
justifier l'usage de balles réelles, que les manifestants étaient
armés. Cependant, aucune enquête ne confirme la présence
d'armes chez les manifestants. Quinze jours plus tard, soit le 19
février, un raid de l'armée s'abat sur la communauté
Ijaw d'Idioma, dans l'Etat de Bayelsa. Cette
opération, qui a pour but de mettre la main sur des membres d'un groupe
d'autodéfense financé par un sous-traitant d'une filiale de Shell
au Nigéria soupçonnés d'avoir tué une douzaine de
personnes (dont quatre conseillers munici-
288 - Voir La brève du golfe de Guinée,
oct. Nov. Déc. 2010
289 -Idem.
290 -Ibid.
291 -Ibid.
292 -Ibid.
293 -Voir EFAI, Nigéria, pétrole,
pauvreté et violence, Les éditions francophones d'Amnesty
international-Efai, aout 2006.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 65
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
paux), fait de nombreuses victimes collatérales :17
morts dont des personnes brûlées vives et d'autres abattues, ainsi
que 80% des maisons détruites.294
La violence a, très souvent, été
préconisée par l'Etat fédéral dans la
résolution de la question du Delta du Niger. Qu'on observe le
régime dictatorial de Sani ABA-CHA, qui mit fin aux jours du
militant Ken SARO WIWA, ou la présidence d'OLOSEGUN OBASANJO,
au moment du retour à la démocratie, on est saisi par la
promptitude avec laquelle l'Etat use de la violence pour faire taire des
revendications sociales. Pour ORONTO Douglas, c'est cette réponse
violente à une demande pacifique qui provoque le « chaos »
actuellement observable dans les régions
pétro-lières.295 L'Etat se plait à manier,
à la fois, la carotte et le bâton, puisqu'il engage des
réformes démocratiques tout en privilégiant, la plupart du
temps, la solution militaire en cas de conflit. La violence semble d'ailleurs
incontournable pour les autorités politiques, dans la gestion de la
question du delta du Niger, comme le démontrent les
évènements qui ont eu lieu à partir du 13 mai
2009.296En effet, des opérations des forces armées ont
été menées à partir de cette date, dans le delta du
Niger, dans le but de porter un coup fatal au MEND. Des bombardements
aériens intensifs, ainsi que des opérations terrestres contre des
bases de l'organisation militante ont obligé les militants à se
réfugier dans la mangrove d'où ils ont pu orchestrer des attaques
ciblées contre des pipelines. Après plusieurs jours
d'affrontement, l'Etat proclame une amnistie à l'endroit de tous les
combattants qui acceptent de déposer les armes et libère un des
leaders présumés du mouvement Henry OKAH, détenu depuis
2007. Malgré cette main tendue de l'Etat, les affrontements et les actes
de piraterie n'ont pas vraiment cessé dans le Delta du Niger.
L'Etat est un des grands artisans de la violence dans le Delta
du Niger. Par son recours excessif à la solution
militaire,297 il évite de régler la crise sociale qui
y prévaut. Il participe ainsi à la radicalisation dans le Delta
du Niger, et fragilise encore un peu plus la stabilité du pays. Or, la
question du Delta du Niger ne pourrait être résolue par l'action
militaire. Encore moins par des manoeuvres politiciennes.
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